NATIONS

UNIES

CAT

Convention contre

la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr.

RESTREINTE*

CAT/C/39/D/269/2005

22 novembre 2007

Original: FRANÇAIS

COMITÉ CONTRE LA TORTURE

Trente-neuvième session

(5 – 23 novembre 2007)

DÉCISION

Communication No. 269/2005

Présentée par:Ali Ben Salem (représenté par un conseil)

Au nom du:Requérant

État partie:Tunisie

Date de la requête:2 mai 2005 (lettre initiale)

Date de la présente décision:7 novembre 2007

Objet: torture et/ou mauvais traitements dans un poste de police

Questions de fond: torture et peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ; obligation de l’État partie de veiller à ce que les autorités compétentes procèdent immédiatement à une enquête impartiale ; droit de porter plainte ; droit d’obtenir une réparation

Questions de procédure: épuisement des voies de recours internes, abus du droit de soumettre des requêtes

Articles de la Convention: 2, par.1, lu conjointement avec 1 ; 16, par.1 ; 11, 12, 13 et 14, seuls ou lus conjointement avec 16, par.1

GE.07-45541[ANNEXE]

ANNEXE

DÉCISION DU COMITÉ CONTRE LA TORTURE AU TITRE DE L’ARTICLE 22 DE LA CONVENTION CONTRE LA TORTURE ET AUTRES PEINES OU TRAITEMENTS CRUELS, INHUMAINS OU DÉGRADANTS

Trente - neuvième session

Concernant la

Communication No. 269/2005

Présentée par :Ali Ben Salem (représenté par un conseil)

Au nom du :Requérant

État partie :Tunisie

Date de la requête : 2 mai 2005 (lettre initiale)

Le Comité contre la torture, institué en vertu de l’article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 7 novembre 2007,

Ayant achevé l’examen de la requête No. 269/2005, présentée au nom de Ali Ben Salem en vertu de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par le requérant et l’État partie,

Adopte ce qui suit :

Décision au titre du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture

1.Le requérant est M. Ali Ben Salem, un ressortissant tunisien âgé de 73 ans. Il affirme avoir été la victime de violations par la Tunisie des articles 2, paragraphe 1, lu conjointement avec 1 ; 16, paragraphe 1 ; 11, 12, 13 et 14, seuls ou lus conjointement avec 16, paragraphe 1. Il est représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par le requérant

Le requérant a un long passé d’activiste en faveur de la promotion des droits de l’homme en Tunisie. Durant les 24 dernières années, il a assisté à la création d’organisations de surveillance des droits de l’homme dans le pays et a occupé des fonctions de direction au sein de celles-ci. En 1998, il co-fonda le Conseil National pour les Libertés en Tunisie (CNLT) que le gouvernement tunisien refusa d’enregistrer comme ONG légale et soumit à une surveillance constante. En 2003, il co-fonda l’Association Tunisienne de Lutte contre la Torture (ALTT). Ses collègues et lui ont été la cible de harcèlements, menaces et violences de la part du gouvernement tunisien.

En mars 2000, le CNLT a publié un rapport détaillant toutes les violations systématiques des droits de l’homme commises par le gouvernement tunisien, y compris des actes de torture. Le 3 avril 2000, M. Ben Brik, un journaliste et ami du requérant, commença une grève de la faim pour protester contre le retrait de son passeport par les autorités tunisiennes, le harcèlement répété de la police à son encontre et le boycott de son travail par les média tunisiens. Le 26 avril 2000, le requérant alla visiter son ami et aperçut de nombreuses personnes autour de sa maison. Il reconnut plusieurs agents de police habillés en civils, dont certains étaient impliqués dans la surveillance et dans les nombreuses fermetures des bureaux du CNLT. Ces policiers empêchèrent les journalistes étrangers de s’approcher de la maison de M. Ben Brik. Le requérant tenta de fuir les lieux, mais reçut un coup sur la nuque et perdit partiellement connaissance. D’autres personnes furent également battues et arrêtés par la police.

Le requérant et les autres personnes furent conduits au poste de police d’El Manar 1, où il reçut de nombreux coups derrière la tête et la nuque, ainsi que des coups de pied par plusieurs officiers. Il a ensuite été traîné sur le ventre sur une quinzaine de mètres le long de la cour et jusqu’en haut de l’escalier menant au poste de police. Par conséquent, ses vêtements étaient déchirés et la partie inférieure de son corps éraflée. Le requérant a continué à recevoir des coups, notamment de la part d’un agent. Il apprit plus tard qu’il s’agissait d’un Mr. Abdel Baqui Ben Ali. Un autre agent vaporisa du gaz lacrymogène sur son visage, ce qui lui brûla les yeux et l’empêcha de respirer. Un agent frappa violemment sa tête contre le mur, ce qui lui fit perdre connaissance pour une durée indéterminée. Quand il reprit conscience, il se trouvait sur le sol du hall principal du poste de police dans une flaque d’eau. Il demanda à ce qu’on le conduise aux toilettes en raison des douleurs à la prostate dont il souffrait depuis plusieurs années. Devant le refus des officiers, il fut obligé de se trainer sur le sol jusqu’aux toilettes.

