Présentée par:

M. Edward Young (représenté par des conseils, Mme Michelle Hannon et Mme Monique Hitter)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Australie

Date de la communication:

29 juin 1999 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision du Rapporteur spécial prise en application de l’article 91, communiquée à l’État partie le 29 août 2000 (non publiée sous forme de document)

Date de l’adoption des constatations:

6 août 2003

Le 6 août 2003, le Comité des droits de l’homme a adopté ses constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, concernant la communication no 941/2000. Le texte est annexé au présent document.

[ANNEXE]

ANNEXE

Constatations du Comité des droits de l’homme au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Soixante-dix-huitième session

concernant la

Communication n o  941/2000 **

Présentée par:

M. Edward Young (représenté par des conseils, Mme Michelle Hannon et Mme Monique Hitter)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Australie

Date de la communication:

29 juin 1999 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 6 août 2003,

Ayant achevé l’examen de la communication no 941/2000, présentée au nom de M. Edward Young en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.L’auteur de la communication est M. Edward Young, de nationalité australienne, né le 7 mai 1935 et résidant actuellement dans l’État de la Nouvelle‑Galles du Sud. Il se déclare victime d’une violation par l’Australie de l’article 26 du Pacte. Il est représenté par des conseils.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1L’auteur a eu pendant 38 ans une relation homosexuelle avec M. C., ancien combattant dont il s’est occupé pendant les dernières années de sa vie et qui est décédé à l’âge de 73 ans, le 20 décembre 1998. Le 1er mars 1999, l’auteur a demandé une pension en application de l’article 13 de la loi sur les allocations dues aux anciens combattants, en tant que personne à la charge d’un ancien combattant. Le 12 mars 1999, la Repatriation Commission a rejeté sa demande au motif qu’il n’était pas une personne à charge au sens de la loi. Dans sa décision, la Commission renvoie à la législation pertinente comme suit:

L’article 11 de la dispose:

«On entend par personne à la charge d’un ancien combattant (y compris d’un ancien combattant décédé)

a)le partenaire…».

L’article 5E de la loi définit le partenaire comme «l’un des deux “membres d’un couple”, à l’égard de l’autre membre».

La notion de couple est définie au paragraphe 2 de l’article 5E comme suit:

«Aux fins de la présente loi, est considéré comme “membre d’un couple”:

a)La personne légalement mariée à une autre, dont elle ne vit pas séparée de façon permanente; ou

b)La personne qui réunit toutes les conditions ci‑après:

i)Vivre avec une personne du sexe opposé (appelée le partenaire dans le présent paragraphe);

ii)Ne pas être légalement mariée à son partenaire;

iii)Avoir avec son partenaire une relation qui de l’avis de la Commission (…) est assimilable au mariage;

iv)Ne pas avoir avec son partenaire une relation interdite au sens de l’article 23B de la loi de 1961 sur le mariage.».

Le texte de la décision est libellé comme suit: «Tel qu’il est rédigé, l’article 5E 2) b) i) − que j’ai mis en relief − ne laisse aucune place à l’ambiguïté. J’ai par conséquent le regret de constater que je n’ai aucune marge d’appréciation en la matière. Autrement dit, vous n’êtes pas considéré, en droit, comme une personne à la charge d’un ancien combattant décédé. De ce fait, vous n’êtes pas fondé par la loi à prétendre à une pension».

L’allocation de décès demandée en application de cette même loi a également été refusée à l’auteur parce qu’il n’était pas considéré comme «membre d’un couple».

2.2Le 16 mars 1999, l’auteur a formé recours contre la décision de la Commission auprès de l’organe de recours des anciens combattants, qui a confirmé la décision de la Commission le 27 octobre 1999, statuant que l’auteur ne pouvait être considéré comme une personne à charge au sens de la loi. Dans sa décision, l’organe renvoie à la législation susmentionnée, estimant qu’il «n’a aucune marge d’appréciation en ce qui concerne l’application de la loi et, en l’espèce, est contraint de prendre en considération l’article 11 de la loi. Par conséquent, au titre de la législation en vigueur, l’organe est tenu de confirmer la décision à l’examen en ce qui concerne le statut du requérant».

2.3Le 23 décembre 1999, la Commission des droits de l’homme et de l’égalité des chances a rejeté la plainte que l’auteur lui avait adressée, en se déclarant incompétente pour intervenir, l’auteur ayant été soumis à l’application automatique et non discrétionnaire de la loi.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que le refus de l’État partie de lui verser une pension parce que son partenaire était du même sexe que lui, c’est‑à‑dire en raison de son orientation sexuelle, constitue une violation du droit à l’égalité de traitement devant la loi, qui est consacré à l’article 26. Tout en reconnaissant que l’article 26 ne fait pas obligation aux États parties d’adopter des dispositions législatives spéciales, il fait valoir que, quand ils le font, les dispositions qu’ils promulguent doivent être en conformité avec l’article 26. Il rappelle que dans les affaires Broeks c. Pays ‑Bas, Zwaan de Vries c. Pays ‑Bas et Danning c. Pays ‑Bas, le Comité avait estimé que, d’une manière générale, la législation relative à la sécurité sociale relevait de l’article 26. Il rappelle également que, dans l’affaire Toonen c. Australie, le Comité a reconnu que l’orientation sexuelle constituait un motif de discrimination interdit par l’article 26.

