Observations finales concernant le cinquième rapport périodique de la Colombie *

Le Comité contre la torture a examiné le cinquième rapport périodique de la Colombie (CAT/C/COL/5) à ses 1306e et 1309e séances (voir CAT/C/SR.1306 et 1309), les 30 avril et 1er mai 2015, et a adopté, à sa 1323e séance, le 12 mai 2015, les observations finales ci-après.

Introduction

Le Comité sait gré à l’État partie d’avoir accepté la procédure facultative pour l’établissement des rapports, qui permet de mieux cibler le dialogue entre l’État partie et le Comité.

Le Comité se félicite du dialogue qu’il a eu avec la délégation de l’État partie, ainsi que des renseignements complémentaires reçus à l’occasion de l’examen du rapport.

Aspects positifs

Le Comité note avec satisfaction que, depuis l’examen du quatrième rapport périodique, l’État partie a ratifié les instruments internationaux suivants ou y a adhéré :

a)La Convention relative aux droits des personnes handicapées, le 10 mai 2011;

b)La Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, le 11 juillet 2012.

Le Comité note également avec satisfaction que l’État partie a pris les mesures législatives suivantes dans des domaines concernant la Convention :

a)La promulgation de la loi no 1448, en date du 10 juin 2011 (loi relative aux victimes et à la restitution de terres), qui prévoit des mesures de prise en charge, d’assistance et de réparation intégrale en faveur des victimes du conflit armé interne, ainsi que d’autres dispositifs. Cette loi instaure un ensemble de mesures de diverses nature en faveur des victimes du conflit armé en vue de leur assurer l’exercice effectif de leurs droits à la vérité et à la justice ainsi qu’à des réparations et à des garanties de non-répétition;

b)L’adoption de la loi no 1719, en date du 18 juin 2014, relative à l’accès à la justice des victimes de violence sexuelle, en particulier dans le contexte du conflit armé.

Le Comité salue et encourage les efforts déployés par l’État partie pour aboutir à un accord dans le cadre du processus de paix actuel, engagé en août 2012. Il constate avec satisfaction que les droits des victimes constituent l’un des points centraux du programme de négociation.

Principaux sujets de préoccupation et recommandations

Définition de la torture

Le Comité considère que la définition de la torture figurant aux articles 137 et 178 du Code pénal ne couvre pas les actes de torture commis à des fins d’intimidation ou de pression sur une tierce personne. Il rappelle la préoccupation qu’il avait déjà exprimée (CAT/C/COL/CO/4, par. 10) au sujet de l’assimilation fréquente de l’acte de torture à des infractions de moindre gravité et de l’assimilation juridique incorrecte des actes de torture à des infractions pénales connexes (art. 1 et 4).

L’État partie doit modifier les dispositions du Code pénal de telle sorte que la définition de la torture inclue tous les éléments qui figurent à l’article premier de la Convention, dont les actes de torture commis pour intimider une tierce personne ou faire pression sur elle. L’État partie doit aussi garantir la qualification correcte des faits et faire en sorte que les infractions de torture soient punies de peines appropriées à la gravité des actes commis. Le Comité recommande à l’État partie de ne pas soumettre les infractions de torture à un régime de prescription, afin que pareils actes fassent l’objet d’enquêtes, de poursuites et de sanctions, et que soit écarté le risque d’impunité.

Garanties juridiques fondamentales

Le Comité constate avec préoccupation que l’article 303 (droits de la personne arrêtée) du Code de procédure pénale ne prévoit pas le droit d’être examiné par un médecin indépendant. Il considère en outre que la rédaction de l’alinéa 4 de ce même article prête largement à interprétation car il prévoit l’assistance de l’avocat « dans le délai le plus bref possible », ce qui peut être source d’éventuels abus (art. 2).

L’État partie doit garantir, en droit et en pratique, que les personnes privées de liberté jouissent de toutes les garanties juridiques fondamentales dès le moment de l’arrestation, en particulier du droit d’être assisté sans tarder par un avocat et du droit d’être examiné par le médecin de leur choix, indépendamment de tout examen médical réalisé à la demande des autorités.

