Présentée par:

Francesco Madafferi et Anna Maria Immacolata Madafferi (représentés par des conseils, M. Mauro Gagliardi et M. Acquaro)

Au nom:

Des auteurs et de leurs quatre enfants, Giovanni Madafferi, Julia Madafferi, Giuseppina Madafferi et Antonio Madafferi

État partie:

Australie

Date de la communication:

16 juillet 2001 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 91 du règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 11 septembre 2001 (non publiée sous forme de document)

Date de la présente décision:

26 juillet 2004

Le 26 juillet 2004, le Comité des droits de l’homme a adopté ses constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif concernant la communication no 1011/2001. Ce texte figure en annexe au présent document.

[ANNEXE]

ANNEXE

CONSTATATIONS DU COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME AU TITRE DU PARAGRAPHE 4 DE L’ARTICLE 5 DU PROTOCOLE FACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES

Quatre-vingt-unième session

concernant la

Communication n o  1011/2001**

Présentée par:

Francesco Madafferi et Anna Maria Immacolata Madafferi (représentés par un conseil, M. Mauro Gagliardi et M. Acquaro)

Au nom:

Des auteurs et de leurs quatre enfants, Giovanni Madafferi, Julia Madafferi, Giuseppina Madafferi et Antonio Madafferi

État partie:

Australie

Date de la communication:

16 juillet 2001 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 26 juillet 2004,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1011/2001, présentée au nom de Francesco Madafferi, Anna Maria Immacolata Madafferi et de leur quatre enfants en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.1Les auteurs de la communication sont Francesco Madafferi, de nationalité italienne, né le 10 janvier 1961, et Anna Maria Madafferi, de nationalité australienne, qui écrivent également au nom de leurs enfants Giovanni, né le 4 juin 1991, Julia, née le 26 mai 1993, Giuseppina, née le 10 juillet 1996, et Antonio, né le 17 juillet 2001. Les quatre enfants ont la nationalité australienne. Francesco Madafferi habite actuellement avec sa famille à Melbourne, Victoria (Australie). Les auteurs se déclarent victimes de violations par l’Australie de l’article 2 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ainsi que des articles 3, 5, 7, 9, 10, 12, 13, 14, 16, 17, 23, 24 et 26. Ils sont représentés par des conseils, M. Mauro Gagliardi et M. Acquaro.

1.2La demande de mesures provisoires tendant à empêcher l’expulsion de M. Madafferi, qui avait été adressée en même temps que la communication initiale, a dans un premier temps été rejetée par le Rapporteur spécial du Comité pour les nouvelles communications. Toutefois, compte tenu du rapport sur l’état psychique qui était joint, le Rapporteur spécial a, dans l’exercice de son mandat, décidé d’ajouter dans la note par laquelle il transmettait la communication à l’État partie pour lui demander ses observations sur la recevabilité et sur le fond la phrase suivante: «Le Comité souhaite appeler l’attention de l’État partie sur les conséquences psychologiques de la détention pour [M. Madafferi] et sur le fait qu’une expulsion, si elle est exécutée alors que le Comité est saisi de la communication, peut constituer une violation des obligations contractées par l’État partie en vertu du Pacte.».

Rappel des faits présentés par les auteurs

2.1Le 21 octobre 1989, Francesco Madafferi est arrivé en Australie avec un visa de tourisme d’une validité de six mois à partir de la date d’entrée dans le pays, en provenance d’Italie; dans ce pays, il avait purgé une peine d’emprisonnement de deux ans et avait été remis en liberté en 1986. Quand il est entré en Australie, M. Madafferi n’avait plus de peine à exécuter ni de procédure en instance en Italie.

2.2À partir d’avril 1990, M. Madafferi était en situation irrégulière. Le 26 août 1990, il a épousé Anna Maria Madafferi, de nationalité australienne. Il croyait que son mariage lui avait donné automatiquement le statut de résident. Le couple a eu quatre enfants, tous nés en Australie. Tous les membres plus éloignés de la famille de M. Madafferi sont résidents en Australie.

2.3En 1996, l’attention du Département de l’immigration et des affaires multiculturelles ayant été appelée sur son cas, M. Madafferi a déposé une demande de visa pour conjoint afin de rester définitivement en Australie. Dans sa demande, il révélait ses condamnations passées et donnait le détail des peines prononcées en Italie, par contumace, dont il n’avait eu connaissance qu’après avoir subi son premier interrogatoire par les agents d’immigration. Les autorités italiennes n’ont jamais demandé l’extradition.

2.4En mai 1997, le Département de l’immigration et des affaires multiculturelles a rejeté la demande de visa pour conjoint, considérant que l’auteur était «persona non grata» selon la définition de la loi sur l’immigration, du fait de ses condamnations. Un recours contre cette décision a été introduit devant le Tribunal des recours administratifs (le «TRA»).

2.5Le 7 juin 2000, à l’issue d’une audience de deux jours, le TRA a annulé la décision qui faisait l’objet du recours et a renvoyé le dossier au Ministre de l’immigration et des affaires multiculturelles pour réexamen, en donnant comme instruction que M. Madafferi «ne se voie pas refuser le visa selon le critère de la personnalité exclusivement sur la base des renseignements disponibles actuellement…». Au lieu de réexaminer la question en suivant les instructions du TRA, le Ministre a annoncé en juillet 2000 qu’il avait l’intention de refuser le visa à M. Madafferi en invoquant un article distinct de la loi sur l’immigration de 1958, l’article 501A.

2.6En août 2000, les autorités italiennes ont décidé de leur propre initiative de déclarer éteinte une partie des peines en cours et ont décidé que le reste serait éteint en mai 2002. D’après les auteurs, le Ministre de l’immigration n’a pas pris en compte les mesures des autorités italiennes.

2.7Le 18 octobre 2000, le Ministre a fait usage du pouvoir discrétionnaire conféré par l’article 501A et a passé outre à la décision du Tribunal des recours administratifs, refusant le visa de séjour permanent. Le 21 décembre 2000, à la suite d’une requête de l’avocat de M. Madafferi, le Ministre a exposé ses raisons, faisant valoir que les condamnations prononcées contre M. Madafferi et la peine d’emprisonnement qu’il devait exécuter en Italie faisaient de lui une «persona non grata» et que dans «l’intérêt national» il fallait donc l’expulser. D’après les auteurs, le Ministre n’a pas cherché à se renseigner auprès des autorités italiennes et est parti, à tort, de l’idée que M. Madafferi était sous le coup d’une peine d’emprisonnement de plus de quatre ans. D’autres précisions ont été demandées au Ministre qui s’est expliqué en janvier 2001. Le 16 mars 2001, M. Madafferi s’est rendu aux autorités et a été placé dans le centre de rétention de Maribyrnong à Melbourne pour une durée indéterminée.

2.8Le 18 mai 2001, la Cour fédérale a rejeté une demande de révision judiciaire de la décision du Ministre. Cette décision a fait l’objet d’un recours, le 5 juin 2001, devant la Cour fédérale plénière. Le 13 novembre 2001, celle-ci a examiné le recours et a réservé sa décision. Le 31 janvier 2002, M. Madafferi a été informé que l’un des trois juges de la Cour fédérale plénière était tombé malade et ne pourrait pas rendre son jugement. M. Madafferi a préféré que ce soit une cour renouvelée qui se prononce sur le recours plutôt que les deux magistrats restants. Le 17 juillet 2002, la nouvelle Cour fédérale plénière a rendu sa décision, rejetant le recours.

Teneur de la plainte

3.1Les auteurs font valoir que Mme Madafferi n’a pas l’intention d’accompagner son mari en Italie s’il est expulsé ce qui fait que les droits de tous, en particulier des enfants, seront violés puisque la cellule familiale sera éclatée. D’après eux, une telle séparation entraînera des problèmes psychiques et des difficultés financières pour tous mais plus particulièrement pour les enfants, compte tenu de leur jeune âge.

3.2Les auteurs font valoir que le Ministre a agi arbitrairement quand il a décidé de ne pas tenir compte de la décision du TRA sans disposer de nouvelles informations et sans prendre dûment en considération les éléments d’information, les faits et l’opinion du Président du Tribunal. D’après eux, le Ministre a abusé de son pouvoir discrétionnaire et n’a pas traité cette affaire en respectant les règles d’une procédure équitable. Les auteurs affirment que la décision du Ministre était motivée par des considérations politiques et répondait au «mépris des médias à l’égard de M. Madafferi et des membres de sa famille». Dans ce contexte, les auteurs soulignent aussi que M. Madafferi n’a jamais été reconnu coupable de la moindre infraction en Australie.

