Nations Unies

CCPR/C/97/D/1442/2005

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. restreinte*

23 novembre 2009

Français

Original: anglais

Comité des droits de l’homme

Quatre-vingt-dix-septième session

12-30 octobre 2008

Constatations

Communication no 1442/2005

Présentée par:

Yin Fong, Kwok (représentée par des conseils, M. Nicholas Poynder et M. Leonard Karp)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Australie

Date de la communication:

25 novembre 2005 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application des articles 92 et 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 6 décembre 2005 (non publiée sous forme de document)

Date de l’adoption des constatations:

23 octobre 2009

Objet :

Expulsion vers la Chine; application possible de la peine de mort

Questions de procédure :

Aucune

Questions de fond :

Droit à la vie; détention illicite et arbitraire

Articles du Pacte :

6 (par. 1 et 2), 7, 9 (par. 1 et 4) et 14

Article du Protocole facultatif :

Aucun

Le 23 octobre 2009, le Comité des droits de l’homme a adopté le texte ci-après en tant que constatations concernant la communication no1442/2005 au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif.

[Annexe]

Annexe

Constatations du Comité des droits de l’homme au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (quatre‑vingt‑dix‑septième session)

concernant la

Communication no 1442/2005**

Présentée par:

Yin Fong, Kwok (représentée par des conseils, M. Nicholas Poynder et M. Leonard Karp)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Australie

Date de la communication:

25 novembre 2005 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 23 octobre 2009,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1442/2005 présentée au nom de Yin Fong, Kwok en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.1L’auteur de la communication est Mme Kwok Yin Fong, de nationalité chinoise, actuellement placée sous surveillance électronique en Australie, en attente d’expulsion vers la République populaire de Chine. Elle se déclare victime de violations par l’Australie des paragraphes 1 et 2 de l’article 6 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, de l’article 7, des paragraphes 1 et 4 de l’article 9, et de l’article 14. L’auteur est représentée par des conseils, M. Nicholas Poynder et M. Leonard Karp.

1.2Le 6 décembre 2005, le Rapporteur spécial pour les nouvelles communications et les mesures provisoires a demandé à l’État partie de ne pas expulser l’auteur tant que le Comité n’aurait pas achevé l’examen de sa communication, conformément à l’article 92 du Règlement intérieur du Comité. L’État partie a fait droit à cette demande le 11 septembre 2006.

Exposé des faits

2.1En 1994, le mari de l’auteur, M. Zhang Linsheng, a été nommé directeur adjoint du Centre de gestion des routes et de la circulation routière de Guangzhou (République populaire de Chine). La même année, l’auteur est devenue résidente à Hong Kong et a créé une entreprise appelée Everwell Gain Enterprises. L’auteur et M. Zhang vivaient séparément mais se rendaient visite régulièrement. En septembre ou octobre 1999, M. Zhang a été nommé à la tête du Service de la police routière du Bureau de la sécurité publique de la ville de Guangzhou. Dans ses nouvelles fonctions, il aurait tenté d’améliorer l’efficacité du Service et de venir à bout de la corruption. Le 5 mars 2000, il a été convoqué à une réunion au Centre de gestion des routes et de la circulation routière de Guangzhou, dont il n’est pas revenu. L’auteur a découvert par la suite qu’il avait été arrêté et que les autorités chinoises le détenaient sans l’avoir inculpé, prétendument parce qu’il était soupçonné de corruption active et passive.

2.2Le 10 mars 2000, l’auteur a quitté Hong Kong pour l’Australie. Elle souhaitait rendre visite à sa sœur et à sa nièce qui vivaient dans ce pays. Elle a également déclaré aux autorités de l’État partie que son mari avait disparu quatre jours auparavant dans des circonstances inhabituelles et qu’elle n’était «pas certaine de son propre avenir». L’auteur est entrée dans l’État partie régulièrement avec un visa temporaire de visiteur, qui a été prolongé jusqu’au 31 janvier 2001. Le 4 janvier 2001, elle a quitté l’État partie pour rendre visite à son fils, qui faisait ses études au Canada. En route vers le Canada, son avion a fait escale à Honolulu où elle a été refoulée par le Service de l’immigration des États-Unis et embarquée à bord d’un avion à destination de l’État partie. Le 5 janvier 2001, elle est arrivée dans l’État partie et a été interrogée par un agent du Département de l’immigration («le Département»). Elle ne savait pas à l’époque qu’elle était interrogée parce qu’elle faisait l’objet d’une «alerte». Selon cette «alerte», la police fédérale avait été informée par «le poste de Beijing» que l’auteur était recherchée en Chine pour avoir détourné des fonds appartenant à une société à hauteur d’un million de yuan et qu’elle était soupçonnée de corruption. Une note était jointe à l’alerte indiquant que la Section de la coordination et des investigations de l’État partie détenait les documents pertinents, mais à l’époque l’auteur n’a été informée que du mandat d’arrêt délivré par les autorités chinoises à son encontre. Après l’interrogatoire, l’agent de l’immigration a annulé le visa de l’auteur au motif qu’elle n’avait pas l’intention de séjourner dans le pays temporairement en tant que touriste. Elle a été placée en détention le 5 janvier 2001.

