Nations Unies

CAT/C/64/D/641/2014

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

21 septembre 2018

Français

Original : anglais

Comité contre la torture

Décision adoptée par le Comité au titre de l’article 22 de la Convention, concernant la communication no 641/2014 * , **

Communication p résentée par :

B. N. T. K. (représenté par un conseil, Mai Greitz)

Au nom de :

B. N. T. K.

État partie :

Suède

Date de la requête :

1er décembre 2014 (lettre initiale)

Date de la présente décision :

9 août 2018

Objet :

Expulsion vers la Côte d’Ivoire

Question(s) de procédure :

Fondement des griefs

Question(s) de fond :

Risque de torture en cas de renvoi dans le pays d’origine ; non-refoulement

Article(s) de la Convention :

3

1.1Le requérant est B. N. T. K., de nationalité ivoirienne, né en 1979. Il affirme que son expulsion vers la Côte d’Ivoire, sa demande d’asile en Suède ayant été rejetée, constituerait une violation par la Suède de l’article 3 de la Convention. Il est représenté par un conseil, Mai Greitz.

1.2Le 4 décembre 2014, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur chargé des nouvelles requêtes et des mesures provisoires de protection, a demandé à l’État partie, conformément au paragraphe 1 de l’article 114 de son règlement intérieur (CAT/C/3/Rev.6), de ne pas expulser le requérant en Côte d’Ivoire tant que sa requête serait à l’examen.

Exposé des faits

2.1Le requérant était professeur d’économie dans différents établissements d’enseignement supérieur de Côte d’Ivoire. Il était membre de la Fédération des étudiants de Côte d’Ivoire, dont il dirigeait une section, à Abobo. Il était également membre du Front populaire ivoirien au sein duquel il était engagé politiquement. En mars 2008, il a commencé à travailler avec Simone Gbagbo, l’épouse de l’ancien Président, Laurent Gbagbo. En tant que coordonnateur des affaires religieuses au sein du cabinet de Mme Gbagbo, il s’occupait du financement de la construction d’églises. Il encourageait également les églises à soutenir Laurent Gbagbo. Au début de la crise qui a suivi l’élection présidentielle de novembre 2010, le requérant a reçu l’ordre de constituer un comité de surveillance chargé d’enquêter sur les églises et les mosquées. Après la découverte d’armes dans certaines mosquées, des attaques ont été menées contre les édifices concernés. Le requérant a participé à la découverte de caches d’armes, mais affirme n’avoir lui-même jamais porté d’armes. Le couple Gbagbo a été emprisonné le 11 avril 2011, dans le contexte de la crise qui a suivi l’élection présidentielle de novembre 2010. Les autorités ivoiriennes ont ensuite commencé à rechercher les personnes qui avaient travaillé avec Simone Gbagbo.

2.2Le domicile du requérant a été pillé et détruit le 12 avril 2011, en son absence. Le requérant est ensuite resté caché chez des amis, tandis que sa femme et ses enfants étaient hébergés par d’autres amis. Le 20 avril 2011, alors qu’il cherchait à fuir vers le Ghana, il a été arrêté par une milice, en même temps que deux de ses amis, dans la ville de Bonoua. Il aurait été reconnu par l’un des miliciens comme ayant exercé des activités en rapport avec les églises. Le requérant a alors été conduit dans un camp militaire situé à Abobo, où il a été détenu pendant une semaine. Il a été accusé d’avoir reçu de l’argent et des armes de Mme Gbagbo. Les miliciens qui l’avaient arrêté l’ont interrogé sur ses activités politiques, sa coopération avec l’épouse de l’ancien Président et les relations qu’il entretenait avec cette dernière. Ceux qui l’interrogeaient étaient apparemment au courant de sa collaboration avec Mme Gbagbo et voulaient savoir où étaient cachées toutes les armes qu’ils avaient prises aux milices. Le requérant a répondu qu’il ne savait rien au sujet des armes. Les miliciens ont également tenté de lui soutirer de l’argent.

2.3Pendant sa détention dans le camp militaire d’Abobo, le requérant avait les poignets attachés par une sangle métallique, sa main gauche étant elle-même attachée au plafond. Toutes les heures, ceux qui l’interrogeaient le frappaient avec une matraque et lui demandaient où se trouvaient les armes. En tout, une dizaine d’hommes se relayaient pour le frapper. Ces hommes l’ont également frappé avec une « arme » pour le faire parler. Une fois, l’un des miliciens lui a brûlé la main gauche avec une cigarette pour s’assurer qu’elle était bien attachée. Le requérant est devenu plus faible de jour en jour, il vomissait du sang et perdait parfois connaissance.

