Comité contre la torture
Observations finales concernant les cinquième et sixième rapports périodiques du Pérou soumis en un seul document, adoptées par le Comité à sa quarante-neuvième session (29 octobre-23 novembre 2012)
1.Le Comité contre la torture a examiné les cinquième et sixième rapports périodiques du Pérou soumis en un seul document (CAT/C/PER/6) à ses 1096e et 1099e séances, les 30 et 31 octobre 2012 (CAT/C/SR.1096 et 1099). À ses 1121e, 1122e et 1123e séances (CAT/C/SR.1121, 1122 et 1123), les 15 et 16 novembre 2012, il a adopté les observations finales ci-après.
A.Introduction
2.Le Comité accueille avec satisfaction le document constituant les cinquième et sixième rapports périodiques du Pérou, adressé en réponse à la liste des points à traiter établie avant la soumission des rapports (CAT/C/PER/Q/6), et sait gré à l’État partie d’avoir accepté de suivre la nouvelle procédure facultative, qui améliore la coopération avec le Comité et sert de fil conducteur à l’examen du rapport ainsi qu’au dialogue avec la délégation.
3.Le Comité apprécie le dialogue ouvert et constructif qu’il a eu avec la délégation de haut niveau de l’État partie et les informations complémentaires qui lui ont été données.
B.Aspects positifs
4.Le Comité note avec satisfaction que l’État partie, depuis l’examen de son quatrième rapport périodique, a adhéré aux instruments internationaux ci-après, ou les a ratifiés:
a)Le Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, le 14 septembre 2006;
b)La Convention relative aux droits des personnes handicapées, le 30 janvier 2008;
c)Le Protocole facultatif se rapportant à la Convention relative aux droits des personnes handicapées, le 30 janvier 2008;
d)La Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, le 26 septembre 2012.
5.Le Comité salue les efforts faits par l’État partie pour réviser sa législation dans les domaines touchant la Convention, et notamment:
a)L’entrée en vigueur, en juillet 2006, du nouveau Code de procédure pénale, adopté par le décret législatif no 957 de juillet 2004;
b)L’approbation, par la loi no 28592, du Programme intégral de réparation, en juillet 2005;
c)L’incrimination du féminicide, à l’article 107 du Code pénal;
d)L’abrogation, le 15 septembre 2010, du décret législatif no 1097 en vertu duquel la Convention sur l’imprescriptibilité des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité n’était applicable qu’à partir du 9 novembre 2003;
e)L’adoption de la loi no 27891 relative aux réfugiés, le 20 décembre 2002.
6.Le Comité relève également avec satisfaction les initiatives prises par l’État partie pour modifier ses politiques, ses programmes et ses procédures administratives de façon à donner effet à la Convention, et notamment:
a)La création d’une unité judiciaire spécialisée, sous l’autorité du ministère public et de la magistrature, pour traduire en justice les auteurs de violations des droits de l’homme commises pendant le conflit armé interne;
b)La création en 2006 du Registre central des victimes, sous la responsabilité du Conseil des réparations;
c)L’adoption du Plan national pour la santé mentale et du Plan national concerté pour la santé 2007-2020, et l’attention prioritaire qui est ainsi donnée aux victimes de la violence politique;
d)La création, en octobre 2010, de la Commission technique multisectorielle, chargée de mettre au point des directives et une méthodologie pour définir les montants, les modalités et les conditions des paiements à effectuer au titre du Programme de réparations financières;
e)La nomination, le 7 décembre 2011, d’un vice-ministre des droits de l’homme et de l’accès à la justice, au sein du Ministère de la justice;
f)La création de la Commission spéciale pour les réfugiés;
g)L’adoption du deuxième Plan d’action national pour lutter contre la violence à l’égard des femmes 2009-2015;
h)L’adoption du Plan d’action national pour lutter contre la traite de personnes 2011-2016;
i)L’adoption du Plan d’action national pour les droits de l’homme 2012-2016.
C.Principaux sujets de préoccupation et recommandations
Définition de la torture
7.Le Comité relève avec préoccupation que la discrimination, sous quelque forme que ce soit, ne figure pas parmi les éléments de la définition de la torture donnée dans le Code pénal (art. 1er et 4).
Le Comité recommande à l ’ État partie de modifier le Code pénal de façon à y inclure une définition de la torture qui comprenne tous les éléments énoncés à l ’ article premier de la Convention.