2.3Le 8 janvier 2001, l’auteur a fait une demande de visa de protection, alléguant que les accusations portées contre elle et M. Zhang étaient motivées par des considérations politiques. Le 25 janvier 2001, elle a réitéré cette affirmation au cours d’un entretien avec un agent du Département. Le 8 mars 2001, un délégué du Ministre de l’immigration a rejeté sa demande de visa de protection, au motif que ses affirmations n’étaient pas plausibles et qu’elles étaient fabriquées de toutes pièces. Le 12 mars 2001, elle a déposé une requête en révision de la décision du délégué auprès du Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés («RRT»). Dans cette requête, elle a indiqué que, pour étayer ses affirmations, elle avait besoin d’informations détenues par le Gouvernement de l’État partie au sujet des accusations portées contre elle en Chine. Au cours des quatre ans et demi qui ont suivi, elle a saisi le RRT et la Cour fédérale pour avoir accès aux informations concernant les accusations portées contre elle que les autorités chinoises avaient transmises à l’État partie. Ce dernier s’est refusé à divulguer ces informations, au motif qu’elles lui avaient été données à titre confidentiel par le Gouvernement chinois. Le 7 juin 2001, le RRT a rejeté pour la première fois la demande de visa de protection. L’auteur a saisi la Cour fédérale pour obtenir la révision judiciaire de cette décision.

2.4Le 7 septembre 2001, le Tribunal des recours administratifs a rejeté une demande de réexamen d’une décision antérieure du Département de refuser l’accès à l’information voulue au titre de la loi sur la liberté de l’information de 1982 (Cth). Le 16 octobre 2001, la Cour fédérale a rejeté la demande de révision judiciaire de la décision du Tribunal des recours administratifs déposée par l’auteur. Cette dernière a fait de nouveau appel de cette décision devant la Cour fédérale en audience plénière. Le 20 mars 2002, la Cour plénière a autorisé l’appel et ordonné au Département de remettre à l’auteur les documents en sa possession mais «en se bornant à ceux qui révélaient le nom de l’organisation dont ils émanaient et en respectant toute demande de confidentialité des autorités chinoises».

2.5Le 1er novembre 2001, la Cour fédérale a rejeté la demande de révision judiciaire de la première décision du RRT. L’auteur a de nouveau fait appel de cette décision devant la Cour fédérale en audience plénière. Le 18 mai 2002, le Ministre de l’immigration a reconnu la validité de l’appel contre la décision du RRT au motif «d’irrégularités de procédure». La demande de visa de protection a été renvoyée devant un RRT constitué différemment pour nouvelle décision. Le 6 décembre 2002, le RRT nouvellement constitué a rejeté une deuxième fois la demande de visa de protection. À cette occasion, il a de nouveau dénié à l’auteur l’accès à l’information demandée. L’auteur a fait appel devant la Cour fédérale pour obtenir la révision judiciaire de cette nouvelle décision du RRT. Le 16 mai 2003, la Cour fédérale a fait droit à la demande de révision judiciaire de la décision du RRT, au motif que ce dernier n’avait pas remis à l’auteur copie de la notification du Secrétaire du Département concernant la portée de l’information donnée par le Gouvernement chinois. La demande de visa de protection a été renvoyée devant un RRT constitué différemment pour nouvelle décision.

2.6Le 30 août 2003, un RRT composé différemment a rejeté pour la troisième fois la demande de visa de protection. L’auteur a formé les recours habituels qui ont abouti à ce que la Cour fédérale en audience plénière fasse droit à l’appel le 17 juin 2004 au motif que le RRT ne s’était pas demandé si l’auteur pouvait être mise au courant de «l’essentiel» de l’information non divulguée, même si celle-ci ne pouvait lui être communiquée dans son intégralité. La demande de visa de protection a été renvoyée devant un RRT constitué différemment pour nouvelle décision. Le 4 novembre 2004, le RRT a rejeté pour la quatrième fois la demande de visa de protection. À cette occasion, il a de nouveau refusé d’autoriser l’auteur à accéder à l’information, mais il a bien indiqué ce qu’était «l’essentiel» de l’information. Parmi les éléments qui lui ont été communiqués figuraient les chefs d’accusation qui pourraient être retenus contre elle si elle retournait en Chine, au nombre desquels le chef de corruption, qui peut emporter la peine de mort. L’auteur a demandé la révision judiciaire de cette décision devant la Cour fédérale et s’est prévalue des voies de recours disponibles qui ont abouti au refus de la Cour suprême d’accorder une autorisation spéciale de former recours, le 7 octobre 2005.

2.7L’auteur a par la suite demandé au Ministre de l’immigration l’autorisation de rester en Australie, en vertu de l’article 417 de la loi sur les migrations de 1958 qui donne au Ministre un pouvoir discrétionnaire non opposable de remplacer une décision du RRT par une décision plus favorable «si une telle mesure est commandée par l’intérêt public», notamment lorsqu’il existe des circonstances qui donnent une bonne raison de croire à l’existence d’un risque important pour la sécurité, les droits de l’homme ou la dignité humaine de cette personne à son retour dans son pays d’origine, ou qui peuvent avoir de l’importance au regard des obligations de l’Australie au titre du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ou lorsque la loi a des conséquences imprévues mais particulièrement injustes ou déraisonnables. L’auteur n’a pas encore reçu de réponse du Ministre à sa demande. Au cas où celui-ci refuserait d’exercer le pouvoir discrétionnaire que l’article 417 lui confère, l’auteur doit, en application de l’article 198 de la loi sur les migrations, être renvoyée du territoire australien «dès que cela est raisonnablement possible». L’auteur affirme ne pas être au courant de la nature précise de l’infraction qu’elle aurait commise. On lui a bien communiqué «l’essentiel» des faits qui lui étaient reprochés, sans toutefois lui donner copie du mandat d’arrêt ou de l’acte d’accusation. Voici ce qu’elle sait: des articles de presse fournis par le RRT donnent à penser qu’en juin 2000 il était de notoriété publique que M. Zhang faisait l’objet d’une enquête pour corruption à grande échelle. Il avait été accusé de se servir de ses fonctions de chef de la police routière à Guangzhou pour solliciter et accepter des pots-de-vin, et il avait bénéficié d’avantages illicites du service de voiturage Guangdong Paili, dans lequel lui-même et sa femme avaient reçu une participation de 20 % et 40 %, respectivement. Il avait versé de l’argent sur un compte bancaire au nom de sa femme à Hong Kong.

