Nations Unies

CAT/C/MCO/CO/6

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

11 janvier 2017

Original : français

Comité contre la torture

Observations finales concernant le sixième rapport périodique de Monaco *

1.Le Comité contre la torture a examiné le sixième rapport périodique de Monaco (CAT/C/MCO/6) à ses 1468e et 1471e séances (CAT/C/SR.1468 et 1471), les 11 et 14 novembre 2016, et a adopté à sa 1494e séance, le 30 novembre 2016, les observations finales ci-après.

A.Introduction

2.Le Comité accueille avec satisfaction le sixième rapport périodique de Monaco et note avec appréciation que le rapport a été soumis en temps voulu et conformément à la nouvelle procédure simplifiée d’établissement de rapports, qui consiste pour l’État partie à répondre à une liste de points à traiter transmise par le Comité (CAT/C/MCO/QPR/6).

3.Le Comité se félicite du dialogue qu’il a eu avec la délégation de l’État partie, à laquelle il adresse ses remerciements pour les réponses claires, précises et détaillées qu’elle a fournies à l’occasion de ce dialogue.

B.Aspects positifs

4.Le Comité prend note avec satisfaction de l’adhésion ou de la ratification par l’État partie des instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme ci-après pendant la période considérée :

a)Protocole relatif au statut des réfugiés, en 2010 ;

b)Convention du Conseil de l’Europe sur la protection des enfants contre l’exploitation et les abus sexuels, en 2014 ;

c)Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant établissant une procédure de présentation de communications,en 2014 ;

d)Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, en 2014 ;

e)Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains, en 2015 ;

f)Protocole facultatif à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, en 2016.

5.Le Comité prend également note avec satisfaction de :

a)L’entrée en vigueur de la loi no 1.382 du 20 juillet 2011 relative à la prévention et à la répression des violences particulières, de la loi no 1.387 du 19 décembre 2011 modifiant la loi no 1.155 du 18 décembre 1992 relative à la nationalité, de la loi no 1.399 en date du 25 juin 2013 portant réforme du Code de procédure pénale en matière de garde à vue et de la loi no 1.410 en date du 2 décembre 2014 sur la protection, l’autonomie et la promotion des droits et des libertés des personnes handicapées ;

b)L’adoption de la loi no 1.409 du 22 octobre 2014 portant modification de la loi du 23 février 1968 sur les élections nationales et communales et de la loi no 1.430 du 13 juillet 2016 portant diverses mesures relatives à la préservation de la sécurité nationale ;

c)L’apport de l’ordonnance souveraine no 3.782 en date du 16 mai 2012 portant organisation de l’administration pénitentiaire et de la détention.

6.Le Comité prend en outre note avec satisfaction de l’organisation de différentes activités de formation et de sensibilisation aux droits de l’homme, notamment à l’intention des magistrats et des agents de la sûreté publique. À cet égard, le Comité note avec satisfaction l’organisation de formations, au cours de l’année 2012, à destination des professionnels appelés à être en contact avec des victimes de violences. Il est, de même, satisfait de la nomination en 2006 d’un délégué chargé des personnes handicapées au sein du Gouvernement et de l’inauguration, en 2012, du nouveau foyer de l’enfance Princesse Charlène (ancien foyer Sainte-Dévote) et d’un centre gérontologique pour les personnes âgées en 2013. Enfin, le Comité accueille avec satisfaction la création, par l’ordonnance souveraine no 4.524 du 30 octobre 2013, d’un Haut-Commissariat à la protection des droits, des libertés et à la médiation.

C.Principaux sujets de préoccupation et recommandations

Questions pendantes concernant la procédure de suivi

7.Tout en notant les informations de l’État partie du 6 juin 2012 sur la mise en œuvre des recommandations contenues dans les paragraphes 9 (relatif au non-refoulement), 10 (relatif au suivi des conditions de détention) et 11 (relatif à la violence au sein de la famille) des précédentes observations finales (CAT/C/MCO/CO/4-5), le Comité regrette l’absence de mesures adéquates au titre du paragraphe 9 et de mesures complètes au titre du paragraphe 10.

