Nations Unies

CAT/C/PSE/CO/1

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

23 août 2022

Français

Original : anglais

Comité contre la torture

Observations finales concernant le rapport initial de l’État de Palestine *

1.Le Comité a examiné le rapport initial de l’État de Palestine à ses 1921e et 1924e séances, les 19 et 20 juillet 2022, et a adopté les présentes observations finales à ses 1932e et 1933e séances, les 26 et 27 juillet 2022.

A.Introduction

2.Le Comité accueille avec satisfaction le rapport initial de l’État partie, ainsi que les renseignements complémentaires fournis à l’occasion de l’examen du rapport. Il regrette toutefois que celui-ci ait été soumis avec plus de quatre années de retard.

3.Le Comité se félicite d’avoir pu engager un dialogue constructif avec la délégation de l’État partie et accueille avec satisfaction les réponses apportées aux questions et aux préoccupations soulevées pendant l’examen du rapport.

4.Le Comité est conscient que la poursuite de l’occupation israélienne sur le territoire de l’État partie, l’expansion des colonies de peuplement et le maintien du blocus de la bande de Gaza, qui sont illégaux au regard du droit international, rendent très difficile pour l’État partie de s’acquitter pleinement de ses obligations au titre de la Convention et entraînent de graves violations des droits des Palestiniens, au nombre desquelles des détentions arbitraires, le recours à la torture et aux mauvais traitements, un usage excessif de la force et des abus de la part des forces de sécurité israéliennes, des actes de violence de la part des colons israéliens, des restrictions à la liberté de circulation, des déplacements forcés et expulsions, la saisie de terres privées, des démolitions de maisons et implantations illégales, des restrictions à l’accès aux services de santé et le refus d’accorder l’accès à l’aide humanitaire. Il rappelle les obligations mises à la charge d’Israël, Puissance occupante, par le droit international humanitaire et le droit international des droits de l’homme. Il est conscient que les difficultés susmentionnées limitent le contrôle effectif que l’État partie peut exercer sur son propre territoire et sa capacité de prévenir et réprimer efficacement la torture et les mauvais traitements. Il rappelle toutefois à l’État partie que la Convention s’applique sur l’ensemble de son territoire et qu’il devrait prendre toutes les mesures possibles pour qu’il en soit ainsi. À cet égard, le Comité regrette que, nonobstant l’accord visant à mettre fin aux divisions du peuple palestinien conclu le 12 octobre 2017 entre le Fatah et le Hamas, l’État partie n’ait que peu progressé dans le règlement des questions de politique intérieure qui nuisent à la pleine jouissance par les Palestiniens de Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est, et de la bande de Gaza des droits qu’ils tiennent de la Convention et qui contribuent à la fragmentation politique et géographique du territoire de l’État partie. Il constate que, en raison de cette fragmentation, les Palestiniens continuent d’être soumis à des régimes juridiques multiples qui entravent la pleine réalisation des droits que leur reconnaît la Convention.

B.Aspects positifs

5.Le Comité constate avec satisfaction que, depuis son adhésion à la Convention, l’État partie a ratifié les instruments internationaux ci-après, ou y a adhéré :

a)La Convention relative aux droits de l’enfant et son Protocole facultatif concernant l’implication d’enfants dans les conflits armés, le 2 avril 2014 ;

b)Le Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant, concernant la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants, le 29 décembre 2017 ;

c)Le Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant établissant une procédure de présentation de communications, le 10 avril 2019 ;

d)Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, le 2 avril 2014 ;

e)Le Deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, visant à abolir la peine de mort, le 18 mars 2019 ;

f)Le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, le 2 avril 2014 ;

g)La Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, le 2 avril 2014 ;

h)La Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, le 2 avril 2014, et son Protocole facultatif, le 10 avril 2019 ;

i)La Convention relative aux droits des personnes handicapées, le 2 avril 2014, et le Protocole facultatif s’y rapportant, le 10 avril 2019 ;

j)La Convention internationale sur l’élimination et la répression du crime d’apartheid, le 2 avril 2014 ;

k)Le Statut de Rome de la Cour pénale internationale, le 2 janvier 2015 ;

l)La Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée, le 2 janvier 2015 ;

m)Le Protocole additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants, le 29 décembre 2017 ;

n)Le Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, le 29 décembre 2017.

6.Le Comité accueille avec satisfaction les mesures que l’État partie a prises pour réviser sa législation ou adopter de nouvelles lois dans des domaines intéressant la Convention, notamment :

a)Les modifications apportées en 2019 à la loi relative au statut personnel, qui portent à 18 ans l’âge minimum du mariage pour les filles et les garçons ;

b)L’adoption du décret-loi no 4 sur la protection des mineurs palestiniens, en 2016.

7.Le Comité salue les mesures que l’État partie a prises pour modifier ses politiques et procédures afin de renforcer la protection des droits de l’homme et d’appliquer la Convention, en particulier :

a)Le Plan stratégique de protection de l’enfance (2018-2022) et la stratégie sectorielle sur la justice pour mineurs ;

b)Le plan intersectoriel pour l’égalité des sexes et la justice (2017-2022) ;

c)L’observatoire national de la violence à l’égard des femmes, en 2016 ;

d)La stratégie nationale pour la justice et l’état de droit (2014-2016) ;

e)Le plan stratégique de lutte contre la violence à l’égard des femmes (2011‑2019) ;

f)Le Bureau du Procureur spécial chargé de la lutte contre la violence fondée sur le genre à l’égard des femmes et des filles.

D.Principaux sujets de préoccupation et recommandations

Statut juridique de la Convention

8.Le Comité félicite l’État partie d’avoir ratifié la Convention sans émettre de réserve, mais il est préoccupé par l’interprétation donnée par la Haute Cour constitutionnelle dans ses décisions no 4 (2017) du 19 novembre 2017 et no 5 (2018) du 12 mars 2018, selon laquelle les instruments internationaux auxquels l’État partie a adhéré ne priment la législation nationale que dans la mesure où ils sont compatibles avec l’identité nationale, religieuse et culturelle du peuple arabe palestinien, interprétation qui peut entraver l’exercice des droits énoncés dans la Convention. Il constate également avec préoccupation que la Convention n’a pas encore été publiée au Journal officiel, ce qui la rendrait applicable dans l’État partie (art. 2 et 4).

9. L’État partie devrait :

a) Incorporer pleinement et rapidement les dispositions de la Convention dans son droit interne, y compris par voie de publication au Journal officiel, et de prendre toutes les mesures possibles pour assurer l’application de la Convention sur l’ensemble de son territoire ;

b) Veiller à ce que l’interprétation faite par la Haute Cour constitutionnelle dans ses décisions n o 4 (2017) du 19 novembre 2017 et n o 5 (2018) du 12 mars 2018 et son application n’empêchent pas les personnes vivant sur le territoire de l’État partie de jouir pleinement des droits que leur reconnaît la Convention.