3.3De plus les auteurs affirment que le centre de rétention où M. Madafferi était placé ne répond pas aux normes sanitaires et humanitaires qui sont appliquées même dans le cas des grands criminels. Ils ajoutent que les droits de M. Madafferi ont été violés parce qu’on lui a refusé le bénéfice de mesures de substitution à la détention, comme l’assignation à domicile ou la détention en alternance qui lui permettraient de continuer à vivre avec sa famille, en particulier compte tenu de la naissance de son dernier enfant, en attendant qu’il soit statué sur sa situation. Ainsi, M. Madafferi n’aurait pas eu la permission d’assister à la naissance de son quatrième enfant, le 17 juillet 2001.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

4.1Dans une réponse datée de mars 2002, l’État partie a fait des observations sur la recevabilité et sur le fond de la communication. Il objecte que l’intégralité de la communication est irrecevable dans la mesure où elle est soumise au nom de Mme Madafferi et des enfants Madafferi alors qu’ils n’ont pas donné de mandat. D’après l’État partie, toute la communication est irrecevable pour non‑épuisement des recours internes étant donné qu’au moment où elle a été envoyée la Cour fédérale plénière n’avait pas encore rendu sa décision et que les auteurs avaient encore la possibilité de se pourvoir devant la High Court (Cour suprême) en cas de décision négative. De plus, l’État partie fait valoir que les auteurs n’ont pas exercé le recours en habeas corpus, qui permettrait de déterminer la légalité de la détention de M. Madafferi, et n’ont pas davantage saisi la Commission des droits de l’homme et de l’égalité des chances.

4.2L’État partie affirme que toute la communication est irrecevable parce qu’aucune des allégations n’est étayée. À l’exception des griefs tirés du paragraphe 1 de l’article 9 et du paragraphe 1 de l’article 10 en ce que les droits de M. Madafferi auraient été violés, toutes les allégations portées dans la communication sont irrecevables pour incompatibilité avec le Pacte. Plusieurs des griefs sont irrecevables en ce qu’ils s’appliquent à certains membres de la famille qui ne peuvent pas être considérés comme victimes des violations alléguées.

4.3Pour ce qui est du fond, l’État partie fait valoir que les auteurs n’ont pas apporté suffisamment de preuves pertinentes pour permettre un examen des griefs sur le fond. Au sujet d’une éventuelle violation de l’article 7 du Pacte, l’État partie objecte que la façon dont M. Madafferi a été traité et les conséquences pour les autres auteurs n’ont pas représenté des souffrances physiques ou psychiques telles qu’elles constituent une torture; c’était le traitement légal prévu par la législation de l’État partie en matière d’immigration. Pour ce qui est de l’état psychologique des auteurs, l’État partie fait valoir que, s’il est prouvé que Mme Madafferi et ses enfants souffrent affectivement de la détention et de la perspective de l’expulsion, cela ne signifie pas qu’il y ait violation de l’article 7 du Pacte car ils ne font pas état de souffrances suffisamment graves, par‑delà les effets de la détention et de la séparation du reste de la famille. À titre de preuves, l’État partie joint la copie d’un rapport médical daté du 20 août 2001, qui conclut que M. Madafferi souffre de troubles dus à sa situation éprouvante mais que ces symptômes sont mineurs à modérés et ne dépassent pas le degré que l’on peut attendre pour quelqu’un se trouvant en détention et sous le coup d’une mesure d’expulsion.

4.4En ce qui concerne le grief de violation de l’article 9, l’État partie objecte que la décision de placer M. Madafferi en détention est légale et que la détention a été effectuée selon les procédures établies par la loi (la loi sur l’immigration). M. Madafferi n’ayant pas de visa, il est en situation irrégulière selon la définition de l’article 14 de la loi sur l’immigration. En vertu de l’article 189, les étrangers en situation irrégulière sont obligatoirement placés en détention. L’État partie affirme que le Ministre était en droit d’user du pouvoir discrétionnaire conféré par la loi sur l’immigration pour refuser le visa. Les actes du Ministre ont été l’objet d’un réexamen par toute la hiérarchie du système juridictionnel et ont été déclarés conformes à la loi.

4.5L’État partie dément que M. Madafferi soit détenu arbitrairement. La détention dans le contexte de l’immigration est une mesure exceptionnelle réservée aux personnes qui arrivent ou restent sur le territoire australien sans autorisation. L’objet de cette mesure est d’empêcher que les candidats à l’immigration n’entrent en Australie avant que leur dossier ait été dûment examiné et qu’il soit établi que leur entrée dans le pays est justifiée. Elle permet également aux agents australiens de pouvoir retrouver aisément ces personnes afin de les interroger et de traiter leur requête sans retard et si la requête n’est pas fondée, de les renvoyer d’Australie au plus tôt.

4.6L’État partie affirme que le placement en rétention de personnes qui essaient de rester illégalement en Australie est compatible avec le droit de souveraineté, droit fondamental en vertu duquel les États sont libres de contrôler l’entrée des non‑nationaux sur leur territoire. L’Australie n’a pas de système de cartes d’identité ni d’autre dispositif d’identification ou d’enregistrement obligatoire pour accéder au marché de l’emploi, à l’éducation, à la sécurité sociale, aux services financiers et aux autres services. Il est donc plus difficile pour l’Australie que pour les pays dotés d’un tel système d’identification de repérer, surveiller et appréhender les immigrants illégaux une fois qu’ils sont dans la communauté.

4.7L’expérience montre que les autorités ont de bonnes raisons de penser que si les étrangers arrivés illégalement n’étaient pas placés en rétention mais avaient le champ libre avant qu’il ne soit définitivement statué sur leur sort, ils seraient fortement incités à ne pas respecter les conditions de mise en liberté et à se fondre dans la population, afin de demeurer en Australie illégalement, surtout si ces personnes ont dans le passé été enclines à ne pas respecter la législation sur l’immigration. Il faut également placer la pratique du placement en rétention dans le contexte plus général du programme global de migration. Les demandes d’entrée ou de séjour sont toutes examinées scrupuleusement, cas par cas. Même si dans certains cas la procédure d’examen de la demande prend plus de temps parce que le requérant veut exercer tous les recours prévus par la loi, ce système donne à tous l’assurance que tous les facteurs importants dans leur cas font l’objet d’un examen minutieux. C’est ce qui s’est passé dans le cas de M. Madafferi. La High Court d’Australie s’est prononcée sur le caractère raisonnable des dispositions prévoyant la détention d’office, dans l’affaire Chu Kheng Lim v. Minister for Immigration and Ethnic Affairs .

4.8L’État partie affirme que sa législation relative à l’immigration n’a en soi rien d’arbitraire et qu’elle n’a pas été appliquée d’une façon arbitraire dans le cas de M. Madafferi. Plusieurs éléments montrent que la façon dont M. Madafferi a été traité était raisonnable, nécessaire, appropriée, prévisible et proportionnée au but recherché, eu égard aux circonstances. Premièrement, il a toujours été traité dans le respect de la loi. Deuxièmement, comme le critère de personnalité prévu par l’article 501A de la loi sur l’immigration n’a pas été satisfait à cause du passé pénal de M. Madafferi, qu’il a par deux fois dépassé la date de validité de son permis et qu’il a menti quand les fonctionnaires de l’immigration l’ont interrogé, il était raisonnable autant que prévisible de lui refuser le visa bien qu’il ait fondé une famille en Australie. La Directive 17 donne des instructions en ce qui concerne notamment l’application du «critère de personnalité».

4.9Troisièmement, le Ministre a pris sa décision après avoir examiné minutieusement toutes les questions en jeu, comme le montre l’exposé détaillé des motifs et les raisons supplémentaires donnés par le Ministre dans sa décision. Il a donc tenu compte des intérêts de Mme Madafferi et des enfants, des obligations internationales de l’Australie, du passé pénal de M. Madafferi, de la conduite de M. Madafferi depuis son arrivée en Australie, de la nécessité de maintenir l’intégrité du système d’immigration australien et de protéger la communauté australienne, des attentes de la communauté australienne et de l’effet dissuasif d’une décision de refus.

4.10Quatrièmement, M. Madafferi s’est adressé à la Cour fédérale pour contester la décision du Ministre mais n’a pas eu gain de cause puisque la Cour a établi qu’il n’y avait pas eu d’erreur de droit ni d’exercice abusif du pouvoir ou de partialité, que la décision avait été prise conformément à la loi sur l’immigration et qu’elle n’avait pas été fondée sur une absence de preuve. Cinquièmement, M. Madafferi a été placé en détention afin de faciliter son expulsion et n’y est resté que le temps qu’a duré la procédure de recours contre l’arrêté d’expulsion. Sixièmement, la détention a été soumise au contrôle de la Cour fédérale qui ne l’a pas annulée. Récemment il a été décidé d’accepter que M. Madafferi soit assigné à domicile sous réserve de l’approbation des modalités matérielles de cette mesure.

