Nations Unies

CCPR/C/97/D/1363/2005

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. restreinte*

23 novembre 2009

Français

Original: espagnol

C omité des droits de l’homme

Quatre-vingt-dix-septième session

12-30 octobre 2008

Constatations

Communication no 1363/2005

Présentée par :

Gerardo Gayoso Martínez (représenté par un conseil, M. Joaquín Ruiz-Giménez Aguilar)

Au nom de :

L’auteur

État partie :

Espagne

Date de la communication :

29 mai 2003 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 18 février 2005 (non publiée sous forme de document)

Décision concernant la recevabilité du 24 juillet 2008 (CCPR/C/93/D/1363/2005)

Date de l’adoption des constatations :

19 octobre 2009

Objet :

Appréciation des preuves et étendue de l’examen en appel d’une affaire pénale par les tribunaux espagnols

Questions de procédure :

Non-épuisement des recours internes; défaut de fondement

Questions de fond :

Droit de soumettre la déclaration de culpabilité et la condamnation à une juridiction supérieure conformément à la loi

Article du Pacte :

14 (par. 5)

Article s du Protocole facultatif :

3 et 5 (par. 2 b))

Le 19 octobre 2009, le Comité des droits de l’homme a examiné le texte ci-après en tant que constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif concernant la communication no 1363/2005.

[Annexe]

Annexe

Constatations du Comité des droits de l’homme au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (quatre-vingt-dix-septième session)

concernant la

Communication no 1363/2005 **

Présentée par:

Gerardo Gayoso Martínez (représenté par un conseil, M. Joaquín Ruiz-Giménez Aguilar)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Espagne

Date de la communication:

29 mai 2003 (date de la lettre initiale)

Décision concernant la recevabilité:

24 juillet 2008

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 19 octobre 2009,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1363/2005 présentée au nom de M. Gerardo Gayoso Martínez en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.1L’auteur de la communication, datée du 29 mai 2003, est Gerardo Gayoso Martínez, avocat de nationalité espagnole né en 1967. Il se déclare victime de violations par l’Espagne du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’Espagne le 25 avril 1985. L’auteur est représenté par un conseil, Joaquín Ruiz‑Giménez Aguilar.

1.2Le 11 mai 2005, le Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires a décidé que la recevabilité de la communication serait examinée séparément du fond.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1Le 28 février 1997, le tribunal d’instruction no 4 d’Arenys de Mar a ouvert une enquête contre trois personnes soupçonnées de trafic de drogues. Ces trois suspects ont été arrêtés le 21 juin 1997 et plusieurs kilos de haschich trouvés à l’intérieur du camion à bord duquel ils voyageaient ont été saisis ainsi que les téléphones portables des intéressés. Aucun d’entre eux n’a impliqué l’auteur. Dans un premier rapport d’enquête, la police n’a pas mentionné l’auteur non plus. L’instruction judiciaire s’est prolongée plusieurs mois et a abouti à un jugement en date du 16 décembre 1997 qui n’établit pas de lien entre l’auteur et les faits.

2.2Le 16 janvier 1998, la police du deuxième Groupe des stupéfiants de Barcelone a présenté au tribunal susmentionné un rapport accusant l’auteur d’avoir participé à l’opération de trafic de drogues. Selon ce rapport, deux policiers avaient vu l’auteur le 20 juin 1997 en Galice, dans un des endroits où la drogue avait transité, en conversation avec un certain M. Canavaggio, l’une des personnes arrêtées le 21 juin 1997. À la suite de ce nouveau rapport, le juge a ouvert dans le dossier une pièce distincte secrète et a ordonné la mise sur écoute des téléphones que l’auteur utilisait dans l’exercice de sa profession d’avocat. Trois mois plus tard, la police a décidé de cesser les écoutes parce qu’elles ne présentaient aucun intérêt pour l’enquête.

2.3Le 29 avril 1998, l’auteur a été convoqué à une section de la police de Chamartín (Madrid), officiellement pour assurer la défense d’un détenu. Une fois sur place, un policier de Barcelone lui a posé plusieurs questions à propos d’un délit supposé d’atteinte à la santé publique, auquel il a nié avoir pris la moindre part, sans qu’on l’informe de l’existence de charges précises contre lui. Selon l’auteur, tous ces actes étaient illégaux puisqu’ils n’avaient pas été autorisés par le juge.

