Nations Unies

CRC/C/CHL/IR/1

Convention relative aux droits de l ’ enfant

Distr. générale

6 mai 2020

Français

Original : espagnol

Anglais, espagnol et français seulement

Comité des droits de l ’ enfant

Enquête concernant le Chili, menée en application de l’article 13 du Protocole facultatifà la Convention relative aux droits de l’enfant établissant une procédure de présentation de communications

Rapport du Comité *

I.Introduction

1.Conformément à l’article 13 du Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant établissant une procédure de présentation de communications, si le Comité reçoit des renseignements crédibles indiquant qu’un État partie porte gravement ou systématiquement atteinte aux droits énoncés dans la Convention ou les Protocoles facultatifs s’y rapportant, il invite cet État partie à coopérer à l’examen de ces renseignements et, à cette fin, à présenter sans délai ses observations à leur sujet. Compte tenu des observations éventuellement formulées par l’État partie intéressé, ainsi que de tout autre renseignement crédible dont il dispose, le Comité peut charger un ou plusieurs de ses membres d’effectuer une enquête et de lui rendre compte d’urgence de ses résultats. L’enquête peut, lorsque cela se justifie et que l’État partie donne son accord, comporter une visite sur le territoire de cet État.

2.Le Chili a ratifié la Convention relative aux droits de l’enfant le 13 août 1990 et le Protocole facultatif établissant une procédure de présentation de communications le 1er septembre 2015. La procédure prévue à l’article 13 est donc devenue applicable le 1er décembre 2015.

3.Le 22 juillet 2016, le Comité a reçu une demande d’enquête sur la situation au Chili des enfants privés de milieu familial qui sont placés dans des centres d’accueil administrés directement ou indirectement par le Service national des mineurs (SENAME). Les faits décrits donnaient à penser que des violations graves et systématiques des droits énoncés dans la Convention pouvaient avoir été commises. Ces renseignements ont été complétés par des documents officiels émanant du SENAME, de la Chambre des députés et du ministère public qui ont été transmis au Comité.

4.Le Comité a estimé que les renseignements reçus étaient crédibles, les a examinés à sa soixante-quatorzième session, tenue du 16 janvier au 3 février 2017, et a décidé, sans préjuger de leur teneur, de répondre favorablement à la demande d’enquête. Conformément au paragraphe 1 de l’article 13 du Protocole facultatif et à l’article 35 du règlement intérieur au titre du Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant établissant une procédure de présentation de communications, il a décidé de demander au Chili de présenter des observations sur les questions dont il était saisi.

5.Le 18 mai 2017, le Chili a présenté ses observations au Comité. Tenant compte des observations reçues, prenant note avec satisfaction de tous les renseignements fournis et ayant examiné toutes les informations disponibles et conclu que la situation décrite remplissait les critères requis pour l’ouverture d’une enquête, le Comité a décidé, en application du paragraphe 2 de l’article 13 du Protocole facultatif et de l’article 36 de son règlement intérieur, de mener une enquête confidentielle sur de possibles violations graves ou systématiques de plusieurs dispositions de la Convention concernant un pourcentage important d’enfants placés sous la protection de l’État partie et a chargé deux membres du Comité, Jorge Cardona et José Rodríguez Reyes, d’effectuer cette enquête.

6.L’État partie a autorisé la visite des deux experts nommés par le Comité.

II.Visite dans l’État partie

7.La visite a eu lieu du 8 au 12 janvier 2018. Les experts se sont rendus dans les régions de Santiago et de Valparaíso.

8.Conformément à l’article 37 du règlement intérieur, l’État partie a été invité à nommer un interlocuteur pour faciliter la coopération. Celui-ci a été nommé par le Gouvernement, et a, dans le cadre du mandat qui lui avait été confié, apporté sa pleine coopération.

9.Durant leur visite, les experts se sont entretenus avec une centaine de personnes, dont le Ministre de la justice et des droits de l’homme, le Ministre du développement social et de la famille, le Président de la Cour suprême de justice, plusieurs juges aux affaires familiales, le Procureur général et plusieurs procureurs conduisant des enquêtes sur cette question, la Directrice en exercice du SENAME et une ancienne directrice du service, la Directrice du Conseil national de l’enfance, le Directeur général des carabiniers, le Directeur du service de médecine légale, le Directeur de l’institution nationale des droits de l’homme, plusieurs députés et sénateurs, des fonctionnaires de divers services et ministères, des représentants d’organismes des Nations Unies, des représentants de syndicats de fonctionnaires du SENAME et des représentants de diverses organisations de la société civile, y compris des personnes qui, dans leur enfance, avaient été placées dans des centres relevant du SENAME.

10.Les experts se sont rendus dans quatre centres d’accueil, dont deux étaient administrés directement par le SENAME (les centres de Playa Ancha, à Valparaíso, et de Galvarino, à Santiago) et les deux autres par des organismes partenaires (les centres d’Aldea Cardenal Raúl Silva Henríquez, à Punta de Tralca, et de Pequeño Cottolengo, à Santiago).

11.Le Comité remercie de leur collaboration le Gouvernement et toutes les institutions dont il a demandé à rencontrer des représentants.

III.Sources d’information et confidentialité de la procédure

12.En vertu de l’article 35 de son règlement intérieur, le Comité a demandé des renseignements supplémentaires à différentes sources.

13.Le Comité a recueilli de nombreuses preuves documentaires, dont un grand nombre de documents publics, comme le rapport final de 2013 de la Commission d’enquête de la Chambre des députés, les comptes rendus de 2017 de la Commission d’enquête de la Chambre des députés, le rapport sur le projet de collecte et de compilation d’informations sur les enfants placés en centre d’accueil au Chili (ci-après le « rapport Jeldres »), établi en 2012 par une commission du pouvoir judiciaire avec le soutien du Fonds des Nations Unies pour l’enfance, ainsi que d’autres rapports du pouvoir judiciaire, le rapport intitulé « Misión de observación a centros residenciales de protección de la red SENAME » (Mission d’observation des centres d’accueil du réseau SENAME) établi par l’institution nationale des droits de l’homme après la visite, entre janvier et avril 2017, de 171 centres (ci-après « le rapport de l’institution nationale des droits de l’homme »), les rapports annuels de l’institution nationale des droits de l’homme, les pièces transmises par le SENAME et d’autres documents remis de manière confidentielle au Comité ou aux experts pendant la visite. Le Comité a été impressionné par la quantité de données recueillies par les acteurs qui lui ont été transmises et l’ont aidé dans son enquête.

14.Les renseignements figurant dans les paragraphes ci-après proviennent de rapports officiels et publics, sauf indication contraire.

15.Conformément au paragraphe 3 de l’article 13 du Protocole facultatif, l’enquête se déroule dans la confidentialité, et la coopération de l’État partie est sollicitée à tous les stades de la procédure. Toutes les personnes qui ont pris part aux auditions pendant la visite au Chili ont signé une déclaration solennelle de confidentialité.

IV.Contexte et cadre général

16.Créé par l’ordonnance no 2465 de 1979 en tant qu’organisme relevant du Ministère de la justice, le SENAME est responsable à la fois du système de réinsertion sociale des adolescents en conflit avec la loi et du système de protection des enfants dont les droits ont été violés. Il s’acquitte de ses missions au moyen de services ambulatoires ou d’un placement en centre d’accueil.

17.Les centres d’accueil prennent en charge des enfants privés d’un milieu familial adapté. À la fin de 2016, 14 245 enfants étaient hébergés dans ces centres. Bien qu’il en existe 15 types différents, ces centres relèvent de deux grandes catégories : les centres d’administration directe (centres CREAD), administrés par le SENAME, et les centres agréés et subventionnés par le SENAME (centres OCAS), gérés par des organismes partenaires privés. Sur l’ensemble du territoire, il y a 11 centres CREAD et environ 240 centres OCAS. Le mode d’administration externalisée, soumis à appel d’offres ouvert, est majoritaire. En 2016, 11 492 enfants étaient accueillis dans des centres OCAS, contre 2 753 dans des centres CREAD.

18.Parallèlement aux centres CREAD et OCAS, il existe des établissements privés, dits « organismes complémentaires », qui ne sont pas agréés par le SENAME et sur lesquels celui-ci n’exerce aucun contrôle. Bien qu’ils ne relèvent d’aucun cadre juridique, ces établissements sont tolérés par le système judiciaire qui, faute de places dans les centres CREAD et OCAS, leur confie des enfants. En août 2016, 405 enfants étaient accueillis dans ces établissements.