Harmonisation de la législation et conformité avec la Convention

10.Le Comité salue la création d’un comité d’harmonisation législative chargé d’examiner toutes les lois pour s’assurer qu’elles sont conformes aux instruments relatifs aux droits de l’homme auxquels l’État partie a adhéré, y compris la Convention, mais il constate avec préoccupation que ledit comité n’a examiné que quelques lois et qu’aucun calendrier n’a été établi en vue de l’harmonisation complète de la législation nationale avec la Convention. Le Comité note également avec préoccupation que :

a)Le Conseil législatif palestinien a été dissous par la Haute Cour constitutionnelle dans sa décision no 10 du 12 décembre 2018 ;

b)Les lois promulguées par décret présidentiel depuis la suspension du Conseil en 2006 ne sont ni reconnues ni appliquées dans la bande de Gaza, ce qui a pour effet de renforcer la fragmentation du système juridique et de soumettre les Palestiniens de la bande de Gaza et de Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est, à de multiples ensembles de lois offrant des degrés de protection divers ;

c)Aucun délai n’a été fixé pour l’examen et l’adoption des projets de loi, tels que le projet de code pénal, le projet de code de procédure pénale, le projet de décret-loi sur la protection de la famille, le projet de code du statut personnel et le projet de décret-loi sur les droits des personnes handicapées (art. 2 et 4).

11. Le Comité invite instamment l’État partie à :

a) Restaurer le processus législatif démocratique afin de faciliter l’harmonisation des différents ensembles de lois appliqués dans la bande de Gaza et en Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est, pour que toutes les personnes relevant de la juridiction de l’État partie soient protégées par la loi dans des conditions d’égalité ;

b) Adopter un calendrier précis pour l’achèvement de l’examen du cadre législatif existant, en collaboration avec les organisations de la société civile, afin d’en garantir la conformité avec les dispositions de la Convention ;

c) Accélérer l’examen et l’adoption des projets de loi, notamment du projet de code pénal, du projet de code du statut personnel et du projet de loi sur la protection de la famille, en s’assurant qu’ils sont conformes à la Convention.

Définition et incrimination de la torture

12.Le Comité note que la torture est expressément interdite par l’article 13 (par. 1) de la Loi fondamentale palestinienne de 2003 et que cette interdiction peut aussi êtredéduite d’un certain nombre de lois en vigueur. Il note également qu’une définition complète de la torture, conforme à celle énoncée à l’article premier de la Convention, a été incluse dans le décret‑loi no 25 sur la Commission nationale contre la torture, publié au Journal officiel le 25 mai 2022. Il est néanmoins préoccupé par le fait que la torture est considérée comme un délit et que les peines ne sont pas proportionnées à la gravité des actes et sont susceptibles d’amnistie ainsi que de prescription (art. 1er et 4).

13.L’État partie devrait veiller à ce que sa législation pénale, y compris le projet de code pénal, comprenne une définition de la torture qui couvre tous les éléments énoncés à l’article premier de la Convention. Il devrait également faire en sorte que les infractions de torture soient passibles de peines appropriées qui prennent en considération leur gravité, conformément aux dispositions de l’article 4 (par. 2) de la Convention, et ne puissent pas faire l’objet d’une amnistie ou d’une grâce. Il devrait aussi étendre la portée de la définition de la torture à toute personne qui tente de commettre des actes de torture ou qui est complice de tels actes ou y participe. À cet égard, le Comité appelle l’attention de l’État partie sur son observation générale n o  2 (2007), dans laquelle il a souligné que, si la définition de la torture en droit interne était trop éloignée de celle énoncée dans la Convention, le vide juridique réel ou potentiel qui en découlait pouvait ouvrir la voie à l’impunité. En outre, l’État partie est invité à modifier sa législation nationale pour y intégrer une disposition sur l’imprescriptibilité de la torture.

Interdiction absolue de la torture

14.Le Comité est préoccupé par l’absence dans la législation de l’État partie de dispositions claires garantissant que l’interdiction de la torture est absolue et non susceptible de dérogation. Il est également préoccupé par le fait que, selon le Code pénal jordanien de 1960 et le Code pénal du mandat britannique de 1936, qui sont applicables en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, respectivement, et selon le Code pénal révolutionnaire palestinien de 1979, qui est applicable à la fois en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, une personne peut être exonérée de toute responsabilité pénale pour des actes de torture ou des mauvais traitements si elle a agi sur l’ordre d’une autorité compétente à laquelle elle était tenue par la loi d’obéir, sauf si cet ordre était illégal. Il regrette de ne pas avoir reçu d’informations sur le point de savoir s’il existe des mécanismes ou des procédures visant à protéger les subordonnés contre les représailles afin de leur permettre, dans la pratique, de refuser d’obéir à des ordres illégaux (art. 2).

15. L’État partie devrait veiller à ce que le principe de l’interdiction absolue de la torture soit incorporé dans la législation nationale et strictement respecté, conformément aux dispositions de l’article 2 (par. 2) de la Convention. Il devrait également faire en sorte que l’ordre d’un supérieur ne puisse pas être invoqué pour justifier la torture et, à cette fin, mettre en place un mécanisme permettant de protéger les subordonnés qui refusent d’obéir à un tel ordre et veiller à ce que tous les agents de la force publique soient informés de l’interdiction d’obéir à des ordres illégaux et aient connaissance des mécanismes de protection existants.

État d’urgence

16.Le Comité, prenant note de l’état d’urgence déclaré par l’État partie le 5 mars 2020 pour protéger la santé publique à la suite du déclenchement de la pandémie de maladie à coronavirus (COVID-19), constate avec préoccupation que la prolongation continuelle decette situation d’exception par l’adoption régulière de décrets présidentiels et de décrets-lois renouvelant l’état d’urgence, ne répond pas aux critères énoncés dans la loi fondamentale de 2003, ce qui soulève des inquiétudes quant à la légalité des mesures d’urgence prises en réponse à la pandémie. Il est également préoccupé par les allégations selon lesquelles des défenseurs des droits de l’homme, des journalistes, des opposants politiques et des personnes qui avaient critiqué le Gouvernement ont été victimes d’un usage excessif de la force et d’arrestations et de détentions arbitraires dans le cadre de ces mesures d’urgence (art. 2).

17. L’État partie devrait limiter la durée de l’état d’urgence et ne recourir à celui-ci que dans les situations où cela est strictement nécessaire en respectant à tout moment les dispositions de la Convention, sachant qu’aucune circonstance exceptionnelle ne peut être invoquée pour justifier la torture.

