Présentée par:

Janusz Kolanowski

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Pologne

Date de la communication:

22 novembre 1996 (lettre initiale)

Décisions antérieures:

Décision prise par le Rapporteur spécial conformément à l’article 91 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 18 septembre 1998 (non publiée sous forme de document)

Date de l’adoption de la décision:

6 août 2003

[ANNEXE]

ANNEXE

DÉCISION DU COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME EN VERTU DU PROTOCOLE FACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES

Soixante ‑dix ‑huitième session

concernant la

Communication n o  837/1998**

Présentée par:

Janusz Kolanowski

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Pologne

Date de la communication:

22 novembre 1996 (lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en application de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 6 août 2003

Adopte ce qui suit:

DÉCISION CONCERNANT LA RECEVABILITÉ

1.L’auteur de la communication est Janusz Kolanowski, de nationalité polonaise, né le 13 juillet 1949. Il affirme être victime d’une violation par la Pologne des articles 14 (par. 1) et 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (le Pacte). Il n’est pas représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1L’auteur est entré dans la police polonaise (anciennement milice civique) en 1973. Il est sorti en 1975 de l’École des sous‑officiers de police de Pila. Il a obtenu un doctorat de culture physique en 1991.

2.2Le 7 janvier 1991, l’auteur a demandé au commandant en chef de la police de le promouvoir au grade d’officier. Sa demande a été rejetée le 22 février 1991 au motif qu’il n’avait pas reçu la formation nécessaire pour prétendre à cette promotion. L’auteur a formé un recours contre cette décision devant le Ministre de l’intérieur, arguant qu’en vertu du paragraphe 1 de l’article 50 de la loi sur la police, il n’avait besoin que d’une formation à l’encadrement et n’était pas tenu d’avoir suivi la formation d’officier réservée aux policiers titulaires d’un diplôme de l’enseignement secondaire.

2.3Le 24 avril 1991, l’auteur a eu une conversation avec le Sous‑Secrétaire d’État à l’intérieur à propos de sa promotion. Dans un mémorandum rendant compte de cette conversation, le Sous‑Secrétaire d’État s’est déclaré favorable à la nomination de l’auteur au grade d’aspirant, rang intermédiaire entre celui de sous‑officier et celui d’officier. Mais cette approbation a été infirmée par le commandant en chef de la police le 20 août 1991 au motif que la nomination de l’auteur au «grade d’aspirant» par une procédure exceptionnelle ne se justifiait pas.

2.4Par une lettre datée du 26 août 1991, adressée au commandant général de la police de Varsovie, l’auteur a interjeté appel du rejet de cette nomination. Le 28 août 1991, il a adressé une plainte similaire au Sous‑Secrétaire d’État à l’intérieur. Dans sa réponse datée du 16 septembre 1991, le commandant général de la police a de nouveau fait savoir à l’auteur qu’il ne possédait pas la formation d’officier requise. Le 29 juin 1994, le Ministre de l’intérieur a refusé d’engager une procédure concernant le rejet de la nomination de l’auteur au grade d’aspirant, ce rejet n’étant pas considéré comme une décision administrative au sens de l’article 104 du Code de procédure administrative.

2.5Le 25 août 1994, le Ministère de l’intérieur rejetait une autre requête de l’auteur, datée du 19 juillet 1994, demandant à être nommé au grade d’aspirant. Après avoir vainement formé opposition contre cette décision auprès du Ministère de l’intérieur, l’auteur a porté plainte devant la Haute Cour administrative de Varsovie, le 6 décembre 1994, attaquant l’impossibilité de faire examiner par une instance judiciaire une décision administrative prise relativement à sa nomination. Le 27 janvier 1995, la Cour l’a débouté de sa plainte, estimant que le refus de promouvoir l’auteur ne constituait pas une décision administrative.

2.6Par une lettre du 1er mars 1995 adressée à la Haute Cour administrative, l’auteur s’est plaint de ce que la Cour n’avait pas motivé sa décision de rejeter sa plainte ni indiqué les dispositions juridiques sur lesquelles elle s’appuyait pour ce faire. Cette requête a été rejetée par la Cour le 14 mars 1995. Ultérieurement, l’auteur a adressé une lettre au Ministre de la justice dans laquelle il accusait de «déni de justice» les juges qui avaient statué sur sa plainte. Le 30 mars 1995, le Président de la Haute Cour administrative, à qui cette lettre avait été transmise par le Ministère de la justice, a informé l’auteur que, s’il n’était aucunement fondé à former un recours en révision, un recours extraordinaire contre la décision prise par la Cour le 27 janvier 1995 lui était ouvert.

