Nations Unies

CCPR/C/97/D/1401/2005

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. restreinte*

3 décembre 2009

Français

Original: anglais

C omité des droits de l ’ homme

Quatre-vingt-dix-septième session

12-30 octobre 2008

Constatations

Communication no 1401/2005

Présentée par :

Nadezhda Kirpo (non représentée par un conseil)

Au nom de :

Pavel Kirpo, fils de l’auteur

État partie :

Tadjikistan

Date de la communication :

26 mai 2005 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 2 juin 2005 (non publiée sous forme de document)

Date de l ’ adoption des constatations :

27 octobre 2009

Objet :

Arrestation illégale; aveux forcés obtenus sous les coups et la torture, en l’absence d’un avocat

Questions de procédure :

Fondement des griefs

Questions de fond :

Torture; aveux forcés; habeas corpus; droits de la défense

Article ( s ) du Pacte :

7, 9, 14 (par. 3 d) et g))

Article du Protocole facultatif :

2

Le 27 octobre 2009, le Comité des droits de l’homme a adopté le texte ci-après en tant que constatations concernant la communication no 1401/2005 au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif.

[Annexe]

Annexe

Constatations du Comité des droits de l’homme au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (quatre-vingt-dix-septième session)

concernant la

Communication no1401/2005**

Présentée par:

Nadezhda Kirpo (non représentée par un conseil)

Au nom de:

Pavel Kirpo, fils de l’auteur

État partie:

Tadjikistan

Date de la communication:

26 mai 2005 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l ’ homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 27 octobre 2009,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1401/2005 présentée au nom de M. Pavel Kirpo en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.L’auteur de la communication est Mme Nadezhda Kirpo, d’origine russe, née en 1956 et résidente au Tadjikistan, qui affirme que son fils Pavel Kirpo, ayant également le statut de résident au Tadjikistan, d’origine russe et né en 1977, est victime de violations des droits qui lui sont reconnus à l’article 7, aux paragraphes 1 et 3 de l’article 9 et au paragraphe 3 d) de l’article 14 du Pacte. Bien que l’auteur n’invoque pas expressément cette disposition, la communication semble également soulever des questions au regard du paragraphe 3 g) de l’article 14 du Pacte. L’auteur n’est pas représentée par un conseil. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 4 avril 1999.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1L’auteur affirme qu’en 2000 son fils était employé par l’Organisation des NationsUnies, en qualité d’assistant du chef de l’unité chargée des services d’appui aux projets au Tadjikistan. Le 7 mai 2000, il a été arrêté par des fonctionnaires du Ministère de la sécurité, alors qu’il tentait prétendument de commettre un vol − 100 000 dollars des États-Unis − dans les locaux de l’ONU à Douchanbé. Le 17 janvier 2001, le tribunal municipal de Douchanbé l’a condamné à quinze ans de prison, avec saisie de ses biens. Le 23 mai 2001, la Cour suprême a confirmé la peine.

2.2L’auteur explique que, selon le tribunal municipal de Douchanbé, son fils prévoyait de commettre ce vol avec trois autres individus (K. S. et B., qui n’ont pas pu être localisés) et avait conclu un pacte secret avec eux, constituant ainsi un groupe criminel organisé. Le 6 mai 2000, il s’est procuré illicitement auprès de K un revolver muni d’un silencieux et des munitions. Le 7 mai 2000, le fils de l’auteur a pénétré dans les locaux de l’ONU armé du revolver et, comme il était convenu avec K., a engagé la conversation avec deux gardes de sécurité afin d’obtenir d’eux la promesse qu’ils ne l’empêcheraient pas de commettre le vol, en échange de 20 000 dollars qu’ils se partageraient. Les gardes ont apparemment donné leur accord mais, dans l’intervalle, ils ont pris secrètement contact avec le Ministère de la sécurité. Un groupe d’intervention du Ministère est arrivé sur place peu après et M. Kirpo a été arrêté.

