Nations Unies

CAT/C/ARE/CO/1

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

22 août 2022

Français

Original : anglais

Comité contre la torture

Observations finales concernant le rapport initial des Émirats arabes unis *

1.Le Comité a examiné le rapport initial des Émirats arabes unis à ses 1914e et 1917e séances, les 13 et 14 juillet 2022, et a adopté les présentes observations finales à sa 1930e séance, le 25 juillet 2022.

A.Introduction

2.Le Comité accueille avec satisfaction le rapport initial de l’État partie, mais regrette qu’il lui ait été soumis avec cinq ans de retard.

3.Le Comité se félicite d’avoir pu engager un dialogue constructif avec la délégation de l’État partie et accueille avec satisfaction les réponses apportées aux questions et aux préoccupations soulevées pendant l’examen du rapport.

B.Aspects positifs

4.Le Comité note avec satisfaction que l’État partie a ratifié les instruments internationaux ci-après, ou y a adhéré :

a)Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, en 1974 ;

b)Convention relative aux droits de l’enfant, en 1997 ;

c)Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, en 2004 ;

d)Protocole additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants, en 2009;

e)Convention relative aux droits des personnes handicapées, en 2010 ;

f)Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant, concernant la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants, en 2016 ;

g)Autres instruments internationaux, dont la Convention des Nations Unies contre la corruption, en 2006, et la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée, en 2007.

5.Le Comité accueille avec satisfaction les mesures que l’État partie a prises pour légiférer ou réviser sa législation dans des domaines intéressant la Convention, notamment l’adoption des textes suivants :

a)Loi fédérale no 43 de 1992, concernant la réglementation des établissements pénitentiaires et correctionnels ;

b)Loi fédérale no 51 de 2006, modifiée par la loi fédérale no 1 de 2015, criminalisant la traite des personnes et portant création du Comité national de lutte contre la traite des êtres humains, et décision no 32/7 de 2014, par laquelle le Comité national a créé un fonds de soutien aux victimes de la traite des personnes ;

c)Loi fédérale no 52 de 2006, supprimant les châtiments corporels du Code pénal ;

d)Loi fédérale no 3 de 2016, relative aux droits de l’enfant ;

e)Modification du Code pénal de 1987 abrogeant l’article 53 (par. 1) etsupprimant les exceptions concernant la violence domestique, en 2016 ;

f)Loi fédérale no 10 de 2017, instituant des garanties pour les travailleurs migrants et les travailleurs domestiques ;

g)Décret-loi fédéral no 10 de 2019, renforçant les protections relatives à la violence domestique ;

h)Loi fédérale no 14 de 2020, sur la protection des témoins ;

i)Décret-loi fédéral no 28 de 2020, portant modification du Code de procédure pénale (loi fédérale no 35 de 1992) et consacrant l’irrecevabilité des preuves obtenues par la torture.

6.Le Comité salue les mesures que l’État partie a prises pour modifier ses politiques et procédures afin de renforcer la protection des droits de l’homme et de donner plus largement effet à la Convention, en particulier :

a)La stratégie nationale en faveur de l’émancipation des femmes émiriennes pour la période 2015-2021 ;

b)La stratégie du Ministère de l’intérieur pour 2014-2016 visant, entre autres, à diffuser une culture des droits de l’homme, à améliorer les droits des détenus et à former le personnel des établissements pénitentiaires.

C.Principaux sujets de préoccupation et recommandations

Définition et incrimination de la torture

7.Le Comité prend note des informations fournies par l’État partie concernant l’interdiction de la torture inscrite dans la Constitution, le Code pénal et le Code de procédure pénale. Il constate toutefois avec regret que l’État partie n’a toujours pas adopté une définition de l’infraction de torture qui soit conforme à l’article premier de la Convention. En outre, en ce qui concerne le cadre législatif national incriminant la torture, le Comité relève les sujets de préoccupation suivants :

a)L’interdiction de la torture inscrite dans le Code pénal ne s’applique qu’aux agents publics qui commettent des actes de torture contre un accusé, un témoin ou un expert ;

b)La législation de l’État partie ne contient pas de dispositionétablissant qu’aucune circonstance exceptionnelle, quelle qu’elle soit, qu’il s’agisse de l’état de guerre ou de menace de guerre, d’instabilité politique intérieure ou de tout autre état d’exception, ne peut être invoquée pour justifier la torture, conformément à l’article 2 (par. 2) de la Convention ;

c)Les peines prévues par le Code pénal pour l’infraction de torture ne sont pas proportionnées à la gravité des actes visés, d’autant que la marge d’appréciation dans la détermination de la peine permet de prononcer des peines d’emprisonnement allant de trois à quinze ans, et que la torture peut dans certains cas être considérée comme un simple délit ;

d)L’infraction de torture reste soumise à un délai de prescription, qui dans certains cas peut être de cinq ans seulement (art. 1er, 2 et 4).

