Présentée par:

Alfonso Aponte Guzmán (non représenté par un conseil)

Au nom de:

L’auteur, son épouse et leurs enfants

État partie:

Colombie

Date de la communication:

3 novembre 1995 (date de la lettre initiale)

Références:

− Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 91 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 17 mai 1996 (non publiée sous forme de document)

− CCPR/C/62/D/697/1996, décision concernant la recevabilité, adoptée le 18 mars 1998

Date de l’adoption de la présente décision:

5 juillet 2004

[ANNEXE]

ANNEXE

DÉCISION DU COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME EN VERTU DU PROTOCOLE FACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES

Quatre ‑vingt ‑unième session

concernant la

Communication n o  697/1996 **

Présentée par:

Alfonso Aponte Guzmán (non représenté par un conseil)

Au nom de:

L’auteur, son épouse et leurs enfants

État partie:

Colombie

Date de la communication:

3 novembre 1995 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 5 juillet 2004,

Adopte ce qui suit:

1.L’auteur de la communication datée du 7 février 1996 est Alfonso Aponte Guzmán, de nationalité colombienne, résidant aux États‑Unis d’Amérique. Il présente la communication également au nom de son épouse, Mme Matilde Landazabal López, et de leurs enfants William Alfonso, Ricardo, Clara Milena et Víctor Adolfo Aponte Landazabal. L’auteur dit qu’ils sont victimes de violations par la Colombie du Pacte international relatif aux droits civils et politiques sans préciser les articles, mais il s’agirait du paragraphe 1 de l’article 6 du Pacte, du paragraphe 1 de l’article 9, des articles 12 et 17 et du paragraphe 1 de l’article 23. L’auteur n’est pas représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1En 1993, l’auteur a été cité comme témoin dans un procès qui s’est déroulé à Ibagué (Colombie) pour un délit de chantage et d’enlèvement. Il affirme qu’en vertu de la loi spéciale pour la protection des témoins, applicable au procès dans lequel il a témoigné, son identité ne devait pas être révélée. Or le 2 novembre 1993, il a reçu chez lui un télégramme à son nom envoyé par le coordonnateur du groupe de lutte contre le chantage et les enlèvements des Services du Procureur général qui le convoquait pour venir compléter sa déposition contre les personnes inculpées d’enlèvement. Selon l’auteur, ces services ont ainsi révélé son identité, en violation de la loi spéciale pour la protection des témoins, et mis de ce fait en danger sa vie et la vie de ses proches.

2.2L’auteur affirme qu’il a reçu des menaces anonymes, par écrit et par téléphone. Le bureau de la protection des victimes et des témoins a mis en place une protection pour lui à Ibagué en lui affectant une escorte judiciaire du 6 septembre 1993 au 28 avril 1994. Par la suite, le bureau a appuyé ses démarches pour obtenir les visas afin qu’il puisse se rendre avec sa famille aux États‑Unis; le 28 avril 1994, l’auteur et sa famille ont quitté Bogota pour Miami.

2.3L’auteur fait valoir que sa famille et lui‑même ont quitté la Colombie sous la protection de la loi et étant entendu que les autorités colombiennes s’étaient engagées à lui fournir des moyens de subsistance aux États‑Unis. Pourtant ils n’ont reçu aucune aide financière pendant très longtemps, malgré des demandes réitérées formulées par l’intermédiaire du consulat de Colombie à Miami et dans des courriers adressés directement aux Services du Procureur général.

2.4L’auteur affirme que les autorités colombiennes lui ont refusé toute aide au motif qu’il avait quitté le pays de son plein gré et lui ont fait savoir que, s’il souhaitait bénéficier de l’aide prévue dans la loi spéciale pour la protection des témoins, il devait rentrer dans son pays.

2.5Le 26 octobre 1995, les États‑Unis ont accordé l’asile à l’auteur et à sa famille et lui ont donné un permis de travail.

2.6L’auteur a formé une action en protection constitutionnelle demandant à être rétabli dans ses droits et à bénéficier d’une protection. Le 11 décembre 1996, la première chambre du tribunal administratif de Cundinamarca a rejeté sa demande.

