Présentée par:

Guido Jacobs (non représenté par un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Belgique

Date de la communication:

15 mars 2000 (date de la lettre initiale)

Décisions antérieures:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 91 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 26 juillet 2000 (non publiée sous forme de document)

Date de l’adoption des constatations:

7 juillet 2004

Le 7 juillet 2004, le Comité des droits de l’homme a adopté ses constatations concernant la communication no 943/2000 au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif. Le texte des constatations est annexé au présent document.

[ANNEXE]

ANNEXE

CONSTATATIONS ADOPTÉES PAR LE COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME AU TITRE DU PARAGRAPHE 4 DE L’ARTICLE 5 DU PROTOCOLE FACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES

(Quatre ‑vingt ‑unième session)

concernant la

Communication n o  943/2000 * *

Présentée par:

Guido Jacobs (non représenté par un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Belgique

Date de la communication:

15 mars 2000 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 7 juillet 2004,

Ayant achevé l’examen de la communication no 943/2000 présentée par M. Guido Jacobs en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations du Comité des droits de l’homme au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.1L’auteur est M. Guido Jacobs, citoyen belge, né le 21 octobre 1948 à Maaseik (Belgique). Il affirme être victime de violations par la Belgique des articles 2 et 3, du paragraphe 1 de l’article 14, du paragraphe 1 de l’article 19, et des articles 25 et 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il n’est pas représenté par un conseil.

(Le Pacte et le Protocole facultatif s’y rapportant sont entrés en vigueur pour la Belgique, respectivement, le 21 juillet 1983 et le 17 août 1994.)

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1Le 2 février 1999, était publiée au Moniteur belge la loi du 22 décembre 1998 modifiant certaines dispositions de la deuxième partie du Code judiciaire concernant le Conseil supérieur de la justice, la nomination et la désignation de magistrats et instaurant un système d’évaluation.

2.2Suite à cette modification, l’article 259 bis-1 du Code judiciaire dispose, en son paragraphe 1, que le Conseil supérieur de la justice est composé de 44 membres de nationalité belge, répartis en un collège néerlandophone de 22 membres et un collège francophone de 22 membres. Chaque collège compte 11 magistrats et 11 non-magistrats.

2.3Le paragraphe 3 de l’article 259 bis-1 stipule:

«Le groupe des non-magistrats compte, par collège, au moins quatre membres de chaque sexe et est composé d’au moins:

1.Quatre avocats possédant une expérience professionnelle d’au moins 10 années au barreau;

2.Trois professeurs d’une université ou d’une école supérieure dans la Communauté flamande ou française possédant une expérience professionnelle utile pour la mission du Conseil supérieur d’au moins 10 années;

3.Quatre membres porteurs d’au moins un diplôme d’une école supérieure de la Communauté flamande ou française et possédant une expérience professionnelle utile pour la mission du Conseil supérieur d’au moins 10 années dans le domaine juridique, économique, administratif, social ou scientifique [...].».

2.4Le paragraphe 2 de l’article 259 bis-2 stipule également:

«Les non‑magistrats sont nommés par le Sénat à la majorité des deux tiers des suffrages émis. Sans préjudice du droit de présenter des candidatures individuelles, des candidats peuvent être présentés par chacun des ordres des avocats et par chacune des universités et écoles supérieures de la Communauté française et de la Communauté flamande. Pour chaque collège, au moins cinq membres sont nommés parmi les candidats présentés.».

2.5Enfin, conformément au paragraphe 4 de ce même article, «une liste de membres successeurs du Conseil supérieur est établie pour la durée du mandat […]. La liste des suppléants des non-magistrats est établie par le Sénat […] et est constituée des candidats qui ne sont pas nommés».

2.6Le paragraphe 5 de l’article 259 bis-2 stipule que les candidatures doivent être adressées au Président du Sénat, par lettre recommandée à la poste, dans les trois mois qui suivent l’appel aux candidats, à peine d’échéance.

2.7Le 25 juin 1999, le Sénat a publié dans le Moniteur belge un appel pour un mandat de membre non magistrat du Conseil supérieur de la justice.

2.8Le 16 septembre 1999, M. G. Jacobs, premier auditeur au Conseil d’État, a soumis sa candidature dans le délai légal de trois mois.

2.9Le 14 octobre 1999, le Sénat a publié un deuxième appel.

2.10Le 29 décembre 1999, le Sénat a élu les membres du Conseil supérieur de la justice. L’auteur n’a pas été élu mais a été inclus dans la liste des membres ayant qualité de successeurs non magistrats régie au paragraphe 4 de l’article 295 bis-2.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur invoque des violations au niveau, d’une part, de la règle de droit, c’est‑à‑dire la loi du 22 décembre 1998, et, d’autre part, de son application par le Sénat.

3.2Eu égard à la règle de droit, l’auteur estime que le paragraphe 3 de l’article 295 bis-1 viole les articles 2, 3, 25 et 26 du Pacte pour les motifs suivants.

3.3D’après l’auteur, l’introduction de la condition d’appartenance à un sexe particulier, à savoir quatre sièges réservés aux femmes et quatre sièges réservés aux hommes pour le groupe des non-magistrats de chaque collège, rend impossible l’obligation de comparaison des compétences des candidats au Conseil supérieur de la justice. L’auteur explique que le critère de la sexospécificité implique que des candidats ayant de meilleures qualifications seront exclus au profit de ceux dont l’unique qualité est l’appartenance à un autre sexe. Selon l’auteur, dans le cas d’espèce, ce critère a désavantagé les candidats masculins et pourrait à l’avenir s’appliquer au détriment des femmes, ce qui est discriminatoire.

3.4L’auteur soutient en outre que le critère de la sexospécificité est formellement interdit pour les personnes désignées par des tiers (employeurs) en vertu de la loi du 7 mai 1999 sur l’égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne les conditions de travail, l’accès à l’emploi et les possibilités de promotion, l’accès à une profession indépendante et les régimes complémentaires de sécurité sociale. L’auteur estime que cette loi s’applique au Conseil supérieur de la justice et que, dès lors, l’application du critère de la sexospécificité à son égard constitue une discrimination.

3.5Selon l’auteur, se fondant sur une analyse du département juridique du Conseil d’État, ce critère fixé pour la totalité du groupe des non-magistrats peut également conduire à une discrimination entre les candidats des trois catégories établies pour ce groupe.

3.6Pour ce qui est de l’application de la règle de droit, l’auteur considère que les nominations des non-magistrats néerlandophones ont été conduites en dehors d’une procédure établie, sans audition des candidats ni établissement de leurs profils, et sans comparaison des compétences, ceci en violation des articles 2, 19 et 25 du Pacte.

3.7L’auteur soutient que le critère déterminant pour ces nominations a été l’appartenance à un parti politique, ceci par le biais du népotisme: attribution de postes de non‑magistrats à la sœur et à l’assistante de sénateurs, et à l’assistante personnelle d’un ministre. Il déclare que l’obligation relative à l’expérience professionnelle d’au moins 10 ans utile pour la mission du Conseil supérieur de la justice n’a pas été examinée ou comparée parmi les candidats. Il ajoute, d’une part, qu’un sénateur a démissionné afin de manifester son indignation face au népotisme politique et en a informé la presse et, d’autre part, qu’un candidat a adressé une lettre aux sénateurs, démontrant que ses compétences étaient supérieures à celles des candidats désignés.