8.Le Comité engage l ’ État partie à inscrire dans sa législation nationale une définition de la torture conforme à celle donnée à l ’ article premier de la Convention. L ’ État partie devrait revoir et modifier sa législation afin de garantir que toutes les formes de torture sont interdites conformément à la définition qui figure à l ’ article premier de la Convention, étant donné que l ’ écart important entre la définition de la torture en droit interne et celle énoncée dans la Convention crée un vide juridique réel ou potentiel qui peut ouvrir la voie à l ’ impunité. Le Comité recommande en outre à l ’ État partie :

a) De veiller à ce que l ’ interdiction de la torture énoncée dans la législation nationale soit absolue et non susceptible de dérogation, et qu ’ aucune circonstance exceptionnelle, y compris l ’ état d ’ urgence ou la menace de guerre, ne puisse être invoquée pour justifier le recours à la torture, conformément à l ’ article 2 (par. 2) de la Convention ;

b) De veiller à ce que les peines pour torture soient proportionnées à la gravité de l ’ infraction, comme le prévoit l ’ article 4 (par. 2) de la Convention ;

c) De veiller à ce que, compte tenu du caractère absolu de l ’ interdiction de la torture, les actes de torture soient imprescriptibles, de sorte que les auteurs et complices de tels actes fassent effectivement l ’ objet d ’ enquêtes, de poursuites et de sanctions.

Application de la Convention

9.Le Comité prend note des informations fournies par l’État partie concernant sa déclaration relative aux articles 1er et 16 de la Convention, qui exclut de la définition de la torture la douleur ou les souffrances résultant de sanctions légales, et il se félicite que l’État partie soit disposé à envisager de retirer cette déclaration. Toutefois, même si les cas sont rares, voire inexistants dans la pratique, le Comité reste préoccupé par l’absence de renseignements concernant la compétence des tribunaux, y compris les tribunaux de la charia, pour prononcer des peines corporelles ou la peine capitale, qui peuvent être constitutives d’actes de torture ou de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (art. 1er, 2, 4 et 16).

10. Le Comité recommande à l ’ État partie d ’ envisager, à titre prioritaire, de retirer sa déclaration relative aux articles 1 er et 16 de la Convention et d ’ adopter des dispositions législatives interdisant expressément l ’ imposition de sanctions pénales pouvant constituer des actes de torture ou des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, en toutes circonstances et pour toutes les juridictions.

Garanties juridiques fondamentales

11.Le Comité est préoccupé par les informations selon lesquelles, malgré les dispositions législatives prévoyant des garanties juridiques fondamentales, telles que celles figurantdans le Code de procédure pénale, les détenus ont souvent des difficultés à avoir accès à un avocat, à un médecin et à leur famille ou à d’autres personnes de leur choix. Il est également préoccupé par les informations selon lesquelles les détenus sont privés de leur droit de contester la légalité de leur détention et de voir leurs plaintes examinées rapidement et impartialement, en particulier lorsque les infractions pour lesquelles ils sont détenus concernent des activités politiques ou la sécurité de l’État (art. 2 et 16).

12. Le Comité recommande à l ’ État partie de prendre des mesures efficaces pour que les personnes arrêtées bénéficient dès le début de leur détention de toutes les garanties juridiques fondamentales, y compris des droits de recevoir sans délai l ’ assistance d ’ un avocat indépendant, d ’ être informées de leurs droits et des charges retenues contre elles, d ’ informer de leur détention un membre de leur famille ou une autre personne de leur choix, de demander et d ’ obtenir d ’ être examinées sans délai par un médecin indépendant, de contester la légalité de leur détention et de voir leurs plaintes examinées rapidement et de manière impartiale.