2.4À une date non précisée, la femme du requérant a été informée de l’état de santé de celui-ci et du lieu où il se trouvait. Elle a rencontré un officier de haut rang et payé 500 000 francs CFA pour obtenir la libération de son mari. Le requérant est convaincu que sa libération était soumise à conditions et qu’il n’a été libéré que parce que les miliciens qui le retenaient en captivité avaient besoin d’argent et qu’il était en mesure de payer. Après sa libération, il s’est caché chez son parrain, dans la commune de Cocody, à Abidjan, où on lui a soigné ses blessures. Il n’a pas voulu aller à l’hôpital parce qu’il avait peur.

2.5Le 18 janvier 2012, le requérant est parti pour la France car il craignait d’être de nouveau arrêté en raison de ses activités politiques. Pendant qu’il était en France, le Gouvernement de Côte d’Ivoire a publié un mémorandum indiquant que ceux qui avaient fui le pays pouvaient y rentrer sans craindre d’être persécutés par les autorités. Le 2 février 2012, le requérant est donc retourné en Côte d’Ivoire où étaient restés sa femme et ses enfants. À son retour, il a continué ses activités politiques et a pris part à des manifestations politiques à Abidjan. Pendant son séjour en Côte d’Ivoire, il a été suivi et recherché au moins à deux reprises par des hommes armés qui ne sont pas parvenus à le trouver pour l’arrêter.

2.6À une date non précisée, le requérant s’est entretenu avec le chef de la police d’Abidjan qu’il connaissait. Celui-ci lui a conseillé de quitter la Côte d’Ivoire s’il ne voulait pas être arrêté, car il était toujours recherché en raison de ses activités politiques passées.

2.7Le 12 avril 2012, le requérant est parti pour la Suède en passant par le Ghana. Il est arrivé en Suède le 20 avril 2012 et a déposé une demande d’asile le jour même, à l’aéroport d’Arlanda.

2.8Après le départ du requérant, sa femme a reçu la visite de « représentants des autorités » qui le recherchaient. Ils avaient intercepté des contacts téléphoniques entre les deux époux. Le 21 août 2012, le requérant a été sommé de se présenter au commissariat de police d’Abidjan le 22 août 2012. À une date non précisée, une affiche portant la photographie du requérant a été placardée dans les commissariats de Côte d’Ivoire. En novembre 2012, l’épouse du requérant a été agressée par les forces gouvernementales dans le quartier où ils habitaient. Le 3 septembre 2012, la télévision italienne a diffusé un documentaire critiquant l’intervention de la France dans le conflit en Côte d’Ivoire. Le requérant apparaissait dans ce documentaire, filmé en Côte d’Ivoire en janvier 2012. Il y était interviewé dans la rue au sujet de la situation économique du pays. Plusieurs des personnes qui ont participé au tournage de ce documentaire auraient été arrêtées et accusées d’avoir porté atteinte à la réputation de la Côte d’Ivoire.

2.9Le 18 décembre 2013, l’Agence suédoise des migrations a rejeté la demande du requérant et décidé d’expulser celui-ci vers la Côte d’Ivoire. Elle a estimé que le requérant n’avait pas démontré de manière plausible qu’il risquait d’être soumis à des persécutions pouvant constituer un motif d’octroi de l’asile ou à un traitement pouvant justifier l’octroi d’une protection s’il était renvoyé en Côte d’Ivoire. Le requérant a déposé un recours contre cette décision devant le tribunal administratif de Stockholm (chargé des affaires relatives aux migrations) qui a tenu une audience sur l’affaire le 20 mai 2014 et qui a rejeté le recours le 3 juin 2014. Le 10 septembre 2014, la Cour d’appel des migrations a refusé au requérant l’autorisation de faire appel, et la décision d’expulsion est donc devenue définitive et non susceptible d’appel. Le requérant a, par la suite, fait valoir devant l’Agence des migrations qu’il existait des obstacles à l’exécution de la décision d’expulsion le concernant et a demandé le réexamen de son affaire. Sa demande a été rejetée le 19 novembre 2014.

2.10Le requérant affirme qu’il a épuisé tous les recours internes disponibles.