Arrestations massives à des fins de recrutement

Le Comité prend acte avec satisfaction de la teneur et la portée de l’arrêt C-879 de la Cour constitutionnelle, en date du 22 novembre 2011, mais se déclare préoccupé par les informations selon lesquelles l’armée continue de mener des opérations militaires au cours desquelles elle rafle tous les hommes en âge de servir dans l’armée pour repérer ceux qui n’ont pas accompli le service militaire obligatoire. Le Comité est également préoccupé par les rapports dans lesquels sont dénoncées des agressions sur les personnes retenues dans le cadre de ces opérations (art. 2 et 16).

L’État doit veiller au strict respect de la légalité par les militaires, conformément aux dispositions de l’arrêt C-879 de la Cour constitutionnelle.

Exécutions extrajudiciaires, disparitions forcées et autres violations graves des droits de l’homme

Le Comité exprime sa préoccupation face à la persistance de graves violations des droits de l’homme dans l’État partie, telles que des exécutions extrajudiciaires et des disparitions forcées. Il constate, cependant, que le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, dans son dernier rapport sur la situation des droits de l’homme en Colombie, indique que le bureau du Haut-Commissariat en Colombie n’a pas recensé de nouveaux cas de « faux positifs », bien qu’il ait recensé des cas dans lesquels les forces armées ont tenté de faire passer des victimes d’exécutions extrajudiciaires pour des ennemis morts au combat ou de modifier les apparences sur les lieux où se sont produits les faits pour faire croire que les soldats avaient agi en légitime défense (voir A/HRC/28/3/Add.3, par. 43). Il prend note des informations données par la délégation de l’État partie sur les poursuites engagées contre des membres des forces armées accusés d’avoir commis des exécutions extrajudiciaires, notamment dans des cas de « faux positifs », mais regrette de ne pas disposer de données sur les procédures pénales engagées et les condamnations prononcées pour des infractions de disparition forcée (art. 2, 12 et 16).

L’État partie doit veiller à ce que les cas d’exécution extrajudiciaire, de disparition forcée et autres violations graves des droits de l’homme fassent l’objet d’enquêtes promptes, efficaces et impartiales, que les présumés auteurs de tels actes soient traduits en justice, que les personnes reconnues coupables soient condamnées à des peines suffisantes et que toutes les victimes reçoivent une réparation effective, notamment sous la forme d’une indemnisation adéquate.

Juridictions militaires

Le Comité prend note avec satisfaction des explications données par la délégation de l’État partie concernant le fait qu’il ne peut être recouru à des juridictions militaires pour juger des civils et la teneur de plusieurs projets de loi en cours destinés à réformer le système de la justice militaire. Néanmoins, il considère que si la réforme proposée par le Gouvernement devait être adoptée, les juridictions pénales militaires seraient compétentes pour connaître de faits, commis par des militaires, susceptibles d’être qualifiés d’homicide sous toutes ses formes ou de mauvais traitements sur des civils (art. 2, par. 1).

L’État partie doit veiller à ce que les violations graves des droits de l’homme et autres abus commis contre des civils par des militaires demeurent exclus de la compétence des juridictions militaires.

Paramilitaires et groupes apparus après le processus de démobilisation

Le Comité prend note avec préoccupation des défaillances constatées du processus spécial de démobilisation des paramilitaires (loi Justice et Paix (no 975/2005), modifiée par la loi no 1592/2012) qui a certes contribué partiellement à faire connaître la vérité mais qui aurait laissé impunies de nombreuses infractions commises par des membres des groupes paramilitaires, ce qui a entraîné un déni du droit des victimes à une réparation pleine. Malgré les explications données par la délégation et le fait qu’un plan d’accès a été adopté d’un commun accord avec le Département de la justice des États-Unis d’Amérique, le Comité est préoccupé par les informations selon lesquelles l’extradition des principaux commandants des Autodéfenses unies de Colombie (Autodefensas Unidas de Colombia – AUC) pour trafic de stupéfiants a eu des incidences négatives sur le déroulement des enquêtes menées dans le cadre du processus Justice et Paix. Le Comité se dit également préoccupé par les graves violations commises contre des civils par des groupes armés apparus après la démobilisation des organisations paramilitaires, dont des disparitions forcées, des meurtres, des actes de violences sexuelles, le recrutement de mineurs, des menaces et des déplacements forcés. Il estime particulièrement préoccupantes les informations selon lesquelles ces groupes seraient responsables des nombreux enlèvements et meurtres enregistrés au cours des dernières années dans la municipalité de Buenaventura (Valle del Cauca) (art. 2, 4, 12, 14 et 16).