3.2L’auteur affirme que s’il avait formé un recours devant le Tribunal des recours administratifs, comme il aurait pu le faire, il n’avait aucune chance d’obtenir satisfaction dans la mesure où les dispositions de la loi sur les allocations dues aux anciens combattants auraient également prévalu.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond de la communication

4.1Dans une note verbale datée du 1er mai 2001, l’État partie fait part de ses observations sur la recevabilité et sur le fond de la communication. Il examine la portée des droits consacrés à l’article 26 et souligne la différence entre l’égalité devant la loi et l’égale protection de la loi. Selon lui, l’égalité devant la loi ne vise pas la législation, mais plutôt exclusivement sa mise en œuvre: elle signifie que les magistrats et les agents de l’administration ne doivent pas agir arbitrairement dans l’application de la loi. L’égale protection de la loi, en revanche, renvoie aussi bien à la teneur des textes qu’à leur application. L’auteur invoque l’égalité devant la loi dans sa communication, mais l’État partie objecte qu’il ne voit pas en quoi ses allégations concernent cet aspect précis de l’article 26. Il croit comprendre que l’auteur ne dénonce pas des actes arbitraires qui auraient été commis par des magistrats ou des agents de l’État, mais affirme que la loi elle‑même est discriminatoire et soulève donc la question de l’égale protection de la loi en vertu de l’article 26.

4.2L’État partie conteste la recevabilité de la communication pour trois motifs. Premièrement, il affirme que l’auteur n’est pas une victime au sens de l’article premier du Protocole facultatif, aux fins duquel le Comité a établi que l’auteur d’une communication doit fournir la preuve qu’il subit personnellement les conséquences d’un acte ou d’une omission de l’État partie. Bien qu’il approuve la décision des autorités internes de refuser la pension à l’auteur, l’État partie ne les suit pas dans les arguments avancés pour justifier ces décisions. Il fait valoir qu’un examen approfondi des faits au regard des dispositions de la loi sur les allocations dues aux anciens combattants fait apparaître qu’un partenaire de M. C., qu’il soit homosexuel ou hétérosexuel, ne pouvait pas avoir droit à une pension au titre de cette loi. En conséquence, il affirme que l’orientation sexuelle de l’auteur pas plus que celle de M. C. n’ont en l’occurrence un caractère déterminant.

4.3L’État partie note que les conditions d’octroi de la pension demandée par l’auteur sont énoncées à la section 2 de la partie II de la loi sur les allocations dues aux anciens combattants. L’article 13 définit les critères d’octroi des pensions. Pour prouver qu’il a été victime de discrimination illégale, l’auteur devrait d’abord démontrer qu’il répond à ces critères.

4.4L’État partie précise que l’article 13 énumère cinq conditions à remplir pour avoir droit à une pension. Le paragraphe 1, en particulier, dispose qu’une personne à la charge d’un ancien combattant, y compris son partenaire, peut demander une pension à la mort de celui‑ci, si le décès découle de faits de guerre. L’État partie fait observer que les archives du Ministère des anciens combattants ne contiennent aucun élément montrant que le décès de M. C. découle de faits de guerre et que l’auteur lui‑même ne dit pas qu’il s’agit d’un décès par fait de guerre. Il en déduit que le partenaire de M. C., hétérosexuel ou homosexuel, ne pouvait pas être admis à recevoir une pension en vertu des dispositions du paragraphe 1. L’État partie s’emploie ensuite à déterminer si les faits de l’affaire entrent dans le champ d’application des autres paragraphes de l’article 13 afin de démontrer que l’auteur ne pouvait pas prétendre à une pension, quelle que soit sa relation avec M. C., dans la mesure où ce dernier ne remplissait pas les conditions énoncées. Il en déduit que l’auteur n’a pas établi qu’il avait droit à une pension et ne peut donc pas être considéré comme une victime aux fins de l’article premier du Protocole facultatif.

4.5Deuxièmement, l’État partie rappelle la jurisprudence du Comité et affirme que l’auteur n’a pas suffisamment étayé son dossier aux fins de la recevabilité. Pour pouvoir être fondé à soumettre une plainte, l’auteur doit montrer que la prestation qui lui a été refusée aurait pu être légalement accordée à un partenaire hétérosexuel de M. C. et l’État partie renvoie à ses arguments, tels qu’ils sont énoncés aux paragraphes 4.2 à 4.4 ci‑dessus. Il fait valoir que l’auteur n’a pas évalué correctement tous les faits de l’affaire ni vérifié s’ils entraient dans le champ d’application de l’article 13 et qu’il ne peut donc pas montrer que la pension demandée au titre de la loi sur les allocations dues aux anciens combattants lui a été refusée en raison de son orientation sexuelle, en violation des dispositions de l’article 26.

4.6Troisièmement, l’État partie affirme que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes disponibles, aux fins de la recevabilité. Renvoyant à la jurisprudence du Comité, il fait observer qu’il ressort globalement des constatations du Comité qu’un recours doit n’avoir aucune chance d’aboutir pour qu’un auteur puisse être fondé à affirmer que ce recours n’a pas à être épuisé avant que sa communication puisse être déclarée recevable.

4.7L’État partie affirme que l’auteur aurait pu recourir contre la décision de refus de la pension auprès du Tribunal des recours administratifs et apporte les précisions suivantes concernant cet organe. Le Tribunal des recours administratifs a été créé par une loi fédérale et a le pouvoir d’entériner ou d’annuler une décision, de renvoyer une affaire devant l’instance initialement saisie afin qu’elle rende une nouvelle décision, de modifier une décision ou d’en prendre une nouvelle. Son rôle est de déterminer quelle est la décision «correcte ou préférable» dans une affaire donnée. Il procède d’office à un examen approfondi de tous les faits. Il n’est pas tenu d’utiliser uniquement les pièces dont disposait l’instance initialement saisie de l’affaire et peut prendre en compte des éléments qui n’étaient pas connus quand la décision initiale a été rendue. Les parties à une affaire sur laquelle s’est prononcé le Tribunal des recours administratifs peuvent demander le réexamen judiciaire de la décision par la Cour fédérale.