Un peu plus tard, on lui ordonna d’aller dans un bureau situé quelques mètres plus loin. Il fut de nouveau obligé de se trainer sur le sol. Trois officiers tentèrent de le forcer à s’asseoir sur une chaise. Le requérant reçut ensuite un coup sur la nuque qui lui fit perdre conscience pendant un instant. Lorsqu’il reprit conscience, il se rendit compte qu’on le jetait à l’arrière d’une voiture et s’évanouit de douleur. Il fut abandonné sur un chantier où il fut découvert en fin d’après-midi par trois ouvriers qui trouvèrent un taxi pour l’amener à l’hôpital. À l’hôpital, les examens médicaux confirmèrent que le requérant souffrait de blessures graves à la colonne vertébrale, d’un traumatisme crânien et de contusions. Malgré l’inquiétude des médecins, il décida de quitter l’hôpital dès le lendemain car il avait peur de la police, et de retourner chez lui à Bizerte. Depuis ce jour, il souffre d’importants problèmes de dos, a des difficultés à se tenir debout, marcher et même à porter des objets de petite taille. Les médecins ont préconisé une intervention chirurgicale au dos. Le requérant souffre également de blessures aux épaules. Comme il ne peut financer une intervention chirurgicale, il doit prendre des médicaments contre la douleur.

Le 20 juin 2000, le requérant déposa une plainte au bureau du Procureur de la République dans laquelle il décrit les sévices infligés par les agents de police au poste d’El Manar 1, demande au Procureur d’ouvrir une enquête criminelle sur cet incident et met en cause le Ministre de l’Intérieur et celui de la Sécurité Nationale. Le bureau du Procureur refusa d’accepter cette plainte au motif que ce n’étaient pas les deux ministres eux-mêmes qui avaient maltraité le requérant. Le 22 août 2000, le requérant renvoya sa plainte au bureau du Procureur par la poste. Le 4 septembre 2000, il alla déposer cette plainte en main propre au bureau du Procureur. Il ne reçut aucune réponse. Aucune enquête n’a été ouverte depuis.

Le requérant a été soumis à une surveillance policière quasi constante depuis le 26 avril 2000. Des policiers en civil sont presque en permanence stationnés devant son domicile. Sa ligne de téléphone est fréquemment coupée et il suspecte la police de l’avoir mis sur écoute. Il a été victime d’une nouvelle agression policière le 8 juin 2004 alors qu’il tentait de faire enregistrer l’organisation qu’il avait co-fondée, l’ALTT.

Teneur de la plainte

Le requérant allègue une violation de l’article 2, lu conjointement avec l’article 1, puisque l’État partie a non seulement failli à son obligation de prendre des mesures efficaces pour empêcher des actes de torture, mais a également utilisé ses propres forces de police pour le soumettre à de tels actes. L’État partie a intentionnellement infligé au requérant des traitements pouvant être assimilé à de la torture dans le but de le punir de ses activités dans le domaine des droits de l’homme et de l’intimider pour qu’il cesse de telles activités. Le requérant note que la gravité des mauvais traitements qu’il a endurés est comparable à d’autres affaires dans lesquelles le Comité a considéré que de telles sévices constituaient des tortures d’après l’article 1. En outre, la gravité des mauvais traitements doit être évaluée en prenant en compte l’âge de la victime, ses problèmes de santé et les effets physiques et mentaux permanents résultant des sévices. Il rappelle qu’il était âgé de 67 ans et qu’il avait des problèmes de prostate.

Le requérant estime que l’État partie a violé l’article 11, puisque les autorités de l’État ont non seulement manqué de recourir à leur pouvoir de supervision pour empêcher la torture, mais qu’elles ont en plus elles-mêmes eu recours à la torture. L’État partie n’a donc clairement pas exercé une surveillance systématique sur les règles, instructions, méthodes et pratiques en vue d’éviter tout cas de torture.

Le requérant affirme avoir été victime d’une violation de l’article 12 combiné à l’article 13, puisque l’État partie n’a pas mené d’enquête relative aux actes de torture commis contre lui, malgré des preuves abondantes que des agents publics avaient perpétré des actes de torture. Il avait porté plainte et plusieurs organisations internationales ont fait des déclarations officielles le mentionnant et décrivant les mauvais traitements infligés par la police tunisienne. Il rappelle que selon la jurisprudence du Comité, il suffit que la victime formule simplement une allégation de torture pour que les autorités soient tenues de l’examiner.

Quant à l’allégation de violation de l’article 13, le requérant fait valoir que l’État partie ne s’est pas acquitté de son obligation de protection envers lui contre tout mauvais traitement ou toute intimidation en raison de sa plainte. Au contraire, il estime que l’État partie l’a exposé aux intimidations de ses propres forces de police. Il rappelle que depuis les faits, il est sous surveillance quasiment constante des forces de police tunisienne.

Quant à l’allégation de violation de l’article 14, le requérant considère que l’État partie a ignoré son droit de porter plainte et l’a ainsi privé de son droit d’obtenir réparation et des moyens nécessaires à sa réhabilitation. Même s’il est théoriquement possible que les actions civiles constituent une réparation suffisante pour les victimes de torture, de telles actions sont soit inaccessibles, soit insuffisantes. Selon l’article 7 du Code de procédure pénale tunisien, un jugement civil ne peut être rendu tant qu’il n’a pas été statué définitivement sur l’action publique, lorsque le plaignant a choisi de recourir aux deux voies de recours. Étant donné que l’action publique n’a jamais été initiée dans le cas présent, l’État partie a refusé au requérant la possibilité de réclamer une compensation civile. Si le requérant exerce une action civile, sans qu’aucune action pénale soit intentée, il doit renoncer à toute action pénale future. Ainsi, même si le requérant obtenait gain de cause dans un tel cas, cette forme limitée de réparation ne serait ni juste, ni adéquate.

