Nations Unies

CCPR/C/97/D/1425/2005

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. restreinte*

23 novembre 2009

Français

Original: anglais

C omité des droits de l’homme

Quatre-vingt -dix-septième session

12-30 octobre 2009

Constatations

Communication no 1425/2005

Présentée par:

Anton Marz (non représenté par un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Fédération de Russie

Date de la communication:

14 mars 2005 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 13 novembre 2007 (non publiée sous forme de document)

Date de l’adoption des constatations:

21 octobre 2009

Objet:

Application rétroactive de la loi avec atténuation de la peine

Questions de procédure:

Irrecevabilité ratione materiae

Questions de fond:

Droit à l’égalité devant les tribunaux; droit de toute personne à ce que sa cause soit entendue par un tribunal compétent; application rétroactive de la loi avec atténuation de la peine; discrimination fondée sur le sexe et la situation sociale

Articles du Pacte:

9 (par. 1 et 5), 14 (par. 1 et 3 d)), 15 (par. 1), et 26

Article du Protocole facultatif:

3

Le 21 octobre 2009, le Comité des droits de l’homme a examiné le texte ci-après en tant que constatations concernant la communication no 1425/2005 au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif.

[Annexe]

Annexe

Constatations du Comité des droits de l’homme au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (quatre-vingt-dix-septième session)

concernant la

Communication no 1425/2005 **

Présentée par:

Anton Marz (non représenté par un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Fédération de Russie

Date de la communication:

14 mars 2005 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 21 octobre 2009,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1425/2005 présentée au nom de Anton Marz en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.L’auteur de la communication est M. Anton Marz, de nationalité russe, né en 1962, qui exécute actuellement une peine de réclusion à perpétuité dans la Fédération de Russie. Il se déclare victime de violations par la Fédération de Russie des droits qu’il tient des articles 9 (par. 1 et 5), 14 (par. 1 et 3, al. b et d), 15 (par. 1), et 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 1er janvier 1992.

Exposé des faits

2.1Le 17 novembre 1994, le tribunal régional de Krasnoïarsk a déclaré l’auteur coupable de viols multiples, de meurtre, de tentative de meurtre et de détention et utilisation illégales d’armes à feu, et l’a condamné à mort. Le 5 avril 1995, la Cour suprême a confirmé la décision du tribunal régional.

2.2En vertu d’un décret de grâce pris par le Président de la Fédération de Russie le 2 avril 1999, la condamnation à mort a été commuée en peine de réclusion à perpétuité, conformément au paragraphe 3 de l’article 59 du Code pénal du 1er janvier 1997.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur fait valoir que la commutation de sa condamnation à mort en peine de réclusion à perpétuité constitue une violation du paragraphe 1 de l’article 15 du Pacte. À l’appui de ce grief, il explique qu’entre 1992 et 1993, quand ont eu lieu les faits en cause, le Code pénal en vigueur était celui de la République socialiste fédérative soviétique de Russie, du 27 octobre 1960, qui ne prévoyait pas la réclusion à perpétuité au nombre des peines applicables. Selon l’auteur, l’article 24 de ce code prévoyait qu’en cas de grâce la condamnation à mort était commuée en emprisonnement de quinze ans. Il fait valoir par conséquent qu’en commuant sa peine en réclusion à perpétuité, conformément au paragraphe 3 de l’article 59 du Code pénal du 1er janvier 1997, on lui a imposé une peine plus lourde que celle qui était prévue par la loi applicable au moment où les infractions pénales qui lui ont valu d’être condamné avaient été commises.

3.2L’auteur affirme qu’il a épuisé tous les recours internes disponibles.

Observations et commentaires des parties

4.1Les parties ayant envoyé un grand nombre de lettres qui se répètent inévitablement, leurs arguments ont été regroupés ici par objet.