Allégations de torture ou de mauvais traitements

13.Le Comité prend note des informations fournies par la délégation de l’État partie concernant le nombre de plaintes, de poursuites et de condamnations pour torture depuis 2019. Il est néanmoins préoccupé par les rapports contenant des allégations détaillées concernant des actes de torture et des mauvais traitements infligés à des suspects par des membres des forces de sécurité et des forces de l’ordre. Il note avec une préoccupation particulière que ces rapports dénoncent une pratique systématique de la torture et des mauvais traitements à l’encontre des défenseurs des droits de l’homme et des personnes accusées d’atteintes à la sûreté de l’État qui, en raison de ces accusations ou des accusations de terrorisme portées contre elles, sont soumises à un régime juridique prévoyant des garanties de procédure moins nombreuses et plus restrictives. Il est en outre préoccupé par les informations selon lesquelles des actes de torture ou des mauvais traitements sont infligés à des détenus en représailles à leur coopération avec l’Organisation des Nations Unies, ses représentants et ses mécanismes dans le domaine des droits de l’homme (art. 2, 11 et 16).

14. Le Comité demande à l ’ État partie :

a) De veiller à ce que les représentants de l ’ État au plus haut niveau réaffirment sans ambiguïté l ’ interdiction absolue de la torture et condamnent publiquement toutes les pratiques de torture, en faisant clairement savoir que toute personne commettant de tels actes, s ’ en rendant complice ou y participant sera tenue personnellement responsable devant la loi et fera l ’ objet de poursuites pénales et de sanctions appropriées ;

b) De faire en sorte que les défenseurs des droits de l ’ homme, y compris ceux qui échangent des informations avec les mécanismes des droits de l ’ homme des Nations Unies, puissent travailler en toute sécurité et efficacement dans l ’ État partie, notamment en créant un environnement propice à leurs activités de promotion et de protection des droits de l ’ homme ;

c) De veiller à ce que les lois antiterroristes et les lois relatives à la sûreté de l ’ État soient pleinement conformes aux normes internationales relatives aux droits de l ’ homme, notamment pour ce qui est de prévoir toutes les garanties juridiques fondamentales énoncées au paragraphe 13 de l ’ observation générale n o  2 (2007), et à ce que ces garanties soient respectées dans la pratique ;

d) De veiller à ce que les membres de forces de sécurité et des forces de l ’ ordre qui se livrent à des actes de torture soient poursuivis et condamnés à des peines proportionnées à la gravité de l ’ infraction de torture, comme l ’ exige l ’ article 4 de la Convention ;

e) De poursuivre et renforcer la formation de tous les membres de forces de sécurité et des forces de l ’ ordre concernant l ’ interdiction absolue de la torture, les dispositions de la Convention et l ’ utilisation de techniques d ’ enquête criminelle non coercitives.

Conflit au Yémen

15.Malgré l’annonce du retrait des forces armées de l’État partie du territoire du Yémen en 2019, le Comité est préoccupé par les informations selon lesquelles de graves violations des droits de l’homme auraient été commises par les forces armées régulières de l’État partie, par des acteurs non étatiques dont les actions sont imputables à l’État partie, et dans les centres de détention relevant de la juridiction de l’État partie, notamment à l’aéroport international d’Al-Rayyan, à Rabwet Khalf, à la prison du 7 octobre, dans le camp de Jal’ah, à Waddah Hall et dans l’ancien quartier général militaire de l’État partie au Yémen. Il regrette que l’État partie n’ait pas fourni d’informations concernant le nombre de plaintes, d’enquêtes, de poursuites et de condamnations relatives à des cas de torture et de mauvais traitements dans le contexte du conflit au Yémen, visant tant les forces armées régulières que les groupes armés dont les actions sont imputables à l’État partie (art. 2, 12 à 14 et 16).