Quant à l’allégation de violation de l’article 16, le requérant soutient que si les mauvais traitements perpétrés à son encontre ne sont pas qualifiés de torture, ils constituent des traitements cruels, inhumains ou dégradants.

Concernant l’épuisement des recours internes, le requérant fait valoir qu’il a tenté sans succès tous les recours nationaux disponibles sous la loi tunisienne. Il rappelle qu’il a tenté à trois reprises de porter plainte auprès du bureau du Procureur (voir par.2.5 ci-dessus). Il n’a reçu aucune réponse concernant ses plaintes alors qu’elles ont été déposées en 2000. Il rappelle que le Comité a considéré que les allégations de torture revêtent une telle gravité que dès le moment où il existe des motifs raisonnables permettant de croire que des actes de torture ont été commis, l’État partie a l’obligation de diligenter automatiquement une enquête impartiale et rapide. Dans de telles affaires, il suffit à la victime de porter les faits à la connaissance des autorités pour faire naître une telle obligation. Dans le cas présent, le requérant a non seulement porté plainte, mais des organisations internationales ont aussi publiquement dénoncé les brutalités dont il a été victime.

Pour le requérant, l’inaction du Procureur durant les cinq années suivant le dépôt d’une plainte pénale constitue un délai non raisonnable et injustifiable. Il rappelle que le Comité a considéré qu’un délai de plusieurs mois entre le moment où l’autorité compétente est informée des allégations de torture et le moment où des mesures d’enquête sont effectivement prises constitue un délai excessif. Il n’existe pas de recours disponibles et efficaces en Tunisie pour les victimes de torture puisque les autres recours judiciaires sont viciés en pratique. Même si le requérant peut engager des poursuites à titre privé lorsque le Procureur public ne souhaite pas entamer la procédure, il n’aurait pas la possibilité, ensuite, de recourir à la procédure d’indemnisation pénale. Il rappelle que le Comité a considéré qu’une inaction procédurale constituait « un obstacle insurmontable », car elle rendait très improbable que la victime puisse obtenir une indemnisation. Le requérant note que les Procureurs n’enquêtent pas sur les allégations de torture et de violences et que les juges rejettent régulièrement de telles plaintes sans enquête. Ainsi, si des recours existent en théorie, ils sont en pratique inadéquats.

Le requérant demande au Comité de recommander à l’État partie d’adopter les mesures nécessaires pour mener une enquête complète sur les circonstances concernant la torture qu’il a subie, que ces informations lui soient communiquées, et que, sur la base des résultats de l’enquête, si les faits le justifient, des mesures appropriées soient adoptées pour traduire en justice les responsables de ces actes de torture. Il demande également à ce que l’État partie adopte les mesures nécessaires pour lui garantir une réparation adéquate et intégrale pour les dommages subis.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Le 21 octobre 2005, l’État partie a fait part de ses observations sur la recevabilité de la requête. Il objecte qu’elle est irrecevable parce que le requérant n’a pas utilisé, ni épuisé les recours internes disponibles qui sont, contrairement à ses allégations, efficaces. Il fait valoir que le requérant n’a pas assuré le suivi de sa plainte. Le jour même du dépôt de la plainte au Tribunal de première instance de Tunis le 4 septembre 2000, le substitut du Procureur de la République a invité, par écrit, le plaignant à produire le certificat médical constatant le prétendu dommage corporel cité dans sa plainte. Or, le requérant n’a pas présenté le certificat médical demandé. Malgré cela, le Procureur de la République a requis du directeur de la sûreté du district de Tunis de procéder aux investigations nécessaires sur les faits relatés et de lui en rendre compte. Le 17 avril 2001, le directeur de la sûreté du district de Tunis a souligné que les faits relatés par le plaignant n’étaient pas établis, mais que les investigations étaient encore en cours. Par contre, il a indiqué qu’aux mêmes dates et lieux indiqués, la police avait procédé à des interpellations et arrestations suite à un rassemblement non autorisé sur la voie publique. Sur la base de ces informations, le Procureur de la République a chargé l’un de ses substituts de procéder à l’audition des personnes citées dans la plainte, à savoir, les trois agents de police et le plaignant. Interrogés respectivement les 12 juillet 2001, 13 novembre 2001 et 11 juillet 2002, les trois prévenus ont tous nié les faits tels que relatés par le plaignant. L’un a assuré qu’il ne pouvait se trouver sur les lieux des faits allégués, puisqu’il était affecté dans un autre district. Les deux autres étaient sur les lieux où se tenait le rassemblement non autorisé. Cependant, après avoir été agressés par un manifestant, ils furent transportés à l’hôpital. Face à l’inertie du plaignant, le parquet de Tunis a décidé le 29 mai 2003 de procéder à une confrontation entre lui et les trois agents de police. Il chargea la direction de la sûreté du district de Tunis de convoquer le plaignant et de lui demander les coordonnées des témoins cités dans sa plainte. Cette demande resta sans suite à cause de l’absence du plaignant à l’adresse citée dans sa plainte initiale. Le 12 juin 2003, le substitut du Procureur de la République a donc décidé de classer la plainte sans suite, faute de preuve.