Allégations de torture et mauvais traitements, garanties juridiques fondamentales
8.Le Comité prend note des informations que lui a communiquées l’État partie au sujet des nombreux cas de personnes qui auraient été torturées et maltraitées quand elles étaient sous la garde de policiers et d’agents de sécurité, mais il constate avec préoccupation l’absence d’enquêtes approfondies et le petit nombre de condamnations prononcées en application des lois nationales. Le Comité est préoccupé par le fait que, s’il y a eu des inculpations dans l’affaire Gerson Falla, décédé après quarante-huit heures de garde à vue des suites d’un passage à tabac, aucune condamnation n’a été prononcée et personne n’a été déclaré responsable. Le Comité s’inquiète également de ce que les garanties juridiques fondamentales applicables aux personnes détenues par la police ne sont pas toujours respectées, et regrette l’absence d’un registre spécial où seraient consignés tous les cas de torture et de traitements cruels, inhumains ou dégradants. Il est également préoccupé par les informations faisant état de violences commises par des agents des forces de l’ordre pendant les arrestations. En outre, il ne semble pas que les allégations de torture en détention soient habituellement examinées à l’aide du Manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Protocole d’Istanbul) (art. 2, 10, 12, 13 et 14).
L ’ État partie devrait prendre des mesures effectives pour:
a) M ener sans délai des enquêtes impartiales et efficaces sur toutes les allégations de torture et mauvais traitements, déférer les auteurs de ces actes à la justice et les punir de peines appropriées;
b) V eiller à ce que toute personne privée de liberté bénéficie des garanties juridiques fondamentales dès le début de la détention et ait accès à un mécanisme de plainte indépendant;
c) F aire en sorte que les agents des forces de l ’ ordre soient formés à des techniques professionnelles qui réduisent au minimum le risque d ’ atteinte à l ’ intégrité physique des personnes appréhendées ;
d) É tablir un registre spécifique pour consigner les cas de torture ou de traitements et peines cruels, inhumains ou dégradants;
e) F aire du Protocole d ’ Istanbul un e matière obligatoire de la formation de tous les professionnels de santé qui sont appelés à examiner et attester des cas de torture et mauvais traitements présumés, de façon à garantir la détection appropriée des signes de torture.
Détention avant jugement
9.Le Comité constate avec préoccupation qu’environ 60 % des détenus sont des prévenus et que la durée de la détention avant jugement atteint parfois trente-six mois, ce qui contribue à la surpopulation carcérale dans tout le pays (art. 2, 11 et 16).
L ’ État partie devrait prendre sans délai des dispositions pour limiter le placement en détention avant jugement ainsi que la durée de celle-ci, en appliquant d es mesures de substitution à l ’ emprisonnement , conformément aux Règles minima des Nations Unies pour l ’ élaboration de mesures non privatives de liberté (Règles de Tokyo).
Conditions de détention
10.Le Comité est préoccupé par des informations concernant les conditions de vie dans les centres de détention, qui font état, entre autres choses, d’une surpopulation de 114 %, d’infrastructures délabrées, notamment en ce qui concerne la nourriture et la température, de mauvaises conditions sanitaires et du nombre insuffisant de médecins, qui sont 54 pour l’ensemble de la population carcérale. Il s’inquiète en particulier de la situation dans la prison de haute sécurité de la base navale de Callao − où des détenus sont placés à l’isolement cellulaire prolongé ou à l’isolement sensoriel, ne peuvent pas communiquer et n’ont droit qu’à une demi-heure de visite familiale par mois − ainsi que dans les centres de détention de Challapalca et de Yanamayo (art. 2, 11 et 16).
L ’ État partie devrait:
a) P rendre immédiatement des mesures pour réduire la surpopulation carcérale, notamment en appliquant des mesures de substitution à l ’ emprisonnement ;
b) Adopter un calendrier raisonnable pour la construction de nouvelles prisons ainsi que pour l ’ agrandissement et la rénovation de s lieux de détention exist ants ;
c) Faire en sorte que des professionnels de santé, y compris de santé mentale, soient en nombre suffisant dans les centres de détention;
d) V eiller à ce que le placement à l ’ isolement ne soit utilisé qu ’ en dernier recours, pour une durée aussi courte que possible, et à ce qu ’ il soit susceptible de contrôle juridictionnel;
e) Garantir que les personnes détenues dans la prison de haute sécurité de Callao soient traitées conformément à l ’ Ensemble de règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus;
f) Envisager de fermer l es centres pénitentiaires de Challapalca et de Yanamayo.