Commission nationale des droits de l’homme

18.Le Comité note que la Commission indépendante des droits de l’homme est dotée depuis 2015 du statut « A » accordé par l’Alliance mondiale des institutions nationales des droits de l’homme, mais il est préoccupé par le fait que le projet de loi officialisant la création de la Commission, soumis au Conseil législatif palestinien en 2005, n’a toujours pas été adopté. Il s’inquiète également de ce que les ressources allouées à la Commission soient insuffisantes pour lui permettre de s’acquitter pleinement de toutes ses fonctions, notamment pour ce qui est d’effectuer des visites dans les lieux de détention et de recevoir et traiter les plaintes relatives à des violations présumées des droits de l’homme. Il constate en outre avec préoccupation que le mandat de la Commission ne lui permet pas d’effectuer des visites inopinées dans les lieux de privation de liberté. Il est aussi préoccupé par le manque d’informations concernant les mesures concrètes que l’État partie a prises pour appliquer les recommandations de la Commission, en particulier en ce qui concerne les enquêtes menées et les poursuites intentées dans les affaires de torture renvoyées par la Commission devant le ministère public, ainsi que sur l’issue de ces affaires. (art. 2 (par. 1)).

19.L’État partie devrait officialiser la création de la Commission indépendante des droits de l’homme et prendre les mesures nécessaires pour garantir l’indépendance de la Commission dans l’exercice de ses fonctions en la dotant d’un budget suffisant qui lui permette de s’acquitter pleinement de son mandat, conformément aux principes relatifs au statut des institutions nationales pour la promotion et la protection des droits de l’homme (Principes de Paris). Il devrait également faire en sorte que la Commission puisse effectuer des visites inopinées et régulières dans tous les centres de détention du pays. Enfin, il devrait prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer l’application effective des recommandations de la Commission et, en particulier, donner suite aux plaintes pour torture déposées auprès de la Commission, enquêter efficacement sur les faits dénoncés, en poursuivre les auteurs et veiller à ce que les victimes obtiennent réparation.

Garanties juridiques fondamentales

20.Le Comité prend note des garanties procédurales visant à prévenir la torture et les mauvais traitements qui sont inscrites dans la Loi fondamentale de 2003 et le Code de procédure pénale de 2001, mais il regrette l’absence de disposition expresse sur le droit d’avoir accès à un avocat dès le moment de l’arrestation et s’inquiète de ce que les articles 97 et 98 du Code de procédure pénale autorisent les interrogatoires de détenus sans la présence d’un avocat « en cas de crime flagrant, de nécessité, d’urgence ou de crainte que les preuves ne soient perdues ». Il est préoccupé par les informations selon lesquelles les personnes en détention ne bénéficient pas systématiquement, dans la pratique, de toutes les garanties juridiques fondamentales dès le début de la privation de liberté, tant en Cisjordanie que dans la bande de Gaza. À cet égard, il a été signalé que : a) les avocats ne sont parfois pas autorisés à rencontrer leurs clients pendant la période d’enquête ; b) la réalisation par un médecin indépendant d’un examen visant à déceler des signes de torture et de mauvais traitements ne constitue pas une pratique courante, en particulier en détention provisoire ; c) l’exercice du droit de prévenir un proche ou une personne de son choix est souvent retardé ; d) les personnes arrêtées sont souvent présentées à l’autorité compétente plusieurs jours, voire plusieurs semaines, après leur arrestation, bien au-delà du délai légal de vingt-quatre heures, prolongeable de quarante-huit heures, ce qui peut les exposer à un risque accru de torture ou de mauvais traitements. Le Comité est en outre préoccupé par les informations selon lesquelles, en février 2022, le Président de l’État partie a signé cinq décrets-lois portant modification du Code de procédure pénale no 3 de 2001, du Code de procédure civile no 2 de 2001, de la loi sur les preuves no 4 de 2001, de la loi sur la formation des tribunaux no 5 de 2001 et de la loi sur le pouvoir judiciaire no 1 de 2002, qui suscitent des inquiétudes quant à la protection du principe de la présomption d’innocence, au renouvellement de la détention provisoire sans la présence de l’accusé ou de son avocat, au respect des droits de la défense et à l’imposition d’un seuil de responsabilité plus élevé pour les infractions commises par des fonctionnaires et des agents de la force publique (art. 2).

21. L’État partie devrait :

a) V eiller à ce que toutes les personnes privées de liberté bénéficient en droit et dans la pratique de toutes les garanties juridiques fondamentales dès le début de leur privation de liberté, notamment à ce qu’elles :

i) Soient informées, dans une langue qu’elles comprennent, des motifs de leur arrestation et de la nature des charges retenues contre elles ;

ii) Soient informées de leur droit de consulter librement un avocat indépendant de leur choix ou, si nécessaire, de bénéficier d’une aide juridictionnelle de qualité, y compris pendant l’interrogatoire initial et l’enquête ;

iii) Aient le droit de demander et obtenir d’être examinées gratuitement et en toute confidentialité par un médecin indépendant, y compris par le médecin de leur choix si elles en font la demande ;

iv) Voient leur dossier médical immédiatement porté à l’attention d’un procureur à des fins d’enquête chaque fois que les conclusions formulées ou des allégations donnent à penser que des actes de torture ont pu être commis ou des mauvais traitements infligés ;

v) Puissent informer un membre de leur famille ou toute autre personne de leur choix de leur placement en détention immédiatement après leur arrestation ;

vi) Soient présentées devant un juge dans les délais prescrits par la loi ;

vii) Soient inscrites sur le registre de détention ;

viii) Puissent contester la légalité de leur détention à n’importe quel stade de la procédure ;

b) Établir un registre central de tous les détenus à tous les stades de la privation de liberté, y compris les transferts entre établissements, et informer le Comité du type d’informations consignées et des mesures prises pour assurer la rigueur de la tenue de ce registre, qui est une protection importante contre la détention au secret et la disparition forcée ;

c) Réexaminer les cinq décrets-lois portant modification du Code de procédure pénale n o  3 de 2001, du Code de procédure civile n o  2 de 2001, de la loi sur les preuves n o  4 de 2001, de la loi sur la formation des tribunaux n o  5 de 2001 et de la loi sur le pouvoir judiciaire n o  1 de 2002, en consultation avec la Commission indépendante des droits de l’homme et les organisations de la société civile, afin d’en garantir la conformité avec les dispositions de la Convention ;

d) Faire figurer dans son prochain rapport périodique des informations sur le nombre de plaintes reçues concernant le non-respect des garanties juridiques fondamentales et sur l’issue de ces plaintes, notamment sur les mesures disciplinaires prises à l’égard des fonctionnaires qui ne respectent pas les garanties juridiques fondamentales.

Détention arbitraire

22.Le Comité est préoccupé par les cas signalés de personnes détenues en Cisjordanie sous la garde du Comité des opérations conjointes qui ont été maintenues en détention malgré les ordonnances de mise en liberté rendues par les tribunaux. Il constate avec préoccupation que ces détenus n’ont été libérés qu’une fois que le Président de l’Autorité palestinienne ou le Premier Ministre a donné son accord écrit pour leur libération (art. 2, 11 et 16).