Application rétroactive de la loi avec atténuation de la peine

4.2L’auteur fait valoir que le décret de grâce présidentielle du 2 avril 1999 est en contradiction avec le décret no 3P du 2 février 1999 de la Cour constitutionnelle, par lequel celle-ci a déclaré que la peine de mort était illégale et contraire aux articles 19, 20 (par. 2) et 46 de la Constitution. Il affirme qu’en application de ce décret constitutionnel sa condamnation à mort aurait dû être annulée et sa peine aurait dû être modifiée conformément aux dispositions en vigueur, à savoir le paragraphe 1 de l’article 10 du Code pénal et le paragraphe 2 de l’article 54 de la Constitution. Lorsque le Président de la Fédération de Russie a pris le décret de grâce du 2 avril 1999, la peine de mort avait déjà été abolie par le décret no 3P du 2 février 1999 de la Cour constitutionnelle. L’auteur ajoute que l’ancien Code pénal de la République socialiste fédérative soviétique de Russie faisait seulement une distinction entre «crimes» et «crimes graves», tandis que le Code pénal de la Fédération de Russie du 1er janvier 1997 a introduit une nouvelle catégorie de «crimes particulièrement graves». L’auteur a été condamné pour des «crimes graves» prévus par l’ancien code, alors qu’au regard du nouveau code, ses actes relèvent de la catégorie des «crimes particulièrement graves», qui emportent des peines plus sévères. En vertu du paragraphe 1 de l’article 10 du Code pénal, le nouveau texte n’aurait pas dû lui être appliqué.

4.3Dans une note en date du 23 novembre 2005, l’État partie objecte que l’argument de l’auteur, qui affirme que le décret de grâce présidentielle du 2 avril 1999 l’a placé dans une situation moins avantageuse que celle que lui aurait valu l’application de la loi en vigueur au moment où les crimes ont été commis, est dénué de fondement. En vertu de l’article 102 du Code pénal de la République socialiste fédérative soviétique de Russie, la peine maximale prévue pour des crimes tels que ceux commis par l’auteur était la peine de mort. Conformément au paragraphe 1 de l’article 24 de ce même code (dans sa version du 17 décembre 1992, qui était celle en vigueur au moment où les crimes ont été commis), la condamnation à mort pouvait être commuée en peine de réclusion à perpétuité. Dans son arrêt du 11 janvier 2002, la Cour constitutionnelle a déclaré que «la grâce en tant qu’acte de clémence ne peut pas avoir pour le condamné des conséquences plus lourdes que celles qui étaient prévues par la législation pénale et qui ont été décidées par un tribunal dans une affaire précise». Pour l’État partie, la commutation d’une sentence de mort en une peine plus légère, conforme au Code pénal, ne saurait être considérée comme une aggravation de la situation du condamné. Il estime qu’il n’y a pas eu violation des droits constitutionnels, ni de l’article 10 du Code pénal, ni des normes du droit international. Il réfute l’argument que l’auteur tire du décret de la Cour constitutionnelle, expliquant que celle-ci n’a fait qu’établir une date (le 2 février 1999) au-delà de laquelle aucune condamnation à mort ne pouvait être prononcée par un tribunal, qu’il s’agisse d’un tribunal avec jury, d’un collège de trois juges professionnels ou d’un juge professionnel assisté de deux juges non professionnels. Or la condamnation de l’auteur a été prononcée le 17 novembre 1994 et est devenue exécutoire le 11 avril 1995.