Teneur de la plainte

3.Le requérant soutient que son expulsion vers la Côte d’Ivoire constituerait une violation de l’article 3 de la Convention par l’État partie. Il affirme, en particulier, que les miliciens qui l’ont arrêté en 2011 sont aujourd’hui dans l’armée et que les autorités ivoiriennes actuelles avaient accusé les églises d’avoir caché des armes parce qu’elles recevaient le soutien de Laurent Gbagbo et de son épouse. Par conséquent, il existe un risque sérieux que le requérant soit arrêté pour des motifs politiques et soumis à la torture à son retour en Côte d’Ivoire en raison du travail qu’il a accompli pour l’épouse de l’ancien Président et de son affiliation au Front populaire ivoirien. Le requérant ajoute que certains de ses amis de la même mouvance politique rentrés en Côte d’Ivoire depuis le Ghana et d’autres pays d’asile ont été arrêtés, et que la torture est encore utilisée fréquemment contre les personnes qui sont arrêtées pour des motifs politiques. Dernier point, mais non des moindres, le requérant soutient que les autorités de Côte d’Ivoire sont toujours à sa recherche.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans une note verbale du 2 juillet 2015, l’État partie soumet ses observations sur la recevabilité et sur le fond. Après avoir expliqué la législation applicable et les faits sur lesquels repose la présente requête, il fait valoir que, conformément au paragraphe 1 de l’article 22 (chap. 12) de la loi sur les étrangers, la décision d’expulser le requérant sera frappée de prescription le 10 septembre 2018. Cela aura deux conséquences. D’une part, la décision d’expulsion ne sera plus applicable après cette date et le requérant ne sera donc plus menacé d’expulsion. D’autre part, le requérant pourra déposer une nouvelle demande d’asile et de permis de séjour qui sera réexaminée dans son intégralité, de même que les raisons motivant la demande et, en cas de décision négative de l’Agence des migrations, il lui sera possible de faire appel devant le Tribunal des migrations et la Cour d’appel des migrations. L’État partie prie donc instamment le Comité d’examiner la recevabilité et/ou le fond de la présente requête bien avant le 10 septembre 2018.

4.2En ce qui concerne la recevabilité, l’État partie fait savoir qu’il ne dispose pas d’informations indiquant que la requête a été ou est en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. De plus, il ne conteste pas le fait que tous les recours internes disponibles ont été épuisés dans la présente affaire. Quelle que soit l’issue de l’examen par le Comité des questions relevant des paragraphes 5 a) et b) de l’article 22 de la Convention, l’État partie fait valoir que l’affirmation du requérant selon laquelle il risquerait d’être traité d’une manière qui constituerait une violation de la Convention s’il était renvoyé en Côte d’Ivoire n’est pas étayée par le minimum d’éléments de preuve requis aux fins de la recevabilité. Il affirme donc que la requête est manifestement dénuée de fondement et, de ce fait, irrecevable au regard du paragraphe 2 de l’article 22 de la Convention et de l’article 113 b) du Règlement intérieur du Comité.

4.3Pour ce qui est du fond de la requête, l’État partie affirme que pour déterminer s’il y aurait violation de l’article 3 de la Convention, le Comité doit prendre en considération : a) la situation générale des droits de l’homme en Côte d’Ivoire et, en particulier, b) le risque que le requérant courrait personnellement d’être soumis à la torture à son retour dans son pays d’origine.

4.4En ce qui concerne la situation générale des droits de l’homme en Côte d’Ivoire, l’État partie rappelle que la Côte d’Ivoire est partie à la Convention contre la torture et au Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il ajoute que, selon le rapport du Département d’État des États-Unis sur les droits de l’homme en Côte d’Ivoire, en août 2013, les autorités ivoiriennes ont libéré à titre provisoire 14 accusés pro-Gbagbo, dont M. Pascal Affi N’Guessan, ancien porte-parole de Laurent Gbagbo et ancien Président du Front populaire ivoirien. Il fait valoir en outre que la situation actuelle des droits de l’homme en Côte d’Ivoire ne suffit pas en soi à établir que la situation générale dans le pays est à ce point grave que l’expulsion du requérant entraînerait une violation de l’article 3 de la Convention. Par conséquent, l’État partie estime que l’expulsion du requérant vers la Côte d’Ivoire ne constituerait une violation de la Convention que si le requérant pouvait prouver qu’il courrait personnellement un risque d’être soumis à un traitement contraire à l’article 3, ce qu’il n’a pas fait.

4.5L’État partie affirme qu’en l’espèce l’Agence des migrations a mené deux entretiens avec le requérant avant de rejeter sa demande d’asile. Ces entretiens se sont déroulés en présence d’un interprète que le requérant a confirmé bien comprendre. Pendant l’entretien de demande d’asile, qui a duré environ deux heures quarante, le conseil du requérant était également présent. Il a lui aussi posé des questions au requérant et il a soumis par écrit des observations et commentaires sur le procès-verbal de l’entretien. Ces entretiens avaient pour but de permettre au requérant de s’expliquer oralement et de présenter tous les faits qui, selon lui, devaient être pris en compte par les autorités chargées d’examiner sa demande. En outre, en appel, le Tribunal des migrations a tenu une audience au cours de laquelle le requérant a eu de nouveau la possibilité d’exposer les motifs de sa demande d’asile, en présence d’un conseil et d’un interprète. Le requérant a donc eu plusieurs fois l’occasion d’expliquer les faits et circonstances motivant sa demande et de plaider sa cause, tant oralement que par écrit, devant l’Agence des migrations et le Tribunal des migrations. En conséquence, l’État partie estime que l’Agence des migrations et le Tribunal des migrations disposaient de renseignements suffisants, compte tenu des éléments figurant dans le dossier, pour procéder, sur une base solide, à une évaluation éclairée, transparente et raisonnable des besoins de protection du requérant en Suède.