4.8L’État partie affirme que le Tribunal des recours administratifs aurait selon toute vraisemblance conclu que l’auteur, comme tout partenaire hétérosexuel ou homosexuel de M. C., n’avait pas droit à une pension au titre de l’article 13 de la loi sur les allocations dues aux anciens combattants. Cette décision aurait été fondée sur l’un des éléments suivants: i) M. C. ne répondait pas aux critères énoncés à l’article 13 de la loi sur les allocations dues aux anciens combattants, notamment à la condition exigeant que l’invalidité grave ou le décès donnant lieu à la demande de pension résulte de faits de guerre (comme il est indiqué aux paragraphes 4.2 à 4.4); ii) l’auteur n’a pas fourni d’éléments suffisants pour prouver sa relation de facto avec M. C. (l’État partie développe cet argument dans son examen quant au fond). L’État partie considère qu’une décision du Tribunal des recours administratifs reposant sur un de ces motifs ou sur les deux n’impliquerait pas une différence de traitement permettant de conclure à une violation de l’article 26 et que l’affaire n’aurait pas été portée devant le Comité si une telle décision avait été rendue.

4.9Pour ce qui est du fond, l’État partie affirme qu’indépendamment des motifs invoqués par les organes concernés, l’orientation sexuelle de M. C. et de l’auteur ne déterminait aucunement les prestations auxquelles l’auteur pouvait prétendre et que les allégations de ce dernier sont sans fondement aux fins de l’examen de la communication par le Comité. L’État partie étaye cette affirmation par deux arguments. Tout d’abord, un partenaire de M. C., hétérosexuel ou homosexuel, ne pouvait pas avoir droit à une pension au titre de l’article 13 de la loi sur les allocations dues aux anciens combattants. Ensuite, de toute façon l’auteur n’a pas apporté d’éléments suffisants pour prouver qu’il était le partenaire de M. C. En conséquence, et indépendamment du fait que l’auteur ne remplit pas les conditions requises pour avoir droit à une pension en vertu de cette loi, l’État partie estime que les organes décisionnels ne pouvaient pas avoir la conviction que celui‑ci répondait aux critères minimaux permettant de conclure à l’existence d’une relation de facto.

4.10L’État partie affirme que les éléments de preuve apportés par l’auteur ne sont pas suffisants pour démontrer qu’il était le partenaire de facto de M. C. Il ressort donc du strict examen des faits présentés par l’auteur à la lumière des dispositions législatives applicables qu’aucune différence de traitement reposant sur des critères qui ne soient pas raisonnables et objectifs n’a été faite. L’État partie souligne la nécessité de veiller à ce que les fonds publics soient alloués à qui en a le plus besoin. Il est donc d’usage d’imposer des critères aux fins des prestations de sécurité sociale, et d’ailleurs le Comité a reconnu que les États avaient le droit de subordonner le versement de prestations de sécurité sociale à certaines conditions.

4.11L’État partie explique que l’obligation de prouver l’existence d’une relation de facto constitue l’un des critères à remplir pour pouvoir prétendre à une pension au titre de la loi sur les allocations dues aux anciens combattants, en tant que personne à charge. Selon l’État partie, M. C. n’a jamais indiqué dans sa correspondance avec le Ministère qu’il vivait avec quelqu’un. Le Ministère exige la preuve qu’il existe un lien entre deux personnes pour établir les droits à pension. Ainsi, le formulaire de demande pour la pension de veuve de guerre spécifie: «Veuillez joindre une copie de votre certificat de mariage ou la preuve de votre lien avec l’ancien combattant décédé, sauf si vous avez déjà remis un tel document au Ministère.».

4.12En dehors de la demande de pension, la seule pièce fournie par l’auteur est le certificat de décès de M. C., où son nom figure en tant que partenaire. D’après l’État partie, les renseignements portés sur les certificats de décès établis en Nouvelle‑Galles du Sud, y compris ceux qui concernent les conjoints, ne sont pas nécessairement fiables. À eux seuls, ces renseignements ne suffiraient pas à prouver que l’auteur était le partenaire de M. C. aux fins de la loi sur les allocations dues aux anciens combattants. Le Ministère aurait également tenu compte par exemple des dépenses communes, des preuves de cohabitation ou du partage d’expériences importantes, de la correspondance, de dispositions testamentaires et de déclarations des proches ou de connaissances communes.

4.13La procédure visant à déterminer si l’auteur était réellement le partenaire de M. C. aurait été exactement la même pour toute personne hétérosexuelle ou homosexuelle affirmant être le/la partenaire d’un ancien combattant. Faute de preuves supplémentaires, le Ministère ne pouvait pas avoir la conviction que l’auteur était le partenaire de M. C. L’État partie affirme que cette procédure permet d’éviter toute contestation liée au principe de l’égale protection de la loi. Il fait par ailleurs observer qu’aucun élément ne permet de conclure que les fonctionnaires du Ministère aient agi arbitrairement, ce qui constituerait une violation du droit à l’égalité devant la loi (voir le paragraphe 4.1 ci‑dessus).

4.14En conclusion, l’État partie affirme que l’auteur n’a pas fourni d’éléments suffisants pour prouver qu’il était le partenaire de facto de M. C., ce qui aurait sans doute constitué une raison supplémentaire de ne pas lui accorder la pension. Ce refus, selon lui, n’entraîne pas une violation des droits consacrés à l’article 26 du Pacte.

Commentaires de l’auteur

5.1Par un courrier daté du 17 août 2001, l’auteur réaffirme qu’il est victime d’une violation des dispositions de l’article premier du Protocole facultatif puisqu’il a subi personnellement les conséquences de la décision de lui refuser une pension, en raison de son orientation sexuelle. Il rappelle que la Repatriation Commissionet l’organe de recours des anciens combattants ont tous deux indiqué clairement que sa demande avait été rejetée parce que son partenaire n’était pas du sexe opposé, c’est‑à‑dire en raison de son orientation sexuelle.

5.2L’auteur note que si l’État partie déclare qu’il ne confirme pas les raisons pour lesquelles la Repatriation Commission et l’organe de recours des anciens combattants ont rejeté sa demande, il ne conteste pas que la sexualité fait partie des critères pris en compte pour l’octroi des pensions en vertu de la loi sur les allocations dues aux anciens combattants et que l’auteur ne répondait pas aux conditions requises en la matière. Il fait valoir en outre que l’État partie ne dit pas que tout autre organe national saisi de sa demande aurait abouti à une conclusion différente concernant ses droits à une pension.