4.11L’État partie conteste qu’il y ait violation de l’article 10 du Pacte en raison des conditions de détention. Il joint une déclaration du directeur de l’administration pénitentiaire de l’État de Victoria (où se trouve le centre de rétention dans lequel M. Madafferi était retenu) qui montre que M. Madafferi a été traité avec humanité et a bénéficié de services plus que suffisants pour satisfaire à ses besoins essentiels.

4.12En ce qui concerne le refus qui aurait été opposé à M. Madafferi d’assister à la naissance de son fils Antonio, l’État partie répond qu’il avait eu l’autorisation mais à condition d’être accompagné par un gardien. C’est Mme Madafferi qui a dit que dans ces conditions elle préférait que son mari ne soit pas là. L’État partie reconnaît que l’autorisation d’aller à l’hôpital n’a pas été donnée tout de suite mais cela a été rectifié rapidement et M. Madafferi a eu droit à une visite supplémentaire. L’État partie fait valoir qu’exiger que M. Madafferi soit accompagné par un gardien était une mesure de prudence qui visait à garantir qu’il ne passe pas dans la clandestinité.

4.13L’État partie souligne que M. Madafferi se trouve illégalement sur son territoire et que ce seul fait dément toute idée qu’il pourrait avoir été victime d’une violation du paragraphe 1 de l’article 12 du Pacte. L’application du paragraphe 3 de l’article 12, qui prévoit un certain nombre d’exceptions aux droits consacrés au paragraphe 1 du même article, signifie que la détention ne représente pas un déni du droit à la liberté de mouvement ou à la liberté de choisir librement sa résidence, en infraction au paragraphe 1 de l’article 12.

4.14En ce qui concerne une éventuelle violation du paragraphe 4 de l’article 12, l’État partie répond que les liens de M. Madafferi avec l’Australie ne sont pas suffisants pour affirmer que c’est son propre pays, aux fins de cette disposition. Aucune des circonstances qui ont été dégagées par le Comité dans l’affaire Stewart c. Canada comme créant des liens particuliers et donnant lieu à un grief à l’égard d’un pays de sorte qu’un non‑national ne puisse pas être considéré simplement comme un étranger n’existe dans le cas de M. Madafferi et de ses liens avec l’Australie. Il n’a pas été privé de sa propre nationalité en violation du droit international. Il n’a pas cherché à acquérir le droit de rester dans l’État partie en application de la législation australienne sur l’immigration bien que l’État partie ait des mécanismes bien établis permettant de demander la nationalité et qu’il n’impose pas des conditions déraisonnables pour l’acquisition de la nationalité.

4.15Concernant l’article 13 du Pacte, l’État partie fait valoir que M. Madafferi ne se trouve pas légalement en Australie, que la décision de l’expulser obéit à la loi et qu’il a eu maintes occasions d’obtenir une révision de la décision.

4.16Pour ce qui est du grief de violation du paragraphe 1 de l’article 14, l’État partie renvoie à la décision du Comité dans l’affaire Y. L. c. Canada, dans laquelle le Comité a examiné la question de la définition d’une action «de caractère civil» («suit at law») et a adopté une interprétation qui tient compte de deux éléments: la nature du droit en question et l’organe qui doit statuer sur le litige. En ce qui concerne la nature du droit en question, l’État partie renvoie aux décisions de la Cour européenne des droits de l’homme pour montrer que le droit à un permis de séjour n’entre pas dans le cadre des droits consacrés par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui est très semblable à l’article 14 du Pacte. Une décision administrative en première instance refusant un visa n’est pas une «suit at law» aux fins de cette disposition. On ne peut pas dire en effet que cette décision porte sur une contestation des droits et obligations «de caractère civil» car il ne s’agit pas d’une action en justice engagée par un individu pour qu’il soit statué sur ses droits opposés à ceux d’une autre partie: il s’agit d’une décision administrative et c’est un individu qui se prononce sur les droits d’un autre, en application d’une loi. La décision d’autoriser quelqu’un à entrer ou à rester sur son territoire appartient à l’État intéressé. Pour ce qui est de l’organe qui doit statuer sur ce droit, l’État partie réaffirme qu’une décision administrative de refuser un visa, prise en première instance, n’est pas une action «de caractère civil».

4.17En ce qui concerne l’article 17 du Pacte, l’État partie affirme qu’exiger d’un membre d’une famille qu’il quitte l’Australie en permettant aux autres de rester ne constitue pas nécessairement une «immixtion» dans la vie de famille de la personne expulsée pas plus que de ceux qui restent. D’après l’État partie, l’article 17 vise à protéger la vie privée des individus et les relations personnelles au sein d’une famille découlant de ce droit à la vie privée. La détention de M. Madafferi et son expulsion ne constituent pas une immixtion dans la vie privée des membres de sa famille, en tant qu’individus ou dans leurs relations les uns avec les autres. L’expulsion prévue ne vise pas à porter atteinte aux relations entre les membres de cette famille et l’État partie ne fera pas obstacle au maintien et au développement des relations entre eux. La détention et l’expulsion ont pour unique objet de préserver l’intégrité du système d’immigration de l’État partie. De l’avis de ce dernier, c’est à la famille de décider si les autres membres de la famille continueront à vivre en Australie ou partiront avec M. Madafferi en Italie ou dans un autre pays. L’État partie fait remarquer que seul le père est frappé d’une mesure d’expulsion; les enfants peuvent rester en Australie avec leur mère. Comme les enfants sont petits et que les deux parents sont d’origine italienne, ils pourraient sans difficulté s’intégrer à la société italienne si les autres membres de la famille rejoignaient M. Madafferi. Dans ce contexte, l’État partie relève que les auteurs ont été avisés que M. Madafferi ne serait pas tenu, en rentrant en Italie, d’exécuter le reste des peines d’emprisonnement auxquelles il avait été condamné. Quand il aura été expulsé, il sera en mesure de faire une demande de visa pour pouvoir revenir en Australie.

4.18Si le Comité est d’avis que la mesure prise par l’État partie à l’égard de M. Madafferi constitue une «immixtion» dans sa famille, il ne pourra pas qualifier une telle immixtion d’illégale ou d’arbitraire. L’État partie évoque le fait que le Pacte reconnaît le droit des États de contrôler l’immigration.

4.19L’État partie conteste le grief de violation de l’article 23 du Pacte, faisant valoir que son obligation de protéger la famille ne signifie pas qu’il ne peut pas expulser un étranger en situation irrégulière par la seule raison que cette personne a fondé une famille avec une Australienne. Il faut lire l’article 23 à la lumière du droit conféré à l’État partie par le droit international de contrôler l’entrée, le séjour et l’expulsion des étrangers. Conformément à ce droit le Pacte autorise l’État partie à prendre des mesures raisonnables pour contrôler l’immigration, même si ces mesures peuvent entraîner l’expulsion d’un parent. Si M. Madafferi se trouve dans la situation où il ne peut être avec sa famille que si tous se rendent en Italie c’est du fait de sa conduite et non pas parce que l’État partie n’a pas pris les mesures voulues pour protéger l’unité de la famille. On voit donc bien, d’après l’État partie, que la décision de refuser le visa a été prise conformément à la loi australienne et après examen des conséquences de la décision pour la famille Madafferi, entre autres choses.

4.20L’État partie relève que le grief de violation de l’article 24 est tiré seulement du fait qu’il a été proposé d’expulser M. Madafferi. Il affirme que cet acte ne peut pas constituer un manquement à l’obligation d’assurer des mesures de protection requises par la condition de mineur des enfants Madafferi. L’un des facteurs examinés par le Ministre quand il a pris la décision de refuser le visa était l’«intérêt supérieur» des enfants. La longue séparation du père et des enfants qui va se produire sera le résultat de décisions prises par M. et Mme Madafferi et non pas le résultat des actions de l’État partie. Les auteurs n’ont apporté aucun élément montrant que les enfants ne pouvaient pas être protégés comme il convient par Mme Madafferi s’ils restaient en Australie ou qu’il y ait quoi que ce soit qui empêche les enfants de vivre normalement en Italie.