Désignation du mécanisme national de prévention
11.Le Comité note avec une vive préoccupation que six ans après son adhésion au Protocole facultatif se rapportant à la Convention, l’État partie n’a toujours pas établi un mécanisme national de prévention (art. 2).
L’État partie devrait mettre en place sans plus tarder un mécanisme national de prévention qui soit pleinement conforme au Protocole facultatif et en particulier doter cet organe de ressources financières, humaines et matérielles suffisantes pour lui permettre de s’acquitter efficacement de son mandat.
Utilisation de la force
12.Le Comité est préoccupé par des allégations selon lesquelles la police et les forces armées ont fait un usage excessif et disproportionné de la force, y compris des armes à feu, lors de manifestations sociales ou de l’arrestation de défenseurs des droits de l’homme, d’avocats, de représentants du Défenseur du peuple ou d’autochtones, dans de telles situations, ainsi que par le fait qu’à ce jour aucune condamnation n’a été prononcée relativement aux événements qui se sont produits à Bagua, Celendín et Bambamarca (art. 2, 10, 12, 13 et 16).
L’État partie devrait:
a) Veiller à ce que les agents de la force publique reçoivent une formation insistant sur l’interdiction absolue de la torture et sur les normes internationales relatives à l’utilisation de la force et des armes à feu, et sur le fait que leur responsabilité est engagée en cas d’usage excessif de la force;
b) Accélérer les enquêtes et les poursuites dans ces affaires , et prendre des sanctions appropriées contre tout fonctionnaire reconnu coupable de tels actes.
États d’urgence
13.Le Comité constate avec préoccupation que des états d’urgence sont fréquemment décrétés, pendant lesquels les restrictions imposées à l’exercice des droits de l’homme peuvent se traduire par des violations de la Convention, et que dans certains cas l’état d’urgence a été instauré en raison de manifestations sociales pacifiques. Il est également préoccupé par la promulgation, le 1er septembre 2010, du décret législatif no 1095 qui autorise les tribunaux militaires à se prononcer sur des cas d’utilisation excessive de la force et de violations des droits de l’homme commis sous l’état d’urgence (art. 2).
L’État partie devrait limiter le recours à l’état d’urgence aux situations dans lesquelles cette mesure est strictement nécessaire et respecter en tout temps les dispositions de la Convention selon lesquelles aucune circonstance exceptionnelle quelle qu’elle soit ne peut être invoquée pour justifier la torture. Il devrait envisager de modifier le décret législatif n o 1095 en vue de rendre toutes ses dispositions conformes à ses obligations en vertu de la Convention.
Violence à l’égard des femmes
14.Le Comité est préoccupé par les informations faisant état d’une violence généralisée à l’égard des femmes et des filles, notamment de violence au foyer, de violences sexuelles et de féminicides, ainsi que par le fait que ces actes font rarement l’objet d’enquêtes et de poursuites, et par l’absence de statistiques sur la violence sexuelle. Il prend note de l’adoption du deuxième plan national de lutte contre la violence à l’égard des femmes 2009-2015 mais s’inquiète de ce que la violence au foyer et certaines formes de violence sexuelle et de harcèlement sexuel autres que le viol ne sont pas incriminées dans le Code pénal, de ce que les victimes de violence ont des difficultés à avoir accès à la justice, et de ce qu’il n’y a pas suffisamment de foyers pour les accueillir (art. 2, 12, 13 et 16).
L’État partie devrait accroître ses efforts et faire appliquer d’urgence des mesures de protection efficaces en vue de prévenir et combattre toutes les formes de violence à l’égard des femmes et des filles, modifier sa législation de façon à incriminer la violence au foyer et les diverses formes de violence sexuelle dans le Code pénal, comme c’est le cas du viol, et mieux cerner l’ampleur de ces pratiques. Il devrait renforcer toutes les initiatives visant à prévenir la violence contre les femmes, améliorer l’accès des victimes à la justice et garantir que tout acte de violence donne rapidement lieu à une enquête efficace et impartiale et à des poursuites, que les auteurs de tels actes soient déférés à la justice et que les victimes obtiennent réparation. Il devrait mettre en place non seulement un mécanisme de plainte efficace à l’intention des femmes et des filles, mais aussi un mécanisme de surveillance afin de prévenir toutes les formes de violence à l’égard de celles-ci. Le Ministère de la santé devrait dispenser une formation spécialisée aux personnels de santé qui s’occupent des victimes de violence et mettre en place un système centralisé de conservation des données relatives à des affaires de violence contre des femmes. Des campagnes de sensibilisation de grande ampleur devraient être organisées , et une formation sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes et des filles et sur la prévention devrait être dispensée aux policiers, aux juges, aux avocats et aux travailleurs sociaux.