2.3L’auteur affirme que, le 7 mai 2000, son fils a été conduit dans les locaux du Ministère de la sécurité où il est resté jusqu’au 20 mai 2000. Le 7 mai 2000, les autorités ont également arrêté la femme de M. Kirpo et l’ont retenue au Ministère jusqu’au 9 mai 2000. C’est la femme de M. Kirpo qui, lors d’un entretien téléphonique, le 8 mai 2000, a informé l’auteur des arrestations et de l’endroit où tous deux se trouvaient. L’auteur explique que son fils a été placé à l’isolement et n’a pas pu voir les membres de sa famille. Ce n’est que le 19 mai 2000, dans les locaux du Ministère de la sécurité, qu’elle a pu le voir; il avait beaucoup maigri et était couvert d’ecchymoses. Plus tard le même jour, elle s’est entretenue avec un représentant de l’ONU à Douchanbé au sujet de l’arrestation de son fils. Ce représentant a vu son fils en présence d’un enquêteur du Ministère de la sécurité, I. R. Selon l’auteur, ce représentant lui a ensuite expliqué que son fils était dans l’incapacité de parler, avait des côtes cassées et avait beaucoup de difficultés à se mouvoir.

2.4Selon l’auteur, pendant que son fils était détenu au Ministère de la sécurité, on l’a roué de coups et on l’a torturé à l’électricité sur différentes parties du corps afin de le forcer à faire certaines déclarations. Il a également été frappé à coups de matraque et de barre de fer si violemment qu’il a eu des côtes cassées et éprouvait des difficultés à parler et à se déplacer. Au tribunal, les avocats du fils de l’auteur ont soulevé ce point à plusieurs reprises, mais il n’a été tenu aucun compte de leurs plaintes.

2.5L’auteur affirme également que son fils a été détenu illégalement parce qu’après son arrestation, le 7 mai 2000, il a été retenu au Ministère de la sécurité jusqu’au 20 mai 2000. L’auteur affirme que, pendant cette période, son fils n’a pas été représenté par un avocat et n’a pas été informé officiellement des garanties judiciaires dont il bénéficiait. Néanmoins, il a demandé plusieurs fois aux enquêteurs l’autorisation d’être représenté par un avocat, mais en vain. Son arrestation en qualité de suspect d’un délit a été enregistrée le 20 mai 2000 seulement, c’est‑à‑dire treize jours après son arrestation effective. Le même jour, il a été interrogé en qualité de suspect, toujours en l’absence d’un avocat, et a été officiellement inculpé de vol qualifié. Après quoi, le fils de l’auteur a été détenu pendant deux jours au Ministère des affaires intérieures, puis a été placé en détention dans un centre de détention avant jugement (SIZO) le 23 mai 2000.

2.6L’auteur affirme que pendant le procès l’avocat a formulé des griefs concernant la détention illégale de son fils pendant treize jours, mais que le tribunal, au lieu de se prononcer sur la nature de la détention, a purement et simplement exclu que la période écoulée entre le 7 et le 19 mai 2000 soit prise en compte dans le calcul de la durée de la peine d’emprisonnement.

2.7L’auteur affirme en outre que l’arrestation officielle de son fils − le 20 mai 2000 − avait été approuvée le 23 mai 2000 par un procureur, et non par un tribunal. Elle affirme que le procureur n’est pas un organe habilité à exercer une autorité judiciaire.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que son fils est victime d’une violation de ses droits découlant de l’article 7, parce qu’il a été passé à tabac et torturé par des fonctionnaires du Ministère de la sécurité, et contraint de s’avouer coupable. Ce grief semble également soulever des questions au titre du paragraphe 3 g) de l’article 14 du Pacte, bien que l’auteur ne l’invoque pas expressément.

3.2L’auteur affirme également qu’il y a eu violation des droits que son fils tenait des paragraphes 1 et 3 de l’article 9, parce qu’il a été détenu illégalement pendant treize jours et que, lorsqu’il a été décidé de le placer officiellement en détention provisoire, la légalité de cette décision n’a pas été vérifiée par un tribunal mais par un procureur.

3.3L’auteur invoque en outre une violation des droits de la défense, qui sont protégés au paragraphe 3 d) de l’article 14, étant donné que son fils n’a pas été représenté par un avocat aux premiers stades de l’enquête.