Allégations d’irrégularités de procédure relativement au décret de grâce

4.4Dans une lettre du 27 septembre 2006, l’auteur indique que d’après les «Dispositions sur l’examen des recours en grâce dans la Fédération de Russie», approuvées par le décret présidentiel du 28 décembre 2001, tout condamné qui souhaite former un recours en grâce doit s’adresser par écrit au Président de la Fédération de Russie et motiver sa demande. Dans son cas cependant le décret de grâce a été pris sans qu’il y ait consenti ni fait une demande par écrit. L’auteur affirme qu’il a demandé dans son pourvoi en cassation devant la Cour suprême que l’affaire soit renvoyée pour complément d’enquête, et qu’il n’a adressé aucun recours au Président. Il s’agit de deux démarches distinctes, avec des documents juridiques distincts. L’auteur affirme également que le décret de grâce présidentielle n’a pas été publié, ce qui est contraire au paragraphe 3 de l’article 15 de la Constitution. Selon lui, c’est également contraire au décret présidentiel no 763 du 23 mai 1996 intitulé «De la publication et de l’application des textes adoptés par le Président et le Gouvernement de la Fédération de Russie et des textes réglementaires des organes exécutifs fédéraux». Il ajoute qu’il n’a pas pu prendre connaissance du décret de grâce présidentielle car il n’a pas pu en obtenir une copie, ce qui est contraire au paragraphe 2 de l’article 24 de la Constitution ainsi qu’au décret présidentiel du 4 août 1983 intitulé «De la délivrance et certification de documents concernant les droits des citoyens par les entreprises, organisations et autres établissements». Le décret de grâce présidentielle du 2 avril 1999 ne figure pas dans le dossier de l’affaire. Celui-ci n’en contient que des extraits, qui ne sont pas signés par le Président et qui sont donc nuls et de nul effet. Dans le recours en appel qu’il a présenté au bureau du Procureur général, l’auteur a joint une copie des «extraits» du décret et non le texte intégral. En vertu de l’article 85 du Code pénal et de l’article 89 (al. b) de la Constitution, le Président peut accorder des grâces individuelles, mais entre février et juin 1999, il a gracié plus de 600 personnes par 12 décrets, ce qui signifie que les grâces n’étaient pas accordées individuellement. L’auteur indique aussi que le paragraphe 3 de l’article 15 de la Constitution et le décret présidentiel no 763 du 23 mai 1996 intitulé «De la publication et de l’application des textes adoptés par le Président et le Gouvernement de la Fédération de Russie et des textes réglementaires des organes exécutifs fédéraux» ne prévoient aucune exception ou restriction à la publication dans la presse des décrets et lois relatifs aux libertés et droits de l’homme.

4.5L’État partie nie que l’auteur n’ait pas demandé la grâce présidentielle ni reçu une copie du décret correspondant. D’après les informations contenues dans le dossier de l’affaire, l’auteur a bien formé un recours en grâce, dans lequel il demandait «le renvoi de l’affaire pour complément d’enquête». Quant à la référence qu’il fait aux «Dispositions sur l’examen des recours en grâce dans la Fédération de Russie» en date du 28 décembre 2001, elle n’est pas pertinente puisque ces dispositions ont été approuvées par le Président après le décret de grâce présidentielle du 2 avril 1999. Des extraits du décret de grâce présidentielle figurent dans le dossier de l’affaire. L’auteur a reçu un exemplaire du décret le 9 juin 1999. Il en a joint une copie dans son recours en appel devant le bureau du Procureur général.

Allégations de privation illégale de liberté

4.6L’auteur indique que conformément à l’article 90 de la Constitution «les décrets et ordonnances officielles et non officielles du Président de la Fédération de Russie doivent être appliqués par les tribunaux, pour autant qu’ils soient conformes à la Constitution et aux lois fédérales». Il affirme que le dossier de l’affaire ne contient aucune décision de justice confirmant la commutation de la condamnation à mort en peine de réclusion à perpétuité. Il affirme également qu’il est en train d’exécuter une peine de réclusion à perpétuité illégale, puisque celle-ci n’est fondée que sur des «extraits» du décret présidentiel, dépourvus de signature et de numéros d’enregistrement d’entrée ou de sortie. Le tampon apposé sur le document est très simple, sans emblème officiel, ce qui signifie, selon l’auteur, que les «extraits» ne sont pas conformes aux exigences des normes officielles no p-6 30-97 et n’ont donc pas de valeur légale. Il ressort de ces «extraits» que la grâce a été accordée par le Président, lequel a déterminé la peine, ce qui est contraire à l’article 118 de la Constitution et à l’article 8 du Code de procédure pénale, qui disposent que seuls les tribunaux peuvent prononcer une peine. Il est précisé dans le commentaire relatif à l’article 8 que «quel que soit sa position ou son rang, un fonctionnaire n’a pas le droit d’établir, de déterminer ou de choisir une peine». L’auteur fait valoir qu’en l’absence de décision de justice le condamnant à la réclusion à perpétuité, la peine qu’il est en train d’exécuter est illégale. Le Président peut prendre un décret de grâce et demander une autre peine, mais c’est le tribunal qui doit appliquer le décret et déterminer la peine à prononcer conformément au Code pénal de la République socialiste fédérative soviétique de Russie, qui était en vigueur au moment où les crimes ont été commis. Dans le jugement du 17 novembre 1994, il n’est pas fait mention de la date à laquelle l’exécution de la peine d’emprisonnement devait commencer, ni du type d’établissement dans lequel elle devait être exécutée, ni du régime pénitentiaire applicable, ce qui est contraire à l’article 302, paragraphe 7, du Code de procédure pénale et à l’article 308, paragraphe 6.1, du Code pénal. L’auteur affirme que sa condamnation à mort n’a pas été modifiée, puisque aucun tribunal n’a décidé de la remplacer par une peine de réclusion à perpétuité, ce qui signifie que sa détention dans la colonie pénitentiaire no 6 est illégale. Il affirme aussi que le droit de soulever des questions liées à l’exécution de sa peine, selon les dispositions du chapitre 47 du Code de procédure pénale et des articles 78 à 140 du Code d’application des peines, a été violé. En conséquence, les droits qu’il tient des paragraphes 1 et 5 de l’article 9 du Pacte ont été violés.

