Nations Unies

CAT/C/64/D/680/2015

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

3 octobre 2018

Français

Original : anglais

Comité contre la torture

Décision adoptée par le Comité au titre de l’article 22 de la Convention, concernant la communication no 680/2015 * , **

Communication présentée par :

G. A. (représenté par un conseil, John Sweeney)

Au nom de :

G. A.

État partie :

Australie

Date de la requête :

15 mai 2015 (date de la lettre initiale)

Date de la présente décision :

9 août 2018

Objet :

Risque de torture en cas d’expulsion vers le pays d’origine (non-refoulement) ; prévention de la torture

Question(s) de procédure :

Recevabilité − défaut manifeste de fondement

Question(s) de fond :

Expulsion du requérant de l’Australie vers le Pakistan

Article(s) de la Convention :

3 et 22

1.1Le requérant est G. A., de nationalité pakistanaise, né en 1977. À la suite du rejet de sa demande de statut de réfugié en Australie, il affirme qu’en l’expulsant vers le Pakistan, l’Australie manquerait aux obligations mises à sa charge par l’article 3 de la Convention. Le requérant est représenté par un conseil.

1.2Le 19 mai 2015, en application de l’article 114 de son règlement intérieur, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur chargé des nouvelles requêtes et des mesures provisoires de protection, a demandé à l’État partie de ne pas expulser l’auteur vers le Pakistan tant que la requête serait à l’examen. Le 31 mars 2016, l’État partie a prié le Comité de retirer sa demande de mesures provisoires. Le 29 décembre 2016, le Comité, agissant par l’intermédiaire du même Rapporteur, a accédé à la demande de l’État partie.

Rappel des faits présentés par le requérant

2.1G. A., de confession musulmane sunnite, est né le 12 février 1977 dans le village de Koza Bandai, dans le district de Swat (Pakistan). Il est marié et a cinq enfants. En 1997, il a ouvert un magasin de musique dans le village de Derai, dans la vallée de Swat. En 1999, il a commencé à travailler pour une entreprise de transport maritime ; dans le cadre de son travail, il pouvait être amené à rester en mer pendant toute une année, après quoi il retournait passer quelques mois dans son village. En son absence, ses frères l’aidaient à gérer son commerce. En mars 2008, il a reçu des menaces des Taliban, qui l’ont sommé de fermer son magasin, à la suite de quoi il a décidé de vendre sa marchandise depuis son domicile. En mai 2008, il a été agressé chez lui par un groupe de Taliban qui l’ont roué de coups de poing et de pied, et ont détruit tous ses disques compacts, ses lecteurs de disques compacts et ses téléviseurs. À la suite de cette agression, le requérant s’est enfui à Karachi ; il a ensuite travaillé sur un bateau jusqu’en mars 2009, avant de retourner au Pakistan.

2.2Le requérant affirme qu’en juin 2009, il a aidé l’armée pakistanaise à identifier des militants taliban en activité dans son village et que ces militants ont été arrêtés et exécutés. En novembre 2009, il a reçu un appel téléphonique de Taliban qui l’ont menacé de le tuer et de massacrer sa famille en représailles. En décembre 2009, les Taliban ont mis leur menace à exécution, affirme-t-il, puisque son domicile a été la cible d’une fusillade nocturne. À la suite de cette attaque, le requérant s’est rendu à Karachi, où il a séjourné pendant environ un mois. Ayant été embauché, sur place, par une entreprise de transport, il est ensuite resté en mer pendant environ un an. Il est retourné au Pakistan en janvier 2011 pour voir sa famille. Il affirme qu’en avril 2011, il a été menacé une nouvelle fois par téléphone par les Taliban pour avoir aidé l’armée à identifier certains de leurs membres, qui avaient ensuite été exécutés. À la suite de cela, il a fui le Pakistan une nouvelle fois par bateau, en direction de l’Australie.

2.3Le requérant, titulaire d’un visa maritime, est arrivé en Australie le 15 décembre 2011. Le 6 février 2012, il a déposé une demande de visa de protection, qui a été rejetée le 15 mai 2012 par le représentant du Ministre de l’immigration et de la nationalité (art. 65 de la loi sur les migrations). Le 29 mai 2012, il a formé un recours contre la décision du représentant du Ministre. Le 12 mars 2013, le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés a confirmé la décision, estimant que l’Australie n’avait pas d’obligation de protection à l’égard du requérant au regard de la Convention relative au statut des réfugiés ou du droit interne, étant donné que le requérant n’avait pas été en mesure de démontrer qu’il serait gravement en danger s’il était renvoyé au Pakistan. Le Tribunal a estimé que la crainte du requérant d’être persécuté par les Taliban dans son pays n’était pas fondée. Il a statué en ce sens sur la base des déclarations du requérant, ayant estimé que certaines d’entre elles étaient vagues et contradictoires. Il a néanmoins jugé crédibles certains éléments de fait présentés par le requérant, notamment le fait que celui-ci tenait un magasin de musique, qu’il avait dû fermer son magasin après que des Taliban l’avaient agressé physiquement en mai 2008 et que son domicile avait été la cible d’une fusillade en décembre 2009. Il n’a pas retenu, en revanche, que le requérant avait été menacé par les Taliban pour avoir aidé l’armée pakistanaise à identifier des membres des Taliban. Il n’a pas davantage retenu qu’en cas de renvoi au Pakistan, le requérant courrait un risque pour des raisons religieuses ou politiques. Il a estimé que le requérant pourrait s’installer dans une autre région du Pakistan où il se sentirait plus en sécurité, par exemple à Karachi, et que la crainte du requérant d’être persécuté par les Taliban était purement subjective.