5.3Concernant l’argument de l’État partie qui objecte que l’auteur ne peut pas être considéré comme une victime puisque la pension demandée pouvait lui être refusée pour plusieurs autres raisons sans rapport avec sa sexualité, l’auteur fait valoir que ces autres critères n’ont aucune incidence sur sa qualité de victime; en effet, même s’il remplissait les conditions énoncées à l’article 13 de la loi sur les allocations dues aux anciens combattants, il n’aurait de toute façon pas droit à une pension étant donné qu’il n’entre pas dans la catégorie des personnes à charge. De l’avis de l’auteur, il importe de faire la différence entre les affaires telles que Hoofdman c. Pays ‑Bas , dans lesquelles il est évident qu’un particulier ne pouvait pas prétendre à une prestation sociale donnée pour des raisons autres que les motifs de discrimination visés dans le Pacte, et les affaires dans lesquelles l’octroi d’une prestation est envisageable et les critères à remplir doivent être examinés de façon régulière et équitable par un organe administratif compétent.

5.4L’auteur affirme qu’il n’a pas eu la possibilité de montrer s’il satisfaisait ou non aux critères énoncés dans la loi. Il reconnaît qu’il ne pouvait pas répondre aux critères visés à certains paragraphes de l’article 13 qui lui ouvriraient droit à une pension, mais il soutient ne pas avoir eu la possibilité de démontrer qu’il répondait aux critères visés à d’autres paragraphes de ce même article qui lui ouvriraient aussi ce droit. Il fait valoir que l’État partie, bien qu’il ait émis des hypothèses en relation avec ces divers critères dans sa note verbale, a confié à des organes internes – parmi lesquels l’organe de recours des anciens combattants – la responsabilité de déterminer si les critères en question étaient remplis.

5.5L’auteur affirme qu’en formulant à ce stade des hypothèses sur son aptitude à satisfaire à ces critères, l’État partie exerce de nouveau une discrimination à son égard puisque les personnes ayant une relation hétérosexuelle avec un ancien combattant et demandant une pension au titre des paragraphes susmentionnés de l’article 13 seraient en mesure de satisfaire aux critères pris en compte par la Repatriation Commission, l’organe de recours des anciens combattants et les autres organes décisionnels. Ces organes passent en revue tous les éléments du dossier. L’auteur affirme que l’État partie n’a pas encore eu connaissance des éléments qu’il serait en mesure d’apporter en sa faveur ni entendu les arguments tendant à montrer en quoi il pourrait satisfaire à ces critères. En outre, il considère qu’il est également discriminatoire d’exiger qu’il engage une nouvelle procédure alors que l’issue en serait de toute évidence la même. Il affirme que le simple fait d’être écarté en raison de sa sexualité constitue un traitement inégal devant la loi, même s’il n’est pas en mesure de montrer qu’il remplit les autres conditions requises pour obtenir une pension.

5.6Pour ce qui est de l’épuisement des recours internes, l’auteur fait valoir que comme l’organe de recours des anciens combattants a clairement indiqué qu’il n’avait pas d’autre choix que de conclure à l’impossibilité pour l’auteur de prétendre à une pension du fait qu’il n’entrait pas dans la catégorie des personnes à charge, le Tribunal des recours administratifs ou la Cour fédérale ne pourraient pas rendre une décision différente. Selon l’auteur, en droit australien, lorsque la signification d’une disposition est clairement exposée dans le même texte d’une loi, les organes décisionnels n’ont pas la faculté d’interpréter cette disposition autrement. Le paragraphe 5E dispose expressément qu’une personne affirmant être membre d’un couple ne peut être considérée comme un partenaire et donc comme une personne à charge en vertu de la loi que si la relation est hétérosexuelle.

5.7Cette disposition ne laisse aux organes décisionnels aucune latitude pour inclure dans la définition des personnes à charge les partenaires du même sexe, même s’ils estiment que ce serait juste et raisonnable. L’auteur fait observer que la jurisprudence en ce qui concerne l’interprétation des termes tels que «partenaire», «conjoint» et «couple» n’a jamais pris en compte les relations homosexuelles, même lorsqu’il aurait été possible de le faire, parce que ces termes n’ont jamais été définis de façon plus précise. Il relève que l’État partie n’affirme pas que le Tribunal des recours administratifs ou la Cour fédérale aurait pu parvenir à une interprétation différente sur ce point; tout au plus fait‑il observer que le Tribunal des recours administratifs aurait pu s’appuyer sur d’autres motifs que celui présenté comme «discriminatoire» pour justifier le refus d’octroyer une pension à l’auteur.

5.8L’auteur fait valoir que d’après la jurisprudence du Comité il est tenu uniquement de montrer que toute procédure tendant à faire réexaminer les motifs de rejet de sa demande de pension lui a été refusée serait vaine. Il n’est pas obligé d’explorer d’autres voies de recours internes parce que d’autres organes pourraient conclure qu’il ne pouvait pas prétendre à une pension pour des motifs différents de ceux mis en avant par les organes qui ont effectivement examiné sa demande. L’auteur estime qu’il ne devrait pas être tenu de demander le réexamen de la décision afin d’épuiser les recours internes, si ce n’est en ce qui concerne l’aspect de la décision qui selon lui constitue une violation du Pacte.

5.9L’auteur réaffirme qu’il a voulu saisir la Commission des droits de l’homme et de l’égalité des chances afin qu’elle étudie si, comme il l’affirmait, le fait de limiter le versement des prestations de retraite aux partenaires hétérosexuel(le)sdes anciens combattants en vertu de la loi était contraire aux dispositions de l’article 26 du Pacte. La Commission lui aurait répondu que ses ressources ne lui permettaient pas de procéder à un examen des droits des couples homosexuels en vertu de la loi sur les allocations dues aux anciens combattants et qu’elle n’était pas en mesure d’examiner l’affaire selon d’autres critères puisqu’en l’occurrence l’organe décisionnel n’était pas libre de déterminer si l’auteur entrait ou non dans la catégorie des personnes à charge, telle qu’elle est définie dans la loi en question.