16. Le Comité rappelle à l ’ État partie que la notion de « territoire sous sa juridiction », qui est étroitement liée au principe d ’ intangibilité, s ’ entend de tout territoire ou établissement et doit être appliquée sans discrimination d ’ aucune sorte de manière à protéger quiconque, ressortissant ou non-ressortissant, relève de droit ou de fait d ’ un État partie. Il souligne que l ’ obligation de l ’ État de prévenir la torture s ’ applique aussi à quiconque agit à l ’ instigation de l ’ État ou avec son consentement exprès ou tacite. Le Comité invite instamment l ’ État partie à :

a) Prendre des mesures efficaces pour empêcher que des actes de torture ou des mauvais traitements soient commis dans toutes les zones sous sa juridiction et par toutes les personnes qui agissent à son instigation ou avec son consentement exprès ou tacite ;

b) Mener rapidement des enquêtes impartiales et approfondies sur toutes les allégations de torture ou de mauvais traitements dans tout territoire sous sa juridiction et par tous les acteurs dont les actions lui sont imputables ;

c) Veiller à ce que la formation continue du personnel militaire et des autres personnes susceptibles d ’ intervenir dans la garde, l ’ interrogatoire ou le traitement de tout individu arrêté, détenu ou emprisonné de quelque façon que ce soit dans le cadre d ’ opérations militaires extraterritoriales comprenne une formation appropriée aux obligations découlant des dispositions de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et du droit humanitaire international ;

d) Lui fournir des informations concernant le nombre de plaintes examinées, d ’ enquêtes ouvertes, de poursuites engagées et de condamnations prononcées dans l ’ État partie pour des cas de torture et de mauvais traitements en rapport avec le conflit au Yémen ;

e) Veiller à ce que toutes les victimes d ’ actes de torture et de mauvais traitements aient le droit de porter plainte auprès des autorités compétentes de l ’ État partie et de voir leur cas examiné rapidement et de manière impartiale par celles-ci, et qu ’ elles puissent obtenir réparation, notamment une indemnisation juste et adéquate et des moyens de réadaptation, lorsque ces actes sont imputables à l ’ État partie ou ont été perpétrés dans des zones relevant de sa juridiction.

Lutte contre le terrorisme

17.Le Comité est préoccupé par le caractère vague et trop large de la terminologie utilisée dans la loi fédérale no 7 de 2014 relative à la lutte contre le terrorisme, notamment pour ce qui est de la définition du terrorisme. Il note avec préoccupation que cette loi prévoit des exceptions au Code de procédure pénale qui permettent la détention provisoire à l’initiative du procureur pour une durée maximale de trois mois, et une prolongation illimitée de la détention provisoire sur décision judiciaire. Il est également préoccupé par le caractère vague et trop large de la terminologie utilisée dans la loi fédérale no 2 de 2003, qui confère des pouvoirs étendus aux organes de sécurité de l’État en les habilitant à prendre les mesures nécessaires pour surveiller et endiguer les phénomènes sociaux touchant à la sûreté de l’État, et par l’absence de transparence en ce qui concerne les règles régissant l’appareil de sécurité de l’État. Il est en outre préoccupé par les informations selon lesquelles les personnes arrêtées par les forces de sécurité de l’État sont souvent privées des garanties fondamentales d’une procédure régulière et soumises à la torture et à des mauvais traitements, notamment à la détention au secret, et par l’utilisation des centres de munasaha (« conseil ») pour prolonger indéfiniment l’incarcération de personnes condamnées considérées comme ayant des idées terroristes, extrémistes ou déviantes, au-delà de la durée de leur peine (art. 2, 11 à 13 et 16).

18.L ’ État partie devrait faire en sorte que sa législation antiterroriste et les mesures prises pour lutter contre le terrorisme soient conformes à l ’ interdiction de la torture et des mauvais traitements énoncée dans la Convention, que des garanties juridiques adéquates et efficaces soient en place, que toutes les allégations de torture et de mauvais traitements de personnes accusées de participation à des actes terroristes ou à des atteintes à la sûreté de l ’ État fassent rapidement l ’ objet d ’ enquêtes impartiales et efficaces, que les auteurs d ’ actes de torture et de mauvais traitements soient poursuivis et dûment sanctionnés et que les règles régissant l ’ appareil de sécurité de l ’ État soient communiquées au public en toute transparence, notamment au moyen de leur publication sur les sites Web des institutions gouvernementales. Afin de réduire le risque de torture et de mauvais traitements, l ’ État partie devrait prendre les mesures nécessaires pour interdire et prévenir la détention au secret et toute autre forme de détention illégale et faire en sorte que les détenus bénéficient des garanties fondamentales contre la torture, notamment du droit d ’ être présentés sans délai devant un juge. Le Comité recommande également que les détentions dans les centres de munasaha soient fondées sur des critères clairs et identifiables établis par la loi, que les ordonnances de placement dans ces centres soient assorties d ’ une limite dans le temps, que la durée maximale de la détention dans ces centres soit clairement fixée par la loi et que les détenus aient la possibilité de contester la légalité de leur détention.