4.6Étant donné que l’Agence des migrations et les tribunaux des migrations sont des organes spécialisés possédant une expérience particulière dans les domaines du droit et de la pratique en matière d’asile, l’État partie estime qu’il n’y a aucune raison de conclure que les décisions prises au niveau national n’étaient pas correctes et que l’issue des procédures était arbitraire ou constituait un déni de justice. Par conséquent, il considère qu’il convient d’accorder tout le crédit voulu aux conclusions des autorités migratoires suédoises, telles qu’elles sont formulées dans les décisions d’expulsion du requérant vers la Côte d’Ivoire.

4.7L’État partie explique que, comme l’Agence des migrations et le Tribunal des migrations, il ne met pas en doute le fait que le requérant a travaillé avec Simone Gbagbo. Comme le Tribunal des migrations, il ne met pas non plus en question le fait que le requérant a été interviewé sur des questions économiques dans un documentaire. Ainsi que l’a souligné le Tribunal des migrations, il convient de procéder à une évaluation prospective des risques auxquels le requérant serait exposé s’il était renvoyé en Côte d’Ivoire. À cet égard, l’État partie, comme le Tribunal des migrations, relève que certains éléments dans la demande d’asile initiale du requérant et la procédure d’asile interne qui a suivi manquent de crédibilité.

4.8Tout d’abord, l’État partie fait observer que le requérant n’a pas indiqué avoir été suivi et mis sur écoute en Côte d’Ivoire, ni avoir fait l’objet de deux tentatives d’enlèvement au moment de l’enquête relative à sa demande d’asile mais seulement à un stade ultérieur de la procédure d’asile. À cet égard, le Tribunal des migrations a noté en particulier qu’à l’audience le requérant n’avait livré qu’un récit très vague de ses deux tentatives d’enlèvement. L’État partie, comme le Tribunal des migrations, juge cela d’autant plus étrange que, selon les dires mêmes du requérant, ces tentatives d’enlèvement figuraient parmi les raisons ayant motivé son départ de Côte d’Ivoire. Selon l’État partie, on aurait pu s’attendre à ce que le requérant mentionne ces faits au début de la procédure d’asile, étant donné la nature de ces allégations. L’État partie rappelle, à cet égard, que le requérant a été représenté tout au long de la procédure d’asile par un conseil qui aurait aussi pu l’assister sur ce point.

4.9En outre, comme les autorités et les tribunaux de l’immigration, l’État partie relève que compte tenu du fait que le requérant n’a demandé l’asile ni en France ni en Fédération de Russie, on peut se demander si son besoin de protection était aussi urgent qu’il le prétend maintenant (voir par. 4.11 ci-après).

4.10D’autre part, l’État partie indique que, pour prouver qu’il était recherché par les autorités de police ivoiriennes, le requérant a fourni au Comité une convocation en date du 21 août 2012 émanant des autorités de police d’Abidjan, ainsi qu’une affiche sur laquelle se trouvaient sa photographie et un numéro de téléphone (voir plus haut, par. 2.8). Il fait observer que cette convocation est un document très sommaire, qui n’a donc qu’une faible valeur probante. Par exemple, la convocation ne précise pas l’acte ou l’infraction que le requérant est soupçonné d’avoir commis. Le requérant n’a pas expliqué pourquoi il n’avait produit ladite convocation qu’après la décision définitive d’expulsion, c’est-à-dire après la décision de la Cour d’appel des migrations. En effet, le document est daté du 21 août 2012 mais le requérant ne l’a transmis à l’Agence des migrations que le 21 octobre 2014.

4.11L’État partie avance que dans ce contexte, le fait que le requérant ait malgré tout pu quitter la Côte d’Ivoire pour se rendre en France et en Fédération de Russie puis rentrer de sa propre initiative de France en Côte d’Ivoire, sans attirer l’attention des autorités, doit également être pris en compte dans l’évaluation des déclarations faites par le requérant. Si, comme le laisse entendre le requérant, les autorités ivoiriennes s’intéressaient à lui − ce qui l’exposerait au risque d’être soumis à la torture − il est peu probable qu’elles auraient attendu près de quatre mois pour le convoquer à un interrogatoire, surtout s’il a été convoqué, comme il le dit, en tant que suspect. Compte tenu de ce qui précède, l’État partie fait valoir qu’il ne peut accorder aucune valeur probante au document présenté comme une convocation pour ce qui est de l’allégation du requérant selon laquelle il risque d’être soumis à la torture à son retour en Côte d’Ivoire. Par conséquent, l’État partie estime que les documents produits ne suffisent pas à étayer le besoin de protection invoqué par le requérant.

4.12L’État partie appelle l’attention du Comité sur le fait que le passeport national que le requérant a présenté à l’Agence suédoise des migrations a été délivré le 30 décembre 2011 par la Sous-direction de la police de l’air et des frontières de la Côte d’Ivoire. Il juge étonnant que le requérant ait réussi à déposer une demande de passeport national et à récupérer celui-ci sans problème à un moment où il dit avoir vécu caché, c’est-à-dire entre avril et décembre 2011. Il estime que cette circonstance contredit sans nul doute l’affirmation du requérant selon laquelle il aurait vécu sous la menace pressante des autorités ivoiriennes.

