NATIONS UNIES

CAT

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr.RESTREINTE*

CAT/C/41/D/257/200421 novembre 2008

FRANÇAISOriginal: ANGLAIS

COMITÉ CONTRE LA TORTUREQuarante et unième session (3-21 novembre 2008)

DÉCISION

Communication n o 257/2004

Présentée par:

Kostadin Nikolov Keremedchiev (non représenté par un conseil)

Au nom de:

Kostadin Nikolov Keremedchiev

État partie:

Bulgarie

Date de la requête:

28 septembre 2004 (lettre initiale)

Date de la présente décision:

11 novembre 2008

Objet: Torture ou mauvais traitements pendant l’arrestation

Questions de fond: Torture, peine ou traitement cruel, inhumain ou dégradant; absence d’enquête

Articles de la Convention: 1er (par. 1), 10, 11, 12 et 16.

[ANNEXE]

ANNEXE

DÉCISION DU COMITÉ CONTRE LA TORTURE AU TITRE DE L’ARTICLE 22 DE LA CONVENTION CONTRE LA TORTURE ET AUTRES PEINES OU TRAITEMENTS CRUELS, INHUMAINS OU DÉGRADANTS

− Quarante et unième session −

concernant la

Communication n o  257/2004

Présentée par:

Kostadin Nikolov Keremedchiev (non représenté par un conseil)

Au nom de:

Kostadin Nikolov Keremedchiev

État partie:

Bulgarie

Date de la requête:

28 septembre 2004 (lettre initiale)

Le Comité contre la torture, institué en vertu de l’article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 11 novembre 2008,

Ayant achevé l’examen de la requête no 257/2004, présentée par M. Kostadin Nikolov Keremedchiev en vertu de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par le requérant,

Adopte la décision ci-après au titre du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture.

1. Le requérant est M. Kostadin Nikolov Keremedchiev, de nationalité bulgare, né en 1973. Il se déclare victime de violations par la Bulgarie du paragraphe 1 de l’article premier de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et des articles 10, 11, 12 et 16. Il n’est pas représenté.

Rappel des faits présentés par le requérant

2.1Pendant l’hiver 2003, le requérant travaillait au restaurant Hizhata situé sur le mont Snezhanka, dans la station de ski de Pamporovo (Bulgarie). Le 3 février 2003, il a passé la soirée avec des amis dans un bar à Pamporovo. Sur le chemin du retour, vers 6 heures le lendemain matin, il a décidé d’attendre dans le hall de l’hôtel Murgavets le premier télésiège de 8 heures pour rentrer chez lui sur le mont Snezhanka; il s’est endormi et a été réveillé par quelqu’un qui lui donnait des coups de pied. L’individu, que le requérant ne connaissait pas, voulait qu’il quitte l’hôtel. Le requérant a expliqué pourquoi il attendait là et a dit qu’il n’en avait plus que pour une heure. La même personne est revenue accompagnée d’un autre homme, et tous deux ont de nouveau essayé de le faire partir.

2.2Peu de temps après, deux policiers sont arrivés et ont invectivé le requérant, lui ont passé les menottes et lui ont demandé de présenter sa carte d’identité. Ils l’ont ensuite fait sortir de l’hôtel; ils lui ont donné des coups de pied «une ou deux fois». Le requérant leur a demandé d’arrêter mais ils l’ont poussé et il est tombé. Il a appelé à l’aide et les policiers lui ont ordonné de se taire mais il a continué; il a été frappé à coups de pied et de matraque jusqu’à perdre connaissance. Quand il est revenu à lui, il était dans une voiture de patrouille, menotté et les jambes entravées. Il a été à nouveau brutalisé et l’un des policiers aurait tenté de l’étrangler, ce qui lui avait de nouveau fait perdre connaissance. Les policiers l’ont fait sortir de la voiture en le menaçant de l’abattre. Le requérant s’est réveillé dans une cellule de la Direction de la police régionale de Chepelare et a demandé à voir un médecin, qui est arrivé deux heures plus tard. Il lui a demandé de lui ôter ses chaînes et de lui donner un médicament mais le médecin a répondu qu’il était là uniquement pour contrôler son taux d’alcoolémie. Plus tard, le requérant a été inculpé de vandalisme, selon lui parce qu’il avait dit aux policiers qui l’avaient brutalisé qu’il allait porter plainte.