Définition et pénalisation de la torture

8.Tout en notant que a) l’article 20 de la Constitution consacre expressément l’interdiction des traitements cruels, inhumains et dégradants et que la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants est exécutoire à Monaco depuis 1992, b) les juridictions monégasques opèrent une interprétation large du terme de torture et des traitements cruels, inhumains ou dégradants et c) le Code pénal prévoit une aggravation de la peine dans ces cas, le Comité regrette l’absence d’intégration dans le Code pénal d’une définition de la torture pleinement conforme à l’article premier de la Convention ainsi que l’absence de disposition spécifique incriminant la torture. Il demeure également préoccupé par l’absence de reconnaissance du caractère imprescriptible du crime de torture et du principe de la nullité des déclarations obtenues par la torture au sein de la législation monégasque (art. 1, 4 et 15).

9. Le Comité réitère ses recommandations précédentes (CAT/C/MCO/CO/4-5, par. 7), adoptées en juin 2011, et prie l’ État partie d’incorporer dans sa législation pénale une définition de la torture qui reprenne tous les éléments de l’article premier de la Convention. Eu égard à son observation générale n o 2 (2007) sur l’application de l’article 2 par les État s parties, le Comité estime qu ’ en adoptant une défini tion de l ’ infraction de torture qui soit conforme à celle de la Convention, les État s parties serviront directement l’objectif général de la Convention qui consiste à prévenir la torture. Le Comité prie également l’ État partie de modifier sa législation aux fins d’incriminer spécifiquement les actes de torture imputables aux civils comme aux forces de l’ordre, de reconnaître le caractère imprescriptible du crime de torture et d’intégrer le principe de nullité des déclarations obtenues par la torture.

Interdiction absolue de la torture

10.Tout en notant qu’une loi permettant d’invoquer une circonstance exceptionnelle pour justifier des actes de torture serait jugée inconstitutionnelle, le Comité demeure préoccupé par l’absence d’intégration dans le Code pénal de dispositions spécifiques interdisant d’invoquer des circonstances exceptionnelles ou l’ordre d’un supérieur pour justifier la torture. De plus, tout en notant les mesures législatives, administratives et judiciaires prises lorsqu’un acte de torture est le fait d’un fonctionnaire ainsi que la possibilité pour un subordonné de ne pas exécuter un ordre illégal (doctrine des baïonnettes intelligentes) en le signalant ensuite à la hiérarchie, le Comité reste préoccupé par l’absence de mécanismes clairs de protection envers le subordonné (art. 2).

11. Le Comité réitère ses recommandations précédentes (CAT/C/MCO/CO/4-5, par. 8) et invite l’ État partie à modifier son Code pénal de sorte que celui-ci stipule explicitement que des circonstances exceptionnelles ou l’ordre d’un supérieur ne sauraient être invoqués pour justifier la torture. Le Comité attire l’attention de l’ État partie sur la partie VII de s on observation générale n o 2. L’ État partie devrait également prévoir des mesures législatives, administratives, judiciaires et autres pour renforcer les garanties de protection en faveur d’un agent qui refuse d’exécuter un ordre illégal donné par son supérieur hiérarchique.

Non-refoulement

12.Tout en notant que les autorités monégasques assurent elles-mêmes la protection administrative et juridique des réfugiés résidant dans la Principauté de Monaco et que l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) instruit les dossiers et délivre un avis consultatif, le Comité reste préoccupé quant à l’imprécision relative aux fondements légaux des procédures applicables aux requérants d’asile, de leur déroulement précis ainsi que des garanties offertes. Le Comité reste également préoccupé par l’incertitude autour de la procédure de coopération entre l’État partie et l’OFPRA, cette dernière reposant sur un simple échange de correspondances entre les autorités françaises et monégasques. Le Comité rappelle que dans l’hypothèse où les pratiques de l’OFPRA ne seraient pas conformes aux exigences de la Convention, l’État partie engagerait sa responsabilité. Le Comité réitère d’autant plus ses préoccupations quant à l’absence de mécanisme de suivi des dossiers de requérants d’asile auprès de l’OFPRA (art. 3).