19.Seuls les tribunaux des affaires familiales, créés par la loi no 19968 de 2008, sont compétents pour séparer des enfants de leur famille biologique ou de leurs tuteurs légaux afin de les confier, à titre exceptionnel et temporaire, à un centre d’accueil, lorsqu’il n’existe pas de solution de prise en charge dans le milieu familial. La direction du SENAME est tenue de signaler à la justice tout fait susceptible de mettre en danger un enfant placé en centre d’accueil, de demander au tribunal de prendre les mesures qui s’imposent et d’être partie à la procédure.

20.Les signalements et les plaintes concernant les dysfonctionnements et les atteintes aux droits dans les centres de protection ne sont pas nouveaux. On citera, notamment, le rapport Jeldres de 2013, le rapport de 2013 sur le SENAME établi par la Commission de la famille de la Chambre des députés, les procès-verbaux d’audition et les documents présentés à la deuxième Commission d’enquête de la Chambre des députés sur la situation du SENAME entre 2016 et 2017, ou le rapport de 2018 de l’institution nationale des droits de l’homme.

21.Le Comité a exprimé ses préoccupations et formulé des recommandations au sujet du système de protection dans ses observations finales concernant le rapport du Chili en 2002 (CRC/C/15/Add.173, par. 35 et 36) et en 2015 (CRC/C/CHL/CO/4-5, par. 54).

V.Existence de violations graves ou systématiques des droitsdes enfants placés dans les centres d’accueil administrés directement ou indirectement par le Service national des mineurs

A.Manquement de l’État partie aux obligations découlant de la Convention en ce qui concerne les enfants privés de milieu familial

1.Non-discrimination

22.En application de l’article 2 de la Convention, le Chili a l’obligation de prendre les mesures appropriées pour que l’enfant soit protégé contre toutes formes de discrimination, y compris celles qui sont motivées par sa situation économique ou celle de ses parents ou représentants légaux.

23.Il existe un consensus sur le fait que la pauvreté est une cause de placement. Les acteurs du système invoquent souvent les « conditions socioéconomiques insuffisantes » pour justifier les signalements de maltraitance ou de privation de soins parentaux.

24.La majorité des enfants placés en centre d’accueil sont pauvres. La région métropolitaine de Santiago et les régions du Bío-Bío et de l’Araucanie sont celles qui présentent la plus forte concentration d’enfants admis dans le réseau d’accueil du SENAME. Le Bío-Bío et l’Araucanie occupent respectivement la première et la troisième place des régions les plus pauvres du pays.

25.Le Comité estime que l’État partie viole l’article 2 de la Convention lorsqu’il autorise le placement d’enfants en centre d’accueil pour raisons économiques sans que les tribunaux des affaires familiales ne fassent en sorte que les familles concernées reçoivent l’aide matérielle dont elles ont besoin pour s’occuper correctement de leurs enfants, ce qui a pour effet de privilégier le placement en institution par rapport à d’autres modes de prise en charge, qui reçoivent peu d’attention et sont peu utilisées.

2.Intérêt supérieur de l’enfant

26.En application du paragraphe 1 de l’article 3 et de l’article 25 de la Convention, le Chili a l’obligation de garantir le droit de l’enfant à ce que son intérêt supérieur soit une considération primordiale dans toutes les mesures prises à son égard par les institutions publiques ou privées chargées de la protection sociale, les tribunaux, les autorités administratives ou les organes législatifs. Il a également l’obligation de procéder à un examen périodique des circonstances relatives au placement de l’enfant.

27.La décision de séparer un enfant de sa famille doit être la dernière solution à envisager lorsque le maintien dans la famille immédiate ou élargie est possible. Or :

a)Les juges accordent peu d’intérêt aux mesures sociales qui pourraient être prises à l’égard de la famille pour résoudre une situation dans laquelle il est porté atteinte aux droits de l’enfant et pour éviter la séparation ;

b)Les décisions de placement n’étant souvent pas suffisamment motivées, il est impossible de connaître les éléments pris en compte, le poids accordé à chacun d’entre eux, les circonstances appréciées et la manière dont a été déterminé l’intérêt supérieur de l’enfant en tant que considération primordiale dans la prise de décision.

28.Les centres d’accueil ne sont pas tenus d’évaluer de manière indépendante si la mesure de placement doit être maintenue dans l’intérêt supérieur de l’enfant, ce qui peut conduire à des placements prolongés, parfois pendant plus de cinq ans.

29.Pour des raisons administratives, les fratries sont réparties entre plusieurs centres. Au début de 2017, 24,1 % des enfants placés avaient des frères et sœurs hébergés dans d’autres centres.

30.Le Comité estime que l’État partie viole le paragraphe 1 de l’article 3 et l’article 25 de la Convention :

a)En privilégiant le placement par rapport à d’autres moyens d’intervention auprès de la famille ;

b)En ne fixant pas dans la loi les critères et les circonstances qui doivent être appréciés pour évaluer et déterminer l’intérêt supérieur de l’enfant, et en ne motivant pas suffisamment la manière dont l’intérêt de l’enfant est évalué et déterminé dans les décisions de placement ;

c)En n’évaluant pas périodiquement et de manière indépendante chaque situation, en fonction de l’intérêt supérieur de l’enfant ;

d)En prolongeant sans aucun contrôle les durées de placement ;

e)En séparant les fratries pour des raisons administratives, sans prendre en compte l’intérêt supérieur des enfants concernés.

3.Obligation de veiller à ce que les institutions chargées de la protection respectent les normes

31.En application des paragraphes 2 et 3 de l’article 3 de la Convention, le Chili a l’obligation d’assurer à l’enfant la protection et les soins nécessaires à son bien-être, et de veiller à ce que le fonctionnement des institutions, services et établissements qui ont la charge des enfants et assurent leur protection soit conforme aux normes fixées par les autorités compétentes, particulièrement dans le domaine de la sécurité et de la santé et en ce qui concerne le nombre et la compétence de leur personnel ainsi que l’existence d’un contrôle approprié.

32.Les infrastructures et les équipements de nombreux établissements sont dans un état déplorable et les centres ne cessent de se dégrader, les réparations effectuées étant partielles et de mauvaise qualité. Sur le plan de la sécurité, des lacunes ont été constatées, comme l’absence d’issues de secours et de zones de sécurité, l’absence d’extincteurs ou, lorsqu’ils existent, le dépassement de leur durée d’utilisation, le mauvais état des escaliers, l’absence de plans d’évacuation ou encore l’absence de filets de sécurité sur les piscines. En outre, les dimensions et l’utilisation des espaces intérieurs sont inadaptées : les espaces communs polyvalents sont rares, les cuisines mal équipées, le mobilier et l’équipement endommagés, les vitres brisées, les portes abîmées, les plafonds dégradés et les carrelages cassés. Les installations sanitaires sont également inadéquates. Dans certains cas, il n’y a pas d’installations séparées pour les garçons et pour les filles, et il arrive que les douches et les toilettes ne soient pas séparées par des cloisons ou n’aient pas de portes.

33.Les centres d’accueil sont surpeuplés. À la fin de 2017, cinq des 11 centres CREAD enregistraient des taux de surpopulation de 60 %, 46 %, 35 %, 33 % et 24 %, respectivement.

34.La gestion des centres d’accueil, qui est très complexe, est attribuée sur la base d’un cahier des charges peu précis, ce qui favorise les interprétations discrétionnaires et arbitraires de la part des centres OCAS.

35.Le personnel, qu’il s’agisse des cadres, des équipes professionnelles ou des éducateurs de première ligne, n’est pas formé ou ne l’est pas suffisamment. Les qualifications requises pour une personne travaillant directement auprès des enfants placés (niveau 4) sont clairement insuffisantes. Une grande partie du personnel ne dispose ni des compétences ni des connaissances requises. Les enfants placés ont un comportement de plus en plus perturbateur. Or, alors que le comportement des enfants est de plus en plus complexe, rien n’a été fait pour donner au personnel les compétences nécessaires pour y répondre. D’après le rapport de l’institution nationale des droits de l’homme, la moitié des agents qui ont répondu à l’enquête ont indiqué n’avoir reçu aucune formation. En raison des pénuries récurrentes de personnel, le temps de travail (normalement limité à douze heures) peut être prolongé jusqu’à vingt-quatre voire trente-six heures. Aucun programme de santé mentale ou physique n’est mis en place à l’intention des agents, pourtant soumis à un stress important au travail. Tout cela a des répercussions sur les soins et la protection apportés aux enfants. En outre, la sélection des cadres et des employés du SENAME répond à une logique partisane, ce qui se traduit par le recrutement de militants politiques sans processus de sélection fondé sur les qualifications.