2.4Le 2 mai 2013, le requérant a adressé une demande d’intervention au Ministre de l’immigration et de la protection des frontières au titre de la loi sur les migrations pour obtenir un visa de protection. Le 18 décembre 2013, il a reçu une lettre l’informant que sa demande avait été rejetée, le Ministre ayant estimé qu’une intervention en sa faveur ne servirait pas l’intérêt général.

2.5Le 10 février 2014, le requérant a déposé auprès du Tribunal de circuit fédéral une demande de contrôle juridictionnel de la décision du Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés. Le 12 mars 2015, le Tribunal de circuit fédéral a débouté le requérant de sa demande. Il a rejeté la demande de prolongation du délai de recours, estimant qu’une telle mesure n’était pas nécessaire dans l’intérêt de l’administration de la justice. Le requérant a expliqué qu’il avait tardé à saisir le Tribunal parce que ses anciens avocats avaient préféré présenter, à la place, une demande d’intervention ministérielle. Il a dit s’être fié à leur expertise et n’avoir pas pris la mesure des conséquences qu’allait entraîner la décision de présenter une demande d’intervention ministérielle au lieu de saisir le Tribunal. Le Tribunal a considéré qu’il était admis que le requérant avait choisi de présenter une demande d’intervention ministérielle, ce qui montrait qu’il avait décidé de renoncer à s’engager dans une voie qui aurait pu lui permettre d’obtenir le réexamen de la décision du Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés. Il a également estimé que la demande de contrôle juridictionnel présentée par l’auteur n’avait aucune chance d’aboutir, puisque le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés avait connaissance des éléments dont il devait tenir compte pour déterminer si le requérant serait exposé à un risque réel en cas de renvoi au Pakistan.

Teneur de la plainte

3.1Le requérant affirme qu’en cas de renvoi au Pakistan, il courrait un risque réel de se voir infliger des douleurs aiguës ou d’être torturé par des membres des Taliban pakistanais, au vu des menaces proférées à son égard et des attaques dont il a été victime par le passé. En outre, les autorités ne seraient pas en mesure de le protéger contre les Taliban : il est en effet de notoriété publique que le Gouvernement ne parvient ni à prévenir les violations manifestes des droits de l’homme commises par les Taliban ni à y mettre fin.

3.2Le requérant affirme en outre qu’il y a des raisons sérieuses de croire qu’il courrait un risque réel s’il était renvoyé au Pakistan : en plus d’avoir été victime des attaques susmentionnées de la part des Taliban, il est affilié au Parti national Awami en sa qualité de membre du comité pour la paix et se trouverait donc à l’évidence dans la ligne de mire des Taliban. Il explique que les membres du Parti national Awami sont pris pour cible dans tout le pays et que son ami Naimat Ali Khan, qui était lui aussi membre du Comité, a été tué le 12 juin 2014 par des militants non identifiés armés de fusils d’assaut.

3.3Le requérant dit avoir épuisé toutes les voies de recours internes qui lui étaient ouvertes. Il affirme en outre qu’il ne devrait pas être tenu de saisir la Cour fédérale : pareille démarche serait inutile, d’après ses avocats, qui estiment qu’un recours devant cette instance n’aurait aucune chance d’aboutir. Aucun fait nouveau ne s’est produit depuis le rejet, par le Tribunal de circuit fédéral, du recours formé par le requérant contre la décision du Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés. Il est donc fort probable que le requérant serait également débouté par la Cour fédérale. Le requérant fait remarquer qu’en tout état de cause, cette voie de recours ne lui est plus ouverte puisque le délai de recours a déjà expiré.

Renseignements complémentaires reçus du requérant

4.Le 28 avril 2015, le requérant a fait parvenir des copies de ses cartes de membre du Comité de défense du village de Koza Bandai et du Parti national Awami. Il a également produit des copies de deux lettres attestant son appartenance au Parti national Awami, l’une émanant du chef de la circonscription de Metroville (Karachi), l’autre de Rahmat Ali Khan, Président du Comité consultatif pour le développement de district.

Demande de suspension émanant de l’État partie

5.Par une note verbale datée du 31 août 2015, l’État partie a informé le secrétariat que, le 17 juillet 2015, le requérant avait saisi la Cour suprême de l’Australie (High Court) ; compte tenu de la procédure interne en cours dans la présente affaire, il a demandé au Comité de suspendre l’examen de la communication.