2.7M. Aponte a formé un recours auprès du Secrétariat général du Conseil d’État, lequel a annulé, en date du 20 février 1997, la décision du tribunal administratif de Cundinamarca et a décidé au contraire que l’auteur devait bénéficier d’une protection de ses droits et ordonné aux Services du Procureur général d’accorder à la famille Aponte Landazabal une protection complète et une aide sociale, comportant le remboursement rétroactif du coût de son transfert à l’étranger, y compris les frais de déplacement et d’entretien de la famille aussi longtemps que les circonstances l’exigeraient. Le Procureur général a demandé à la Cour constitutionnelle la révision de cette décision.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur fait valoir que les faits décrits constituent une violation de ses droits tels qu’ils sont consacrés dans le Pacte, précisément du droit à la vie, à la sécurité de la personne et à la vie de famille. Selon son argumentation, comme l’État partie avait violé le secret de son identité en tant que témoin, il a reçu des menaces de mort, ce qui l’a obligé à quitter le pays. Il se trouve maintenant aux États‑Unis sans moyens de subsistance. Selon lui, au lieu de procéder à une enquête diligente sur ce qui s’était passé, les autorités ont fait tout leur possible pour étouffer l’affaire et aucun des agents des Services du Procureur général qui avaient divulgué son identité n’a fait l’objet de mesures disciplinaires. Il ajoute qu’il n’a pas été indemnisé.

3.2L’auteur considère que le droit au travail a également été violé puisqu’en quittant la Colombie il a été obligé d’abandonner ses affaires.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Dans ses observations datées du 14 novembre 1996, l’État partie fait valoir que la communication doit être déclarée irrecevable au motif que les recours internes n’ont pas été épuisés.

4.2L’État partie reconnaît que l’auteur était le témoin principal dans un procès pour une affaire de chantage et d’enlèvement qui s’est déroulé dans sa ville natale d’Ibagué. Toutefois, en vertu de la décision no 0‑663 de 1993, relative au programme de protection et d’aide pour les victimes et témoins, l’auteur devait être installé dans un autre endroit de Colombie avant de pouvoir prétendre être réinstallé à l’étranger. Or l’auteur a refusé de s’installer ailleurs dans son pays et il ne pouvait donc pas être envoyé aux États‑Unis aux frais de l’État colombien. L’État partie ajoute que c’est de son plein gré que M. Aponte a décidé d’aller à l’étranger et qu’il a demandé de l’aide uniquement pour obtenir un visa d’entrée dans le pays où il voulait aller et d’un billet pour lui‑même. L’État partie affirme n’avoir jamais informé l’ambassade des États‑Unis à Bogota que l’auteur se rendrait aux États‑Unis à la demande et aux frais du bureau de protection et d’aide pour les victimes et les témoins. Il ajoute que, dans une lettre adressée aux Services du Procureur général, l’auteur dit qu’il espérait recevoir une aide de parents qui se trouvaient à Miami.

4.3L’État partie dit qu’il est faux de prétendre qu’il n’a pas garanti la sécurité et protégé la vie de la famille Aponte étant donné que le télégramme sur lequel le nom de l’auteur était écrit n’était qu’un document strictement interne et ne mettait donc pas sa vie en danger. Il affirme que c’est l’auteur lui‑même qui, en adressant plainte sur plainte à des organismes nationaux et internationaux, a mis lui‑même sa vie en danger, en ne faisant pas preuve de la prudence voulue.

4.4Dans ses observations supplémentaires, en date du 8 novembre 1996, l’État partie fait savoir que, dans une décision du 19 décembre 1995, le bureau du Procureur délégué à la surveillance judiciaire a conclu qu’il n’y avait pas eu de négligence de la part du fonctionnaire qui dirigeait à l’époque le bureau de protection et d’aide pour les victimes et les témoins des Services du Procureur général étant donné que rien ne prouvait que le télégramme adressé à l’auteur ait été connu d’une personne extérieure au service et qu’il n’y avait donc pas eu de risque pour la famille Aponte. Il ajoute que, d’après les pièces produites, quand le télégramme a été envoyé, les menaces avaient déjà été reçues et l’auteur avait déjà sollicité la protection de ce service.