Principe du non-refoulement

19.Le Comité prend note des informations fournies par l’État partie selon lesquelles, au cours de la période considérée, aucun ressortissant étranger n’a été extradé, et aucune extradition ne peut avoir lieu en l’absence d’un accord d’extradition. Il prend note de la loi fédérale no 39 de 2006, qui interdit l’extradition lorsque la personne concernée risque d’être soumise à la torture ou à des traitements cruels, inhumains ou dégradants, ou dans les cas d’infractions de nature politique. Il est toutefois préoccupé par le fait que ni la loi fédérale no 6 de 1973 ni la loi fédérale no 2 de 2003, qui prévoient toutes deux l’expulsion de ressortissants étrangers pour des motifs liés à sécurité de l’État, ne permettent de contester l’ordre d’expulsion lorsque la personne concernée risque d’être soumise à la torture ou à des mauvais traitements dans le pays d’accueil, et qu’elles ne prévoient pas de garanties contre l’expulsion dans de telles circonstances. Il se déclare particulièrement préoccupé par les informations concernant l’expulsion sommaire massive d’environ 800 migrants africains qui résidaient légalement dans l’État partie en 2021, notamment par les allégations selon lesquelles ces personnes auraient subi des actes de torture et des mauvais traitements en détention avant leur expulsion, aucun mandat d’arrêt n’aurait été délivré et l’expulsion aurait eu lieu sans qu’il soit procédé à un examen individuel de la probabilité que la personne soit soumise à la torture ou à des mauvais traitements dans le pays d’accueil (art. 2, 3 et 16).

20. Le Comité recommande à l ’ État partie :

a) De respecter les obligations qui lui incombent en vertu de l ’ article 3 de la Convention et de veiller à ce que, dans la pratique, nul ne puisse être expulsé, renvoyé ou extradé vers un État où il y a des motifs sérieux de croire qu ’ il risquerait d ’ être soumis à la torture ou à des mauvais traitements ;

b) De veiller, compte tenu de la proportion importante d ’ étrangers dans la population du pays, à ce que tous les étrangers qui risquent d ’ être expulsés, y compris ceux qui viennent de « pays d ’ origine sûrs », aient accès à des procédures équitables, comprenant un entretien visant à évaluer le risque qu ’ ils soient soumis à la torture et à des mauvais traitements dans leur pays d ’ origine, au regard de leur situation personnelle ;

c) D ’ envisager d ’ adhérer à la Convention relative au statut des réfugiés et au Protocole s ’ y rapportant.

Formation

21.Le Comité accueille avec satisfaction les informations détaillées fournies par l’État partie concernant les formations sur la prévention de la torture et des mauvais traitements dispensées au personnel des établissements pénitentiaires et correctionnels et aux membres de l’appareil judiciaire, ainsi que les formations dispensées aux professionnels de la santé sur le Manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Protocole d’Istanbul). Il note toutefois avec préoccupation que l’État partie indique que les fonctionnaires ne reçoivent pas de formation obligatoire portant spécifiquement sur la Convention et l’interdiction absolue de la torture et des mauvais traitements (art. 2, 10 et 16).

22. L ’ État partie devrait :

a) Inclure des cours sur les dispositions de la Convention dans les programmes de formation obligatoire pour les policiers, les membres des forces de l ’ ordre, les agents de la sécurité nationale, le personnel militaire, les gardes frontière , le personnel pénitentiaire, les juges, les procureurs et les avocats ;

b) Faire en sorte que l ’ ensemble du personnel concerné, notamment le personnel médical, soit spécialement formé à déceler et constater les cas de torture et de mauvais traitements, conformément au Protocole d ’ Istanbul (tel que révisé), et qu ’ il signale ces cas aux autorités compétentes ;

c) Établir et appliquer une méthode permettant d ’ évaluer l ’ efficacité et les effets des programmes de formation relatifs à la Convention et au Protocole d ’ Istanbul (tel que révisé).