4.7De son côté, l’État partie réfute les allégations de l’auteur et affirme que la commutation de la condamnation à mort en peine de réclusion à perpétuité a été décidée par le Président non pas dans le cadre d’une procédure pénale qui s’est achevée par le prononcé d’une peine, mais dans l’exercice du droit de grâce reconnu au Président par la Constitution. Il n’était donc pas nécessaire que la grâce soit approuvée par une décision de justice supplémentaire.

Droit de toute personne à ce que sa cause soit entendue par un tribunal compétent établi par la loi

4.8L’auteur affirme que la décision rendue par le tribunal régional de Krasnoïarsk est illégale. Il fait valoir que les affaires pénales concernant des crimes emportant la peine de mort doivent être examinées par un tribunal collégial de trois juges professionnels ou par un tribunal avec jury, conformément au paragraphe 2 de l’article 15 du Code de procédure pénale de la République socialiste fédérative soviétique de Russie. Or dans son cas, la condamnation à mort a été prononcée par un juge professionnel assisté de deux juges non professionnels, en vertu du paragraphe 1 de l’article 15. Il affirme que sa condamnation a été prononcée par un collège de juges illégalement constitué, en violation du paragraphe 2 de l’article 381 du Code de procédure pénale, ce qui la rend aussi contraire à l’article 14 du Pacte. Il avait insisté pour être jugé par trois juges professionnels. L’auteur ajoute que l’arrêt rendu par la Cour suprême le 5 avril 1995 est lui aussi illégal, en raison d’importants manquements à la loi de procédure pénale. L’arrêt n’aurait été signé que par un seul juge, qui n’était même pas le président du tribunal, en violation du paragraphe 3.10 de l’article 381 du Code de procédure pénale. Il s’ensuit que le jugement du 17 novembre 1994 n’a pas été «confirmé» et n’est donc pas encore devenu exécutoire. Selon l’article 48 du Code pénal de la République socialiste fédérative soviétique de Russie, la responsabilité pénale pour les crimes graves se prescrit par dix ans. L’auteur affirme qu’il devrait donc être libéré, puisqu’il a déjà passé treize ans en prison. Il considère que les décisions de justice rendues à son sujet sont nulles et sans effet, et qu’en conséquence le décret de grâce présidentielle du 2 avril 1999 est lui aussi illégal.

4.9L’État partie reconnaît que l’auteur avait demandé que sa cause soit examinée par trois juges professionnels. L’article 15 du Code de procédure pénale alors en vigueur disposait qu’une affaire pénale pouvait être examinée soit par un collège de juges, soit par un juge unique. Dans le premier cas, le collège de juges était composé d’un juge professionnel et de deux juges non professionnels. Devant toutes les juridictions à l’exception des tribunaux de district (municipaux), une affaire pouvait être examinée par un collège de trois juges professionnels, sur décision de la juridiction concernée et avec le consentement de l’accusé. C’était donc au tribunal lui-même qu’il appartenait de choisir la composition du collège. L’État partie affirme que l’auteur n’a pas contesté la composition du tribunal qui l’a jugé, ni soumis la moindre demande à ce sujet. Pour les affaires où l’accusé risque la peine de mort, la réclusion à perpétuité ou un emprisonnement supérieur à quinze ans, le tribunal doit nécessairement être formé de trois juges professionnels, mais cette règle n’a été introduite qu’avec la loi fédérale no160 du 21 décembre 1996, soit après la condamnation de l’auteur.