4.21L’État partie indique que l’allégation de violation de l’article 26 semble porter sur la garantie d’égalité devant la loi, qui n’aurait pas été respectée par le Ministre quand il a refusé le visa. L’État partie réfute cette allégation et renvoie à son argumentation relative à l’article 9 du Pacte; il fait valoir que la décision du Ministre était nécessaire, appropriée, prévisible et proportionnée aux objectifs et qu’elle était légale, que M. Madafferi n’a pas satisfait au critère de personnalité, qu’il a eu la possibilité de défendre sa cause auprès du Ministre avant que celui‑ci ne se prononce, que le Ministre a motivé sa décision laquelle a fait l’objet d’un contrôle judiciaire qui a permis d’établir qu’elle n’était pas entachée d’erreur de droit, d’exercice indu du pouvoir ou de partialité, que cette décision était conforme à la loi sur l’immigration et ne reposait pas sur des preuves inexistantes.

4.22Pour ce qui est des violations des articles 2, 3, 5, des paragraphes 2 à 7 de l’article 14 et de l’article 16, l’État partie avance un grand nombre d’arguments pour rejeter ces griefs qu’il considère comme irrecevables et dénués de fondement.

Demande de mesures provisoires

5.1Le 16 septembre 2003, les auteurs ont informé le secrétariat que l’État partie avait fixé la date de l’expulsion de M. Madafferi au 21 septembre 2003 et ont demandé des mesures provisoires de protection pour empêcher l’expulsion. Ils demandaient également que le Comité donne des instructions pour qu’il soit assigné à domicile et ne reste plus dans le centre de rétention.

5.2Les auteurs donnent des renseignements sur la situation telle qu’elle est actuellement. Le 7 février 2002, comme l’état psychique de M. Madafferi se dégradait et que les autres membres de la famille souffraient de la situation, le Ministre a ordonné que M. Madafferi soit assigné à domicile, ce qui a été fait le 14 mars 2002. Il a continué à avoir des troubles, et des médecins, psychiatres et conseillers l’ont examiné chez lui, à ses frais. Les symptômes qui étaient apparus avant qu’il quitte le centre de rétention s’étaient certes atténués mais n’avaient pas complètement disparu.

5.3Le 20 juin 2003, l’autorisation spéciale de faire recours devant la High Court afin qu’elle se prononce sur la compétence du Ministre pour intervenir et annuler la décision du Tribunal des recours administratifs a été refusée. Le 25 juin 2003, le Département de l’immigration et des affaires multiculturelles a mis fin à l’arrangement sur l’assignation à domicile parce que M. Madafferi risquait davantage de passer dans la clandestinité maintenant que tous les recours internes étaient épuisés avec la décision de la High Court, rendue cinq jours plus tôt. Le même jour, M. Madafferi a été reconduit au centre de rétention de Maribyrnong. Il a adressé une motion constitutionnelle à la High Court, qui l’a rejetée le 25 juin 2003.

5.4La façon dont M. Madafferi a été reconduit en détention est décrite comme une opération «de style commando», 17 hommes armés de la police fédérale étant arrivés sans prévenir dans un fourgon accompagné de deux autres véhicules de la police fédérale. M. Madafferi les a suivis sans résister. Mme Madafferi était terrifiée pour son mari parce qu’elle croyait qu’ils étaient en train de l’expulser. Les deux plus jeunes enfants, qui avaient également assisté à la scène, ont eu des troubles alimentaires pendant des semaines. Les auteurs font valoir que cet acte des autorités était injustifié et disproportionné aux circonstances, d’autant plus que M. Madafferi avait rigoureusement observé toutes les conditions de l’assignation à domicile pendant 15 mois.

5.5Avant qu’il ne soit décidé de mettre fin à l’assignation à domicile, un rapport médical avait été adressé au Département de l’immigration, à la demande de celui‑ci, et attestait qu’il fallait laisser M. Madafferi en assignation à domicile car les raisons médicales pour lesquelles le Ministre avait décidé de cette mesure existaient toujours ou réapparaîtraient immanquablement si l’intéressé retournait dans le centre de rétention de Maribyrnong. Ainsi, d’après les auteurs, en mettant fin à l’assignation à domicile l’État partie a agi contre son propre avis médical et psychiatrique.

5.6Le 22 juin 2002, les autorités italiennes ont informé M. Madafferi qu’elles avaient décidé l’extinction de ses peines et annulé le mandat d’arrestation lancé contre lui. En juin 2003, M. Madafferi a demandé au Ministre de réexaminer sa décision de lui refuser un visa pour conjoint compte tenu de cette nouvelle. Le Ministre a répondu qu’il n’y avait pas de fondement légal pour revenir sur cette décision, ce que la Cour fédérale a confirmé le 19 août 2003; cette décision est actuellement en appel devant la Chambre plénière.

5.7Le 18 septembre 2003, le Rapporteur spécial, agissant en application de l’article 86 du règlement intérieur du Comité a demandé à l’État partie, compte tenu des informations fournies, de l’imminence de l’expulsion, prévue pour le 21 septembre 2003, et du fait que la communication devait être examinée à la soixante‑dix‑neuvième session du Comité (octobre 2003) de ne pas expulser M. Madafferi avant la clôture de cette session. Il a également demandé à l’État partie de lui adresser dès qu’il le pourrait des renseignements sur une éventuelle assignation à domicile ou sur d’autres mesures qui pourraient avoir été adoptées pour réduire le risque d’atteinte grave pour M. Madafferi, notamment de suicide, qui a été établi même par les autorités de l’État partie, s’il restait en détention.

5.8Dans une réponse datée du 17 octobre 2003, l’État partie a fait savoir qu’il accédait à la demande du Rapporteur spécial et n’expulserait pas M. Madafferi avant que le Comité n’ait examiné la communication, à sa soixante‑dix‑neuvième session. Il exposait les faits de l’affaire relatée par les auteurs et ajoutait que M. Madafferi ne pouvait plus être assigné à domicile parce qu’il avait épuisé tous les recours internes, conformément à l’article 198 de la loi sur l’immigration qui oblige à expulser les étrangers en situation irrégulière dès qu’il est possible de le faire.

5.9Pour ce qui est des mesures prises pour réduire le risque de préjudice, l’État partie signale un rapport médical daté du 26 septembre 2003 qui résume les soins reçus par M. Madafferi depuis qu’il est retourné au centre de rétention. Il y a notamment des consultations quotidiennes avec l’infirmière et le conseiller du centre et des consultations régulières avec les services de santé mentale du sud‑ouest. Malgré cette prise en charge, l’état psychique de M. Madafferi a continué de se dégrader au point qu’il a été admis dans un hôpital psychiatrique le 18 septembre 2003 et déclaré incapable d’entreprendre un voyage.

5.10Le 7 novembre 2003, le Rapporteur spécial, agissant en application de l’article 86 du règlement intérieur du Comité, a prolongé jusqu’à la quatre‑vingtième session la demande de mesures provisoires de protection faite à l’État partie, compte tenu des observations supplémentaires reçues des auteurs et de la requête de l’État partie qui avait souhaité avoir la possibilité d’y répondre.

Commentaires des auteurs

6.1Dans une lettre datée du 30 septembre 2003, les auteurs donnent des renseignements complémentaires sur les faits et font part de leurs commentaires sur la recevabilité et le fond. L’assignation à domicile de M. Madafferi, qui a duré du 14 mars 2002 au 25 juin 2003, avait été acceptée «sur la base de la récupération du coût réel pour l’administration». Le coût avait été estimé à 16 800 dollars par mois, somme qui a été payée à l’avance et, après le dépôt d’une caution de 50 000 dollars, l’auteur a été placé en assignation à résidence le 14 mars 2002. Les auteurs ont effectué le premier versement de 16 800 dollars puis un deuxième. Ensuite, ils n’ont plus fait de versement parce que la famille n’a pas réussi à réunir davantage d’argent. Les auteurs affirment qu’ils ont été contraints d’accepter ces conditions financières, contre l’avis de leurs avocats, parce qu’il n’y avait pas d’autre moyen pour eux d’être réunis. Ils ajoutent que l’État partie avait l’obligation de proposer l’assignation à domicile à titre de mesure de substitution à la détention dans le cas de l’immigration, vu la dégradation de l’état de santé de M. Madafferi, et que ce n’était pas à eux (les auteurs) de payer pour obtenir un moyen de stabiliser son état de santé.

