NATIONS UNIES

CAT

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr.RESTREINTE*

CAT/C/41/D/306/200621 novembre 2008

FRANÇAISOriginal: ANGLAIS

COMITÉ CONTRE LA TORTUREQuarante et unième session3-21 novembre 2008

DÉCISION

Communication n o 306/2006

Présentée par:

E. J. et consorts (représentés par un conseil)

Au nom de:

E. J. et consorts

État partie:

Suède

Date de la requête:

24 octobre 2006 (lettre initiale)

Date de la présente décision:

14 novembre 2008

Objet: Menace d’expulsion des requérants vers l’Azerbaïdjan

Questions de fond: Risque de torture encouru par les requérants à leur retour dans leur pays d’origine

Article de la Convention: 3

[ANNEXE]

ANNEXE

DÉCISION DU COMITÉ CONTRE LA TORTURE EN VERTU DE L’ARTICLE 22 DE LA CONVENTION CONTRE LA TORTURE ET AUTRES PEINES OU TRAITEMENTS CRUELS, INHUMAINS OU DÉGRADANTS

Quarante et unième session

concernant la

Communication n o  306/2006

Présentée par:

E. J. et consorts (représentés par un conseil)

Au nom de:

E. J. et consorts

État partie:

Suède

Date de la requête:

24 octobre 2006 (lettre initiale)

Le Comité contre la torture, institué en vertu de l’article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 14 novembre 2008,

Ayant achevé l’examen de la requête no 306/2006, présentée par E. J. et consorts en vertu de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les requérants, leur conseil et l’État partie,

Adopte la décision ci-après au titre du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture.

1.1Les requérants sont E. J. et d’autres personnes, toutes de nationalité azerbaïdjanaise, qui se trouvent actuellement en Suède en attente d’expulsion vers l’Azerbaïdjan. Ils affirment que leur expulsion constituerait une violation par la Suède de l’article 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Ils sont représentés par un conseil.

1.2Le 26 octobre 2006, le Rapporteur chargé des nouvelles requêtes et des mesures provisoires de protection, agissant au titre du paragraphe 1 de l’article 108 du règlement intérieur du Comité, a prié l’État partie de ne pas expulser les requérants vers l’Azerbaïdjan tant que le Comité n’aurait pas achevé l’examen de l’affaire. En date du 27 septembre 2007, l’État partie a accédé à cette demande.

Rappel des faits présentés par les requérants

2.1Le 14 janvier 2001, E. J., alors étudiant à Bakou, s’est inscrit au Parti démocratique d’Azerbaïdjan (PDA), un parti d’opposition dont l’objectif est d’instaurer la démocratie et le respect des droits de l’homme en Azerbaïdjan. Il y a occupé différentes fonctions, notamment celle de secrétaire du parti pour le district de Nerimov, du 18 mars au 21 octobre 2001. Par la suite, il est devenu «instructeur» et a été chargé des «questions stratégiques et de l’éducation». Il affirme que sa participation aux activités du PDA lui a valu d’être exclu de l’université et de l’équipe professionnelle de basket-ball dont il faisait partie.

2.2Le 21 juin 2003, E. J. a été arrêté alors qu’il participait à une manifestation à Bakou. Il a été conduit au poste de police, où il a été détenu avec d’autres membres du PDA pendant dix jours. Il affirme avoir été brutalisé par deux policiers. Notamment, il aurait reçu des coups de pied et des coups de matraque sur tout le corps pendant des périodes répétées d’une demi-heure, tous les jours, jusqu’à sa remise en liberté le 1er juillet 2003.

2.3Le 16 octobre 2003, E. J. a de nouveau été arrêté alors qu’il manifestait contre les résultats supposés frauduleux de l’élection présidentielle. Il a été déclaré coupable d’avoir frappé un policier, ce qu’il dément, et condamné à une peine d’emprisonnement de quinze jours, qu’il a exécutée. Il affirme avoir été violemment brutalisé à maintes reprises pendant cette période, au point qu’une fois il a perdu connaissance. Il ne décrit pas la nature des traitements subis, se contentant de dire qu’il s’agissait des mêmes brutalités que celles subies lors de sa première arrestation mais plus violentes. Il affirme aussi que pendant sa détention les autorités ont exercé des pressions pour l’inciter à mettre un terme à ses activités au sein du PDA.