36.La supervision technique exercée par le SENAME sur les centres OCAS porte essentiellement sur la situation des centres subventionnés et non sur celle des enfants placés.

37.C’est à la justice qu’il revient de suivre la situation des enfants et des progrès accomplis en vue de leur réinsertion. Or, d’une part, la plupart des juges n’ont pas été formés à l’évaluation de ces progrès et se contentent, pour l’essentiel, de suivre la situation du centre et, d’autre part, les décisions de justice ne précisent pas, dans de nombreux cas, à quels droits il a été porté atteinte, ce qui ne permet pas de déterminer la finalité du placement et les préjudices dont l’enfant doit se remettre. Il en résulte une quasi absence de travail sur les plans d’intervention et un manque de suivi des mesures que doit mettre en place l’organisme responsable. Lorsqu’un délai a été fixé, celui-ci expire souvent sans que le tribunal saisi du dossier n’en soit informé, ce qui laisse l’enfant sans protection.

38.Plus de 400 enfants sont accueillis par des « organismes complémentaires » qui ne sont régis par aucun cadre juridique, ce qui n’empêche pas le pouvoir judiciaire d’avoir recours à leurs services, faute de places dans les centres CREAD et OCAS. Ces organismes n’étant pas subventionnés, ils ne sont pas soumis au contrôle du SENAME.

39.Le Bureau du Contrôleur général de la République a alerté à plusieurs reprises le Ministère de la justice et le SENAME sur des manquements graves à la réglementation de la part des centres, sans que cela ne soit suivi d’effet.

40.Le Comité estime que l’État partie viole le paragraphe 3 de l’article 3 de la Convention :

a)En conservant des infrastructures inadaptées pour l’accueil et la prise en charge d’enfants placés, qui vivent dans des conditions d’hygiène, de propreté et de sécurité précaires ;

b)En n’assurant pas, de manière prolongée, à des enfants qui ont été victimes, avant leur arrivée au centre, de violences, de maltraitance, de délaissement et d’abus sexuels l’attention, la protection et les soins de professionnels spécialisés en nombre suffisant ;

c)En n’apportant pas aux enfants les soins que requiert une prise en charge spécialisée, notamment en ce qui concerne la planification et la qualité des plans d’intervention individuels, conformément aux normes minimales requises au niveau international ;

d)En n’exerçant pas, avec toute la rigueur requise, les fonctions de contrôle qui incombent à la fois au pouvoir judiciaire et au SENAME, notamment en ce qui concerne le respect des normes minimales relatives aux infrastructures, à la sécurité et à la surveillance et les carences matérielles en matière d’hygiène et de bien-être, en disposant d’informations lacunaires ou peu fiables, transmises par les centres d’accueil aux tribunaux, sur l’état général des enfants ;

e)En confiant des enfants à des « organismes partenaires » qui ne sont soumis à aucun contrôle.

4.Mesures d’application générales

41.En application de l’article 4 de la Convention, le Chili a l’obligation de prendre toutes les mesures législatives, administratives et autres qui sont nécessaires pour mettre en œuvre les droits reconnus dans la Convention.

i)Législation

42.La loi no 16618 sur les mineurs (1967) obéit à une conception tutélaire de l’enfant dans laquelle l’État est paternaliste et répressif. Trois projets de loi sur la protection globale ont été examinés en 2005, 2013 et 2015, mais aucun d’entre eux n’a pour l’heure été adopté.

43.Les centres OCAS sont régis par la loi no 20032, dont les dispositions ne permettent pas un contrôle suffisant de l’activité des centres d’accueil.

ii)Coordination

44.Les personnels qui travaillent dans les centres déplorent un manque de coordination avec le Ministère de l’éducation. Selon eux, le système éducatif non seulement ne coopère pas, mais constitue parfois un obstacle, en n’offrant pas la souplesse nécessaire pour offrir à chaque enfant, au moyen d’adaptations du programme scolaire, toute l’attention requise.

45.Si la coordination et la collaboration intersectorielle avec le Ministère de la santé ont progressé, elles restent insuffisantes et, la plupart du temps, les services de santé publics n’assurent pas une prise en charge adaptée.

46.Faute de coordination, le dossier de l’enfant, lorsqu’il parvient au centre, ne contient pas toutes les informations nécessaires concernant la santé de l’intéressé, son parcours scolaire et les services sociaux dont il a bénéficié.

iii)Données

47.Le système de collecte de données du SENAME vise à obtenir des subventions et non à rendre compte de la situation de chaque enfant. Il est donc difficile de disposer de données complètes, fiables et ventilées qui permettraient de connaître la situation de chaque enfant faisant l’objet d’une mesure de protection et de déceler d’éventuelles discriminations ou des disparités en matière de respect des droits de l’enfant.

iv)Ressources

48.Les ressources (appelées « aide financières ») allouées aux centres OCAS témoignent d’une vision caritative de l’action de l’État. La subvention maximale autorisée par la loi équivaut à 65 % des coûts, mais elle n’est accordée qu’à titre exceptionnel. Les centres OCAS doivent donc financer le solde au moyen d’activités philanthropiques. L’expression même d’« aide financière » atteste d’une conception des subventions qui est très éloignée de l’obligation légale d’allouer les ressources nécessaires pour garantir les droits. Pendant la visite, les plus hautes autorités ont exprimé l’idée que la protection des enfants dont les droits ont été violés relevait de la charité, et non d’un droit fondamental de l’enfant et d’une obligation légale de l’État.

49.L’aide financière fournie aux centres OCAS dépend des mesures mises en œuvre, et non des résultats obtenus. Elle est accordée en fonction du nombre d’enfants accueillis, de sorte que chaque sortie du dispositif d’accueil réduit le montant de l’aide, ce qui a pour effet pervers d’inciter les centres à retenir les enfants plutôt qu’à œuvrer à leur retour dans leur famille.

50.Les centres CREAD, s’ils sont mieux financés en raison de leur caractère public, n’en restent pas moins sous-dotés, ce qui les prive des ressources techniques, humaines et matérielles que requièrent les services minimums nécessaires à la réadaptation des enfants et à leur qualité de vie.

51.Le Comité conclut que le Chili viole l’article 4 de la Convention, eu égard :

a)Au fait qu’il n’existe toujours pas de loi globale sur l’enfance fondée sur les droits de l’enfant qui définisse le cadre juridique applicable aux institutions publiques et précise les politiques et les programmes relatifs au travail auprès des enfants ;

b)Au manque de coordination entre les différents ministères et services responsables de la prise en charge globale des enfants dans le système de protection ;

c)À l’absence de données permettant de se faire une idée précise de la situation générale des enfants ;

d)Au maintien d’un modèle de financement du système de protection fondé sur le principe de subsidiarité, qui transfère la responsabilité de fournir les ressources nécessaires à la prise en charge des enfants aux organismes partenaires, qui appliquent une approche philantrophique et non pas fondée sur les droits ;

e)À la mise en place d’un système de subvention des centres OCAS qui encourage le placement prolongé en centre d’accueil ;

f)À l’insuffisance des fonds alloués aux centres CREAD pour s’acquitter de leurs missions.

5.Droit à la vie, à la survie et au développement

52.En application de l’article 6 de la Convention, le Chili a l’obligation de garantir le droit inhérent à la vie de tout enfant et d’assurer dans toute la mesure du possible la survie et le développement de l’enfant.

53.D’après les données du SENAME, entre janvier 2005 et juin 2016, 210 enfants sont décédés dans des centres d’accueil (40 dans des centres CREAD et 170 dans des centres OCAS). Entre le 1er juillet et le 31 décembre 2016, 46 autres décès ont été signalés. Les enquêtes menées par le Bureau du Procureur depuis septembre 2016 ont mis au jour, parmi les causes de nombreux décès, de graves négligences de la part du personnel chargé de s’occuper des enfants.

54.Le nombre d’enfants réintégrant les dispositifs d’accueil du SENAME est élevé et augmente chaque année (4 168 en 2013, 4 648 en 2014 et 5 744 en 2015). La principale raison de ces réintégrations est la négligence. Entre janvier et avril 2016, 3 180 enfants ont été réadmis dans divers centres.