Le Comité rappelle que, dans le cas du crime de torture, l’amnistie est incompatible avec les obligations qui incombent aux États parties en vertu de la Convention, notamment de son article 14. À ce sujet, le Comité renvoie au paragraphe 5 de son Observation générale n o 2 (2007) sur l’application de l’article 2 par les États parties, ainsi qu’au paragraphe 41 de son Observation générale n o 3 (2012) sur l’application de l’article 14 de la Convention par les États parties. L’État partie doit aussi veiller à ce que l’extradition de membres des Autodéfenses unies de Colombie ne fasse pas obstacle aux enquêtes sur les violations commises par des groupes paramilitaires en Colombie.

En outre, l’État partie doit adopter d’urgence des mesures visant à mettre fin aux infractions commises par les membres des groupes armés illégaux apparus après la démobilisation des organisations paramilitaires.

Violence sexiste

Le Comité se félicite des mesures adoptées pour prévenir et punir les différentes formes de violence contre la femme mais il est préoccupé par le faible nombre de condamnations pour faits de violence sexiste au regard du nombre élevé de plaintes déposées. Selon les données fournies par l’État partie, sur les 266 552 plaintes déposées pour faits de violences sexistes entre 2010 et 2013, seules 10 671 ont donné lieu à une condamnation (art. 2 et 16).

Le Comité invite instamment l’État partie à redoubler d’efforts pour combattre toutes les formes de violence sexiste et à veiller à ce que toutes les plaintes fassent l’objet d’enquêtes approfondies, que les auteurs présumés de tels actes soient traduits en justice et, en cas de condamnation, se voient imposer des appropriées. L’État partie doit aussi veiller à ce que les victimes obtiennent une réparation intégrale du préjudice subi, notamment sous la forme d’une indemnisation juste et appropriée et d’une réadaptation la plus complète possible. Il faudra aussi élargir les campagnes menées pour sensibiliser la population aux problèmes posés par toutes les formes de violence contre la femme.

Violence sexuelle dans le contexte du conflit armé

Le Comité salue l’action menée par l’État partie pour combattre la violence sexuelle perpétrée par des groupes armés, dont les Forces armées révolutionnaires de Colombie – Armée du peuple [Fuerzas Armadas Revolucionarias de Colombia – Ejército del Pueblo (FARC-EP)] et l’Armée de libération nationale [Ejército de Liberación Nacional (ELN)] – et par des éléments des forces de sécurité dans le contexte du conflit armé. Néanmoins, le Comité demeure préoccupé par le niveau élevé de violence sexuelle enregistré dans le pays, spécialement contre les femmes et les filles, notamment en situation de déplacement interne. Il est aussi préoccupé par les graves obstacles auxquels se heurtent les victimes de violence sexuelle pour avoir accès à la justice, en particulier dans le cas des femmes autochtones et afro-colombiennes, et par la stigmatisation associée à ce type de violence (art. 2 et 16).

L’État partie doit s’employer davantage à assurer l’indemnisation des victimes de violence sexuelle et adopter des mesures concrètes pour mettre fin à la culture du silence et à la stigmatisation associée à ce type de violence. À cet égard, le Comité signale à l’attention de l’État partie le paragraphe 33 de son Observation générale n o 3 (2012).

Réfugiés, non-refoulement

S’agissant des éléments nouveaux en matière d’asile introduits par le décret no 2840, du 6 décembre 2013, le Comité constate que ledit décret dispose que les autorités migratoires ne pourront recevoir de demandes d’asile des personnes qui se trouvent en transit aux postes de contrôle de l’immigration. Le Comité également préoccupé par le fait que l’État partie a recouru à des pratiques contraires au principe de non-refoulement dans le cas des ressortissants vénézuéliens Lorent Saleh et Gerardo Carrero en 2014. Le Comité prend note de l’affirmation de l’État partie, selon laquelle « conformément aux instruments internationaux, le principe de non-refoulement ne [s’]applique pas au réfugié qu’il y aura des raisons sérieuses de considérer comme un danger pour la sécurité du pays où il se trouve ». À cet égard, le Comité rappelle que l’article 3 de la Convention confère une protection absolue à toute personne se trouvant sur le territoire d’un État partie, sans considération pour la qualité de cette personne et sa dangerosité sociale (voir CAT/C/52/D/475/2011 et Corr.1, par. 10.4, ainsi que CAT/C/48/D/444/2010, par. 13.7). Enfin, le Comité regrette de ne pas avoir reçu les informations demandées sur le recours aux assurances diplomatiques comme protection contre la torture ou les mauvais traitements (art. 3).