23. L’État partie devrait prendre toutes les mesures nécessaires pour que toutes les ordonnances judiciaires de mise en liberté, y compris celles concernant les personnes détenues par le Comité des opérations conjointes, soient rapidement exécutées.

Détention administrative

24.Le Comité est vivement préoccupé par la persistance du recours à la détention administrative dans l’État partie en vertu de la loi jordanienne de 1954 sur la prévention de la criminalité, qui est applicable en Cisjordanie et permet la détention sans inculpation, et qui soulève des questions quant à la séparation des pouvoirs exécutif et judiciaire. Il est particulièrement préoccupé par le nombre croissant de personnes placées en détention administrative pour de longues périodes, pendant lesquelles elles sont privées des garanties procédurales. Il est également préoccupé par la pratique consistant à placer des femmes et des filles victimes de violence en détention administrative, sous prétexte de les protéger (art. 1er, 2, 11 et 16).

25.L’État partie devrait abolir la pratique de la «  détention à des fins de protection  » dans les cas de violence fondée sur le genre. Il devrait également veiller à ce que tous les détenus, y compris ceux placés en détention administrative, bénéficient, en droit et dans la pratique, de toutes les garanties procédurales fondamentales dès le début de la privation de liberté. Il devrait mettre au point et appliquer des mesures de substitution à la détention administrative et ne devrait recourir à la détention qu’en dernier ressort et, lorsqu’elle est nécessaire et proportionnée, pour une période aussi courte que possible. Il devrait prendre immédiatement des mesures pour modifier ou abroger la loi jordanienne de 1954 sur la prévention de la criminalité, afin de garantir le respect des normes internationales relatives aux droits de l’homme et des obligations mises à sa charge par la Convention.

Lieux de détention non officiels

26.Le Comité est préoccupé par les informations selon lesquelles des personnes sont détenues illégalement et au secret par des groupes armés palestiniens, notamment l’aile militaire des brigades Al Qassam du Hamas et l’aile militaire du Jihad islamique, Saraya Al Quds, pour « collaboration avec l’ennemi » et critique enversles groupes armés. Il est en outre préoccupé par les allégations d’actes de torture et de mauvais traitements perpétrés dans ces lieux de détention non officiels (art. 2 et 11).

27.L’État partie devrait prendre toutes les mesures possibles pour que personne ne soit détenu dans des lieux de détention non officiels sur son territoire, y compris par des acteurs non étatiques. Le Comité lui demande instamment d’enquêter sur l’existence de tout lieu de détention non officiel et d’identifier ceux qui créent et entretiennent de tels lieux et qui se livrent à des actes de torture.

Allégations de recours généralisé à la torture ou aux mauvais traitements et absence d’obligation de rendre des comptes

28.Le Comité est préoccupé par les informations concordantes indiquant que des personnes en garde à vue, y compris dans les locaux placés sous l’autorité des forces de sécurité et des services de renseignement, tant en Cisjordanie que dans la bande de Gaza, sont soumises à la torture ou à des mauvais traitements, en particulier au stade de l’enquête. Il constate que les mécanismes mis en place par l’État partie pour recevoir et instruire les plaintes dénonçant des actes de torture et des mauvais traitements infligés par des fonctionnaires manquent de confidentialité et ne protègent pas les plaignants et les témoins, tandis que les organes d’enquête existants, principalement le ministère public, n’ont pas l’indépendance nécessaire puisqu’ils appartiennent à la même structure que celle qui emploie les auteurs présumés des faits. Le Comité est également préoccupé par le fait que seules quelques plaintes pour torture et mauvais traitements ont donné lieu à des poursuites et presque aucune à une condamnation, ce qui contribue à un climat d’impunité (art. 2, 11 à 13 et 16).

29.L ’ État partie est instamment invité à adopter immédiatement des mesures visant à ce que tous les auteurs d ’ actes de torture ou de mauvais traitements aient à rendre des comptes, en faisant procéder à des enquêtes rapides, impartiales et efficaces sur les plaintes par l ’ intermédiaire d ’ un mécanisme dont l ’ indépendance institutionnelle est garantie afin d ’ éviter les conflits d ’ intérêts liés à l ’ instruction de plaintes par les pairs, en poursuivant les auteurs de tels actes et en les punissant de peines appropriées. Il est aussi prié de garantir, dans la pratique et conformément aux dispositions législatives applicables, que toutes les personnes visées par une enquête pour des actes de torture ou des mauvais traitements sont immédiatement suspendues et le restent pendant toute la durée de l’enquête. L’État partie devrait ouvrir une enquête de sa propre initiative chaque fois qu’il existe des motifs raisonnables de croire que des actes de torture ou des mauvais traitements ont été commis, mettre en place un mécanisme de plainte indépendant, efficace, confidentiel et accessible dans tous les lieux de détention, y compris les locaux de garde à vue et les prisons, et veiller à ce que les plaignants soient protégés contre tout mauvais traitement et tout acte d’intimidation ou de représailles lié à leur plainte. Il devrait également compiler et diffuser des données statistiques actualisées sur les plaintes déposées, les enquêtes menées, les poursuites intentées et les condamnations prononcées dans le cadre d’affaires concernant des allégations de torture et de mauvais traitements.

Aveux obtenus par la torture et les mauvais traitements

30.Le Comité est préoccupé par les informations indiquant que, malgré les dispositions de l’article 13 (par. 2) de la Loi fondamentale concernant l’irrecevabilité des preuves obtenues par la torture et la contrainte, les aveux obtenus par ces moyens seraient admis comme preuves devant les tribunaux. En outre, les renseignements dont il dispose portent à croire qu’il n’est souvent fait aucun cas des allégations d’aveux forcés obtenus par la torture ou par des mauvais traitements formulées devant le juge de première instance ou d’appel et que, lorsqu’il y est donné suite, le temps écoulé entre les faits présumés et l’enquête dont ils font tardivement l’objet conduit à de graves insuffisances dans la constatation des signes de torture physique et psychologique (art. 15).

31.L’État partie devrait veiller à ce que, dans la pratique, les aveux obtenus par la torture ou par des mauvais traitements soient déclarés irrecevables, sauf lorsqu’ils sont utilisés comme preuves contre une personne accusée d’avoir commis des actes de torture, et à ce que ces cas fassent l’objet d’une enquête. Il devrait développer les programmes de formation spécialisés destinés à donner aux juges et aux procureurs les moyens de reconnaître les signes de torture et de mauvais traitements et d’enquêter efficacement sur toute allégation concernant de tels actes, élaborer à l’intention des membres des forces de l’ordre des modules de formation sur les techniques non coercitives d’interrogatoire et d’enquête, fournir au Comité des informations sur toute affaire dans laquelle des aveux ont été jugés irrecevables au motif qu’ils avaient été obtenus par la torture, et indiquer si des fonctionnaires ont été poursuivis et sanctionnés pour avoir extorqué de tels aveux.