Non-coopération de l’État partie

4.L’État partie a été invité à présenter ses observations sur la recevabilité et sur le fond de la communication en juin 2005, et des rappels ont été envoyés à cet effet en octobre 2006, en mars 2008 et en février 2009. Le Comité note qu’il n’a pas reçu les informations demandées. Il regrette que l’État partie n’ait fourni aucune information quant à la recevabilité ou au fond des allégations de l’auteur. Il rappelle que le Protocole facultatif prévoit que l’État partie soumette par écrit au Comité des explications ou déclarations éclaircissant la question et indiquant, le cas échéant, les mesures qu’il pourrait avoir prises pour remédier à la situation. En l’absence d’une réponse de l’État partie, le Comité doit accorder le crédit voulu aux allégations de l’auteur, dans la mesure où elles ont été suffisamment étayées.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

5.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

5.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément aux dispositions du paragraphe 2 a) et b) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement et il note qu’il n’est pas contesté que les recours internes ont été épuisés.

5.3Le Comité a pris note de l’allégation de l’auteur faisant valoir qu’elle avait engagé un avocat pour défendre son fils le 20 mai 2000 (date de l’inculpation officielle de son fils), mais que l’avocat n’avait été autorisé à participer à la procédure qu’à compter du 23 mai 2000. Le Comité note que ces allégations peuvent soulever des questions au titre du paragraphe 3 d) de l’article 14 du Pacte. En l’absence de toute autre explication à cet égard de la part des parties, et en l’absence de toute information pertinente dans le dossier, le Comité considère que cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif parce qu’elle n’est pas suffisamment étayée aux fins de la recevabilité.

5.4Le Comité a pris note des griefs détaillés formulés par l’auteur au titre de l’article 7 du Pacte, faisant valoir que son fils a été battu et torturé puis contraint de s’avouer coupable. Il considère que cette partie de la communication soulève également des questions au titre du paragraphe 3 g) de l’article 14 du Pacte, même si l’auteur n’a pas invoqué expressément cette disposition. En l’absence de toute observation de la part de l’État partie, le Comité considère que ces allégations sont suffisamment étayées, aux fins de la recevabilité, et déclare par conséquent la communication recevable au titre de l’article 7 et du paragraphe 3 g) de l’article 14 du Pacte.

5.5Le Comité a noté les autres griefs formulés par l’auteur au titre de l’article 9 du Pacte, du fait que son fils a été retenu pendant treize jours au Ministère de la sécurité, sans l’assistance d’un avocat, et du fait que la décision ultérieure de le placer officiellement en détention n’a pas été contrôlée par un tribunal mais par un procureur. Le Comité considère que ces allégations sont suffisamment étayées aux fins de la recevabilité, et les déclare par conséquent recevables.

Examen au fond

6.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

6.2Le Comité prend note des griefs de l’auteur qui fait valoir que son fils a été détenu illégalement pendant treize jours au Ministère de la sécurité, sans voir un avocat et sans possibilité de communiquer avec sa famille pendant douze jours. Pendant cette période, il a été battu et torturé par les enquêteurs et forcé de s’avouer coupable d’un vol. Le Comité note que l’auteur donne une description assez détaillée de la manière dont son fils a été battu et des méthodes de torture utilisées (décharges électriques). L’auteur explique aussi que les tribunaux ont failli à leur devoir d’ordonner sans délai une enquête sur les allégations de torture et de mauvais traitements infligés à son fils, et qu’ils n’ont pas tenu compte des griefs formulés par les avocats de son fils à ce sujet. En l’absence de toute réponse de la part de l’État partie, le Comité considère que le crédit voulu doit être accordé aux allégations de l’auteur.

6.3Le Comité rappelle que, lorsqu’une plainte est déposée contre des mauvais traitements prohibés par l’article 7, l’État partie doit procéder à une enquête rapide et impartiale. Il considère qu’en l’espèce les faits présentés par l’auteur et non contestés par l’État partie font apparaître une violation par l’État partie des droits reconnus au fils de l’auteur au titre de l’article 7 et du paragraphe 3 g) de l’article 14 du Pacte.