4.10L'’État partie affirme que l’arrêt de cassation a été signé par tous les juges. L’un des juges de la Cour suprême en a vérifié une copie, comme il se doit. L’auteur a introduit une demande de contrôle en révision, qui a été rejetée par la Cour suprême le 11 avril 2005. Le Vice-Président de la Cour suprême a confirmé la décision.

Allégations de violation du principe de l’égalité devant les tribunaux

4.11Pour l’auteur, le fait que sa cause n’ait pas été examinée par un tribunal avec jury constitue une violation de l’article 20, paragraphe 2, et de l’article 123, paragraphes 3 et 4, de la Constitution. Lorsqu’il a été condamné, un jury n’avait pas encore été constitué dans la région de Krasnoïarsk; il y a donc eu violation du principe de l’égalité devant les tribunaux et, partant, violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte.

4.12L’État partie fait valoir que l’argument de l’auteur, qui affirme que le droit d’être jugé par un jury a été violé car il est contredit par les lois en vigueur au moment où l’affaire a été jugée. Le paragraphe 6 du Titre 2 («Dispositions finales et transitoires») de la Constitution de la Fédération de Russie dispose que jusqu’à l’entrée en vigueur de la loi fédérale établissant la procédure d’examen d’une affaire par un tribunal avec jury, la procédure antérieure d’examen pour cette catégorie d’affaires est maintenue. Les dispositions du chapitre 10 du Code de procédure pénale de la République socialiste fédérative soviétique de Russie («Procédure des tribunaux avec jury»), en particulier l’article 421 lu conjointement avec l’article 36, prévoient que les affaires concernant un crime emportant la peine capitale sont examinées par un tribunal avec jury dans le cas des juridictions régionales, de district et municipales, sur la demande de l’accusé. En même temps, l’article 420 du Code dispose que la Cour suprême détermine dans quelles régions sont mis en place des tribunaux avec jury. Le paragraphe 2.2 de l’article 30 du Code de procédure pénale, relatif à la constitution du tribunal avec jury, n’est devenu applicable dans la région de Krasnoïarsk que le 1er janvier 2003, conformément au paragraphe 2 de l’article 8 de la loi fédérale no 177 du 18 décembre 2001 relative à l’entrée en vigueur du Code de procédure pénale de la Fédération de Russie.

Allégations de discrimination fondée sur le sexe et la situation sociale

4.13L’auteur fait valoir qu’il a été victime de discrimination en raison de son sexe et de sa «situation sociale», en violation de l’article 26 du Pacte, du fait que les articles 57 et 59 du Code pénal excluent l’imposition de la peine de mort ou de la réclusion à perpétuité aux femmes. L’État partie n’a pas expliqué pourquoi cette exception prévue par la loi ne peut pas être considérée comme discriminatoire alors qu’elle est contraire à la Constitution, qui garantit aux hommes et aux femmes les mêmes droits et libertés. L’auteur affirme également que le droit de faire réexaminer sa condamnation à la lumière d’éléments nouveaux − en l’occurrence, le décret no 3P du 2 février 1999 de la Cour constitutionnelle − a été bafoué, à cause de sa situation sociale. Le recours qu’il avait formé devant la Cour suprême a été rejeté en raison de son caractère répétitif.

4.14L’État partie objecte que le fait que la peine de mort ne soit pas applicable aux femmes, de même qu’aux mineurs et aux hommes de plus de 65 ans, comme il est énoncé au paragraphe 2 de l’article 23 du Code pénal, ne saurait être considérée comme discriminatoire à aucun égard.

Allégations de non-respect de la procédure pénale

4.15L’auteur affirme que les irrégularités de procédure qui ont été commises pendant l’enquête préliminaire, le procès et l’audience de cassation auraient dû conduire à l’annulation de sa condamnation, car elles constituent une violation des droits consacrés par le paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte. Il affirme qu’il n’y avait pas d’avocat présent pendant la plupart des actes de l’enquête ni au moment où lui-même a été informé des éléments de l’affaire, que le collège de juges qui a examiné l’affaire avait été constitué illégalement, qu’il n’a pas signé le compte rendu d’audience et n’en a pas reçu de copie, ce qui signifie qu’il n’a pas pu faire de commentaires à ce sujet, que ni son avocat ni lui-même n’ont assisté à l’audience de cassation devant la Cour suprême, et qu’il n’a pas pris connaissance du pourvoi en cassation préparé par son avocat. Il souligne que l’assistance d’un avocat est obligatoire dans toute affaire où l’accusé est passible de la peine capitale, même si celui-ci refuse cette assistance. Selon lui, la Cour suprême n’a pas rectifié ces erreurs, car elle n’a pas examiné l’affaire de manière approfondie et n’a pas reconnu qu’il avait été privé du droit d’être assisté d’un avocat conformément à l’article 332 du Code de procédure pénale de la République socialiste fédérative soviétique de Russie. L’auteur invoque par conséquent une violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte. Le Comité note que ces allégations semblent soulever également des questions au regard du paragraphe 3 b) et d) de l’article 14.