3.8Selon l’auteur, l’application du critère de la sexospécificité a conduit, en outre, à la violation du principe d’égalité dans la mesure où la désignation exclusivement d’hommes dans la catégorie des professeurs d’université a créé une inégalité parmi les différentes catégories du groupe des non-magistrats.

3.9L’auteur affirme également qu’en procédant à un deuxième appel à candidature pour un mandat de membre non magistrat, des candidatures ont ainsi été acceptées après la date limite de soumission du premier appel, ce qui est illégal et discriminatoire.

3.10Par ailleurs, d’après l’auteur, la nomination des successeurs non magistrats par ordre alphabétique est contraire à la loi, révèle l’absence de comparaison des compétences, et conduit à une discrimination entre les candidats nommés et les successeurs.3.11Finalement, l’auteur fait état de l’absence de recours afin de contester les violations ci‑dessus exposées pour les motifs suivants.

3.12Il considère que l’article 14 des lois coordonnées sur le Conseil d’État ne permet pas de recours auprès de cette juridiction quant aux nominations en question. Il en déduit, en outre, l’impossibilité de poser des questions préjudicielles auprès de la Cour d’arbitrage relativement à l’article 295 bis-1 de la loi du 22 décembre 1988.

3.13Selon l’auteur, l’étendue de la compétence du Conseil d’État, lorsque celui-ci statue en qualité de juge de l’excès de pouvoir, se déduit de l’alinéa 1 de l’article 14 des lois précitées stipulant que la section d’administration statue par voie d’arrêt sur les recours en annulation pour violation des formes soit substantielles, soit prescrites à peine de nullité, excès ou détournement de pouvoir, formés contre les actes et règlements des diverses autorités administratives ou contre les décisions contentieuses administratives.

3.14L’auteur précise, d’une part, que sont exclus de la compétence du Conseil d’État les actes émanant du pouvoir législatif et, d’autre part, qu’en principe, étaient aussi exclus jusqu’en 1999 tous les actes, fussent-ils de nature administrative, accomplis par un organe d’une des assemblées législatives. L’auteur fait référence, à ce sujet, à l’arrêt no 69/321 du 31 octobre 1997 du Conseil d’État rejetant, au motif qu’il n’était pas compétent pour statuer sur la légalité de l’acte attaqué, la requête en annulation de M. Meester de Betzen-Broeck contre la décision du Conseil de la région Bruxelles-Capitale de ne pas l’inclure dans la réserve de recrutement pour la fonction de comptable en raison de son échec à l’épreuve linguistique organisée par le Conseil de région. L’auteur s’appuie également sur l’arrêt no 31/96 du 15 mai 1996 de la Cour d’arbitrage, en réponse à la question préjudicielle posée par le Conseil d’État dans le cadre de la procédure précitée (Conseil de la région Bruxelles-Capitale) concernant l’article 14, alinéa 1, des lois coordonnées sur le Conseil d’État. Dans cet arrêt, l’auteur reprochait à l’article 14 de violer le principe d’égalité des citoyens en ce qu’il ne permettait pas au Conseil d’État de prendre connaissance des recours introduits contre des actes purement administratifs d’assemblées législatives concernant des fonctionnaires. La Cour d’arbitrage a dit pour droit que le défaut de tout recours en annulation des actes administratifs émanant d’une assemblée législative ou de ses organes, alors qu’un tel recours peut être introduit contre des actes administratifs émanant d’une autorité administrative, violait les principes constitutionnels d’égalité et de non-discrimination. La Cour a estimé, en outre, que la discrimination ne trouvait pas son origine dans l’article 14, mais dans une lacune de la législation, à savoir le défaut d’organisation d’un recours en annulation des actes administratifs des assemblées législatives et de leurs organes.

3.15Le défaut d’organisation d’un recours contre la décision du Sénat de nomination des membres non magistrats du Conseil supérieur de la justice est finalement invoqué, à titre subsidiaire, par l’auteur comme une violation des articles 2 et 14 du Pacte dans la mesure où un tel recours peut, a contrario, être introduit contre des actes administratifs émanant d’une autorité administrative.

3.16Enfin, l’auteur ajoute qu’un recours direct auprès de la Cour d’arbitrage contre la disposition incriminée − à savoir l’article 295 bis-1, paragraphe 3, de la loi du 22 décembre 1998 − était impossible en raison de l’absence de l’intérêt requis durant le délai légal de recours fixé à six mois. D’après l’auteur, la condition de l’intérêt n’a été satisfaite que lors de la soumission et de la validation de sa candidature, c’est-à-dire en dehors du délai de six mois. L’auteur souligne également qu’il n’était pas en mesure de savoir que la disposition incriminée conduirait nécessairement à une nomination illégale.

3.17L’auteur considère avoir satisfait à la condition d’épuisement des voies de recours internes et précise que l’affaire n’a pas été soumise à une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

Observations de l’État partie sur la recevabilité de la communication

4.1Dans ses observations du 12 mars 2001 et du 23 août 2002, l’État partie conteste la recevabilité de la communication.

4.2Pour ce qui est de la règle de droit, l’État partie soutient que la loi spéciale sur la Cour d’arbitrage du 6 janvier 1989 permettait à l’auteur d’introduire un recours en annulation contre la partie incriminée de la loi du 22 décembre 1998.

4.3Selon l’État partie, la Cour d’arbitrage statue, par voie d’arrêt, entre autres sur les recours en annulation, en tout ou en partie d’une loi pour cause de violation des articles 6 et 6 bis de la Constitution. Ces articles − actuellement les articles 10 et 11 − de la Constitution consacrent les principes d’égalité et de non-discrimination et ont une portée générale. L’article 11 prohibe toute discrimination, quelle qu’en soit l’origine. L’État partie souligne que le principe constitutionnel de non-discrimination est d’application à tous les droits et libertés reconnus aux Belges, y compris ceux découlant des traités internationaux auxquels la Belgique a adhéré.

4.4L’État partie précise que l’article 2, 2°, de la loi sur la Cour d’arbitrage dispose que les recours peuvent être introduits par toute personne physique ou morale justifiant d’un intérêt. D’après l’État partie, la Cour d’arbitrage interprète largement la notion d’«intérêt», à savoir dès qu’une personne peut être touchée, de manière directe et défavorable, par la norme contestée. Le paragraphe 1 de l’article 3 de cette même loi stipule, en outre, que les recours tendant à l’annulation d’une loi doivent être introduits dans un délai de six mois suivant la publication de la loi.

4.5L’État partie rappelle que l’article 295 bis-1, paragraphe 3, du Code judiciaire a été publié au Moniteur belge le 2 février 1999, ce qui signifie que le délai de recours auprès de la Cour d’arbitrage expirait le 2 août 1999. L’appel aux candidats non magistrats du Conseil supérieur de la justice a été publié le 25 juin 1999. L’auteur a introduit, suite à cet appel, reprenant au demeurant la disposition incriminée, sa candidature auprès du Sénat. D’après l’État partie, il convient de constater qu’au moment où l’appel à candidatures a été publié, M. G. Jacobs se trouvait dans le délai légal pour introduire auprès de la Cour d’arbitrage un recours en annulation de la disposition incriminée. L’État partie estime que l’auteur rencontrait en effet les conditions requises et faisait preuve de l’intérêt requis pour introduire un tel recours.

4.6Pour ce qui est de l’application de la règle de droit, l’État partie fait valoir que l’auteur avait la possibilité d’introduire un recours devant les cours et tribunaux du pouvoir judiciaire belge.

