Nations Unies

CAT/C/46/D/369/2008

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. restreinte*

5 juillet 2011

Original :Français

Comité contre la torture

Quarante- six ième session

9 mai-3 juin 2011

Décision

Communication no 369/2008

Présentée par:

E. C. B.

Au nom de:

Le requérant

État partie:

Suisse

Date de la requête:

14 décembre 2008 (lettre initiale)

Date de la présente décision:

26 mai 2011

Objet:

Risque de déportation du requérant vers la République du Congo ou la République de Côte d’Ivoire

Questions de procédure:

Néant

Questions de fond:

Risque de torture après renvoi aux pays d’origine ou en Côte d’Ivoire

Articles de la Convention:

3

[Annexe]

Annexe

Décision du Comité contre la torture au titre de l’article 22de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants(Quarante-sixième session)

concernant la

Communication no 369/2008

Présentée par:

E. C. B.

Au nom de:

Le requérant

État partie:

Suisse

Date de la requête:

14 décembre 2008 (lettre initiale)

Le Comité contre la torture, institué en vertu de l’article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 26 mai 2011,

Ayant achevé l’examen de la requête no 369/2008, présentée par E. C. B. en vertu de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par le requérant, son conseil et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Décision au titre du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture

Le requérant est E.C.B, de la République du Congo, né le 10 janvier 1977. Il prétend que son renvoi vers la République du Congo constituerait une violation par la Suisse de l’article 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Il n’est pas représenté. Le 5 décembre 2009, le requérant a désigné sa représentation par Alfred Ngoyi wa Mwanza.

1.2Conformément au paragraphe 3 de l’article 22 de la Convention, le Comité a porté la communication à l’attention de l’État partie le 30 décembre 2008.

1.3Le 21 janvier 2009, compte tenu des nouveaux renseignements obtenus par le requérant, le Rapporteur spécial pour les nouvelles plaintes et les mesures provisoires a demandé à l’État partie de ne pas expulser le requérant vers la République du Congo ou la République de Côte d’Ivoire tant que sa requête est à l’examen devant le Comité. Il a indiqué que cette demande pourrait être revue à la lumière des informations et commentaires reçues de l’État partie. Le 23 janvier 2009, l’État partie a informé le Comité qu’aucune démarche en vue de l’exécution du renvoi du requérant sera prise tant que sa communication sera en cours d’examen devant le Comité.

Rappel des faits exposés par le requérant

2.1Le requérant est originaire de Nkayi, une ville au sud de la République du Congo. Il est militant et membre actif au sein de l’Union panafricaine pour la démocratie sociale (UPADS) et a toujours joué un rôle important pour l’instauration de la démocratie dans son pays d’origine. Il était le président de la Jeunesse de l’UPADS.

2.2De 1997 à 1998, pendant l’affrontement entre l’armée gouvernementale et la milice du futur Président Sassou-Nguesso, le requérant est devenu cible de la milice de Sassou-Nguesso à cause de son opinion politique et de son rôle joué en défaveur de la tentative de prise de pouvoir de la force de Sassou-Nguesso. Le 15 janvier 1999, le requérant a pu se réfugier en Côte d’Ivoire, d’où il a continué ses activités politiques. Il a adhéré au Cercle d’études pour le retour de la démocratie au Congo (CERDEC). Le grand frère du requérant, G.D.B. est le proche collaborateur du fondateur de CERDEC et vit en exile en Russie.

2.3En vertu d’une recommandation venant des cadres du CERDEC, le requérant a décidé de ne pas dévoiler les vraies raisons de sa fuite dans sa demande d’asile en Côte d’Ivoire, considérant que Sassou-Nguesso entretenait des bonnes relations avec le président de la Côte d’Ivoire et pouvait donc poursuivre les militants actifs du CERDEC.

2.4Durant son séjour en Côte d’Ivoire, le requérant a créé une association « Jeunesse pour la paix, l’entreprise et l’unité » (JE-PEU). Son association a eu du succès et plusieurs jeunes y sont adhérés, surtout des partisans de Alassane Ouattara du nord. Les partisans de Laurent Gbagbo ont considéré son association come étant une institution destinée à favoriser l’émergence des ressortissants du nord qui a provoqué des menaces contre le requérant par des jeunes patriotes. Craignant pour sa vie et sécurité, le requérant a quitté la Côte d’Ivoire pour rejoindre son frère en Russie. Compte tenu du racisme et des attaques dont il y était victime, le requérant a quitté la Russie.