Commentaires du requérant sur la demande de l’État partie

6.Le 3 novembre 2015, le requérant a adressé ses commentaires sur la demande de suspension présentée par l’État partie. Il a confirmé avoir introduit une requête devant la Cour suprême pour lui demander de rendre une décision attestant le caractère contraignant pour l’Australie de ses obligations découlant d’instruments internationaux, plus précisément de l’article 22 de la Convention contre la torture dans le contexte des demandes de mesures provisoires le concernant qui avaient été récemment adressées à l’État partie. Il a indiqué que la requête, qui avait été introduite par son conseil, concernait aussi deux autres affaires soumises à l’examen du Comité contre la torture et que, dans chacune des trois affaires en cause, une demande de mesures provisoires avait été adressée à l’État partie. Or, dans les trois affaires, l’État partie avait entamé une procédure d’expulsion. Si le requérant s’était vu délivrer un visa temporaire de trois mois, dans les deux autres affaires, les intéressés avaient été placés en détention dans l’attente de leur expulsion. Étant donné que le Ministère de l’immigration les menaçait d’expulsion, sur les conseils de leur avocat, les autres requérants et lui-même avaient pensé qu’user d’une voie de recours interne, quelle qu’elle soit, était le seul moyen pour eux d’échapper à une expulsion immédiate. Le 29 octobre 2015, la Cour suprême, siégeant en formation de juge unique, avait débouté le requérant de son pourvoi, et celui-ci comptait former un recours contre cette décision devant la chambre plénière de la Cour. Il a également avancé que la suspension de l’examen de la communication pouvait donner au Ministère de l’immigration la possibilité de l’expulser sans avoir à rejeter explicitement la demande de mesures provisoires. Il a donc prié le Comité de ne pas suspendre l’examen de la communication, à moins que l’État partie ne lui donne l’assurance que les mesures provisoires seraient effectivement appliquées.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

7.1Dans une note verbale en date du 20 novembre 2015, l’État partie a affirmé que les allégations du requérant étaient irrecevables pour défaut de fondement manifeste au regard de l’article 113 b) du règlement intérieur du Comité, le requérant n’ayant pas démontré qu’à première vue sa requête était recevable. Dans le cas où le Comité jugerait les griefs du requérant recevables, l’État partie affirme qu’ils sont également infondés.

7.2L’État partie fait observer que les griefs du requérant ont été soigneusement examinés par toute une série d’autorités décisionnaires au plan interne, notamment dans le cadre de la procédure de détermination du statut de réfugié et de la procédure de recours devant le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés, et qu’ils ont fait l’objet d’un contrôle juridictionnel par le Tribunal de circuit fédéral. Ces griefs ont été examinés dans le cadre de procédures internes bien établies et il a été estimé qu’ils n’étaient pas crédibles et ne permettaient pas de démontrer la mise en jeu des obligations de l’Australie en matière de non-refoulement. Ils ont en particulier été appréciés au regard des dispositions du paragraphe 2 aa) de l’article 36 de la loi du Commonwealth de 1958 relative à l’immigration, lesquelles portent sur la protection subsidiaire et énoncent l’obligation de non‑refoulement mise à la charge du Gouvernement par la Convention.

7.3L’État partie affirme qu’à l’exception des nouvelles allégations selon lesquelles le requérant aurait des liens avec le Parti national Awami en sa qualité de membre du comité pour la paix, celui-ci n’a présenté dans la requête qu’il a soumise au Comité aucun nouvel élément utile n’ayant pas déjà été examiné dans le cadre des procédures administratives et judiciaires complètes et bien établies, mentionnées ci-dessus, qui ont été appliquées au plan interne. L’État partie rappelle que, dans son observation générale no 1 (1997) sur l’application de l’article 3 dans le contexte de l’article 22, le Comité a déclaré que, n’étant pas un organe d’appel ni un organe juridictionnel, il accordait un poids considérable aux constatations de faits des organes de l’État partie. L’État partie demande au Comité de reconnaître qu’il a procédé à un examen approfondi des allégations du requérant dans le cadre de ses procédures internes et estimé qu’il n’avait aucune obligation de protection envers le requérant au regard de la Convention. Il admet que l’on ne peut guère s’attendre à ce que le récit d’une victime de la torture soit d’une parfaite exactitude. Ainsi, lorsqu’il a eu à apprécier la crédibilité du requérant dans le cadre du réexamen au fond de la décision de rejet de la demande de visa de protection présentée par celui-ci, le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés a su faire preuve du discernement voulu dans la prise en considération des erreurs et des incohérences que présentaient les déclarations du requérant.

7.4L’État partie fait observer que les griefs du requérant ont été examinés dans le cadre des procédures internes ci-après : a) une demande de visa de protection ; b) un examen indépendant au fond par le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés ; c) un contrôle juridictionnel par le Tribunal de circuit fédéral ; d) une demande d’intervention ministérielle. Au cours de la procédure de traitement de la demande de visa de protection, il a été établi que le requérant travaillait pour une entreprise de transport depuis 1999, qu’il passait chaque année dix à onze mois en mer et que, pendant cette période, il ne participait pas à la gestion quotidienne de son magasin de musique. Il était donc peu probable qu’il corresponde au profil associé à ce type de commerces et qu’il coure le risque, de ce fait, de subir des violences. Étant donné que le requérant faisait de longs séjours en mer, il était en outre peu plausible qu’il ait détenu des renseignements fiables ou suffisants au sujet des Taliban de sa région, ou que l’armée ait utilisé ces renseignements pour retrouver des Taliban. Les autorités n’ont donc pas ajouté foi aux allégations du requérant au sujet de ces faits, ainsi que des menaces qui auraient été proférées contre lui et de l’attaque menée contre son domicile comme suite à sa collaboration avec l’armée. En outre, il était peu plausible qu’entre 2009 et le 15 décembre 2011, le requérant n’ait pas trouvé de moyen de débarquer du navire sur lequel il travaillait pour demander l’asile dans un pays sûr. Le fait que le requérant ait tardé à demander une protection portait à croire qu’il ne craignait pas légitimement d’être persécuté ainsi qu’il le prétendait.

