NATIONS

UNIES

CCPR

Pacte international

Relatif aux droits

Civils et politiques

Distr.

Restreinte*

CCPR/C/78/D/1088/2002

22 août 2003

Original: FRANÇAIS

Comité des droits de l’homme

soixante-dix-huitième session

14 juillet - 8 août 2003

DÉCISION

Communication N ° 1088/2002

Présentée par:Bernard Veriter

Au nom de :L’auteur

Etat-partie :France

Date de la communication :16 août 2001 (date de la lettre initiale)

Décision antérieure:Décision prise par le Rapporteur spécial conformément à l’article 91 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 11 juillet 2002 (non publiée sous forme de document)

Date de l’adoption de la décision:6 août 2003

[ANNEXE]

ANNEXE

DECISION DU COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME EN VERTU DU PROTOCOLE FACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES

– Soixante-dix-huitième session –

concernant la

Communication N ° 1088/2002 **

Présentée par:Bernard Veriter

Au nom de :L’auteur

Etat-partie :France

Date de la communication :16 août 2001 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 6 août 2003,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1.L’auteur de la communication est M. Bernard Veriter, citoyen français, né le 11 juillet 1946 en Belgique, résidant à Moulins les Metz (France). Il se déclare victime de violations par la France des articles 2 et 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. L’auteur n’est pas représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur :

2.1L’auteur a effectué son service militaire dans l’armée belge avant d’acquérir par mariage la nationalité française. Il a été recruté dans l’administration française à compter du 1er janvier 1978 en tant qu’attaché de préfecture. Il a alors effectué des démarches (demande d’avis du 24 novembre 1982  auprès du ministre de la fonction publique; requête du 11 juillet 1988 auprès du ministre de l’intérieur) afin que sa période de service militaire soit prise en considération pour ses droits à l’avancement à l’ancienneté et ses droits de pension.

2.2Les 18 novembre 1988 et 20 juillet 1989, l’auteur a saisi le tribunal administratif de Strasbourg d’une requête tendant à l’annulation de la décision par laquelle le ministre de l’intérieur a implicitement rejeté sa demande en ne répondant pas à sa lettre du 11 juillet 1988. Par jugement du 5 septembre 1991, le tribunal a rejeté ces requêtes. Il a notamment considéré que les règlements communautaires invoqués par l’auteur ne concernaient que les ressortissants d’un Etat travaillant dans un autre Etat, ce qui n’est pas le cas de M. B. Veriter, citoyen français travaillant en France. L’auteur a interjeté appel de ce jugement. Par arrêt du 15 juin 1994, le Conseil d’Etat a déclaré la requête irrecevable.

2.3Suite à ce jugement, la Commission des Communautés Européennes, saisie d’une plainte de l’auteur, a indiqué au Gouvernement français que le refus de validation de services était contraire à l’article 48§4 du traité CEE relatif à l’égalité de traitement devant exister entre travailleurs des différents Etats membres, tel qu’interprété par la Cour de Justice des Communautés Européennes (aff. 15/69 UGLIOLA). Le Gouvernement français a alors admis qu’une modification des règles en vigueur, notamment de l’article L.63 du code du service national, devait être opérée.

2.4Cette modification a résulté de la loi N°96-1043 du 16 décembre 1996 relative à l’emploi dans la fonction publique et à diverses mesures d’ordre statutaire. Désormais, le nouvel article 5ter de la loi N°83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, prévoit, s’agissant du temps de services militaires accompli dans un autre Etat membre que : « ce temps est retenu pour le calcul de l’ancienneté de service exigé pour l’avancement dans les fonctions publiques de l’Etat, territoriale et hospitalière. »

2.5Le 15 janvier 1997, l’auteur a présenté une nouvelle demande de prise en compte de la durée de son service national. Néanmoins, le 29 mai 1997, le préfet de la Moselle lui a notifié la décision de refus du ministre de l’intérieur en date du 20 mai 1997, prise au motif que ce nouveau texte n’était pas en vigueur au moment de son recrutement.