2.8Selon un article paru dans le Sing Tao Daily le 5 août 2004, que l’auteur avait remis au Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés, M. Zhang avait été condamné à mort par les autorités chinoises en octobre 2003 pour avoir accepté des pots-de-vin. L’article faisait également référence à la demande de visa de protection de l’auteur, à sa peur d’être persécutée par les autorités chinoises et à la procédure qu’elle avait ouverte pour avoir accès à l’information communiquée par les autorités chinoises. L’auteur a nié les allégations des autorités chinoises, affirmant que son mari était poursuivi pour des raisons politiques et qu’elle subirait le même sort si elle retournait en Chine. Elle affirme aussi qu’elle risquerait d’autres sanctions en cas d’expulsion étant donné que des articles de presse l’identifiaient comme demandeuse du statut de réfugié dans l’État partie et critique des autorités chinoises. Le 4 novembre 2004, le RRT ne s’est pas prononcé sur la question de savoir si les allégations dont elle faisait l’objet étaient véridiques ou non, mais il a rejeté l’affirmation de l’auteur selon laquelle les accusations portées contre elle étaient peu crédibles ou motivées par des considérations politiques. Il a également rejeté l’argument de l’auteur selon lequel elle risquait d’être maltraitée en Chine parce qu’elle avait demandé le statut de réfugié, le Département des affaires étrangères et du commerce ayant indiqué en 1995 qu’il n’avait pas connaissance de plainte avérée de mauvais traitements de personnes qui étaient retournées en Chine après s’être vu refuser le statut de réfugié.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que son renvoi en Chine constituerait une violation de l’article 6 du Pacte par l’État partie dans la mesure où il existe un «risque réel et prévisible» qu’elle soit reconnue coupable et condamnée à mort. Bien qu’aucune information ne lui ait été donnée sur les dispositions légales en vertu desquelles elle pourrait être accusée, ni sur la question de savoir si la peine de mort est automatique au cas où elle serait reconnue coupable, elle fait l’objet en substance des mêmes allégations que son mari et les mêmes accusations seraient donc portées contre elle. De plus, étant donné que son mari a été reconnu coupable et condamné à mort, on peut en déduire qu’elle aussi serait reconnue coupable et condamnée à la même peine. La Chine applique la peine de mort à des délits financiers comme la corruption. L’auteur affirme aussi que la corruption, qui est l’accusation portée contre elle, n’entraîne ni perte en vie humaine, ni atteinte à l’intégrité physique et n’entre donc pas dans la catégorie des crimes «les plus graves» au sens du paragraphe 2 de l’article 6.

3.2L’auteur affirme qu’il y aurait violation de l’article 7 du Pacte si elle était renvoyée en Chine étant donné qu’il existe un «risque réel et prévisible» qu’elle soit soumise à la torture ou à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Elle affirme aussi qu’il y aurait violation de l’article 14, car elle ne bénéficierait probablement pas des garanties d’une procédure régulière, notamment du droit à ce que sa cause soit entendue équitablement par un tribunal indépendant et impartial, du droit de faire examiner la sentence par une juridiction supérieure, du droit de disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense et du droit à un conseil. Elle affirme également qu’elle ne serait pas protégée par le système juridique en Chine et que la conséquence nécessaire et prévisible de son expulsion serait donc le risque de violation des droits qu’elle tient de l’article 7.

3.3L’auteur affirme que sa détention prolongée pendant plus de quatre ans est une violation des paragraphes 1 et 4 de l’article 9. Il découle de l’application de l’article 189 de la loi sur les migrations en vertu duquel l’auteur était détenue qu’elle ne pouvait être libérée en aucune circonstance. Il n’existe aucune disposition qui lui aurait permis d’être relâchée, par décision administrative ou judiciaire.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans une réponse du 11 juillet 2007, l’État partie a fait part de ses observations sur la recevabilité et sur le fond. Il objecte que toutes les affirmations de l’auteur sont irrecevables car non étayées, et que le grief de violation de l’article 7 est irrecevable pour incompatibilité avec les dispositions du Pacte. S’agissant de l’article 6, l’État partie affirme que l’auteur n’a pas apporté un commencement de preuve indiquant qu’elle serait arbitrairement privée du droit à la vie si elle était renvoyée en Chine, dans la mesure où l’application de la peine de mort ne constitue pas en principe une privation arbitraire du droit à la vie. Il se réfère à la jurisprudence du Comité selon laquelle l’État qui expulse une personne condamnée à mort contrairement aux dispositions du paragraphe 2 de l’article 6 peut être jugé responsable d’une violation de ces dispositions lues conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 6, dans le cas où l’application de la peine de mort équivaudrait à une privation arbitraire du droit à la vie. L’auteur n’a pas donné de détails sur la question de savoir si les circonstances particulières de l’affaire constitueraient un crime grave ou si la peine de mort, au cas où elle serait prévue pour les crimes dont elle risque d’être accusée, ne serait pas prononcée par un tribunal dûment constitué.