Usage excessif de la force contre des manifestants

32.Le Comité est préoccupé par les allégations de recours excessif à la force tant en Cisjordanie que dans la bande de Gaza, notamment les allégations concernant l’utilisation d’armes meurtrières, qui a fait des morts et des blessés parmi lesquels des enfants, les arrestations arbitraires, les placements en détention au secret et les actes de torture et mauvais traitements infligés à des manifestants pacifiques par des membres des forces de sécurité ainsi que par des éléments armés non identifiés dans le contexte des manifestations qui ont eu lieu lors de l’entrée en vigueur des mesures visant à lutter contre la pandémie de COVID‑19 et à la suite du report des élections nationales en avril 2021 et de la mort en détention de Nizar Banat en juin 2021. Il est également préoccupé par les informations selon lesquelles les forces de sécurité palestiniennes auraient fait un usage excessif de la force, notamment en utilisant des gaz lacrymogènes et des bombes sonores, dans les camps de réfugiés palestiniens. Il prend note de l’engagement pris par l’État partie d’établir les responsabilités pour les actes susmentionnés. Toutefois, il regrette l’absence de rapports publics sur les enquêtes menées à ce sujet, le peu de progrès accomplis dans les enquêtes et le très faible nombre de poursuites engagées à ce jour (art. 2, 12 à 14 et 16).

33. L’État partie devrait :

a) Revoir sa législation sur l’emploi de la force et des armes et élaborer des lignes directrices claires, s’il y a lieu, en y intégrant les principes de légitimité, de nécessité, de proportionnalité et de précaution, mettre les dispositions législatives et réglementaires régissant l’emploi de la force en conformité avec les normes internationales, notamment les Principes de base sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois et les Lignes directrices des Nations Unies basées sur les droits de l’homme portant sur l’utilisation des armes à létalité réduite dans le cadre de l’application des lois, et dispenser une formation systématique sur ces normes à tous les membres des forces de sécurité ;

b) Veiller à ce que les tâches de maintien de l’ordre public soient assurées, dans toute la mesure possible, par des autorités civiles et faire en sorte que tous les agents puissent effectivement être identifiés à tout moment lorsqu’ils sont en service, afin de contribuer à assurer le respect du principe de responsabilité individuelle et une protection contre les actes de torture et les mauvais traitements ;

c) Veiller à ce que des enquêtes impartiales et efficaces soient rapidement menées sur toutes les allégations relatives à un usage excessif de la force par des acteurs étatiques ou non étatiques, et faire en sorte que les auteurs des faits soient poursuivis et que les victimes ou leur famille reçoivent une réparation complète.

Défenseurs des droits humains, journalistes et opposants politiques

34.Le Comité est préoccupé par le fait que les défenseurs des droits humains, y compris des droits des femmes, les journalistes, les blogueurs, les opposants politiques et les personnes critiques à l’égard du gouvernement continuent de signaler des actes d’intimidation, de harcèlement et de violence, des arrestations et des détentions arbitraires, des persécutions et des actes de torture ou des mauvais traitements de la part des forces de sécurité et des services de renseignement, tant en Cisjordanie que dans la bande de Gaza. Il note avec préoccupation que l’État partie ne fournit aucune protection effective aux défenseurs des droits humains, aux journalistes, aux opposants politiques et aux acteurs de la société civile en danger, notamment en menant rapidement des enquêtes efficaces et impartiales, en engageant des poursuites et en punissant les responsables. Il regrette le manque d’informations sur les mesures visant à assurer la promotion d’un espace civique dans lequel les individus puissent exercer utilement leur droit à la liberté d’expression et d’association et promouvoir les droits de l’homme dans un environnement sûr (art. 2, 12, 13 et 16).

35.L’État partie devrait veiller à ce que les défenseurs et défenseuses des droits humains, les journalistes, les blogueurs, les opposants politiques et les personnes qui critiquent le gouvernement soient protégés contre les actes d’intimidation, de harcèlement et de violence, les arrestations et détentions arbitraires, les persécutions et les actes de torture ou les mauvais traitements auxquels ils peuvent être exposés en raison de leurs activités, et prendre toutes les mesures nécessaires pour mener rapidement des enquêtes efficaces et impartiales sur les allégations dénonçant de tels actes et punir les responsables. Il devrait également prendre des mesures supplémentaires pour promouvoir l’espace civique.

Conditions de détention

36.Le Comité prend acte des mesures prises par l’État partie pour améliorer les conditions de vie dans les lieux de détention, mais il est préoccupé par les informations concernant la surpopulation et les mauvaises conditions matérielles dans les lieux de privation de liberté, en particulier l’insalubrité et l’hygiène insuffisante, le manque de ventilation, les problèmes d’approvisionnement en eau et d’assainissement, la mauvaise qualité de la nourriture fournie, la pénurie de services médicaux et de soins de santé, y compris de santé mentale, et le peu d’activités récréatives ou éducatives favorisant la réadaptation. Les conditions matérielles de détention inadaptées pour les femmes et les filles, notamment les femmes enceintes et les mères de bébés, en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, sont particulièrement préoccupantes. Le Comité est en outre préoccupé par les informations selon lesquelles les personnes détenues dans la bande de Gaza pour des infractions liées à la drogue ou parce qu’elles sont soupçonnées de collaborer avec Israël ou d’être affiliées au Fatah et à des groupes salafistes sont placées à l’isolement pendant de longues périodes et soumises à des mauvais traitements. Il regrette de ne pas disposer de données officielles complètes, ventilées par établissement, sur le nombre de personnes en détention provisoire et de détenus condamnés et sur l’emplacement et le taux d’occupation de tous les lieux de privation de liberté placés sous l’autorité de tous les ministères et autres autorités compétentes (art. 2, 11 et 16).