4.7Selon l’État partie, le juge judiciaire est censé connaître d’un contentieux subjectif, dont le statut est réglé par les articles 144 et 145 de la Constitution. L’article 144 attribue au juge judiciaire une compétence exclusive à l’égard du contentieux des droits civils, tandis que l’article 145 lui confie une compétence de principe à l’égard du contentieux des droits politiques, compétence à laquelle la loi peut déroger. D’après l’État partie, les organes du pouvoir législatif restent donc soumis au contrôle des cours et tribunaux dans la mesure où leurs décisions ont trait aux droits civils ou politiques.

4.8L’État partie estime que l’auteur ne démontre pas que, dans le cadre d’une contestation relative à des droits civils ou politiques, il ne pourrait contester devant les cours et tribunaux du pouvoir judiciaire la légalité de la décision du Sénat. D’après l’État partie, la norme litigieuse n’a donc pas pour effet de priver l’auteur de tout recours puisque M. G. Jacobs peut faire valoir ses droits à l’égard de la nomination par le Sénat des membres du Conseil supérieur de la justice devant le juge ordinaire.

4.9Relativement au grief, à titre subsidiaire, de violation des principes d’égalité et de non‑discrimination en raison du défaut d’organisation d’un recours contre la décision du Sénat de nomination des membres non magistrats du Conseil supérieur de la justice alors qu’un tel recours peut être introduit contre des actes administratifs émanant d’une autorité administrative, l’État partie soutient que l’auteur ne peut à bon droit invoquer l’arrêt no 31/96 du 15 mai 1996 de la Cour d’arbitrage, dans la mesure où c’est à la suite de cet arrêt que les lois coordonnées sur le Conseil d’État ont été modifiées. Désormais, le paragraphe 1 de l’article 14 dispose ce qui suit: «La section statue par voie d’arrêts sur les recours en annulation pour violation des formes soit substantielles, soit prescrites à peine de nullité, excès ou détournement de pouvoir, formés contre les actes et règlements des diverses autorités administratives, ainsi que contre les actes administratifs des assemblées législatives ou de leurs organes, en ce compris les médiateurs institués auprès de ces assemblées, de la Cour des comptes et de la Cour d’arbitrage, ainsi que des organes du pouvoir judiciaire et du Conseil supérieur de la justice relatifs aux marchés publics et aux membres de leur personnel.».

4.10L’État partie explique qu’en l’espèce la nomination des membres du Conseil supérieur de la justice ne peut être considérée comme un acte purement administratif du Sénat, mais est, en grande partie, un acte qui n’est pas étranger à l’exercice de ses compétences législatives. L’État partie souligne que l’instauration du Conseil supérieur de la justice a une grande importance dans l’ordre social et ne peut être comparée avec le recrutement du personnel par le pouvoir législatif. Il convient ici de se référer au principe constitutionnel de la séparation des pouvoirs. D’après l’État partie, celui-ci implique notamment que l’autorité relevant d’un pouvoir ne peut substituer son appréciation à celle d’une autorité relevant d’un autre pouvoir exerçant une compétence discrétionnaire, telle qu’exercée par le pouvoir législatif dans la nomination des membres du Conseil supérieur de la justice. Se référant aux arrêts nos 20/2000 et 63/2002, respectivement du 23 février 2000 et du 28 mars 2002, de la Cour d’arbitrage, l’État partie explique que, sur la base du principe de la séparation des pouvoirs, il peut être soutenu qu’aucun recours n’est possible contre la nomination des membres du Conseil supérieur de la justice, le pouvoir législatif, dont le Sénat, étant indépendant. L’État partie considère dès lors que l’absence de recours auprès du Conseil d’État afin de contester la nomination des membres du Conseil supérieur de la justice ne viole nullement les principes d’égalité et de non-discrimination puisque cette nomination peut être assimilée à un acte législatif.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité

5.1Dans ses commentaires du 14 juillet 2001 et du 13 octobre 2002, l’auteur maintient et développe son argumentation.

5.2Pour ce qui est de la règle de droit, l’auteur conteste l’argumentation de l’État partie sur la possibilité d’un recours en annulation auprès de la Cour d’arbitrage. Il fait valoir qu’un recours n’était possible qu’à partir de l’acceptation des candidatures et au plus tôt lors de leur soumission, étant précisé qu’avant cela tout recours en annulation aurait constitué un actio popularis. Or, la candidature de M. Jacobs avait été soumise le 16 septembre 1999 et acceptée le 21 septembre 1999, c’est-à-dire après le délai des six mois permettant un recours en annulation de la loi du 2 février 1999. L’auteur conclut qu’il ne satisfaisait donc pas à la condition de l’intérêt direct, personnel et certain, nécessaire pour l’introduction d’un recours en annulation dans les délais prescrits.

5.3Concernant l’application de la règle de droit, l’auteur considère, tout d’abord, que l’absence de recours en annulation auprès du Conseil d’État dans le cas d’espèce est confirmée par les observations de l’État partie, et constitue donc une violation des articles 2 et 14 du Pacte. Contrairement à l’État partie, l’auteur considère, d’une part, à l’instar de la Cour d’arbitrage en son arrêt no 31/96, que la séparation des pouvoirs ne peut être interprétée comme impliquant l’incompétence du Conseil d’État lorsqu’un organe législatif est partie au litige à trancher et, d’autre part, que les nominations par le Sénat ne peuvent être considérées comme étant des actes législatifs. Relativement aux arrêts de la Cour d’arbitrage cités par l’État partie (20/2000 et 63/2002), l’auteur précise qu’il s’agissait alors de formes d’organisation internes des parlementaires ou des magistrats alors que, dans le cas d’espèce, il s’agit, selon l’auteur, de nominations dans un organisme au caractère propre (sui generis) se trouvant au carrefour des pouvoirs et ne faisant pas partie du pouvoir législatif en tant que tel, de sorte que l’absence de recours en annulation contre la nomination de ses membres constitue une violation du principe de l’égalité.

5.4L’auteur ajoute que l’argument de l’État partie comparant «l’importance dans l’ordre social» des membres du Conseil supérieur et des membres du personnel du pouvoir législatif n’est nullement pertinent. L’auteur estime, d’une part, que la référence à la discrimination ne se situe pas au niveau de ces deux groupes, mais des actes émanant d’une assemblée législative (en l’occurrence la nomination des membres du Conseil supérieur de la justice) et des actes émanant d’une autorité administrative (la nomination des magistrats) et, d’autre part, que l’on ne peut comprendre en quoi l’élément relatif à «l’importance dans l’ordre social» justifierait l’absence de recours en annulation, d’autant que ce contrôle de la légitimité ne signifie nullement que le juge en annulation peut substituer son appréciation à celle d’un autre pouvoir exerçant une compétence discrétionnaire.

5.5Concernant l’argument de l’État partie quant au recours pouvant être exercé par l’auteur devant les cours et tribunaux du pouvoir judiciaire, M. Jacobs estime tout d’abord, sur la question de l’accès au juge belge, qu’il ne suffit pas que l’État partie se limite à un renvoi général aux articles de la Constitution, sans indications précises quant au fondement légal concret nécessaire pour intenter une action et quant au juge compétent. En outre, selon l’auteur, l’État partie omet toute référence à une jurisprudence applicable pertinente. Se référant à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, l’auteur soutient que l’État défendeur faisant appel aux voies de recours local doit prouver que son système légal dispose de certaines possibilités de recours effectives et adéquates, ce que l’État partie ne fait pas de manière suffisante dans le cas d’espèce.