2.6Le 11 juillet 1997, l’auteur a, à nouveau, saisi le tribunal administratif de Strasbourg d’une requête tendant à l’annulation de cette décision.

2.7En cours d’instance, le ministre de l’intérieur est revenu sur sa décision et a accepté de prendre en considération la période de service militaire lors d’une promotion de l’auteur. Ainsi par arrêté du ministre de l’intérieur du 16 mars 2001, ont été reconnus les 13 mois de services militaires de l’auteur au titre de l’ancienneté lors de sa promotion au sixième échelon du corps des attachés principaux de préfecture.

2.8Par jugement du 6 juillet 2001, le tribunal administratif de Strasbourg a considéré que la non prise en compte du service national de l’auteur au seul motif qu’il l’avait effectué en Belgique constituait une discrimination contraire aux prescriptions de l’article 48 du Traité instituant la Communauté européenne et du règlement (CEE) n° 1612/68 du 15 octobre 1968, lesquels étaient déjà en vigueur à la date d’intégration du requérant dans la fonction publique française et était directement applicable par la France. Le tribunal a annulé la décision contestée du 20 mai 1997 ainsi que l’arrêté du 16 mars 2001 en tant qu’il ne prend en compte la période de service national de l’auteur que pour l’intervention de la prochaine promotion et non dès le début de sa carrière de fonctionnaire. Le tribunal a enjoint au ministre de l’intérieur de procéder à la reconstitution de carrière de l’auteur dans les conditions ainsi définies.

Teneur de la plainte :

3.1L’auteur prétend être victime d’une discrimination fondée sur la nationalité au titre de l’article 2 du Pacte.

3.2L’auteur se plaint, en outre, de la mauvaise administration de la justice dans le cas d’espèce dans la mesure où le tribunal administratif de Strasbourg est revenu sur son jugement du 5 septembre 1991 par son arrêt du 6 juillet 2001. L’auteur demande l’exécution de cet arrêt tout en estimant que celui-ci ne constitue pas une réparation au préjudice de discrimination subi pendant 22 ans.

3.3L’auteur déclare avoir épuisé les voies de recours internes et précise que l’affaire n’a pas été soumise à une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

Observations de l’Etat partie concernant la recevabilité de la communication :

4.1Dans ses observations du 13 novembre 2002, l’Etat partie conteste la recevabilité de la communication.

4.2En premier lieu, il soutient que l’auteur ne peut plus justifier de sa qualité de victime d’une violation de l’article 2 du Pacte.

4.3L’Etat partie rappelle que pour le Comité, à l’instar de la Cour européenne des droits de l’homme, le requérant doit se prétendre personnellement et effectivement victime d’une violation de l’un des droits énoncés dans le Pacte et avoir un intérêt personnel à agir. Se référant à la jurisprudence de la Cour européenne, l’Etat partie soutient que la qualité de victime doit s’apprécier à tous les stades de la procédure. Le requérant peut ainsi perdre cette qualité en cours d’instance, notamment par suite d’une réparation suffisante, au plan interne, des conséquences de la violation alléguée. La Cour considère, en effet, qu’ « une mesure d’une autorité publique n’enlève à pareille personne la qualité de victime que si les autorités nationales ont reconnu, explicitement ou en substance, puis réparé la violation de la Convention » (CEDH, arrêt Nsona du 28 novembre 1996). C’est ainsi que l’annulation, par une juridiction nationale, d’une mesure disciplinaire prise à l’encontre d’un professeur lui retire la qualité de victime dès lors que cette sanction est considérée comme n’ayant jamais existé, qu’elle est rétrospectivement privée d’effets (CEDH arrêt Akkoc c Turquie du 10 octobre 2000).