6.4Le Comité relève que, selon l’auteur, son fils a été arrêté par des fonctionnaires du Ministère de la sécurité le 7 mai 2000 et placé à l’isolement, sans être informé officiellement des raisons de sa détention et sans recevoir l’assistance d’un conseil malgré les nombreuses demandes qu’il a faites à cet effet, dans les locaux du Ministère de la sécurité jusqu’au 20 mai 2000, date de son inculpation officielle. L’auteur affirme en outre que, lorsque la question a été soulevée par l’avocat de son fils pendant le procès, le tribunal n’a pas donné de qualification à la nature de la détention de son fils pendant les treize premiers jours de détention. En l’absence de toute explication de la part de l’État partie à ce sujet, le Comité décide que le crédit voulu doit être accordé à ces allégations. Le Comité rappelle qu’aux termes du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte nul ne peut être privé de sa liberté, si ce n’est pour des motifs et conformément à la procédure prévus par la loi. Aux termes du paragraphe 2 de l’article 9, tout individu arrêté sera informé, au moment de son arrestation, des raisons de cette arrestation et de toute accusation portée contre lui. Même si, en l’espèce, les faits tels qu’ils sont présentés font apparaître que les autorités avaient suffisamment de motifs pour arrêter le fils de l’auteur en qualité de suspect, le Comité considère que le fait de l’avoir maintenu en détention pendant treize jours avant que l’arrestation effective soit confirmée par écrit, et sans l’informer officiellement des raisons de son arrestation, constitue une violation des droits de M. Kirpo découlant des paragraphes 1 et 2 de l’article 9 du Pacte.

6.5.L’auteur a également affirmé que son fils avait été placé officiellement en détention provisoire le 20 mai 2000, mais qu’il n’avait jamais été traduit devant un tribunal pour que ce dernier vérifie la légalité de sa détention et que la mise en détention a été approuvée par un procureur, en violation du paragraphe 3 de l’article 9 du Pacte. Le Comité rappelle que, selon le paragraphe 3 de l’article 9, tout individu détenu du chef d’une infraction pénale a droit au contrôle juridictionnel de sa détention. Il est inhérent au bon exercice du pouvoir judiciaire que ce contrôle soit assuré par une autorité indépendante, objective et impartiale par rapport aux questions à traiter. En l’espèce, le Comité n’est pas convaincu que le procureur puisse être considéré comme ayant l’objectivité et l’impartialité institutionnelles nécessaires pour être qualifié d’«autorité habilitée par la loi à exercer des fonctions judiciaires» au sens du paragraphe 3 de l’article 9, et conclut qu’il y a eu violation de cette disposition.

7.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article 7, des paragraphes 1 à 3 de l’article 9 et du paragraphe 3 g) de l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

8.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer au fils de l’auteur un recours utile, sous la forme de l’ouverture d’une procédure pénale, qui sera menée à son terme, en vue d’établir les responsabilités pour les mauvais traitements subis et de l’octroi d’une réparation appropriée y compris le versement d’une indemnisation et d’envisager de rejuger le fils de l’auteur dans le respect des garanties consacrées par le Pacte ou de le libérer. L’État partie est également tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.

9.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Appendice

Opinion individuelle de Mme Ruth Wedgwood

Dans cette affaire, le Tadjikistan n’a donné suite à aucun des quatre courriers qui lui ont été adressés en l’espace de près de quatre ans pour l’inviter à répondre aux allégations selon lesquelles des agents de sécurité de l’État auraient commis des actes de torture sur la personne d’un ancien employé de l’ONU soupçonné de tentative de vol, et les tribunaux tadjiks auraient refusé d’enquêter sur cette affaire. La plainte a été soumise au Comité des droits de l’homme par la mère de la victime présumée. Je suis d’accord avec les autres membres du Comité pour dire qu’en l’absence de réponse de la part de l’État partie, les griefs avancés par l’auteur sont suffisants pour conclure à une violation par l’État partie de l’article 7 et du paragraphe 3 g) de l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

Les griefs présentés dans cette affaire sont quelque peu inhabituels. M. Pavel Kirpo était employé en tant qu’assistant dans le bureau de l’ONU de Douchanbé au Tadjikistan. Le 6 mai 2000, il serait entré dans le bâtiment de l’ONU armé d’un revolver dans l’intention de dérober 100 000 dollars en espèces. Les gardes de sécurité de l’ONU ont prévenu les autorités tadjikes après que M. Kirpo aurait essayé de les soudoyer pour qu’ils le laissent commettre son forfait.