4.2L’État partie fait valoir que même si la peine de mort en l’espèce peut être interprétée comme une privation arbitraire du droit à la vie, l’auteur n’a pas suffisamment établi qu’elle court un risque réel d’être condamnée à mort si elle est renvoyée en Chine. Il reconnaît l’obligation qui lui incombe, conformément à la jurisprudence du Comité dans l’affaire Judge c. Canada, de ne pas renvoyer l’auteur en Chine s’il existe un risque réel qu’elle soit condamnée à la peine de mort. Il objecte toutefois que l’auteur n’a pas établi «qu’elle serait reconnue coupable du chef d’un délit spécifique, d’autant qu’aucune accusation n’a encore été portée contre elle, et qu’elle n’a pas apporté la preuve qu’elle serait condamnée à mort si elle était reconnue coupable».

4.3L’État partie rejette l’argument de l’auteur qui affirme qu’elle n’a été informée «d’aucune des dispositions légales en vertu desquelles elle était inculpée ni de la question de savoir si sa condamnation entraînerait automatiquement la peine de mort». Elle n’a pas été inculpée et le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés lui a remis un résumé des accusations qui pouvaient être retenues contre elle. Si la copie de la décision du Tribunal remise au Comité contenait quelques pages dont le texte avait été caviardé, l’auteur a reçu une copie du texte intégral de la décision et les sections traitant des accusations qui pouvaient être retenues contre elle étaient lisibles. L’État partie reconnaît que les faits qui peuvent lui être reprochés, y compris la corruption, sont passibles de la peine de mort en Chine, mais celle-ci n’est pas automatique et il n’est pas certain que l’auteur serait reconnue coupable même si elle était inculpée. Quant aux documents fournis par l’auteur à l’appui de ses affirmations, l’État partie, se référant à la jurisprudence du Comité, fait valoir qu’il est impossible de déterminer l’intention d’un autre pays dans un cas donné en s’appuyant sur des documents de nature générale. L’auteur n’a pas établi l’existence d’un comportement systématique dans des cas analogues au sien et n’a donc pas suffisamment étayé sa plainte. Elle doute elle-même que les autorités chinoises soient en mesure de prouver le bien-fondé de leurs accusations, auquel cas aucune sanction ne lui serait imposée.

4.4Pour ce qui est de l’allégation de violation de l’article 7, l’État partie relève que l’auteur n’explicite ni la nature du traitement qu’elle pourrait subir en Chine, ni en quoi ce traitement constituerait des actes de torture ou des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Il a conscience des conclusions du Rapporteur spécial sur la torture qui a indiqué que le Gouvernement chinois était prêt à prendre des mesures pour «combattre la torture et les mauvais traitements» mais a reconnu que la torture était souvent pratiquée dans le système de justice pénale. Pour cette raison, l’État partie affirme qu’il ne renverrait pas l’auteur s’il avait la preuve qu’elle courait un risque réel de torture ou de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. En ce qui concerne l’article 14, l’auteur a fourni un rapport du Département d’État des États‑Unis mais elle ne tente pas d’établir pourquoi ou comment elle serait personnellement victime d’un traitement contraire à l’article 7 si elle était renvoyée en Chine. De l’avis de l’État partie, c’est avant tout à l’auteur qu’il incombe de donner des informations qui étayent ses affirmations étant donné que les allégations concernent un autre État.

4.5L’État partie avance aussi que la plainte au titre de l’article 7 est incompatible ratione materiae avec les dispositions du Pacte, étant donné que l’auteur tente d’associer le droit au non-refoulement et le droit à un procès équitable, ce qui ne relève pas du champ d’application de l’article 7. L’auteur semble faire valoir que ne pas bénéficier d’un procès équitable conformément à l’article 14 constituerait une violation de l’article 7 du Pacte. Elle affirme que les autorités chinoises «agissent systématiquement au mépris de la légalité» pour les délits financiers, comme la corruption active et passive, mais l’État partie est d’avis qu’une violation de l’article 14 commise par un autre État ne constitue pas un comportement qui va à l’encontre de son obligation de non-refoulement au titre du Pacte. Il affirme que l’obligation de non-refoulement découle de l’article 2, qui oblige les États parties à garantir à tous les individus se trouvant sur leur territoire et relevant de leur compétence les droits reconnus dans le Pacte. Conformément à la jurisprudence du Comité, la responsabilité d’un État partie face aux actes commis par un autre État ne s’applique qu’à des violations très graves du Pacte, à savoir celles qui sont visées par les articles 6 et 7, mais elle ne s’étend pas à d’autres articles comme l’article 14. Plus précisément, le Comité a relevé précédemment que les garanties d’une procédure régulière en vertu de l’article 14 ne relevaient pas de l’interdiction de non-refoulement.