2.5Le 26 décembre 2003, le requérant a demandé l’asile en Suisse. Le 25 août 2004, l’Office fédéral des Migrations (ODM) a rejeté sa demande d’asile. Le 24 novembre 2008, le Tribunal administratif fédéral a rejeté son recours et lui a imposé un délai jusqu’au 5 janvier 2009 pour quitter la Suisse.

2.6Pendant son séjour en Suisse, le requérant a continué les activités de son association JE-PEU qui est considérée comme proche du CERDEC.

2.7Le 10 janvier 2009, le requérant a présenté des nouveaux éléments de preuve, y compris une attestation du président du CERDEC et des documents d’identité de son frère ainé.

Teneur de la plainte

3.1 Le requérant allègue que, malgré la signature de l’amnistie autorisant le retour de tous les opposants en République du Congo, il existe des règlements de compte contre les gens du sud considérés comme de vrais opposants au régime actuel. Il prétend également que les activités de son frère G. D. B. qui sont très hostile au régime de Sassou-Nguesso, l’exposerait à de dangers concrets et graves. Plusieurs proches de la famille ont été persécutés par le régime actuel pour leurs liens avec son frère et ils ont été soumis à la torture et autres peines cruels et dégradants.

3.2Il soumet également qu’en tant que partisan d’un parti d’opposition, il risque d’être l’objet des interrogations, des pressions et d’autres mesures pour dévoiler ses vraies activités à l’étranger. En outre, ses activités postérieures à sa fuite, à savoir la création et direction de l’association JE-PEU visant les valeurs de la démocratie, le mettrait à risque, surtout comme son association et son parti sont contraire aux idéologies actuelles du pouvoir en place au Congo. En guise d’étayement, le requérant se réfère au cas de Monsieur G. T. M., qui a été arrêté en décembre 2008 pour être un membre actif du CERDEC, et il soumet que ceci prouve les torture auxquels il serait exposé s’il est renvoyé en République du Congo.

3.3En ce qui concerne un retour en Côte d’Ivoire, son dernier pays de résidence, le requérant soumet qu’il a été considéré par les jeunes patriotes comme un partisan de M. Ouattara et en l’absence d’un état de droit, il risquerait de subir des dangers réels, sans être assuré d’une protection efficace. En outre, compte tenu de la collaboration entre les pays africains, le requérant allègue qu’il court un risque d’être livré aux autorités congolaises, surtout pour avoir caché aux autorités ivoiriennes les vraies raisons de sa fuite du Congo en 1999.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Le 30 juin 2009, l’État partie a présenté ses observations sur la recevabilité et le fond de la requête. L’État partie maintient que dans sa communication du 14 décembre 2008, le requérant se contente de rappeler les motifs qu’il a invoqué devant les autorités suisses et de se référer aux moyens de preuve produits à l’appui de sa demande d’asile. L’État partie se réfère aux documents additionnelles présentés par le requérant le 10 janvier 2009 devant ce Comité et maintient qu’ils n’apportent aucun élément ou argument pertinent qui permettrait de mettre en question l’arrêt du Tribunal administratif fédéral du 24 novembre 2008.

4.2L’État partie rappelle la jurisprudence du Comité et son observation générale n° 1, qui prévoient que le requérant doit prouver qu’il existe pour lui un risque personnel, actuel et sérieux d’être soumis à la torture en cas d’expulsion vers son pays d’origine. En ce qui concerne les preuves que dans l’État intéressé, il existe un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives, l’État partie se réfère au jugement du Tribunal administratif fédéral du 24 novembre 2008 qui a retenu qu’après la fin des guerres civiles et la signature d’un accord de paix entre le gouvernement de Sassou Nguesso et les milices adverses en 2003, la situation au pays s’est beaucoup calmée et il ne règne plus une situation de guerre civile généralisée. Cela d’autant plus que le requérant n’est pas originaire de la région de Pool, la région la plus instable du pays, mais de Nkayi. L’État partie souligne également que le requérant n’a, à aucun moment, prétendu avoir été torturé ou maltraité par le passé.