2.4Les requérants affirment que si E. J. a été victime d’arrestations, d’humiliations et de graves violences, ce n’est pas seulement à cause de sa participation aux manifestations, mais aussi à cause de ses activités au sein du PDA. E. J. est convaincu que les autorités ont voulu faire de lui un exemple afin de dissuader d’autres personnes de s’engager dans des activités politiques.

2.5Début 2004, E. J. et sa femme auraient été constamment menacés par les autorités. À cause de ces menaces, A. J., alors enceinte, a été soumise à un stress important et a dû accoucher par césarienne d’un enfant, né handicapé. Le 20 mai 2004, E. J. a participé à une autre manifestation, au cours de laquelle la police a chargé les manifestants à coups de matraque. Des manifestants ont été arrêtés, mais E. J. a pu s’échapper. Par la suite, il s’est enfui avec sa famille en Fédération de Russie, puis en Suède où il a demandé l’asile le 12 août 2004.

2.6Le 31 mai 2005, le Conseil suédois des migrations a rejeté la demande d’asile du requérant. Il a relevé que l’Azerbaïdjan était membre du Conseil de l’Europe et s’était engagé à entreprendre des réformes juridiques pour garantir le respect des droits de l’homme. Il ne contestait pas les faits exposés par les requérants, mais jugeait peu probable qu’E. J. risque d’être persécuté à son retour en Azerbaïdjan. Les requérants ont fait appel devant la Commission de recours des étrangers, qui les a déboutés le 1er novembre 2005. Leur demande de permis de séjour permanent pour motifs humanitaires a également été refusée le 25 juillet 2006 et leur demande de révision de cette décision a été rejetée le 17 août 2006.

2.7Au sujet de la situation générale des droits de l’homme en Azerbaïdjan, les requérants joignent des rapports de Human Rights Watch (janvier 2006), d’Amnesty International (2005) et de la Fédération internationale Helsinki pour les droits de l’homme (2006), qui dénoncent tous l’existence d’un ensemble systématique de violations graves, flagrantes et massives des droits de l’homme, en particulier à l’encontre des opposants politiques.

Teneur de la plainte

3.Les requérants affirment que leur expulsion vers l’Azerbaïdjan constituerait une violation par la Suède de l’article 3 de la Convention, car E. J. court un risque réel d’y être torturé à cause de son appartenance au PDA et des activités qu’il a menées pour ce parti.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

4.1Dans une note du 27 septembre 2007, l’État partie a contesté la recevabilité et le fond de la requête. Il confirme que les requérants ont épuisé les recours internes, mais fait valoir que leur plainte est irrecevable parce qu’elle est manifestement dénuée de fondement et constitue un abus du droit de saisir le Comité du fait qu’elle est accompagnée de documents qui, pour l’État partie, ne sont pas authentiques. Il ajoute que, même si la requête était jugée recevable par le Comité, l’expulsion des requérants vers l’Azerbaïdjan ne constituerait pas une violation de la Convention.

4.2L’État partie renvoie à la jurisprudence du Comité, qui a considéré que l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives dans un pays ne constituait pas en soi un motif suffisant pour conclure qu’une personne donnée risquait d’être soumise à la torture à son retour dans ce pays. Il doit exister des motifs supplémentaires de penser que l’intéressé serait personnellement en danger. L’État partie renvoie également aux décisions dans lesquelles le Comité a estimé qu’au sens de l’article 3 de la Convention la personne concernée devait courir personnellement un risque prévisible et réel d’être torturée dans le pays dans lequel elle serait renvoyée. En outre, c’est à elle qu’il appartient de présenter des arguments dûment étayés, et le risque de torture doit être apprécié selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons, même s’il ne doit pas nécessairement être hautement probable. L’État partie attire l’attention du Comité sur le fait que plusieurs dispositions de sa loi sur les étrangers sont fondées sur le principe énoncé au paragraphe 1 de l’article 3 de la Convention, tant dans la version de 1989 que dans celle, modifiée, qui est entrée en vigueur en mars 2006. Il souligne que les autorités suédoises appliquent par conséquent le même type de critère que le Comité lorsque celui-ci examine des plaintes soumises au titre de la Convention.