2.4Le 18 mai 1998, le tribunal d’instruction no 4 d’Arenys de Mar s’est dessaisi de l’affaire. Dans sa décision il ne mentionnait pas l’auteur en tant que participant aux faits délictueux. Le dossier a été transféré au tribunal central d’instruction no 6 de l’Audiencia Nacional, qui a entendu l’auteur pour la première fois le 27 novembre 1998 et l’a informé des charges portées contre lui.

2.5Le juge a ordonné que l’on vérifie si l’auteur avait téléphoné à son client, un certain Laureano Oubiña qui faisait l’objet d’une enquête pour trafic de drogues, entre le 10 et le 25 juin 1997, période pendant laquelle avait eu lieu l’opération en question. On a constaté toutefois que l’auteur n’avait pas appelé M. Oubiña et qu’il n’avait pas reçu d’appel de lui les 19, 20 et 21 juin 1997. Le 9 décembre 1998, lors d’une confrontation, deux policiers ont désigné l’auteur comme étant la personne qui avait été vue le 20 juin 1997 en conversation avec M. Canavaggio en Galice. L’auteur affirme que l’un des policiers était celui qui l’avait convoqué en avril 1998 à la section de police de Chamartín (Madrid), afin de pouvoir connaître son visage et l’accuser ensuite d’avoir été aperçu en compagnie des personnes impliquées dans l’opération de trafic de drogues. Il ajoute en outre que le 20 juin 1997 il se trouvait à Madrid, où il avait déjeuné au restaurant avec les autres conseils de son client M. Oubiña.

2.6Le juge a ordonné la clôture de l’instruction le 16 décembre 1998. Selon l’auteur, la police ne disposait d’aucune preuve concluante de son implication dans le trafic de drogues et voulait en fait obtenir des preuves contre Laureano Oubiña.

2.7Le procès s’est déroulé en mai et juillet 1999 devant la quatrième section de la chambre pénale de l’Audiencia Nacional. Les policiers qui disaient avoir vu l’auteur le 20 juin 1997 en compagnie de l’accusé M. Canavaggio avaient été cités. L’auteur souligne que le témoignage de ces policiers, qui appartiennent au deuxième Groupe des stupéfiants de Barcelone, diffère de celui des policiers du commissariat de Mataró, un autre groupe qui avait participé à l’arrestation des détenus, qui n’ont pas déclaré avoir vu l’auteur. En outre, huit témoins ont affirmé avoir vu le 20 juin 1997, dans un restaurant de Madrid, l’auteur qui déjeunait en compagnie des autres conseils de M. Oubiña. Les policiers qui avaient identifié l’auteur ont déclaré l’avoir fait par reconnaissance photographique, après avoir demandé une photographie aux archives du service des documents nationaux d’identité. L’auteur a obtenu de ce service une note attestant que pendant la période indiquée par les policiers, il n’avait été reçu aucune demande le concernant. Pour prouver que le 20 juin 1997 il se trouvait à Madrid, l’auteur a également produit un rapport d’expertise indiquant qu’il avait signé ce jour-là le registre journalier de comptabilité de son cabinet.

2.8L’Audiencia Nacional n’a pas reconnu la force probante des preuves à décharge présentées par la défense de l’auteur. Elle a estimé que la participation de l’auteur à l’infraction était établie par la déclaration des policiers qui l’avaient vu le 20 juin 1997 et par les appels téléphoniques qu’il avait passés avec son client M. Oubiña entre le 2 et le 26 juin 1997.

2.9Dans un jugement en date du 4 octobre 1999, l’Audiencia Nacional a déclaré M. Oubiña coupable d’atteinte à la santé publique et a condamné également l’auteur, pour la même infraction, à une peine de quatre ans d’emprisonnement et une amende de 1,4 milliard de pesetas.