Indépendance du pouvoir judiciaire

23.Le Comité prend note des informations fournies par l’État partie concernant les efforts déployés pour accroître la représentation des femmes dans la magistrature et pour réduire la dépendance du système judiciaire à l’égard des juges étrangers, mais il se déclare préoccupé par les informations selon lesquelles l’exécutif exercerait un contrôle excessif sur la nomination des juges, entraînant une absence de responsabilisation de l’exécutif. Il est également préoccupé par le fait que les juges étrangers ne sont pas titularisés, ce qui les rend vulnérables aux pressions politiques (art. 2, 12 à 14 et 16).

24.Le Comité recommande à l ’ État partie de continuer de prendre des mesures supplémentaires pour garantir la pleine indépendance, l ’ impartialité et l ’ efficacité du système judiciaire, assurer l ’ inamovibilité des juges étrangers, accroître la représentation des femmes dans la magistrature et revoir le régime de nomination, de promotion et de révocation des juges afin de le rendre conforme aux normes internationales applicables, notamment aux Principes fondamentaux relatifs à l ’ indépendance de la magistrature. Il lui recommande en outre d ’ appliquer les recommandations que la Rapporteuse spéciale sur l ’ indépendance des juges et des avocats lui a adressées à la suite de sa visite de 2014.

Contrôle des lieux de détention

25.Le Comité accueille avec satisfaction les informations fournies par l’État partie concernant la loi fédérale no 43 de 1992 et le Code de procédure pénale, qui prévoient le contrôle des lieux de détention par des représentants du ministère public. Il remercie également l’État partie pour les données fournies concernant le nombre de visites effectuées et d’entretiens avec des détenus, et se félicite que le mandat de contrôle des lieux de détention ait été confié à l’institution nationale des droits de l’homme nouvellement créée. Il est toutefois préoccupé par le fait que l’article 108 du Code de procédure pénale n’autorise les autres autorités publiques à effectuer des visites dans les lieux de détention que sur autorisation écrite du ministère public. Il est également préoccupé par les informations selon lesquelles les organisations de la société civile et d’autres organismes s’intéressant à la promotion et à la protection des droits de l’homme se voient interdire l’accès aux lieux de détention. Il note aussi avec préoccupation que, dans la pratique, les détenus n’ont pas la possibilité de rencontrer les représentants du ministère public pour déposer plainte, et que la tenue d’entretiens avec les détenus est à la discrétion du ministère public (art. 2, 12, 13 et 16).

26. L ’ État partie devrait :

a) Prendre des mesures pour garantir que tous les lieux de détention font l ’ objet d ’ un contrôle indépendant efficace et régulier et d ’ inspections inopinées, et que les personnes chargées d ’ exercer ce contrôle identifient les conditions ou les comportements dans les lieux de privation de liberté qui constituent des actes de torture ou des mauvais traitements, aient des entretiens confidentiels avec les détenus et rendent compte publiquement de leurs conclusions ;

b) Veiller à ce que toutes les personnes privées de liberté aient accès à des mécanismes de plainte efficaces et indépendants ;

c) Veiller à ce que l ’ institution nationale de défense des droits de l ’ homme nouvellement créée dispose de toutes les ressources et de l ’ accès nécessaires pour s ’ acquitter de ses fonctions de contrôle de tous les lieux de privation de liberté, et qu ’ elle soit en mesure de recevoir et d ’ examiner les plaintes relatives à la torture et aux mauvais traitements en détention ;

d) Autoriser les organisations de la société civile et les autres organismes s ’ intéressant à la protection et à la promotion des droits de l ’ homme à avoir accès aux lieux de détention et de privation de liberté ;

e) Envisager de ratifier le Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants dans les meilleurs délais.

Institution nationale des droits de l’homme

27.Le Comité se félicite de la création par l’État partie d’une institution nationale des droits de l’homme, par la loi fédérale no 12 de 2021, et attend avec intérêt son accréditation conformément aux principes concernant le statut des institutions nationales pour la promotion et la protection des droits de l’homme (Principes de Paris). Il accueille également avec satisfaction les informations fournies par la délégation concernant la création d’un comité national des droits de l’homme chargé d’assurer la coordination avec les mécanismes des droits de l’homme des Nations Unies (art. 2, 12 et 13).