7.5Le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés a retenu que le requérant était sans doute propriétaire d’un magasin de musique à Derai et qu’il avait, par conséquent, attiré l’attention des Taliban. Il a également retenu que le requérant avait été violemment agressé par des Taliban en mai 2008 et qu’il avait fui à Karachi pour embarquer sur un navire où il avait été affecté par l’entreprise de transport qui l’employait. Il a toutefois relevé de nombreuses incohérences dans les déclarations du requérant concernant ses déplacements après son retour au Pakistan, courant 2009, et n’a pas ajouté foi aux allégations du requérant selon lesquelles on lui avait demandé de rejoindre les rangs des Taliban et il avait attiré l’attention des Taliban en prêtant de l’argent à des chanteurs ou à des musiciens. Le Tribunal a également rejeté les allégations du requérant selon lesquelles il aurait ensuite reçu des menaces de la part des Taliban, son domicile aurait été la cible d’une attaque en décembre 2009 et il aurait été lui-même blessé par balle au ventre. Il a noté, en particulier, qu’il ressortait des preuves médicales produites que le requérant souffrait de douleurs lombaires et qu’il avait déjà été agressé par le passé, mais que ces documents ne faisaient pas état d’une affection susceptible d’avoir été causée par une blessure par balle.

7.6Le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés a écarté le moyen tiré de ce que le requérant avait été ou serait pris pour cible parce qu’il était « ouvert d’esprit », qu’il buvait de l’alcool et qu’il était atteint de troubles de santé mentale qui nécessitaient un traitement continu. Il a relevé des incohérences dans les déclarations du requérant concernant ses déplacements après son retour au Pakistan, courant 2011. Eu égard à ces incohérences et faute de preuves crédibles, le Tribunal n’a pas retenu que le requérant avait fait l’objet d’une tentative d’enlèvement ni que son beau-frère avait été tué à cause de lui. Il a constaté, au contraire, que le requérant était retourné plusieurs fois dans la vallée de Swat depuis 2008, entre deux contrats de travail avec l’entreprise de transport qui l’employait, et qu’il n’avait pas été pris pour cible par les Taliban pour quelque raison que ce soit. Il a noté que ce constat cadrait avec les renseignements dont il disposait au sujet du pays, dont il ressortait que la situation dans la région de Swat avait évolué depuis 2008 et que les autorités semblaient contrôler la vallée. Il a conclu que le requérant pourrait tout à fait s’installer ailleurs au Pakistan s’il craignait toujours, sans raison objective, de retourner dans la vallée de Swat, sachant qu’il savait faire preuve de souplesse et de débrouillardise, ainsi qu’il l’avait montré. Le Tribunal a ainsi conclu que le requérant n’était pas en droit de bénéficier d’une protection au titre des obligations mises à la charge de l’État partie par la Convention relative au statut des réfugiés. Il a également estimé que le requérant n’était pas en droit de bénéficier d’une protection au titre des obligations de l’État en matière de protection subsidiaire.

7.7Le 2 mai 2013, le requérant a déposé une demande d’intervention ministérielle au titre des articles 417 et 48B de la loi du Commonwealth de 1958 relative à l’immigration. En vertu de ces dispositions, le Ministre de l’immigration et de la protection des frontières est habilité à intervenir dans certaines affaires s’il estime qu’il en va de l’intérêt général. Le décideur a estimé que la demande ne contenait aucun élément susceptible d’améliorer les chances de l’intéressé de voir aboutir sa demande de visa de protection. Le 13 juin 2013, il a conclu que les griefs du requérant ne répondaient pas aux conditions d’une intervention ministérielle.

7.8Le 31 mars 2015, le Tribunal de circuit fédéral a débouté le requérant de sa demande de contrôle juridictionnel de la décision du Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés au motif que cette demande avait été déposée trois cents jours après l’expiration du délai de trente-cinq jours prévu par la législation australienne. Conformément à la loi, le Tribunal a examiné la question de savoir si une prolongation du délai devait être accordée, en tenant compte de la durée du retard, de l’existence ou non d’un préjudice pour le requérant et du bien-fondé du recours introduit. Il a conclu que le requérant n’avait pas expliqué de façon satisfaisante pourquoi il avait tant attendu avant de former un recours. Il a également conclu que les griefs soulevés par le requérant étaient dénués de fondement, estimant que celui-ci n’avait pas démontré de façon convaincante que sa demande avait des chances d’aboutir de telle sorte qu’une prolongation du délai s’avérerait nécessaire dans l’intérêt de la justice. Compte tenu de ces éléments, il a estimé que l’éventuel préjudice que pourrait subir le requérant s’il n’avait pas la possibilité de former un recours serait minime.