4.4Dans le cas d’espèce, d’après l’Etat partie, force est de constater que l’auteur a saisi le Comité quelques jours après la notification du jugement du 6 juillet 2001, sans attendre que les services compétents du ministre de l’intérieur aient pu matériellement prendre les mesures d’exécution qu’appelait ce jugement. Or, l’Etat partie explique que par un arrêté du ministre de l’intérieur du 19 octobre 2001, soit deux mois seulement après la notification du jugement, la reconstitution de carrière de l’auteur a été effectuée dans le sens préconisé par le tribunal. Par ailleurs, la somme que l’Etat a été condamné à verser au titre des frais de procédure a été payée. L’Etat partie estime donc que l’auteur n’est plus victime d’une violation de l’article 2 du Pacte et que la communication est donc irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole.

4.5En second lieu, selon l’Etat partie, l’auteur tente d’établir que la condition de recevabilité ci-dessus rappelée est remplie en soutenant que nonobstant le jugement du 6 juillet 2001, « le préjudice de discrimination subi pendant vingt-deux ans n’est pas réparé ». Or, l’Etat partie soutient qu’à supposer que, en dépit de la décision de reconstitution de carrière, l’intégralité du préjudice ne soit pas réparé, force serait alors de considérer que la communication n’obéit pas au principe d’épuisement des voies de recours internes. Il s’agit d’une condition classique de recevabilité qui concerne « au premier chef les recours juridictionnels » c’est-à-dire les recours disponibles et de nature à porter remède aux griefs, et devant présenter « une perspective raisonnable de succès ».

4.6L’Etat partie affirme qu’en l’espèce, l’absence d’épuisement des voies de recours internes est d’autant plus évidente que l’auteur vient, à nouveau, de saisir le tribunal administratif de Strasbourg d’une requête tendant à l’indemnisation de ce préjudice. En effet, le jour même où il a saisi le Comité, soit le 16 août 2001, l’auteur a présenté au ministre de l’intérieur une demande de versement d’une somme de 2500 FF, en réparation, semble-t-il, du préjudice moral subi du fait de l’illégalité des décisions de refus prises à son encontre. Aucune réponse expresse n’ayant été apportée à cette demande, l’auteur a présenté dès le 27 novembre 2001 une nouvelle requête au tribunal administratif de Strasbourg tendant à la condamnation de l’Etat français à lui verser la somme précitée, outre une somme de 400 FF au titre des frais irrépétibles. Cette requête n’est pas encore en état d’être jugée, mais selon l’Etat partie présente des chances raisonnables de succès dès lors qu’en droit interne, toute illégalité entachant une décision administrative est fautive et donc susceptible d’engager la responsabilité de l’Administration (Conseil d’Etat 26 janvier 1973 Driancourt Rec.p.77). Toujours est-il que les juridictions internes n’ayant pas pu encore statuer sur cette requête, l’absence d’épuisement des voies de recours internes ne fait aucun doute. En tout état de cause, selon l’Etat partie, à supposer que l’auteur persiste à considérer que l’administration n’a pas tiré toutes les conséquences du jugement du 6 juillet 2001 et n’a pas correctement reconstitué sa carrière, il lui appartient de saisir à nouveau le tribunal administratif de Strasbourg d’une demande d’annulation de l’arrêté précité du 19 octobre 2001. Or, à la connaissance de l’Etat partie, l’auteur ne l’a pas fait. La communication est donc irrecevable en application des articles 2 et 5§2 b) du Protocole.

4.7En troisième lieu, selon l’Etat partie, le grief d’une mauvaise administration de la justice - du fait que s’agissant de la même question, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté la requête de l’auteur, mais dix ans plus tard, lui a donné satisfaction sur le fondement des mêmes textes communautaires - est incompatible avec l’article 14 du Pacte. Cet article ne prévoit nullement un droit à l’absence d’erreur de droit susceptible d’être commise par un juge.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’Etat partie concernant la recevabilité :

5.1Dans ses commentaires du 10 décembre 2002, l’auteur affirme que sa qualité de victime existe toujours dans la mesure où sa reconstitution de carrière, d’une part, ne prend pas en compte les intérêts pour les retards accumulés depuis 20 ans, et d’autre part, ne répare pas le préjudice d’une si longue discrimination. Il indique également que les délais raisonnables semblent déjà dépassés depuis son premier recours contre la discrimination à son encontre, sans qu’il lui soit nécessaire d’attendre davantage.

