Nations Unies

CCPR/C/97/D/1471/2006

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. restreinte*

23 novembre 2009

Français

Original: espagnol

C omité des droits de l ’ homme

Quatre-vingt-dix-septième session

12-30 octobre 2009

Décision

Communication no 1471/2006

Présentée par:

Luis Rodríguez Domínguez et José Neira Fernández (représentés par un conseil, M. Emilio Ginés Santidrián)

Au nom de:

Les auteurs

État partie:

Espagne

Date de la communication:

6 décembre 2005 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 9 mai 2006 (non publiée sous forme de document)

Date de la présente décision:

27 octobre 2009

Objet:

Portée du recours en cassation dans une affaire pénale

Questions de procédure:

Non‑épuisement des recours internes; défaut de fondement des allégations

Questions de fond:

Droit de faire réexaminer la déclaration de culpabilité et la peine par une juridiction supérieure

Article du Pacte:

14 (par. 5)

Articles du Protocole facultatif:

2 et 5 (par. 2 b))

[Annexe]

Annexe

Décision du Comité des droits de l’homme en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (quatre-vingt-dix-septième session)

concernant la

Communication no 1471/2006**

Présentée par:

Luis Rodríguez Domínguez et José Neira Fernández (représentés par un conseil, M. Emilio Ginés Santidrián)

Au nom de:

Les auteurs

État partie:

Espagne

Date de la communication:

6 décembre 2005 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l ’ homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 27 octobre 2009,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1.1Les auteurs de la communication, datée du 6 décembre 2005, sont Luis Rodríguez Domínguez et José Neira Fernández, de nationalité espagnole, nés en 1952 et 1951, respectivement. Ils affirment être victimes de violation par l’Espagne du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 25 avril 1985. Les auteurs sont représentés par un conseil, M. Emilio Ginés Santidrián.

1.2Le 11 août 2006, le Comité, agissant par l’intermédiaire du Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, a accédé à la demande de l’État partie, qui souhaitait que la recevabilité de la communication soit examinée séparément du fond.

Rappel des faits présentés par les auteurs

2.1Le 13 avril 1998, l’Audiencia Nacional a condamné Luis Rodríguez Domínguez, Inspecteur en chef du Corps national de police à Barcelone, à quatre années d’emprisonnement et à une amende d’un montant de 50 millions de pesetas (300 000 euros) assortie, en cas d’insolvabilité, d’une contrainte par corps d’une durée de trois mois, pour atteinte à la santé publique (trafic de stupéfiants) ainsi qu’à un emprisonnement d’un mois et un jour pour détention d’armes illégale. José Neira Fernández, qui travaille dans l’industrie hôtelière, a lui aussi été condamné pour atteinte à la santé publique, à six années d’emprisonnement et à une amende d’un montant de 50 millions de pesetas, sans contrainte par corps. Les condamnations ont été prononcées dans le cadre d’un procès pour trafic de stupéfiants où 11 personnes étaient accusées.

2.2Les auteurs ont formé devant le Tribunal suprême un recours en cassation dans lequel ils contestaient notamment la manière dont l’Audiencia Nacional avait qualifié les faits qui leur étaient reprochés et dénonçaient la violation du droit à la présomption d’innocence en faisant valoir l’insuffisance des preuves sur lesquelles la condamnation reposait. Le recours a été rejeté par une décision du 13 mars 2000.

2.3Les auteurs ont fourni au Comité une copie du texte de la décision rendue en cassation. En ce qui concerne la qualification des faits, le Tribunal fait référence aux conclusions de l’Audiencia Nacional selon lesquelles les auteurs avaient réalisé une série d’opérations pour s’approvisionner en cocaïne à des fins de trafic, bien qu’il ne soit pas avéré que le projet ait effectivement abouti. L’Audiencia Nacional, se référant à la jurisprudence du Tribunal suprême, a considéré que les faits étaient punissables en tant que tentative d’atteinte à la santé publique. Les auteurs affirment que dans les réquisitions qu’il a adressées au Tribunal, le procureur a estimé que les faits qui leur étaient reprochés ne pouvaient être qualifiés sous aucune des formes de participation à une infraction prévues par le Code pénal, vu qu’aucune quantité de stupéfiants n’avait jamais été détenue. Face à cet argument, le Tribunal a rappelé sa jurisprudence selon laquelle «l’intention de se procurer une chose donnée, qui s’exprime concrètement par des actes visant à l’obtenir, est punissable en tant que tentative lorsqu’elle n’aboutit pas pour des raisons indépendantes de la volonté de l’auteur».

2.4Quant à l’éventuelle violation du droit à la présomption d’innocence, M. Rodríguez Domínguez a fait valoir au Tribunal que ce droit avait bien été violé parce que l’Audiencia Nacional avait conclu à sa participation aux faits à partir d’une simple conversation téléphonique. À ce propos, le Tribunal suprême a examiné le contenu de ladite conversation et a confirmé l’appréciation qu’en avait faite l’Audiencia Nacional.