13. À des fins de sécurité juridique, l’ État partie devrait s’assurer que les éléments de procédures applicables aux requérants d’asile ainsi que la procédure de coopération avec l’OFPRA sont établis de manière plus précis e et accessible à tous. De plus, le Comité souhaiterait disposer de données sur le nombre de demandes présentées et instruites par l’OFPRA , ainsi que sur le nombre de cas où les autorités monégasques ont suivi ou refusé l’avis de l’OFPRA et les raisons de l’acceptation ou du refus. Le Comité souhaiterait également conna î tre les données sur le nombre d’appel s relatifs à des ordres d’expulsion faits depuis 2011 et si ces demandes ont eu un effet suspensif pendant les délibérations de la Cour s uprême. Le Comité réitère ses recommandations précédentes (CAT/C/MCO/CO/4-5, par. 9) et prie l’ État partie d’établir un mécanisme de suivi des dossiers de requérants d’asile auprès de l’OFPRA.

Garde à vue des mineurs

14.Le Comité prend note avec satisfaction des efforts entrepris par l’État partie pour assurer pleinement ses engagements en matière de garde à vue depuis le dernier dialogue avec le Comité. Il prend tout particulièrement note de l’adoption de la loi no 1.399 en date du 25 juin 2013 portant réforme du Code de procédure pénale en matière de garde à vue. Le Comité, à l’instar du Comité des droits de l’enfant (CRC/C/MCO/CO/2-3, par. 47), demeure toutefois préoccupé par la question de la garde à vue des mineurs de moins de 13 ans (art. 11).

15. Le Comité recommande à l’ État partie d’abroger la modification apportée au Code de procédure pénale qui permet de placer des enfants de moins de 13 ans en garde à vue pour les besoins de l’enquête.

Conditions de détention au sein de la maison d’arrêt

16.Le Comité note que la maison d’arrêt de Monaco n’a vocation à accueillir qu’un faible nombre de détenus pour une courte durée et qu’il ne s’agit donc pas d’un centre de détention au sens strict du terme. Tout en appréciant : a) les conditions offertes aux détenus notamment en termes de soins médicaux, de loisirs et d’opportunités de travail ; b) les travaux et aménagements effectués par l’État partie aux fins d’améliorer les conditions de détention ; c) la collaboration de l’État partie avec le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT), le Comité demeure préoccupé, à la lecture du rapport du CPT adopté en 2013 [CPT/inf (2013) 39], par l’incompatibilité structurelle de la maison d’arrêt de Monaco et de ses installations avec sa finalité actuelle. Le Comité exprime également ses préoccupations quant à l’absence d’un examen médical systématique pour toute personne arrivant dans la maison d’arrêt (art. 11).

17. Tout en étant conscient des contraintes d’aménagement du territoire de l’ État partie, le Comité invite les autorités monégasques à entamer une réflexion sur les moyens qui pourraient permett re une adaptation de certaines infrastructures offertes au sein de la maison d’arrêt , voire un éventuel transfert vers de nouvelles installations. Le Comité souhaiterait également disposer de statistiques sur la proportion d’étrangers au sein de la maison d’arrêt et leur origine, et savoir si des mesures spécifiques, notamment en termes linguistiques, sont prévues. Il invite également l’ État partie à s’assurer que toute personne arrivant dans la maison d’arrêt fa it systématiquement l’objet d’un examen médical.

Suivi des conditions des détenus transférés

18.Le Comité note que le juge d’application des peines monégasque est chargé du suivi des détenus en France mais qu’aucune visite n’avait pu avoir lieu à l’été 2015. Par ailleurs, le Comité note que les demandes de transfèrement en France ne font droit que pour les détenus condamnés à de longues peines et que, la plupart du temps, ce sont les détenus eux-mêmes qui demandent à accélérer leur transfèrement en France à des fins de rapprochement familial. Enfin, le Comité note qu’en dépit d’un nombre très réduit de détenus concernés, les discussions entre les juridictions monégasques et les autorités françaises en vue d’un accord permettant d’assurer un suivi plus efficace de la détention des prisonniers ont abouti au principe d’un échange de lettres administratives entre le Ministère de la justice français et le Directeur des services judiciaires afin de permettre un tel suivi. Toutefois, le Comité reste préoccupé par l’absence de consécration textuelle du consentement explicite nécessaire des condamnés à Monaco à leur transfèrement en France. Le Comité est également préoccupé quant au fait que les conditions de détention en France, notamment en ce qui concerne la prison de Nice, où la surpopulation carcérale est importante, tel que rapporté par le CPT [CPT/inf (2013) 39], peuvent porter préjudice aux personnes condamnées à Monaco et transférées en France (art. 11).