4.3L’État partie fait valoir qu’il convient d’accorder le poids voulu aux décisions des autorités chargées de l’immigration, car celles-ci sont bien placées pour évaluer les informations fournies à l’appui d’une demande d’asile et apprécier la crédibilité du demandeur. C’est pourquoi il s’en remet aux décisions du Conseil suédois des migrations et de la Commission de recours des étrangers. En janvier 2007, il a sollicité l’assistance de l’ambassade de Suède à Ankara pour éclaircir certaines des questions soulevées dans cette affaire. L’ambassade a fait appel à un avocat de Bakou spécialisé dans la défense des droits de l’homme et bien introduit auprès des organisations de défense des droits de l’homme et des partis d’opposition d’Azerbaïdjan. Les résultats de l’enquête ont été consignés dans un rapport daté du 19 mars 2007: selon Akif Shahbazov, ancien Président du PDA, E. J. n’a jamais été membre de ce parti; de même, d’après le directeur de l’université, il n’a pas été exclu à cause de son appartenance politique mais parce qu’il n’avait pas payé les frais de scolarité; E. J. n’est pas non plus recherché par les autorités azerbaïdjanaises et il n’y a aucune trace d’une quelconque procédure passée ou en cours qui aurait été engagée contre lui.

4.4Au sujet des documents produits par les requérants, il ressort ce qui suit du rapport du 19 mars 2007: Akif Shahbazov nie avoir signé le document qui aurait été délivré par le PDA, et dont ce dernier n’a aucune trace, et nie également qu’E. J. soit membre du parti; les «lettres d’arrestation» du 21 juin 2003 et du 16 octobre 2003, en fait des «jugements» selon l’avocat chargé de l’enquête, ne figurent pas sur le registre du tribunal et les juges qui sont censés les avoir signées nient l’avoir fait; le document délivré par la police de Bakou le 22 mai 2004 est considéré comme un faux car il contient plusieurs erreurs de forme et de style; en outre, il n’y a pas trace de cette convocation dans les registres de la police, la personne dont le nom figure sur cette convocation n’a jamais travaillé comme enquêteur dans le service en question, et, en tout état de cause, une convocation de ce genre ne pouvait être délivrée que par les enquêteurs du bureau du Procureur militaire et non par la police de Bakou.

4.5Au vu de ce rapport, l’État partie conclut que les documents présentés par E. J. pour prouver son appartenance politique, ses activités et ses fonctions au sein du PDA, les arrestations dont il aurait fait l’objet en 2003, et le fait qu’il serait recherché par la police pour sa participation à la manifestation qui aurait lieu en mai 2004, ne sont pas authentiques. Ce rapport permet également de conclure qu’E. J. n’a jamais fait l’objet d’une quelconque décision judiciaire, qu’il n’est pas recherché par les autorités azerbaïdjanaises, qu’il n’a jamais été actif au sein du PDA, et que la relation qu’il a donnée de ses activités politiques et de ses deux arrestations suivies de détention est une invention, de même que le fait qu’il serait recherché par la police. Rien ne confirme qu’E. J. risquerait d’être arrêté et torturé à son retour en Azerbaïdjan à cause de ses activités politiques passées ou pour une autre raison. Même à supposer qu’il ait donné une description véridique de ses activités politiques passées, E. J. n’a pas démontré qu’il existait des motifs sérieux de croire que sa famille et lui-même courraient personnellement un risque d’être soumis à des traitements contraires à l’article 3 s’ils étaient expulsés vers l’Azerbaïdjan. Le PDA est une organisation politique légale et officiellement enregistrée, et le fait d’y adhérer n’est pas considéré comme une infraction pénale. Le requérant n’a occupé aucune fonction de dirigeant au sein du parti et les activités qu’il affirme avoir menées n’étaient pas suffisamment importantes pour qu’il suscite un intérêt particulier de la part des autorités azerbaïdjanaises à son retour. En outre, ces activités auraient eu lieu entre janvier 2001 et mai 2004, soit plus de quatre ans auparavant. Il convient aussi de tenir compte, pour apprécier des allégations de risque de torture, de la grâce présidentielle de 2005. En ce qui concerne les violences que le requérant aurait subies par le passé, l’État partie appelle l’attention du Comité sur le fait qu’aucun élément de preuve, d’ordre médical ou autre, n’a été produit à ce sujet.