5.6Selon l’auteur, l’inexistence d’une voie de recours adéquate signifie qu’il ne peut être mis fin à la violation en question devant le juge judiciaire. Or, dans le cas d’espèce, le juge judiciaire ne peut annuler l’acte attaqué. En outre, pour les affaires où le législateur dispose d’un certain pouvoir discrétionnaire, le juge ne peut ordonner une réparation en nature (absence d’injonction positive). Estimant que l’État partie se réfère probablement à la possibilité de saisir le tribunal de première instance en application de l’article 1382 du Code civil, l’auteur affirme qu’il s’agit d’une action non efficace. D’après l’auteur, en supposant qu’une demande en réparation pourrait être considérée comme une voie de recours adéquate, dans la pratique il s’agit d’une action impossible. Citant différentes analyses juridiques sur la Belgique, l’auteur conclut à l’exclusion de la responsabilité du pouvoir législatif ou judiciaire.

Observations de l’État partie sur le fond de la communication

6.1Dans ses observations du 12 mars 2001 et du 23 août 2002, l’État partie fait valoir que la communication n’est pas fondée.

6.2Pour ce qui est de la règle de droit, l’État partie explique qu’en l’espèce l’objectif visé est de garantir un nombre suffisant de candidats élus de chaque sexe. Il ajoute que la présence de femmes au sein du Conseil supérieur de la justice correspond à la volonté du pouvoir constituant de stimuler l’accès égal des hommes et des femmes aux mandats publics conformément à l’article 11 bis de la Constitution.

6.3Rappelant le débat sur cette question lors des travaux préparatoires de la loi du 22 décembre 1998, l’État partie souligne que le législateur a estimé que, parmi les 11 magistrats et les 11 non-magistrats, l’on devait dénombrer au moins quatre hommes et quatre femmes afin d’éviter une sous-représentation de l’un des sexes dans l’un des groupes. D’après l’État partie, le rapport relatif à la proposition de cette loi met également en exergue que, étant donné que le Conseil supérieur de la justice est aussi doté d’une compétence d’avis, chaque collège doit se composer de membres de chaque sexe. Le législateur souhaitait ainsi appliquer les principes énoncés dans la loi du 20 juillet 1990 visant à promouvoir la présence équilibrée d’hommes et de femmes dans les organes possédant une compétence d’avis. L’État partie estime qu’il s’ensuit que l’objectif poursuivi par la disposition incriminée – à savoir le paragraphe 3 de l’article 295 bis-1 – est légitime.

6.4L’État partie soutient en outre que le fait d’avoir prévu que quatre des 11 candidats devaient être d’un sexe différent, soit un peu plus d’un tiers des candidats, n’aboutit pas à instaurer une limitation disproportionnée du droit des candidats d’accéder à une fonction publique. Cette règle, qui tend à assurer une représentation équilibrée des deux sexes, est d’ailleurs, d’après l’État partie, le seul moyen qui permette d’atteindre le but légitime visé et est la moins restrictive.

6.5L’État partie estime dès lors que ces dispositions tendant à assurer l’effectivité du principe d’égalité ne dérogent pas aux principes interdisant une discrimination fondée sur le sexe.

6.6Relativement au grief de discrimination entre personnes désignées par des autorités législatives et par des parties tierces, l’État partie se réfère à la loi du 20 juillet 1990 visant à promouvoir la présence équilibrée d’hommes et de femmes dans les organes possédant une compétence d’avis. Selon l’État partie, cette loi impose un certain équilibre basé sur le sexe et est applicable, dès lors que l’organe concerné, tel que le Conseil supérieur de la justice, a un pouvoir consultatif. L’État partie estime qu’il n’y a donc pas de discrimination puisque la règle de l’équilibre sur la base du sexe s’applique à tout organe consultatif.

6.7Quant à la référence de l’auteur aux employeurs afin de soutenir le grief de discrimination à son encontre, l’État partie fait valoir que la loi du 7 mai 1999 précitée n’est pas applicable en l’espèce. Il mentionne à cet égard l’article 3, paragraphe 1, de la loi qui décrit les travailleurs comme suit: «Les personnes qui fournissent des prestations de travail en vertu d’un contrat de travail et les personnes qui, autrement qu’en vertu d’un contrat de travail, fournissent des prestations de travail sous l’autorité d’une autre personne, y compris les apprentis.». D’après l’État partie, le raisonnement de l’auteur manque en droit puisqu’il compare des situations incomparables dans la mesure où les membres du Conseil supérieur de la justice ne peuvent être qualifiés de «travailleurs» au sens de la loi susmentionnée car ils ne fournissent pas de prestations de travail.

6.8Pour ce qui est du grief de discrimination par sous-groupe, se référant aux travaux préparatoires de la loi du 22 décembre 1998, l’État partie précise que le législateur a justement pris en compte les observations du Conseil d’État reprises par l’auteur. Il souligne que le Gouvernement a déposé un sous-amendement visant à modifier l’article 295 bis-1 en son paragraphe 3 en y ajoutant que le groupe des non-magistrats devait compter par collège au moins quatre membres de chaque sexe.

6.9D’après l’État partie, la loi a ainsi rétabli l’équilibre entre l’objectif de la mesure, à savoir promouvoir l’égalité entre les hommes et les femmes qui pourrait ne pas exister dans les faits, et l’un des objectifs essentiels de la loi qui est de disposer d’un Conseil supérieur de la justice composé de personnalités choisies objectivement pour leur compétence. L’État partie précise, d’une part, que le groupe des non-magistrats, pendant du groupe des magistrats, est un groupe en soi dont les différents membres doivent tous avoir 10 ans d’expérience et, d’autre part, qu’à l’intérieur des groupes des magistrats et des non-magistrats les règles relatives au sexe du candidat sont raisonnablement justifiées par rapport au but légitime poursuivi par ces règles.

6.10Pour ce qui est de l’application de la règle de droit, relativement au grief de désignation des candidats non magistrats en fonction de l’appartenance au parti politique, l’État partie explique que la création du Conseil supérieur de la justice et l’instauration d’un système de mandats se sont réalisées dans le cadre de la modification de l’article 151 de la Constitution. Cet article énonce les principes de base en matière d’indépendance du pouvoir judiciaire, la composition et les compétences du Conseil supérieur de la justice, les procédures de nomination et de désignation des magistrats, ainsi que le système de mandats et l’évaluation.

6.11L’État partie précise que le Conseil supérieur de la justice, bien qu’il soit régi par l’article 151 de la Constitution, ne peut être considéré comme un groupe représentant le pouvoir judiciaire, et ce en raison de sa composition (magistrats et non-magistrats) et de ses compétences (aucune compétence juridictionnelle). Ce Conseil a donc un statut sui generis ne faisant partie d’aucun des trois pouvoirs. Selon l’État partie, il s’agit d’un organe de liaison entre les pouvoirs judiciaire (dont il doit respecter l’indépendance), exécutif et législatif.

6.12L’État partie explique que la présence de non-magistrats tend à éviter un réflexe corporatiste de la part des magistrats dans le cadre des missions du Conseil et permet un apport indispensable quant à la vision et à l’expérience des justiciables. Cette option n’équivaut cependant pas, selon l’État partie, à l’adjonction de personnes qui ne peuvent en aucune manière contribuer à une concrétisation pertinente des missions du Conseil supérieur de la justice.