6.2Les auteurs continuent d’invoquer des violations de chacun des articles qu’ils déclaraient avoir été violés (voir par. 1) et donnent des précisions sur les griefs de violation des articles 9, 10, 12, 13, 17, 23 et 24 du Pacte. Pour ce qui est de l’article 9, ils précisent que ce grief ne concerne que M. Madafferi. Ils font valoir que, même si la décision de le placer en détention est légale, elle a été arbitraire et n’était ni «raisonnable» ni «nécessaire» eu égard aux circonstances. Rien ne montre qu’il risque de prendre la fuite puisque ce qu’il veut, au contraire, c’est obtenir de rester avec sa famille en Australie. Il n’y a rien non plus qui indique qu’il ait commis une infraction depuis son arrivée dans ce pays. Il n’a plus d’attaches en Italie puisqu’il vit en Australie depuis 15 ans et qu’il a fondé une famille, il a un commerce de fruits, il a contracté une hypothèque et il a un numéro d’identification fiscale. C’est lui le soutien de famille; s’il retourne en Italie il n’a aucune chance d’obtenir un emploi assez important pour lui permettre d’entretenir sa famille. Dans ces circonstances, le placement en détention est disproportionné et injustifié. À cause de sa détention, Mme Madafferi ne reçoit pas de prestations de sécurité sociale en tant que mère seule car au regard de la loi les conjoints ne sont pas légalement séparés. Elle n’a pas non plus droit à une pension d’invalidité ou de soutien de famille alors que son mari est dans l’incapacité de travailler.

6.3Avant de l’envoyer au centre de rétention de Maribyrnong, l’État partie n’a pas envisagé d’autres formes de détention. L’assignation à domicile n’a été décidée qu’après constatation des troubles psychiques que la détention avait causés à M. Madafferi et n’a duré qu’une période limitée. L’État partie n’a pas donné de motifs pour expliquer pourquoi l’assignation à domicile ou une autre formule de contrôle avec obligation de se présenter régulièrement aux autorités n’avait pas été envisagée ni appliquée à un autre moment. Quand enfin le Ministre a ordonné l’assignation à domicile, le Département de l’immigration a mis plus de huit semaines à exécuter la décision.

6.4En ce qui concerne l’argument de l’État partie qui fait valoir que M. Madafferi est par deux fois resté dans le pays après la date d’expiration de son visa, les auteurs objectent que la première fois il avait 15 ans, il obéissait donc à son père et ne pouvait pas décider de son départ. La deuxième fois c’était parce qu’il avait cru à tort qu’épouser une Australienne lui donnait automatiquement le droit de rester en Australie. Les auteurs soulignent que M. Madafferi est entré en Australie avant que la disposition relative à la personnalité (Directive 17) ne soit introduite dans la législation.

6.5D’après les auteurs, M. Madafferi n’a pas bénéficié d’une procédure équitable, étant donné qu’il pouvait légitimement attendre quand il a saisi le Tribunal des recours administratifs (TRA) que ce dernier se prononcerait sur sa demande de visa pour conjoint. Le Ministre n’a pas fait recours contre la décision du TRA et le Département de l’immigration n’a pas réexaminé la décision en tenant compte des instructions du TRA. L’annulation de la décision du TRA et la reprise depuis le début de toute la procédure d’examen de la demande ont constitué un manquement au principe de la procédure équitable. Les auteurs font valoir que si le Ministre n’était pas encore intervenu et n’avait pas pris sa décision du 18 octobre 2000, il était raisonnable d’escompter une réponse positive à la demande de visa pour conjoint quand le Département de l’immigration aurait réexaminé le dossier.

6.6Les auteurs précisent que le grief de violation du paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte concerne exclusivement M. Madaferri. Il n’était pas approprié de le maintenir longtemps en détention à Maribyrnong, car cet établissement est considéré comme un établissement pour courte durée seulement. Les capacités du centre ont été largement déplacées et le surpeuplement est fréquent. L’angoisse et les tensions inhérentes à la détention empêchent les détenus de vivre selon leurs habitudes, leurs pratiques religieuses et leurs coutumes. Les auteurs ajoutent que les documents ne manquent pas sur les conditions des centres de rétention en Australie.

6.7Les auteurs citent les épisodes ci-après, qui ne constituent pas une liste exhaustive mais illustrent la façon dont les droits consacrés à l’article 10 du Pacte sont violés. Premièrement, l’auteur n’a pas pu être là quand son quatrième enfant est né parce qu’un agent du centre de rétention avait déclaré qu’on ne pouvait pas faire venir un taxi à temps, alors que le Département de l’immigration avait été prévenu quatre heures à l’avance. Après la naissance, la présence de gardes de sécurité dans la salle de travail avait gêné Mme Madaferri et la visite avait donc été écourtée. Deuxièmement, le Département de l’immigration n’avait pas autorisé l’auteur à se rendre plus d’une fois auprès de sa femme et de son bébé à la maternité et quand ils sont rentrés à la maison. L’auteur reconnaît que l’État partie a autorisé une autre visite à la maternité, mais cette visite a eu lieu sous garde rapprochée.

6.8Troisièmement, le Département de l’immigration n’a pas accepté d’assouplir les modalités de l’assignation à domicile de façon à permettre à la famille de participer à des activités, en tant que cellule familiale, pour faire plaisir aux enfants. Soit il était interdit à M. Madaferri de faire des sorties en famille, soit il le pouvait mais accompagné de gardiens, ce qui attirait l’attention dans des lieux publics. Cela ne faisait qu’aggraver l’humiliation de l’auteur et de sa famille en public. Quatrièmement, la décision de mettre fin à l’assignation à domicile prise par le Département de l’immigration a été exécutée le 25 juin 2003 avec un déploiement de force inutile et disproportionnée. Cinquièmement, que ce soit par négligence ou délibérément, il n’a pas été tenu compte des conseils et des avertissements faits par les médecins et les psychiatres de l’État partie lui‑même, qui soulignaient que le maintien en détention de M. Madaferri avait des incidences graves sur sa santé mentale. Pendant longtemps, il n’a pas reçu de traitement et son hospitalisation d’office dans un établissement psychiatrique aurait pu être évitée si les avertissements avaient été écoutés.

6.9Les auteurs affirment que le paragraphe 1 de l’article 12 s’applique bien aux circonstances de l’affaire et que rien dans le paragraphe 3 de cet article ne devrait restreindre l’application du paragraphe 1 aux faits de la cause. Les auteurs exposent les faits ci‑après pour démontrer que M. Madafferi a noué avec l’Australie des liens qui ont toutes les caractéristiques voulues pour qu’il puisse appeler l’Australie «son propre pays» au sens du paragraphe 4 de l’article 12. Ses deux parents, qui vivaient en Italie, sont morts. Son grand‑père s’est installé en Australie en 1923 et y est resté jusqu’à sa mort; son père est arrivé en Australie dans les années 50 et il est retourné en Italie à la retraite, au bénéfice d’une pension australienne; lui‑même n’est pas retourné en Italie; il a un permis de conduire australien, un numéro d’identification fiscale, une carte de santé (Medicare) et il a un commerce qui emploie du personnel et pour lequel il paie des impôts; il avait un passeport italien qu’il a laissé expirer; il a renoncé à sa résidence dans sa ville natale et il n’est plus enregistré comme domicilié en Italie; les autorités italiennes savent qu’il habite en Australie et en ont pris note; ses frères et sa sœur ont tous officiellement renoncé à leur nationalité italienne. De plus, les auteurs soulignent que M. Madafferi n’a commis aucune infraction en Australie. En ce qui concerne la «non‑divulgation d’infractions pour lesquelles il a été condamné par contumace en Italie», ils objectent que M. Madafferi ne savait pas qu’il avait été condamné «quand il a eu son premier entretien avec les agents de l’immigration et qu’ils lui ont posé la question».

6.10En ce qui concerne l’article 13 du Pacte, les auteurs font valoir que la décision de refuser le visa pour conjoint était en partie motivée par le fait qu’en Italie un mandat d’arrestation avait été lancé contre M. Madafferi. Or, en juin 2002, le mandat a été annulé à la suite de la décision de prononcer l’extinction des condamnations. Les auteurs invoquent une violation de l’article 13 constituée par le refus du Ministre de revenir sur sa décision alors que les circonstances avaient changé, celui‑ci affirmant qu’il n’avait aucun fondement légal pour le faire.

6.11Pour ce qui est des allégations de violation des articles 17, 23 et 24 (concernant tous les auteurs), les auteurs font valoir que, si M. Madafferi est expulsé, sa femme et ses enfants resteront en Australie. Cette séparation physique leur serait imposée par l’État partie ce qui constituerait une immixtion dans la vie de famille ou dans la cellule familiale. Il n’y a aucune raison de penser que les liens conjugaux et familiaux ne sont pas sincères et forts et il y a des preuves médicales que tous les membres de la famille souffriraient de la séparation.

6.12Pour ce qui est de l’argument selon lequel sa femme et ses enfants devraient suivre M. Madafferi, les auteurs font valoir que c’est un argument subjectif et non pas juridique. Ils ont la nationalité australienne et ont le droit de rester en Australie; leur résidence est protégée par d’autres articles du Pacte. S’ils accompagnent M. Madafferi en Italie, ils auraient des difficultés à s’intégrer. Les enfants connaissent déjà des troubles émotionnels et des troubles du langage à cause de la situation qu’ils vivent. Ces problèmes seront aggravés en Italie car ils ne pourront pas facilement communiquer. Mme Madafferi et les enfants n’ont jamais été en Italie et seule Mme Madafferi parle un peu la langue. Ils n’ont pas de parents même éloignés en Italie.