37. Le Comité invite l’État partie à redoubler d’efforts pour rendre les conditions de détention conformes à l’Ensemble de règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus (Règles Nelson Mandela), aux Règles des Nations Unies concernant le traitement des détenues et l’imposition de mesures non privatives de liberté aux délinquantes (Règles de Bangkok) et à l’Ensemble de règles minima des Nations Unies concernant l’administration de la justice pour mineurs (Règles de Beijing). L’État partie devrait en particulier :

a) Prendre toutes les mesures voulues pour décongestionner les prisons en ayant davantage recours aux mesures de substitution à la détention et en poursuivant la mise en œuvre des projets de développement et de rénovation des infrastructures des prisons et autres lieux de détention ;

b) Garantir la satisfaction des besoins fondamentaux des personnes privées de liberté, notamment pour ce qui est de l’eau, de l’assainissement et de la nourriture, et augmenter le nombre de membres du personnel pénitentiaire, y compris le personnel médical, formés et qualifiés afin d’assurer une bonne prise en charge médicale et sanitaire des détenus, conformément aux règles 24 à 35 des Règles Nelson Mandela ;

c) Faciliter l’accès aux activités récréatives et culturelles ainsi qu’à la formation professionnelle et à l’enseignement dans les lieux de détention et les établissements pénitentiaires, afin de favoriser la réinsertion des détenus dans la communauté ;

d) Veiller à ce que les femmes détenues, en particulier celles qui sont enceintes ou qui ont des bébés, aient accès à des installations sanitaires et à des services d’hygiène adéquats et soient détenues dans des conditions tenant compte de leurs besoins ;

e) Veiller à ce que les prisons soient adaptées aux besoins des détenus handicapés ;

f) Aligner sa législation et ses pratiques en matière de placement à l’isolement sur les normes internationales, en particulier les règles 43 à 46 des Règles Nelson Mandela ;

g) Veiller à ce que des enquêtes impartiales et efficaces soient menées rapidement sur toutes les allégations relatives à des actes de torture ou à des mauvais traitements infligés par des membres du personnel pénitentiaire et faire en sorte que les auteurs présumés soient poursuivis et dûment sanctionnés ;

h) Faire figurer dans son prochain rapport périodique les données demandées sur le nombre de personnes en détention provisoire et de détenus condamnés dans tous les établissements.

Détention provisoire

38.Le Comité est préoccupé par le nombre élevé de personnes placées en détention provisoire, souvent pour de longues périodes. Il est également préoccupé par le fait qu’en conséquence, les personnes en détention provisoire ne sont pas systématiquement séparées des détenus condamnés, ni les femmes des hommes ou les enfants des adultes (art. 2, 11 et 16).

39. L’État partie devrait veiller à ce que la réglementation relative à la détention provisoire soit scrupuleusement respectée et à ce que ce type de détention ne soit imposé qu’à titre exceptionnel, pour des périodes limitées et dans le respect de la loi, eu égard aux principes de nécessité et de proportionnalité. Il devrait en outre veiller à ce que les détenus en attente de jugement soient séparés des prisonniers condamnés, les femmes des hommes et les enfants des adultes dans tous les lieux de détention.

Contrôle des lieux de détention

40.Le Comité se félicite que l’État partie ait adhéré au Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants le 29 décembre 2017, et qu’un certain nombre d’institutions gouvernementales, d’organisations internationales et d’acteurs de la société civile soient habilités à contrôler les lieux de détention et de garde à vue. Il prend note de la publication au Journal officiel du décret-loi no 25 sur la Commission nationale contre la torture le 25 mai 2022. Toutefois, il relève avec préoccupation que le décret-loi prévoit la création d’un mécanisme national de prévention dont les membres seront sélectionnés et nommés par le président de l’Autorité palestinienne sur recommandation du Conseil des ministres, ce qui risque d’avoir des répercussions sur l’indépendance de la Commission dans l’exercice de ses fonctions. De plus, il regrette l’absence d’informations sur les mesures prises par l’État partie pour donner suite aux rapports de visite et pour appliquer les recommandations formulées par les organes de contrôle (art. 2, 11 et 16).

41. L’État partie devrait :

a) Réviser sans délai, en consultation avec la Commission indépendante des droits de l’homme et les organisations de la société civile, le décret-loi n o 25 sur la Commission nationale contre la torture afin de garantir l’indépendance opérationnelle et l’autonomie financière de la Commission, conformément au Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et aux directives du Sous-Comité pour la prévention de la torture concernant les mécanismes nationaux de prévention  ;

b) Prendre toutes les mesures possibles pour que les observateurs internationaux et nationaux puissent effectuer des visites régulières, indépendantes et inopinées dans tous les lieux de privation de liberté et s’entretenir confidentiellement avec toutes les personnes détenues ;

c) Prendre les mesures voulues pour appliquer les recommandations formulées par les organes de contrôle à la suite de leurs visites dans les lieux de détention, en particulier lorsque des allégations de torture ou de mauvais traitements ont été formulées .

Décès en détention

42.Le Comité regrette l’absence d’informations fiables et de données statistiques, ventilées par lieu de détention, sexe, âge et origine ethnique ou nationalité du défunt et cause du décès, sur les décès survenus en détention au cours de la période considérée. Il est préoccupé d’apprendre que l’on compterait la torture et l’absence de soins de santé parmi les causes de décès en détention, et regrette l’absence d’informations sur les enquêtes ouvertes à ce sujet. Il est particulièrement préoccupé par le cas de Nizar Banat, mort en détention en juin 2021 après avoir été arrêté et, selon les allégations reçues, roué de coups et torturé en détention par les forces de sécurité préventive d’Hébron. Il constate en outre avec préoccupation que l’État partie n’a pas encore amené les responsables de la mort de Nizar Banat à rendre des comptes, les 14 officiers initialement inculpés par un tribunal militaire ayant été mis en liberté provisoire en juin 2022 (art. 2, 11 et 16).

43. L’État partie devrait :

a) Réunir des informations détaillées sur les décès survenus dans tous les lieux de détention et sur leurs causes, ainsi que sur l’issue des enquêtes menées sur ces décès, et les communiquer au Comité ;

b) Veiller à ce que tous les décès en détention donnent lieu sans délai à une enquête impartiale menée par une entité indépendante, y compris à un examen médico ‑ légal indépendant et, s’il y a lieu, appliquer les sanctions correspondantes, conformément au Protocole du Minnesota relatif aux enquêtes sur les décès résultant potentiellement d’actes illégaux ;

c) Évaluer les programmes existants de prévention, de détection et de traitement des maladies chroniques, dégénératives et infectieuses dans les prisons, et examiner l’efficacité des stratégies de prévention du suicide et de l’automutilation ;

d) Veiller à ce que tous les responsables des actes de torture infligés à Nizar Banat et de son décès , y compris les fonctionnaires de rang supérieur qui ont pu être impliqués, soient dûment poursuivis et condamnés à des peines appropriées prononcées par un tribunal civil, en respectant les garanties d’une procédure régulière et d’un procès équitable.

Établissements psychiatriques

44.Le Comité est préoccupé par le fait que l’État partie n’a pas adopté ni appliqué une législation interdisant les traitements médicaux forcés, le recours à la contention physique et chimique et l’isolement des personnes ayant un handicap psychosocial ou intellectuel dans les établissements psychiatriques. Il note avec inquiétude que rien n’est fait pour permettre aux personnes privées de liberté dans ces établissements d’avoir accès aux mécanismes visant à enquêter sur les allégations de violations des droits de l’homme, en particulier de torture ou de mauvais traitements. Il est en outre préoccupé par les informations signalant des cas de mauvais traitements, notamment de violence physique et d’intimidation, voire de torture, à l’égard de personnes handicapées placées en institution. Il regrette le manque d’informations sur le nombre de personnes handicapées privées de liberté, le statut juridique de ces personnes et les conditions dans lesquelles elles vivent, ainsi que sur le travail des mécanismes chargés d’inspecter et de contrôler les établissements psychiatriques (art. 2, 11 et 16).