7.9L’État partie affirme que le Tribunal a examiné, puis écarté les allégations du requérant selon lesquelles il ne pouvait envisager de s’installer ailleurs au Pakistan, le Gouvernement pakistanais ayant montré qu’il n’était pas en mesure de prévenir les violations manifestes des droits de l’homme commises par les Taliban. L’État partie est conscient qu’aux termes du paragraphe 2 de l’article 3 de la Convention, pour déterminer si le paragraphe 1 de l’article 3 doit s’appliquer, il convient de tenir compte de tous les éléments pertinents, notamment de l’existence, dans l’État intéressé, d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives. Néanmoins, l’existence d’un risque général de violence ne constitue pas en soi une raison suffisante de conclure qu’une personne donnée risquerait d’être torturée à son retour dans cet État, et le requérant n’a pas démontré qu’il existait d’autres raisons de penser qu’il courrait personnellement un risque prévisible et réel d’être soumis à la torture en cas de renvoi au Pakistan.

7.10L’État partie fait observer que le requérant a formulé une nouvelle affirmation dans les observations qu’il a adressées au Comité, puisqu’il a indiqué qu’il avait des liens avec le Parti national Awami en sa qualité de membre du comité pour la paix. L’ajout tardif de cette affirmation et les contradictions précédemment constatées dans les déclarations du requérant viennent s’ajouter au manque de preuves produites par celui-ci concernant sa situation personnelle et au fait que ses dires ne cadrent pas avec les renseignements dont on dispose sur le pays ; autant d’éléments qui, considérés dans leur ensemble, sèment le doute quant à la véracité de cette dernière allégation. Aux audiences du Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés, le requérant avait déclaré qu’il n’avait aucun lien avec quelque parti politique que ce soit et qu’il avait eu pour seule préoccupation la gestion de son magasin, dont il s’était occupé jusqu’en 2008. En outre, les allégations du requérant ne cadrent pas avec les informations sur le pays, le Parti national Awami et le comité pour la paix étant deux entités distinctes. Même si l’on admet qu’il s’agit d’une erreur typographique et que le requérant prétend en réalité avoir des liens avec le Parti national Awami et être, par ailleurs, membre du comité pour la paix, il est peu plausible qu’il ne l’aurait pas signalé plus tôt s’il craignait véritablement d’être en danger pour cette raison. Les membres du comité pour la paix sont en première ligne dans les affrontements avec les Taliban dans les zones rurales et il a été signalé qu’ils avaient été la cible d’attentats terroristes pendant toute l’année 2012 dans la région d’origine du requérant, au moment où la demande de protection de celui-ci était à l’examen en Australie. On pouvait donc raisonnablement s’attendre à ce que le requérant soulève ce grief au moment où il a quitté le Pakistan s’il craignait d’être en danger en raison de ses liens avec le Parti national Awami ou de son appartenance au comité pour la paix. Même à supposer que le requérant ait eu une raison plausible de ne pas soulever ce grief plus tôt, l’État partie avance que les preuves produites à ce jour par celui-ci ne suffisent pas à démontrer qu’il est bel et bien membre du Parti national Awami ou du comité pour la paix ainsi qu’il le prétend.

7.11Enfin, l’État partie indique que le requérant a produit une lettre du Service de santé des réfugiés de Nouvelle-Galles du Sud pour étayer les allégations selon lesquelles il avait été agressé par les Taliban en mai 2008. Le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés, qui avait déjà retenu ces allégations, avait toutefois estimé que cette agression n’exposait pas l’auteur à un risque réel d’être torturé s’il était renvoyé au Pakistan. Cette lettre ne soulève pas d’autres griefs ni ne permet d’établir l’existence d’un préjudice ou d’un risque plus important résultant de l’attaque de 2008 ; elle ne fait qu’étayer les allégations du requérant quant aux blessures qui lui ont été infligées, allégations qui avaient déjà été retenues et examinées dans le cadre des procédures internes de détermination du statut de réfugié et de protection subsidiaire. Ces informations ne permettent pas de démontrer à suffisance de droit que le requérant courrait personnellement le risque d’être torturé ou d’être victime de traitements constitutifs de torture au regard de l’article premier de la Convention.

Observations complémentaires de l’État partie

8.Dans une note verbale datée du 31 mars 2016, l’État partie a réitéré ses observations sur le fond de la requête et demandé au Comité de réexaminer la décision de faire droit à la demande de mesures provisoires ou d’accélérer l’examen de la requête, étant donné que celle-ci ne présentait pas de difficultés particulières, que le dossier était complet et que toutes les procédures internes avaient été menées à bonne fin.

Commentaires du requérant sur les observations complémentaires de l’État partie

9.1Le 1er décembre 2016, le requérant a adressé ses commentaires sur les observations de l’État partie. Il conteste l’affirmation de l’État partie selon laquelle ses griefs ont été examinés dans le cadre de procédures internes, administratives et judiciaires, complètes et bien établies. Il fait observer que le Tribunal de circuit fédéral n’est pas compétent pour se prononcer sur le caractère équitable d’une appréciation défavorable, par le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés, de la crédibilité d’un témoignage. Cela signifie que les appréciations injustifiées de cette nature faites par le Tribunal ne sont pas susceptibles de réexamen. L’introduction d’un recours auprès du Ministre est tout aussi inopérante : étant donné que la loi n’oblige pas le Ministre à traiter les demandes d’intervention en toute équité procédurale, cette procédure n’est pas transparente, le Ministre n’a aucune obligation de rendre des comptes et les décisions de rejet ne sont pas motivées.