5.10L’auteur réfute l’argument de l’État partie qui affirme que le Tribunal des recours administratifs aurait sans aucun doute rejeté sa demande pour des motifs autres que sa sexualité. Il considère également que l’État partie a tort d’affirmer qu’il n’aurait pas eu droit à une pension en vertu de l’article 13 de la loi sur les allocations dues aux anciens combattants et fait valoir qu’aucun des deux organes chargés d’examiner sa demande n’a émis de doutes concernant son aptitude à satisfaire aux critères énoncés dans les différents paragraphes de l’article 13. Il dit que M. C. ne fumait pas avant d’entrer dans l’armée et que le tabagisme a contribué à son décès. Les juridictions australiennes ont rendu des décisions par lesquelles elles assimilaient l’usage du tabac, à l’origine d’une affection ayant causé le décès d’un ancien combattant, à une blessure de guerre relevant de l’article 13, lorsque la raison pour laquelle la personne décédée fumait était liée à son enrôlement dans l’armée. Selon l’auteur, des demandes de pension présentées par des personnes à la charge d’anciens combattants blessés ou décédés par fait de guerre en vertu de la loi sur les allocations aux anciens combattants ont été acceptées même lorsque le lien entre le décès et une blessure de guerre n’a été établi que de façon posthume.

5.11Enfin, en ce qui concerne l’obligation d’épuiser les recours internes, l’auteur fait observer qu’il ne dispose d’aucunes ressources en dehors d’une pension de sécurité sociale et n’a donc pas les moyens financiers d’agir en justice.

5.12En ce qui concerne le fond, l’auteur revient sur la question des éléments justifiant de sa relation avec M. C. Il fait valoir que l’argument selon lequel la pension lui aurait été refusée parce qu’il n’avait pas apporté suffisamment de preuves de sa relation avec M. C. ne concorde pas avec les décisions écrites de la Repatriation Commission et de l’organe de recours des anciens combattants, qui ont admis l’existence de sa relation avec M. C. Il affirme être en mesure de prouver sa relation devant d’autres organes, et souligne qu’il ressort des deux décisions rendues que sa demande a été rejetée parce qu’il n’entrait pas dans la catégorie des personnes à charge, c’est‑à‑dire en raison de son orientation sexuelle. L’organe de recours des anciens combattants a expressément reconnu l’existence de la relation de l’auteur avec M. C..

5.13L’auteur fait observer qu’il n’est pas étonnant que M. C. ait répondu comme il l’a fait aux questions posées dans les documents mentionnés par l’État partie (voir par. 4.11) étant donné l’attitude des autorités australiennes, et plus particulièrement du Ministère de la défense et des anciens combattants, vis‑à‑vis des homosexuels, attitude que révèle le refus du Ministère de reconnaître la validité de ces relations. Rien dans ces documents ne permet de mettre en doute les liens de l’auteur avec M. C. ni ne prouve que ces liens n’existaient pas. Rien non plus ne donnait à M. C. la possibilité d’y désigner sa relation avec l’auteur, puisque le terme «partenaire» n’y apparaît pas.

Observations supplémentaires des parties

6.1Le 7 février 2002, l’État partie a fait savoir au Comité que ce n’est pas parce qu’il n’a pas répondu à toutes les affirmations et allégations du conseil qu’il reconnaissait leur véracité. Il dément que le Gouvernement australien fasse de nouveau preuve de discrimination à l’encontre de l’auteur en formulant des hypothèses concernant sa capacité de satisfaire aux autres critères énoncés dans la loi sur les allocations dues aux anciens combattants. Il explique qu’il a soumis les éléments factuels de la situation de l’auteur à une analyse en fonction des critères applicables à tout demandeur, qu’il soit hétérosexuel ou homosexuel, non pas pour exercer une discrimination contre l’auteur, mais pour répondre aux allégations de ce dernier de la façon la plus complète possible. Selon lui, cette analyse était nécessaire pour répondre aux allégations de l’auteur, et aurait été menée quels que soient le sexe ou l’orientation sexuelle de ce dernier.

6.2Pour ce qui est de l’argument de l’auteur qui fait valoir que l’obligation d’exercer d’autres recours alors que l’on ne peut pas attendre un résultat différent est aussi discriminatoire, l’État partie objecte que le simple fait d’informer le Comité des différentes possibilités qui s’offraient à l’auteur n’a rien de discriminatoire. Il nie que les décisions des organes nationaux aient été en soi discriminatoires et affirme que la demande de l’auteur a été traitée de la même manière que celle de toute autre personne.

6.3Répondant à l’allégation de l’auteur concernant l’impossibilité dans laquelle il se serait trouvé de montrer s’il satisfaisait ou non aux critères énoncés à l’article 13 de la loi sur les allocations dues aux anciens combattants, l’État partie réaffirme que l’auteur était libre de faire recours contre la décision rendue par l’organe de recours des anciens combattants auprès du Tribunal des recours administratifs. Ce dernier étant chargé de procéder à un réexamen complet de la décision contestée, l’auteur aurait eu la possibilité de montrer s’il répondait ou non aux critères énoncés à l’article 13.

6.4Sans se prononcer sur la véracité des éléments supplémentaires produits par l’auteur pour justifier de sa relation avec M. C., l’État partie fait valoir que ceux‑ci auraient dû être présentés au Tribunal des recours administratifs. Il rappelle qu’il n’entre pas dans les attributions du Comité d’apprécier des preuves comme le ferait un tribunal.