4.6Au sujet de la situation générale des droits de l’homme en Azerbaïdjan, l’État partie souligne que le pays est membre du Conseil de l’Europe et qu’il a ratifié plusieurs des principaux instruments relatifs aux droits de l’homme, dont la Convention contre la torture. L’Azerbaïdjan a fait des progrès dans le domaine des droits de l’homme et une centaine de policiers ont été sanctionnés pour violations de ces droits en 2006. Un bureau du médiateur a été créé et un nouveau plan d’action pour la protection des droits de l’homme a été annoncé par le Président Aliyev en décembre 2006. Comme l’a noté le Conseil suédois des migrations dans sa décision du 31 mai 2005, un certain nombre de personnes définies comme des prisonniers politiques par le Conseil de l’Europe ont été libérées. Ces libérations faisaient suite à plusieurs grâces présidentielles accordées en 2004 et en 2005, dont a notamment bénéficié le dirigeant du PDA, S. Jalaloglu, au printemps de 2005.

4.7L’État partie ne sous-estime pas les inquiétudes légitimes qui pourraient être exprimées à propos du respect des droits de l’homme en Azerbaïdjan. Il note que des violations ont été signalées, notamment des cas de personnes arrêtées de manière arbitraire ou battues et torturées en détention par les forces de sécurité, en particulier des militants connus, et que la liberté de la presse et la liberté d’expression suscitent des préoccupations. Des membres de l’opposition ont été arrêtés et condamnés à des amendes ou à des peines d’emprisonnement à l’issue de procédures judiciaires qui n’étaient apparemment pas conformes aux exigences d’une procédure régulière. Les ONG estiment qu’une cinquantaine de prisonniers politiques étaient détenus par le Gouvernement azerbaïdjanais en 2006. Des dirigeants de l’opposition n’ont pas eu le droit de reprendre leurs activités politiques après avoir été libérés, et plusieurs membres de l’opposition qui avaient perdu leur emploi ont été empêchés d’en obtenir un nouveau. L’État partie est cependant d’avis, comme le Conseil des migrations, que la situation actuelle en Azerbaïdjan ne justifie pas que les demandeurs d’asile de ce pays aient globalement besoin de protection.

Commentaires des requérants sur les observations de l’État partie

5.1Le 16 mars 2008, les requérants ont fait part de leurs commentaires sur les observations de l’État partie. Ils répètent leurs arguments antérieurs et réaffirment qu’E. J. a donné tout au long de la procédure d’asile une relation cohérente des événements survenus en Azerbaïdjan, qui n’a jamais été mise en doute par les autorités. Sa crédibilité n’a pas été contestée par le Conseil suédois des migrations ni par la Commission de recours des étrangers, qui ont tous deux accepté les faits tels qu’il les exposait, même s’ils ont conclu qu’il avait été arrêté à cause de sa participation aux manifestations et non à cause de son rôle au sein du PDA. Les requérants reconnaissent qu’en raison d’une erreur de traduction les documents qu’ils ont apportés à l’appui de leur demande ont été désignés à tort comme étant des «lettres» ou des «mandats» d’arrestation, alors qu’il s’agissait de «jugements» comme l’a dit l’État partie.