9.2Le requérant fait observer que le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés a noté que, si les autorités avaient repris le contrôle de la vallée de Swat en 2008, la situation sur le plan de la sécurité était imprévisible dans cette zone, et que plusieurs groupes terroristes rattachés aux Taliban étaient encore actifs au Pakistan. Il renvoie à des rapports du Pakistan Institute of Peace Studies et du Département d’État des États-Unis, dont il ressort que plus de la moitié des attentats terroristes signalés en 2015 ont été commis par les Taliban pakistanais, essentiellement par le Tehrik-e-Taliban Pakistan et par des groupes locaux liés aux Taliban. Le Tehrik-e-Taliban Pakistan a notamment pour objectif de mener une campagne terroriste contre l’armée et l’État pakistanais et les forces de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) en Afghanistan, et de renverser le Gouvernement pakistanais. Celui-ci avait engagé des pourparlers avec le Tehrik-e-Taliban Pakistan, mais à la suite de l’attentat commis à l’aéroport de Karachi le 8 juin 2014, ces pourparlers avaient été rompus et l’armée pakistanaise avait lancé des opérations armées contre le groupe.

9.3S’agissant de l’argument de l’État partie selon lequel il était peu plausible qu’entre 2009 et le 15 décembre 2011, le requérant n’ait pas trouvé de moyen de débarquer du navire sur lequel il travaillait pour demander l’asile dans un pays sûr, l’intéressé fait savoir que lui-même et d’autres se voyaient souvent refuser le droit de descendre à terre dans les ports, la plupart du temps par les services locaux de l’immigration. Le requérant n’a ainsi pas été autorisé à débarquer au Brésil et en Uruguay, ainsi qu’en Australie en 2007, 2008, 2009 et 2010. Les pays dans lesquels il a pu obtenir une permission à terre n’étaient pas sûrs.

9.4S’agissant de l’argument de l’État partie selon lequel il n’a pas apporté la preuve qu’il avait été blessé par balle au ventre, le requérant affirme qu’il y a eu une erreur de traduction. Il avait en réalité tenté d’expliquer qu’il avait été poignardé à l’aisselle avec la baïonnette d’un fusil AK-47. Il cherche actuellement à rassembler des preuves médicales à l’appui de ces allégations.

9.5Le requérant indique en outre qu’il cherche actuellement à obtenir un rapport psychologique à jour attestant son état de santé mental, sachant qu’on lui a diagnostiqué une dépression et qu’il a été renvoyé vers un service de consultation spécialisé pour les victimes de traumatisme. Il attribue à son état psychique perturbé le comportement incohérent qu’il a eu en ne reconnaissant pas son appartenance au Parti national Awami. Il avait renié le Partiet tenté de l’effacer de son esprit parce que ses membres ne lui étaient pas venus en aide alors qu’il se trouvait en difficulté avant son départ du Pakistan.

Autres observations du requérant

10.Le 9février 2017, le requérant a produit une copie d’un certificat médical attestant qu’il portait une cicatrice au bras gauche qui pouvait résulter d’une blessure par arme blanche, ainsi qu’une copie d’un rapport établi par un psychologue du Service de traitement et de réadaptation des victimes de torture et de traumatismes de Nouvelles-Galles du Sud, dans lequel on pouvait lire qu’il souffrait de troubles post-traumatiques, d’anxiété et de dépression.

Observations complémentaires de l’État partie

11.1Dans une note verbale datée du 8 mars 2017, l’État partie a adressé ses observations concernant les certificats médicaux complémentaires produits par le requérant. Il fait observer que ces documents ne contiennent pas de nouvel élément crédible de nature à démontrer la mise en jeu de ses obligations en matière de non-refoulement, y compris au regard de l’article 3 de la Convention. L’État partie affirme que les allégations du requérant selon lesquelles il aurait été blessé à l’aisselle avec une baïonnette ne cadrent pas avec les explications qu’il avait données au Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés. Devant le Tribunal, le requérant avait déclaré qu’il avait essuyé des coups de feu au cours d’une attaque menée par les Taliban à son domicile et qu’une balle l’avait atteint au ventre. Il avait également affirmé que, l’attaque ayant eu lieu en hiver, il portait des vestes et n’avait remarqué que plus tard qu’il avait été touché. On ne voit pas bien comment le requérant a pu être blessé sous l’aisselle alors qu’il n’a pas indiqué, dans ses déclarations, qu’un membre des Taliban avait pénétré chez lui ou avait eu une altercation avec lui.

11.2S’agissant du rapport établi par le Service de traitement et de réadaptation des victimes de torture et de traumatismes de Nouvelle-Galles du Sud, l’État partie fait observer que, si ce rapport fait état de symptômes de traumatisme, d’anxiété, de dépression et d’hallucinations, il n’indique pas que ces troubles ont altéré la mémoire du requérant ou porté atteinte à sa capacité de relater des événements importants de son histoire personnelle. En outre, selon ce rapport, le traumatisme du requérant aurait pour cause une attaque menée par les Taliban, au cours de laquelle ceux-ci l’aurait frappé avec la crosse de leurs armes ; il s’agit là encore d’une incohérence inexpliquée, relevée dans les déclarations du requérant concernant l’origine de sa blessure.