2.3Le 5 février 2003 au matin, le requérant a été remis en liberté. Il a passé des examens médicaux effectués par trois médecins, qui ont tous attesté qu’il présentait des lésions; un médecin a confirmé que ces lésions pouvaient avoir été causées le jour indiqué par le requérant et dans les circonstances qu’il avait décrites. Selon le requérant, un des médecins a déclaré que la Direction de la police régionale lui avait «conseillé» de ne pas lui établir de rapport médical. Le 4 avril 2003, le requérant a déposé une plainte au sujet de l’agression auprès du bureau du procureur militaire régional à Plovdiv, qui a ouvert une enquête. Le 23 septembre 2003, le procureur militaire adjoint de Plovdiv a conclu que même si le requérant avait subi une «légère lésion corporelle», les policiers avaient agi légalement. L’affaire a été classée. Le 13 novembre 2003, le requérant a fait appel de cette décision devant le tribunal militaire de Plovdiv au motif qu’elle était infondée et entachée d’irrégularités de procédure. Le 24 novembre 2003, le tribunal militaire a confirmé la décision du Procureur. Le requérant fait valoir qu’il a épuisé les recours internes parce que la loi ayant été modifiée en 2003, ces décisions ne sont plus susceptibles de recours devant la Cour suprême.

Teneur de la plainte

3.Le requérant fait valoir que le traitement qui lui a été infligé par des policiers et pour lequel les autorités de l’État partie ne lui ont assuré aucune réparation constitue une violation du paragraphe 1 de l’article premier et des articles 10, 11, 12 et 16 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Dans une note du 30 novembre 2004, l’État partie a soumis ses observations et fait valoir que la requête était irrecevable pour deux raisons: a) le requérant n’avait pas épuisé les recours internes, et b) les actes des policiers ne constituaient pas des actes de «torture» au sens du paragraphe 1 de l’article premier de la Convention. Il a souligné que, conformément à l’article 359 du Code de procédure pénale les jugements définitifs faisaient l’objet d’une vérification et que les affaires pénales pouvaient être rouvertes pour des motifs énumérés à l’article 362. Il n’a pas contesté l’argument du requérant qui affirme que, jusqu’au 30 mai 2003, le Code de procédure pénale prévoyait la possibilité de se pourvoir devant la Cour suprême pour attaquer une décision du tribunal militaire régional, possibilité qui a été supprimée par une modification du Code pénal. En application du paragraphe 4 de l’article 237 du Code, la décision du tribunal militaire régional de Plovdiv est définitive et non susceptible d’appel. L’État partie a indiqué que, depuis le 30 mai 2003 toutefois, ces décisions pouvaient faire l’objet d’un examen conformément aux dispositions du chapitre XVIII du Code de procédure pénale (réouverture des affaires pénales). Le requérant aurait donc pu demander au Procureur militaire ou au Procureur général d’examiner la décision et l’un ou l’autre aurait pu demander à la Cour suprême de rouvrir l’affaire. Selon l’État partie, le requérant ne s’était pas prévalu de ce moyen et n’avait donc pas épuisé les recours internes.

4.2L’État partie a fait valoir que la façon dont les policiers avaient traité le requérant ne relevait pas de la définition des actes de «torture» donnée à l’article premier de la Convention. Il a fait observer:

a)Que les policiers n’avaient pas agi avec l’intention d’infliger une douleur ou des souffrances aiguës au requérant dans le but de parvenir à l’une quelconque des fins définies dans la première phrase du paragraphe 1 de l’article premier de la Convention. Selon l’État partie, les documents présentés par le requérant montrent que les policiers ont agi dans le respect des dispositions de l’article 78 (par. 1.1 et 1.2) de la loi sur le Ministère de l’intérieur, qui «autorise l’emploi de la force physique et d’autres moyens si les policiers ne peuvent pas exercer leurs fonctions autrement et en cas de résistance ou de refus d’obtempérer à un ordre légitime»;

b)Que les actes des policiers relèvent de la définition énoncée à la seconde phrase du paragraphe 1 de l’article premier de la Convention, parce que la douleur ou les souffrances subies par le requérant résultaient «uniquement de sanctions légitimes», ou étaient «inhérentes à ces sanctions ou occasionnées par elles». D’après l’État partie, les documents présentés par le requérant montrent que les actes des policiers constituaient bien de telles «sanctions légitimes». Par conséquent, toute douleur ou souffrance éventuellement causée au requérant ne correspond pas à ce qui est défini au paragraphe 1 de la Convention.

4.3L’État partie a fait observer que le requérant a été reconnu coupable de vandalisme (art. 325, par. 2, du Code de procédure pénale) d’atteinte aux biens (la voiture de police, conformément à l’article 216 du Code de procédure pénale) à l’issue de trois procédures successives: en première instance le 11 novembre 2003, en appel le 16 février 2004 et par la Cour suprême le 2 novembre 2004. L’État partie a conclu que compte tenu de ce comportement, «à l’évidence, les policiers devaient appliquer des mesures licites contre le requérant afin de faire cesser ses actes de vandalisme».