2.7Le 11 juillet 1995, l’auteur a demandé au Médiateur polonais de former un recours extraordinaire devant la Cour suprême, lui demandant de casser la décision de la Haute Cour administrative. Par une lettre datée du 28 août 1995, le Bureau du Médiateur a informé l’auteur que sa compétence pour former un recours extraordinaire se limitait aux violations présumées de droits des citoyens, et qu’elle revêtait un caractère subsidiaire en ceci qu’il fallait au préalable qu’une demande de former recours ait été déposée sans succès auprès d’un organe ayant compétence primaire pour former un recours extraordinaire devant la Cour suprême. La demande de l’auteur ne répondant pas à ces prescriptions, le Médiateur l’a rejetée.

2.8L’auteur a alors demandé au Médiateur de transmettre sa demande au Ministre de la justice. Le 13 novembre 1995, en l’absence de réponse du Médiateur, il a adressé au Ministre de la justice copie de la demande tendant à former un recours extraordinaire devant la Cour suprême. Dans le même temps, il réclamait un retour au statu quo ante, faisant valoir que l’expiration du délai de six mois dans lequel il pouvait faire appel de la décision prise par la Cour le 27 janvier 1995 n’était due à aucun manquement de son fait. Le 20 février 1996, le Ministère de la justice a rejeté sa demande tendant à former un recours extraordinaire, aux motifs que le délai de six mois était déjà expiré à la date de la présentation de la demande (le 16 novembre 1995) et que le Ministre n’avait aucune raison d’agir, l’affaire ne soulevant aucune question touchant les intérêts de la République de Pologne.

2.9Le 4 mars 1996, l’auteur a prié le Médiateur de réexaminer sa demande de former un recours extraordinaire devant la Cour suprême, arguant du fait que le retard mis à traiter sa première demande du 11 juillet 1995 était la cause de l’expiration du délai de six mois. Dans des lettres ultérieures, il a de nouveau exprimé des doutes sur la légalité de l’examen de sa plainte par la Haute Cour administrative. Dans sa réponse, datée du 2 septembre 1996, le Médiateur a rejeté la demande de l’auteur et l’a mis en garde contre le fait que les accusations qu’il proférait contre les juges de la Haute Cour administrative pouvaient être interprétées comme constitutives d’une infraction pénale.

2.10Dans des procédures parallèles, l’auteur avait été mis à pied en 1992, puis réintégré dans la police à la suite d’une décision de la Haute Cour administrative du 18 août 1993 dans laquelle celle-ci déclarait la révocation nulle et non avenue. En 1995, l’auteur a été mis à pied une deuxième fois. Par une décision datée du 8 mai 1996, la Haute Cour administrative a confirmé cette dernière révocation, apparemment parce que l’auteur avait manqué à la discipline. Une procédure de recours contre cette décision était encore en instance à la date de présentation de la communication.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme être victime de violations des articles 14 (par. 1) et 26 du Pacte du fait qu’on lui a refusé l’accès aux tribunaux, le refus de le promouvoir au grade d’aspirant n’étant pas considéré comme une décision administrative et n’étant donc pas susceptible d’être examiné par la Haute Cour administrative.

3.2Il affirme que la plainte qu’il a déposée des chefs du rejet de sa promotion et du refus de rendre un jugement sur une décision administrative doit amener la justice à décider de contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, puisque le paragraphe 1 de l’article 14 doit être interprété au sens large à cet égard. Il affirme en outre que la partialité dont ont fait preuve les juges de la Haute Cour administrative et le fait qu’il ait été privé de la possibilité de former un recours extraordinaire devant la Cour suprême, que ce soit par l’intermédiaire du Ministère de la justice ou par le truchement du Médiateur – le Bureau du Médiateur n’ayant pas traité sa demande dans les délais prescrits –, constituent d’autres violations du paragraphe 1 de l’article 14.