4.3A propos de prétendues activités politiques du requérant au Congo, l’État partie soutient que les autorités suisses ont relevé que le récit du requérant à ce sujet manquait de substance et qu’il a fait de nombreuses déclarations contradictoires et incohérentes. Lors de sa première audition en décembre 2003, le requérant a allégué avoir été le coordinateur du mouvement de jeunesse du parti UPADS de la ville de Nkayi, alors que lors de son audition du 10 février 2004, il a affirmé avoir été le président de l’UPADS-jeunesse. En outre, le requérant a allégué avoir quitté Nkayi au mois de novembre 1998 à cause des attaques des milices de Sassou Nguesso ayant eu lieu ce même mois, alors qu’elles n’ont effectivement commencé qu’en décembre 1998. Par ailleurs, l’attestation de militantisme du Secrétaire général du l’UPADS du 20 janvier 1996 n’indique ni quand le requérant aurait adhéré au parti, ni qu’il aurait été président ou coordinateur d’une section. L’État partie souligne également que le requérant n’a apporté aucun détail relatif à ses prétendues activités politiques ainsi qu’aux dangers qu’elles auraient entrainés. Par ailleurs, le TAF a retenu que les membres de l’UPADS, qui est un des plus grands partis d’opposition légaux du pays, ne font actuellement pas l’objet de représailles. Après l’accord de paix, l’Assemblé nationale a approuvé, en août 2003, une loi d’amnistie en faveur des milices ayant affronté les troupes gouvernementales de Sassou Nguesso. En août 2008, l’UPADS a tenu une réunion du parti à Brazzaville sans qu’on ait eu connaissance de troubles ou représailles. L’État partie soumet que, par conséquent, le requérant n’a pas de motifs objectifs de s’attendre à une quelconque persécution en raison de sa prétendue participation à l’UPADS.

4.4En ce qui concerne l’affirmation du requérant qu’il s’était engagé en faveur de la plateforme CERDEC après avoir fui sa ville natale, l’État partie souligne qu’il est difficile de s’imaginer que le requérant aurait immédiatement pu s’engager pour une organisation qui, selon lui, venait d’être fondée à Paris en décembre 1998. En outre, le requérant ne s’est exprimé que de manière très vague sur ses activités au sein du CERDEC et il ne fait valoir que lors de la deuxième audition que ses activités pour le CERDEC pouvaient le mettre en danger au Congo. Dans sa soumission additionnelle du 10 janvier 2009 devant ce Comité, le requérant indique qu’un membre de haut rang du CERDEC aurait été arrêté en décembre 2008. Cependant, étant donné qu’il n’a pas rendu vraisemblable son engagement et sa notoriété en tant qu’opposant politique, il ne peut pas en déduire un danger pour lui-même. En ce qui concerne les documents d’identité du prétendu frère du requérant, G.D.B., l’État partie maintient que le prétendu frère, un opposant politique, a un nom de famille différent à celui du requérant et son nom ne correspond pas à celui du Président du CERDEC-Russie, Giglard-Dieudonné. L’attestation manuscrite du prétendu frère ne serait d’ailleurs pas susceptible d’établir un lien de parenté.

4.5En ce qui concerne les allégations de persécution découlant de ses activités pour l’association JE-PEU, que le requérant aurait fondé en 2000 en Côte d’Ivoire, l’État partie soutient que la signature qui figure sur l’acte constitutif de l’organisation diffère de celle que le requérant a apposée sur les procès-verbaux des auditions et son nom ne figure pas sur le récépissé de réception du Ministère de l’intérieur. Par ailleurs, le récit du requérant relatif aux actions qu’il aurait organisées pour le CERDEC et les menaces que ces actions auraient engendrées restent vagues et manquent à l’évidence de substance. Par ailleurs, le requérant allègue avoir été menacé par de groupes de jeunes patriotes et non pas par des acteurs étatiques. Pour cette raison, l’État partie soumet qu’il paraît hautement improbable que le requérant serait soumis à des traitements, qui peuvent, conformément à l’alinéa 1 de l’article 1 de la Convention, être imputés à des personnes agissant à titre officiel. Par ailleurs, selon des enquêtes effectuées par l’Ambassade suisse à Abidjan, le requérant n’a jamais fait mention de son appartenance à l’association JE-PEU, ni de difficultés rencontrées avec de jeunes patriotes. L’État partie soumet que le requérant n’a pas rendu vraisemblable son appartenance à l’UPADS ou qu’il aurait mené des activités pour CERDEC ou JE-PEU, et indépendamment à cela, les activités alléguées pour ces organisation ne peuvent pas justifier actuellement une crainte fondée de persécution au Congo ou en Côte d’Ivoire.