Commentaires du requérant

5.Dans une réponse du 4 janvier 2005, le requérant a contesté l’argument de l’État partie qui affirme qu’il n’avait pas épuisé les recours internes. Il a joint une copie de la demande d’examen datée du 25 mars 2004 qu’il avait adressée au Procureur général en vertu de l’article 362 du Code de procédure pénale, ainsi qu’une copie de la réponse du bureau du Procureur suprême du 26 mai 2004, signée par le Procureur général. Le Procureur avait conclu que l’enquête n’était pas partiale, ni incomplète du seul fait que certains témoins n’avaient pas été interrogés. Le requérant a également fait valoir qu’il ressortait clairement de l’arrêt de la Cour suprême du 2 novembre 2004, confirmant sa condamnation pour vandalisme, que la décision était définitive et non susceptible de recours. Il a signalé qu’il envisageait de saisir la Cour européenne des droits de l’homme d’une requête pour violation du droit à un procès équitable (garanti à l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme).

Décision du Comité sur la recevabilité

6.1Le Comité a examiné la recevabilité de la requête à sa trente‑sixième session, en mai 2006. Il s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’avait pas été et n’était pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Il a noté qu’en avril 2005 le requérant avait saisi la Cour européenne des droits de l’homme d’une requête enregistrée sous le no 17720/05, et a relevé que sur le fond cette requête se rapportait aux mêmes faits (utilisation de la force par des policiers contre le requérant). Cependant, la requête est toujours pendante et n’a pas encore été transmise à l’État partie. Le Comité a estimé que dans ces circonstances on ne pouvait pas considérer que l’affaire «avait été» ou «était» examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement, au sens du paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention. Par conséquent, le Comité n’était pas empêché d’examiner la requête.

6.2En ce qui concerne l’obligation d’épuisement des recours internes, le Comité a noté que l’État partie avait contesté la recevabilité de la requête au motif que tous les recours internes disponibles et utiles n’avaient pas été épuisés. Il a noté également toutefois que le requérant avait répondu qu’il avait saisi le Procureur général d’une demande d’examen que celui‑ci avait rejetée, et qu’il avait apporté la preuve de cette demande ainsi que de la décision du Procureur général. Dans ces circonstances et étant donné que l’État partie n’a donné aucune information supplémentaire à l’appui de son argument, le Comité a conclu que les conditions énoncées au paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention ne l’empêchaient pas d’examiner la requête.

6.3Le Comité a pris note des allégations du requérant qui affirme que les policiers ont usé d’une force excessive contre lui et qu’il n’a pas pu obtenir réparation dans l’État partie. Il a également noté que pour l’État partie, les policiers avaient agi légalement, dans le cadre de leurs compétences définies par la loi sur le Ministère de l’intérieur et que leurs actes ne constituaient pas des actes de «torture» au sens du paragraphe 1 de l’article premier de la Convention. Il a considéré néanmoins que ce grief avait été suffisamment étayé aux fins de la recevabilité. Il a conclu que la requête était recevable et a invité l’État partie à faire connaître ses observations sur le fond.

Observations de l’État partie sur le fond

7.1Dans une note du 27 février 2008, l’État partie a fait part de ses observations sur le fond. Il conteste la version des faits donnée par le requérant et affirme qu’après s’être endormi sur une table dans le hall de l’hôtel Murgavets, le requérant a été réveillé à deux reprises par le personnel de l’hôtel qui l’a prié de quitter les lieux. Le requérant a refusé de partir et est devenu violent, frappant les tables et les chaises et jetant les cendriers par terre. C’est pourquoi la police a été appelée. Deux policiers sont arrivés et lui ont demandé ses papiers d’identité. Le requérant a refusé et est devenu violent, s’est mis à lancer des invectives et des insultes et a résisté violemment aux tentatives de lui faire quitter l’hôtel. Les policiers ont été obligés d’utiliser la force nécessaire pour le contenir, conformément aux paragraphes 1.1 et 1.2 de l’article 78 de la loi sur le Ministère de l’intérieur. Ils lui ont passé les menottes, l’ont fait sortir de l’hôtel et lui ont ordonné de monter dans la voiture de patrouille. De nouveau il résistait avec violence et il a donc fallu utiliser la force nécessaire pour le mettre dans la voiture, après quoi il a été emmené au poste de police. Il a continué à être agressif dans la voiture. En raison de ce comportement, les policiers ont établi un procès‑verbal, conformément au décret sur la répression du vandalisme mineur. Le requérant a refusé de le signer et l’a couvert de gribouillis. Les policiers ont signalé l’affaire à la Direction de la police régionale de Chepelare, qui leur a donné pour instruction de conduire le requérant dans ses locaux. Pendant son transport du poste de police à la Direction de la police régionale, le requérant a de nouveau opposé violemment une résistance, brisant notamment le pare‑brise de la voiture de police; il a donc fallu l’immobiliser.