L’État partie doit  :

a) Abroger ou modifier les dispositions qui empêchent la soumission de demandes d’asile auprès des autorités de l’immigration par les personnes en transit aux postes de contrôle de l’immigration;

b) Veiller à ce que nul ne puisse être expulsé, refoulé ou extradé vers un autre pays lorsqu’il existe des raisons fondées de croire qu’il courrait un risque personnel et prévisible d’y être soumis à la torture;

c) S’abstenir de demander ou d’accepter des assurances diplomatiques lorsqu’il y a des motifs sérieux de croire que la personne concernée serait en danger d’être soumise à de la torture.

Usage excessif de la force

Le Comité exprime sa préoccupation face au nombre de personnes tuées ou blessées par balle pendant des affrontements entre manifestants et forces de sécurité dans le cadre de manifestations touchant à des revendications sociales, et regrette que l’État partie n’ait pas fourni d’informations détaillées sur les enquêtes en cours. Il est également préoccupé par les plaintes relatives à des mauvais traitements infligés par la police à des manifestants (art. 2, 12, 13 et 16).

L’État partie doit garantir que toutes les plaintes relatives à l’usage excessif de la force par des agents des forces de l’ordre et des militaires fassent l’objet d’enquêtes promptes, efficaces et impartiales; il doit également veiller à ce que les auteurs présumés de tels actes soient traduits en justice et, s’ils sont reconnus coupables, condamnés à des peines proportionnées à la gravité de leurs actes. Il doit également faire en sorte que les victimes ou les membres de leur famille reçoivent une réparation adéquate. Qui plus est, l’État partie doit dispenser une formation adéquate à tous les agents des forces de l’ordre sur l’usage de la force et réglementer l’usage des armes à feu par les forces de sécurité conformément aux Principes de base sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois (1990).

Conditions de détention

Le Comité prend note des efforts déployés par l’État partie pour accroître les capacités d’accueil des établissements pénitentiaires et pour y améliorer les conditions de détention, mais exprime sa préoccupation face à l’aggravation du problème de la surpopulation carcérale, qui a amené le Cour constitutionnelle à relever à nouveau « l’état d’inconstitutionnalité » qui règne dans le système pénitentiaire (arrêt T-388/13 du 28 juin 2013). Le Comité s’inquiète des informations indiquant que les quartiers pour femmes aménagés au sein d’établissements pénitentiaires pour hommes ne sont pas dotés des infrastructures et des services nécessaires à la prise en charge des détenues. Par ailleurs, le Comité est préoccupé par la précarité des services de santé dans les établissements carcéraux, dont la délégation de l’État partie a reconnu les insuffisances (art. 2, 11 et 16).

L’État partie doit veiller à ce que les conditions de détentions soient conformes aux normes internationales en la matière. L’État partie doit, en particulier :

a) Garantir dans les meilleurs délais l’allocation des ressources nécessaires pour assurer des services médicaux et des soins de santé adéquats aux détenus;

b) Adopter d’urgence des mesures efficaces pour réduire les taux d’occupation dans les établissements pénitentiaires, essentiellement par le recours à des mesures de substitution aux peines privatives de liberté, comme le prévoient les Règles minima des Nations Unies pour l’élaboration de mesures non privatives de liberté (Règles de Tokyo) et les Règles des Nations Unies concernant le traitement des détenues et l’imposition de mesures non privatives de liberté aux délinquantes ( Règles de Bangkok).

Placement en isolement cellulaire

Le Comité prend note avec préoccupation des informations dénonçant le placement de détenus souffrant de maladie mentale dans des cellules d’isolement (unités de traitement spécialisées des établissements pénitentiaires), ainsi que l’utilisation de cellules disciplinaires comme sanction disciplinaire dans les centres de détention pour mineurs (art. 11 et 16).