4.6La reconnaissance du requérant par l’UNHCR en Côte d’Ivoire en tant que réfugié ne constituerait pas une preuve de sa persécution individuelle au Congo. Selon les renseignements de l’Ambassade Suisse à Abidjan, le requérant a été reconnu en tant que réfugié à cause des conditions générales au Congo, ceci n’est pas contesté par le requérant.

4.7L’État partie souligne que le requérant n’a pas étayé son affirmation selon laquelle il poursuivrait des activités politiques pour son association JE-PEU en Suisse et rien n’indique que de telles activités aient été portées à la connaissance des autorités congolaises, ou qu’elles pourraient provoquer une persécution par les autorités. Par conséquent, tous éléments considérés, l’État partie soumet que rien n’indique qu’il existe des motifs sérieux de craindre que le requérant serait exposé concrètement et personnellement à la torture en cas de retour au Congo.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie

5.1Le 21 août 2009, le requérant a présenté ses commentaires sur les observations de l’État partie. Il rejette l’observation de l’État partie, selon laquelle le Congo ne connaît pas une situation de violences et de guerres généralisées et il affirme qu’il existe des violations massives des droits de l’homme. Il souligne que les accords d’amnistie de 2003 ne concernaient que les anciens opposants au régime actuel qui ont changé de position et les membres de l’UPADS qui ont pu se réunir librement et participer aux élections sont ceux qui se sont donnés à la corruption et non pas ceux qui composent le vrai UPADS prônant les valeurs de la démocratie et de la justice. Pour illustrer les actes de tortures et de mauvais traitements contre des journalistes, défenseurs de droits de l’homme et certains membres de partis politiques en exil et de leurs proches, il cite l’exemple du journaliste B.O. et la déclaration récente du président du CERDEC dénonçant la réélection de Sassou-Nguesso et affirmant que ce dernier utilisait des pratiques staliniennes et dictatoriales.

5.2En ce qui concerne son risque personnel, concret et sérieux, il réitère que son combat en faveur de l’instauration d’un état de droit et de démocratie sont connus aux autorités congolaises et font de lui un ennemi du gouvernement. Il souligne que ses risques de torture sont graves à cause de son activité politque avant et après son arrivée en Suisse et à cause de son lien de parenté avec le président du CERDEC, antenne Russie-CEI, G.D.B. Le requérant confirme qu’il n’a pas allégué d’avoir été torturé avant son départ, mais qu’il craint des persécutions à son retour.

5.3Le 10 avril 2009, le requérant a créé le CERDEC en Suisse. Par ailleurs, il continue ses activités à travers l’association JE-PEU qui a une personnalité juridique en Suisse. Il maintient que ses activités politiques sont connus aux autorités congolaises représentées en Suisse par leur ambassade et par des agents secrets dissimulés à travers la population congolaise en Suisse.

5.4Par rapport aux contradictions factuelles relevées par l’État partie, le requérant clarifie que les mots président ou coordinateur d’une association se confondent souvent et ceci ne pourrait pas porter atteinte à la crédibilité de ses activités politiques au Congo. En ce qui concerne l’attestation de militantisme, il souligne que celle-ci ne pourrait pas contenir des renseignements allant au-delà de prouver son adhésion et l’engagement en tant que membre du parti politique.

5.5En ce qui concerne la décision de la Cour européenne des droits de l’homme du 28 juin 2008 (voir para. 4.3), le requérant affirme que cette personne était un ancien employé et fanatique de l’ex-Président Lissouba, tandis que le requérant a été active politiquement au sein de l’UPADS et à l’étranger au sein du CERDEC et de JE-PEU.