55.Le système de protection ne garantit pas la séparation des enfants en fonction de leur profil, de sorte que des enfants présentant un profil très complexe vivent ensemble dans des centres de protection simple, des enfants dont les droits ont été violés cohabitent avec des enfants auteurs de violations, et des adolescents vivent avec de jeunes enfants.

56.Que ce soit pour l’évaluation ou pour l’admission en centre d’accueil, il existe des listes d’attente sur lesquelles figurent aussi bien des victimes de négligence (22 %) que des victimes de violences sexuelles (5,5 %) et qui, pendant ce temps, ne bénéficient pas de la protection ni des soins nécessaires.

57.Le Comité estime que le Chili viole l’article 6 de la Convention, eu égard :

a)À l’absence répétée et prolongée de protection du droit des enfants à la vie dans les centres d’accueil ;

b)Au fait que des enfants sortent des centres pour y être ensuite réadmis, et ce, de manière répétée, ce qui montre qu’ils restent exposés à des atteintes à leurs droits dans leur famille et dans leur communauté, et que l’État ne prend pas les mesures nécessaires pour mettre un terme à ces atteintes le plus rapidement possible ou les prévenir ;

c)Aux listes d’attente, qui montrent que l’État n’accorde pas la priorité à l’attention et aux soins qui doivent être apportés aux enfants dont la survie et le développement sont menacés ;

d)À l’état des infrastructures et des équipements des centres, qui menace la survie et le développement des enfants.

6.Non-séparation de la famille, sauf dans l’intérêt supérieur de l’enfant

58.En application de l’article 9 de la Convention, le Chili a l’obligation de garantir le droit de l’enfant de ne pas être séparé de ses parents contre leur gré, à moins que cette séparation soit nécessaire dans l’intérêt supérieur de l’enfant.

59.Les deux critères de base régissant la séparation d’un enfant de sa famille sont la nature exceptionnelle d’une telle mesure et le caractère temporaire du placement en institution. Par conséquent, la décision de placer l’enfant doit être prise après que toutes les autres solutions qui permettent de maintenir les liens familiaux et les liens avec la communauté à laquelle appartient l’enfant ont été envisagées, étant entendu qu’il faut toujours préférer les solutions d’accueil en milieu familial, que ce soit dans la famille élargie ou dans une autre famille, au placement en institution.

60.En règle générale, le juge aux affaires familiales qui prend la décision de retirer l’enfant à sa famille et de le placer sous la protection de l’État laisse peu de possibilités, voire aucune, à l’enfant et à la famille, notamment la famille élargie, d’intervenir. Il ne peut donc pas apprécier la situation particulière de la famille, ni envisager les mesures qui pourraient l’aider à sortir de la difficulté afin que l’enfant puisse réintégrer le domicile à court terme.

61.La plupart des centres ne disposent pas des ressources nécessaires pour mener des actions de réinsertion familiale. En outre, le cahier des charges des centres OCAS et CREAD ne définit pas expressément les stratégies, les cadres et les lignes directrices nécessaires pour mener à bien, de manière précise et selon une approche fondée sur les droits, le travail auprès des familles.

62.Seuls 32,7 % des centres autorisent les visites pendant les heures ouvrées, ce qui limite les possibilités de travailler avec les familles et de maintenir les liens entre les enfants et leurs proches. Cinquante pour cent des centres limitent la fréquence des visites et seuls 30 % autorisent deux visites par semaine. Dans 23,3 % des centres, les parents ne sont pas autorisés à participer aux réunions scolaires, ce qui va au-delà des restrictions imposées par les tribunaux ; 12,7 % des centres ont indiqué avoir suspendu les visites en raison de problèmes de comportement de la part des enfants et 17,2 % des enfants ont déclaré avoir fait l’objet d’une telle suspension. La moitié des enfants ont dit ne pas se sentir libres d’appeler leurs proches ou d’avoir des contacts avec eux et 11,9 % ont dit ne pas avoir véritablement la possibilité de communiquer avec leurs proches en dehors des horaires de visite. Un tiers des centres ne disposent pas d’espaces dédiés aux rencontres entre les enfants et leurs proches et nombre d’entre eux n’incitent pas les familles à s’impliquer dans la prise en charge des enfants.

63.Dans 57,4 % des cas, le centre où vit l’enfant se trouve dans une commune différente de celle du domicile familial et, dans 7,24 % des cas, dans une autre région ; 4,94 % de ces enfants sont des nourrissons ou des enfants d’âge préscolaire.

64.Le Comité conclut que le Chili viole l’article 9 de la Convention :

a)En permettant que des enfants soient placés en centre d’accueil sans que toutes les parties prenantes aient la possibilité de participer au processus ;

b)En ne recherchant pas suffisamment d’autres solutions d’accueil dans la famille élargie ;

c)En n’ayant pas mis en place de programme de travail spécialisé avec la cellule familiale des enfants ;

d)En ne prenant pas les mesures nécessaires pour que les enfants séparés de leurs parents puissent bénéficier d’interventions visant principalement à rétablir leur droit de vivre, de grandir et de s’épanouir dans leur famille et dans leur communauté ;

e)En n’établissant pas de directives claires concernant le processus de réinsertion familiale et la participation de la famille, y compris en ce qui concerne les visites que les enfants reçoivent pendant leur placement, qui sont fondamentales pour le maintien des liens familiaux et dans la perspective du retour de l’enfant dans son réseau familial ;

f)En ne veillant pas à ce qu’il y ait suffisamment de centres sur le territoire de résidence des enfants de manière à éviter les déracinements.

7.Droit d’exprimer son opinion et d’être entendu

65.En application de l’article 12 de la Convention, le Chili a l’obligation de garantir à l’enfant le droit d’exprimer son opinion sur les questions l’intéressant, les opinions de l’enfant étant dûment prises en considération eu égard à son âge et à son degré de maturité, y compris le droit d’être entendu dans toute procédure judiciaire ou administrative l’intéressant.

66.La plupart des enfants (86,4 %) déclarent connaître les raisons pour lesquelles ils sont placés et 70,6 % disent être informés de la date de l’audience au cours de laquelle il sera décidé s’ils doivent être maintenus en centre d’accueil. Cependant, seuls 32,1 % d’entre eux disent avoir la possibilité de parler au juge et 30,8 % de parler à l’avocat qui les représente. En ce qui concerne les centres, 4,1 % indiquent que les enfants ne sont pas autorisés à parler directement au juge lorsqu’ils en font la demande, 20,4 % signalent que, lors de la dernière visite du juge aux affaires familiales, les enfants ne lui ont pas parlé, et 7,5 % ignorent s’ils lui ont parlé.

67.Dans 31,8 % des cas, les centres déclarent ne pas avoir mis en place de protocole pour recueillir les plaintes et les suggestions ou disent ignorer si un tel protocole existe ; 11,7 % des centres qui affirment disposer de leur propre protocole indiquent que celui-ci n’existe pas sous forme écrite, ce qui ne permet pas de garantir que le personnel, les familles et les résidents des centres en ont connaissance. En outre, 15,5 % des centres déclarent ne pas avoir mis en place une boîte à réclamations. Indépendamment des réclamations, 37,2 % des enfants disent avoir le sentiment que le personnel du centre ne tient pas compte de leur avis sur les sujets qui les concernent.

68.Plus d’un tiers des centres (39,4 %) ont déclaré que les enfants ne pouvaient prendre part à aucune décision. Seuls 34,7 % des enfants ont indiqué qu’ils avaient le droit de donner leur avis et de participer aux décisions prises concernant le fonctionnement du centre.

69.Le Comité estime que le Chili viole l’article 12 de la Convention :

a)En n’informant pas dûment et systématiquement les enfants et en ne faisant pas en sorte que ceux-ci comprennent les informations données, afin que leur opinion soit respectée dans le cadre de la procédure conduisant à leur placement ;

b)En ne garantissant pas l’accès des enfants au juge et à un avocat ;

c)En ne disposant pas de protocoles clairs et connus permettant aux enfants de déposer une plainte ou de signaler des atteintes à leurs droits ;

d)En ne garantissant pas à tous les enfants la possibilité d’être entendus et d’exprimer leur opinion quant aux décisions des centres qui les intéressent, et de contribuer ainsi à la gestion de leur environnement.

8.Aide appropriée aux parents et aux représentants légaux en ce qui concerne l’enfant

70.En application de l’article 18 de la Convention, le Chili a l’obligation d’accorder l’aide appropriée aux parents et aux représentants légaux de l’enfant dans l’exercice de leurs responsabilités à l’égard de l’enfant.