2.10Le 1er février 2000, l’auteur s’est pourvu en cassation auprès de la deuxième chambre du Tribunal suprême, demandant le réexamen complet de la déclaration de culpabilité et de la peine. Il dénonçait des irrégularités et des erreurs de fait et de droit dans treize motifs d’appel différents. Par un arrêt du 5 juillet 2001, le Tribunal suprême a confirmé la décision contestée. Il a rejeté la demande de réexamen des preuves à charge, faisant valoir qu’elle était étrangère à l’objet du pourvoi, puisque du point de vue technique, il s’agissait d’une question de fait qui ne pouvait être examinée dans un tel cadre. Plus précisément, le Tribunal suprême a affirmé ce qui suit:

«… l’Audiencia Nacional a examiné de manière approfondie les arguments avancés par l’appelant pour sa défense et elle parvenue à la conclusion que la condamnation était fondée sur les témoignages déposés au procès par les fonctionnaires qui suivaient l’affaire et sur les communications téléphoniques avec l’accusé Oubiña. L’appréciation des preuves repose donc sur la crédibilité de témoins qui ont déclaré avoir vu l’appelant occupé à des activités directement liées au transport de la drogue, conduisant l’un des véhicules, etc. Il est donc clair que les raisons données par l’Audiencia Nacional (…) découlent d’appréciations fondées sur des preuves immédiates, c’est - à - dire sur l’écoute directe des déclarations en question et la reconnaissance de leur crédibilité. En conséquence, dans le cadre de la cassation la question est étrangère à l’objet du pourvoi, puisque du point de vue technique il s’agit uniquement d’une question de fait, que cette chambre ne peut pas aborder par la voie du pourvoi.».

2.11Le 31 juillet 2001, l’auteur a déposé un recours en amparo auprès du Tribunal constitutionnel, dénonçant notamment une violation de son droit à un procès présentant toutes les garanties et à la présomption d’innocence, ainsi qu’au droit au double degré de juridiction garanti par le paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte. Par décision du 30 septembre 2002, le Tribunal constitutionnel a refusé d’entrer en matière considérant notamment que le Tribunal suprême avait examiné la déclaration de culpabilité et la condamnation dans le respect des prescriptions du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte.

Teneur de la plainte

3.1Au sujet du pourvoi en cassation, l’auteur affirme qu’il s’agit d’une voie de recours extraordinaire de caractère limité qui exclut une nouvelle appréciation des preuves ou une réévaluation des faits déclarés prouvés dans le jugement de première instance. Le pourvoi a pour objet d’examiner la manière dont les tribunaux d’instance ont appliqué le droit et d’unifier les critères jurisprudentiels, mais il ne permet pas de réexaminer les faits, la qualification, la culpabilité ni la peine.

3.2L’auteur affirme que l’article 5, paragraphe 4, de la loi portant organisation du pouvoir judiciaire tente de pallier les limitations du pourvoi en cassation en permettant, du moins en théorie, d’avancer la violation du droit constitutionnel à la présomption d’innocence au cours de la procédure d’examen du pourvoi, ce qui impose au Tribunal suprême l’obligation de constater que la déclaration de culpabilité est fondée sur des éléments de preuve authentiques et que le jugement est motivé par ceux-ci. Dans la pratique, toutefois, le Tribunal suprême continue de se proclamer juridiction extraordinaire devant laquelle il est impossible de réexaminer les preuves qui ont été administrées en première instance.

3.3L’auteur affirme que le jugement par lequel il a été condamné en première instance n’a pas été réexaminé du point de vue factuel, ce qui a porté atteinte au droit garanti par l’article 26 du Pacte qui dispose que toutes les personnes sont égales devant la loi et ont droit sans discrimination à une égale protection de la loi. Le Tribunal suprême ne s’est pas prononcé sur l’appréciation des preuves par le tribunal de première instance et par conséquent il n’a pas réexaminé les faits déclarés prouvés par celui-ci ni la conviction sur laquelle celui-ci s’est appuyé.

