Comité des droits de l’homme
Décision adoptée par le Comité en vertu du Protocole facultatif, concernant la communication no 3049/2017 * , **
Communication présentée par : |
A. T. (non représenté par un conseil) |
Victime(s) présumée(s) : |
L’auteur |
État partie : |
Fédération de Russie |
Date de la communication : |
20 avril 2015 (date de la lettre initiale) |
Références : |
Décision prise en application de l’article 92 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 15 novembre 2017 (non publiée sous forme de document) |
Date de la décision : |
23 juillet 2021 |
Objet : |
Droit d’assister à l’audience de cassation |
Question(s) de procédure : |
Abus du droit de présenter une communication ; retard injustifié dans la soumission de la communication ; fondement des griefs |
Question(s) de fond : |
Procès équitable − droit d’être présent à son procès ; procès équitable − assistance d’un avocat ; droit de former un recours contre une déclaration de culpabilité et une condamnation pénale |
Article(s) du Pacte : |
2 (par. 3 a)), 10 (par. 1), 14 (par. 1, 3 b) et d) et 5), et 16 |
Article(s) du Protocole facultatif : |
2 et 3 |
1.L’auteur de la communication est A.T., de nationalité russe, né en 1969. Il affirme que l’État partie a violé les droits qu’il tient des articles 2 (par. 3 a)), 10 (par. 1), 14 (par. 1, 3 b) et d) et 5) et 16 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 1er janvier 1992. L’auteur n’est pas représenté par un conseil.
Rappel des faits présentés par l’auteur
2.1L’auteur est actuellement emprisonné en Fédération de Russie. Le 20 février 1997, il a été condamné par le tribunal régional de Krasnoïarsk à quinze ans de prison pour meurtre, houliganisme et autres actes de violence. Le 7 août 1997, la Cour suprême, agissant en tant que juridiction de cassation, a confirmé la décision rendue en première instance. L’auteur n’était pas représenté par un conseil et n’était pas présent à l’audience, car ni la juridiction de première instance, ni la juridiction de cassation ne lui avaient expliqué ses droits. Le 6 février 2007, l’auteur a été mis en liberté conditionnelle après avoir passé dix années et six mois en détention (c’est‑à‑dire quatre années, six mois et dix jours avant la fin de sa peine).
2.2Le 5 août 2009, l’auteur a été condamné à une peine de douze ans d’emprisonnement pour une autre infraction. Une partie de la peine qu’il n’avait pas purgée a été ajoutée à la peine prononcée pour cette nouvelle infraction ; l’auteur a ainsi été condamné à une peine cumulée de quinze ans d’emprisonnement.
2.3Le 2 août 2013, l’auteur a saisi la Cour suprême d’une demande de réexamen au titre de la procédure de contrôle, car il n’avait pas été représenté par un avocat à son audience de cassation, en 1997. Le 26 août 2013, la Cour suprême a débouté l’auteur au motif qu’au moment de l’audience de cassation, le Code de procédure pénale ne rendait l’assistance d’un avocat obligatoire que pour les suspects et les accusés.
2.4Le 22 novembre 2013, l’auteur a saisi le Président de la Cour suprême d’une plainte dans laquelle il affirmait que la décision rendue le 26 août 2013 par la Cour suprême était illégale et demandait qu’il soit fait droit à sa demande de réexamen au titre de la procédure de contrôle, car au moment de son audience de cassation, le Code de procédure pénale disposait que les personnes accusées d’infractions passibles de la peine capitale devaient être assistées d’un avocat et que le crime qu’il avait commis pouvait emporter cette peine. Le 16 janvier 2014, le Vice-Président de la Cour suprême a rejeté le recours formé par l’auteur au motif qu’il n’était pas suffisamment étayé pour permettre une annulation du jugement.
2.5Le 2 février 2015, l’auteur a saisi le Président de la Cour suprême d’un autre recours, dont il a été débouté le 20 février 2015.
2.6Entre septembre 2013 et janvier 2015, l’auteur a déposé six autres plaintes auprès du Bureau du Procureur général, dans lesquelles il demandait le réexamen au titre de la procédure de contrôle de la décision rendue par la Cour suprême le 26 août 2013. Toutes les plaintes ont été rejetées.
Teneur de la plainte
3.1Les griefs de l’auteur concernent le recours qu’il a formé en cassation concernant sa première infraction, commise en 1997. L’auteur dénonce une violation des droits qu’il tient de l’article 14 (par. 3 b) etd)) du Pacte, au motif que la Cour suprême n’a pas désigné un avocat pour le représenter et n’a pas fait en sorte qu’il soit présent à l’audience, ce qui l’a défavorisé par rapport à l’accusation, puisqu’il ne pouvait pas s’exprimer oralement pour étayer son recours, répondre aux questions et s’adresser au tribunal dans des conditions d’égalité.