5.6Le requérant soumet également que son retour en Côte d’Ivoire le mettrait en danger aux vues de ses activités au sein de JE-PEU qui continue en Suisse.

Commentaires additionnelles du requérant

6.Le 5 décembre 2009, le requérant, à travers son nouveau conseil, Alfred Ngoyi wa Mwanza, a sollicité la suspension de l’examen de sa communication devant le Comité, ceci pour permettre aux autorités du canton de Zurich de continuer sa procédure d’octroi d’un permis humanitaire.

Observations complémentaires de l’ État partie

7.Le 6 janvier 2010, l’État partie a fait valoir que les autorités compétentes du Canton de Zurich ne pouvaient se prononcer sur des demandes d’autorisation liées à des cas de rigueur (permis humanitaire) tant qu’une autre procédure était en cours, et ceci aussi devant le Comité. L’État partie note que l’octroi du permis de rigueur est soumis à l’approbation des autorités fédérales et dont les critères d’octroi sontcomplètement dissociables des conditions imposées au titre de l’article 3 de la Convention.

Commentaires supplémentaires de l’auteur

8.1Par lettre du 7 janvier 2010 et après avoir été avisé de la position de l’État partie, le requérant a demandé au Comité d’annuler la suspension et de prendre une décision sur sa plainte.

8.2Le 13 juin 2010, le requérant soumet une deuxième confirmation de son frère ainé et membre actif au sein du CERDEC. Le frère souligne que le requérant serait exposé à des persécutions au sens de l’article 3 de la Convention, compte tenu de ses activités politiques antérieurs et actuelles en tant que président du CERDEC Suisse, ainsi que les liens de parenté avec lui.

8.3Par lettre du 25 août 2010, le requérant a prié le Comité d’examiner sa plainte à l’occasion de la prochaine session. Il explique que les autorités du canton de Zurich seraient disposées à lui accorder le permis humanitaire pour cas de rigueur, à condition que son cas soit tranché devant le Comité. Il souligne également que son statut actuel serait précaire.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

9.Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité contre la torture doit déterminer si la requête est recevable en vertu de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire, conformément à l’alinéa adu paragraphe 5 de l’article 22, que la même question n’a pas été examinée, ni n’est en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Le Comité note aussi que tous les recours internes sont épuisés, et que l’État partie n’a pas contesté la recevabilité de la communication. Considérant donc que la communication est recevable, le Comité procède à son examen quant au fond.

Examen au fond

10.1Conformément au paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, le Comité a examiné la présente requête en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

10.2 Le Comité doit déterminer si le renvoi du requérant vers la République du Congo ou vers la République de Côte d’Ivoire violerait l’obligation de l’État partie, en vertu de l’article 3 de la Convention, de ne pas expulser ou refouler une personne vers un autre État où il a des motifs sérieux de croire qu’elle risque d’être soumise à la torture.

10.3 En procédant à l’évaluation du risque de torture, le Comité tient compte de tous les éléments pertinents, conformément au paragraphe 2 de l'article 3, y compris de l'existence d'un ensemble de violations systématiques des droits de l'homme, graves, flagrantes ou massives. Toutefois, le but de cette analyse est de déterminer si l’intéressé risquerait personnellement d'être soumis à la torture dans le pays où il serait renvoyé. Il s'ensuit que l'existence, dans un pays, d'un ensemble de violations systématiques des droits de l'homme, graves, flagrantes ou massives ne constitue pas en soi une raison suffisante d'établir qu'une personne donnée serait en danger d'être soumise à la torture à son retour dans ce pays. Il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser que l'intéressé serait personnellement en danger. Pareillement, l'absence d'un ensemble de violations flagrantes et systématiques des droits de l'homme ne signifie pas qu'une personne ne puisse pas être soumise à la torture dans la situation particulière qui est la sienne.

10.4 Le Comité rappelle son Observation générale n° 1 concernant l’application de l’article 3 dans le contexte de l’article 22, dans laquelle il expose qu'il doit déterminer s'il y a des motifs sérieux de croire que le requérant risque d'être soumis à la torture s'il est renvoyé dans le pays concerné. Il n'est pas nécessaire de montrer que le risque encouru est hautement probable, mais ce risque doit être encouru personnellement et actuellement. A cet égard, le Comité a établi dans des décisions antérieures que le risque de torture devait être « prévisible, réel et personnel ».