6.13L’État partie ajoute qu’il y avait lieu de mettre en place, pour la nomination des non‑magistrats, un système visant, d’une part, à éviter que l’intervention d’organes politiques aboutisse à une nouvelle «politisation» et, d’autre part, à remédier au déficit démocratique indissociablement lié aux présentations faites par chacun des groupements professionnels concernés.

6.14C’est pourquoi, selon l’État partie, le Constituant a opté pour un système mixte dans lequel tous les non-magistrats sont nommés par le Sénat à la majorité des deux tiers des suffrages émis, mais dans lequel cinq des onze postes à pourvoir doivent, dans chaque collège, être attribués sur la base des présentations faites par les barreaux, les écoles supérieures et les universités. Ce système permet donc à chacune de ces instances de présenter une ou plusieurs personnes répondant aux conditions légales (et qui ne doivent pas nécessairement appartenir à la même catégorie professionnelle que celle qui les présente) et qu’elle juge apte pour remplir ce mandat.

6.15L’État partie conclut que l’instauration du Conseil supérieur de la justice a comme but et pour effet de dépolitiser les nominations au sein du pouvoir judiciaire. À cet effet, les candidats doivent être élus aux deux tiers des suffrages par le Sénat, cette majorité qualifiée permettant d’assurer la dépolitisation du système.

6.16L’État partie explique en outre en détail le processus ayant conduit à la nomination des membres non magistrats dans le cas d’espèce.

6.17Au total 106 candidats non magistrats se sont présentés, à savoir 57 francophones et 49 néerlandophones, dont les sénateurs pouvaient consulter les curriculum vitae et les dossiers y afférents au Greffe de l’Assemblée. En raison du nombre élevé de candidats, il a été décidé, pour des raisons pratiques, de ne pas procéder à leur audition. À raison de 15 à 30 minutes par personne, les auditions de 106 candidats auraient pris au minimum 26,5 à 53 heures. Vu les contraintes de calendrier parlementaire, il était impossible de consacrer autant de temps aux auditions. L’on aurait dû, soit allouer plusieurs jours d’affilée aux auditions, soit les étaler sur plusieurs semaines. Dans les deux cas, il n’aurait pas été possible de procéder à des auditions dans des conditions comparables pour tous les candidats, du fait que les mêmes sénateurs n’auraient probablement pas pu assister à toutes les réunions. D’après l’État partie, la procédure sur dossier était donc la plus respectueuse du principe de non-discrimination. En outre, l’État partie souligne qu’aucune disposition constitutionnelle, légale ou réglementaire n’obligeait le Sénat à procéder à des auditions.

6.18Rappelant que la nomination des non-magistrats devait respecter cinq critères différents (chaque collège doit compter au moins quatre avocats, trois professeurs d’une université ou d’une école supérieure dans la communauté française ou flamande, quatre membres porteurs d’au moins un diplôme d’une école supérieure de la communauté française ou flamande, quatre membres de chaque sexe, et cinq membres présentés par les universités, écoles supérieures et/ou barreaux), l’État partie explique que la multitude et le chevauchement de ces critères ont amené les instances du Sénat à établir une liste sommaire. Il apparaît que toute autre procédure aurait été inopérante et même discriminatoire pour certains candidats. En effet, si l’on avait procédé par des votes individuels, on aurait dû organiser au moins 22 scrutins distincts. Si, comme on aurait pu s’y attendre, lors d’un de ces scrutins, aucun candidat n’avait obtenu la majorité des deux tiers, il aurait fallu procéder à un ballottage, ce qui aurait augmenté le nombre de scrutins. En outre, on aurait dû s’assurer, au fil des scrutins successifs, que toutes les conditions en matière de composition des collèges étaient remplies (par exemple, si, après la nomination de huit membres du collège francophone, il était constaté qu’un seul candidat-avocat avait été nommé, seuls les candidats-avocats restants auraient encore été éligibles). Il aurait pu en résulter qu’à un moment donné on n’aurait plus pu voter que pour certains candidats. Le même problème se serait posé si l’on avait procédé par un vote par catégorie. L’État partie précise que l’utilisation de la technique de la liste sommaire pour pouvoir procéder à une nomination ou une présentation correspond à une pratique établie du Sénat et de la Chambre des représentants.

6.19Afin de constituer la liste sommaire, les membres du Bureau du Sénat se sont réunis, francophones et néerlandophones séparément, le 17 décembre 1999. Il a été décidé qu’un membre par groupe politique pouvait participer à cette réunion. Ainsi, tous les groupes, y compris l’unique groupe non représenté au Bureau, ont pu participer activement à l’examen des candidatures. En vue de cette réunion, les membres du Bureau ont reçu à l’avance le curriculum vitae de tous les candidats. Les dossiers des candidats pouvaient être consultés, depuis la fermeture des candidatures, au Greffe de l’Assemblée. Lors des réunions au cours desquelles la liste sommaire a été établie, les représentants des groupes politiques ont analysé les curriculum vitae de tous les candidats. À cet effet, tous les dossiers et curriculum vitae des candidats étaient disponibles pendant toute la réunion. La manière dont on a procédé pour l’établissement de la liste sommaire, par exemple, pour le collège néerlandophone, a été décrite de manière détaillée lors de la séance plénière du Sénat du 23 décembre 1999. Il ressort que la première Vice-Présidente du Sénat a parcouru une par une toutes les candidatures. À l’issue d’un premier tour de table, 16 candidats ont été sélectionnés. Ensuite, la liste des 16 candidats a été comparée aux cinq critères susmentionnés, et 13 candidats ont été retenus (pour 11 postes à pourvoir). Finalement, après une discussion prolongée, les noms des 11 candidats ont été déterminés pour la liste sommaire.

6.20Relativement à la nomination même des membres non magistrats lors de la séance plénière du 23 décembre 1999, lors d’un vote secret les sénateurs pouvaient soit approuver la liste sommaire, soit, si la liste n’emportait pas leur adhésion, choisir eux-mêmes des candidats. À cet effet, les sénateurs ont reçu un bulletin de vote comportant deux volets, à savoir: a) la liste sommaire mentionnant 11 candidats francophones et 11 candidats néerlandophones − cette liste comportant uniquement une case de tête −, et b) une liste avec le nom de tous les candidats, répartis dans les trois catégories «titulaires d’un diplôme», «avocats» et «professeurs» − chaque nom étant suivi d’une case de vote. Le bulletin de vote reprenait également les dispositions légales déterminant les critères de composition du Conseil. Les membres qui se ralliaient à la liste sommaire devaient noircir la case de tête de cette liste. Les membres qui n’approuvaient pas la liste sommaire devaient émettre 22 voix de préférence, dont au maximum 11 pour des candidats francophones et 11 pour des candidats néerlandophones.

6.21Le résultat du scrutin secret a été le suivant:

Nombre de votants: 59

Bulletins blancs ou nuls: 2

Votes valables: 57

Majorité des deux-tiers: 38

La liste sommaire a obtenu 54 suffrages.

6.22D’après l’État partie, il ressort dès lors qu’aussi bien l’établissement de la liste sommaire que la nomination par l’Assemblée plénière ont été précédés d’un examen approfondi des curriculum vitae des candidats et d’une comparaison des titres. L’État partie estime en outre que les griefs de l’auteur quant à la politisation et au népotisme sont basés sur des déclarations dans la presse et n’ont été corroborés par aucun élément de preuve.

6.23Concernant le grief de discrimination entre les sous-groupes, l’État partie renvoie à son argumentation ci-dessus développée quant à la règle de droit.