Autres observations du requérant

12.1Le 22 mars 2017, le requérant a adressé ses commentaires concernant les observations de l’État partie en date du 8 mars 2017. Il dit avoir été blessé deux fois, et non une seule, à deux occasions différentes. La cicatrice qu’il porte à l’aisselle résulte d’une blessure causée par un coup de baïonnette reçu au cours des faits qu’il a portés à la connaissance du Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés. Le Tribunal n’ayant pas consigné clairement les faits, le requérant a fait une nouvelle déclaration pour tenter d’apporter des éclaircissements sur la question. La deuxième blessure est d’ordre psychique : il s’agit du traumatisme et de la dépression dont il souffre. Compte tenu de ce traumatisme, qui résulte de son affrontement violent avec les Taliban et des humiliations que ceux-ci lui ont fait subir, il lui est difficile de livrer un récit cohérent de ces humiliations. Dans sa décision, le Tribunal a retenu que le requérant avait été roué de coups par les Taliban devant ses voisins et sa famille. Le récit confus des faits, consigné dans la décision du Tribunal, s’explique par la difficulté qu’éprouve le requérant à se remémorer les faits et à en parler. Le requérant renvoie aux principes directeurs sur l’appréciation de la crédibilité appliqués par le Tribunal au cours de son audition et fait observer que, selon ces principes, les expériences traumatisantes peuvent amener une personne à oublier, avec le temps ou pour d’autres raisons, des dates, des lieux, des événements et des expériences personnelles.

12.2Le requérant indique en outre que le Service de traitement et de réadaptation des victimes de torture et de traumatismes de Nouvelle-Galles du Sud a délivré un autre rapport qui atteste qu’il souffre de troubles de la mémoire et a, en particulier, des difficultés à se remémorer des événements traumatisants. Il souffre également de douleurs lombaires chroniques qui résultent des mauvais traitements que lui ont infligés les Taliban ; en raison de ces douleurs constantes, il lui était donc difficile de se concentrer au cours de son audition devant le Tribunal.

Observations complémentaires de l’État partie

13.1Dans une note verbale datée du 20 octobre 2017, l’État partie a adressé ses observations concernant les commentaires du requérant en date du 22 mars 2017. Il fait observer que les allégations du requérant selon lesquelles il aurait été blessé deux fois à deux occasions différentes ne font qu’ajouter au caractère incohérent de son récit des faits, puisqu’il n’avait jamais été question jusqu’alors de deux événements distincts. Il avance que la déclaration sur l’honneur rédigée par le requérant, dans laquelle il décrit la manière dont il aurait été blessé par les Taliban avec une baïonnette en mai 2008, ne suffit pas à démontrer qu’il risquerait d’être torturé à son retour au Pakistan, ainsi qu’il le prétend. Il reprend également ses observations précédentes concernant la recevabilité et le fond s’agissant de l’état de santé du requérant. Il fait observer que les griefs formulés par le requérant concernant son état de santé et les preuves produites par celui-ci à l’appui de ces griefs sont contradictoires, qu’ils ont trait à des blessures qui auraient été infligées au requérant plus de neuf ans plus tôt et qu’ils ne permettent pas de démontrer que le requérant courrait personnellement le risque d’être torturé à son retour au Pakistan, ainsi qu’il le prétend.

13.2Pour ce qui est des documents attestant l’appartenance du requérant au Parti national Awami, l’État partie fait observer que la lettre du Président du Comité consultatif pour le développement de district est signée par Rahmat Ali Khan. Il affirme qu’à l’issue de recherches en ligne, les autorités publiques ont pu déterminer qu’un individu au nom semblable (Rehmat Ali) avait été nommé Président du Comité consultatif pour le développement de district de Swat en 2010. La lettre produite par le requérant date de 2015. Or, il semble que Fazal Hakeem, le Président en exercice dans le district de Swat, soit en fonctions depuis 2014. D’après l’État partie, cela signifie que la lettre pourrait ne pas être authentique.

13.3L’État partie fait observer en outre que, quand bien même il admettrait que le requérant était membre du Parti national Awami, celui-ci n’a pas démontré qu’il courrait personnellement le risque d’être torturé pour cette raison à son retour au Pakistan. S’il est vrai que des informations indiquent que des responsables politiques locaux et provinciaux et des dirigeants du Parti national Awami ont été tués au Pakistan, le Ministère australien des affaires étrangères et du commerce estime que les membres du Parti courent peu de risques d’être victimes de violence de la part de groupes politiques ou militants en raison de leur obédience politique. Par conséquent, étant donné que le requérant n’exerçait pas de fonctions politiques au sein du Parti national Awami, rien ne porte à croire qu’il risquerait d’être torturé pour avoir été membre du Partipar le passé, comme il le prétend.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

14.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit déterminer s’il est recevable au regard de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été examinée et n’est pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

14.2Le Comité rappelle que, conformément au paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention, il n’examine aucune communication d’un particulier sans s’être assuré que celui-ci a épuisé tous les recours internes disponibles. Il note qu’en l’espèce, l’État partie n’a pas contesté que le requérant avait épuisé tous les recours internes disponibles. Il conclut donc qu’il n’est pas empêché par le paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention d’examiner la présente communication.

14.3Le Comité note que, d’après l’État partie, la communication est irrecevable pour défaut manifeste de fondement. Il estime néanmoins que la communication a été suffisamment étayée aux fins de la recevabilité. En conséquence, il la déclare recevable et procède à son examen au fond.