3.2L’auteur dénonce aussi une violation des droits qu’il tient des articles 2 (par. 3 a)), 10 (par. 1), 14 (par. 1 et 5) et 16 du Pacte, au motif que la Cour suprême et le Bureau du Procureur général ne lui ont pas fourni un recours utile contre la violation de ses droits, ne l’ont pas traité avec respect et dignité, n’ont pas garanti son droit à un procès équitable ni son droit de faire examiner sa déclaration de culpabilité par une juridiction supérieure,et ne lui ont pas reconnu la personnalité juridique.
Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond
4.1Dans une note verbale en date du 22 juin 2018, l’État partie a fait part de ses observations sur la recevabilité et sur le fond de la communication. Il affirme que l’auteur n’a pas suffisamment étayé ses allégations de violation des articles 10 et 16 du Pacte et que celles-ci devraient être considérées comme irrecevables au regard de l’article 2 du Protocole facultatif. Il soutient que l’allégation de violation de l’article 14 (par. 5) est également irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif, car la déclaration de culpabilité et la condamnation de l’auteur en date du 20 février 1997 ont été examinées en cassation par la Cour suprême, le 7 août 1997.
4.2En ce qui concerne les griefs que l’auteur tire de l’article 14 (par. 3 b) et d)), l’État partie constate que l’auteur les a portés à la connaissance du Comité près de dix-huit ans après son recours en cassation devant la Cour suprême, le 7 août 1997. Il constate aussi que l’auteur a saisi la Cour suprême d’une demande de réexamen au titre de la procédure de contrôle seize ans après la décision rendue en cassation, alors que rien ne l’empêchait de le faire plus tôt. Compte tenu de ce qui précède, l’État partie considère que les griefs que l’auteur tire de l’article 14 (par. 3 b) et d)) constituent un abus du droit de présenter une communication et sont irrecevables au regard de l’article 3 du Protocole facultatif.
4.3L’État partie affirme que, selon le procès-verbal de l’audience consacrée au prononcé de la peine, l’auteur a été informé de son droit de contester la décision rendue le 20 février 1997, et qu’il a exercé ce droit par la suite. L’auteur n’a pas demandé au tribunal de l’autoriser à participer en personne à l’audience de cassation ni de désigner un avocat pour le représenter dans le cadre du recours. À l’époque, les juridictions d’appel n’étaient légalement tenues d’informer les parties de la date et de l’heure des audiences que si celles-ci le demandaient. L’État partie précise qu’en 2007, la Cour constitutionnelle a rendu une décision qui imposait aux juridictions d’appel de garantir, dans certains cas, que les accusés soient représentés par un avocat, mais qu’en l’espèce, cette disposition ne pouvait pas être appliquée de manière rétroactive. Compte tenu de ce qui précède, l’État partie considère que le droit de l’auteur à la défense, tel qu’il était alors prévu par le droit interne, n’a pas été violé.
Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond
5.1Dans une note en date du 14 septembre 2018, l’auteur a formulé ses commentaires sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond. Il conteste l’argument de l’État partie selon lequel sa communication constitue un abus du droit de présenter une communication. Il fait observer que ses deux demandes de réexamen au titre de la procédure de contrôle de la décision rendue par la juridiction de cassation ont été rejetées par la Cour suprême, le 26 août 2013 et le 16 janvier 2014, et qu’il a saisi le Comité en avril 2015. En conséquence, il a présenté sa communication sans retard après l’épuisement des recours internes.
5.2L’auteur fait aussi observer qu’en 1996, bien avant la décision de 2007, la Cour constitutionnelle avait rendu une décision selon laquelle le droit d’être défendu par un avocat devait être garanti dans le cadre de la procédure en cassation. Il soutient qu’il continue de subir une violation de son droit à la défense puisqu’il purge toujours la peine de prison à laquelle il a été condamné en 2009 et dont la durée a été allongée illégalement par cumul avec la peine prononcée contre lui en 1997. L’auteur affirme que son droit à la défense a également été violé par l’État partie lorsqu’il a contesté en cassation la deuxième déclaration de culpabilité qui avait été prononcée contre lui, en 2009. Il considère que les violations répétées de son droit à la défense attestent du fait qu’il a été privé de la protection de la loi et constituent un refus de lui reconnaître la personnalité juridique, ce qui est contraire aux dispositions de l’article 16 du Pacte.