6.24Eu égard au grief de discrimination entre candidats lié au deuxième appel de candidature par le Sénat, l’État partie précise que cet appel était lié à l’insuffisance de candidatures reçues après le premier appel, à savoir, pour le collège néerlandophone, la présentation de deux candidats féminins, alors qu’en vertu de l’article 295 bis-1, paragraphe 3, du Code judiciaire, le groupe des non-magistrats du Conseil supérieur doit compter, par collège, au moins quatre membres de chaque sexe, condition devant être satisfaite au moment où le Conseil sera constitué. L’État partie explique que la loi, la jurisprudence du Conseil d’État et la pratique parlementaire permettaient au Sénat de procéder à un second appel, lequel s’adressait d’ailleurs à tous les candidats, y compris à ceux qui avaient déjà répondu au premier appel (le requérant pouvant donc réintroduire une candidature). De plus, selon l’État partie, comme l’indiquait expressément le deuxième appel, les candidatures envoyées lors du premier appel restaient valables. L’État partie conclut à la non-discrimination. L’État partie souligne également qu’à défaut d’un second appel pour les candidats non magistrats, le Conseil supérieur de la justice ne pouvait être constitutionnellement composé.

6.25Concernant le grief de discrimination en raison du classement par ordre alphabétique des successeurs des non-magistrats, contrairement au groupe des magistrats, l’État partie précise que la loi, d’une part, prévoit explicitement pour les magistrats qu’ils soient classés en fonction du nombre de voix obtenues et, d’autre part, laisse la liberté au Sénat de classer les non-magistrats. Selon l’État partie, le classement des candidats par ordre alphabétique n’implique toutefois pas que ce classement serait l’ordre de succession. L’État partie explique que l’ordre de succession dépend en effet de la place vacante, c’est-à-dire du sous-groupe auquel appartient le non‑magistrat qui quitte le Conseil supérieur. En cas de vacance, le Sénat devra procéder à une nouvelle nomination. À cet effet, il faudra d’abord déterminer le profil du successeur, c’est‑à‑dire établir les conditions que le nouveau membre devra remplir pour que la composition du Conseil continue à correspondre aux termes de la loi. Il faudra donc, en premier lieu, déterminer qui sont les candidats éligibles, ce qui dépendra à la fois de la qualité du membre démissionnaire ou décédé et des membres restants. Tous les candidats dont la nomination serait compatible avec le respect des équilibres imposés par la loi seront éligibles pour cette nomination. Il est donc totalement inexact de prétendre que les successeurs auraient été nommés en ordre alphabétique, en violation du principe d’égalité.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernant le fond de la communication

7.1Dans ses commentaires du 14 juillet 2001, du 15 février et du 13 octobre 2002, l’auteur maintient ses griefs à l’encontre de l’État partie.

7.2Se référant à l’arrêt Kalanke (C-450/93, du 17 octobre 1995 de la Cour de justice des Communautés européennes) ayant conclu à une discrimination lorsque des personnes ayant une qualification égale bénéficient automatiquement de la priorité en vertu de critères fondés sur le sexe dans les secteurs où elles sont sous-représentées, l’auteur réitère que, dans le cas d’espèce, le principe de nomination sur la base de quotas, et donc sans comparaison des compétences des candidats, viole le principe d’égalité. L’auteur ajoute qu’il pouvait être admis qu’en cas de qualifications égales de candidats de sexe différent, les candidats féminins peuvent être nommés prioritairement (ce qui pourrait être en soi déjà contestable); cela n’est en tout cas possible qu’à la condition que la réglementation garantisse, dans chaque cas individuel, aux candidats homme/femme ayant une qualification égale à celle des candidats femme/homme, que les candidatures font l’objet d’une appréciation objective tenant compte de tous les critères relatifs à la personne des candidats et écartant la priorité donnée aux hommes ou aux femmes, lorsqu’un ou plusieurs de ces critères font pencher la balance en faveur du candidat femme ou homme. Or, d’après l’auteur, des quotas rigides et a fortiori flottants empêchent cette situation. En outre, selon l’auteur, l’argumentation de l’État partie selon laquelle l’introduction de quotas constitue, dans le cas d’espèce, le seul moyen d’assurer une représentation équilibrée des deux sexes est sans fondement et inadmissible. L’auteur soutient que le législateur peut introduire d’autres mesures rendant possible l’accès aux fonctions à certains groupes et qui consistent à éliminer les obstacles sociaux. L’auteur ajoute qu’il n’existe pas d’inégalité entre hommes et femmes dans le cas d’espèce puisqu’un nombre insuffisant de candidatures a été introduit par le groupe des femmes (candidatures de seulement 2 femmes néerlandophones lors du premier appel), ce qui, selon l’auteur, signifie que le but visé est illégitime. L’auteur précise également que la référence par l’État partie à l’article 11 bis de la Constitution est sans pertinence dans la mesure où il s’agit d’une modification du 21 février 2002, donc inexistante lors de l’élaboration de la règle présentement attaquée.

7.3Pour ce qui est du grief de discrimination entre personnes nommées par les autorités législatives et celles désignées par des tiers, l’auteur conteste la référence de l’État partie à la loi du 20 juillet 1990 visant à promouvoir la présence équilibrée d’hommes et de femmes dans les organes possédant une compétence d’avis, dans la mesure où, selon l’auteur, le Conseil supérieur de la justice a une compétence plus large que celle d’avis. L’auteur maintient que la loi du 7 mai 1999 précitée sur l’égalité de traitement entre hommes et femmes, et qui prohibe le critère de la sexospécificité, s’applique dans le cas d’espèce. Il considère en effet que cette loi concerne, d’une part, l’appel de candidatures de la part du Sénat puisqu’elle couvre en particulier les employeurs du secteur public et, d’autre part, les membres du Conseil supérieur de la justice, lesquels fournissent, selon l’auteur et contrairement à l’argument de l’État partie, des prestations de travail. L’auteur reconnaît néanmoins que cette prestation ne se fait pas «sous l’autorité d’une autre personne», comme le requiert la loi en question.

7.4Concernant le grief de discrimination par sous-groupe, l’auteur rappelle que, suite à l’avis du Conseil d’État, le législateur avait certes introduit une distinction entre le groupe de membres magistrats et celui des non-magistrats. Cependant, selon l’auteur, en déterminant des quotas pour ce second groupe, le législateur a répété la même erreur contre laquelle le Conseil d’État l’avait mis en garde. L’auteur estime qu’il en résulte une inégalité ne pouvant raisonnablement être justifiée entre, d’un côté, la gravité de la discrimination établie entre des candidats à une importante fonction publique et, de l’autre, la promotion de l’égalité entre hommes et femmes qui n’existerait pas dans les faits, ainsi que l’un des objectifs essentiels de la loi visant à établir un Conseil supérieur de la justice composé de personnes choisies pour leurs compétences.

7.5S’agissant de l’application de la règle de droit, l’auteur maintient qu’il y a eu des nominations politiques de membres non magistrats et qu’aucune comparaison des compétences des candidats ne s’est faite en raison également de la condition de quotas en faveur des femmes.

7.6L’auteur réitère l’illégalité du deuxième appel aux candidatures (le délai de trois mois pour l’introduction des candidatures étant un délai de déchéance) et affirme qu’il a permis les nominations de candidates grâce au quota basé sur leur sexe et au népotisme. D’après l’auteur, le Conseil supérieur de la justice aurait pu être constitué en l’absence d’un second appel, dans la mesure où l’article 151 de la Constitution instituant cet organe ne prévoit pas de quota sur la base du sexe. Concernant la liste des successeurs requise par la loi, l’auteur estime qu’une telle liste doit régler l’ordre de succession.