7.2Le requérant a été détenu pendant vingt‑quatre heures à la Direction de la police régionale de Chepelare, où il a demandé à voir un médecin qui l’a examiné avant qu’il soit placé en cellule. Le médecin a établi que le requérant était très agité, sentait nettement l’alcool, criait et tenait des propos injurieux. Le requérant a refusé l’injection de tranquillisant qui lui était proposée. En ce qui concerne son examen physique, le médecin a confirmé que le requérant ne présentait «aucune marque de lésions corporelles au visage ni à la tête». Le 5 février 2003 vers midi, le requérant a été remis en liberté. Il a été inculpé de vandalisme et reconnu coupable de ce chef par le tribunal de district de Chepelare. Le tribunal a examiné les rapports médicaux produits par le requérant dont les conclusions, selon l’État partie, indiquaient qu’il avait subi une «légère lésion corporelle».

7.3Sur le fond, l’État partie réitère ses arguments concernant la recevabilité et maintient qu’il n’a porté atteinte à aucun des droits du requérant. En ce qui concerne les allégations de violation des articles 10 et 11, il fait valoir qu’aucun de ces griefs n’est étayé. En tout état de cause, il donne des renseignements détaillés sur la manière dont il a mis en œuvre ces deux articles et rappelle notamment les informations qu’il a présentées au Comité à l’occasion de l’examen de son troisième rapport périodique, en 2004. Il explique que dans le cadre de la surveillance systématique sur les règles, instructions, méthodes et pratiques d’interrogatoire, il a publié en2003 deux documents sur la procédure que les policiers doivent suivre lorsqu’ils placent unepersonne en détention et un troisième sur le Code de conduite des policiers. De même, l’État partie conteste le grief tiré de l’article 12 de la Convention et rappelle la succession des recours formés par le requérant, qui montre que les autorités ont conduit sans délai une enquête impartiale. Pour ce qui est de l’article 16, l’État partie réitère les arguments qu’il a exposés en ce qui concerne la recevabilité de la requête au regard de l’article premier. Il renvoie à sa version des faits, notamment au comportement violent de l’auteur après qu’il a été prié de quitter l’hôtel, à sa résistance à l’arrestation et aux dommages qu’il a occasionnés à la voiture de police. Il fait valoir que le requérant a été reconnu coupable par trois juridictions du pays et réaffirme que les policiers ont agi légalement au sens du paragraphe 1.2 de l’article 78 de la loi sur le Ministère de l’intérieur.

Commentaires du requérant

8.Le 27 mars 2008, le requérant a fait part de ses commentaires sur les observations de l’État partie. Il affirme être resté menotté et les jambes enchaînées de 6 heures à 10 heures puis avoir été détenu pendant trente heures dans une «cage», toujours menotté. Il fait valoir qu’il est impossible qu’il ait endommagé la voiture de police puisqu’il était menotté et avait les jambes enchaînées pendant tout le trajet jusqu’à la prison. Il fait observer que seules les déclarations des deux policiers ont été prises en considération par les autorités nationales et que même le certificat médico‑légal n’a pas été pris au sérieux. Bien que ce certificat ait été attesté par trois médecins et qu’il fasse état d’un grand nombre de blessures ainsi que de contusions des reins et de présence de sang dans les urines, il a été considéré par le tribunal et est considéré par l’État partie comme la preuve d’une simple «légère lésion corporelle».

Délibérations du Comité

Examen au fond

9.1Le Comité a examiné la requête à la lumière de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties, conformément au paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention.