4.2L’État partie rappelle que les allégations soulevées par le requérant portent sur des faits qualifiés de crimes en droit tunisien, et ne sont, à ce titre, prescrits qu’après dix ans. Il peut donc toujours engager un recours. L’État partie fait valoir que le requérant n’a présenté aucun motif sérieux justifiant son inaction, malgré les possibilités qui lui sont, juridiquement et effectivement, offertes pour saisir les instances judiciaires nationales. Le requérant peut contester la décision de classement sans suite de l’affaire à laquelle a abouti le Procureur de la République et obtenir l’ouverture de l’information devant le juge d’instruction ou citer directement les prévenus devant la chambre correctionnelle en vertu de l’article 36 du Code de procédure pénale. Il peut associer à l’action pénale une demande civile en réparation, ou attendre une condamnation et intenter une action civile en réparation, de façon indépendante, devant la juridiction purement civile. En outre, le requérant dispose d’un recours administratif, puisque les agents publics commettant une faute grave engagent la responsabilité de l’État ainsi que leur responsabilité personnelle. Ce recours reste toujours possible puisque les délais de prescription de ce type de recours en indemnisation sont fixés à quinze ans. L’État partie fait valoir que les recours internes sont efficaces et que le requérant n’a pas usé sciemment de ces recours. Il cite de nombreux exemples démontrant que les recours devant la justice tunisienne, dans des cas similaires, sont non seulement possibles, mais efficaces.

4.3L’État partie estime que le requérant a abusé du droit de soumettre des communications en vertu de l’article 22, alinéa 2, de la Convention à cause des motivations politiques du requérant ainsi que des propos diffamatoires contenus dans la communication. Il rappelle que le requérant est membre fondateur de deux formations sans existence légale en Tunisie, à savoir le CNLT et l’ALTT, que ces deux formations continuent à agir en dehors de la légalité et ne cessent de prendre des positions de dénigrement visant à discréditer les institutions du pays. Il note que le requérant porte des accusations diffamatoires graves et qui ne sont réellement étayées par aucune preuve, à l’égard des autorités judiciaires tunisiennes.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie

5.1Le 21 novembre 2005, le requérant réaffirme qu’il a utilisé les voies de recours internes prévues par la loi tunisienne malgré le fait qu’elles sont inefficaces. Il a fait plus que ce qu’il ne lui est demandé pour que les faits soient enquêtés et jugés au niveau national, puisqu’il a entrepris toutes les démarches devant mener à une enquête sérieuse des faits. L’obligation d’entreprendre une investigation naît à la charge d’un État même en l’absence de toute action procédurale formelle de la part de la victime. En tout état de cause, le requérant rappelle qu’il est allé en personne au siège des autorités compétentes déposer sa plainte, après avoir essayé de porter plainte à deux reprises auparavant. Aucune notification, convocation ou instruction ne lui a été transmise et aucune information sur l’état de son dossier ne lui a été communiquée. Dès lors, il estime qu’il n’a pas manqué de diligence en ce qui concerne le suivi de sa plainte. Il considère que l’État partie est le seul responsable de la conduite de l’enquête. Même dans l’hypothèse où le requérant n’aurait pas observé une telle diligence, ceci ne changerait rien aux obligations qui incombent à l’État partie. Il rappelle que le Comité a déclaré que le manque d’action de la part de la victime ne peut pas servir à excuser les défaillances de l’État partie quant à la conduite d’une investigation portant sur des accusations de torture.

5.2Le requérant estime que sa plainte s’est révélée inefficace puisqu’il n’a jamais eu de nouvelles concernant une quelconque suite donnée à celle-ci. Quant aux procès-verbaux, lettres et autres communications concernant l’investigation, et mentionnés par l’État partie, il note qu’aucun de ces documents n’ont été produits par l’État partie dans sa réponse à sa communication. En tout état de cause, il considère que l’ensemble de ces démarches ne saurait être considéré comme une investigation complète et impartiale, telle que l’exige l’article 12 de la Convention. Quant au fait que sa convocation en juin 2003 ne lui est pas parvenue à cause de son absence à son domicile, il fait valoir que quoi qu’il en soit, une seule absence ponctuelle du plaignant à son domicile n’est pas une raison valable pour l’exclure totalement de la procédure. En ce qui concerne les certificats médicaux, si le Procureur de la République avait formulé en septembre 2000 une demande, jamais reçue, invitant le requérant à les présenter, aucune autre mesure visant à les obtenir n’a été prise par la suite. Le requérant note que le directeur de la sûreté du district de Tunis aurait provisoirement conclu dans sa correspondance du 17 avril 2001, soit sept mois après la prétendue ouverture de l’enquête, que les faits relatés n’avaient pas été établis, sans qu’aucun témoin, ni le plaignant, ni les prévenus n’aient été entendus, et en l’absence de certificats médicaux. Les trois prévenus ont été interrogés plus d’une année après les faits pour le premier d’entre eux et plus de deux ans pour le dernier, malgré le fait que tous étaient facilement joignables par la police judiciaire. Le requérant note également que l’État partie rapporte, sans donner plus de précisions, que les trois prévenus ont nié les faits, et qu’il n’y a aucune indication d’une ultérieure vérification de leurs dires. Il estime que les autorités n’ont pas procédé à une investigation prompte, sérieuse, exhaustive et impartiale.