4.16L’État partie affirmede son côté que les informations contenues dans le dossier de l’affaire démentent les allégations de l’auteur concernant l’absence d’avocat pendant la plupart des actes de l’enquête. Il affirme que lorsqu’il a statué sur l’affaire le tribunal s’est fondé uniquement sur les témoignages qui avaient été recueillis en présence de l’avocat de l’auteur. Les déclarations de l’auteur en tant qu’accusé avaient également été recueillies en présence d’un avocat. Seuls les trois premiers interrogatoires effectués alors qu’il n’était que suspect et un interrogatoire après l’inculpation avaient eu lieu sans avocat, l’auteur ayant refusé lui-même les services d’un avocat au motif qu’il n’avait pas besoin de l’aide juridictionnelle. D’après l’article 50 du Code de procédure pénale de la République socialiste fédérative soviétique de Russie, en vigueur au moment où l’enquête a été conduite, toute personne inculpée a le droit de refuser les services d’un avocat à tout moment de la procédure. L’État partie nie aussi que l’auteur ait été informé des éléments de l’affaire en l’absence d’un avocat. Selon lui, l’auteur voulait étudier le dossier séparément de son avocat, comme le permettent les règles applicables. Sa demande a été acceptée. C’est donc à tort qu’il affirme avoir été privé de la présence d’un avocat lorsqu’il a pris connaissance du dossier. L’État partie affirme de plus qu’une copie du pourvoi en cassation formé par l’avocat de l’auteur, qui représentait ce dernier devant le tribunal, a été envoyée à l’intéressé le 16 janvier 1995. L’article 335, paragraphe 2, du Code de procédure pénale de la République socialiste fédérative soviétique de Russie dispose que seuls les avocats peuvent assister à l’audience de cassation. La participation de l’accusé est décidée par le tribunal concerné. En l’espèce, la présence de l’auteur à l’audience de cassation n’a été demandée ni par l’intéressé ni par son avocat.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

5.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

5.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Il note en outre que l’auteur a épuisé les recours internes, ce que reconnaît l’État partie.

5.3Le Comité note que l’auteur considère sa privation de liberté comme illégale en raison de plusieurs irrégularités de procédure, ce qui constitue une violation des paragraphes 1 et 5 de l’article 9 du Pacte. Le Comité prend note également du grief de l’auteur qui affirme que le jugement rendu ne mentionne pas la date à laquelle devait commencer l’exécution de la peine d’emprisonnement ni le type d’établissement dans lequel elle devait être exécutée ni le régime pénitentiaire applicable, ce qui est contraire aux dispositions du Code de procédure pénale. Le Comité constate cependant que la condamnation de l’auteur repose sur une décision de justice, ce qui signifie qu’elle est fondée en droit, et que la teneur des informations devant figurer dans un jugement conformément à la législation interne de l’État partie ne relève pas du champ d’application du Pacte. Il considère par conséquent que cette partie de la communication est incompatible ratione materiae avec les dispositions du Pacte et donc irrecevable au regard de l’article 3 du Protocole facultatif.

5.4Le Comité prend note du grief tiré de l’article 26 du Pacte concernant la discrimination exercée dans l’application de la peine capitale et de la réclusion à perpétuité, pour des motifs tenant à la situation sociale et au sexe de l’auteur. Pour ce qui est du grief relatif à la situation sociale, l’auteur n’a pas suffisamment étayé sa plainte aux fins de la recevabilité.