71.L’État n’a pas mis en place, dans le cadre du système, de mesures adaptées et suffisantes visant à soutenir les familles en proie à des difficultés psychologiques, économiques ou sociales de sorte qu’elles puissent s’acquitter de leurs responsabilités et que les enfants puissent être maintenus dans leur cadre familial, et il n’est pas demandé aux responsables de prendre des mesures efficaces qui contribueraient à éviter que les enfants ne soient séparés de leur famille.

72.Le Comité considère que l’État viole l’article 18 de la Convention en n’accordant pas l’aide appropriée aux parents et aux représentants légaux dans l’exercice de leurs fonctions parentales, et en ne disposant pas d’un réseau efficace et suffisant de soutien intersectoriel, en particulier dans les domaines de la santé, de l’éducation et de l’aide, sous forme de prestations sociales et d’interventions auprès de la famille d’origine.

9.Protection contre la violence

73.En application de l’article 19 de la Convention, le Chili a l’obligation de prendre toutes les mesures législatives, administratives, sociales et éducatives appropriées pour protéger l’enfant contre toute forme de violence, d’atteinte ou de brutalités physiques ou mentales, d’abandon ou de négligence, de mauvais traitements ou d’exploitation, y compris la violence sexuelle, pendant qu’il est sous la garde de ses parents ou de l’un d’eux, de son ou ses représentants légaux ou de toute autre personne à qui il est confié.

74.Selon le rapport de l’institution nationale des droits de l’homme, sur une période de douze mois, 8 enfants sur 10 ont déclaré avoir été punis par le personnel. Les garçons et les filles étaient également concernés, quel que soit leur âge. L’enfermement, la contention physique, l’administration de douches froides, les sorties nocturnes dans la cour, l’isolement social ou l’interdiction de jouer faisaient partie des punitions signalées. Il y avait également des violences physiques, que les auteurs ont tenté de justifier en parlant de mesures de « contention » d’enfants perturbés ou déséquilibrés sur le plan psychologique. Ainsi, des enfants « ont été jetés au sol et on leur a tordu le bras », ou « une éducatrice a mis la tête d’un enfant de 6 ans dans un four chaud jusqu’à ce qu’il suffoque ».

75.D’après les informations fournies par le SENAME, en 2016, 83 enquêtes administratives pour maltraitance à enfant visaient des fonctionnaires du SENAME.

76.Presque la moitié (48,4 %) des enfants déclarent être victimes de violences physiques ou psychologiques répétées de la part de leurs pairs. Les éducateurs sont peu enclins à contenir ces violences et ne semblent pas avoir conscience de la gravité de ces comportements et des conséquences qu’ils peuvent avoir sur le développement des enfants. Parmi les enfants interrogés, 34,3 % ont indiqué qu’ils ne pouvaient pas demander à un adulte du centre de les aider à mettre un terme aux atteintes à leurs droits.

77.Le Comité estime que l’État viole l’article 19 de la Convention, eu égard :

a)Aux pratiques relatives à la garde ou à la discipline qui, par omission ou par action directe, autorisent ou banalisent les relations violentes et la maltraitance entre enfants et entre les enfants et les adultes ;

b)À l’inadéquation des directives et de la formation du personnel en ce qui concerne les techniques éducatives et disciplinaires non violentes, ce qui donne lieu à des contacts, à une communication et à des relations entre adultes et enfants qui sont marqués par l’arbitraire et la violence ;

c)À la formation inadaptée du personnel face à la violence entre les enfants, celui-ci n’étant pas en mesure de réduire l’agressivité permanente à laquelle les enfants sont exposés au quotidien et de recourir à des techniques non violentes de résolution des conflits.

10.Droit des enfants handicapés de bénéficier d’une prise en charge adaptée qui leur permette de mener une vie pleine et décente

78.En application de l’article 23 de la Convention, le Chili a l’obligation de permettre aux enfants handicapés de mener une vie pleine et décente, dans des conditions qui garantissent leur dignité, favorisent leur autonomie et facilitent leur participation active à la collectivité. Il est également tenu de garantir le droit des enfants handicapés de bénéficier de soins spéciaux.

79.D’après le rapport de l’institution nationale des droits de l’homme, 15,3 % des enfants placés en centre CREAD présentent un handicap à différents degrés ; ils sont répartis dans 9 des 11 centres. Pour garantir la pleine inclusion physique et sociale des enfants handicapés dans les centres d’accueil, un effort spécial est nécessaire en matière d’aménagements raisonnables et de préparation. Or aucun protocole n’a été mis en place à cet égard, le personnel de première ligne n’est pas formé à prendre en compte la diversité des publics et aucun personnel d’appui n’est prévu pour remédier à cette situation. Seuls 12 centres OCAS accueillent des personnes handicapées, qui sont généralement admises dès leur plus jeune âge et pour leur vie entière. Bien souvent, l’enfant est placé parce que les familles n’ont pas les moyens de s’en occuper et n’y sont pas préparées. L’aide financière du SENAME ne couvre qu’environ 20 % des coûts de ces centres, ce qui les contraint à financer le solde au moyen d’activités philanthropiques. Dans ces centres, très peu d’enfants gardent le contact avec leurs proches et il est exceptionnel qu’ils réintègrent leur famille. En outre, aucune aide publique n’est prévue pour les familles d’accueil qui pourraient recueillir ces enfants. Les enfants ne sortent qu’exceptionnellement des centres, qui disposent, en interne, de leurs propres écoles, services de santé et services de réadaptation.

80.Le Comité estime que le Chili viole l’article 23 de la Convention :

a)En n’offrant pas aux familles d’enfants handicapés le soutien nécessaire pour prévenir le placement de ces enfants en institution ;

b)En n’offrant pas aux enfants handicapés placés en centre d’accueil le soutien nécessaire pour qu’ils mènent une vie pleine et décente, dans des conditions qui garantissent leur dignité ;

c)En maintenant, un système de ségrégation des enfants dans certains centres, qui conduit à exclure les enfants et à les isoler de leur environnement social.

11.Droit au meilleur état de santé possible

81.En application de l’article 24 de la Convention, le Chili a l’obligation de garantir le droit de l’enfant de jouir du meilleur état de santé possible et de bénéficier de services médicaux et de rééducation.

82.Entre 35 et 44 % des enfants placés en centre n’ont pas un dossier médical à jour. Plusieurs rapports font état d’enfants atteints de maladies chroniques qui ne reçoivent aucun traitement. En décembre 2016, sur les 1 334 enfants atteints de « pathologies physiques et mentales difficiles à gérer », seuls 164 avaient été pris en charge d’une manière ou d’une autre par le réseau d’assistance publique.

83.Le Ministère de la santé a reconnu que 69,1 % des enfants placés présentaient des troubles mentaux, mais les services de santé mentale restent rares. Le SENAME compte 17 psychiatres dans 8 des 15 régions du pays, soit un psychiatre pour 8 560 enfants si l’on prend en compte la totalité des enfants qu’il prend en charge, ou un psychiatre pour 470 enfants si l’on tient uniquement compte des enfants accueillis dans les centres.

84.Les médicaments sont administrés aux enfants de manière peu consciencieuse, sans suivi médical adéquat, ce qui fait que, chaque mois, plus de 10 000 doses de psychotropes sont administrées. Selon le rapport de l’institution nationale des droits de l’homme, la moitié des enfants ont indiqué qu’ils prenaient des médicaments pour des problèmes de santé mentale, bien que les données cliniques recueillies ne comprennent aucune évaluation psychologique ou psychiatrique réalisée par un spécialiste, ce type d’évaluation étant confié à un technicien et à un médecin généraliste. Dans les centres d’accueil, les dispositifs de prise en charge psychiatrique de la consommation d’alcool et de drogues sont quasi inexistants. Les agents qui travaillent au contact direct des enfants concernés leur administrent des médicaments en dehors de tout contrôle médical, souvent pour les calmer.

85.Parmi les enfants âgés de 14 ans et plus, 68,6 % présentent des symptômes caractéristiques d’un état dépressif ; 26,2 % d’entre eux ont déclaré qu’ils étaient dans cet état depuis plus d’un an et 45,3 % ont indiqué ne pas avoir consulté de psychologue ou de psychiatre, que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur du centre.