2.5Les auteurs ont formé devant le Tribunal constitutionnel un recours en amparo qui a également été rejeté. M. Rodríguez a invoqué une violation de ses droits à une procédure judiciaire assortie des garanties prévues par la loi, à la présomption d’innocence et à l’application du principe de légalité pénale, faisant valoir que l’Audiencia Nacional et le Tribunal suprême avaient déformé les faits prouvés, dont le récit ne mettait en évidence aucune activité pouvant être assimilée à une tentative de commission de l’infraction pour laquelle il avait été finalement condamné. De plus, le Tribunal suprême n’avait pas tenu compte du fait que, d’après le procureur, la qualification pénale des faits n’était pas adéquate, puisqu’il s’agissait d’un commencement d’exécution de l’infraction de trafic de stupéfiants. Le recours en amparo de M. Neira était fondé sur l’idée que les condamnations susmentionnées portaient atteinte à ses droits à l’inviolabilité du domicile, au secret des communications, à une procédure judiciaire assortie de toutes les garanties et à la présomption d’innocence.

Teneur de la plainte

3.Les auteurs affirment qu’ils ont été privés de leur droit, garanti au paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte, de faire examiner leur condamnation par une juridiction supérieure. Ils font observer que le procureur du Tribunal suprême a requis l’acquittement au motif que la condamnation n’était pas fondée sur des preuves suffisantes. S’il avait existé dans le droit pénal espagnol un double degré de juridiction assorti de toutes les garanties, avec réexamen des preuves, des faits et des questions de droit dans leur totalité, vu que le procureur avait requis l’acquittement, il n’y aurait pas eu condamnation car il n’y aurait pas eu accusation en deuxième instance. La juridiction de cassation ne réexamine pas les preuves car, comme l’exige la loi, elle s’en remet à l’appréciation qui en a été faite en première instance, en l’espèce par l’Audiencia Nacional.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Dans une note verbale datée du 10 juillet 2006, l’État partie affirme que la communication doit être déclarée irrecevable. Il soutient que dans leur recours en cassation, les auteurs n’ont soulevé devant le Tribunal suprême aucune question liée à une prétendue limitation du réexamen judiciaire sollicité. Ils ne l’ont pas fait non plus dans leur recours en amparo, bien que le Tribunal constitutionnel ait insisté à plusieurs reprises sur le fait qu’il fallait donner au recours en cassation la portée nécessaire pour satisfaire aux exigences du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte. En conséquence, les auteurs n’ont pas épuisé les recours internes conformément au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

4.2D’après l’État partie, les auteurs n’indiquent pas quels faits précis ils souhaitaient voir réexaminés, réexamen dont ils prétendent qu’il n’a pas eu lieu. Leur plainte n’est pas liée sur le fond au paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte. Elle semble plutôt viser la prétendue introduction d’un fait nouveau par le Tribunal suprême. Or, il n’y a pas de fait nouveau, et le Tribunal suprême a confirmé la décision rendue par l’Audiencia Nacional sans modifier les faits d’une quelconque manière. De plus, le Tribunal a répondu à toutes les questions soulevées par les auteurs. C’est pourquoi l’État partie affirme que la communication doit être déclarée irrecevable parce qu’elle constitue un abus manifeste du droit de présenter des communications au titre du Pacte, conformément aux dispositions de l’article 3 du Protocole facultatif.

Commentaires des auteurs

5.Le 12 février 2009, les auteurs ont réaffirmé que si l’ordre juridique espagnol garantissait le droit au double degré de juridiction, ils auraient été acquittés en deuxième instance, vu que d’après le procureur du Tribunal suprême, il était manifeste que la condamnation prononcée par l’Audiencia Nacional ne reposait pas sur des preuves suffisantes. Dans le système espagnol, c’est le procureur qui maintient l’accusation et sans accusation, le Tribunal ne peut pas prononcer de condamnation.

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément aux dispositions du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même affaire n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Le Comité prend note des allégations de l’État partie qui affirme que les recours internes n’ont pas été épuisés parce que la violation présumée soumise au Comité n’a jamais été invoquée devant les juridictions nationales. Cependant, le Comité rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle seuls doivent être épuisés les recours internes ayant une chance raisonnable d’aboutir. Le recours en amparo n’avait aucune chance d’aboutir dans le cas de la violation du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte qui est alléguée. Par conséquent, le Comité considère que les recours internes ont été épuisés.

6.4Les auteurs affirment qu’ils ont été privés de leur droit, garanti au paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte, de faire réexaminer leur condamnation par une juridiction supérieure, étant donné que le pourvoi en cassation espagnol n’est pas une procédure d’appel et ne permet pas un réexamen des preuves sur lesquelles repose la condamnation. Le Comité fait toutefois observer qu’il ressort de l’arrêt du Tribunal suprême que celui‑ci a examiné chacun des motifs de cassation avancés par les auteurs, y compris les questions relatives à la qualification des faits comme tentative d’atteinte à la santé publique et la conversation téléphonique qui constitue, d’après l’Audiencia Nacional, la preuve de la participation aux faits de M. Rodríguez Domínguez. Le Tribunal est parvenu à la conclusion, conforme à sa propre jurisprudence, que l’appréciation de ces questions par l’Audiencia Nacional avait été correcte. Par conséquent, le Comité considère que le grief tiré du paragraphe 5 de l’article 14 n’a pas été suffisamment étayé aux fins de la recevabilité et qu’il est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:

a)Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur.

[Adopté en espagnol (version originale), en anglais et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]