Un «groupe d’intervention» composé d’agents de l’État s’est rendu sur les lieux et a arrêté M. Kirpo, qui est resté à l’isolement pendant treize jours au Ministère de la sécurité, où il aurait été battu et torturé à l’électricité et à coups de matraque et de barre de fer. Son épouse a également été arrêtée et retenue pendant deux jours. M. Kirpo n’a pas été autorisé à voir un avocat pendant ces treize jours et n’a été inculpé pénalement qu’une fois l’interrogatoire terminé. Il semble que les autorités judiciaires locales aient refusé d’enquêter sur les violences que M. Kirpo aurait subies, abdiquant ainsi leur responsabilité de faire en sorte que les détenus inculpés d’infractions pénales qui comparaissent devant elles soient traités dans le respect de leur intégrité physique. Ces faits, qui ne sont pas contestés, sont suffisants pour conclure à des violations des articles 7, 9 et 14 du Pacte, et je souscris aux conclusions du Comité.

Il y a toutefois dans cette affaire un autre aspect délicat qui nous concerne plus directement et que l’on se doit d’évoquer si l’on veut avoir la conscience en paix. On ne sait pas avec certitude si les autorités de l’ONU ont entrepris une quelconque démarche pour s’assurer de la situation ou de l’état de santé de leur employé pendant les douze jours qui ont suivi son arrestation dans les locaux de l’ONU. Le Comité n’a pas sollicité l’avis de l’ONU en qualité d’amicus curiae pour l’éclairer sur ces faits.

Le 19 mai 2000, un représentant de l’ONU aurait rendu visite à M. Kirpo (qui à cette date n’était plus employé par l’ONU puisqu’il avait été licencié), à la demande de la mère de ce dernier. Malheureusement, où cette visite est intervenue, M. Kirpo avait déjà subi des violences graves. Sa mère affirme que le représentant de l’ONU a déclaré que son fils avait des côtes cassées, qu’il se déplaçait avec difficulté et qu’il était dans l’incapacité de parler (voir les constatations du Comité, par. 2.3). On ne sait pas si le représentant de l’ONU a fait un rapport officiel sur sa visite mais il doit être félicité pour avoir pris cette initiative et empêché ainsi d’autres violences.

Les organisations internationales ne peuvent pas être parties au Pacte et le mécanisme de plainte établi par le Protocole facultatif s’applique uniquement aux États parties. En outre, il subsiste des zones d’ombre du fait que le bureau de l’ONU à Douchanbé et ses anciens employés n’ont pas eu l’occasion de s’exprimer sur l’affaire.

Toutefois, compte tenu de la gravité des faits allégués en l’espèce, il semble indiqué de rappeler que l’ONU, dans le cadre de ses activités à travers le monde, doit veiller à ce que les droits de l’homme soient respectés. Au titre du Pacte, le Comité exige systématiquement des États parties qu’ils prennent des mesures concrètes et efficaces pour garantir que les détenus transférés vers un autre État soient traités avec humanité. Même si l’ONU ne dispose pas de sa propre police dans la plupart des États où elle est présente, on peut espérer qu’elle prend les précautions nécessaires pour garantir le bien-être des personnes dont elle a demandé l’arrestation, a fortiori s’il s’agit de ses propres employés, notamment en s’assurant dans les plus brefs délais, puis à intervalles réguliers, de la situation des intéressés et de leur état de santé et en veillant à ce qu’ils soient représentés par un avocat tout au long de leur détention et de leur procès. L’exercice du droit de ne pas être soumis à la torture n’est susceptible d’aucune dérogation ni d’aucune suspension, et ne dépend pas de l’applicabilité d’un traité.

Sans préjuger la véracité des allégations de l’auteur, les circonstances de l’affaire justifieraient que l’ONU engage un travail de réflexion et d’analyse, qui pourrait être axé sur la définition de règles de prévention visant à empêcher que des faits analogues à ceux qui sont dénoncés en l’espèce ne se produisent à l’avenir.

(Signé) Ruth Wedgwood

[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]