5.3Le requérant considère que les autres voies de recours internes mentionnées par l’État partie sont aussi inefficaces et qu’il est dispensé de ce fait d’intenter de telles actions en justice aux termes de l’article 22, alinéa 5 b) de la Convention. En ce qui concerne les recours par voie pénale, il rappelle qu’il se heurte à plusieurs obstacles déjà mentionnés, dont l’absence de décision du Procureur de ne pas entamer des poursuites judiciaires. En outre, en cas de non-lieu prononcé dans le cadre d’une information ouverte sur constitution de partie civile, la responsabilité pénale et civile du requérant risque d’être engagée ; ce qui constitue un élément dissuasif. En ce qui concerne les recours par voie civile, le requérant rappelle que, selon l’article 7 du Code de procédure pénale, l’action civile est dépendante et tributaire de l’action pénale. Or, l’action pénale n’est pas une option disponible en pratique. En ce qui concerne les recours par voie administrative, il fait valoir que l’issue favorable d’une procédure devant les tribunaux administratifs n’est pas plus probable que par voie pénale, et que le résultat de la plainte pénale est un bon indicateur de la fin probable d’une action contentieuse administrative. De plus, il estime qu’aussi bien les actions civiles qu’administratives se révèlent insuffisantes, de par leur propre nature, pour garantir une réparation pleine et adéquate s’agissant d’un cas de torture, et que seul un recours pénal est adéquat pour remédier à une telle violation des droits fondamentaux de la personne.

5.4En ce qui concerne l’argument selon lequel sa communication constitue un abus du droit de soumettre des communications auprès du Comité, le requérant précise qu’il n’a fait qu’exercer son droit à un recours effectif, qu’il n’a pas de motivations politiques, ni émis de propos diffamatoires contre l’État partie. Il rappelle que le Comité a considéré que l’engagement politique d’un requérant n’empêche pas l’examen de sa plainte.

Observations supplémentaires des parties

6.1Le 26 avril 2006, l’État partie insiste que le requérant a fait preuve depuis la prétendue agression d’une négligence manifeste, notamment en ce qui concerne le retard de plus de quatre mois pour la déposition de la plainte, la non-adjonction du certificat médical et l’insuffisance d’indications concernant les agents dénoncés et les témoins cités. Il ajoute qu’outre ces manquements majeurs, le requérant a fait preuve de négligence dans le suivi de l’enquête puisqu’il n’a daigné, à aucun moment depuis la déposition de sa plainte, chercher à savoir son issue et assurer son suivi. Il estime que cette attitude dénote sa mauvaise foi et son intention délibérée de faire apparaître une inefficacité des recours. En revanche, le Procureur de la République a fait preuve d’une diligence exceptionnelle parce que les plaintes qui ne sont pas appuyées de preuves probantes sont généralement classées sans suite. Or, le Procureur a examiné la plainte le jour même de son dépôt, constaté l’absence de certificat médical et préféré donner une chance à la requête en demandant au plaignant le certificat. Malgré le manque d’éléments suffisants dans le dossier, il a entrepris d’office des investigations sur les faits relatés par le requérant. Malgré sa diligence, l’absence constatée à maintes reprises du requérant à son domicile a gravement entravé la collecte d’informations fiables.

6.2En ce qui concerne l’absence de toute information sur l’état du dossier, l’État partie précise qu’au stade du dépôt de la plainte, le Code de procédure pénale ne prévoit pas de procédures spéciales de notification ou d’information du plaignant, et qu’il est d’usage que ce dernier suive spontanément et logiquement sa plainte. En ce qui concerne l’argument selon lequel la responsabilité pénale et civile du requérant risquent d’être engagées en cas de non-lieu dans le cadre d’une information ouverte sur constitution de partie civile, l’État partie précise que ce risque n’est encouru qu’en cas de délit de dénonciation calomnieuse. Pour ce qui est des éléments de preuve, il souligne que ses commentaires ont été entièrement formulés sur la base de documents officiels tirés du dossier de l’affaire.

7.Le 10 mai 2006, le requérant réaffirme qu’il a fait preuve de diligence et de persévérance tout au long de ses tentatives de porter plainte et que si les actions légales qu’il a entreprises se sont avérées inefficaces, cela ne peut être en aucun cas attribué à sa conduite. Il ajoute qu’il ne dispose pas, en pratique, de voies légales alternatives lui offrant des perspectives raisonnables de satisfaction.

Délibérations du Comité concernant la recevabilité

8.1À sa trente-septième session, le Comité a examiné la question de la recevabilité de la requête et, dans une décision du 8 novembre 2006, déclaré qu’elle était recevable.

8.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été examinée et n’est pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

8.3 L’État partie avait demandé au Comité de déclarer la requête irrecevable aux motifs que le requérant avait abusé du droit de soumettre une telle communication et qu’il n’avait pas épuisé tous les recours internes disponibles. Le requérant quant à lui contestait les arguments de l’État partie et affirmait que non seulement il n’avait pas abusé du droit de saisir le comité, mais qu’en plus ses démarches n’avaient aucune chance d’aboutir devant les autorités tunisiennes.

8.4S’agissant de l’abus de droit, invoqué par l’État partie, le Comité a fait observer que pour qu’il y ait abus du droit de saisir le comité en vertu de l’article 22 de la convention, il fallait que soit remplie l’une des conditions suivantes : que l’exercice par un particulier du droit de saisir le comité soit constitutif d’un acte de malice ou de mauvaise foi ou à tout le moins d’une erreur équivalente au dol, ou avec une légèreté blâmable ; ou que les actes ou les abstentions incriminés n’aient aucun rapport avec la Convention. Or dans le cas d’espèce, il était constant que le requérant se plaignait d’avoir fait l’objet de la part des policiers dans la rue ou dans un commissariat de police d’actes de tortures et/ou de mauvais traitements et invoquait à l’encontre de l’État partie la violation de dispositions de la Convention.