5.2Les requérants font valoir qu’il leur est difficile de contester les références de l’avocat engagé par l’ambassade de Suède à Ankara étant donné qu’aucune précision n’est donnée à son sujet. Ils se demandent cependant si cet avocat est indépendant et s’il n’a aucun lien avec le régime au pouvoir, en soulignant qu’il règne dans le pays une corruption généralisée dont il faut, selon eux, tenir compte à l’heure d’apprécier la véracité des faits établis par l’avocat. Ils se demandent aussi comment cet avocat a pu obtenir toutes ces informations s’il n’a pas de liens avec le régime au pouvoir. Au sujet de la déclaration de Akif Shahbazov, qui a affirmé qu’E. J. n’avait jamais été membre du PDA, les requérants font valoir que l’État partie n’a présenté aucun élément de preuve écrit confirmant cette information qui n’a été donnée qu’oralement. Ils regrettent de n’avoir pu contacter eux-mêmes Shahbazov pour qu’il démente avoir fait une telle déclaration; selon eux, il est impossible de joindre cet homme depuis que son fils a été emprisonné en Azerbaïdjan. Au sujet des informations fournies par le directeur de l’université où E. J. était étudiant, les requérants expliquent qu’il va de soi que le responsable d’une institution contrôlée par l’État n’admettrait jamais avoir expulsé un militant politique, parce que cela reviendrait à reconnaître que des personnes sont persécutées à cause de leurs opinions politiques. Ils affirment également qu’E. J. était exempté des frais de scolarité à l’université en raison de ses performances sportives. Ils réaffirment que les jugements produits sont authentiques et ne comprennent pas pourquoi les juges qui les ont signés démentent l’avoir fait. Selon eux, il est possible que ces juges aient été menacés de représailles, entre autres par le Gouvernement, s’ils ne faisaient pas ces fausses déclarations. En résumé, l’État partie fonde sa décision sur les conclusions d’une seule personne: l’avocat qui a établi le rapport.

5.3Les requérants font valoir que même si le PDA est une organisation politique légale et officiellement enregistrée en Azerbaïdjan, cela ne garantit pas pour autant qu’E. J. ne sera pas arrêté et torturé à son retour. Il est déjà arrivé que des membres du PDA soient arrêtés et torturés, et plusieurs sources connues indiquent que le Gouvernement continue de persécuter les opposants politiques, qu’ils soient ou non membres d’un parti enregistré. E. J. jouait un rôle de dirigeant au sein du PDA, par rapport aux membres ordinaires, puisqu’il était le secrétaire du parti pour le district de Nerimov et que par la suite il a été nommé «instructeur» et responsable des «questions stratégiques et de l’éducation». Les requérants font valoir également qu’il est plus facile pour les autorités de persécuter ceux qui se trouvent aux échelons inférieurs d’un parti car ils ne sont pas protégés par la communauté internationale, contrairement aux dirigeants connus au niveau international. Selon eux, E. J. attirera encore plus les soupçons des autorités s’il rentre après quatre ans d’absence et il court donc un plus grand risque d’être arrêté et torturé. En réponse à l’État partie qui fait valoir qu’ils n’ont pas prouvé les tortures subies par le passé, les requérants affirment que le Comité doit évaluer le risque de torture qu’ils encourent à leur retour, autrement dit dans le futur et non pas dans le passé.

5.4Au sujet de l’argument de l’État partie qui fait valoir que les demandeurs d’asile d’Azerbaïdjan n’ont pas, d’une manière générale, besoin de protection, les requérants objectent qu’ils n’ont jamais prétendu le contraire et répètent seulement qu’E. J. court actuellement et personnellement un risque. Ils doutent que le Conseil suédois des migrations applique le même type de critère que le Comité lorsqu’il examine une demande d’asile en vertu de la loi sur les étrangers de 1989, car ce qu’il vérifie, c’est l’existence d’une «crainte bien fondée» plutôt que de «motifs sérieux» de croire que le demandeur serait soumis à la torture, comme prévu dans la Convention. Selon les requérants, les autorités suédoises rendent des décisions «standard» au sujet des demandeurs d’asile en provenance d’Azerbaïdjan qui affirment être persécutés en raison de leurs convictions politiques. À propos de la situation générale des droits de l’homme dans leur pays d’origine, les requérants indiquent qu’elle s’est dégradée et renvoient à cet égard à deux rapports du Rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains et dégradants au Conseil des droits de l’homme, d’où il ressort, selon eux, qu’il existe en Azerbaïdjan un ensemble systématique de violations graves, flagrantes et massives des droits de l’homme au sens de l’article 3 de la Convention. Ils renvoient également au rapport de 2006 du Ministère des affaires étrangères, dans lequel il est dit que, dans l’ensemble, la situation des droits de l’homme ne s’est pas améliorée en 2006. Ce rapport met en évidence l’existence de la torture et de mauvais traitements, de restrictions à la liberté d’expression, de l’oppression de la société civile, de brutalités policières et d’arrestations arbitraires.