Examen au fond

15.1Conformément au paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

15.2En l’espèce, le Comité doit déterminer si l’expulsion du requérant vers le Pakistan constituerait une violation de l’obligation incombant à l’État partie en vertu de l’article 3 de la Convention de ne pas expulser ou refouler une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risquerait d’être soumise à la torture. Ce risque concerne également la torture ou autres mauvais traitements infligés par des entités non étatiques, y compris par des groupes qui commettent des actes illégaux de nature à causer une douleur ou des souffrances aiguës à des fins proscrites par la Convention et qui, dans les faits, échappent partiellement ou totalement au contrôle de l’État de destination, qui ne parvient pas à les empêcher d’agir et à mettre fin à l’impunité dont ils jouissent.

15.3Le Comité doit apprécier s’il existe des motifs sérieux de croire que le requérant risquerait personnellement d’être soumis à la torture s’il était renvoyé au Pakistan. Pour ce faire, conformément au paragraphe 2 de l’article 3 de la Convention, il doit tenir compte de tous les éléments pertinents, y compris l’existence éventuelle d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme graves, flagrantes ou massives. Le Comité rappelle toutefois que le but de cette analyse est de déterminer si l’intéressé court personnellement un risque prévisible et réel d’être soumis à la torture dans le pays où il serait renvoyé. Il s’ensuit que l’existence, dans un pays, d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives ne constitue pas en soi une raison suffisante pour établir qu’une personne donnée risquerait d’être soumise à la torture à son retour dans ce pays. Il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser que l’intéressé court personnellement un risque. Inversement, l’absence d’un ensemble de violations flagrantes et systématiques des droits de l’homme ne signifie pas qu’une personne ne puisse pas être soumise à la torture dans la situation particulière qui est la sienne.

15.4Le Comité rappelle son observation générale no 4 (2017) sur l’application de l’article 3 dans le contexte de l’article 22, dont il ressort qu’il apprécie l’existence de « motifs sérieux » et considère que le risque de torture est prévisible, personnel, actuel et réel lorsque l’existence même, au moment où il adopte sa décision, de faits crédibles se rapportant au risque porterait atteinte aux droits que le requérant tient de la Convention s’il était expulsé (par. 45).

15.5Le Comité prend acte des allégations du requérant selon lesquelles il a été agressé et roué de coups à son domicile par des Taliban parce qu’il tenait un magasin de musique ; il note que, selon les dires du requérant, les Taliban avaient par la suite mené une attaque armée contre son domicile en représailles de l’aide qu’il avait apportée à l’armée pakistanaise pour lui permettre d’identifier plusieurs militants Taliban originaires de son village, lesquels avaient été arrêtés et exécutés. Le requérant a également affirmé que, s’il était renvoyé au Pakistan, il courrait un risque réel d’être soumis à la torture et de se voir infliger des douleurs aigues par les Taliban, au vu des menaces proférées à son égard et des attaques dont il avait été victime par le passé et compte tenu de son appartenance au Parti national Awami en sa qualité de membre du comité pour la paix. Le Comité prend également note des arguments de l’État partie selon lesquels les allégations du requérant ont été soigneusement examinées par toute une série d’autorités décisionnaires au plan interne, notamment par les tribunaux nationaux, et qu’il a été conclu que ces allégations n’étaient pas crédibles et ne permettaient pas de démontrer la mise en jeu des obligations de l’Australie en matière de non-refoulement. Il prend en considération, en particulier, le moyen tiré des incohérences relevées par l’État partie dans les déclarations du requérant concernant les blessures qui lui avaient été causées au cours de l’attaque menée par les Taliban contre son domicile, et l’argument de l’État partie selon lequel le récit des faits livré par le requérant manquait globalement de crédibilité. Il note également que, selon l’État partie, le requérant n’a pas fait état de son appartenance au Parti national Awami dans le cadre de la procédure d’asile, et que l’État partie émet des doutes quant à l’authenticité de la lettre produite à l’appui des allégations du requérant concernant son appartenance au Parti.

15.6Le Comité observe que, même à supposer que le requérant ait été attaqué par les Taliban, les faits présumés se sont produits il y a plus de neuf ans, et la question est de savoir si le requérant court actuellement le risque d’être torturé en cas de renvoi au Pakistan. On ne peut nécessairement déduire des faits présumés qu’après tant d’années, le requérant risquerait encore d’être torturé s’il était renvoyé dans son pays d’origine. Le Comité constate en outre que le requérant n’a produit aucun élément de nature à démontrer que les Taliban avaient récemment cherché à le retrouver.

15.7Le Comité renvoie à son observation générale no 4, dont il ressort que la charge de la preuve incombe à l’auteur de la communication, qui est tenu de présenter des arguments défendables (par. 38). Il estime qu’en l’espèce, le requérant n’a pas assumé la charge de la preuve. En outre, le requérant n’a pas démontré que les autorités de l’État partie, en l’occurrence de l’Australie, n’avaient pas mené d’enquête digne de ce nom sur ses griefs.

16.Par conséquent, le Comité conclut que le requérant n’a pas démontré qu’il y avait des motifs suffisants de croire qu’il serait personnellement exposé à un risque actuel, réel et prévisible d’être soumis à la torture s’il retournait au Pakistan.

17.Le Comité, agissant conformément au paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention, conclut que l’expulsion du requérant vers le Pakistan par l’État partie ne constituerait pas une violation de l’article 3 de la Convention.