Délibérations du Comité sur la recevabilité

8.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

8.2Comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité s’est assuré que la même question n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement

8.3Concernant la disposition incriminée – à savoir l’article 295 bis-1, paragraphe 3, de la loi du 22 décembre 1998 –, le Comité a pris note de l’argument de l’État partie faisant valoir la possibilité pour l’auteur d’un recours auprès de la Cour d’arbitrage. Ayant également examiné les arguments de l’auteur, le Comité estime que M. Jacobs soutient, à juste titre, qu’il n’était pas en mesure d’introduire un tel recours puisqu’il ne pouvait pas satisfaire à la condition de l’intérêt direct et personnel dans le cadre des délais prescrits de six mois à compter de la publication de la loi en question, ceci sans que la responsabilité du défaut de recours ne puisse lui être imputée (voir par. 5.2).

8.4Par ailleurs, le Comité constate que l’auteur ne pouvait soumettre un recours auprès du Conseil d’État, comme le confirme d’ailleurs l’État partie arguant du défaut de recours en vertu du principe de séparation des pouvoirs (voir par. 4.10).

8.5Relativement à la mise en œuvre de la loi du 22 décembre 1998, et en particulier l’article 295 bis-1, le Comité a noté les arguments de l’auteur soutenant que les recours devant d’autres cours et tribunaux belges mentionnés par l’État partie ne constituaient pas des recours utiles dans le cas d’espèce. Le Comité rappelle qu’il ressort implicitement de l’article 91 de son règlement intérieur et du paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif qu’un État partie au Pacte doit porter à la connaissance du Comité tous les renseignements dont il dispose, ce qui comprend, au stade où celui-ci doit décider de la recevabilité d’une communication, des renseignements détaillés sur les recours qui sont ouverts, dans les circonstances propres à leurs cas, aux personnes qui affirment être victimes de violations de leurs droits. Le Comité constate que l’État partie s’est limité à une référence, en termes généraux, aux recours disponibles en droit belge, sans pour autant fournir une quelconque information sur le recours pertinent dans le cas d’espèce, ni démontrer qu’il aurait constitué un recours utile et disponible. Au vue de ces constatations, le Comité estime que l’auteur a rempli les conditions prescrites au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

8.6Relativement au grief de l’auteur de violations du paragraphe 1 de l’article 19 du Pacte, le Comité considère que les éléments présentés ne sont pas suffisamment étayés et ne permettent donc pas d’établir la recevabilité de cette partie de la communication au titre de l’article 2 du Protocole facultatif.

8.7En ce qui concerne les allégations de violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, le Comité considère que le litige en question ne concerne pas des contestations sur des droits et obligations de caractère civil et, en conséquence, est incompatible ratione materiae avec la disposition incriminée et est donc irrecevable au titre de l’article 3 du Protocole facultatif.

8.8Finalement, le Comité déclare que la communication est recevable dans la mesure où elle semble soulever des questions au regard des articles 2, 3, 25 c) et 26 du Pacte et estime que la plainte doit être examinée sur le fond, conformément au paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif.

Examen sur le fond

9.1Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations écrites communiquées par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

9.2Pour ce qui est des griefs de violations des articles 2, 3, 25 c) et 26 du Pacte résultant du paragraphe 3 de l’article 295 bis-1 de la loi du 22 décembre 1998, le Comité prend note des arguments de l’auteur contestant le critère de la sexospécificité pour l’accès au poste de non‑magistrat du Conseil supérieur de la justice en raison de son caractère discriminatoire. Le Comité note aussi l’argumentation de l’État partie justifiant un tel critère au regard de sa législation, de l’objectif poursuivi et de son impact au niveau de la nomination des candidats, et la mise en place du Conseil supérieur de la justice.

9.3Le Comité rappelle que l’article 25 c) du Pacte prévoit que tout citoyen a le droit et la possibilité, sans aucune des distinctions visées à l’article 2 et sans restrictions déraisonnables, d’accéder, dans des conditions générales d’égalité, aux fonctions publiques de son pays. Les critères et les procédures de nomination doivent être objectifs et raisonnables afin de garantir l’accès aux charges publiques. Les États parties peuvent prendre des mesures afin que la loi garantisse aux femmes les droits reconnus à l’article 25 sur un pied d’égalité avec les hommes. Le Comité doit donc déterminer si, dans le cas d’espèce, l’introduction du critère de la sexospécificité constitue une violation de l’article 25 du Pacte en raison de son caractère discriminatoire, ou d’autres dispositions du Pacte en matière de discrimination, en l’occurrence les articles 2 et 3 du Pacte soulevés par l’auteur, ou si un tel critère répond à des motifs objectifs et raisonnables. La question, en l’espèce, est de savoir si la distinction opérée entre candidats en fonction de l’appartenance à un sexe donné peut être valablement justifiée.

9.4En premier lieu, le Comité constate que le critère de la sexospécificité a été introduit par le législateur par référence à la loi du 20 juillet 1990 visant à promouvoir la présence équilibrée d’hommes et de femmes dans les organes possédant une compétence d’avis. Il s’agit en l’occurrence d’accroître la représentation et la participation des femmes dans les divers organes ayant une compétence en raison du très faible niveau de présence féminine constaté. Sur ce point, le Comité estime que l’affirmation de l’auteur selon laquelle l’insuffisance de candidatures féminines lors du premier appel prouve l’absence d’inégalité entre hommes et femmes, dans le cas d’espèce, n’est pas convaincante, et considère que cette situation peut révéler au contraire la nécessaire de sensibiliser les femmes à postuler à des fonctions publiques, tel le Conseil supérieur de la justice, ainsi que de prendre des mesures à cet égard. Dans le cas d’espèce, le Comité estime qu’un organe tel que le Haut Conseil de la justice peut légitimement être perçu comme nécessitant l’incorporation de perspectives allant au-delà de la simple expertise juridique. En effet, eu égard aux responsabilités de l’appareil judiciaire, on peut considérer que le besoin d’une sensibilisation aux questions d’égalité entre les sexes fait qu’il est nécessaire de doter d’une telle perspective un organe ayant des attributions en matière de nominations. En conséquence, le Comité ne peut conclure que l’exigence n’est pas objective ni raisonnable.

9.5En second lieu, le Comité constate que le critère de la sexospécificité se traduit par l’obligation faite d’avoir au moins 4 candidats de chaque sexe parmi les 11 non-magistrats nommés, à savoir un peu plus d’un tiers des candidats retenus. Le Comité estime qu’en l’espèce un tel critère n’aboutit pas à une limitation disproportionnée du droit des candidats d’accéder, dans des conditions générales d’égalité, aux fonctions publiques. Par ailleurs, contrairement au grief soulevé par l’auteur, le critère de la sexospécificité n’exclut pas celui de la compétence, étant à cet égard précisé que tous les candidats non magistrats doivent avoir au moins 10 ans d’expérience. Concernant l’argument de l’auteur quant à la discrimination entre les trois catégories propres au groupe des non-magistrats pouvant résulter du critère de la sexospécificité, du fait, par exemple, de la nomination exclusivement d’hommes dans une catégorie, le Comité estime que l’on pourrait alors se trouver face à trois options: soit les candidates ont une compétence supérieure à celle des candidats, ce qui justifie leur nomination; soit les candidates ont une compétence comparable à celle des hommes et, dans ce cas, la priorité accordée aux femmes n’est pas discriminatoire au regard de l’objectif de la loi de promotion de l’égalité entre hommes et femmes n’existant pas dans les faits, soit les candidates ont une compétence en deçà de celles des hommes et, dans ce cas, les sénateurs auraient l’obligation de procéder à un autre appel de candidatures afin de concilier les deux objectifs de la loi, à savoir la compétence et la sexospécificité, l’une ne pouvant exclure l’autre. Or, dans cette hypothèse, rien ne paraît juridiquement empêcher le recours à de nouvelles candidatures. Finalement, le Comité constate un rapport raisonnable de proportionnalité entre l’objectif du critère, à savoir la promotion de l’égalité entre hommes et femmes au sein des organes consultatifs; le moyen utilisé et ses modalités ci-dessus détaillés; et l’un des objectifs essentiels de la loi qui est de disposer d’un Conseil supérieur composé de personnes compétentes. En conséquence, le Comité considère que le paragraphe 3 de l’article 295 bis-1 de la loi du 22 décembre 1998 repose sur un motif objectif et raisonnable.