7.1Le 2 avril 2002, l’auteur a apporté de nouveaux commentaires à la réponse de l’État partie. Il reprend pour une large part les arguments avancés dans ses communications précédentes. En ce qui concerne la discrimination dont il aurait été victime du fait qu’il n’a pas eu la possibilité de faire évaluer sa capacité de répondre aux critères établis à l’article 13 par la Repatriation Commission ou l’organe de recours des anciens combattants, il souligne que c’est précisément parce que sa demande a été rejetée en raison de sa sexualité qu’aucun organe de recours n’a été amené à déterminer s’il répondait aux autres critères énoncés dans la loi. Un demandeur hétérosexuel aurait obtenu que ces critères soient appréciés, et l’État partie n’aurait donc pas eu la possibilité de procéder à cette évaluation à ce stade, c’est‑à‑dire dans ses échanges avec le Comité.

7.2En outre, l’auteur fait observer qu’il n’a pas nié qu’il avait en principe droit à un réexamen de sa situation mais affirme qu’il est discriminatoire d’exiger d’une personne qu’elle engage une procédure complexe, longue et coûteuse dont l’issue viendrait finalement confirmer la décision initiale. L’auteur soutient que les décisions de la Repatriation Commission et de l’organe de recours des anciens combattants sont discriminatoires.

7.3Pour ce qui est des renseignements qu’il a fournis concernant les politiques de l’armée australienne, l’auteur maintient qu’ils révèlent l’attitude de l’armée à l’égard des homosexuels en général. Il renvoie le Comité au site Web de l’armée australienne, dont il ressort clairement, selon lui, que diverses prestations sont prévues pour les familles du personnel militaire mais ne peuvent être accordées qu’aux couples «mariés» et aux familles «de facto». De telles dispositions excluent les partenaires du même sexe.

8.1Le 16 mai 2002, l’État partie a rappelé que s’il n’avait pas l’intention de commenter plus avant les arguments de l’auteur, il n’en acceptait pas pour autant ses affirmations ou allégations comme vraies ou correctes.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

9.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

9.2Le Comité s’est assuré que la même question n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement, conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif.

9.3Le Comité note que l’État partie conteste la recevabilité de la communication au motif que l’auteur n’est pas une victime puisque, indépendamment des décisions des organes nationaux, il n’a pas établi qu’il était fondé à prétendre à une pension, en conséquence de quoi son orientation sexuelle n’apparaît pas comme un facteur déterminant. Le Comité rappelle que l’auteur d’une communication est considéré comme une victime au sens de l’article premier du Protocole facultatif lorsqu’il/elle subit personnellement les conséquences négatives d’un acte ou d’une omission de l’État partie. Il relève que les organes nationaux ont refusé une pension à l’auteur parce qu’il n’était pas considéré comme «membre d’un couple» du fait qu’il n’avait pas vécu avec une «personne du sexe opposé». De l’avis du Comité, il est évident que les organes saisis de l’affaire au moins ont fondé leur décision sur l’orientation sexuelle de l’auteur. À cet égard, l’auteur a établi qu’il était victime d’une violation présumée du Pacte aux fins du Protocole facultatif.

Option 1: Recevable

9.4Le Comité prend note de l’argument de l’État partie qui objecte que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes disponibles dans la mesure où il n’a pas saisi le Tribunal des recours administratifs, qui aurait probablement conclu que l’auteur n’avait pas droit à une pension pour des motifs différents de l’orientation sexuelle − ou s’ajoutant à ce motif −, ne reposant sur aucune distinction susceptible de constituer une violation de l’article 26 du Pacte. Le Comité constate que l’État partie n’affirme pas que le Tribunal des recours administratifs serait parvenu (ou même aurait pu parvenir) à une conclusion différente de celle de l’organe de recours des anciens combattants, mais qu’il pouvait simplement appliquer un raisonnement différent pour rejeter sa requête. L’État partie n’affirme pas non plus que le tribunal aurait pu s’appuyer sur une interprétation différente des articles contestés de la loi sur les allocations dues aux anciens combattants (art. 5E, 5E 2 et 11), sur la base desquels la demande de l’auteur a été rejetée. De plus, il ne désigne aucun autre organe (au niveau fédéral ou au niveau de l’État) auprès duquel l’auteur aurait pu introduire un recours pour contester la législation elle-même. Le Comité note également qu’il ressort clairement de la législation que l’auteur n’aurait pu en aucun cas obtenir une pension, même s’il répondait à tous les autres critères applicables, car il ne vivait pas avec une personne du sexe opposé. Le Comité rappelle qu’il n’est pas nécessaire d’épuiser les recours internes s’ils n’ont objectivement aucune chance d’aboutir: tel est le cas lorsque, en vertu de la législation interne applicable, la plainte serait immanquablement rejetée ou lorsque la jurisprudence des juridictions nationales supérieures exclut que le plaignant puisse avoir gain de cause. Compte tenu de la rédaction des articles pertinents de la loi sur les allocations dues aux anciens combattants et vu que l’État partie lui-même a reconnu qu’une action devant le Tribunal des recours administratifs n’aurait pas abouti, le Comité conclut que l’auteur ne disposait plus d’aucun recours utile. Ne trouvant aucune autre raison de considérer la communication irrecevable, il procède à son examen quant au fond.

Examen quant au fond

10.1Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui avaient été soumises par les parties, comme le prévoit le paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

10.2L’auteur affirme que le refus de l’État partie de lui accorder une pension au motif qu’il n’entre pas dans la catégorie des «personnes à charge» parce que sa relation avec M. C. était homosexuelle constitue une violation des droits énoncés à l’article 26 du Pacte, fondée sur son orientation sexuelle. Le Comité relève que l’État partie fait valoir que les organes nationaux saisis de l’affaire auraient pu, en tenant compte de tous les faits, rejeter la demande de l’auteur pour d’autres motifs reposant sur des critères applicables à tous les demandeurs, quelle que soit leur orientation sexuelle. Il relève également que l’auteur conteste l’idée qu’il n’était pas fondé à prétendre à une pension. En ce qui concerne les arguments avancés, il fait observer que rien n’indique clairement si l’auteur aurait en fait satisfait aux autres critères énoncés dans la loi et il rappelle qu’il ne lui appartient pas d’examiner les faits et les preuves dans une affaire. Il note cependant que le seul motif invoqué par les organes nationaux pour rejeter la demande de l’auteur reposait sur la constatation que celui‑ci ne remplissait pas la condition «vivre avec une personne du sexe opposé». C’est uniquement sur cette disposition de la loi sur les allocations dues aux anciens combattants, sur laquelle se fonde la plainte, que le Comité doit se prononcer.