3.4L’auteur ajoute que le pourvoi en cassation contestait la véracité du témoignage des policiers qui avaient déposé contre lui ainsi que l’appréciation de la preuve écrite relative aux appels téléphoniques. Au sujet du premier point, le Tribunal suprême a déclaré ce qui suit: «Il est clair que les raisons données par l’Audiencia Nacional (…) découlent d’appréciations fondées sur des preuves immédiates, c’est-à-dire sur l’écoute directe des déclarations en question et la reconnaissance de leur crédibilité. En conséquence, dans le cadre de la cassation, la question est étrangère à l’objet du pourvoi, puisque du point de vue technique il s’agit uniquement d’une question de fait, que cette chambre ne peut pas aborder par la voie du pourvoi.».

3.5En ce qui concerne les appels téléphoniques, l’auteur a déclaré qu’il y avait eu erreur d’appréciation car l’Audiencia avait considéré que le contenu des conversations entre l’auteur et son client Oubiña manifestait des fins criminelles en l’absence de transcription des appels en question. À ce sujet, le Tribunal suprême a déclaré ce qui suit: «Il est vrai que la défense a déployé d’immenses efforts pour contester cette preuve, mais comme nous l’avons déjà dit, une telle démarche est irrecevable dans le cadre du pourvoi en cassation.». Pour toutes ces raisons, l’auteur conclut que le droit de faire examiner intégralement par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité et la condamnation conformément au paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte a été violé.

3.6L’auteur indique qu’il a déposé une requête auprès de la Cour européenne des droits de l’homme pour violation des articles 5, 6 et 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. Il n’y avançait pas la violation du droit au double degré de juridiction, étant donné que l’Espagne n’a pas ratifié le Protocole no 7 à la Convention. La plainte pour violation de ce droit a été déposée uniquement devant le Comité.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Dans ses observations, datées du 27 avril 2005, l’État partie affirme que la communication doit être déclarée irrecevable pour non-épuisement des recours internes. Dans son pourvoi en cassation, l’auteur n’a pas formulé le grief qu’il entend soulever à présent devant le Comité, ce qui signifie que la condition énoncée à l’article 2 et au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif n’a pas été remplie.

4.2L’État partie déclare en outre que la communication est dénuée de fondement. L’auteur a bénéficié d’un triple degré de juridiction, puisque la décision de l’Audiencia Nacional a été contestée devant le Tribunal suprême, dont l’arrêt a été examiné ensuite par le Tribunal constitutionnel. Le système de réexamen effectif de la condamnation est pleinement établi en Espagne. Il est faux d’affirmer que le pourvoi en cassation est limité à l’analyse de questions de droit et de forme et qu’il ne permet pas de réexaminer les preuves. À l’heure actuelle, en vertu de l’article 852 de la loi de procédure pénale, le pourvoi en cassation peut être formé en invoquant la violation d’un principe constitutionnel. En outre, à travers l’invocation du droit à un procès présentant toutes les garanties et du droit à la présomption d’innocence, au titre du paragraphe 2 de l’article 24 de la Constitution, le Tribunal suprême peut vérifier non seulement le respect des garanties légales et constitutionnelles ayant trait à la preuve administrée sur laquelle repose le jugement, mais aussi le point de savoir si cette preuve est suffisante pour déclarer la culpabilité. De ce fait, l’appelant a disposé d’une voie de recours qui a permis au Tribunal suprême de procéder à un «réexamen complet», en ce sens que celui-ci a pu examiner non seulement les points de droit, mais aussi les points de fait sur lesquels a reposé l’appréciation de la preuve.

4.3Le Tribunal suprême, en analysant le grief de violation du droit à la présomption d’innocence de l’appelant, se fonde sur des appréciations antérieures de la preuve à charge (témoignage des policiers qui ont déposé contre l’appelant), considérant que la preuve en question a été administrée dans le strict respect des garanties légales et qu’elle a été appréciée par la juridiction de jugement de manière «approfondie et logique», raison pour laquelle il estime que la preuve à charge a suffisamment de valeur probante pour faire tomber la présomption d’innocence. Cela, conjugué aux autres éléments du fondement juridique de l’arrêt dans lequel le Tribunal suprême répond aux diverses questions soulevées dans le pourvoi, permet d’affirmer qu’en l’espèce, les prescriptions ayant trait au double degré de juridiction ont été respectées puisque l’on a vérifié non seulement les aspects formels et légaux, mais aussi les aspects factuels.