3.3L’auteur prétend que l’examen judiciaire de décisions administratives est prévu dans d’autres situations analogues, par exemple dans les cas de dégradation ou rétrogradation de militaires de carrière, ou encore de remise d’un diplôme universitaire par le conseil de faculté d’une université. Les militaires et les étudiants pouvant faire appel de telles décisions devant les tribunaux, il considère que le fait qu’une telle voie de recours ne lui soit pas ouverte constitue une violation de l’article 26.

3.4L’auteur déclare qu’il a épuisé les recours internes et que la même affaire n’a pas été soumise pour examen à une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond de la communication

4.1Par une note verbale datée du 22 juin 1999, l’État partie a présenté ses observations sur la communication, la contestant aussi bien sur le plan de la recevabilité que sur le fond. S’il ne conteste pas que les recours internes ont été épuisés, il considère que la communication devrait être déclarée irrecevable ratione temporis dans la mesure où elle a trait à des faits qui ont eu lieu avant l’entrée en vigueur du Protocole facultatif à l’égard de l’État partie le 7 février 1992.

4.2En outre, l’État partie considère que la plainte de l’auteur au titre de l’article 26 du Pacte est irrecevable faute d’avoir été étayée. En particulier, toute comparaison entre la dégradation ou la rétrogradation d’un militaire de carrière, qui prend la forme d’une décision administrative en vertu du paragraphe 1 de l’ordonnance du Ministre de la défense en date du 27 juillet 1992, et les décisions (internes) prises en vertu des dispositions de la loi sur la police est irrecevable, le champ d’application du paragraphe 1 de l’ordonnance étant strictement limité à des cas exceptionnels. De même, aucun parallèle ne peut être fait avec la remise d’un diplôme universitaire par décision administrative, question qui n’a rien à voir avec le refus de nommer quelqu’un au grade d’officier.

4.3L’État partie estime que l’examen judiciaire de décisions administratives est subordonné à l’existence de dispositions législatives faisant obligation à l’organe administratif intéressé de prendre la décision en cause. Ainsi par exemple, l’examen par un tribunal d’une décision administrative est expressément prévu dans le cas de l’établissement, de la modification ou de la cessation de relations de travail au sein du Bureau de la protection de l’État. Cette règle ne s’applique cependant qu’aux nominations et non pas au refus de nommer des fonctionnaires du Bureau à un grade supérieur. Dans un arrêt historique daté du 7 janvier 1992, la Cour constitutionnelle a estimé que les dispositions de la loi du 12 octobre 1990 sur les gardes frontière, supprimant le droit à un jugement dans les affaires touchant les conditions d’emploi des gardes frontière, étaient incompatibles avec les articles 14 et 26 du Pacte. L’État partie affirme que cette décision est sans rapport avec le cas de l’auteur, puisque les dispositions contestées de la loi sur les gardes frontière concernaient des relations de service relevant d’une compétence externe, assujetties à une législation spéciale prévoyant l’examen judiciaire des contentieux administratifs.

4.4En ce qui concerne la violation présumée du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, l’État partie soutient que tout ordre juridique national fait une distinction entre les actes qui demeurent de la compétence interne des organes administratifs et ceux qui sortent de cette compétence. Le refus de promouvoir l’auteur au grade d’«aspirant» revêt un caractère purement administratif et interne, tenant à sa subordination à ses supérieurs. En tant qu’acte interne, la décision d’accorder ou non une promotion ne peut faire l’objet d’un recours devant les tribunaux, mais seulement devant les organes supérieurs dont relève l’organe qui prend la décision.

4.5L’État partie souligne que le paragraphe 1 de l’article 14 garantit le droit de chacun à un jugement équitable par un tribunal qui décidera des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil. Étant donné que cette disposition a trait essentiellement à la détermination des droits et obligations civils, la présente affaire sort du champ d’application du paragraphe 1 de l’article 14 puisqu’elle est d’ordre purement administratif. En outre, l’État partie affirme que la plainte de l’auteur pour refus de promotion à un grade supérieur n’a aucun rapport avec le fait de trancher des contestations sur un droit, les policiers ou autres agents des services en tenue n’ayant aucun droit à une telle promotion.

Commentaires de l’auteur

5.1Par une lettre datée du 15 novembre 1999, l’auteur a répondu aux affirmations de l’État partie. Il déclare que les faits pertinents ont eu lieu après l’entrée en vigueur du Protocole facultatif à l’égard de la Pologne le 7 février 1992, sans étayer cette affirmation.