4.5Dans ses observations datées du 15 octobre 1997, l’État partie informe le Comité que le Conseil d’État a ordonné le paiement à l’auteur et à sa famille d’une pension alimentaire aux États‑Unis ainsi que le remboursement des frais de voyage. Il signale qu’il a demandé à la Cour constitutionnelle de réexaminer l’affaire. C’est pourquoi il affirme que les recours internes ne sont pas épuisés.

Commentaires de l’auteur concernant la recevabilité

5.Le 10 octobre 1997, l’auteur a fait savoir au Comité qu’en date du 26 février 1997 le Conseil d’État avait annulé la décision rendue le 11 décembre 1996 par la première chambre du tribunal administratif de Cundinamarca refusant une aide financière. L’auteur affirme qu’il a engagé des démarches pour que la décision du Conseil d’État soit exécutée mais que, comme elle ne l’était pas, la première chambre du tribunal administratif de Cundinamarca a ordonné le 17 juillet 1997 aux Services du Procureur général de donner effet à celle‑ci. L’auteur ajoute que le 22 juillet 1997, le bureau du Programme de protection et d’aide est entré en rapport avec lui par l’intermédiaire du consulat de Colombie à Miami afin d’effectuer le premier versement et l’informer de la marche à suivre pour les versements ultérieurs.

Décision du Comité concernant la recevabilité

6.1Le 18 mars 1998, le Comité a examiné la question de la recevabilité de la communication.

6.2Le Comité a noté que l’État partie demandait que la communication soit déclarée irrecevable pour non‑épuisement des recours internes. Il a relevé également qu’au sujet du grief portant sur le droit à la vie, l’auteur avait entrepris plusieurs démarches pour faire établir les responsabilités concernant la divulgation de son identité, fait qui, d’après lui, l’avait contraint à quitter le pays. Le Comité a considéré qu’étant donné les circonstances de l’affaire force était de conclure que M. Aponte avait diligemment fait usage des recours disponibles pour définir sa situation et la clarifier, et que, plus de trois ans après les faits à l’origine de la communication, les responsables n’avaient pas été identifiés ni sanctionnés. Le Comité a conclu qu’en l’espèce les procédures de recours internes avaient excédé des délais raisonnables au sens de l’alinéa b du paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif.

6.3En ce qui concernait les allégations de violation du paragraphe 1 de l’article 6, du paragraphe 1 de l’article 9, de l’article 12, de l’article 17 et du paragraphe 1 de l’article 23 du Pacte, le Comité a estimé qu’elles étaient suffisamment étayées aux fins de la recevabilité. Il a donc considéré qu’elles devaient être examinées quant au fond.

Observations de l’État partie sur le fond et commentaires de l’auteur

7.1Dans sa lettre datée du 4 novembre 1998, l’État partie affirme que, conformément à la décision du Conseil d’État en date du 26 février 1997, les Services du Procureur général versaient à l’auteur la somme de 4 000 dollars des États‑Unis par mois depuis septembre 1997. Il précise que cette somme avait été fixée de façon unilatérale et subjective puisque l’auteur n’a jamais permis qu’il soit procédé à une évaluation de sa situation financière.

7.2En ce qui concerne l’allégation de violation du secret de son identité, qui aurait mis la vie de l’auteur en danger, l’État partie fait savoir qu’une enquête disciplinaire a été diligentée contre le fonctionnaire désigné par M. Aponte et que l’affaire a finalement été classée par le bureau du Procureur délégué à la surveillance judiciaire, le 13 février 1996. L’État partie affirme que, depuis cette date, l’auteur ne cesse de soumettre des requêtes et des recours de toutes sortes qui ne sont pas recevables puisque l’affaire est classée et qu’il ne reste aucune question de fond à trancher dans le litige.

7.3L’État partie fait observer que les personnes contre lesquelles l’auteur a témoigné et qui sont d’après lui responsables des menaces qu’il aurait reçues ont été innocentées, ce qui veut dire que son témoignage n’a pas été pris en compte; à son avis, il n’y a même jamais eu de menaces. Il ajoute que les personnes qui ont été reconnues coupables ne sont pas celles contre lesquelles l’auteur a déposé.