Santé et droits liés à la procréation
15.Le Comité est profondément préoccupé par les avortements clandestins, qui sont l’une des principales causes de la mortalité maternelle élevée dans l’État partie, ainsi que par l’interprétation trop restrictive et peu claire qui est donnée de l’avortement autorisé lorsque des impératifs médicaux le justifient, ce qui pousse les femmes à se tourner vers l’avortement clandestin, pratiqué dans des conditions dangereuses. Le Comité est particulièrement préoccupé par le fait que l’avortement suite à un viol ou un inceste soit considéré comme une infraction pénale, et par le fait que le Tribunal constitutionnel ait interdit la délivrance de contraceptifs oraux d’urgence aux victimes de viol. Il s’inquiète également de ce que la loi actuelle oblige les médecins à transmettre aux autorités les informations concernant les femmes qui sollicitent des soins de santé à la suite d’un avortement, exposant les intéressées à une enquête et à des poursuites pénales, ce qui crée une crainte de répression telle que, dans la pratique, les femmes sont privées de la possibilité d’avoir recours à un avortement légal. Le Comité est également préoccupé par la stérilisation forcée dont des femmes ont été victimes, plus précisément les 2 000 femmes qui ont été stérilisées de force entre 1996 et 2000 dans le cadre du Programme national pour la santé de la procréation et la planification familiale et qui n’ont pas encore reçu réparation (art. 2, 10, 12, 13, 14, 15 et 16).
L’État partie devrait revoir sa législation de façon à :
a) Modifier l’interdiction générale de l’avortement afin d’ autoriser cette intervention lorsque la grossesse résulte d’un viol ou d’un inceste, et assurer des soins de santé gratuits aux victimes de viol;
b) Légaliser la délivrance de contraceptifs oraux d’urgence aux victimes de viol;
c) S’assurer que les professionnels de santé connaissent et savent appliquer les protocoles relatifs aux avortements légaux du Ministère de la santé, et garantir un traitement immédiat et sans conditions à toute personne qui demande des soins médicaux d’urgence;
d) Éliminer la pratique qui consiste à faire avouer, aux fins de poursuites judiciaires, les femmes qui demandent des soins médicaux d’urgence à la suite d’un avortement clandestin, ainsi que la pratique qui consiste à sanctionner le personnel de santé qui s’acquitte de ses responsabilités professionnelles;
e) Renforcer les services de planification familiale et l’information dans ce domaine, et lancer une campagne publique de grande ampleur pour informer les femmes sur les cas où l’avortement pour raison médicale est légal et sur les démarches administratives à suivre pour l’obtenir.
L’État partie devrait accélérer toutes les enquêtes ouvertes sur des cas de stérilisation forcée, engager sans délai des enquêtes impartiales et efficaces sur tous les cas similaires e t offrir une réparation adéquate à toutes les victimes.