5.5En ce qui concerne le grief de discrimination fondée sur le sexe relativement à la réclusion à perpétuité, la question est indissociable du grief relatif à la peine de mort, étant donné que la réclusion à perpétuité a été décidée comme suite à la commutation de la peine de mort. Concernant l’argument de l’auteur qui fait valoir que le fait que la peine capitale ne soit pas appliquée dans le cas des femmes constitue une discrimination à l’encontre des hommes, le Comité rappelle sa jurisprudence et réaffirme que toutes les différences de traitement ne sauraient être réputées discriminatoires au regard de l’article 26. Étant donné que, conformément à l’article 6 du Pacte, toutes les mesures tendant à l’abolition doivent être considérées comme un progrès dans la jouissance du droit à la vie, le Comité estime que cette exception à l’application de la peine capitale ne peut pas constituer un traitement discriminatoire contraire à l’article 26. En conséquence le grief n’est pas suffisamment étayé aux fins de la recevabilité.

5.6Le Comité considère que les autres griefs soulevés par l’auteur au titre des paragraphes 1 et 3 b)et d)de l’article 14, et du paragraphe 1 de l’article 15 du Pacte ont été suffisamment étayés aux fins de la recevabilité et les déclare donc recevables.

Examen au fond

6.1Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été soumises par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

6.2Le Comité prend note des griefs de l’auteur, qui affirme que sa condamnation a été prononcée par un collège de juges constitué illégalement, que l’arrêt de cassation n’a pas été signé par tous les juges, et que lui-même n’a pas signé le compte rendu d’audience ni reçu une copie de l’arrêt, en violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte. Le Comité prend note également de l’argument de l’État partie, qui affirme qu’en vertu de l’article 15 du Code de procédure pénale de la République socialiste fédérative soviétique de Russie, c’est au tribunal lui-même qu’il appartenait de choisir la composition du collège. L’obligation pour le tribunal d’être formé de trois juges professionnels dès lors que les crimes emportent la peine de mort, la réclusion à perpétuité ou un emprisonnement supérieur à quinze ans a été introduite par la loi fédérale no 160 du 21 décembre 1996, qui est entrée en vigueur après le prononcé de la condamnation de l’auteur, le 17 novembre 1994. Le Comité note aussi que, selon l’État partie, l’original de l’arrêt de cassation a été signé par tous les juges et que seule la copie a été vérifiée par un seul juge, conformément aux règles applicables. L’État partie affirme en outre que l’auteur n’a pas demandé une copie du compte rendu d’audience. Le Comité constate que l’auteur n’a pas réfuté ces arguments. En l’absence de toute autre information utile, il conclut que les faits dont il est saisi ne font pas apparaître de violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte.

6.3Le Comité prend note de l’argument de l’auteur, qui affirme que le décret de grâce présidentielle est en contradiction avec le décret du 2 février 1999 par lequel la Cour constitutionnelle a déclaré que la peine de mort était illégale et contraire à l’article 19, au paragraphe 2 de l’article 20 et à l’article 46 de la Constitution de la Fédération de Russie étant donné que les accusés n’avaient pas tous la possibilité de voir leur cause examinée par un tribunal avec jury. L’auteur fait valoir que lorsque le Président a pris le décret de grâce du 2 avril 1999, la peine de mort avait déjà été abolie par le décret no 3P de la Cour constitutionnelle. Il ajoute que lorsqu’il a été condamné en 1994, un tribunal avec jury n’avait pas encore été institué dans la région de Krasnoïarsk, ce qui constitue selon lui une violation de l’égalité devant les tribunaux. Le Comité note que d’après l’État partie le décret no 3P de la Cour constitutionnelle a établi une date − le 2 février 1999 − au-delà de laquelle la peine de mort ne pouvait plus être prononcée. Il note aussi que, toujours selon l’État partie, le paragraphe 6 du Titre 2 («Dispositions finales et transitoires») de la Constitution dispose que jusqu’à l’entrée en vigueur de la loi fédérale établissant la procédure d’examen d’une affaire par un tribunal avec jury, la procédure antérieure d’examen pour cette catégorie d’affaires doit être maintenue. Le Comité rappelle sa jurisprudence et réaffirme que le Pacte ne prévoit certes aucune disposition garantissant le droit d’être jugé au pénal par un tribunal avec jury, mais que si la législation interne de l’État partie garantit ce droit et que celui-ci est accordé à certaines personnes accusées d’une infraction pénale, il doit être accordé dans des conditions d’égalité aux autres personnes dans la même situation. Toute distinction doit être fondée sur des motifs objectifs et raisonnables. Le Comité relève qu’en vertu de la Constitution de l’État partie la question de savoir si l’accusé peut être jugé par un tribunal avec jury relève du droit fédéral, mais qu’il n’y avait pas de loi fédérale sur cette question. Le fait qu’un État partie ayant une structure fédérale autorise des différences entre les divers éléments de la Fédération en matière de procès avec jury ne constitue pas en soi une violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte.