L’État partie doit :

a) Garantir que le placement en isolement cellulaire ne constitue qu’une mesure de dernier recours, appliquée pendant la période la plus brève possible et soumise à des conditions strictes touchant la supervision et le contrôle judiciaire;

b) Interdire l’application du régime d’isolement cellulaire aux détenus souffrant de maladie mentale et aux mineurs en conflit avec la loi;

c) Instaurer un système de contrôle chargé de superviser l’application du régime d’isolement cellulaire.

Décès en détention

Le Comité est préoccupé par le nombre élevé de décès enregistrés dans les centres de détention et regrette de ne pas avoir reçu d’informations sur les causes des décès ni sur les résultats des enquêtes menées (art. 2, 11 et 16).

L’État partie doit enquêter rapidement et de façon approfondie et impartiale sur tous les décès de détenus et, le cas échéant, pratiquer les autopsies voulues. Il doit également évaluer toute responsabilité éventuelle des agents des forces de l’ordre et des fonctionnaires des établissements pénitentiaires et, le cas échéant, punir comme il se doit les coupables et accorder une réparation adéquate aux familles des victimes.

Inspection des centres de détention

Le Comité se félicite de la création de la Commission de suivi des conditions de détention au sein du système pénitentiaire et carcéral, ainsi que de la présence active du Service du Défenseur du peuple et du Service du Procureur général de la nation dans les établissements pénitentiaires. Cependant, il prend note avec regret des informations selon lesquelles il n’est pas donné la suite voulue aux recommandations formulées par le Service du Défenseur du peuple. En outre, le Comité constate qu’il n’y a pas de mécanisme pleinement indépendant chargé d’inspecter tous les lieux de détention, y compris les commissariats, les centres de détention pour mineurs et les hôpitaux psychiatriques (art. 2).

L’État partie doit faire en sorte que tous les lieux de détention fassent régulièrement l’objet d’inspections indépendantes, ainsi que d’activités de surveillance menées par des organisations non gouvernementales. Le Comité encourage l’État partie à ratifier le Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants .

Mécanismes de plainte et d’enquête. Impunité

Le Comité exprime la préoccupation que lui inspirent les informations selon lesquelles les plaintes pour acte de torture et mauvais traitements donnent rarement lieu à une enquête, ce qui favoriserait un climat d’impunité. À cet égard, le Comité est préoccupé par le fait que l’État partie n’a pas fourni de données précises sur le nombre de plaintes, d’enquêtes, de jugements et de condamnations auxquelles ont donné lieu des cas de torture et de mauvais traitements survenus pendant la période considérée. Faute de ces informations, le Comité se voit dans l’impossibilité d’évaluer l’action de l’État partie à la lumière des dispositions de l’article 12 de la Convention. Par ailleurs, le Comité regrette qu’il n’existe toujours pas de mécanisme spécifique, indépendant et efficace chargé de recevoir les plaintes pour acte de torture et mauvais traitements infligés dans un centre de détention et de mener des enquêtes (art. 2, 12, 13 et 16).

L’État partie doit :

a) Garantir que toutes les plaintes pour acte de torture et mauvais traitements donnent lieu à une enquête rapide et impartiale menée par un organisme indépendant, qu’il n’y ait pas de lien institutionnel ou hiérarchique entre les enquêteurs et les auteurs présumés des faits et que ceux-ci soient dûment jugés et, s’ils sont reconnus coupables, se voient imposer des peines à la mesure de la gravité de leurs actes;

b) Ouvrir une enquête d’office chaque fois qu’il y a des motifs raisonnables de croire qu’un acte de torture a été commis ou que des mauvais traitements ont été infligés;

c) Mettre en place un registre centralisé des cas de torture et de mauvais traitements;

d) Évaluer régulièrement l’efficacité des systèmes de plainte mis à disposition des personnes privées de liberté.