8.5S’agissant de la fin de non-recevoir tiré du non épuisement des voies de recours internes, tout en prenant en considération les développements de l’État partie relatifs à son système juridique et judiciaire, le Comité a noté que les faits en cause avaient eu lieu le 26 avril 2000 au poste de police d’El Manar 1, que les seules investigations entreprises l’avaient été par le directeur de la sûreté du district de Tunis et par le procureur de la République qui avait finalement classé sans suite la plainte ; qu’à la date du dépôt de la requête le 6 juillet 2005 (soit plus de 5 ans après les faits), auprès du Comité contre la torture aucune décision sur le fond n’était intervenue, qu’il s’agissait là d’un délai anormalement long pour traiter de faits extrêmement graves, qualifiés de crime par la législation tunisienne et sévèrement réprimés par celle-ci. Eu égard à ce qui précède, le Comité a considéré qu’il y avait lieu de faire application des dispositions du paragraphe 5 de l’article 22 de la Convention.

8.6.En conséquence, le Comité contre la torture a décidé que la requête était recevable en ce qui concernait les articles 2, paragraphe 1, lu conjointement avec 1 ; 16, paragraphe 1 ; 11, 12, 13 et 14, seuls ou lus conjointement avec 16, paragraphe 1.

Observations de l’État partie

9.1Le 2 mars 2007, l’État partie réaffirme qu’aucune disposition de la Convention n’a été violée et exprime son étonnement du fait que le Comité ait décidé de la recevabilité de la requête. Il rappelle que la saisine du Comité ne devrait pas permettre au requérant d’éluder les conséquences de sa propre négligence et du non épuisement des recours internes disponibles.

9.2Tandis que le Comité a déterminé qu’aucune décision sur le fond n’était intervenue plus de cinq ans après la plainte du requérant auprès des autorités, l’État partie souligne que c’est en raison de plusieurs manquements majeurs du requérant que sa plainte a été classée par le Procureur de la République, à savoir la non adjonction du certificat médical et l’insuffisance d’indications sur les agents dénoncés et les témoins cités, et le non suivi de la plainte. À défaut de preuves probantes et de précisions sur l’identité complète et l’adresse des témoins, en plus de la réfutation par les personnes accusées des faits relatés par le requérant, il n’était pas possible de prendre une décision sur le fond.

9.3L’État partie estime qu’il a fourni des détails sur les possibilités de recours qui restent ouvertes au requérant. L’action publique n’étant pas encore prescrite, le requérant peut encore engager une action en justice. Il souligne que l’efficacité des voies de recours internes n’est pas en doute. Des sanctions aussi bien disciplinaires que judiciaires ont été prononcées contre des agents dont la responsabilité a été établie, tel qu’indiqué dans les réponses antérieures de l’État partie. En l’espèce, le Comité aurait pu recommander au requérant d’engager une action et d’épuiser les voies de recours internes, en toute conformité avec les dispositions de la Convention. L’État partie invite donc le Comité à bien vouloir réexaminer sa position à la lumière des considérations précitées. Aucune observation sur le fond n’est présentée par l’État partie.

Observations complémentaires des parties

Le 28 mars 2007, le requérant estime que l’État partie se contente de réitérer les observations déjà formulées sur la recevabilité de la requête et ne fait aucune observation sur le fond.

Le 12 avril 2007, l’État partie réitère ses regrets quant à l’attitude du Comité déclarant la requête recevable en dépit de tous les éclaircissements présentés par l’État partie. Il mentionne que de nouvelles démarches ont été engagées, conformément à l’article 111 du règlement intérieur du Comité. Le Procureur général près la Cour d’appel de Tunis a, en application de l’article 23 du Code de Procédure Pénale, requis du Procureur de la République près le Tribunal de première instance de Tunis, qu’il soit informé sur les faits objet de la requête. Une instruction préparatoire a été ainsi ouverte, contre toute personne qui serait révélée, par l’instruction et confiée au juge en charge du 10ème bureau d’instruction près le Tribunal de première instance de Tunis. L’affaire est enrôlée devant le juge d’instruction sous le numéro 8696/10. Dans l’attente des résultats de l’enquête judiciaire et à la lumière des mesures entreprises par les autorités, l’État partie invite le Comité à revoir sa décision de recevabilité.

12.1Le 20 avril 2007, le requérant note que les observations de l’État partie n’ont plus d’objet puisque la recevabilité a déjà été décidée. L’État partie ne fait que répéter les arguments qu’il a déjà avancés. Néanmoins, le requérant note que l’État partie a fourni des informations incorrectes sur plusieurs des faits allégués: il a présenté sa première plainte devant les autorités tunisiennes en juin 2000. Au lieu de faciliter son accès aux recours internes, l’État partie a continué en 2005 et 2006 à harceler et intimider le requérant en le soumettant notamment à une surveillance permanente et rapprochée. Il a été mis en résidence surveillée plusieurs fois. Le 3 juin 2006, il a été temporairement arrêté et il lui a été interdit de quitter le pays.

12.2Compte tenu du refus persistant de l´État partie de se prononcer sur le fond, le requérant invite le Comité à statuer sur les faits tels qu’ils sont décrits par lui. Il rappelle que le Comité des droits de l’homme et le Comité contre la torture ont régulièrement soutenu que les allégations du requérant doivent être dûment prises en considération lorsque l’État partie ne fournit pas de preuves ou d’explications contradictoires. Dans le cas présent, alors que l’État partie ne s’est pas prononcé sur le fond, le requérant a procédé correctement en étayant ses allégations par une série de documents qui comprenait des copies de son dossier médical, sa plainte auprès des instances judiciaires tunisiennes, des déclarations de témoins et plusieurs documents complémentaires.