19. L’ État partie devrait pre ndre d’urgence des mesures pour :

a) S’assurer que le juge d’application des peines monégasque p eut effectuer des visites de suivi des détenus qui exécutent leurs peines en France et transmettre au Com ité les rapports de ces visites ;

b) Consacrer formellement par un texte la nécessité du consentement explicite des condamnés à Monaco à leur transfèrement en France, conformément aux recommandations précédentes du Comité (CAT/C/MCO/CO/4-5, par. 10) ; et

c) Mettre en œuvre la procédure relative à l’échange de lettres administratives entre le Ministre de la justice français et le Directeur des services judiciaires monégasques.

Réparation pour les victimes de torture

20.Le Comité note que la loi no 1.382 du 20 juillet 2011 relative à la prévention et à la répression des violences particulières n’intègre pas de disposition spécifique sur la réparation et l’indemnisation des victimes de torture ou de mauvais traitements, y compris en cas de mort de la victime résultant d’un acte de torture, mais permet toutefois à certaines associations d’exercer les droits de partie civile des victimes. En dépit du fait que le régime commun des réparations s’applique aux victimes de torture, le Comité reste préoccupé par le fait que ces victimes n’ont pas accès à un mécanisme de réparation spécifique incluant les formes de réparation pertinentes que sont la réadaptation, la satisfaction et la non-répétition (art. 14).

21. Le Comité réitère ses précédentes recommandations (CAT/C/MCO/CO/4-5, par. 12) et prie l’ État partie d’adopter des dispositions spécifiques relatives à la réparation et à l’indemnisation des victimes de torture ou de mauvais traitement s . Le Comité appelle l’attention de l’ État partie sur son observation générale n o 3 (2012) sur l ’ application de l’article 14 par les États parties , qui explique le contenu et la portée de l’obligation qu’ont les État s parties de fournir une réparation aux victimes de la torture.

Formation

22.Tout en notant avec satisfaction l’organisation de conférences pour les fonctionnaires et le personnel judiciaire monégasques par des spécialistes des droits de l’homme, le Comité regrette l’absence d’une référence directe à la Convention ainsi qu’à l’interdiction de la torture dans les formations dispensées aux magistrats, aux agents de la sécurité publique et autres professionnels (art. 10).

23. L’ État partie devrait continuer à élaborer des programmes de formation et renforcer ceux qui existent déjà, de sorte que l’ensemble des fonctionnaires, notamment les magistrats, les agents de la sécurité publique et autres professionnels, ma î trisent les dispositions de la Convention. Le Comité réitère ses précédentes recommandations (CAT/C/MCO/CO/4-5, par. 13) et prie l’ État partie de donner aux personnes concernées, y compris les professionnels de la santé, en contact avec les détenus et les demandeurs d’asile une formation spécifique pour apprendre à détecter les signes de torture et de mauvais traitements. Cette formation devrait notamment comprendre une initiation à l’emploi du Manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Protocole d’Istanbul).

Procédure de suivi

24. Le Comité demande à l’État partie de lui faire parvenir , d’ici au 7 décembre 2017 , des renseignements sur la suite donnée aux recommandations formulées aux paragraphes 13 et 19. De même, l’État partie est invité à informer le Comité des mesures qu’il prévoit de prendre pour mettre en œuvre, d’ici la soumission de son prochain rapport, tout ou partie des autres recommandations formulées dans les présentes observations finales.

Questions diverses

25.Le Comité invite l’État partie à envisager de ratifier les principaux instruments relatifs aux droits de l’homme auxquels il n’est pas encore partie.

26.L’État partie est encouragé à diffuser largement les rapports qu’il a soumis au Comité, ainsi que les conclusions et recommandations de celui-ci, au moyen des sites Web officiels et par l’intermédiaire des médias et des organisations non gouvernementales.

27.L’État partie est invité à soumettre son prochain rapport périodique, qui sera le septième, le 7 décembre 2020 au plus tard. À cette fin, comme l’État partie a accepté de rendre compte au Comité selon la procédure simplifiée de présentation des rapports, ce dernier lui soumettra en temps voulu une liste préalable de points à traiter. Les réponses de l’État partie à cette liste constitueront son septième rapport périodique soumis en application de l’article 19 de la Convention.