7.4L’État partie estime qu’il est possible que M. Aponte se serve des menaces qu’il dit avoir reçues pour pouvoir rester aux États‑Unis et qu’il prétende obtenir ainsi une décision favorable au renouvellement de son visa par les autorités américaines. De plus, il insiste sur le fait qu’il a proposé à l’auteur de retourner en Colombie en lui octroyant le bénéfice du Programme de protection pour les témoins.

7.5Le 1er octobre 1999, l’État partie a envoyé au Comité copie de la décision rendue sur le recours en protection par le tribunal administratif de Cundinamarca. Le 10 mai 1999, le tribunal a conclu que les circonstances qui avaient motivé l’octroi d’une aide économique à l’auteur avaient changé, ce qui faisait que la décision des Services du Procureur général de supprimer les versements était conforme au droit. Selon la chambre qui avait rendu la décision, rien dans le dossier ne prouvait que la vie de M. Aponte restait menacée, et donc les Services du Procureur général n’avaient pas à maintenir indéfiniment l’aide et l’entretien octroyés au titre du Programme de protection. Selon le tribunal, la décision du Conseil d’État qui avait ordonné la protection des droits de l’auteur était claire et prévoyait que l’aide économique ne devait être apportée qu’aussi longtemps que les circonstances l’exigeraient, ce qui fait que la décision de cesser les versements dès lors que les circonstances n’étaient plus les mêmes ne pouvait pas être considérée comme un défaut d’exécution.

7.6L’État partie affirme qu’il ressort de l’enquête ordonnée par les Services du Procureur général que, pendant tout le temps où l’auteur est resté sous protection judiciaire, aucune menace réelle n’a été constatée contre sa vie ou celle de ses proches et qu’en outre l’auteur a refusé que l’on mette son téléphone sur écoute.

7.7Dans sa lettre datée du 2 août 1999, l’auteur signale au Comité que les Services du Procureur général lui ont versé la somme de 4 000 dollars des États‑Unis par mois, de septembre 1997 à avril 1998, date à partir de laquelle ils ont cessé les versements. L’auteur a en conséquence formé un recours contre ces services pour obtenir l’exécution de l’arrêt du Conseil d’État qui lui avait octroyé une pension alimentaire. Il demandait que soit ordonné le paiement rétroactif de sa pension alimentaire et que lui soit versée une indemnité pour le préjudice subi du fait de l’«erreur de droit» que constituait la divulgation par les Services du Procureur général de l’identité d’un témoin. Dans sa lettre datée du 24 mars 2003, l’auteur signale que le tribunal administratif de Cundinamarca l’a débouté de sa demande le 12 décembre 2002.

7.8L’auteur affirme que la violation de ses droits a eu une incidence sur son psychisme au point qu’il a dû suivre un traitement psychiatrique.

Délibérations du Comité

8.1Le Comité des droits de l’homme a examiné la communication à la lumière des informations communiquées par les parties, conformément aux dispositions du paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

8.2Même si le Comité s’est déjà prononcé sur la recevabilité de la communication, le paragraphe 4 de l’article 93 de son règlement intérieur l’autorise à revenir sur la décision de recevabilité qu’il a adoptée. Le Comité prend note des arguments de l’État partie qui fait valoir qu’une enquête disciplinaire a été ouverte contre le fonctionnaire désigné par M. Aponte et que le bureau du Procureur délégué à la surveillance judiciaire a finalement classé l’affaire le 13 février 1996. Le Comité relève que le 10 mai 1999 le tribunal administratif de Cundinamarca a établi que la décision des Services du Procureur général de cesser les versements de la pension ne pouvait pas être considérée comme un défaut d’exécution parce que le dossier ne contenait aucun élément prouvant que la famille Aponte se trouvait toujours en danger de mort. Ils avaient en conséquence décidé de mettre un terme au soutien apporté à l’auteur, notamment au versement d’une pension alimentaire au titre du Programme de protection et d’aide. Le Comité note que l’auteur n’a apporté aucune preuve en sens contraire. Il relève également que M. Aponte n’est pas empêché de travailler aux États‑Unis. Étant donné que les circonstances à l’origine des griefs de l’auteur ne sont plus d’actualité, le Comité déclare la communication irrecevable conformément à l’article 2 du Protocole facultatif, les griefs n’étant pas suffisamment fondés.

9.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:

a)Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur de la communication.

[Fait en espagnol (version originale), en anglais et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

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