4.13En ce qui concerne les activités politiques évoquées par le requérant, l’État partie, comme le Tribunal des migrations, note que le requérant n’a pas été engagé politiquement à un niveau très élevé et qu’il n’a pas non plus occupé de fonction particulière au sein du Front populaire ivoirien, qui était précédemment au pouvoir en Côte d’Ivoire. Il estime que ces circonstances sont également à prendre en compte lors de l’évaluation des risques potentiels auxquels le requérant serait exposé en cas de retour dans son pays.

4.14En outre, l’État partie relève certaines contradictions dans le récit du requérant. Ainsi, lors de l’entretien mené par l’Agence des migrations le 4 mai 2012, le requérant a déclaré que le montant demandé pour sa libération avait été versé par ses parents alors que, pendant l’entretien de demande d’asile du 12 juin 2012 et devant le Comité, il a dit avoir été libéré après que sa femme eut versé l’argent aux miliciens qui le détenaient. Selon l’État partie, les informations fournies par le requérant sur la manière dont il a été libéré doivent être vues comme un élément important pour l’examen de sa demande d’asile et non comme un simple détail, d’autant que les différents récits concernant sa libération n’ont été livrés qu’à un mois d’intervalle. L’État partie estime que cette incohérence nuit à la crédibilité de la demande d’asile du requérant.

4.15Compte tenu de ce qui précède, l’État partie conclut qu’il y a des raisons de douter de la véracité du récit du requérant concernant son besoin de protection. Il fait observer en particulier que le requérant s’est rendu légalement en France et en Fédération de Russie, où il a choisi de ne pas demander l’asile, et qu’il a réussi à obtenir un passeport national à un moment où, selon ses dires, il vivait caché. Il relève en outre l’incohérence des déclarations du requérant sur l’identité de la personne qui s’est acquittée de la somme demandée pour sa libération. Selon l’État partie, les documents justificatifs fournis par le requérant et les circonstances invoquées par celui-ci ne permettent pas de démontrer que le risque de torture allégué est prévisible, réel et personnel. Par conséquent, dans les circonstances présentes, l’exécution de l’arrêté d’expulsion ne constituerait pas une violation de l’article 3 de la Convention. En outre, le requérant n’ayant pas apporté le minimum d’éléments de preuve requis pour étayer ses griefs au titre de l’article 3, la requête devrait être déclarée irrecevable pour défaut manifeste de fondement.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie

5.1Dans une note du 27 janvier 2016, le requérant fait part de ses commentaires sur les observations de l’État partie. Il affirme que l’État partie n’a pas démontré que sa requête était manifestement dénuée de fondement. Au contraire, les faits sur lesquels est fondée la requête montrent qu’il court personnellement le risque d’être soumis à la torture s’il est renvoyé en Côte d’Ivoire du fait des activités politiques qu’il y exerçait avant son départ. Le fait que le requérant ait pu se rendre dans différents pays avant de quitter la Côte d’Ivoire pour la dernière fois n’exclut pas qu’il soit exposé au risque d’être torturé à son retour.

5.2Pour ce qui est de l’affirmation de l’État partie selon laquelle, dans un premier temps, il n’a pas indiqué avoir fait l’objet de tentatives d’enlèvement et avoir été suivi (voir plus haut, par. 4.8), le requérant fait valoir que lors du premier entretien mené par l’Agence des migrations, il n’a pas bénéficié de services de traduction appropriés, si bien que le conseil qui le représentait à ce stade de la procédure d’asile a dû par la suite corriger le procès-verbal de l’entretien. Il affirme que, lors de l’audience devant le Tribunal des migrations, il a donné des explications précises à ce sujet. Il soutient que l’Agence des migrations et le Tribunal des migrations ont rendu des décisions manifestement arbitraires concernant sa demande d’asile et l’ont privé d’un examen approprié et impartial.

5.3En ce qui concerne l’argument de l’État partie selon lequel la preuve produite est un document très sommaire qui n’a donc qu’une faible valeur probante (voir plus haut, par. 4.10), le requérant indique qu’il n’est en mesure de fournir aucun autre élément que celui qu’il a pu recevoir de Côte d’Ivoire. Il ajoute qu’il ne peut pas falsifier cette preuve pour la rendre plus « complexe » et donc satisfaisante aux yeux de l’État partie. Quant au fait que la convocation n’a été transmise que tardivement à l’Agence des migrations, le requérant explique que, pendant longtemps, aucun de ses contacts en Côte d’Ivoire n’était prêt à prendre le risque d’aller chercher ce document pour lui.