9.6Le Comité estime dès lors que le paragraphe 3 de l’article 295 bis-1 ne viole pas les droits de l’auteur au titre des articles 2, 3, 25 c) et 26 du Pacte.

9.7Relativement aux griefs de violation des articles 2, 3, 25 c) et 26 du Pacte résultant de la mise en œuvre de la loi du 22 décembre 1998, et en particulier du paragraphe 3 de l’article 295 bis-1, le Comité a pris note des arguments de l’auteur faisant valoir, tout d’abord, que les nominations des candidats non magistrats néerlandophones, groupe dont relevait M. Jacobs, ont été conduites, en dehors d’une procédure établie, sans audition ni établissement de profils, et sans comparaison des compétences, et ont, au contraire, reposé sur le népotisme et l’appartenance politique. Le Comité a également examiné l’argumentation de l’État partie, lequel a expliqué en détail le processus de nomination des non-magistrats. Le Comité constate que le Sénat a établi et mis en œuvre une procédure particulière de nomination, ayant consisté, d’une part, à dresser une liste sommaire à partir de l’examen de chaque candidature sur la base des dossiers et curriculum vitae et de leur comparaison et, d’autre part, à laisser le choix à chaque sénateur de voter, à bulletin secret, soit pour cette liste sommaire, soit pour une liste incluant le nom de tous les candidats. Le Comité estime que cette procédure de nomination était objective et raisonnable pour les raisons ressortant des explications de l’État partie: l’établissement de la liste sommaire et les nominations par le Sénat ont été précédés d’un examen des curriculum vitae et dossiers de chaque candidat et d’une évaluation comparative des candidatures; le choix de la procédure sur dossiers et curriculum vitae et non à partir d’auditions résultait du nombre élevé de candidats, des contraintes de calendrier parlementaire, et d’ailleurs aucune disposition légale n’imposait un mode particulier d’évaluation, telle l’audition (par. 6.17); le recours à la technique d’une liste sommaire était lié à la multitude et au chevauchement des critères et correspondait à une pratique établie du Sénat et de la Chambre des représentants; et finalement la nomination par les sénateurs pouvait s’effectuer selon deux modalités de vote garantissant leur libre choix. En outre, le Comité estime que les griefs de l’auteur quant au népotisme et aux considérations politiques à la base de la nomination de candidates n’ont pas été suffisamment étayés et ne peuvent donc être retenus.

9.8Eu égard au grief de discrimination entre catégories du groupe des non-magistrats du fait de l’application du critère de la sexospécificité, le Comité estime que l’auteur n’a pas suffisamment étayé cette partie de la communication et, en particulier, n’apporte aucun élément permettant de démontrer que des candidates ont été nommées alors même que leurs compétences étaient en deçà de celles de candidats masculins.

9.9Concernant le grief de discrimination entre candidats lié au deuxième appel de candidatures par le Sénat ainsi que d’illégalité de cet appel, le Comité constate que cet appel répondait à l’insuffisance de candidatures féminines, à savoir la présentation de deux candidates pour le collège néerlandophone – ce que reconnaît l’auteur – alors qu’en vertu du paragraphe 3 de l’article 295 bis-1, le Conseil supérieur de la justice doit compter, par groupe de non‑magistrats, au moins quatre membres de chaque sexe. Le Comité estime dès lors que ce deuxième appel était justifié de sorte que le Conseil puisse être constitué, et qu’en outre la loi et la pratique parlementaire ne s’y opposaient pas, étant par ailleurs précisé que les candidatures soumises lors du premier appel restaient valables.

9.10Au sujet du grief de discrimination en raison du classement par ordre alphabétique des successeurs des non-magistrats, le Comité constate que le Code judiciaire, en son article 295 bis ‑2, paragraphe 4, donne pour prérogative au Sénat d’établir la liste des suppléants, sans pour autant prescrire un mode particulier de classement, contrairement au groupe des magistrats. En conséquence, et tel qu’il ressort de l’argumentation détaillée de l’État partie, le Comité estime, d’une part, que l’ordre alphabétique choisi par le Sénat ne correspond pas à l’ordre de succession et, d’autre part, que toute succession en cas de vacance supposera une nouvelle procédure de nomination. Malgré les griefs de l’auteur, le comité ne constate aucune violation.

9.11Le Comité estime dès lors que la mise en œuvre de la loi du 22 décembre 1998, et en particulier du paragraphe 3 de l’article 295 bis-1, n’a pas violé les dispositions des articles 2, 3, 25 c) et 26 du Pacte.

10.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il est saisi ne font apparaître aucune violation du Pacte.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement aussi en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’assemblée générale.]

APPENDICE

Opinion individuelle de M me  Ruth Wedgwood, membre du Comité (concordante)

Le Comité est arrivé à la conclusion que rien, dans les normes régissant l’accès non discriminatoire à la fonction publique et aux charges politiques énoncées à l’article 25 du Pacte, n’empêche la Belgique d’exiger qu’au moins quatre membres de chaque sexe siègent dans son Haut Conseil de la Justice. Le Conseil est un organe doté de larges pouvoirs consistant à recommander des candidats pour les postes de juge et de procureur ainsi qu’à émettre des avis et à enquêter sur les plaintes relatives au fonctionnement du pouvoir judiciaire. Il convient toutefois de noter que la composition du Haut Conseil de la Justice est régie, en vertu du Code judiciaire belge, par de nombreux autres critères. Le Conseil comprend deux «collèges» séparés pour les membres francophones et les membres néerlandophones. La moitié des membres de chaque collège, qui en compte 22, sont directement élus par les magistrats du siège et les procureurs. Les autres membres «non‑magistrats» sont désignés par le Sénat belge; ce groupe, qui compte 11 membres, doit comprendre un nombre minimum d’avocats, de professeurs d’universités et de professionnels expérimentés avec «au moins quatre membres de chaque sexe». Cette règle électorale peut bénéficier à la fois aux hommes et aux femmes, encore qu’elle vise clairement à assurer la représentation des femmes dans cet organe «consultatif». Il est important de noter que la Constitution ou les lois de certains États parties au Pacte peuvent répugner au recours à des sièges réservés ou à des quotas pour la participation aux organes gouvernementaux ou interdire un tel recours, et rien dans la présente décision n’empiète sur ce choix. Le Comité n’a fait que décider que la Belgique est libre de choisir sa propre méthode pour assurer la participation équitable des femmes et des hommes aux pouvoirs publics.

[Signé]Ruth Wedgwood

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