10.5 En ce qui concerne le fardeau de la preuve, le Comité rappelle également son Observation générale n° 1 ainsi que sa jurisprudence selon laquelle il incombe généralement au requérant de présenter des arguments défendables et que le risque de torture doit être apprécié selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons..Dans son Observation générale, le Comité a également insisté sur le fait qu’il accorderait un poids considérable aux constations de faits des organes de l’État partie, bien qu’il se laisse la possibilité d’apprécier librement les faits et les éléments de preuve des circonstances de chaque affaire.

10.6 En évaluant le risque de torture dans le cas à l'examen, le Comité a noté l’affirmation du requérant selon laquelle il était le président de la Jeunesse de l’Union panafricaine pour la démocratie sociale (UPADS) et que c’était son opinion politique qui l’a forcé à quitter le pays. Il a également noté qu’en Côte d’Ivoire, le requérant aurait continué ses activités politiques, aurait adhéré au Cercle d’études pour le retour de la démocratie au Congo (CERDEC) et aurait créé une association qui s’appelle Jeunesse pour la paix, l’entreprise et l’unité (JE-PEU). Le Comité note l’affirmation du requérant selon laquelle son lien de parenté avec le président du CERDEC Russie-CEI, un personnage connu d’être très hostile au gouvernement de Sassou-Nguesso, l’exposerait à des persécutions. Il note enfin que le requérant aurait été visé par les jeunes patriotes en Côte d’Ivoire comme étant partisan de Alassane Ouattara du nord, et qu’un retour en Côte d’Ivoire l’exposerait donc à des dangers réels sans protection étatique.

10.7 Le Comité note ensuite l’argument de l’État partie selon lequel, à l’exception de documents d’identité de son prétendu frère et un article faisant état d’un arrêt en décembre 2008 d’un membre du CERDEC de haut rang, le requérant n’aurait soumis aucun élément de preuve nouveau devant le Comité ; et que tous les autres documents ont été analysés en détail par les juridictions internes. Le Comité note que selon l’État partie, les accords de paix ainsi que les lois d’amnistie adoptées au Congo engendrent une nouvelle situation qui ne présente pas une situation de guerre civile généralisé, d’autant plus que le requérant n’est pas originaire de Pool, mais de Nkayi. Il note que l’Etat partie a relevé des contradictions et incohérences dans les allégations du requérant se rapportant à son activité politique au sein de l’UPADS et que selon des sources indépendantes, les membres de l’UPADS, qui serait un des plus grand partis d’opposition du pays, ne feraient pas l’objet de représailles. Le Comité note que les allégations du requérant sur ses activités au sein du CERDEC seraient très vagues et que l’attestation du prétendu frère et président du CERDEC-Russie-CEI ne serait pas susceptible d’établir un lien de parenté. L’Etat partie a soutenu que le requérant aurait été reconnu en tant que réfugié en Côte d’Ivoire à cause des conditions générales au Congo. Le Comité note l’argument de l’Etat partie selon lequel le requérant aurait allégué des menaces des acteurs non-étatiques en Côte d’Ivoire et par ailleurs n’aurait pas rendu vraisemblable qu’il aurait mené des activités pour CERDEC ou JE-PEU. Indépendamment à cela, selon l’Etat partie, les activités prétendument menés ne pourraient pas justifier une crainte fondée de persécution. Il note enfin l’affirmation de l’Etat partie que le requérant n’aurait pas étayé ses activités politiques menés en Suisse et que rien n’indiquait que de telles activités aurait été portées à la connaissance des autorités congolaises.

10.8 Le Comité note l’argument de l’auteur selon lequel, malgré les accords de paix et l’amnistie, il existait des violations massives des droits de l’homme et que le vrai UPADS prônant les valeurs de la démocratie et de la justice était toujours en danger. Il note également que selon le requérant ses activités politiques au Congo et en Suisse, ainsi que son lien de parenté avec G.D.B., le président du CERDEC Russie-CEI seraient connues aux autorités congolaises. Il note enfin l’affirmation du requérant que ses activités au sein du JE-PEU le mettrait en danger en cas d’un retour en Côte d’Ivoire.