28. Le Comité engage l ’ État partie à doter l ’ institution nationale des droits de l ’ homme de toutes les ressources techniques, financières et humaines nécessaires et à garantir son indépendance politique et financière en vue de son accréditation conformément aux Principes de Paris. Il recommande à l ’ État partie d ’ envisager la création d ’ un comité national de coordination permanent, doté des ressources nécessaires pour assurer la liaison avec le système des droits de l ’ homme des Nations Unies, notamment aux fins de l ’ élaboration et de la présentation des rapports aux organes créés en vertu d ’ un instrument international, conformément à la résolution 42/30 du Conseil des droits de l ’ homme.

Réparation, notamment indemnisation et réadaptation

29.Le Comité prend note des informations fournies par l’État partie concernant la création de lieux d’accueil pour les victimes d’actes de torture et la possibilité d’obtenir une indemnisationà titre de réparation judiciaire, mais il regrette que l’État partie n’ait pas fourni d’informations complètes sur les réparations accordées aux victimes d’actes de torture ou de mauvais traitements dans le cadre des recours civils prévus par la législation en vigueur ou de tout autre recours utile qui permette à ces victimes de réclamer des dommages-intérêts pour préjudice pécuniaire et non pécuniaire et d’obtenir des moyens de réadaptation médicale et psychosociale. Il s’inquiète de l’inaction dont feraient preuve les autorités s’agissant d’enquêter sur les actes de torture et de poursuivre et sanctionner leurs auteurs (art. 12 et 14).

30. Le Comité rappelle à l ’ État partie que le fait de ne pas enquêter sur des allégations de torture, de ne pas engager de poursuites pénales ou de ne pas permettre l ’ ouverture sans délai d ’ une action civile peut constituer un déni de facto du droit à réparation et représenter par conséquent une violation des obligations découlant de l ’ article 14 de la Convention . L ’ État partie devrait veiller à ce que les victimes d ’ actes de torture et de mauvais traitements obtiennent réparation, y compris les moyens d ’ une réadaptation aussi complète que possible, et qu ’ elles puissent réclamer des dommages ‑ intérêts pour préjudice pécuniaire et non pécuniaire et avoir accès à une réadaptation médicale et psychosociale . Le Comité lui recommande également d ’ envisager de renouveler son soutien financier au Fonds de contributions volontaires des Nations Unies pour les victimes de la torture.

Violence fondée sur le genre et pratiques préjudiciables

31.Le Comité salue les réformes juridiques engagées par l’État partie pour lutter contre la violence domestique. Il regrette toutefois que l’article 10 du décret-loi fédéral no 10 de 2019 exige que le ministère public propose aux victimes un règlement par conciliation, ce qui peut conduire à l’impunité des auteurs d’infractions. Il est en outre préoccupé par les informations indiquant que la pratique des mutilations génitales féminines persiste dans l’État partie et par l’absence de législation incriminant expressément cette pratique (art. 2, 4, 12 et 16).

32. L ’ État partie devrait prendre des mesures efficaces pour que tous les cas de violence fondée sur le genre, notamment de violence domestique et de pratiques néfastes, et spécialement ceux qui sont liés à des actes ou des omissions de la part des pouvoirs publics ou d ’ autres entités qui engagent la responsabilité internationale de l ’ État partie au regard de la Convention, fassent l ’ objet d ’ une enquête approfondie, que les auteurs des faits soient systématiquement poursuivis et, s ’ ils sont reconnus coupables, dûment sanctionnés, et que les victimes ou leur famille obtiennent réparation, notamment sous la forme d ’ une indemnisation appropriée et d ’ une réadaptation complète. Le Comité recommande également à l ’ État partie d ’ envisager d ’ adopter une législation incriminant expressément les mutilations génitales féminines, et de lancer une campagne de sensibilisation aux dangers et à l ’ interdiction des mutilations génitales féminines, en vue de leur élimination.

Aveux obtenus par la torture et les mauvais traitements

33.Le Comité se félicite de la promulgation du décret-loi fédéral no 28 de 2020, qui a modifié l’article 2 du Code de procédure pénale afin d’interdire expressément l’utilisation de preuves obtenues par la torture, mais il regrette que l’État partie n’ait pas fourni de données concernant le nombre de cas dans lesquels des preuves ont été jugées irrecevables pour ce motif. Il est en outre préoccupé par les informations concernant des cas de déclarations de culpabilité fondées uniquement sur des aveux obtenus par la torture (art. 2 et 15).