Réparations

D’après les renseignements fournis par l’État partie sur les mesures de réparation pour acte de torture qui sont accordées en application du décret no 1290 de 2008 et la loi no 1448 de 2011, au 30 décembre 2013, seules sept des 9 474 personnes qui avaient été reconnues comme victimes de torture avaient été effectivement indemnisées. Compte tenu du large éventail de mesures de réparation introduites par la loi no 1448, le Comité regrette de ne pas avoir reçu de renseignements détaillés sur l’exécution des programmes de réparation, y compris le traitement des traumatismes et d’autres formes de réadaptation, destinés aux victimes de torture (art. 14).

Le Comité engage l’État partie à offrir à toutes les victimes de torture et de mauvais traitements une réparation intégrale du préjudice subi, y compris une indemnisation équitable et adéquate et une réadaptation aussi complète que possible. À cette fin, il doit garantir que  :

a) Les services et programmes de réadaptation soient accessibles à toutes les victimes, sans discri mination aucune;

b) Les moyens de réadaptation fournis soient complets et comprennent une prise en charge médicale et psychologique, ainsi que des services sociaux;

c) Les mesures de réparation et d’indemnisation soient déterminées en tenant compte des caractéristiques et des circonstances de chaque cas, afin que la réparation soit adaptée aux besoins particuliers de la victime et soit proportionnée à la gravité d es actes commis à son encontre.

Le Comité appelle l’attention de l’État partie sur son Observation générale n o 3 (2012), en particulier les paragraphes 6, 11 à 15, 32 et 39, dans lesquels il décrit en détail la nature et la portée de l’obligation qu’ont les États parties d’offrir aux victimes de torture une réparation complète et les moyens nécessaire s à leur réadaptation complète.

Aveux obtenus sous la contrainte

Le Comité prend note des garanties constitutionnelles, de la législation et de la jurisprudence relatives à la non-recevabilité des éléments de preuve obtenus par la torture ou des mauvais traitements mais s’inquiète de ce que l’État partie n’ait pas fourni d’exemples d’affaires récentes dans lesquelles les tribunaux ont rendu un non-lieu parce que les éléments de preuve présentés avaient été obtenus par la torture ou des mauvais traitements (art. 15).

L’État partie doit adopter des mesures efficaces qui garantissent dans la pratique la non-recevabilité des aveux obtenus par la torture ou les mauvais traitements. Il doit également étendre les programmes de formation spécifique portant sur le Manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Protocole d’Istanbul) destinés aux juges, aux procureurs, aux médecins légistes et à l’ensemble du personnel médical qui s’occupe des détenus.

Formation

Le Comité prend acte avec satisfaction des efforts déployés par l’État partie en matière de formation aux droits de l’homme et aux dispositions de la Convention. Il regrette cependant de ne pas avoir reçu d’information sur la mise au point de mécanismes d’évaluation de l’efficacité des programmes de formation dispensés aux agents des forces de l’ordre et au personnel militaire pour ce qui est de réduire le nombre de cas de torture et de mauvais traitements (art. 10).

L’État partie doit :

a) Continuer de mettre en place des programmes de formation obligatoires afin de garantir que tous les fonctionnaires aient une bonne connaissance des dispositions de la Convention et soient pleinement conscients du fait que les infractions ne sont pas tolérées, qu’elles donnent lieu à des enquêtes et que leurs auteurs sont poursuivis en justice;

b) Mettre au point une méthode qui lui permette d’évaluer l’efficacité des programmes de formation pour ce qui est de réduire le nombre de cas de torture et de mauvais traitements.

Indépendance de la magistrature

Le Comité condamne le meurtre de la juge Gloria Constanza Gaona Rangel, le 22 mars 2011 à Saravena (Arauca), ainsi que les actes d’intimidation et les menaces dont des juges et des procureurs ont été l’objet pendant la période considérée. À cet égard, le Comité prend note des informations fournies par la délégation selon lesquelles en 2014 il a été procédé à 144 évaluations des risques pour la sécurité de fonctionnaires judiciaires investis de certaines responsabilités en matière de poursuite des violations de droits de l’homme et de procès portant sur la restitution de terres. Le Comité regrette de ne pas avoir reçu, lors de son dialogue avec l’État partie, de renseignements suffisants sur les mesures adoptées pour garantir la sécurité et l’indépendance du personnel du ministère public (art. 2).

L’État partie doit garantir la protection des juges et des procureurs contre les menaces et les agressions et veiller à ce que de tels actes fassent l’objet d’une enquête immédiate et approfondie et que les coupables soient jugés et sanctionnés.