4.4Compte tenu de ce qui précède, l’État partie conclut que la communication est manifestement dénuée de fondement et que l’auteur se sert du Pacte dans un but clairement contraire à sa finalité, raisons pour lesquelles elle doit être déclarée irrecevable en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif.

Commentaires de l’auteur

5.En date du 6 juillet 2005, l’auteur a répondu aux observations de l’État partie. Il déclare qu’en formant un pourvoi en cassation, il a demandé à l’unique juridiction supérieure compétente (le Tribunal suprême) le réexamen complet de la peine prononcée par l’Audiencia Nacional. Or le Tribunal n’a réexaminé ni les éléments de fait sur lesquels s’appuyait la déclaration de culpabilité ni leur appréciation par l’Audiencia; à ce sujet, le Tribunal a avancé l’argument que dans le cadre du pourvoi en cassation il ne pouvait pas examiner ou réexaminer les contradictions existant entre les témoignages à charge des policiers et les témoignages à décharge des témoins cités par l’auteur, de même qu’il ne pouvait ou ne souhaitait pas examiner l’erreur dont était entachée la preuve constituée par les appels téléphoniques, dont il n’y avait eu aucune trace durant la période pertinente. L’auteur s’est en outre adressé au Tribunal constitutionnel, devant lequel il a dénoncé la violation du droit à un double degré de juridiction pénale. Or, non seulement celui-ci n’a pas réexaminé la preuve ni le raisonnement sur lesquels s’appuyait la déclaration de culpabilité, mais il n’a pas examiné non plus la plainte relative à la violation du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte, puisqu’il s’est limité à déclarer l’affaire irrecevable sans en examiner le fond. En conséquence, l’auteur nie que ses prétentions constituent un abus et qu’elles soient dénuées de fondement.

Décision du Comité concernant la recevabilité de la communication

6.1À sa quatre-vingt-treizième session, le 30 juin 2008, le Comité a examiné la question de la recevabilité de la communication.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément aux dispositions du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même affaire n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3En ce qui concerne l’argument de l’État partie qui objectait que les recours internes n’avaient pas été épuisés, le Comité a relevé que l’auteur avait soulevé son grief de violation du droit au double degré de juridiction devant le Tribunal constitutionnel et que celui‑ci avait statué. De plus, l’État partie n’avait pas indiqué quel autre recours utile l’auteur aurait pu tenter. Le Comité a conclu par conséquent que les recours internes avaient été épuisés.

6.4Le Comité a considéré que la plainte soulevait des questions au regard du paragraphe 5 de l’article 14 et a considéré qu’elle était suffisamment étayée, aux fins de la recevabilité. Il l’a donc déclarée recevable.

Observations de l’État partie sur le fond et commentaires de l’auteur

7.1Dans ses observations sur le fond, datées du 21 janvier 2009, l’État partie renvoie aux observations qu’il avait présentées le 25 juillet 2005 et réaffirme que la communication est manifestement dénuée de fondement. Il réaffirme que dans la présente affaire, il suffit de lire l’arrêt de cassation pour voir que le Tribunal suprême a procédé à un réexamen complet de l’affaire, non seulement des points de droit mais également des faits et des preuves.

7.2L’État partie invoque les décisions du Comité dans lesquelles celui-ci a établi que le recours en cassation était suffisant pour satisfaire au paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte.

8.1Dans ses commentaires, datés du 12 mars 2009, l’auteur procède à un récapitulatif chronologique de l’évolution de la jurisprudence espagnole en ce qui concerne la compatibilité entre le recours en cassation et le droit au double degré de juridiction garanti par le paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte. Il fait valoir qu’il a formé son pourvoi en février 2000, c’est-à-dire cinq mois avant que le Comité ne rende sa décision dans l’affaire Gómez Vázquez. Il relève en outre ce qu’il appelle des contradictions dans la jurisprudence du Tribunal suprême qui, alors qu’il avait fait savoir qu’il ferait une interprétation étendue des textes pour le recours en cassation suite à l’affaire Gómez Vázquez, dans l’arrêt du 5 juillet 2001 rendu sur le pourvoi de l’auteur, il ne procède pas à un réexamen de l’appréciation des preuves, considérant qu’il s’agit d’une question de fait étrangère à l’objet du recours.