Impunité des actes de torture ou des mauvais traitementscommis pendant le conflit armé interne
16.Le Comité est profondément préoccupé par la lenteur avec laquelle l’État partie progresse dans l’établissement des responsabilités pour les 70 000 morts ou disparitions forcées survenues pendant le conflit armé interne, entre 1980 et 2000, et par le très petit nombre de condamnations et le taux d’acquittement élevé dans les affaires portées devant la justice. Il est également préoccupé par la lenteur avec laquelle il est procédé à l’exhumation des corps, à leur identification et à leur restitution aux familles, et par le manque de personnel qualifié pour cette tâche. Il s’inquiète en outre de ce que la Cour pénale péruvienne exige des preuves directes ou littérales et n’accorde pas crédit aux témoignages des victimes ou de leurs proches. Il juge très préoccupant que le Ministère de la défense n’apporte pas sa pleine coopération et ne fournisse pas des renseignements utiles pour les enquêtes, notamment les listes des officiers de l’armée affectés aux patrouilles et en poste dans les bases militaires situées dans les différentes zones touchées par le conflit, et ne communique pas les pseudonymes et les noms de code fréquemment utilisés par les militaires. Le Comité prend note de la mise en place du Programme d’assistance aux témoins et aux victimes mais, tout en étant conscient des obstacles et des difficultés qui se posent, il relève avec préoccupation qu’il n’est pas effectivement appliqué, ce qui empêche les tribunaux de recueillir des témoignages, et qu’aucune mesure particulière n’est prévue pour protéger les victimes de la torture. Il est préoccupé en outre par le fait qu’un grand nombre des cas de violence sexuelle commis pendant le conflit armé contre des femmes ou des filles ne sont pas dénoncés, que ces actes font rarement l’objet d’une enquête, que les auteurs ne sont pas condamnés et que les victimes de violences sexuelles commises pendant le conflit n’obtiennent pas de réparation effective. Il est préoccupé également de ce que le viol soit la seule forme de violence sexuelle susceptible de donner lieu à une indemnisation financière individuelle au titre de la loi no 28592 et de ce que toutes les formes de violence sexuelle ne soient pas couvertes par la loi sur les réparations. Le Comité note que l’État partie a ratifié le Statut de Rome en 2001, mais constate avec préoccupation que le projet de loi no 1707/2007/CR qui qualifie le viol de crime contre l’humanité n’a toujours pas été adopté alors qu’il a été présenté au Congrès en 2007 (art. 2, 12, 13, 14 et 16).
L’État partie devrait intensifier ses efforts pour enquêter sur les violations des droits de l’homme commises pendant le conflit armé, notamment sur les cas de torture, ainsi que pour traduire les auteurs de ces actes en justice, et pour garantir que les victimes obtiennent la vérité, la justice et une réparation. Il devrait renforcer l’unité judiciaire spécialisée créée à cette fin, de sorte qu’elle ait la capacité de conduire des procès impartiaux, publics et transparents, conformément au droit international. Le Comité recommande également que l’Institut de médecine légale renforce ses équipes spécialisées afin d’accélérer le processus d’exhumation, d’analyse et d’identification des corps et leur restitution aux familles. Le Comité engage instamment le Ministère de la défense à coopérer avec les procureurs et les juges et invite la Cour pénale péruvienne à revoir les critères qu’elle applique à l’administration de la preuve dans les affaires de violations des droits de l’homme. Les témoins et les victimes devraient bénéficier d’une protection et de ressources financières suffisantes dans le cadre du programme de protection des témoins. L’État partie devrait veiller à ce que toutes les violations des droits de l’homme, y compris l es violence s sexuelle s , commises pendant le conflit armé fassent systématiquement l’objet d’une enquête et de poursuites, et garantir une réparation aux victimes. L’interdiction de la torture consacrée dans la loi devrait viser toutes les formes de violence sexuelle et la loi n o 28592 devrait être adoptée afin de permettre aux victimes de tels crimes de bénéficier d’une indemnisation financière individuelle. Le Comité recommande à l’État partie d’accélérer l’incorporation du Statut de Rome dans son droit interne.
Programme intégral de réparation
17.Le Comité donne acte de la mise en place du Programme intégral de réparation et du Registre central des victimes visant à indemniser les personnes victimes de violences pendant le conflit armé interne qui a duré de 1980 à 2000, mais il relève avec préoccupation que ce registre va être clos en application du décret suprême no 051‑2011‑PCM, alors que quelque 28 000 dossiers attendent encore d’être examinés au titre du Programme de réparations financières. Il est également préoccupé par le montant insuffisant des indemnités et la lenteur avec laquelle celles-ci sont versées (art. 14).
Le Comité recommande à l’ État partie :
a) De m aintenir le Conseil des réparations en activité, veiller à ce que le service du Registre central des victimes poursuive le recensement des bénéficiaires du Programme de réparations financières et modifier en conséquence l’article 41 du règlement d’application de la loi n o 28592;
b) D’allouer des ressources financières et humaines suffisantes pour permettre la mise en œuvre complète et sans retard du Programme intégral de réparation, et augment er le montant des réparations financières, qui devraient être versées à toutes les personnes concernées.