6.13Les auteurs font valoir que si la famille reste en Australie, Mme Madafferi n’arrivera pas à s’occuper seule de quatre enfants. En automne 2003, elle a eu une grave dépression nerveuse et a été admise à l’hôpital Rosehill d’Essendon (État de Victoria) pendant cinq jours. La pression qu’elle subit à cause de cette affaire et des difficultés qu’il y a à s’occuper seule de quatre jeunes enfants et à les élever a été et continue d’être écrasante.

6.14Les auteurs ajoutent que M. Madafferi resterait en Italie pour une durée indéterminée et n’aurait guère de perspectives de rentrer en Australie même à titre provisoire. En effet, le «critère de personnalité» est un élément essentiel de la demande de visa pour conjoint, qu’elle soit faite depuis l’étranger ou en Australie. S’il ne peut satisfaire ce critère, cela signifie concrètement que M. Madafferi se verra opposer un refus chaque fois qu’il demandera un visa. Aucun agent subordonné au Ministre n’aura le pouvoir de passer outre à la décision que le Ministre a personnellement prise dans cette affaire et cela peut également dissuader le Tribunal des recours administratifs d’exercer son pouvoir discrétionnaire si une demande était rejetée en première instance et que la décision faisait l’objet d’un recours.

Observations supplémentaires de l’État partie

7.1Par une lettre datée du 6 avril 2004, l’État partie affirme que le nouveau conseil des auteurs n’a pas été mandaté et que la communication est donc irrecevable ratione personae. Il objecte que, contrairement à ce qu’avancent les auteurs, il n’a aucune obligation de proposer l’assignation à domicile à titre de forme de substitution à la détention eu égard à l’état de santé de M. Madafferi et qu’une solution autre que la détention est possible dans des circonstances exceptionnelles uniquement. Pour ce qui est des frais de l’assignation à résidence, il est opposé que M. Madafferi les a acceptés et qu’à tous les stades, l’État partie a fait ce qu’il pouvait pour qu’il bénéficie des soins appropriés.

7.2L’État partie dit qu’il n’a pas reçu le moindre acte écrit informant que les peines ou les condamnations avaient été éteintes ou effacées du casier judiciaire de M. Madafferi et le fait qu’il a été ainsi pénalement condamné doit être pris en considération pour statuer sur une demande de visa.

7.3En ce qui concerne l’article 9 du Pacte et l’argument des auteurs qui affirment que le risque de fuite est faible, l’État partie cite un courrier adressé par le Département de l’immigration à l’agent de l’immigration chargé du dossier Madafferi, daté du 25 juin 2003 et portant sur la fin de l’assignation à domicile, où il est dit que maintenant que les recours internes sont épuisés, le risque qu’il prenne la fuite est élevé. Pour ce qui est de l’argument selon lequel le Ministre a pris sur l’affaire une décision entièrement nouvelle au lieu de la réexaminer selon les instructions données par le Tribunal des recours administratifs dans sa décision du 7 juin 2000, l’État partie reconnaît que le Ministre avait a priori l’obligation de reconsidérer la question. Toutefois, il réaffirme que certaines décisions du TRA peuvent être annulées par le Ministre en vertu de l’article 501A de la loi sur l’immigration de 1958 (note 11) et que la décision du 18 octobre 2000 était valable.

7.4À l’argument selon lequel M. Madafferi pouvait raisonnablement attendre que le TRA se prononce sur sa demande de visa pour conjoint, l’État partie objecte que cette juridiction n’a pas compétence pour déterminer s’il répond aux critères pour obtenir ce visa et que son rôle devait se limiter à examiner le refus du visa pour conjoint au motif de la «personnalité»; l’instruction qu’il avait donnée portait uniquement sur la personnalité.

7.5L’État partie dément que le centre de rétention de Maribyrnong soit considéré comme un établissement pour détention de courte durée. Au contraire c’était l’établissement qui convenait dans cette affaire parce que la famille et l’avocat de M. Madafferi pouvaient s’y rendre facilement. À l’allégation des auteurs qui disent que l’État partie aurait dû accepter d’assouplir les conditions de l’assignation à domicile, l’État partie répond que M. Madafferi avait toute liberté pour recevoir des visiteurs chez lui et que des dispositions spéciales avaient été prises pour qu’il puisse assister à un certain nombre de réunions de famille, notamment un mariage, les réceptions pour la confirmation de deux de ses enfants et des fiançailles dans la famille. Pour ce qui est de la fin de l’assignation à domicile auquel il aurait été procédé avec un déploiement de force excessif, il explique qu’un fonctionnaire du Département de l’immigration s’est présenté au domicile de M. Madafferi accompagné de huit membres de la police fédérale australienne et de deux administrateurs du Service pénitentiaire australasien. La visite aurait duré huit minutes. L’agent du Département de l’immigration a attendu M. Madafferi dans l’allée et l’a informé qu’il se trouvait maintenant sous la garde du Département et devait retourner au centre de rétention de Maribyrnong (Melbourne). M. Madafferi a été accompagné jusqu’à un véhicule garé dans la rue. L’agent du Département de l’immigration se souvient que les policiers n’avaient pas leurs armes à la main. Le 19 janvier 2004, le directeur adjoint des services cliniques du programme de santé mentale Mercy à Weeribee a fait savoir que M. Madafferi n’était toujours pas en état de sortir de l’hôpital.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

8.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

8.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

8.3En ce qui concerne la question de la qualité pour agir et de l’argument de l’État partie qui objecte que le conseil des auteurs n’a pas d’autorisation pour les représenter, le Comité note qu’il a reçu une confirmation écrite du mandat donné à un représentant pour agir au nom des auteurs, représentant qui a lui‑même transmis d’autres écrits établis par les conseils australiens des auteurs. Le Comité conclut donc que les deux conseils des auteurs ont qualité pour agir en leur nom et la communication n’est donc pas irrecevable pour ce motif.

8.4Pour ce qui est de l’argument du non‑épuisement des recours internes avancé par l’État partie parce que le recours administratif consistant à saisir la Commission des droits de l’homme et de l’égalité des chances n’a pas été exercé, le Comité rappelle sa jurisprudence et réaffirme qu’une décision rendue par cet organe ne serait qu’une recommandation et n’aurait aucun effet obligatoire et que par conséquent il ne peut pas s’agir d’un recours utile au sens du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

8.5En ce qui concerne l’autre argument de non‑épuisement des recours internes parce que M. Madafferi n’a pas fait une demande d’habeas corpus et parce que la Cour fédérale plénière et la High Court ne s’étaient pas encore prononcées sur les appels introduits pour contester la légalité de la décision du Ministre, le Comité relève qu’au moment où il examine la communication, ces recours ont été épuisés.

8.6Pour ce qui est des griefs de violation des articles 2 et 3, des paragraphes 1 à 3 de l’article 12, des paragraphes 2 à 7 de l’article 14 et de l’article 16 du Pacte, le Comité estime que les auteurs n’ont pas montré, aux fins de la recevabilité, en quoi l’un quelconque des droits consacrés dans ces dispositions ont en fait été violés. Ces griefs sont donc irrecevables en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif. De plus, étant donné que l’article 5 du Pacte ne crée pas un droit individuel distinct, l’allégation au titre de cette disposition est incompatible avec le Pacte et donc irrecevable en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif.

8.7En ce qui concerne la violation du principe de la procédure équitable reprochée au Ministre dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire ou du fait de son refus de réexaminer la demande de visa de M. Madafferi, le Comité note que les auteurs n’ont pas rattaché ces questions à des articles spécifiques du Pacte. Il relève de plus que la légalité de la décision du Ministre d’invoquer son pouvoir discrétionnaire a fait l’objet d’un contrôle judiciaire par la Cour fédérale ainsi que par la Cour fédérale plénière et que la question de savoir si le Ministre pouvait revenir sur cette décision a également été examinée par la Cour fédérale. Ainsi, bien que le Comité estime que l’application de cette procédure peut soulever des questions au regard du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte et de l’article 13, il conclut que les auteurs n’ont pas suffisamment étayé leurs allégations aux fins de la recevabilité. En conséquence, le Comité considère que ce grief est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif. Toutefois, le Comité considère que l’allégation selon laquelle le principe de la procédure équitable n’a pas été respecté dans l’exercice par le Ministre de son pouvoir discrétionnaire soulève bien une question au regard de l’article 26, et qu’elle a été suffisamment étayée aux fins de la recevabilité. Le Comité conclut donc que ce grief est recevable au titre de l’article 26 du Pacte.