8.2L’auteur rappelle qu’il a été condamné sur la base des appels téléphoniques reçus et envoyés sur son téléphone professionnel pendant la préparation et l’accomplissement du délit. Or il fait valoir qu’il s’agit d’une erreur flagrante puisque la preuve matérielle elle-même montre qu’il n’y a pas eu d’appel téléphonique entre l’auteur et M. Oubiña entre le 18 et le 22 juin 1997 (voir par. 2.5 et 5). Il ajoute que, alors que de très nombreuses preuves contredisaient les témoignages des fonctionnaires de la police qui avaient affirmé avoir vu l’auteur sur les lieux des faits, le Tribunal suprême n’a pas examiné l’appréciation de la preuve réalisée par l’Audiencia Nacional (voir par. 2.8).

Délibérations du Comité

Examen au fond

9.1Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication à la lumière de tous les renseignements communiqués par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

9.2En ce qui concerne le paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte, l’auteur fait valoir qu’il n’a pas bénéficié d’un réexamen complet de sa condamnation, et en particulier de la preuve à charge, comme l’exige cette disposition. À ce sujet, le Comité relève que le Tribunal suprême a déclaré que la preuve était une question de fait étrangère au pourvoi en cassation, qui ne pouvait pas être abordée par cette voie.

9.3Le Comité rappelle que si le paragraphe 5 de l’article 14 n’exige pas qu’il soit procédé à un nouveau procès ou à une nouvelle audience, le tribunal qui procède au réexamen doit pouvoir analyser les faits de la cause, y compris la preuve à charge. Or, comme il est rappelé au paragraphe précédent, le Tribunal suprême a affirmé qu’il ne pouvait pas revenir sur l’appréciation de la preuve réalisée par la juridiction de première instance étant donné la nature du pourvoi en cassation qui est «limité à des questions de droit». Le Comité conclut que quand il a réexaminé l’affaire le Tribunal suprême s’est limité à vérifier que la preuve, telle qu’elle avait été appréciée par la juridiction de jugement, était licite, sans procéder à une appréciation de sa valeur probante relativement aux faits sur qui avaient justifié le jugement de condamnation et la peine prononcée. En conséquence, le réexamen par le Tribunal constitutionnel n’a pas constitué un examen de la déclaration de culpabilité et de la condamnation au sens exigé par le paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte.

10.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte.

11.En vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’offrir à l’auteur un recours approprié qui permette le réexamen par une juridiction supérieure de la déclaration de culpabilité et de la condamnation. L’État partie est également tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir et de prendre des mesures pour s’acquitter pleinement des obligations imposées par le paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte.

12.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’Espagne a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y a eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, elle s’est engagée à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité en outre à rendre publiques les présente constatations.

[Adopté en espagnol (version originale), en anglais et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Appendice

Opinion individuelle (dissidente) de M. Krister Thelin

La majorité des membres du Comité a conclu à une violation du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte.

Je me permets de ne pas être d’accord avec cette décision.

Le paragraphe 5 de l’article 14 ne demande pas un nouveau procès ni une nouvelle audience mais exige qu’au minimum le tribunal qui procède lui-même à l’examen passe suffisamment en revue les faits dont la juridiction inférieure avait été saisie. Une révision qui concerne uniquement les aspects formels ou juridiques du verdict sans tenir aucun compte des faits n’est pas suffisante en vertu du Pacte (Observation générale no 32, par. 48, et Gómez Vázquez c. Espagne, par. 11.1).

Dans la présente affaire, il ressort de la lecture de l’arrêt que le Tribunal suprême a effectivement pris en considération la crédibilité des témoins entendus par la juridiction inférieure, quand il a examiné l’appel. Cela constitue, à mon sens, un examen des faits par le tribunal chargé du recours suffisant pour satisfaire aux prescriptions du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte.

Pour cette raison, je pense qu’il n’y a pas eu violation du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte.

(Signé) Krister Thelin

[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]