86.Le Comité conclut que le Chili viole l’article 24 de la Convention, eu égard :

a)À l’absence systématique de diagnostic posé sur l’état de santé général des enfants placés ;

b)À l’accès limité aux services de santé mentale ;

c)À l’absence de plans de prise en charge des enfants ayant des problèmes de santé mentale, des troubles psychiatriques ou neurologiques, ou un problème de consommation d’alcool et de drogues, et à l’absence de formation et d’encadrement du personnel qui travaille au contact direct de ces enfants, en ce qui concerne l’administration arbitraire de psychotropes ;

d)Au fait qu’il n’existe pas suffisamment de programmes spécialisés de réadaptation, de qualité, mais également de protocoles, de mesures de suivi et d’évaluation périodique.

12.Droit à l’éducation

87.En application de l’article 28 de la Convention, le Chili a l’obligation de garantir le droit à l’éducation.

88.Selon le rapport Jeldres, la moitié des enfants placés dans les centres ont un retard équivalent à deux années scolaires et nombre d’entre eux sont considérés comme analphabètes. Selon le rapport de 2017 de l’institution nationale des droits de l’homme, 19,8 % des enfants souffrent de retard scolaire, et parmi eux, 21,7 % ne reçoivent aucune aide pour leurs devoirs. En outre, 7 % des enfants ne savent ni lire ni écrire, et un pourcentage similaire ne va pas à l’école.

89.La grande majorité des enfants fréquentent des écoles publiques, où les enseignants et les autres personnels ne sont ni formés ni sensibilisés à leur situation particulière et, par conséquent, ne leur accordent pas l’attention voulue. Les centres ont parfois leurs propres salles de classe, ce qui conduit à l’isolement social des enfants. Outre qu’elles n’aident pas à compenser, à éliminer ou à réduire les effets des atteintes aux droits des enfants, ces situations ont de graves répercussions sur leur développement éducatif.

90.Le Comité estime que l’État viole l’article 28 de la Convention, eu égard :

a)À l’absence de mesures particulières et adaptées (y compris l’impréparation des enseignants et des autres personnels) permettant de répondre, dans un contexte éducatif inclusif et protecteur, à la situation de vulnérabilité physique, émotionnelle et psychologique dans laquelle se trouvent les enfants, ce qui engendre un important retard scolaire ;

b)À l’absence de mesures visant à ce que les enfants placés aient accès à l’éducation, dans des conditions d’égalité avec les autres enfants.

13.Droit au repos, aux loisirs et à la culture

91.En application de l’article 31 de la Convention, le Chili a l’obligation de garantir à l’enfant le droit au repos et aux loisirs, de se livrer au jeu et à des activités récréatives propres à son âge et de participer librement à la vie culturelle et artistique.

92.Les centres offrent peu d’espaces adaptés au jeu, et les jeux qui existent sont en mauvais état, les espaces verts sont négligés, les piscines sont à l’abandon ou remplies d’eau sale, les terrains de basket sont dépourvus de panier, les grilles et les jeux sont rouillés et il n’y a pas d’ombre et ou d’abri. En outre, les espaces ouverts destinés aux activités récréatives sont rares et seuls 59,3 % des centres disposent d’espaces verts.

93.Un grand nombre d’enfants (43,2 %) déclarent ne pas avoir de jouets ou de jeux à leur disposition, seulement 57,1 % disent avoir des livres et 29,3 % des centres n’ont pas de bibliothèque. L’accès aux ordinateurs et à l’internet est limité (46 %). La télévision est quant à elle omniprésente (91,9 % des centres), ce qui peut s’avérer contre-productif si son utilisation n’est pas suffisamment encadrée. Seuls 25 % des enfants s’adonnent chaque jour à des activités récréatives. Les enfants ont déclaré qu’ils s’ennuyaient et qu’aucune activité complémentaire ou socioéducative, comme des ateliers ou des sorties, n’était organisée.

94.Le Comité estime que le Chili viole l’article 31 de la Convention en n’offrant pas véritablement aux enfants placés la possibilité de jouer et de participer à des activités récréatives propres à leur âge, en particulier si l’on considère que le jeu ou l’expression artistique peut aider les enfants dont les droits ont été violés à extérioriser des expériences de vie traumatisantes ou difficiles et ainsi à les surmonter. En outre, l’excès de temps libre que l’on constate dans certains centres, ajouté au manque d’activités et à l’absence d’équipements de jeu et de loisirs, crée un contexte d’oisiveté qui peut nuire au développement et à la santé mentale des enfants.

14.Protection contre l’exploitation sexuelle et les abus sexuels

95.En application de l’article 34 de la Convention, le Chili a l’obligation de protéger l’enfant contre toutes les formes d’exploitation sexuelle et de violence sexuelle, en particulier d’empêcher qu’il ne soit incité ou contraint à se livrer à une activité sexuelle illégale, ou exploité à des fins de prostitution ou autres pratiques sexuelles illégales.

96.Selon les régions, les abus sexuels sont la deuxième ou troisième cause de placement dans le réseau du SENAME. Or, lorsqu’ils sont placés, les enfants risquent de subir de nouveaux abus. Depuis 2012, des enquêtes menées par la justice, le ministère public et l’institution nationale des droits de l’homme ont mis au jour, dans les centres, des abus sexuels commis par des enfants sur d’autres enfants et par des adultes sur des enfants, et des cas d’exploitation sexuelle d’enfants par des adultes.

97.Le rapport Jeldres fait état de nombreux abus sexuels et évoque, par exemple, le cas du centre d’Ajllasga, à Arica, où un réseau de prostitution d’enfants comptant 24 filles a été mis au jour. L’enquête menée dans cette affaire a abouti à l’inculpation de deux employés du centre pour exploitation sexuelle d’enfants. En janvier 2016, à Freirina, les autorités ont démantelé un réseau d’exploitation sexuelle de filles placées sous la protection du SENAME.

98.Le rapport de l’institution nationale des droits de l’homme a recensé au total, pour l’année passée, 34 cas d’abus sexuels sur des mineurs, pour la plupart des filles. Les enfants qui ont signalé ces abus séjournaient dans 20 centres répartis dans neuf régions différentes. Les abus en question auraient été commis par d’autres enfants, par des adultes travaillant dans le centre concerné ou par des agresseurs dont l’identité n’a pas été précisée. La plupart des enfants déclarent être encore en contact avec l’auteur des faits, et la moitié affirme avoir subi des violences répétées. Pour deux tiers d’entre eux, ces abus ont eu lieu ou ont débuté alors qu’ils avaient moins de 14 ans.

99.Pendant la visite, les experts ont entendu des témoignages choquants d’anciens pensionnaires de centres d’accueil : « la nuit, je m’enduisais de mes excréments pour qu’on ne s’approche pas de moi », « à mon arrivée, je les ai entendus se partager les nouveaux : celui-ci est pour moi ».

100.Deux tiers des centres déclarent disposer d’un protocole du SENAME concernant les abus sexuels, les autres disent ne pas avoir de tel protocole ou ignorer si un tel protocole existe.

101.S’agissant de la formation, seuls 15,9 % des centres déclarent avoir dispensé une formation dans le domaine de la prévention des abus sexuels, alors que seul 6,6 % du personnel indique avoir reçu une formation au cours de l’année écoulée.

102.Le Comité estime que l’État viole l’article 34 de la Convention :

a)En n’empêchant pas les abus sexuels entre pairs et entre les enfants et les adultes chargés de les protéger ;

b)En n’agissant pas rapidement et efficacement lorsque des cas d’abus sexuels sont connus et signalés ;

c)Parce que, dans certains centres, les protocoles précisant les mesures à prendre pour combattre ou prévenir les abus sexuels sont inexistants, mal connus ou non appliqués, ce qui conduit à ce que certains cas ne soient pas signalés, ou, lorsqu’ils le sont, à ce que les mesures administratives et judiciaires ne soient pas prises en temps utile, contribuant ainsi à une situation d’impunité ;

d)En ne formant pas suffisamment le personnel à la prévention des abus sexuels.

15.Droit de ne pas être soumis à la torture ni à des traitements cruels, inhumains ou dégradants

103.En application de l’article 37 a) de la Convention, le Chili a l’obligation de veiller à ce que nul enfant ne soit soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

104.En décembre 2016, on a appris que 25 enfants du centre de Playa Ancha, à Valparaíso, avaient été maltraités et battus par des membres du personnel de l’établissement. En mai 2016, les actes de violence commis par le directeur et le personnel sur des enfants handicapés du centre d’Alihuen de Santiago ont été mis au jour.