4.6Pour ce qui est des allégations de violation des paragraphes 1 et 4 de l’article 9, l’État partie affirme que l’auteur n’a pas donné d’information sur toute tentative qu’elle aurait faite pour obtenir une révision de sa détention ou en contester la légalité (art. 9, par. 4) et n’a pas établi que cette détention était en quoi que ce soit arbitraire ou illégale (art. 9, par. 1). Elle n’a donc pas étayé ses affirmations. Elle a été libérée du Centre de rétention d’immigrants de Villawood en 2005 et est aujourd’hui sous surveillance électronique, ce qui signifie qu’elle peut vivre dans la collectivité sous réserve de certaines conditions. L’État partie affirme que la détention de l’auteur a été et reste conforme aux procédures établies par la loi sur les migrations et qu’elle est donc légale. En tant que non‑ressortissante en situation irrégulière, l’auteur a été détenue en application de l’article 189 de la loi sur les migrations. Elle est restée en détention pendant les quatre années durant lesquelles elle a fait appel, et reste en détention pendant que l’État partie envisage les moyens de la renvoyer en toute sécurité.

4.7L’État partie nie que la détention de l’auteur ait été arbitraire. Les dispositions de la loi sur les migrations en vertu desquelles elle a été détenue, et les différentes circonstances de l’affaire, justifiaient cette détention. L’auteur a depuis été placée sous surveillance électronique et n’a pas obtenu de visa de séjour dans l’État partie. Le placement sous surveillance électronique montre que son cas est à l’examen et que tout est fait pour garantir que les mesures prises l’ont été de manière appropriée et proportionnée. Le placement obligatoire dans un centre de rétention d’immigrants vise, entre autres catégories, les personnes qui arrivent dans l’État partie sans visa valide. La détention de ces personnes est nécessaire pour garantir leur présence pendant le traitement de toute demande de protection, permettre les vérifications essentielles en matière d’identité, de sécurité, de moralité et de santé, et veiller à ce qu’elles puissent être renvoyées si rien ne justifie leur présence légale dans l’État partie. Cette procédure est conforme au principe fondamental de la souveraineté en droit international, qui comprend le droit d’un État de contrôler l’entrée de non‑ressortissants sur son territoire. Diverses versions de ces dispositions relatives à la rétention d’immigrants ont été examinées par la High Court (Cour suprême) qui a conclu à leur constitutionnalité.

4.8Selon l’État partie, une personne peut être libérée d’un centre de rétention d’immigrants pour un certain nombre de raisons, notamment lorsqu’il n’existe plus de raisons de soupçonner qu’il s’agit d’un non‑citoyen en situation irrégulière, lorsque la personne en question devient non‑citoyenne en situation régulière ou citoyenne, ou lorsqu’un tribunal conclut à l’illégalité de la détention au regard de la loi sur les migrations. L’auteur aurait pu former un recours en habeas corpus devant la Cour fédérale ou la High Court concernant la légalité de sa détention et la Cour aurait ordonné sa libération si elle avait conclu à l’illégalité de la détention en vertu de l’article 189 de la loi sur les migrations. Divers mécanismes administratifs sont également disponibles pour obtenir une libération, notamment l’octroi d’un visa relai dans des circonstances appropriées et le pouvoir personnel du Ministre d’accorder un visa à un détenu lorsque l’intérêt public le commande. S’agissant de l’annulation de son visa le 5 janvier 2001, l’auteur aurait également pu demander une révision judiciaire de cette décision.

4.9Quant à la référence de l’auteur à l’affaire A. c. Australie, l’État partie fait observer qu’il n’a pas accepté les constatations du Comité. En tout état de cause, il considère que les faits sont différents en l’espèce étant donné que le visa de l’auteur a été annulé en 2001 et qu’elle a formé des recours devant les tribunaux pendant quatre ans au sujet de sa demande de visa de protection, ce qui a prolongé la durée de sa détention. L’État partie ne pouvait pas entamer la procédure de renvoi tant que ces actions en justice étaient en cours. En outre, l’auteur a toujours été détenue au Centre de rétention d’immigrants de Villawood jusqu’à ce qu’elle soit placée sous surveillance électronique et elle a toujours eu accès à ses conseils qui sont restés les mêmes pendant toute la durée de la détention. Aujourd’hui placée sous détention électronique, l’auteur a toujours la possibilité de communiquer avec eux à tout moment et d’avoir des contacts avec les membres de la collectivité, conformément aux modalités et conditions de sa libération. Au cas où le Comité jugerait la communication recevable, l’État partie avance les mêmes arguments quant au fond que lorsqu’il cherche à établir que l’auteur n’a pas étayé ses affirmations.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1Dans sa réponse du 19 décembre 2007, l’auteur affirme qu’elle est nettement défavorisée par rapport à l’État partie, qui dispose de tous les documents relatifs à l’affaire pour étayer ses affirmations, alors qu’elle‑même n’a eu accès qu’à des informations limitées. Toutefois, à la lumière de ces informations même limitées, il ne fait pas de doute que son mari a été reconnu coupable de corruption et condamné à mort et que les autorités chinoises ont délivré un mandat d’arrestation à son encontre. Aucune de ces affirmations n’est contestée par l’État partie. L’auteur affirme qu’elle n’a d’autre solution que de fournir des informations indépendantes sur ce qui se passe en général en Chine dans des cas analogues. Elle fait valoir qu’il s’agit de savoir s’il existe un risque réelque ses droits au titre du Pacte soient violés en Chine et qu’elle n’est pas obligée, contrairement à ce que dit l’État partie, d’établir «qu’elle sera [non souligné par l’auteur] reconnue coupable d’un délit … et que la Chine la condamnera [non souligné par l’auteur] à mort si elle est reconnue coupable».