5.2L’auteur soutient que le refus de le promouvoir au grade d’aspirant constituait une décision administrative, citant plusieurs dispositions de droit administratif qu’il considère pertinentes. Il affirme qu’il n’existe en droit polonais aucune disposition donnant aux organes de l’État le pouvoir de prendre des décisions internes. Se référant au paragraphe 2 de l’article 14 de la loi sur la police, l’auteur affirme que du fait qu’il était subordonné au Ministre de l’intérieur, le commandant en chef de la police était tenu de se conformer à l’«ordre» donné par le Sous‑Secrétaire d’État à l’intérieur de le nommer à un grade supérieur. Le refus de le nommer à ce grade était également illégal quant au fond, puisque l’auteur remplissait toutes les conditions légales à cet effet.

5.3Concernant l’argument de l’État partie selon lequel sa plainte au titre de l’article 26 n’a pas été étayée, l’auteur fait valoir que même si l’on admet que les dispositions spéciales concernant la dégradation et la rétrogradation des militaires de carrière ou la remise de diplômes universitaires, lesquelles sont effectuées par décision administrative, ne sont pas applicables dans son cas, les textes législatifs interdisant aux policiers de faire appel devant un tribunal des décisions de les promouvoir ou non à un grade supérieur sont en soi discriminatoires.

Délibérations du Comité

6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son Règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité s’est assuré, aux fins du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même affaire n’a pas été examinée et n’est pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement, et que l’auteur a épuisé les recours internes, conformément au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

6.3Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel la communication est irrecevable dans la mesure où elle a trait à des faits antérieurs à l’entrée en vigueur du Protocole facultatif à l’égard de la Pologne, le 7 février 1992. Selon sa jurisprudence bien établie, le Comité ne peut examiner les violations présumées du Pacte qui se sont produites avant l’entrée en vigueur du Protocole facultatif à l’égard de l’État partie, sauf si les violations dont il est fait état se poursuivent après l’entrée en vigueur du Protocole facultatif. Le Comité note que l’auteur a fait sa première demande de promotion en 1991, c’est‑à‑dire avant l’entrée en vigueur du Protocole facultatif à l’égard de l’État partie. Bien que l’auteur ait poursuivi après l’entrée en vigueur du Protocole facultatif des démarches visant à contester le rejet de sa demande, le Comité estime que ces procédures ne constituent pas en elles‑mêmes une violation potentielle du Pacte. Il note cependant qu’après l’entrée en vigueur du Protocole facultatif à l’égard de l’État partie, l’auteur a engagé une deuxième série de procédures pour obtenir sa promotion (voir par. 2.5) et que toutes plaintes relatives à ces procédures ne sont pas irrecevables ratione temporis.

6.4S’agissant des plaintes de l’auteur au titre du paragraphe 1 de l’article 14, le Comité note qu’elles ont trait aux efforts déployés par celui‑ci pour contester une décision de rejet de sa demande de promotion à un grade supérieur. L’auteur n’a pas été démis de ses fonctions et il n’a pas non plus postulé à un poste vacant déterminé, d’un grade supérieur. Dans ces circonstances, le Comité estime que le cas de l’auteur doit être distingué de l’affaire Casanovas c. France (communication no 441/1990). Réaffirmant son opinion selon laquelle la notion de «droits de caractère civil» visée au paragraphe 1 de l’article 14 se fonde sur la nature du droit en cause et non sur la qualité de l’une des parties, le Comité estime que les procédures engagées par l’auteur pour contester la décision de rejet de sa propre demande de promotion au sein de la police polonaise ne constituaient pas des contestations sur des droits et obligations de caractère civil au sens du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte. En conséquence, cette partie de la communication est incompatible avec la disposition susmentionnée et est irrecevable en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif.

6.5S’agissant des violations présumées de l’article 26, le Comité estime que l’auteur n’a étayé, aux fins de la recevabilité, aucune de ses allégations faisant état d’une violation éventuelle de l’article 26. Cette partie de la communication est donc irrecevable conformément à l’article 2 du Protocole facultatif.

7.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:

a)Que la communication est irrecevable en vertu des articles 2 et 3 du Protocole facultatif;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur de la communication.

[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel présenté par le Comité à l’Assemblée générale.]

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