9.2Le Comité prend note du grief du requérant qui dit avoir été soumis à la torture telle qu’elle est définie au paragraphe 1 de l’article premier de la Convention ou à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants tels qu’ils sont définis au paragraphe 1 de l’article 16. Il relève que les parties divergent sur les circonstances exactes de l’arrestation et le degré de la force utilisée contre le requérant mais que les tribunaux nationaux ont estimé que les rapports médicaux ne faisaient état que d’une «légère lésion corporelle» infligée au requérant. Il observe que, conformément à la décision du 23 septembre 2003, le médecin qui a examiné le requérant en détention immédiatement après son arrestation a attesté n’avoir constaté aucune ecchymose sur le visage, la tête ou les bras, ce qui semble être contredit par les rapports médicaux établis par la suite. L’État partie adopte l’interprétation faite par les tribunaux des rapports médicaux, selon laquelle les lésions causées étaient légères et résultaient de l’application licite de la force nécessaire, conformément aux paragraphes 1.1 et 1.2 de l’article 78 de la loi sur le Ministère de l’intérieur.

9.3Ayant pris connaissance des rapports médicaux, le Comité relève que le requérant a subi de multiples ecchymoses sur diverses parties du corps, au point que les coups infligés ont provoqué une contusion des reins, et qu’il y avait du sang dans ses urines. En outre, le rapport médico‑légal daté du 12 juillet 2003, qui a été demandé par les autorités de l’État partie aux fins de l’enquête, confirme les lésions décrites dans les deux précédents rapports médicaux et indique que ces lésions pourraient s’être produites le jour indiqué par le requérant et dans les circonstances qu’il a décrites. Le Comité relève également que les rapports médicaux ne font pas état d’une «lésion corporelle légère» mais qu’il s’agit là de l’interprétation faite par la juridiction nationale. Le Comité reconnaît qu’une douleur et des souffrances peuvent résulter de l’arrestation légale d’un individu qui refuse de coopérer ou qui est violent, mais il estime que l’usage de la force dans de telles circonstances doit être strictement nécessaire et proportionné. L’État partie fait valoir que la force employée était «nécessaire» et indique que le requérant a dû être menotté, mais il ne précise pas en quoi consistait la force appliquée ni si le degré de force était proportionnée à la situation, c’est-à-dire qu’il n’explique pas pourquoi une telle force était nécessaire dans les circonstances particulières de l’affaire. Le Comité considère que les blessures du requérant sont trop importantes pour avoir été provoquées par l’utilisation d’une force proportionnée par deux policiers, d’autant que le requérant n’était apparemment pas armé. Il ne peut pas faire sienne l’interprétation des juridictions nationales qui ont estimé que le requérant avait subi une «lésion corporelle légère» résultant de la force employée contre lui. Au vu des éléments dont il est saisi, le Comité note que les blessures infligées ne semblent pas constituer «une douleur ou des souffrances aiguës» au sens du paragraphe 1 de l’article premier, mais il considère que le traitement infligé au requérant par les fonctionnaires de police équivaut à des actes constitutifs de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants définis à l’article 16 de la Convention.

9.4Pour ce qui est du grief de violation de l’article 12, le Comité note que l’État partie a bien procédé sans délai à une enquête sur l’incident, mais note qu’une enquête en soi ne suffit pas pour démontrer que l’État partie s’est acquitté des obligations qui découlent de cet article s’il peut être montré qu’elle n’a pas été menée impartialement. À ce propos le Comité relève que le requérant affirme que l’un des médecins en question avait été prié par les autorités de police de ne pas transmettre au requérant de rapport médical et que le Procureur n’avait pas convoqué certains témoins, deux éléments que l’État partie n’a pas contestés. Il note aussi que le bureau du Procureur a donné des rapports médicaux la même interprétation que les tribunaux nationaux et ont conclu que le requérant souffrait d’une «lésion corporelle légère», interprétation déjà contestée par le Comité dans sa constatation de violation de l’article 16. En conséquence, le Comité estime que l’État partie a également violé l’article 12 de la Convention.

9.5En ce qui concerne les allégations de violation des articles 10 et 11, étant donné que le requérant n’a pas apporté d’arguments ni d’informations à l’appui de ces griefs, le Comité n’est pas en mesure de faire une quelconque constatation au sujet des droits qui sont protégés par ces articles.

10.Le Comité, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article 12 et du paragraphe 1 de l’article 16 de la Convention.

11.Conformément au paragraphe 5 de l’article 111 de son règlement intérieur, le Comité engage instamment l’État partie à accorder une réparation appropriée au requérant, y compris sous la forme d’une indemnisation équitable et adéquate pour les souffrances infligées, conformément à son Observation générale no 2, ainsi qu’une réadaptation médicale, et à lui faire parvenir, dans un délai de quatre‑vingt‑dix jours à compter de la date de transmission de la présente décision, des renseignements sur les mesures qu’il aura prises pour donner effet à ses constatations ci‑dessus.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol, en français et en russe. Paraîtra ultérieurement en arabe et en chinois dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

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