8.8En ce qui concerne tout autre grief qui peut être tiré de la période passée en assignation à domicile, y compris l’obligation faite à M. Madafferi de payer les services de sécurité assurés par l’État partie et le fait que l’État partie n’aurait pas suivi son état de santé mental pendant cette période, il ressort du dossier que les modalités de l’assignation à domicile ont été établies par contrat et approuvées par les auteurs. La lecture de ce contrat montre que l’une des clauses imposait aux auteurs le paiement des frais médicaux et que cette clause n’a pas été contestée devant les tribunaux. En fait, la seule question concernant ce contrat qui ait été contestée devant les juridictions internes portait sur le montant dû par les auteurs. La légalité du contrat en soi n’a pas été contestée. Pour cette raison, toutes questions relatives aux modalités de l’assignation à domicile qui pourraient être soulevées au regard du Pacte sont irrecevables pour non‑épuisement des recours internes, en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

8.9Le Comité considère que les autres griefs des auteurs relativement à l’article 9, au paragraphe 4 de l’article 12 et aux paragraphes 1 et 7 de l’article 10 en ce qui concerne M. Madafferi seulement et des articles 17, 23 et 24 en ce qui concerne tous les auteurs sont recevables et il procède à leur examen quant au fond.

Examen au fond

9.1Le Comité des droits de l’homme a examiné la communication à la lumière de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

9.2En ce qui concerne le grief de violation de l’article 9 portant sur la détention de l’auteur, le Comité relève que l’auteur est en détention depuis le 16 mars 2001, même s’il en a passé une partie en étant assigné à domicile. Il rappelle sa jurisprudence et souligne que, même si la rétention d’immigrants en situation illégale n’est pas en soi arbitraire, la mesure peut être qualifiée d’arbitraire si elle n’est pas nécessaire compte tenu de toutes les circonstances de l’affaire: l’élément de proportionnalité entre en jeu. Le Comité prend note des raisons invoquées par l’État partie pour justifier sa décision de placer M. Madafferi en détention et ne peut pas conclure que la mesure était disproportionnée par rapport à ces raisons. Il note aussi que M. Madafferi a certes commencé à souffrir de troubles psychologiques pendant sa détention au centre de rétention de Maribyrnong jusqu’en mars 2002 et qu’à ce stade l’État partie, sur l’avis des médecins, l’a assigné à domicile, mais qu’il n’avait pas présenté de troubles en arrivant au centre de rétention, un an plus tôt. Ainsi, bien que le Comité soit préoccupé maintenant, après les faits, de ce que la détention ait apparemment grandement contribué à aggraver l’état de santé mentale de M. Madafferi, on ne peut pas demander à l’État partie d’avoir anticipé cette situation. En conséquence, le Comité ne peut pas conclure que la décision de placer M. Madafferi en détention à partir du 16 mars 2001 était arbitraire au sens du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte.

9.3Pour ce qui est du retour, le 25 juin 2003, au centre de rétention de Maribyrnong, où M. Madafferi est resté détenu jusqu’à son admission à l’hôpital psychiatrique, le 18 septembre 2003, le Comité prend note de l’argument de l’État partie qui fait valoir que, comme M. Madafferi avait à ce moment là épuisé les recours internes, il lui serait plus facile de l’expulser s’il était en détention et que le risque qu’il prenne la fuite était accru. Il relève également les arguments de l’auteur, que l’État partie n’a pas contestés, qui affirme que cette forme de détention a été décidée contre l’avis de plusieurs médecins et psychiatres consultés par l’État partie lui-même, qui ont tous affirmé qu’une nouvelle période en centre de rétention risquerait d’aggraver encore l’état de M. Madafferi. Dans ce contexte et compte tenu de l’hospitalisation d’office en établissement psychiatrique de M. Madafferi, le Comité estime que la décision de l’État partie de renvoyer M. Madafferi à Maribyrnong et la manière dont le transfert a été effectué ne reposaient pas sur une appréciation correcte des circonstances de l’affaire mais était en soi une mesure disproportionnée. En conséquence, le Comité conclut que cette décision et la détention qui en a découlé ont été contraires au paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte. Compte tenu de cette conclusion concernant l’article 10, disposition du Pacte traitant spécifiquement de la situation des personnes privées de liberté et consacrant pour cette catégorie de personnes les éléments visés plus généralement à l’article 7, il n’est pas nécessaire d’examiner séparément les plaintes relatives à l’article 7.

9.4Le Comité note l’allégation des auteurs qui affirment que les droits garantis au paragraphe 1 de l’article 10 et à l’article 7 également ont été violés à cause des conditions de détention dans le centre de rétention; les auteurs qualifient de mauvais traitements notamment ce qui s’était passé à la naissance de son fils et, en particulier, le fait que l’État partie n’a pas pris en considération la détérioration de la santé mentale de M. Madafferi et n’a pas pris de mesure. Le Comité rappelle que M. Madafferi avait déjà passé un an dans le centre de rétention, du 16 mars 2001 au mois de mars 2002, et avait été assigné à domicile sur décision du Ministre en février 2002, en raison des rapports médicaux. Le Comité estime certes fâcheux que l’État partie n’ait pas fait preuve de plus de diligence pour exécuter la décision du Ministre, ce qui a pris six semaines comme le reconnaît l’État partie lui-même, mais il ne peut pas conclure que ce laps de temps a constitué en soi une violation de l’une quelconque des dispositions du Pacte. De même, de l’avis du Comité, les conditions dans lesquelles M. Madafferi a été détenu et ce qui s’est passé à la naissance de son enfant ou le retour en détention ne constituent une violation de l’une quelconque des dispositions du Pacte autre que celle qui est constatée au paragraphe précédent.

9.6Pour ce qui est de la question de savoir si les droits consacrés par le paragraphe 4 de l’article 12 du Pacte ont été violés parce que M. Madafferi aurait été arbitrairement privé du droit d’entrer dans son propre pays, le Comité doit d’abord déterminer si pour M. Madafferi l’Australie est bien «son propre pays» aux fins de cette disposition. Le Comité rappelle conformément à la jurisprudence dégagée dans l’affaire Stewart c. Canada, qu’une personne qui entre dans un État donné, en vertu de la législation de cet État en matière d’immigration et sous réserve des conditions énoncées dans cette législation, ne peut pas normalement considérer que cet État est «son propre pays» alors qu’elle n’en a pas acquis la nationalité et qu’elle conserve la nationalité de son pays d’origine. Il pourrait exister une exception, dans des circonstances limitées, par exemple quand des obstacles déraisonnables sont posés à l’acquisition de la nationalité. Tel n’est pas le cas dans la présente affaire et les autres arguments avancés par les auteurs ne suffisent pas pour que cette exception s’applique. Dans les circonstances, le Comité conclut que M. Madafferi ne peut pas revendiquer l’Australie comme «son propre pays», aux fins du paragraphe 4 de l’article 12 du Pacte. En conséquence, il ne peut pas y avoir violation de cette disposition en l’espèce.

9.7Pour ce qui est de la violation de l’article 17, le Comité prend note des arguments de l’État partie qui fait valoir qu’il n’y a pas d’«immixtion» car c’est à la famille Madafferi de décider si les autres membres de la famille accompagneront le père en Italie ou resteront en Australie, choix qui ne dépend pas des actions de l’État. Le Comité réaffirme, conformément à sa jurisprudence, qu’il peut y avoir des cas dans lesquels le refus d’un État partie de laisser un membre d’une famille demeurer sur son territoire représente une immixtion dans la vie de famille de cette personne. Mais le simple fait que l’un des membres d’une famille ait le droit de rester sur le territoire d’un État partie ne fait pas forcément de l’éloignement des autres membres de la même famille une immixtion du même ordre.