105.Au début de 2017, le procureur chargé de l’enquête pénale sur la mort de Lisette Villa, 11 ans, a conclu que la fillette avait succombé aux violences physiques infligées par des personnes sous la garde desquelles elle était placée. En mars 2017, il a inculpé huit personnes pour torture et usage illégitime de la contrainte.

106.Les enfants placés dans des centres ont fait état de mauvais traitements qui prenaient la forme de violences psychologiques, de cris, de mesures d’enfermement, d’isolement social ou de menaces de violence, de violences physiques légères (par exemple, on leur tirait les cheveux ou les oreilles, on les poussait ou on leur donnait des gifles) et de violences physiques graves (par exemple, on leur donnait des coups de sangle, des coups de poing ou on les frappait avec d’autres objets, on les brûlait avec des cigarettes ou de l’eau chaude, ou on les menaçait avec un couteau ou une arme).

107.Le Comité estime que l’État viole l’article 37 a) de la Convention :

a)En ne garantissant pas le droit des enfants dont il a la garde de ne pas être soumis à la torture ni à des traitements cruels, inhumains ou dégradants, pratiques qui sont banalisées et utilisées au prétexte de discipliner et de maîtriser les enfants. Elles sont employées à l’égard d’enfants placés sous la garde de l’État par des fonctionnaires ou des personnes exerçant des fonctions publiques dans les centres OCAS et causent un préjudice physique ou mental aux enfants dans le but de les punir, ce qui est assimilable à la torture ;

b)En n’agissant pas en temps voulu pour empêcher et éliminer les pratiques relevant de la torture ou de traitements cruels, inhumains ou dégradants dont il sait qu’elles ont lieu dans les centres.

B.Imputation des violations à l’État

108.L’État est directement responsable des violations commises dans les centres CREAD, comme de celles qui ont lieu dans les centres OCAS ou dans d’autres établissements, non seulement parce qu’il n’exerce pas le contrôle voulu, mais aussi parce qu’aux fins de l’établissement des responsabilités, ces centres doivent être considérés comme des agents de l’État, puisqu’ils exercent des fonctions publiques par délégation de l’État. Comme l’a indiqué le Comité, les États ne sont pas dégagés des obligations qui découlent de la Convention et des Protocoles facultatifs s’y rapportant lorsque leurs fonctions sont déléguées ou sous-traitées à une entreprise privée ou à une organisation à but non lucratif (CRC/C/GC/16, par. 25)

109.Dans le cadre des questions traitées dans le présent rapport, le Comité estime que l’État partie a violé les articles 2, 3 (par. 1 et 2), 4, 6, 9, 12, 18, 19, 20, 23, 24, 25, 28, 31, 34, 37 a) et 39 de la Convention. Ces articles doivent être lus conjointement avec l’observation générale no 1 (2001) sur les buts de l’éducation, l’observation générale no 5 (2003) sur les mesures d’application générales de la Convention, l’observation générale no 8 (2006) sur le droit de l’enfant à une protection contre les châtiments corporels et les autres formes cruelles ou dégradantes de châtiments, l’observation générale no 9 (2006) sur les droits des enfants handicapés, l’observation générale no 12 (2009) sur le droit de l’enfant d’être entendu, l’observation no 13 (2011) sur le droit de l’enfant d’être protégé contre toutes les formes de violence, l’observation générale no 14 (2013) sur le droit de l’enfant à ce que son intérêt supérieur soit une considération primordiale, l’observation générale no 15 (2013) sur le droit de l’enfant de jouir du meilleur état de santé possible, l’observation générale no 17 (2013) sur le droit de l’enfant au repos et aux loisirs, de se livrer au jeu et à des activités récréatives et de participer à la vie culturelle et artistique, et l’observation générale no 19 (2016) sur l’élaboration des budgets publics aux fins de la réalisation des droits de l’enfant, ainsi qu’avec les Lignes directrices relatives à la protection de remplacement pour les enfants.

C.Caractère grave ou systématique des violations

110.Conformément à l’article 35 du règlement intérieur, le Comité doit évaluer si les violations des droits sont graves ou systématiques.

111.Le Comité considère que les violations sont « graves » s’il est probable qu’elles causent un préjudice important aux victimes. Pour déterminer la gravité, il faut tenir compte de l’ampleur, de la fréquence, de la nature et des effets des violations constatées.

112.Le qualificatif « systématique » dénote le caractère organisé des actes qui conduisent à des violences répétées et l’improbabilité de leur caractère fortuit.

113.Le Comité évalue la gravité des violations commises au Chili au vu du préjudice et des souffrances subis par les enfants placés dans le dispositif d’accueil du SENAME. Ces violations ont concerné plusieurs milliers d’enfants placés, sur l’ensemble du territoire national et pendant une période très longues qui va jusqu’à ce jour. Les violations constatées sont de grande ampleur et leurs effets se mesurent à long terme. En outre, l’obligation faite à l’État de garantir, en application de l’article 20 de la Convention, le droit de l’enfant à une protection et une aide « spéciales » augmente la gravité et l’étendue des violations observées.

114.Le caractère systématique des violations s’explique, d’une part, par le fait que le système de protection reste fondé sur l’assistanat et une approche paternaliste et, d’autre part, par l’inaction et par l’incapacité répétée à modifier des lois, des politiques et des pratiques dont il est avéré, comme le montrent divers rapports établis par les autorités, qu’elles portent atteinte de manière répétée aux droits des enfants placés sous la protection de l’État.

115.Le Comité considère que l’État partie est responsable:

a)De violations graves des droits énoncés dans la Convention, compte tenu qu’au Chili, le système de protection en centre d’accueil a donné lieu, pendant une longue période, à de nombreuses atteintes aux droits de milliers d’enfants placés sous la garde de l’État, notamment :

i)La violation de l’obligation de respecter les droits des enfants pendant leur séjour dans des centres directement administrés par l’État, qui a provoqué une revictimisation des enfants ;

ii)La violation de l’obligation de protéger, l’État n’accordant pas aux enfants admis dans le système après avoir subi des violations de leurs droits la protection et l’attention voulues, ni les soins nécessaires à leur rétablissement et à leur réadaptation physique et psychologique ;

iii)La violation de l’obligation de faire respecter les droits des enfants, l’État ne prenant pas de mesures efficaces et opportunes pour mettre fin aux violations des droits subies par les enfants tant dans leur famille d’origine que dans les centres administrés par des organismes privés ;

b)De violations systématiques des droits énoncés dans la Convention, eu égard :

i)Au fait qu’il n’existe pas de loi globale sur la protection de l’enfance fondée sur les droits de l’homme ;

ii)À l’existence et à l’application généralisée et persistante de mesures judiciaires qui ne permettent pas d’atteindre les objectifs de protection et de réinsertion ;

iii)Au maintien, en ce qui concerne le SENAME, d’un cadre administratif inadapté du point de vue des ressources humaines et financières ;

iv)À l’incapacité ou à la réticence des autorités à prendre des mesures efficaces et opportunes alors que la situation du système de protection en centre d’accueil est connue et étayée par des rapports officiels du pouvoir exécutif, du pouvoir judiciaire et du pouvoir législatif.

VI.Première recommandation urgente

116.À l’issue de la visite, le Comité a écrit à l’État partie pour lui faire part de sa profonde préoccupation quant à l’état des infrastructures du centre CREAD de Playa Ancha, à Valparaíso. De l’avis du Comité, cet état constituait en soi une violation de la Convention, en particulier de l’article 6, paragraphe 2, et de l’article 39.

117.Compte tenu de l’urgence de la situation, le Comité a exhorté l’État partie :

a)À fermer, avec effet immédiat, le centre CREAD de Playa Ancha ;

b)À examiner de manière approfondie la situation individuelle de chaque enfant hébergé dans ce centre, en tenant compte de ses droits et de ses besoins particuliers ;

c)À faire en sorte que chaque enfant bénéficie d’une protection adaptée à ses besoins.

118.Dans sa réponse, l’État partie a accepté d’accéder à la demande et s’est engagé à fermer le centre en avril 2018.

VII.Recommandations

A.Prévention et protection

119.Le Comité considère que les violations décrites ne sont pas dues à des circonstances particulières, à des personnes précises ou à un événement en particulier, mais que leur persistance, pendant près de quarante ans, et l’absence de mesures correctives, malgré les plaintes et les constatations répétées, montrent que des causes structurelles ont rendu possible une telle situation.