5.2Eu égard au grief de violation de l’article 14 du Pacte, l’auteur met en cause la partialité du Conseil d’Etat ayant déclaré sa requête irrecevable, alors qu’aucune des parties n’a soulevé cet élément, et que la requête a été par deux fois jugée recevable par le tribunal administratif. Enfin, d’après l’auteur, la mise en cause du tribunal administratif et du Conseil d’Etat est très difficile à mettre en œuvre en l’absence d’une faute qualifiée lourde.

Délibérations du Comité sur la recevabilité :

6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe 2 a de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité s’est assuré que la même question n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Eu égard au grief de violation de l’article 2 du Pacte, le Comité prend note des arguments de l’Etat partie faisant valoir la perte de la qualité de victime de l’auteur dans la mesure où le jugement du 6 juillet 2001 du tribunal administratif de Strasbourg a été exécuté par l’arrêté du ministre de l’intérieur en date du 19 octobre 2001 portant à la fois reconstitution de carrière par validation du service national et règlement des frais de procédure. Le Comité a également noté l’argument de l’auteur contestant la conclusion de l’Etat partie au motif que le préjudice de discrimination n’a pas été réparé. Le Comité considère que le grief de discrimination et la question de la réparation constituent deux éléments distincts de la plainte. Or, le Comité constate, en premier lieu, que la plainte de discrimination a été tranchée par le jugement du 6 juillet 2001 dont l’auteur demandait l’exécution, ce que l’Etat partie a entrepris par l’arrêté du 19 octobre 2001. En outre, toute contestation de l’auteur quant à cet arrêté supposerait un recours auprès du tribunal administratif de Strasbourg. En second lieu, le Comité constate que la réparation du préjudice de discrimination fait l’objet d’un recours que l’auteur a introduit le 27 novembre 2001 auprès du tribunal administratif de Strasbourg et qui reste en cours d’examen. Finalement, le Comité considère que l’auteur n’a pas épuisé les voies de recours internes afin d’établir la recevabilité du grief de violation de l’article 2 du Pacte. Ceci est sans préjudice quant à la question de savoir si l’article 2 est capable par lui-même d’être violé indépendamment d’une autre disposition du Pacte ou si la plainte aurait dû être faite au titre de l’article 26 plutôt que l’article 2 du Pacte.

6.4Concernant le grief tiré d’une violation de l’article 14 du Pacte, le Comité a pris note des arguments de l’Etat partie soutenant l’incompatibilité ratione materiae des élements de la plainte avec les dispositions du Pacte. Le Comité a également noté l’argumentation de l’auteur relative, d’une part, à une mauvaise administration de la justice par le tribunal administratif et le Conseil d’Etat, et d’autre part, aux difficultés à introduire des recours à leur encontre. Le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle il appartient généralement aux tribunaux nationaux d’examiner les faits et les éléments de preuve dans une affaire donnée, à moins qu’il ne soit manifeste que leur appréciation a été arbitraire ou qu’elle équivaut à un déni de justice. Le Comité estime que l’auteur n’a pas suffisamment étayé sa plainte de mauvaise administration de la justice. Le Comité considère également que, nonobstant les doutes que l’auteur pouvait avoir quant à l’efficacité des recours, il lui appartenait d’exercer tous les recours disponibles. Finalement, cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 et du paragraphe 2(b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

7.En conséquence, le Comité décide :

Que la communication est irrecevable en vertu des articles 2et 5, paragraphe 2(b) du Protocole facultatif ;

Que la présente décision sera communiquée à l’Etat partie et à l’auteur.

[Adopté en anglais, en espagnol et en français (version originale). Paraîtra aussi ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

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