12.3Le requérant affirme que l’État partie n’a pas pu démontrer que des recours sont effectivement à la disposition des victimes en Tunisie. Il a décrit les recours internes auxquels la victime peut en théorie faire appel. En Tunisie, le système judiciaire n’est pas indépendant et en général, les tribunaux entérinent les décisions du gouvernement. Dans ces circonstances, c’est à l’État partie que revient la charge de la preuve pour ce qui concerne l’efficacité des recours. Dans le cas présent, l’État partie ne s’est pas déchargé de cette preuve parce qu’il n’a fait que décrire la disponibilité théorique des recours, sans contredire les preuves apportées par le requérant pour démontrer que ces recours ne sont pas disponibles de fait.

13.1Le 15 mai 2007, l’État partie note que le requérant se livre à un procès d’intention à l’encontre de la justice tunisienne. En ce qui concerne la date de déposition de la plainte, il fait valoir que l’accusé de réception présenté par le requérant ne constitue nullement une preuve qu’il ait effectivement envoyé la plainte puisque le reçu en question ne mentionne pas la nature ou l’objet même de la lettre envoyée. L’État partie estime que le requérant s’est adonné encore une fois à des accusations diffamatoires du pouvoir judiciaire tunisien. Il rappelle que des poursuites pénales ont été engagées par le Ministère public. Depuis 2000, plus de 100 agents de maintien de l’ordre ont été traduits devant les juridictions correctionnelles et criminelles pour avoir commis des infractions lors de l’accomplissement de leurs fonctions. L’efficacité des voies de recours internes ne peut donc être mise en doute.

13.2L’État partie considère que le requérant se livre à des manipulations en vue de faire échouer la procédure judiciaire en cours et faire obstacle au bon déroulement des recours internes. Après avoir fait échouer les efforts tant déployés par le Procureur de la République près le Tribunal de première instance de Tunis lors de la déposition de la plainte en septembre 2000, que par le substitut chargé d’enquêter dans le cadre de l’enquête préliminaire sur les faits allégués, le requérant maintient une attitude non coopérative. Après avoir été convoqué devant le juge d’instruction le 30 avril 2007, le requérant a, une fois de plus, refusé de faire sa déposition au motif que son avocat n’était pas autorisé à y assister, alors que le juge d’instruction l’a informé que son statut de plaignant ne requiert pas l’assistance d’un avocat et que la poursuite des actes de l’enquête n’est pas assujettie à son audition. Considérant ces faits, le juge d’instruction a entrepris de nouvelles démarches en procédant notamment à la convocation d’autres personnes citées par le plaignant. L’affaire suit son cours. Par conséquent, l’État partie estime qu’il est toujours en droit de demander au Comité de reconsidérer sa décision de recevabilité dans l’attente des résultats de l’enquête judiciaire en cours.

14.Le 13 septembre 2007, le requérant note à nouveau que l’État partie se contente de réitérer des observations formulées antérieurement. Il réaffirme que la responsabilité pour l’absence d’évolution dans la procédure nationale incombe exclusivement à l’État partie. Il rappelle que l’État partie a même empêché le requérant de bénéficier de l’assistance d’un avocat lorsqu’il fut convoqué devant le juge d’instruction. Ce fait n’a d’ailleurs pas été contesté par l’État partie. Le déni de l’accès à un avocat constitue une violation de la loi tunisienne.

15. Le 25 octobre 2007, l’Etat partie réitère au Comité sa demande de surseoir à statuer sur le fond jusqu’à la clôture de l’instruction et l’épuisement de toutes les voies de recours internes. Il rappelle que contrairement aux allégations du requérant, l’autorité judiciaire a fait preuve de diligence an ordonnant ;

--- l’ouverture d’une enquête préliminaire sur la base d’une plainte dénuée de toute preuve ;

--- que l’enquête soit confiée à un membre du parquet appelé à la mener personnellement sans mandater pour cela les officiers de police judiciaire ;

--- l’ouverture, malgré la décision de classement sans suite prise par le parquet, d’une instruction judiciaire qui risque de ne pas aboutir eu égard à l’attitude non coopérative du requérant.

Sur ce dernier point, il est rappelé que la loi tunisienne ne reconnait pas au témoin le droit d’être assisté par un conseil et que l’institution du ‘témoin assisté’ ne serait pas applicable au requérant eu égard à sa qualité d’éventuelle victime.. Le juge d’instruction chargé de l’affaire a procédé à la convocation du requérant pour les besoins de son audition fixée au 16 octobre 2007. Cette assignation est demeurée sans suite, l’intéressé ne s’étant pas présenté.

Examen au fond

16.1 Le Comité a examiné la communication en tenant dûment compte de toutes les informations qui lui ont été fournies par les parties, conformément au paragraphe 4 de l'article 22 de la Convention.