10.3Le Comité constate que l’État partie ne fait pas spécifiquement référence aux articles contestés de la loi sur les allocations dues aux anciens combattants (art. 5E, 5E 2 et 11), sur la base desquels l’auteur s’est vu refuser une pension parce qu’il ne pouvait pas être considéré comme «membre d’un couple» parce qu’il ne vivait pas avec une personne du sexe opposé. Il relève que l’État partie ne nie pas que le refus d’une pension pour ce motif soit une interprétation correcte de la loi mais renvoie simplement à d’autres motifs, visés dans cette loi, pour lesquels la demande de l’auteur aurait pu être rejetée. Le Comité considère que la simple lecture de la définition du «membre d’un couple» figurant dans cette loi donne à penser que l’auteur n’aurait pu en aucun cas obtenir une pension, même s’il répondait à tous les autres critères applicables, car il ne vivait pas avec une personne du sexe opposé. L’État partie ne le conteste pas. En conséquence, il reste au Comité à décider si l’État partie a commis une violation de l’article 26 du Pacte en refusant à l’auteur une pension au titre de la loi sur les allocations dues aux anciens combattants, au motif qu’il était du même sexe que feu M.C.

10.4Le Comité rappelle sa jurisprudence, en vertu de laquelle l’interdiction de toute discrimination énoncée à l’article 26 du Pacte concerne également la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle. Dans des affaires antérieures, il a conclu que les différences entre les prestations versées aux couples mariés et celles versées aux couples hétérosexuels non mariés étaient raisonnables et objectives, dans la mesure où ces derniers pouvaient choisir de se marier ou non, avec toutes les conséquences que cela supposait. Il ressort des articles contestés de la loi sur les allocations dues aux anciens combattants que les personnes faisant partie d’un couple marié ou d’un couple hétérosexuel vivant en concubinage (pouvant prouver leur vie commune) sont celles qui sont considérées comme «membres d’un couple», et donc comme «personnes à charge», aux fins des prestations de retraite. Dans le cas d’espèce, toute possibilité de contracter mariage était exclue pour l’auteur, puisqu’il était du même sexe que son partenaire. Le fait qu’il vive avec M. C. n’a pas non plus été reconnu aux fins des prestations de retraite, en raison de son sexe ou de son orientation sexuelle. Le Comité rappelle sa jurisprudence constante, en vertu de laquelle toute distinction n’est pas nécessairement discriminatoire dès lors qu’elle repose sur des critères raisonnables et objectifs. L’État partie n’explique pas en quoi la différence de traitement entre les partenaires homosexuels, auxquels la loi n’accorde aucune prestation de retraite, et les partenaires hétérosexuels non mariés, qui peuvent prétendre à de telles prestations, est raisonnable et objective et aucun élément tendant à prouver l’existence de facteurs justifiant cette distinction n’a été avancé. À cet égard, le Comité conclut que l’État partie a commis une violation des dispositions de l’article 26 du Pacte en refusant à l’auteur le versement d’une pension pour des motifs fondés sur le sexe ou l’orientation sexuelle.

11.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par l’Australie de l’article 26 du Pacte.

12.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, le Comité conclut que l’auteur, en tant que victime d’une violation de l’article 26, a droit à une réparation, et notamment au réexamen de sa demande de pension sans discrimination fondée sur le sexe ou l’orientation sexuelle moyennant, au besoin, une réforme de la loi. L’État partie est tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.

13.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est également prié de rendre publiques les constatations du Comité.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel présenté par le Comité à l’Assemblée générale.]

Appendice

Opinion individuelle (concordante) de M me  Ruth Wedgwood et M. Franco DePasquale, membres du Comité

De nombreux pays reconnaissent à tous les citoyens, quelle que soit leur orientation sexuelle le droit au respect de la vie privée dans leurs relations intimes. En 1994, le Comité a fondé l’existence d’un droit analogue sur l’article 17 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, relevant, dans ses constatations en l’affaire Toonen c. Australie, que les lois pénales de Tasmanie qui visaient à criminaliser les «relations sexuelles contre nature» représentaient une «immixtion arbitraire ou illégale dans … la vie privée». Dans l’affaire Toonen, le Gouvernement fédéral australien a expliqué au Comité que les dispositions du Code pénal de Tasmanie pouvaient effectivement être considérées comme autorisant une «immixtion arbitraire dans la vie privée [de M. Toonen]», et «ne pouvait se justifier» pour des raisons politiques. Les lois réprimant les relations homosexuelles avaient déjà été abrogées dans tous les États d’Australie à l’exception de la Tasmanie, et la décision du Comité semble avoir permis à l’Australie de surmonter les obstacles du fédéralisme.

Dans l’affaire Toonen, l’auteur s’était plaint de ce que, dans le Code pénal de Tasmanie, il [n’était] pas fait de distinction entre le comportement sexuel en privé et en public et [que] la vie privée [devenait] du ressort public» (rien en italique dans l’original). La décision du Comité était fondée sur le droit de toute personne à voir son intimité préservée lorsque l’État partie ne peut invoquer aucun motif raisonnable lié à la sécurité, à l’ordre public, à la santé ou à la moralité pour justifier une immixtion dans sa vie privée.

La présente affaire opposant M. Edward Young à l’Australie pose, quant à elle, une question plus large, sur laquelle divers États parties peuvent avoir des opinions arrêtées, celle de savoir si un État est tenu par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques d’accorder aux relations homosexuelles durables le même traitement que celui qu’il réserve aux mariages officiels et aux unions hétérosexuelles «quasi maritales» − en l’occurrence, aux fins de la réversion de prestations de retraite aux ayants droit de militaires décédés. Dans cette perspective plus large, l’affaire soulève la question générale des droits positifs à un traitement égal, c’est‑à‑dire celle de savoir si un État doit placer les relations homosexuelles sur le même pied que les formes d’union civile traditionnelles.