Suivi médical et psychologique des victimes de torture
18.Le Comité note que les personnes qui ont été victimes de torture pendant le conflit armé interne ont droit à des services de santé au titre du Programme intégral de réparation et du régime général d’assurance maladie, et que la Cour pénale péruvienne a récemment établi dans des affaires de torture que les victimes devaient bénéficier de soins de santé physique et mentale gratuits jusqu’à leur rétablissement complet; il reste toutefois préoccupé par le fait que ce programme est loin d’être intégralement mis en œuvre, par l’absence de programme spécialisé pour le suivi médical et psychologique ou la réadaptation des victimes de torture et par l’absence de données enregistrées montrant le nombre de victimes de torture prises en charge dans le cadre des programmes de santé. Le Comité est également préoccupé par l’usage limité qui est fait des manuels pour l’évaluation des séquelles psychologiques de la torture. Un programme de réadaptation devrait également être proposé aux personnes qui ont été victimes de torture après le conflit (art. 14).
L’État partie devrait:
a) Faire en sorte que des politiques publiques visant à assurer aux victimes de torture une réparation complète soient élaborées et diffusées, prévoyant notamment la fourniture des services spécialisés nécessaires selon les cas, sans considération du lieu de résidence, de la situation socioéconomique, du sexe ou de l’ appartenance réelle ou supposée à des groupes d ’ opposition d’aujourd’hui ou du passé ;
b) Veiller à ce que les services spécialisés offrent des prestations suffisamment complètes pour aider toutes les victimes à se réadapter dans toute la mesure possible . Ces services devraient appliquer des méthodes de réadaptation globale , par exemple associer soins médicaux et prise en charge psychologique, ainsi que des services d ’ assistance juridique et sociale, des services à assise communautaire et familiale, des formations professionnelles , des services éducatifs, une aide financière temporair e et une aide à la réinsertion, et être disponibles dans toutes les régions du pays;
c) Veiller à ce que le guide adopté récemment par l a Fiscalía de la Nación pour évaluer les séquelles psychologiques de la torture soit utilisé ;
d) Établir une base de données sur les personnes victimes de torture qui bénéficient de ces programmes de santé, qui contienne les cas datant du conflit armé aussi bien que ceux postérieurs à 2000.
Le Comité appelle l’attention de l’État partie sur l’Observation générale n o 3 (2012) relative à l’article 14 de la Convention, qu’il a adoptée récemment, dans laquelle sont expliqués le contenu et la portée de l’obligation qui incombe aux États parties d’offrir une réparation complète aux victimes de torture.
Personnes handicapées
19.Le Comité est préoccupé par les informations selon lesquelles des handicapés, y compris des mineurs, sont soumis à des pratiques violentes et discriminatoires dans le milieu médical, telles que des mesures de privation de liberté prises sans que les garanties juridiques fondamentales soient respectées, l’utilisation d’entraves et l’administration continue et forcée de traitements comme l’électroconvulsivothérapie. Il relève avec satisfaction la suspension de l’application de la norme technique de planification familiale no 536/2005‑MINSA du 26 juillet 2005, en vertu de laquelle il est possible de procéder à la stérilisation de personnes souffrant d’«incapacité mentale» sans leur consentement libre et éclairé, mais s’inquiète de ce que le décret ne soit pas abrogé (art. 2, 12, 13, 14 et 16).
Le Comité recommande à l ’ État partie d ’ adopter le projet de loi sur les droits des personnes handicapées, présenté au Congrès en mars 2011, et de veiller à ce que toutes les garanties juridiques soient respectées dans le cas des personnes placées en institution ; il l’engage instamment à procéder sans délai à des enquêtes diligentes et impartiales sur tous les cas de mauvais traitements et à poursuivre les responsables de tels actes. L ’ État partie devrait abroger d ’ urgence le décret administratif autoris a nt la stérilisation forcée des handicapés mentaux dont l’application a été suspendue .
Violence contre les enfants, y compris les châtiments corporels
20.Le Comité note avec préoccupation que la violence à l’égard des enfants, notamment la violence dans la famille et la violence sexuelle, est très répandue et qu’il n’est pas explicitement interdit d’infliger des châtiments corporels aux enfants, que ce soit à la maison, à l’école, dans les centres de détention ou dans les structures de protection (art. 2 et 16).