Défenseurs des droits de l’homme et autres représentants de la société civile en situation de risque

Le Comité condamne les nombreux attentats meurtriers perpétrés contre des défenseurs des droits de l’homme, des syndicalistes et des journalistes pendant la période considérée. Il est également préoccupé par les informations faisant état d’agressions, de menaces de mort et d’autres actes d’intimidation visant des responsables communautaires, des enseignants, des dirigeants autochtones et afro-colombiens, des militants du mouvement lesbien, gay, bisexuel et transgenre (LGBT), des représentants de personnes déplacées et des personnes militant en faveur de la restitution de terres. Le Comité prend note des mesures prises par l’État partie pour prévenir ce type d’agression et pour protéger la vie et l’intégrité physique des défenseurs des droits de l’homme et d’autres représentants de la société civile, mais regrette l’absence de résultats dans la plupart des enquêtes ouvertes pour de tels faits. Le Comité exprime également sa préoccupation quant aux informations faisant état de déclarations publiques de hauts responsables du Gouvernement et de chefs militaires dans lesquelles ceux-ci accusaient des défenseurs des droits de l’homme de connivence avec des groupes armés, mettant ainsi en danger l’intégrité physique de ces personnes. Enfin, le Comité se félicite de la condamnation de hauts fonctionnaires pour les abus commis par les services de renseignements colombiens, en particulier l’espionnage illégal de défenseurs des droits de l’homme, de journalises, de politiciens et de magistrats (art. 2, 12, 13 et 16).

Compte tenu de ses précédentes observations finales ( CAT/C/COL/CO/4 , par. 23), le Comité engage instamment l’État partie à :

a) Garantir la protection des journalistes, des syndicalistes, des défenseurs des droits de l’homme et des autres représentants de la société civile contre les actes d’intimidation et de violence auxquels leurs activités pourraient les exposer;

b) Veiller à ce qu’il soit enquêté rapidement et de façon impartiale sur toutes les menaces et agressions contre des journalistes, des défenseurs des droit de l’homme, des syndicalistes, des dirigeants communautaires et d’autres repr ésentants de la société civile.

Violence motivée par l’orientation sexuelle ou l’identité de genre

Le Comité est préoccupé par les informations reçues faisant état des brutalités policières dont des personnes, essentiellement des femmes transsexuelles, ont été victimes en raison de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre. Le Comité est également préoccupé par les rapports signalant un taux élevé d’infractions à caractère homophobe, en particulier d’agressions sexuelles et de meurtres de gays et de femmes transsexuelles (art. 2, 12, 13 et 16).

L’État partie doit :

a) Garantir l’intégrité physique des personnes gays, lesbiennes, bisexuelles et transgenres placées en garde à vue et le ur assurer un traitement digne;

b) Veiller à ce que les assassinats et agressions motivés par l’orientation sexuelle ou l’identité de genre fassent l’objet d’enquêtes et à ce que les responsables soient traduits en justice;

c) Dispenser aux agents des forces de l’ordre une formation obligatoire sur la poursuite des actes de violence motivés par l’orientation sexuelle ou l’identité de genre.

Procédure de suivi

Le Comité invite l’État partie à lui fournir, au plus tard le 15 mai 2016, des renseignements sur la suite qu’il aura donnée aux recommandations figurant aux paragraphes 16, 17 et 22 du présent document et portant sur à : a) l’usage excessif de la force par des agents des forces de l’ordre et des militaires; b) les conditions de détention dans les établissements pénitentiaires; c) les réparations accordées aux victimes d’actes de torture et de mauvais traitements.

Autres questions

Le Comité recommande à l’État partie d’étudier la possibilité de faire les déclarations prévues aux articles 21 et 22 de la Convention.

L’État partie est invité à diffuser largement le rapport soumis au Comité ainsi que les observations finales de celui-ci, dans les langues voulues, par le biais des sites Web officiels, des médias et des organisations non gouvernementales.

L’État partie est invité à soumettre son prochain rapport périodique, qui sera le sixième, le 15 mai 2019 au plus tard. À cette fin, le Comité lui transmettra en temps voulu une liste de points à traiter avant la soumission de ce rapport.