5.4Le requérant rappelle que l’État partie met en doute sa crédibilité parce qu’il n’a pas exposé toutes les raisons qui l’ont poussé à demander l’asile à un stade suffisamment précoce de la procédure auprès de l’Agence des migrations (voir par. 4.5). Il fait valoir qu’il a présenté toutes les informations qu’il jugeait lui-même pertinentes pour que sa demande d’asile soit acceptée en Suède. Il n’a jamais tenté de cacher quelque information que ce soit à l’Agence des migrations.

5.5En ce qui concerne ses voyages en France et en Fédération de Russie et le fait qu’il n’a pas été arrêté à son retour en Côte d’Ivoire (voir par. 4.9 et 4.11), le requérant fait observer qu’à ce moment-là, les autorités ivoiriennes avaient créé la Commission dialogue, vérité et réconciliation en vue de régler les problèmes dans le pays. Il rappelle que, peu de temps après son retour en Côte d’Ivoire, il a commencé à être suivi et a échappé à deux tentatives d’enlèvement. Il ajoute que beaucoup de ses amis et collègues ont été arrêtés et se trouvent toujours en détention pour une durée indéterminée.

5.6En ce qui concerne le fait qu’il a réussi à se procurer un passeport national à un moment où il dit avoir vécu caché (voir par. 4.12), le requérant explique que pendant cette période qui a duré plusieurs mois, les autorités ivoiriennes, qui voulaient que l’opposition participe aux élections législatives, ont temporairement suspendu les arrestations de militants de l’opposition. C’est à ce moment-là qu’il a pu demander et obtenir un passeport national.

5.7En ce qui concerne l’affirmation de l’État partie selon laquelle il n’a pas été politiquement engagé à un niveau très élevé (voir par. 4.13), le requérant argue que les prisons ivoiriennes sont pleines de prisonniers politiques qui n’ont jamais occupé de hautes fonctions politiques. Il rappelle à cet égard que ni l’Agence des migrations ni le Tribunal des migrations n’ont mis en doute le fait qu’il avait travaillé pour Mme Gbagbo.

5.8Quant à l’argument de l’État partie qui affirme avoir relevé des incohérences dans la demande d’asile du requérant concernant la personne qui a versé la somme demandée pour sa libération (voir par. 4.15), le requérant reconnaît qu’il se peut qu’il y ait eu un malentendu sur ce point et indique que toute sa famille a contribué financièrement à sa libération et que le montant rassemblé a été « remis aux autorités » par son épouse.

5.9En conclusion, le requérant affirme que certains des arguments avancés par l’État partie montrent que celui-ci a une perception très étroite des faits sur lesquels est fondée la présente requête. En l’occurrence, l’État partie et, avant lui, l’Agence pour les migrations et le Tribunal des migrations, semblent examiner les faits sous un angle très suédois et non, comme il conviendrait, compte tenu de la situation dans le pays d’origine du requérant.

Observations complémentaires de l’État partie

6.Dans une note verbale en date du 28 mars 2018, l’État partie fait observer que les commentaires du requérant ne comportent aucun nouvel élément de fond qui n’ait pas déjà été couvert par les observations de l’État partie du 2 juillet 2015, et souligne qu’il maintient intégralement sa position concernant la recevabilité et le fond de la requête. Il rappelle également que la décision d’expulser le requérant sera frappée de prescription le 10 septembre 2018 (voir plus haut, par. 4.1) et demande instamment au Comité d’examiner la recevabilité et/ou le fond de la présente requête bien avant cette date butoir.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit déterminer s’il est recevable au regard de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été examinée et n’est pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.2Le Comité rappelle que, conformément au paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention, il n’examine aucune communication d’un particulier sans s’être assuré que celui-ci a épuisé tous les recours internes disponibles. Il note qu’en l’espèce l’État partie n’a pas contesté que le requérant avait épuisé tous les recours internes disponibles. Le Comité conclut donc qu’il n’est pas empêché par le paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention d’examiner la présente communication.

7.3L’État partie affirme que la requête devrait être déclarée irrecevable au regard du paragraphe 2 de l’article 22 de la Convention et de l’article 113 b) du Règlement intérieur du Comité pour défaut manifeste de fondement. Le Comité considère toutefois que la requête a été suffisamment étayée aux fins de la recevabilité parce que les allégations du requérant selon lesquelles il risque d’être soumis à la torture ou à des mauvais traitements en cas d’expulsion vers la Côte d’Ivoire soulèvent des questions au titre de l’article 3 de la Convention. Ne voyant aucun autre obstacle à la recevabilité, le Comité déclare la requête recevable et procède à son examen quant au fond.

Examen au fond

8.1Conformément au paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

8.2En l’espèce, le Comité doit déterminer si le renvoi du requérant en Côte d’Ivoire constituerait une violation de l’obligation incombant à l’État partie en vertu du paragraphe 1 de l’article 3 de la Convention de ne pas expulser ou refouler une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risquerait d’être soumise à la torture.