34. L ’ État partie devrait prendre des mesures efficaces pour faire en sorte que, dans la pratique, les aveux obtenus par la torture ou par des mauvais traitements soient déclarés irrecevables et donnent lieu à une enquête. Le Comité l ’ invite à lui faire parvenir des informations sur toute affaire dans laquelle des aveux ont été déclarés irrecevables au motif qu ’ ils avaient été obtenus par la torture ou par des mauvais traitements, et à indiquer si les fonctionnaires responsables d ’ avoir extorqué ces aveux ont été poursuivis et punis.

Conditions de détention

35.Le Comité prend note des informations fournies par l’État partie au sujet de la loi fédérale no 43 de 1992, mais il est préoccupé par les informations décrivant des conditions de détention pouvant s’apparenter à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (art. 16).

36. Le Comité engage l ’ État partie à redoubler d ’ efforts pour rendre les conditions de détention conformes à l ’ Ensemble de règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus (Règles Nelson Mandela), et pour enquêter sur tous les actes constitutifs de traitements cruels, inhumains ou dégradants et poursuivre et sanctionner leurs auteurs.

Peine de mort

37.Le Comité prend note des informations fournies par l’État partie concernant le nombre de condamnations à la peine capitale prononcées ces dernières années et le mécanisme de réduction des peines en consultation avec les familles des victimes. Il regrette toutefois que la peine de mort soit toujours prévue par la loi et que des condamnations à mort continuent d’être prononcées. Il note avec préoccupation que, selon les informations fournies par l’État partie, les personnes condamnées à la peine capitale peuvent passer des années dans le couloir de la mort (art. 2 et 16).

38. Le Comité invite l ’ État partie à instaurer un moratoire sur la peine de mort et à prendre les mesures voulues pour commuer toutes les condamnations à mort en d ’ autres peines, et l ’ exhorte à améliorer les conditions de détention des condamnés à mort. Il invite aussi l ’ État partie à envisager de ratifier le deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, visant à abolir la peine de mort.

Procédure de suivi

39. Le Comité demande à l ’ État partie de lui faire parvenir, le 29 juillet 2023 au plus tard, des informations sur la suite qu ’ il aura donnée à ses recommandations concernant l ’ incrimination de la torture, la prévention et la réparation des actes de torture dans le contexte de la participation de l ’ État partie au conflit au Yémen, la lutte contre le terrorisme et la violence fondée sur le genre (voir plus haut, par. 8, 16 a) et e), 18 et 32). L ’ État partie est aussi invité à informer le Comité des mesures qu ’ il prévoit de prendre pour appliquer, d ’ ici la soumission de son prochain rapport, tout ou partie des autres recommandations formulées dans les présentes observations finales.

Autres questions

40. Le Comité encourage l ’ État partie à étudier la possibilité de faire les déclarations prévues aux articles 21 et 22 de la Convention et à retirer ses réserves aux articles 20 et 30 (par. 2) de la Convention.

41. Le Comité recommande à l ’ État partie de renforcer sa coopération avec les mécanismes des Nations Unies relatifs aux droits de l ’ homme, notamment en autorisant les visites, entre autres, de la Rapporteuse spéciale sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, de la Rapporteuse spéciale sur la promotion et la protection des droits de l ’ homme et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste, du Rapporteur spécial sur les droits humains des migrants, de la Rapporteuse spéciale sur la violence contre les femmes et les filles, ses causes et ses conséquences, du Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires , sommaires ou arbitraires, du Groupe de travail sur la détention arbitraire et de la Rapporteuse spéciale sur la situation des défenseurs des droits de l ’ homme.

42. L ’ État partie est invité à diffuser largement le rapport soumis au Comité ainsi que les présentes observations finales, dans les langues voulues, au moyen des sites Web officiels et par l ’ intermédiaire des médias et des organisations non gouvernementales, et à informer le Comité des activités menées à cet effet.

43.Le Comité prie l ’ État partie de soumettre son prochain rapport périodique, qui sera le deuxième, le 29 juillet 2026 au plus tard. À cette fin, il invite l ’ État partie à accepter d ’ ici au 29 juillet 2023 la procédure simplifiée d ’ établissement des rapports, dans le cadre de laquelle le Comité communique à l ’ État partie une liste de points avant que celui-ci ne soumette le rapport attendu. Les réponses de l ’ État partie à cette liste constitueront le deuxième rapport périodique qu ’ il soumettra en application de l ’ article 19 de la Convention.