Réponses complémentaires de l’État partie

6.Dans une note du 22 septembre 2008, l’État partie indique qu’il lui est arrivé à plusieurs reprises de faire appel à l’une de ses ambassades pour procéder à des vérifications en relation avec des requêtes soumises au Comité, notamment au sujet d’informations ou de documents présentés par les requérants, en particulier en ce qui concerne des demandeurs d’asile azerbaïdjanais. Il ressort des décisions adoptées par le Comité dans ces affaires que les conclusions contenues dans les rapports de l’ambassade de Suède à Ankara reposent aussi, de toute évidence, sur une vérification des informations et des documents apportés par l’intéressé. L’État partie fait observer que son ambassade à Ankara est tout à fait consciente de l’importance de faire appel à une personne intègre et discrète, ainsi que du caractère sensible des questions en cause. L’ambassade engage habituellement des experts externes pour l’aider à établir les rapports qu’elle présente dans les affaires de ce genre, et elle prend grand soin de choisir à cette fin des personnes appropriées, qui sont indépendantes des autorités et des partis politiques d’Azerbaïdjan. En l’espèce, elle a eu recours aux services d’un avocat de Bakou spécialisé dans la défense des droits de l’homme qui avait un vaste réseau de contacts parmi les organisations de défense des droits de l’homme et les partis politiques d’opposition d’Azerbaïdjan. L’État partie estime qu’il est légitime de ne pas donner l’identité de cet avocat pour des raisons de sécurité. Il précise cependant qu’il a déjà fait appel à lui dans le cadre d’une autre affaire soumise au Comité: Z. K. c. Suède, communication no 301/2006, constatations adoptées le 9 mai 2008, par. 4.5. En outre, les conclusions du rapport sont étayées par des faits vérifiables.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une requête, le Comité contre la torture doit déterminer si celle‑ci est recevable en vertu de l’article 22 de la Convention.

7.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’avait pas été examinée et n’était pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.3Conformément au paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention, le Comité n’examine pas une communication avant de s’être assuré que le requérant a épuisé tous les recours internes disponibles. Il note que l’État partie reconnaît qu’en l’espèce les recours internes ont été épuisés et conclut que les requérants ont satisfait aux prescriptions du paragraphe 5 b) de l’article 22.

7.4L’État partie affirme que la communication est irrecevable en vertu du paragraphe 2 de l’article 22 de la Convention parce qu’elle n’est pas étayée par le minimum de preuves requis aux fins de la recevabilité et parce qu’elle constitue un abus du droit de plainte du fait qu’elle est accompagnée de documents non authentiques. Le Comité est cependant d’avis que les griefs dont il est saisi soulèvent des questions de fond qui doivent être examinées sur le fond et pas seulement au regard de la recevabilité.

7.5En conséquence, le Comité juge la communication recevable et procède à son examen sur le fond.

Examen au fond

8.1Le Comité doit déterminer si, en renvoyant les requérants en Azerbaïdjan, l’État partie manquerait à l’obligation qui lui est faite en vertu de l’article 3 de la Convention de ne pas expulser ou refouler une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risque d’être soumise à la torture.

8.2Pour évaluer le risque de torture, le Comité tient compte de tous les éléments, y compris l’existence dans l’État où le requérant serait renvoyé d’un ensemble systématique de violations graves, flagrantes ou massives des droits de l’homme. Il s’agit cependant de déterminer si l’intéressé serait personnellement en danger dans ce pays. Dès lors, l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives dans le pays ne constitue pas en soi un motif suffisant pour établir que l’intéressé risque d’être soumis à la torture à son retour dans ce pays; il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser qu’il courrait personnellement un risque. De même, l’absence d’un ensemble de violations flagrantes et systématiques des droits de l’homme ne signifie pas qu’une personne ne puisse pas être considérée comme risquant d’être torturée dans les circonstances qui sont les siennes.