8.3Le Comité doit apprécier s’il existe des motifs sérieux de croire que le requérant risquerait personnellement d’être soumis à la torture s’il était renvoyé en Côte d’Ivoire. Pour ce faire, conformément au paragraphe 2 de l’article 3 de la Convention, il doit tenir compte de tous les éléments pertinents, y compris l’existence éventuelle d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme graves, flagrantes ou massives. Le Comité rappelle toutefois que le but de cette analyse est de déterminer si l’intéressé court personnellement un risque prévisible et réel d’être soumis à la torture dans le pays où il serait renvoyé. Il s’ensuit que l’existence, dans un pays, d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives ne constitue pas en soi une raison suffisante pour établir qu’une personne donnée risquerait d’être soumise à la torture à son retour dans ce pays. Il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser que l’intéressé court personnellement un risque. Inversement, l’absence d’un ensemble de violations flagrantes et systématiques des droits de l’homme ne signifie pas qu’une personne ne puisse pas être soumise à la torture dans la situation particulière qui est la sienne.

8.4Le Comité rappelle son observation générale no 4 (2017) sur l’application de l’article 3 dans le contexte de l’article 22, selon laquelle l’obligation de non-refoulement existe chaque fois qu’il y a des « motifs sérieux » de croire qu’une personne risquerait d’être soumise à la torture dans un État vers lequel elle doit être expulsée, que ce soit à titre individuel ou en tant que membre d’un groupe qui risquerait d’être soumis à la torture dans l’État de destination. Le Comité a pour pratique, en de telles circonstances, de considérer que des « motifs sérieux » existent chaque fois que le risque de torture est « personnel, actuel, prévisible et réel » (voir l’observation générale no 4, par. 11). Les facteurs de risque personnel peuvent comprendre, notamment : l’affiliation politique ou les activités politiques du requérant ; les actes de torture subis antérieurement ; la détention au secret ou une autre forme de détention arbitraire et illégale dans le pays d’origine ; la fuite clandestine du pays d’origine comme suite à des menaces de torture (voir par. 45). Le Comité rappelle en outre qu’il accorde un poids considérable aux constatations de fait des organes de l’État partie concerné ; toutefois, il n’est pas lié par de telles constatations et apprécie librement les faits en se fondant sur l’ensemble des circonstances de chaque affaire, conformément au paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention (voir par. 50).

8.5Aux fins d’apprécier le risque de torture en l’espèce, le Comité prend note de l’affirmation du requérant selon laquelle il craint d’être arrêté pour des motifs politiques et soumis à la torture à son retour en Côte d’Ivoire en raison de son appartenance au Front populaire ivoirien, parti qui était précédemment au pouvoir en Côte d’Ivoire, et du travail qu’il a accompli pour l’épouse de l’ancien Président du pays. En particulier, au début de la crise qui a suivi l’élection présidentielle de novembre 2010, il a été demandé au requérant, en sa qualité de coordonnateur des affaires religieuses au sein du cabinet de Mme Gbagbo, de constituer un comité de surveillance chargé d’enquêter sur les églises et les mosquées. Après la découverte d’armes par ce comité dans certaines mosquées, des attaques ont été menées contre les mosquées concernées. Le Comité note également que le requérant affirme qu’en raison des activités politiques susmentionnées, il a été arrêté le 20 avril 2011 par une milice fidèle aux autorités ivoiriennes actuelles, détenu pendant une semaine dans le camp militaire d’Abobo où il a été torturé, puis libéré contre le versement d’un pot‑de‑vin aux miliciens qui le retenaient en captivité. Il note aussi que le requérant dit être apparu dans un documentaire filmé en Côte d’Ivoire en janvier 2012 ; il y était interviewé dans la rue au sujet de la situation économique du pays. Il note en outre que, d’après le requérant, plusieurs personnes qui avaient participé au tournage du documentaire avaient par la suite été arrêtées et accusées d’avoir porté atteinte à la réputation de la Côte d’Ivoire. Le Comité relève, en outre, que selon le requérant, peu après son retour de France en Côte d’Ivoire, en février 2012, il avait été suivi, mis sur écoute, et victime de deux tentatives d’enlèvement, et les autorités ivoiriennes sont toujours à sa recherche depuis son départ du pays en avril 2012. Dernier point mais non des moindres, le Comité prend note de l’argument du requérant selon lequel certains de ses amis de la même mouvance politique qui étaient rentrés en Côte d’Ivoire depuis le Ghana et d’autres pays d’asile ont été arrêtés, et la torture est encore utilisée fréquemment contre les personnes qui sont arrêtées pour des motifs politiques.