45.L’État partie devrait adopter sans tarder le projet de décret-loi sur les droits des personnes handicapées, ainsi qu’une loi complète sur la santé mentale afin d’interdire expressément les traitements médicaux forcés, le recours à la contention physique et chimique et l’isolement des personnes ayant un handicap psychosocial ou intellectuel dans les établissements psychiatriques. Il devrait aussi dispenser aux professionnels de la santé une formation sur les droits des personnes handicapées, notamment le droit au consentement libre et éclairé. Il devrait en outre veiller à ce que les moyens et instruments de contrainte ne puissent être utilisés que conformément à la loi, sous surveillance et pour la durée la plus courte possible, et que leur usage soit limité à ce qui est strictement nécessaire et proportionné. Enfin, il devrait veiller à ce que les hôpitaux psychiatriques fassent l’objet d’un contrôle adéquat et à ce que des garanties efficaces soient mises en place pour prévenir tout mauvais traitement à l’égard des personnes prises en charge dans ces établissements.

Justice pour mineurs

46.Le Comité accueille avec satisfaction l’adoption du décret-loi no 4 de 2016 sur la protection des mineurs palestiniens, mais il est préoccupé par les informations selon lesquelles celui-ci ne serait pas appliqué dans la bande de Gaza. Il note également avec préoccupation que la loi palestinienne relative à l’enfance de 2004 (telle que modifiée en 2012) et le décret-loi sur la protection des mineurs palestiniens, applicable en Cisjordanie, fixent l’âge minimum de la responsabilité pénale à 12 ans, tandis que la loi no 2 de 1937 relative aux délinquants mineurs, applicable dans la bande de Gaza, fixe cet âge à 9 ans. En outre, il est préoccupé par le fait que des enfants sont parfois détenus dans des centres de détention pour adultes, que les enfants détenus, tant en Cisjordanie que dans la bande de Gaza, seraient maltraités et qu’il existe peu d’informations sur le recours aux mesures non privatives de liberté (art. 2, 11 et 16).

47.L ’ État partie devrait prendre toutes les mesures possibles pour appliquer le décret-loi n o 4 de 2016 sur la protection des mineurs palestiniens et les normes internationales relatives à la justice pour mineurs, en particulier les Règles de Beijing, dans toutes les régions du pays. Il devrait aussi : a) relever l’âge de la responsabilité pénale, de manière à le rendre acceptable au regard des normes internationales ; b) promouvoir l’adoption de mesures non privatives de liberté et non judiciaires, telles que la déjudiciarisation, la liberté surveillée , la médiation, l’accompagnement psychologique ou le travail d’intérêt général, chaque fois que cela est possible, pour tous les enfants auteurs d’infractions ; c) veiller à ce que les enfants ne fassent pas l’objet de mauvais traitements dans les lieux de privation de liberté ; d) fournir une aide juridictionnelle qualifiée et indépendante gratuite aux enfants en conflit avec la loi et prévoir des mécanismes de plainte accessibles et adaptés aux enfants.

Peine de mort

48.S’il se félicite de l’adhésion de l’État partie au deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, visant à abolir la peine de mort, le 18 mars 2019, et du moratoire de fait sur l’application de la peine de mort en Cisjordanie, où aucune exécution n’a eu lieu depuis 2005, le Comité est néanmoins préoccupé par le fait que la législation palestinienne continue de prévoir la peine de mort pour une série d’infractions relativement moins graves, en violation des normes juridiques internationales qui limitent l’application de cette peine aux crimes d’une extrême gravité impliquant un homicide intentionnel. Il est également préoccupé par le fait que des condamnations à mort sont toujours prononcées dans la bande de Gaza, y compris par des tribunaux militaires contre des civils, sans que les garanties d’une procédure régulière et d’un procès équitable soient respectées, et que des exécutions ont toujours lieu. Il est en outre préoccupé par les conditions de détention des condamnés à mort qui, en elles-mêmes, peuvent être constitutives de mauvais traitements. De plus, il s’inquiète que, compte tenu de la division politique actuelle entre les autorités palestiniennes de Cisjordanie et les autorités de facto de Gaza, les personnes condamnées à mort à Gaza pourraient ne pas être en mesure d’exercer leur droit de solliciter une grâce ou de voir leur peine commuée par le président de l’Autorité nationale palestinienne, comme le prévoit l’article 109 de la loi fondamentale de 2003 (art. 2, 11 et 16).

49. L’État partie devrait prendre des mesures positives pour officialiser le moratoire sur la peine de mort, en vue d’abolir cette peine en droit tant en Cisjordanie que dans la bande de Gaza, conformément aux obligations qui lui incombent en vertu du deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, visant à abolir la peine de mort. Il devrait également intensifier ses efforts pour commuer toutes les peines de mort en d ’ autres peines, faire en sorte que les conditions de détention des condamnés ne constituent pas des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, renforcer les protections juridiques et les garanties d ’ une procédure régulière à toutes les phases de la procédure et pour toutes les infractions, et prendre toutes les mesures possibles pour interdire aux tribunaux militaires d ’ exercer leur juridiction sur des civils dans la bande de Gaza.

Violence fondée sur le genre

50.Le Comité salue les mesures que l’État partie a prises pour lutter contre la violence à l’égard des femmes, notamment l’adoption en mars 2018 du décret-loi no 5 abrogeant l’article 308 du Code pénal jordanien de 1960, applicable en Cisjordanie, qui exonérait les auteurs d’un viol de toute responsabilité pénale s’ils épousaientla victime, l’abrogation de l’article 340 du Code pénal jordanien et les révisions de ses articles 98 et 99, qui prévoyaient des circonstances atténuantes en cas d’homicides de femmes ou de crimes dits d’honneur. Il est toutefois préoccupé par :

a)Le retard dans l’adoption du projet de loi sur la protection de la famille, qui a pourtant déjà été examiné par le comité d’harmonisation législative ;

b)L’augmentation du nombre de féminicides depuis l’apparition de la pandémie de COVID-19 en 2020 et la persistance de ce que l’on appelle les « crimes d’honneur » et des violences domestiques et sexuelles, qui restent socialement acceptées et peu signalées en raison de la stigmatisation des victimes ;

c)Les arrestations et détentions arbitraires de femmes, y compris de victimes de violences fondées sur le genre, accusées de façon discriminatoire d’infractions sexuelles telles que l’adultère et la « faute morale » ;

d)L’absence d’unités de protection de la famille dans la bande de Gaza, malgré le nombre élevé de cas de violence à l’égard des femmes, y compris de violence domestique (art. 2, 12 à 14 et 16).