6.4Le Comité prend note du grief de l’auteur qui affirme qu’il n’y avait pas d’avocat présent pendant la plupart des actes de l’enquête, ni au moment où il a été informé des éléments de l’affaire, et que ni son avocat ni lui-même n’ont assisté à l’audience de cassation, alors que la participation d’un avocat est obligatoire dans toute affaire où l’accusé est passible de la peine capitale, même si celui-ci refuse l’aide juridictionnelle. L’État partie réfute ces allégations, expliquant qu’un avocat a assisté à tous les actes de la procédure hormis aux trois premiers interrogatoires alors que l’auteur n’était que suspect, et à un interrogatoire après son inculpation, et ce parce qu’il avait lui-même refusé les services d’un avocat à ce stade de la procédure. Lorsqu’il avait pris connaissance de l’affaire le concernant, l’auteur avait voulu étudier le dossier séparément de son avocat, et ni lui ni l’avocat n’avaient demandé à participer à l’audience de cassation. L’auteur n’a pas réfuté ces arguments de l’État partie. En l’absence de toute autre information utile, le Comité conclut qu’il n’y a pas eu violation du paragraphe 3 b) et d) de l’article 14 du Pacte.

6.5En ce qui concerne le grief soulevé par l’auteur au titre du paragraphe 1 de l’article 15 du Pacte, au motif qu’en commuant sa sentence capitale en peine de réclusion à perpétuité on lui a imposé une peine plus lourde que celle qui était prévue par la loi applicable au moment où les infractions pénales ont été commises, le Comité note que la loi ne prévoyait pas la peine de réclusion à perpétuité, ce dont l’auteur infère que sa condamnation à mort aurait dû être commuée non pas en réclusion à perpétuité mais seulement en emprisonnement de quinze ans. Le Comité relève cependant que, d’après l’État partie, le paragraphe 1 de l’article 24 du Code pénal de la République socialiste fédérative soviétique de Russie, en vigueur au moment où l’auteur a été condamné, prévoyait que la peine capitale pouvait être commuée en peine de réclusion à perpétuité.

6.6Le Comité prend note des arguments supplémentaires de l’auteur qui affirme que le décret de grâce présidentielle a été pris sans son consentement et sans qu’il en ait fait la demande par écrit, que ce décret n’a pas été publié dans la presse, et qu’il n’était pas individuel pour chaque condamné. L’auteur affirme aussi que la peine de réclusion à perpétuité qu’il exécute est illégale, car elle n’est fondée que sur des «extraits» du décret dépourvus de signature, de numéros d’enregistrement et de tampon avec emblème officiel, et qu’il n’a pas pu prendre connaissance du texte intégral du décret car il n’en a pas eu de copie. L’auteur rappelle que la grâce a été accordée par le Président, mais que seuls les tribunaux peuvent fixer une peine. Enfin, il fait valoir qu’il ne peut pas être soumis aux dispositions du nouveau Code pénal, selon lequel ses crimes relèvent de la catégorie des «crimes particulièrement graves», punis de peines plus sévères. Le Comité fait observer qu’au regard du paragraphe 1 de l’article 15, la nature et l’objet de la peine, sa qualification en droit interne et les procédures liées à sa détermination et à son application font partie de la procédure pénale. Il fait observer également que la grâce est une mesure par essence humanitaire ou de nature discrétionnaire ou motivée par des considérations d’équité, qui n’implique pas qu’il y ait eu une erreur judiciaire. Le Comité estime que la condamnation de l’auteur a été modifiée conformément aux dispositions à la fois de l’ancien Code pénal et du nouveau. Il en conclut qu’il n’y a pas eu violation du paragraphe 1 de l’article 15 du Pacte.

7.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d’avis que les faits dont il est saisi ne font pas apparaître de violation des dispositions du Pacte invoquées par l’auteur.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement aussi en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]