8.6Le Comité note que l’État partie ne met pas en doute le fait que le requérant a travaillé avec Mme Gbagbo, et que les autorités chargées de l’asile dans l’État partie n’ont pas mis en doute non plus le fait que le requérant avait été détenu pendant une semaine par une milice au printemps 2011 et soumis à des mauvais traitements pendant sa détention, comme il l’a raconté (voir plus haut, par. 4.7). Le Comité note également que l’État partie a estimé qu’il convenait de procéder à une évaluation des risques auxquels le requérant pourrait être exposé s’il retournait aujourd’hui en Côte d’Ivoire et que, dans ce cadre, il fallait prendre en compte les facteurs suivants : a) le requérant n’a pas été engagé politiquement à un niveau très élevé et n’a pas occupé de fonctions particulières au sein du Front populaire ivoirien ; b) certains éléments dans la demande d’asile initiale et la procédure d’asile interne qui a suivi manquent de crédibilité, ce qui donne des raisons de douter de la véracité des propos du requérant sur son besoin présumé de protection. Notamment, le requérant : a) a pu quitter la Côte d’Ivoire pour se rendre en France et en Fédération de Russie et retourner de sa propre initiative dans son pays d’origine depuis la France, sans attirer l’attention des autorités ivoiriennes ; b) a pu demander et obtenir un passeport national pendant la période où il dit avoir vécu caché ; c) a produit des éléments de preuve très sommaires et donc d’une très faible valeur probante à l’appui de son affirmation selon laquelle il était toujours recherché par les autorités ivoiriennes depuis son départ de Côte d’Ivoire en avril 2012 ; d) a fourni des informations contradictoires concernant la personne qui a payé pour sa libération au printemps 2011 ; et e) n’a indiqué qu’à un stade avancé de la procédure d’asile avoir été suivi et mis sur écoute en Côte d’Ivoire et avoir fait l’objet de deux tentatives d’enlèvement peu de temps après son retour de France, en février 2012.

8.7Le Comité rappelle qu’il doit déterminer si le requérant court actuellement le risque d’être soumis à la torture en cas de renvoi en Côte d’Ivoire. Il note que le requérant a eu amplement la possibilité de produire des pièces justificatives et de donner plus de précisions sur ses allégations, au plan national, à l’Agence des migrations, au Tribunal des migrations et à la Cour d’appel des migrations, mais que les pièces qu’il a produites et les circonstances par lui invoquées n’ont pas permis aux autorités nationales compétentes en matière d’asile de conclure qu’il avait suffisamment démontré, ainsi qu’il était tenu de le faire, que le risque présumé de torture auquel il serait exposé s’il retournait en Côte d’Ivoire était prévisible, réel et personnel. Le Comité fait observer en outre que, même s’il faisait abstraction des incohérences relevées dans le récit de ce qu’a vécu le requérant en Côte d’Ivoire et considérait comme véridiques ses déclarations, il n’en resterait pas moins que le requérant n’a produit aucun élément montrant que les autorités ivoiriennes l’ont recherché dans un passé récent ou qu’elles se sont intéressées à lui depuis la période extrêmement agitée qui a entouré et suivi les élections en Côte d’Ivoire à l’automne 2010 et au printemps 2011. Il note qu’il est fait état de graves violations des droits de l’homme, notamment du recours à la torture, en Côte d’Ivoire, qui est partie à la Convention contre la torture, et que, selon des informations relevant du domaine public, quelque 200 partisans de Laurent Gbagbo arrêtés depuis 2011 pour des crimes qui auraient été commis pendant les violences postélectorales sont toujours détenus dans l’attente d’être jugés. Cependant, il considère que, même à supposer que le requérant ait été torturé dans le passé par les autorités ivoiriennes ou avec leur consentement, il ne s’ensuit pas automatiquement que celui-ci courrait un risque d’être soumis à la torture s’il retournait aujourd’hui en Côte d’Ivoire. Il rappelle à ce propos que les mauvais traitements subis par le passé ne constituent qu’un élément à prendre en considération ; aux fins de l’article 3, en effet, la personne concernée doit courir personnellement un risque prévisible et réel d’être soumise à la torture dans le pays où elle serait renvoyée.

8.8Le Comité rappelle en outre que la charge de la preuve incombe à l’auteur de la plainte, qui doit présenter des arguments défendables, c’est-à-dire des arguments circonstanciés montrant qu’il court personnellement et actuellement un risque prévisible et réel d’être soumis à la torture, sauf lorsqu’il se trouve dans une situation où il ne peut pas apporter de précisions sur son cas. Compte tenu de ce qui précède et de toutes les informations soumises par le requérant et par l’État partie, notamment celles concernant la situation générale des droits de l’homme en Côte d’Ivoire, le Comité estime que le requérant n’a pas suffisamment démontré qu’il y avait des motifs sérieux de croire que son renvoi en Côte d’Ivoire aujourd’hui l’exposerait personnellement à un risque prévisible et réel d’être torturé, comme l’exige l’article 3 de la Convention. En outre, le requérant n’a pas établi que l’évaluation de sa demande d’asile par les autorités suédoises ne satisfaisait pas aux critères requis par la Convention.

9.En conséquence, le Comité, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention, conclut que le renvoi du requérant en Côte d’Ivoire ne constituerait pas une violation de l’article 3 de la Convention.