51. L’État partie devrait :

a) Accélérer l’adoption du projet de loi sur la protection de la famille et du projet de code pénal pour faire en sorte que tous les cas de violence fondée sur le genre, en particulier ceux qui engagent sa responsabilité internationale au titre de la Convention, et plus spécialement les féminicides, les « crimes d’honneur », la violence sexuelle et la violence domestique, fassent l’objet d’une enquête approfondie, que les auteurs présumés des faits soient poursuivis et, s’ils sont reconnus coupables, punis comme il se doit, et que les victimes ou leur famille obtiennent réparation, notamment sous la forme d’une indemnisation appropriée, et aient accès à une aide juridique, à des lieux d’accueil sûrs et aux soins médicaux et au soutien psychologique nécessaires ;

b) Redoubler d’efforts pour sensibiliser les hommes et les femmes, notamment par des campagnes éducatives et médiatiques, au caractère criminel de la violence fondée sur le genre à l’égard des femmes, afin de remettre en cause l’acceptation sociale de cette violence et de lutter contre la stigmatisation qui dissuade les victimes de signaler les faits ;

c) Modifier sa législation afin que les victimes d’atteintes sexuelles ne soient pas punies si elles portent plainte, et libérer et indemniser immédiatement les femmes et les filles qui ont été condamnées pour des infractions sexuelles telles que l’adultère et la « faute morale » ;

d) Prendre des mesures concrètes pour mettre en place des unités de protection de la famille dotées de ressources suffisantes dans la bande de Gaza afin de fournir des services aux femmes et aux filles victimes de violences fondées sur le genre, y compris de violences domestiques.

Réparation, notamment sous forme d’une indemnisation et de moyens de réadaptation

52.Le Comité est préoccupé par l’absence dans la législation nationale de dispositions expresses prévoyant le droit des victimes de torture et de mauvais traitements à une indemnisation équitable et adéquate ainsi qu’aux moyens nécessaires à une réadaptation médicale et psychosociale aussi complète que possible, comme l’exige l’article 14 de la Convention. Il regrette que l’État partie n’ait pas fourni d’informations complètes sur les réparations accordées aux victimes de torture ou à leur famille par les tribunaux ou d’autres organes publics depuis l’entrée en vigueur de la Convention pour lui (art. 14).

53. L’État partie devrait revoir sa législation afin d’y inclure des dispositions expresses sur le droit des victimes de torture et de mauvais traitements à une réparation, y compris une indemnisation équitable et adéquate et les moyens nécessaires à une réadaptation aussi complète que possible, et veiller à ce que les victimes puissent, entre autres, demander et obtenir une indemnisation rapide, équitable et adéquate, y compris dans les cas où la responsabilité civile de l’État est engagée, conformément à l’observation générale n o 3 (2012) du Comité. Il devrait aussi établir et diffuser des statistiques actualisées sur le nombre de victimes de torture et de mauvais traitements qui ont reçu une réparation, y compris des moyens de réadaptation médicale ou psychosociale et une indemnisation, ainsi que sur les formes de réparation et les résultats obtenus.

Formation

54.Le Comité prend acte des efforts faits par l’État partie pour élaborer et exécuter des programmes d’éducation et de formation aux droits de l’homme comprenant des modules sur la Convention, y compris sur l’interdiction absolue de la torture, à l’intention des juges, des procureurs et des membres des forces de sécurité. Il regrette toutefois l’absence de formation sur le contenu du Manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Protocole d’Istanbul, tel que révisé). Il regrette également qu’aucun mécanisme d’évaluation de l’efficacité des programmes de formation n’ait été mis en place, et qu’il n’existe pas de formation spécifique pour les militaires, les agents des services de renseignements et le personnel médical concerné (art. 10).

55. L’État partie devrait :

a) Développer plus avant les programmes de formation initiale et de formation continue obligatoires afin que tous les agents de l’État connaissent bien les dispositions de la Convention, en particulier en ce qui concerne l’interdiction absolue de la torture, et qu’ils sachent qu’aucun manquement ne sera toléré, que toute violation donnera lieu à une enquête et que les responsables seront poursuivis et, s’ils sont reconnus coupables, dûment sanctionnés ;

b) Faire en sorte que l’ensemble du personnel concerné, notamment le personnel médical, soit spécialement formé à déceler les cas de torture et de mauvais traitements, conformément au Protocole d’Istanbul (tel que révisé) ;

c) Concevoir et appliquer une méthode permettant d’évaluer l’efficacité des programmes de formation s’agissant de réduire le nombre de cas de torture et de mauvais traitements et de permettre de repérer ces actes, de les consigner, d’enquêter sur eux et d’en poursuivre les auteurs.

Procédure de suivi

56. Le Comité prie l’État partie de lui faire parvenir le 29 juillet 2023 au plus tard des renseignements sur la suite qu’il aura donnée à ses recommandations concernant la définition et l’incrimination de la torture, la commission nationale des droits de l’homme et le contrôle des lieux de détention (voir plus haut, par. 13, 19 et 41). L’État partie est aussi invité à informer le Comité des mesures qu’il prévoit de prendre pour appliquer, d’ici la soumission de son prochain rapport, tout ou partie des autres recommandations formulées dans les présentes observations finales.

Autres questions

57. Le Comité encourage l’État partie à étudier la possibilité de faire les déclarations prévues aux articles 21 et 22 de la Convention.

58. L’État partie est invité à diffuser largement le rapport soumis au Comité ainsi que les présentes observations finales, dans les langues voulues, au moyen des sites Web officiels et par l’intermédiaire des médias et des organisations non gouvernementales, et à informer le Comité des activités menées à cet effet.

59. Le Comité invite en outre l ’ État partie à soumettre un document de base conforme aux instructions qui figurent dans les directives harmonisées concernant l ’ établissement des rapports à présenter en vertu d ’ instruments internationaux relatifs aux droits de l ’ homme, englobant le document de base commun et les rapports pour chaque instrument , et au paragraphe 16 de la résolution 68/268 de l ’ Assemblée générale.

60.Le Comité prie l’État partie de soumettre son prochain rapport périodique, qui sera le deuxième, d’ici au 29 juillet 2026. À cette fin, il invite l’État partie à accepter d’ici au 29 juillet 2024 la procédure simplifiée d’établissement des rapports, dans le cadre de laquelle le Comité communique à l’État partie une liste de points avant la soumission du rapport attendu. Les réponses de l’État partie à cette liste constitueront le deuxième rapport périodique qu’il soumettra en application de l’article 19 de la Convention.