Nouveaux commentaires de l’auteur
6.1Dans une note en date du 14 mai 2020, l’auteur a fait part de nouveaux commentaires au sujet des observations de l’État partie. Il renvoie à la décision de la Cour suprême en date du 23 septembre 2019, en application de laquelle il purge toujours la peine qui lui a été infligée en 1997, le solde de cette peine ayant été ajouté à celle qui lui a été imposée en 2009. En conséquence, il continue de subir une violation des droits qu’il tient de l’article 14 (par. 3 d)) du Pacte et ne peut donc pas être accusé d’abuser de son droit de présenter une communication.
6.2L’auteur réaffirme qu’à aucun moment au cours de l’audience consacrée au prononcé de la peine, en 1997, le tribunal ne l’a informé qu’il devait soumettre une demande distincte pour pouvoir assister à l’audience de cassation, ce qui était contraire aux dispositions de l’article 14 (par. 3 d)) du Pacte.
Observations complémentaires de l’État partie
7.Dans une note verbale en date du 24 août 2020, l’État partie réaffirme que les prétentions formulées par l’auteur au titre de l’article 14 constituent un abus du droit de présenter une communication. Pour ce qui est de l’argument de l’auteur selon lequel celui-ci continue de subir une violation des droits qu’il tient de l’article 14 (par. 3 d)) parce qu’il purge toujours la peine prononcée contre lui en 1997, l’État partie considère que l’auteur a mal interprété le droit. Il affirme qu’en cas d’un cumul de peines, comme dans le cas de l’auteur, une condamnation au pénal ne peut être effacée qu’une fois que la peine cumulée a été entièrement purgée.
Délibérations du Comité
Examen de la recevabilité
8.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 97 de son Règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif.
8.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’article 5 (par. 2a)) du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.
8.3Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel il devrait considérer la présentation tardive de la communication comme constitutive d’un abus du droit de présenter une communication au regard de l’article 3 du Protocole facultatif et, par voie de conséquence, déclarer les griefs de l’auteur irrecevables. Le Comité fait observer que le Protocole facultatif ne fixe pas de délai pour la présentation d’une communication et que le seul fait d’avoir tardé à lui en présenter une ne constitue pas en soi un abus du droit de présenter une communication. Il reste que, dans certaines circonstances, le Comité s’attend à ce qu’une explication raisonnable lui soit fournie pour justifier un retard. De plus, aux termes de l’article 99 c) du règlement intérieur du Comité, il peut y avoir abus du droit de plainte si la communication est soumise cinq ans après l’épuisement des recours internes par son auteur ou, selon le cas, trois ans après l’achèvement d’une autre procédure internationale d’enquête ou de règlement, sauf s’il existe des raisons justifiant le retard compte tenu de toutes les circonstances de l’affaire.
8.4En l’espèce, la communication a été présentée au Comité environ dix-huit ans après que la peine prononcée contre l’auteur par la Cour suprême, le 7 août 1997, était devenue exécutoire. Le Comité constate que l’auteur n’a pas présenté une demande de réexamen au titre de la procédure de contrôle avant le 2 août 2013, soit plus de seize ans après l’audience de cassation en question, bien qu’il soit sorti de prison le 6 février 2007. Le Comité prend note de l’argument de l’auteur selon lequel puisqu’il purge toujours la peine à laquelle il a été condamné en 1997, la soumission tardive de la communication est un élément sans pertinence − ce que conteste l’État partie, qui indique qu’en cas d’un cumul de peines, une condamnation au pénal ne peut être effacée qu’une fois que la peine cumulée a été entièrement purgée. Cependant, l’auteur n’explique pas pourquoi il n’a pas présenté plus tôt sa demande de réexamen au titre de la procédure de contrôle, d’autant plus qu’il avait bénéficié d’une libération anticipée, en 2007. De plus, l’auteur ne précise pas quand il a pris conscience du fait qu’il avait pu, dans le cadre de la procédure interne, subir une violation des droits qu’il invoque dans sa communication.
8.5Compte tenu de ce qui précède, le Comité considère que l’auteur n’a pas expliqué pourquoi il avait soumis sa communication tardivement. En l’absence de toute autre information ou explication pertinente dans le dossier, le Comité considère que le retard est déraisonnable et suffisamment excessif pour constituer un abus du droit de présenter une communication, ce qui rend la communication irrecevable au regard de l’article 3 du Protocole facultatif.
8.6Étant parvenu à cette conclusion, le Comité décide de ne pas examiner les autres arguments de l’État partie concernant la recevabilité de la communication.
9.En conséquence, le Comité décide :
a)Que la communication est irrecevable au regard de l’article 3 du Protocole facultatif ;
b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur de la communication.