En ce qui concerne les faits et les circonstances particulières de cette affaire, le Comité a conclu que la distinction établie par l’Australie entre partenaires civils homosexuels et partenaires civils hétérosexuels ne tenait pas, face au recours de M. Young. La violation ne porte pas sur le droit au respect de la vie privée reconnu à l’article 17 du Pacte, mais sur le droit revendiqué à l’égalité devant la loi, consacré par l’article 26.

Cela étant, il convient de formuler deux observations à propos des limites de la décision prise par le Comité en l’espèce, pertinentes pour sa pratique future.

Premièrement, d’une manière générale, les plaignants devraient être tenus d’avoir épuisé tous les recours internes, y compris toutes les possibilités d’appel sur le plan local, avant que le Comité n’examine leur communication sur le fond. Rien ne nous permet de supposer que les tribunaux australiens seraient inaptes ou peu enclins à interpréter la législation australienne à la lumière des règles conventionnelles volontairement adoptées par l’Australie. Quand bien même un système juridique n’aurait pas formellement intégré les dispositions du Pacte dans son ordre interne, le Pacte peut servir de référence doctrinale à l’heure d’interpréter l’intention du législateur. Le Comité ne devrait pas présumer que le droit international ne déploie que ses effets sur les régimes juridiques nationaux que de l’extérieur, pas plus qu’il ne saurait exiger que des droits soient transposés par renvoi exprès aux dispositions du Pacte. C’est le fond, et non la forme, qui compte, et certains systèmes judiciaires nationaux préféreront peut‑être expliquer leurs choix en s’appuyant sur des règles constitutionnelles, ou des principes de la common law ou du droit romain, même s’ils respectent la substance des droits reconnus dans le Pacte. Si le volume des communications individuelles présentées au titre du Protocole facultatif se rapportant au Pacte continue de croître, le Comité devra certainement faire preuve d’une plus grande discipline en laissant aux tribunaux nationaux les décisions qui sont de leur ressort.

En l’espèce, M. Young a demandé à obtenir une pension de réversion en tant que personne à la charge de M. C., un ancien combattant revendiquant le statut de survivant ayant droit de ce dernier. L’Australian Repatriation Commission a estimé que M. Young ne pouvait être considéré en droit australien comme une personne légalement à charge, en dépit de la relation intime durable que celui-ci avait décrite. Dans un premier recours, l’organe de recours des anciens combattants a confirmé que M. Young n’avait droit à aucune prestation. Toutefois, le plaignant n’a pas usé des autres voies de recours dont il disposait auprès de la Cour d’appel administrative du Commonwealth ou de la Cour fédérale d’Australie, alors que rien dans le dossier ne nous permet de penser que de telles démarches se seraient révélées vaines.

Deuxièmement, l’état des choses dans la présente affaire limite la portée de notre décision. L’Australie n’a contesté la recevabilité de la communication que sur des points exclusivement factuels, à savoir 1) le fait que M. C, n’étant apparemment pas décédé des suites de faits de guerre, n’aurait de toute façon pas été en mesure de faire bénéficier quelque personne à charge, que ce soit de ses droits à pension, et 2) le fait que l’existence d’une relation durable entre M. Young et M. C n’était pas suffisamment étayée.

Dans une affaire de cette importance, il peut être surprenant de voir que l’Australie n’a pas choisi d’entrer en matière pour confirmer ou infirmer sur le fond l’allégation faite au titre de l’article 26 du Pacte. L’Australie n’a pas fait d’observations sur l’argument de M. Young selon lequel la distinction établie en droit entre partenaires civils homosexuels et partenaires civils hétérosexuels était infondée, et le Comité a, au fond, rendu un jugement par défaut. Selon la jurisprudence relative au Pacte, un État partie doit appliquer des «critères raisonnables et objectifs» pour établir une distinction fondée sur le sexe, ou (selon les «orientations» que nous donnons à l’État partie au paragraphe 8.7 des constatations adoptées dans l’affaire Toonen), fondée sur les préférences sexuelles. Néanmoins, ainsi que le Comité le relève au paragraphe 10.4 des constatations adoptées dans la présente affaire, «l’État partie n’explique pas en quoi la différence de traitement entre les partenaires homosexuels, auxquels la loi n’accorde aucune prestation de retraite, et les partenaires hétérosexuels non mariés, qui peuvent prétendre à de telles prestations, est raisonnable et objective, et aucun élément tendant à prouver l’existence de facteurs justifiant cette distinction n’a été avancé». Dans tous les sens du terme, il ne s’agit pas ici d’une instance contradictoire.

Nombreux sont les gouvernements et les individus de bonne volonté désireux de trouver une réponse éthique et juridique appropriée aux questions et controverses que suscite le traitement égalitaire des couples homosexuels et des couples hétérosexuels en ce qui concerne diverses prestations de l’État, notamment à l’affirmation litigieuse selon laquelle il existerait un droit «transjuridictionnel» à la reconnaissance des mariages homosexuels. De même, dans de nombreuses démocraties, se pose la question de savoir si le service militaire devrait continuer d’être réservé aux seules personnes hétérosexuelles.

Dans le cas d’espèce, le Comité n’a pas cherché à recenser l’ensemble des arguments «raisonnables et objectifs» que d’autres États et d’autres plaignants pourront avancer à l’avenir sur ces questions, dans un contexte analogue à celui de la présente affaire, ou dans un autre contexte. En examinant les communications individuelles présentées au titre du Protocole facultatif, le Comité ne devra jamais perdre de vue la portée des décisions qu’il aura prises, ou renoncé à prendre, dans chaque cas.

(Signé) Ruth Wedgwood(Signé) Franco DePasquale

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel présenté par le Comité à l’Assemblée générale.]

-----