16.2 Le Comité a pris note des observations de l'État partie du 2 mars, du 12 avril et du 15 mai 2007 contestant la recevabilité de la requête. Tout en notant la demande de sursis formulée par l’Etat partie le 25 octobre 2007, il constate que les éléments mis en avant par l'État partie ne sont pas de nature à exiger le réexamen de la décision de recevabilité du Comité en raison, en particulier, de l'absence d'information nouvelle ou supplémentaire convaincante de l'État partie concernant l’absence de toute décision sur la plainte du requérant après plus de sept ans de litispendance ce qui, de l’avis du Comité, justifie la conclusion que l’épuisement des recours internes a été déraisonnablement prolongé (voir paragraphe 8.5 ci-dessus). Le Comité estime donc qu'en l’espèce, il n'a pas à revenir sur sa décision sur la recevabilité.

16.3 Le Comité passe donc à l'examen de la requête sur le fond et note que le requérant impute à l'État partie les violations des articles 2, paragraphe 1, lu conjointement avec 1 ; 16, paragraphe 1 ; 11, 12, 13 et 14, seuls ou lus conjointement avec 16, paragraphe 1 de la Convention.

16.4 Le requérant a allégué une violation du paragraphe 1 de l’article 2 de la Convention, soutenant que l'État partie a enfreint ses obligations de prévenir et de sanctionner les actes de torture. Ces dispositions sont applicables dans la mesure où les actes dont le requérant a été l'objet sont considérés comme des actes de torture au sens de l'article premier de la Convention. Le Comité prend note à cet égard de la plainte et des certificats médicaux présentés à l’appui, décrivant les coups et blessures auxquelles le requérant a été soumis, qui peuvent être caractérisés comme des douleurs et souffrances aigues infligées intentionnellement par des fonctionnaires afin de le punir pour des actes qu’il aurait commis et pour l’intimider. Le Comité note également que l’État partie n’a pas contesté les faits tels qu’ils ont été présentés par le requérant. Dans ces circonstances, le Comité conclut que les allégations du requérant doivent être dûment prises en considération et que les faits, tels qu’ils ont été présentés par le requérant, sont constitutifs de torture au sens de l’article 1 de la Convention.

16.5Ayant constaté la violation de l’article 1 de la Convention, le Comité estime ne plus avoir besoin d’étudier s’il y a eu violation du paragraphe 1 de l’article 16 du Pacte, étant donné que le traitement dont le requérant a été reconnu victime en violation de l’article 1 de la Convention est plus grave et englobe celle de l’article 16.

16.6S’agissant des articles 2 et 11, le Comité considère qu’il ne ressort des documents qui lui ont été communiqués aucune preuve que l’État partie ne s’est pas acquitté des obligations qui lui incombent au titre de cette disposition de la Convention.

16.7Concernant la violation présumée des articles 12 et 13 de la Convention, le Comité observe que, d’après le requérant, le Procureur de la République ne lui a pas indiqué si une enquête était en cours ou avait été effectuée durant les trois années suivant le dépôt de sa plainte en 2000. Il note en outre que l'État partie reconnaît que le substitut du Procureur de la République a classé la plainte sans suite en 2003, faute de preuve. L’État partie a cependant indiqué au Comité que les autorités compétentes ont de nouveau relancé l’affaire (voir par.11 ci-dessus). L’État partie a également indiqué que l’instruction suivait son cours, plus de sept ans après les faits allégués, sans préciser les détails de l’instruction ou les délais éventuels avant une décision. Le Comité considère qu'un tel délai avant l'ouverture d'une enquête sur des allégations de torture est abusivement long et n'est pas conforme aux dispositions de l'article 12 de la Convention, qui impose à l’État partie l’obligation de procéder immédiatement à une enquête impartiale chaque fois qu’il y a des motifs raisonnables de croire qu’un acte de torture a été commis. L’État partie ne s’est pas non plus acquitté de l’obligation, imposée par l’article 13 de la Convention, d’assurer au requérant le droit de porter plainte devant les autorités compétentes qui procéderont immédiatement et impartialement à l’examen de sa cause.

16.8S’agissant de la violation présumée de l’article 14 de la Convention, le Comité note les allégations du requérant selon lesquelles l’État partie l’a privé de toute réparation, en ne donnant pas suite à sa plainte et en ne procédant immédiatement à aucune enquête publique. Le Comité rappelle que l'article 14 de la Convention reconnaît non seulement le droit d'être indemnisé équitablement et de manière adéquate, mais impose aussi aux États parties l'obligation de veiller à ce que la victime d'un acte de torture obtienne réparation. Le Comité considère que la réparation doit couvrir l'ensemble des dommages subis par la victime, et englobe, entre autres mesures, la restitution, l'indemnisation, la réadaptation de la victime ainsi que des mesures propres à garantir la non-répétition des violations, en tenant toujours compte des circonstances de chaque affaire. Compte tenu du temps écoulé depuis que le requérant a tenté d’engager des poursuites au plan interne, et de l’absence d’information fournie par l’État partie sur la clôture de l’instruction qui est en cours, le Comité conclut que l’État partie a également manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 14 de la Convention.

17. Le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l'article 22 de la Convention, est d'avis que les faits dont il a été saisi font apparaître une violation des articles 1, 12, 13 et 14 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

18. Conformément au paragraphe 5 de l'article 112 de son règlement intérieur, le Comité invite instamment l'État partie à conclure l’enquête sur les évènements en question, dans le but de poursuivre en justice les personnes responsables du traitement du requérant, et à l'informer, dans un délai de 90 jours à compter de la date de transmission de la présente décision, des mesures qu'il aura prises conformément aux constatations ci-dessus, y inclus l’indemnisation du requérant.

[Adopté en anglais, en espagnol, en français (version originale) et en russe. Paraîtra ultérieurement aussi en arabe et en chinois dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

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