120.À cet égard, le Comité estime que pour l’essentiel, quatre causes structurelles ont favorisé les violations graves et systématiques décrites dans le présent rapport : a) une conception tutélaire de l’enfance ; b) une interprétation incorrecte du caractère subsidiaire de l’État ; c) la judiciarisation excessive du système ; d) l’insuffisance des ressources humaines, techniques et financières allouées au système.

121.Au Chili, le système de protection reste régi par la loi no 16618 sur les mineurs (1967), et les enfants sont envisagés comme des objets de protection, par opposition à l’approche adoptée dans la Convention, qui en fait des sujets de droit. Dans ses observations finales de 2015 concernant le rapport du Chili, le Comité s’est dit préoccupé par cette mise sous tutelle, qui est incompatible avec un cadre juridique reconnaissant et protégeant les droits de tous les enfants. En raison de l’adoption d’une telle approche, aucune politique n’a été mise en place pour prévenir les atteintes aux droits, et on a estimé que la philanthropie et le fait de fournir le gîte et le couvert aux enfants dont les droits avaient été violés ou de les séparer de leur famille suffisaient pour les protéger, sans qu’il soit nécessaire d’adopter une approche globale qui permettrait de mettre en place des mécanismes clairs de participation, de défense et de protection des droits.

122. Le Comité recommande à l ’ État partie d ’ adopter l ’ approche de la protection globale consacrée par la Convention, notamment :

a) En adoptant d ’ urgence la loi sur la protection globale de l ’ enfance et en veillant à ce qu ’ elle soit conforme à la Convention ;

b) En œuvrant à la promotion des droits de tous les enfants et en mettant en place des programmes qui permettent de détecter rapidement les risques de violation ;

c) En apportant aux familles le soutien dont elles ont besoin pour s ’ acquitter de leurs obligations en matière d ’ éducation, pour qu ’ il soit moins souvent nécessaire de recourir à une protection de remplacement ;

d) En protégeant les enfants dont les droits ont été violés par des mesures qui privilégient l ’ accueil en milieu familial, que ce soit dans la famille élargie ou dans une autre famille, au placement en institution, et en s ’ efforçant, avec la famille, de réintégrer l ’ enfant dans sa cellule familiale, chaque fois que cela est dans son intérêt supérieur.

123.Le système constitutionnel chilien repose sur le principe de la subsidiarité de l’État, en application duquel l’État n’intervient que lorsque le citoyen, individuellement ou collectivement, n’agit pas. Dans cette logique, l’État confie majoritairement à des organismes privés les enfants en situation de détresse, qui sont traditionnellement pris en charge par des organisations caritatives. Au regard du droit international des droits de l’homme, les États ont trois obligations, à savoir respecter, protéger et réaliser les droits de l’homme, et rien ne les empêche, pour s’en acquitter, de s’appuyer sur le secteur privé. Toutefois, le Comité souligne que c’est à l’État qu’il incombe de concevoir, de mettre en œuvre, d’exécuter et d’évaluer les politiques publiques et sociales dans le domaine de l’enfance et que, s’il peut s’appuyer sur la société civile pour atteindre les objectifs fixés, il ne peut déléguer sa responsabilité.

124. Le Comité recommande à l ’ État partie d ’ assumer pleinement sa responsabilité d ’ encadrer, de contrôler et de financer les mesures visant à assurer le respect, la protection et la réalisation de tous les droits des enfants relevant du système de protection, et, à cet égard :

a) De modifier la loi sur les subventions, en imposant des normes de qualité aux centres OCAS, tant en ce qui concerne les effectifs que la qualification du personnel, la qualité des installations et l ’ élaboration de programmes de réadaptation en faveur des enfants et de programmes de travail avec les familles, conformément à la Convention et aux Lignes directrices relatives à la protection de remplacement pour les enfants;

b) D ’ allouer des ressources financières et techniques suffisantes pour faire respecter ces normes ;

c) De mettre en place des mécanismes de contrôle efficaces.

125.Il existe un consensus sur le fait que le système pâtit d’une judiciarisation excessive. Toutes les décisions relatives aux mesures de protection, que ce soit une prise en charge ambulatoire ou un placement, sont prises par les juges. Or, ceux-ci ne connaissent pas bien les solutions de prise en charge autres que le placement en institution, ne disposent pas du temps nécessaire pour étudier chaque cas individuellement et ne sont pas formés à déterminer quelles sont les mesures de protection les plus adaptées à chaque enfant. S’il appartient aux tribunaux de décider de retirer un enfant à sa famille, les services administratifs dont le personnel a reçu une formation spécialisée sont mieux à même d’assurer le suivi préventif des enfants en situation de risque, d’appliquer les mesures les plus adaptées au profil de chacun d’entre eux ou d’en proposer de nouvelles. Bien entendu, l’utilisation du système administratif doit s’accompagner de la possibilité de saisir la justice pour contester toute mesure susceptible de porter atteinte aux conditions de vie des enfants.

126. Le Comité recommande à l ’ État partie de déjudiciariser le système de protection, et en particulier :

a) De créer un service administratif de protection, spécialisé et doté de moyens suffisants, qui ait une connaissance approfondie des ressources existantes pour garantir l ’ exercice de tous les droits, détecte les carences, assure un suivi individualisé compte tenu des situations de risque et soit compétent pour prendre les mesures nécessaires afin de prévenir les atteintes, protéger les enfants et adopter des mesures correctrices ;

b) D ’ établir des critères clairs et stricts aux fins de la prise de décisions relatives à la protection de remplacement, et de mettre en place des garanties de procédure, pour faire en sorte que l ’ intérêt supérieur de l ’ enfant soit une considération primordiale et que toutes les parties soient dûment entendues ;

c) D ’ instaurer une procédure de contrôle judiciaire des mesures prises par le service administratif ;

d) De renforcer le rôle du Défenseur des enfants en tant que garant du respect des droits des enfants dans le système de protection.

127.Enfin, les ressources humaines, techniques et financières nécessaires et spécialisées sont structurellement insuffisantes pour offrir une protection et une aide spéciales aux enfants temporairement ou définitivement privés de milieu familial. Les professionnels du secteur sont en nombre insuffisant et beaucoup ne disposent pas des compétences nécessaires pour exercer leurs fonctions et ne devraient pas faire partie du système.

128. Le Comité recommande à l ’ État partie :

a) D ’ allouer au système de protection des ressources humaines, techniques et financières spécialisées suffisantes ;

b) De mettre en place des programmes de formation continue et spécialisée à l ’ intention du personnel du système de protection ;

c) D ’ établir des procédures efficaces pour superviser le personnel du système de protection, le sanctionner et le révoquer en cas de violation des droits des enfants.

B.Réparation en faveur des victimes

129.En application de l’article 39 de la Convention, le Chili a l’obligation de prendre toutes les mesures appropriées pour faciliter la réadaptation physique et psychologique et la réinsertion sociale de tout enfant victime de toute forme de négligence, d’exploitation ou de sévices, de torture ou de toute autre forme de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Cette réadaptation et cette réinsertion se déroulent dans des conditions qui favorisent le respect de soi et la dignité de l’enfant.

130.Le Comité tient à souligner que, dans le cas précis de la présente enquête, l’État partie a une obligation renforcée d’assurer réparation aux victimes, puisqu’il est directement responsable des violations des droits subies par un grand nombre d’enfants placés du fait des actes ou des omissions des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire comme du fait des actes ou des omissions de fonctionnaires du SENAME et d’agents des centres OCAS.

131. Le Comité recommande à l ’ État partie :

a) De mettre en place des mécanismes de réparation en faveur des victimes, présentes ou passées, en donnant la priorité à leur droit d ’ être entendues et d ’ exprimer leur douleur ;

b) D ’ élaborer, aux fins de réparation, un plan d ’ action qui comporte des mesures dans les domaines de la santé, en particulier une prise en charge psychologique, ainsi que de l ’ éducation, du logement et de la justice, et, le cas échéant, d ’ indemniser les victimes.

132. Le Comité recommande à l ’ État partie de prendre toutes les mesures nécessaires à court, à moyen et à long terme pour appliquer d ’ urgence les recommandations susmentionnées et pour protéger, faire respecter et réaliser tous les droits des enfants confiés au système de protection.

C.Suivi

133. Le Comité demande à l ’ État partie de l ’ informer, dans un délai de six mois, des mesures qu ’ il aura prises et entend prendre, y compris les mesures urgentes demandées en février 2018, et lui recommande de diffuser les présentes conclusions et recommandations.