8.3Le Comité rappelle son Observation générale no 1 sur l’article 3, dans laquelle il a indiqué qu’il est tenu de déterminer s’il y a des motifs sérieux de croire qu’un requérant risque d’être soumis à la torture s’il est expulsé, refoulé ou extradé, et que l’existence d’un tel risque doit être appréciée selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons. Sans être nécessairement hautement probable, le risque doit néanmoins être encouru personnellement et actuellement. À ce propos, le Comité a conclu dans de précédentes décisions que le risque de torture devait être prévisible, réel et personnel. Il rappelle également que, conformément à son Observation générale no 1, il accorde un poids considérable aux constatations factuelles des organes de l’État partie intéressé lorsqu’il exerce ses compétences en application de l’article 3 de la Convention; toutefois, il n’est pas lié par de telles constatations et est au contraire habilité, en vertu du paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, à apprécier librement les faits en se fondant sur l’ensemble des circonstances de chaque affaire.

8.4Le Comité note que l’État partie se réfère, dans son argumentation contre les griefs formulés, à des informations contenues dans un rapport en date du 19 mars 2007 qui lui a été soumis par l’ambassade de Suède à Ankara et qui fait suite à une enquête conduite par une personne dont l’identité n’a pas été révélée par l’État partie. Il note également que cette enquête a eu lieu après la fin des procédures engagées au niveau national et que les requérants n’ont pas eu la possibilité de contester devant les juridictions internes les informations contenues dans le rapport ni les propos de l’enquêteur dont l’identité n’a pas été révélée. Le Comité considère par conséquent que l’État partie n’aurait pas dû se fonder sur ces informations pour déterminer si les requérants couraient personnellement un risque de torture, et lui-même n’entend pas en tenir compte dans son examen de la requête.

8.5Le Comité prend note des arguments d’E. J., qui affirme qu’il risque d’être torturé ou maltraité à cause de ses anciennes activités politiques s’il est expulsé vers l’Azerbaïdjan, et qui affirme également avoir déjà été soumis à la torture et aux mauvais traitements par le passé. Sur ce dernier point, le Comité note que les requérants n’ont apporté aucun élément permettant de prouver qu’E. J. avait été torturé et maltraité en Azerbaïdjan, et qu’en réponse aux arguments de l’État partie à ce sujet, ils se sont limités à dire que le Comité devait regarder vers l’avenir pour évaluer s’il existait un risque actuel de torture ou de mauvais traitements.

8.6En ce qui concerne la participation présumée d’E. J. à des activités politiques, le Comité note que ce dernier, même s’il a été membre du PDA, ne semble pas avoir occupé une fonction de dirigeant et ne devrait donc pas susciter un intérêt particulier de la part des autorités s’il était renvoyé en Azerbaïdjan. Rien ne montre non plus qu’il ait participé en Suède à une quelconque activité de nature à susciter l’intérêt de ces mêmes autorités quatre ans après son départ d’Azerbaïdjan. À ce propos, le Comité relève que les activités auxquelles E. J. aurait été mêlé ont eu lieu entre janvier 2001 et mai 2004, soit plus de quatre ans auparavant. Il relève en outre qu’un certain nombre de personnes définies comme des prisonniers politiques par le Conseil de l’Europe ont été libérées par les autorités azerbaïdjanaises en vertu de grâces présidentielles, dont le dirigeant du PDA lui-même, et que ce fait n’a pas été contesté par les requérants.

8.7De l’avis du Comité, les requérants n’ont produit aucun autre élément tangible pour montrer qu’E. J. courrait personnellement un risque de torture prévisible et réel s’il était renvoyé en Azerbaïdjan. Par conséquent, et compte tenu du fait que le cas des autres requérants est étroitement lié, voire subordonné, à celui d’E. J., le Comité considère que les autres requérants n’ont pas non plus démontré qu’ils courraient eux aussi, personnellement, un risque de torture prévisible et réel à leur retour en Azerbaïdjan. Il en conclut que leur renvoi dans ce pays n’emporterait pas une violation de l’article 3 de la Convention.

9.Le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, conclut que le renvoi par l’État partie des requérants en Azerbaïdjan ne constituerait pas une violation de l’article 3 de la Convention.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol, en français et en russe. Paraîtra ultérieurement en arabe et en chinois dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

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