10.9 Ayant tenu compte des arguments présentés par les parties, le Comité constate que le requérant n’a pas apporté de preuves d’un risque réel, actuel et prévisible. Le Comité observe que le requérant fait valoir que ses activités politiques au Congo, en Côte d’Ivoire et en Suisse, ainsi que son lien de parenté avec le président du CERDEC Russie-CEI le mettrait en danger des persécution, sans pour autant présenter des preuves étayant son rôle actif au sein d’un parti politique ou ses activités politiques susceptibles à justifier sa crainte de persécutions.

10.10En ce qui concerne sa crainte de persécution en cas d’un retour en République du Congo, le Comité observe que le requérant a soumis une attestation d’affiliation en tant que militant de l’UPADS qui ne fait pas état de son rôle de président de la jeunesse de l’UPADS. Il note également que selon des sources indépendantes, les membres de l’UPADS ne font pas l’objet de représailles au Congo. Le Comité observe que, mise à part d’un article dans un journal sur l’arrêt de l’ancien ministre de finances et membre du CERDEC, le requérant n’a pas suffisamment étayé son allégation de persécution et torture par les autorités congolaises de tout membre du CERDEC. De plus, même si le requérant était véritablement membre actif de l’UPADS et du CERDEC, il n’est pas clairement établi que ses activités avaient une telle importance qu’elles susciteraient actuellement l’intérêt des autorités s’il était renvoyé au Congo. En outre, indépendamment de la crédibilité du lien de parenté avec le président du CERDEC Russie-CEI, le Comité observe que les preuves au dossier parviennent uniquement de son prétendu frère qui affirme que le requérant serait exposé à des persécutions s’il retournait au Congo. Même si le requérant affirme que d’autres membres de sa famille aurait eu des problèmes à cause de leur lien de parenté avec G.D.B., le Comité n’a pas d’informations ni preuves sur la nature de ces problèmes et il ne dispose pas d’indications objectifs qu’un éventuel lien de parenté entre le requérant et G.D.B. l’exposerait à un risque de torture.

10.11 En absence d’une précision par l’Etat partie dans quel pays le requérant serait renvoyé, le Comité doit également déterminer si le requérant risque d'être soumis à la torture s'il est renvoyé en République de Côte d’Ivoire. En guise d’étayement de son risque personnel, le requérant affirme qu’en tant que fondateur de l’association JE-PEU, il a quitté la Côte d’Ivoire craignant pour sa vie et sécurité à cause des problèmes avec les jeunes patriotes, partisans de Laurent Gbagbo. Le Comite observe que les renseignements obtenues à Abidjan par l’Etat partie ne font ni état de son appartenance à l’association JE-PEU, ni des difficultés rencontrées avec les jeunes patriotes. Le Comité note que au moment de ses délibérations, M. Ouattara, pour lequel le requérant s’est battu, a été élu Président. Il observe également que le requérant n’a pas établi un risque personnel, actuel et sérieux de torture lors de son retour en Côte d’Ivoire et que ses allégations ne vont pas au delà de supputations.

10.12Finalement, le Comité observe que, le 10 avril 2009, le requérant a créé le CERDEC en Suisse et il a inscrit l’association JE-PEU dans le registre des associations. Néanmoins, le requérant n’a pas établi que ses activités en Suisse avaient une telle importance qu’elles susciteraient actuellement l’intérêt des autorités congolaises ou ivoiriennes.

10.13 Compte tenu de l’ensemble des informations qui lui ont été communiquées, le Comité estime que le requérant n’a pas apporté suffisamment d’éléments de preuve pour montrer qu’il court personnellement un risque réel et prévisible d’être soumis à la torture s’il était expulsé vers la République du Congo ou la République de Côte d’Ivoire.

11. Le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines et traitements cruels, inhumains ou dégradants, est d’avis que l’expulsion du requérant vers la République du Congo ou la République de Côte d’Ivoire ne constituerait pas une violation de l’article 3 de la Convention.

[Adopté en français (version originale), en anglais, en espagnol. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]