9.8Dans la présente affaire, le Comité considère que la décision d’expulser le père d’une famille de quatre jeunes enfants et d’obliger cette famille à choisir entre l’accompagner ou rester sans lui dans l’État partie doit être considérée comme une «immixtion» dans cette famille, du moins dans le cas où, comme ici, quelle que soit la décision une vie de famille établie depuis longtemps serait profondément bouleversée. Il s’agit donc de déterminer si cette immixtion serait ou non arbitraire et par conséquent contraire à l’article 17 du Pacte. Le Comité observe que dans les cas d’expulsion imminente le moment à prendre en considération pour se prononcer sur ce point est le moment où il examine l’affaire. Il observe de plus que dans les cas où une partie d’une famille doit quitter le territoire de l’État partie alors que l’autre a le droit de rester, les critères pour établir si l’immixtion dans la vie de famille des intéressés peut ou ne peut pas être justifiée objectivement doivent être considérés d’une part eu égard à l’importance des motifs avancés par l’État partie pour expulser l’intéressé et d’autre part eu égard à la situation de détresse dans laquelle la famille et ses membres se trouveraient suite à l’expulsion. En l’espèce, le Comité note que l’État partie justifie l’expulsion de M. Madafferi par l’illégalité de sa présence en Australie, la malhonnêteté dont il aurait fait preuve à l’égard du Département de l’immigration et des affaires multiculturelles et son caractère de «persona non grata» en raison des infractions pénales commises en Italie 20 ans plus tôt. Le Comité relève également que les peines prononcées contre M. Madafferi en Italie ont été éteintes et qu’il ne fait plus l’objet d’aucun mandat d’arrestation dans ce pays. Parallèlement, le Comité note les très grandes difficultés que l’expulsion entraînerait pour une famille qui existe depuis 14 ans. Si Mme Madafferi et les enfants devaient décider d’émigrer en Italie pour éviter l’éclatement de la famille, ils devraient non seulement vivre dans un pays qu’ils ne connaissent pas et dont les enfants (dont deux ont déjà 13 et 11 ans) ne parlent pas la langue, mais aussi s’occuper, dans un environnement qui leur est étranger, d’un époux et père dont la santé mentale est sérieusement délabrée, en partie du fait d’actes qui peuvent être attribués à l’État partie. Dans ces circonstances très particulières, le Comité estime que les raisons avancées par l’État partie pour justifier la décision du Ministre qui, passant outre au jugement du Tribunal des recours administratifs, veut expulser M. Madafferi, ne sont pas suffisamment pressantes pour justifier, dans l’affaire à l’examen, une immixtion de cette ampleur dans la vie de la famille ni une atteinte au droit des enfants de bénéficier des mesures de protection qu’exige leur qualité de mineurs. C’est pourquoi, le Comité estime donc que l’expulsion de M. Madaferri constituerait, s’il y était procédé, une immixtion arbitraire dans la famille, incompatible avec le paragraphe 1 de l’article 17 du Pacte, lu conjointement avec l’article 23, à l’égard de tous les auteurs, ainsi qu’une violation du paragraphe 1 de l’article 24 du Pacte à l’égard des quatre enfants mineurs, à qui les mesures de protection que leur condition de mineur exige n’auraient pas été assurées.

9.9Ayant constaté une violation de l’article 17 du Pacte, lu conjointement avec les articles 23 et 24, tenant en partie à la décision du Ministre de passer outre au jugement du Tribunal des recours administratifs, le Comité considère qu’il n’est pas nécessaire d’examiner séparément le grief de violation de l’article 26 du Pacte qui serait constituée par le caractère arbitraire de cette décision.

10.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d’avis que l’État partie a commis une violation des droits reconnus à M. Francesco Madafferi au paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte. Le Comité estime en outre que l’expulsion de M. Madafferi constituerait, s’il y était procédé, une immixtion arbitraire dans la famille, incompatible avec le paragraphe 1 de l’article 17 du Pacte lu conjointement avec l’article 23, à l’égard de tous les auteurs, et de plus une violation du paragraphe 1 de l’article 24 à l’égard des quatre enfants mineurs pour manquement à l’obligation d’assurer les mesures de protection exigées par leur condition de mineur.

11.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie a l’obligation d’assurer aux auteurs un recours utile et approprié qui consisterait à s’abstenir d’expulser M. Madafferi tant que sa demande de visa pour conjoint n’aura pas été examinée en accordant l’attention nécessaire à la protection exigée par la condition de mineur des enfants. L’État partie est tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas.

12.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte, et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation est établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est également invité à rendre publiques les présentes constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

APPENDICE

Opinion individuelle de M. Nisuke Ando

Je ne suis pas opposé à l’adoption des constatations du Comité dans cette affaire. Cependant, en raison des irrégularités que je perçois dans la procédure qui a conduit à leur adoption, je ne m’associe pas au consensus par lequel le Comité les a adoptées.

(Signé) Nisuke Ando

[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Opinion individuelle de Mme Ruth Wedgwood

En Australie, les demandes de visa sont examinées au regard d’une norme légale qui est celle de l’«intérêt public». Dans le cadre de cette évaluation, les «antécédents judiciaires de l’intéressé» et sa «conduite générale» peuvent être considérés comme reflétant sa «personnalité» (manque d’«intégrité»). Tout refus de visa par un fonctionnaire du premier niveau de l’administration peut être réexaminé par un tribunal des recours administratifs du Département de l’immigration et des affaires multiculturelles.

En dernière analyse cependant, le résultat de la procédure de recours administrative n’est pas impératif. Le Ministre de l’immigration est habilité à décider en toute indépendance d’annuler une décision favorable du premier niveau de l’administration ou du Tribunal des recours administratifs. Le Ministre peut agir de la sorte lorsqu’il «a des motifs raisonnables de soupçonner que l’intéressé ne satisfait pas au critère de personnalité», que le requérant ne l’a pas convaincu du contraire et qu’il estime que le refus de visa est «dans l’intérêt national». Cela n’est pas aussi subjectif qu’il n’y paraît étant donné qu’un «antécédent judiciaire important» est un fondement prévu par les textes pour conclure à un manque d’intégrité et que toute «condamnation à un emprisonnement de 12 mois ou plus» constitue un «antécédent judiciaire important».

Le coauteur de la communication, M. Francesco Madafferi, a fait l’objet d’un refus de visa de ce type de la part du Ministre australien de l’immigration en raison de l’importance de ses antécédents judiciaires. Le Tribunal des recours administratifs était enclin à se montrer plus indulgent que le Ministre, mais ce tribunal a aussi fait état d’antécédents judiciaires allant bien au‑delà de ce que relève le Comité dans ses constatations (voir supra, note 2).

Invoquant l’article 17 du Pacte relatif aux droits civils et politiques, le Comité cherche maintenant à faire obstacle à la décision du Ministre d’expulser Francesco Madafferi. L’article 17 interdit les «immixtions arbitraires ou illégales» dans la vie familiale. Mais la décision finale de l’État partie à l’égard de M. Madafferi n’est ni arbitraire ni illégale. La sympathie que l’on peut ressentir pour un demandeur de visa et sa famille n’autorise pas à faire abstraction de critères raisonnables régissant l’octroi ou le refus des visas. Les États sont habilités à ne pas accepter des individus ayant un sérieux passé de conduite délinquante. Les condamnations et sentences passées de M. Madafferi justifient amplement l’invocation du critère légal d’«antécédent pénal important» dans la décision du Ministre australien.

Le Comité n’a pas d’autorité évidente pour déterminer, en fonction de ses propres choix, quelle importance doit être accordée à la nécessité de se protéger contre des récidives pénales par rapport à la nécessité de limiter le plus possible les difficultés créées pour une famille. Des millions de décisions sont prises chaque année en matière d’immigration, et il ne nous appartient pas de «contrer» les États simplement parce que nos critères nous amènent éventuellement à une conclusion différente. Il ne ressort pas non plus des dossiers que le retour en Italie de M. Madafferi lui causerait pour toujours des difficultés. L’Italie était son pays jusqu’à l’âge de 18 ans. Sa famille est autorisée à vivre en Italie avec lui. Selon le dossier du Tribunal administratif australien, il a trois sœurs en Italie et ses enfants, relativement jeunes, quoique anglophones, comprennent l’italien, qui est parlé à la maison. M. Madafferi a la possibilité de créer une petite entreprise, comme en Australie. En Italie, il ne court pas le risque d’être incarcéré ou placé en détention. Bien évidemment, l’État partie ne l’expulserait pas s’il n’était médicalement pas en état de voyager.

L’Australie applique le principe du droit du sol et accorde donc la nationalité à tout enfant né sur son territoire mais le seul fait de donner naissance à un enfant ne protège pas un parent des conséquences de son entrée illégale dans le pays, et si une règle dans ce sens existait, elle créerait un sérieux obstacle à l’application des lois régissant l’immigration. Il n’y a ici ni séparation inévitable des membres de la famille, ni difficulté démontrée pour conserver la nationalité australienne des enfants. Comme l’ont souligné les membres du Comité qui ont émis une opinion individuelle dans l’affaire Winata c. Australie (communication no 930/2000), l’article 17 du Pacte n’est pas identique à la disposition correspondante de la Convention européenne des droits de l’homme et le critère des «perturbations importantes pour une famille constituée depuis longtemps» peut ne pas être adapté à un instrument universel où l’expression «immixtions arbitraires ou illégales» dans la vie de famille est utilisée.

(Signé) Ruth Wedgwood

[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

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