5.2En réponse à l’argument de l’État partie selon lequel le grief tiré de l’article 7 est incompatible ratione materiae avec les dispositions du Pacte et à sa demande de non‑refoulement en rapport avec le droit à un procès équitable, l’auteur se réfère aux constatations du Comité dans l’affaire Larranaga c. Philippines, lequel a considéré que condamner une personne à la peine de mort à l’issue d’un procès inéquitable équivalait à la soumettre injustement à la peur d’être exécutée et que, dans des circonstances où il existait une possibilité réelle que la peine soit exécutée, cette peur ne pouvait qu’être la source d’une angoisse telle qu’elle pouvait constituer une violation de l’article 7. Elle se réfère également à l’affaire Alzery c. Suède, dans laquelle le Comité a reconnu que le renvoi dans un pays où l’auteur risquait de faire l’objet d’un procès manifestement inéquitable pouvait donner lieu à une plainte pour violation de l’article 14.

5.3Concernant les arguments de l’État partie au sujet de l’article 9, l’auteur fait valoir que l’État partie tente en vain depuis des années de justifier sa politique de détention obligatoire de toutes les personnes arrivant sur son territoire sans autorisation et elle se réfère à la jurisprudence du Comité à cet égard, notamment à l’affaire A. c. Australie. L’annulation du visa de l’auteur à son arrivée dans l’État partie n’est pas un élément qui rend son cas différent et justifie la détention. De l’avis de l’auteur, le fait qu’elle ait obtenu légalement son visa avant d’entrer dans l’État partie aurait dû donner aux autorités moins de raisons de la détenir. L’État partie justifie la détention obligatoire en avançant que les intéressés doivent être présents pendant le traitement de leur demande de protection pour permettre des vérifications essentielles en matière d’identité, de sécurité, de moralité et de santé, ainsi qu’aux fins de renvoi si la demande de protection est rejetée. L’auteur fait valoir qu’il ne pouvait y avoir le moindre doute quant à son identité et que rien ne justifie que l’État partie ne l’ait pas placée sous surveillance électronique plus tôt. Pour ce qui est de l’argument selon lequel elle aurait pu contester la légalité de sa détention en déposant une demande d’habeas corpus, le Comité a déjà clairement indiqué qu’une personne n’est pas tenue d’utiliser des recours qui ne sont pas utiles, et puisque la High Court a conclu à la validité du système de détention obligatoire de l’État partie, ce recours n’aurait eu aucune chance d’aboutir.

Observations supplémentaires de l’auteur et de l’État partie

6.Dans une note du 18 juin 2008, l’auteur fait tenir une copie d’un rapport du Médiateur du Commonwealth et de l’immigration adressé au Ministre de l’immigration et de la citoyenneté, en date du 28 mars 2008, ainsi que d’autres documents, indiquant que l’État partie a demandé des assurances diplomatiques à la Chine pour obtenir la garantie que l’auteur ne serait pas soumise à un traitement constitutif d’une violation des droits garantis par le Pacte si elle était renvoyée dans ce pays. Le Médiateur indiquait dans le même rapport que la décision sur la demande de l’auteur qui souhaitait que le Ministre use de son pouvoir discrétionnaire, qui ne peut être délégué, conféré par l’article 417 de la loi de 1958 sur les migrations afin de l’autoriser à demeurer en Australie, pouvait être déterminée par la réponse de la Chine à la demande d’assurances diplomatiques de l’Australie. L’auteur n’avait jamais auparavant été informée que l’État partie avait demandé des assurances diplomatiques à la Chine. Elle demande au Comité de «conseiller» à l’État partie de renoncer à l’idée de solliciter des assurances diplomatiques dans la présente affaire.

7.1Dans une note du 3 octobre 2008, l’État partie a répondu aux observations supplémentaires de l’auteur. Il reconnaît qu’il y a des erreurs dans le rapport du Médiateur et qu’il est faux de dire que le Gouvernement a entrepris de demander des assurances à la Chine pour ce qui est de l’imposition de la peine de mort pas plus que pour ce qui est de la torture. L’État partie fait valoir que l’expulsion de l’auteur n’est pas prévue et qu’il n’a pas demandé d’assurances à la Chine à l’égard de l’auteur. Les démarches exposées dans le rapport du Médiateur en sont à un stade très préliminaire et n’ont pas avancé au point que le Gouvernement ait décidé de demander des assurances à ce stade. Il ajoute que la demande d’intervention du Ministre auprès du Département de l’immigration et de la citoyenneté que l’auteur a déposée est toujours pendante et que la décision n’a pas encore été prise étant donné la complexité de l’affaire. L’auteur est toujours sous surveillance électronique et vit dans la communauté.

7.2L’État partie fait valoir qu’il a donné tous les renseignements utiles sur cette affaire au Comité comme à l’auteur. On a donné à l’auteur un résumé des chefs d’inculpation qui pourraient être retenus contre elle si elle était renvoyée en Chine au moment où le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés (RRT) examinait son cas. Elle a également reçu une copie de la décision du RRT, avec les parties portant sur les chefs d’inculpation qui pourraient être appliqués. Enfin, elle a par la suite fait l’objet de quatre enquêtes du Médiateur dont les rapports ont été intégralement portés à sa connaissance.

7.3L’État partie fait valoir que même s’il demandait des assurances à la Chine, il serait inapproprié et contraire à sa pratique de révéler l’objet des négociations relatives aux assurances pendant que celles‑ci étaient en cours et de révéler même l’existence de telles négociations. Les négociations diplomatiques sont une question sensible et confidentielle. En revanche, l’État partie ferait connaître l’issue définitive des négociations à la personne devant être expulsée. Il ajoute qu’il est habilité à engager des procédures afin d’apprécier s’il est possible d’expulser l’auteur, ce qui comprend une évaluation de la question de savoir s’il peut renvoyer l’auteur vers la Chine sans risquer de manquer à son obligation de non‑refoulement. Ces procédures d’appréciation sont toujours en cours, mais il n’existe pas d’éléments d’information obtenus pendant la procédure que l’auteur ne connaîtrait pas.

7.4L’État partie fait valoir que les assurances diplomatiques seraient une option légitime dans cette affaire. Il n’est pas interdit à un État qui a aboli la peine de mort d’expulser une personne vers un État qui maintient cette peine, s’il n’y a pas de risque réel que la peine capitale soit appliquée. Solliciter des assurances diplomatiques est une pratique internationale courante et nécessaire dans les affaires d’extradition ou d’expulsion, qui permet à l’État d’apprécier s’il existe un risque que la peine capitale puisse être prononcée. L’État partie renvoie au principe selon lequel s’il existe un risque réel d’application de la peine capitale dans une affaire donnée, l’État ne peut pas expulser l’intéressé «à moins que le gouvernement qui a demandé l’extradition donne des assurances ayant force obligatoire en droit de ne pas exécuter l’intéressé». L’État partie est d’avis que le même principe s’applique aux expulsions, et se réfère à la jurisprudence du Comité. Il précise que des assurances ayant force obligatoire en droit s’entendent d’assurances données par l’autorité du gouvernement ou du pouvoir judiciaire qui aurait normalement la responsabilité de procéder à l’acte ou de donner effet à l’assurance. L’État partie ne considère pas que l’auteur coure un risque réel d’être condamnée à la peine capitale si elle est renvoyée en Chine. Toutefois, s’il devait acquérir la conviction que la peine capitale allait être prononcée, le Gouvernement demanderait l’assurance que l’auteur n’encourt pas la peine capitale s’il devait la renvoyer en Chine.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

8.Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte. Le Comité ne retient pas l’argument de l’État partie pour qui les griefs de l’auteur sont irrecevables faute d’être étayés, étant donné que l’auteur a fait des efforts raisonnables pour étayer ses allégations de violation du Pacte aux fins de la recevabilité. De même, il considère que toutes les allégations de l’auteur sont compatibles avec le Pacte ratione materiae. Puisqu’il ne se pose aucune question quant à l’épuisement des recours internes, le Comité considère qu’il n’est pas empêché par le paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif d’examiner l’affaire au fond.

Examen au fond

9.1Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication à la lumière de toutes les informations qui lui ont été transmises par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

9.2Le Comité note que l’auteur ne formule aucun grief en soi au titre du Pacte concernant la décision de l’État partie de ne lui communiquer que des informations limitées sur les accusations qui seraient portées contre elle, à savoir «l’essentiel» des informations qui lui ont été données par les autorités chinoises. Il note aussi que l’État partie a démenti avoir demandé des assurances diplomatiques dans la présente affaire, ce à quoi l’auteur n’a pas répondu. Pour cette raison le comité n’entend pas examiner ces questions.

9.3En ce qui concerne le grief de détention arbitraire, au sens du paragraphe 1 de l’article 9, avant le placement de l’auteur sous surveillance électronique, le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle, pour ne pas être qualifiée d’arbitraire, la détention ne doit pas se prolonger au‑delà de la période pour laquelle l’État partie est en mesure d’apporter une justification valable. En l’espèce, la détention obligatoire de l’auteur en tant qu’étrangère en situation irrégulière a duré quatre ans, jusqu’à ce qu’elle soit libérée et placée sous surveillance électronique. L’État partie a avancé des raisons générales pour justifier cette détention, mais le Comité relève qu’il n’a pas donné de motifs propres à l’affaire justifiant le maintien de l’auteur en détention pendant une période si longue. En particulier, l’État partie n’a pas établi qu’à la lumière des circonstances particulières de l’auteur, il n’y avait pas de moyens moins contraignants d’obtenir le même résultat. Le Comité se félicite que l’auteur ait été finalement placée sous surveillance électronique, mais il note que cette solution n’a été possible qu’après quatre ans de détention. Pour ces raisons, le Comité conclut que la détention de l’auteur pendant une période de plus de quatre ans sans possibilité de révision judiciaire réelle était arbitraire au sens du paragraphe 1 de l’article 9.

9.4En ce qui concerne les griefs liés à l’expulsion possible de l’auteur, il s’agit de savoir en l’espèce s’il existe des motifs sérieux de croire que l’État partie, en expulsant l’auteur vers la République populaire de Chine, lui ferait courir un risque réel de subir un préjudice irréparable, en violation de l’article 2, lu conjointement avec l’article 6 ou l’article 7 du Pacte. À cet égard, le Comité rappelle qu’un État partie qui a lui-même aboli la peine de mort violerait le droit à la vie d’une personne en vertu du paragraphe 1 de l’article 6, s’il la renvoyait dans un pays où elle est condamnée à mort. La question en l’espèce est de savoir s’il existe des motifs sérieux de croire qu’il y a un risque réel que l’expulsion de l’auteur aboutisse à l’imposition d’une telle sentence, autrement dit un risque réel de préjudice irréparable. Le Comité rappelle aussi sa jurisprudence selon laquelle condamner une personne à la peine de mort à l’issue d’un procès inéquitable revient à soumettre injustement cette personne à la peur d’être exécutée, en violation de l’article 7 du Pacte.

9.5En ce qui concerne les faits, il semblerait que l’auteur ne soit pas encore inculpée mais qu’au moins un mandat d’arrestation à son encontre ait été délivré par les autorités chinoises. L’État partie concède que les chefs d’accusation qui seraient probablement retenus, notamment la corruption, sont passibles de la peine de mort en Chine, mais il objecte que cette peine n’est pas imposée systématiquement et qu’il n’est pas certain que l’auteur serait reconnue coupable du délit si elle était accusée (par. 4.3). L’État partie ne se prononce pas sur la probabilité de voir les autorités chinoises prendre contact avec lui aux fins de délivrer un mandat d’arrestation si elles n’ont pas l’intention d’inculper l’auteur au cas où celle-ci reviendrait sous leur juridiction. Tout en reconnaissant que ni le Comité ni l’État partie ne sont en mesure d’évaluer la culpabilité ou la non-culpabilité de l’auteur ou la probabilité qu’une peine non obligatoire soit prononcée au cas où elle serait reconnue coupable, le Comité note que le risque pour la vie de l’auteur ne sera véritablement établi que lorsque l’État partie ne pourra plus protéger le droit à la vie reconnu à l’auteur à l’article 6 du Pacte.

9.6Le Comité relève que l’État partie ne conteste pas l’affirmation selon laquelle le mari de l’auteur a été reconnu coupable et condamné à mort pour corruption et le mandat d’arrestation délivré par les autorités chinoises contre l’auteur a trait à sa participation au même ensemble de circonstances. Le 4 novembre 2004, le RRT lui-même, tout en ne se prononçant pas sur la culpabilité ou l’innocence de l’auteur, a rejeté l’argument de l’auteur qui affirmait que les accusations portées contre elle étaient fabriquées de toutes pièces. Le Comité réitère qu’il n’est pas nécessaire d’établir, comme l’État partie l’a laissé entendre, que l’auteur «sera» condamnée à mort (par. 4.2), mais qu’il faut prouver qu’il existe un «risque réel» qu’elle soit condamnée à mort. Il n’adhère pas à ce que l’État partie semble vouloir dire, à savoir qu’on ne peut établir un «risque réel» de violation du droit à la vie tant que l’intéressée n’a pas été condamnée à mort. En outre, il ne ressort pas d’un examen des jugements dont il dispose, aussi incomplets soient-ils, des organes judiciaires et d’immigration saisis de l’affaire, que des arguments aient été avancés quant à la question de savoir si l’expulsion de l’auteur vers la République populaire de Chine entraînerait un risque réel de violation de l’article 6 du Pacte.

9.7Le Comité note que l’État partie ne conteste pas les allégations de l’auteur selon lesquelles elle court le risque d’être soumise à un procès non équitable si elle est renvoyée en République populaire de Chine mais se contente de soutenir que son obligation de non-refoulement ne s’étend pas aux violations de l’article 14 (par. 4.5). Il doit néanmoins accorder le crédit voulu à l’argument de l’auteur qui affirme qu’un tel risque existe, ainsi qu’au fait que le mari de l’auteur a apparemment été condamné à mort pour avoir «accepté des pots‑de‑vin» (par. 2.8) et qu’un mandat d’arrestation a été décerné à l’encontre de l’auteur pour des faits analogues (par. 2.2 et 2.6). De plus, le Comité reconnaît l’angoisse et la détresse que vivrait l’auteur en étant exposée à un tel risque. Pour toutes ces raisons, et tout en prenant note que l’État partie affirme (par. 7.1) qu’il ne prévoit pas pour l’instant d’expulser l’auteur d’Australie, le Comité considère que le retour forcé de l’auteur en République populaire de Chine sans qu’aient été obtenues des assurances diplomatiques adéquates constituerait une violation par l’Australie, en tant qu’État partie qui a aboli la peine de mort, des droits de l’auteur au titre des articles 6 et 7 du Pacte.

9.8Ayant constaté une violation du paragraphe 1 de l’article 9, relativement à la détention de l’auteur, et des violations potentielles des articles 6 et 7, dans le cas où l’État partie renverrait l’auteur vers la République populaire de Chine sans avoir obtenu les assurances diplomatiques voulues, le Comité n’estime pas nécessaire d’examiner si les mêmes faits constituent une violation du paragraphe 2 de l’article 6, du paragraphe 4 de l’article 9 ou de l’article 14 du Pacte.

10.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par l’Australie du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte et que l’expulsion forcée de l’auteur vers la République populaire de Chine sans qu’aient été obtenues des assurances diplomatiques adéquates constituerait une violation des articles 6 et 7 du Pacte.

11.En vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, le Comité conclut que l’auteur a droit à un recours utile incluant sa protection contre un renvoi en Chine, en l’absence d’assurances diplomatiques adéquates, et à une indemnisation appropriée pour la durée de la détention dont elle a été victime.

12.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 de celui‑ci, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre‑vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité en outre à rendre publiques les présentes constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]