Le Comité recommande de modifier le Code de l ’ enfance et de l ’ adolescence et le Code pénitentiaire de façon à interdire explicitement la violence contre les enfants, en particulier la violence sexuelle, et d ’ incriminer les châtiments corporels quel que soit le cadre dans lequel ils sont infligés.
Formes contemporaines d’esclavage, y compris travail forcé et traite des personnes
21.Le Comité est préoccupé par des informations faisant état de pratiques de travail forcé qui s’apparentent à l’esclavage, à la servitude pour dettes (enganche) et au servage, dans des secteurs comme l’agriculture, l’élevage et la sylviculture, et qui visent en particulier les communautés autochtones, ainsi que par la situation des employés de maison, qui vivent dans des conditions de servitude domestique. Il est aussi profondément préoccupé par le nombre croissant d’enfants qui exercent les pires formes de travail des enfants dans divers secteurs comme l’extraction minière, les fabriques de briques et les scieries, et par le fait qu’un tiers des personnes en situation de servitude domestique sont des enfants. Le Comité relève avec une préoccupation particulière que l’interdiction de l’esclavage et du travail forcé n’est pas adéquatement énoncée dans le Code pénal. Il est en outre alarmé par le fait que des personnes sont victimes de la traite aux fins de travail et d’exploitation sexuelle, en particulier des femmes et des jeunes filles des zones rurales pauvres de l’Amazonie qui sont recrutées et forcées à se prostituer dans les maisons closes des bidonvilles miniers (art. 2, 12, 13, 14 et 16).
L ’ État partie devrait accroître ses efforts pour:
a) Adopter des mesures législatives visant à éliminer le travail forcé, le servage et la servitude domestique;
b) É liminer dans la pratique de telles formes contemporaines d ’ esclavage , et en particulier en protéger les enfants ;
c) E nquêter sans délai sur tous les cas de travail forcé et de traite de s personnes, traduire les responsables de ces pratiques en justice et les punir d ’ une peine appropriée, et assurer aux victimes une protection, une aide judiciaire gratuite, une aide à la réadaptation et une réparation;
d) S ensibiliser et former les agents de la force publique, les juges et les procureurs aux questions liées à la traite de s personnes et améliorer l ’ identification des victimes de cette pratique;
e) M odifier le Code pénal et la loi relative au travail domestique de façon à les rendre conformes aux normes internationales.
Agressions contre la communauté des lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres (LGBT)
22.Le Comité est vivement préoccupé par les informations indiquant que la communauté LGBT serait l’objet de harcèlement et d’agressions violentes, parfois mortelles, de la part de membres de la police, des forces armées, des patrouilles municipales de sécurité (serenos) et du personnel pénitentiaire et que des personnes ont été détenues de manière arbitraire et brutalisées dans les postes de police, en ne bénéficiant pas des garanties juridiques fondamentales (art. 2, 11, 12, 13 et 16).
L ’ État partie devrait prendre des mesures efficaces pour protéger la communauté LGBT contre les agressions, les violences et les détentions arbitraires, et veiller à ce que tou s les actes de violence donnent rapidement l ieu à une enquête efficace et impartiale et à des poursuites , à ce que les auteurs de tels actes soient traduits en justice et à ce que les victimes obtiennent réparation.
Collecte de données
23.Le Comité regrette l’absence de données complètes et ventilées sur les plaintes, les enquêtes, les poursuites et les condamnations relatives à des actes de torture et des mauvais traitements imputés à des agents de la force publique, des militaires, des agents de sécurité ou des personnels de l’administration pénitentiaire, ainsi que sur la traite, sur la violence contre les femmes, les enfants et les autres groupes vulnérables, notamment la violence au foyer et la violence sexuelle, et sur les mesures de réparation (art. 2, 11, 12, 13, 14 et 16).
L ’ État partie devrait rassembler des données statistiques utiles pour surveiller l ’ application de la Convention au niveau national, notamment des données ventilées sur les plaintes, les enquêtes, les poursuites et les condamnations relatives à des actes de torture et des mauvais traitements imputés à des agents de la force publique ou des personnels de l ’ administration pénitentiaire, ainsi que sur la traite, sur la violence, notamment la violence au foyer et la violence sexuelle, contre les femmes, les enfants et les autres groupes vulnérables , et sur les mesures de réparation, notamment l ’ indemnisation et la réadaptation, dont ont bénéficié les victimes.
24.Le Comité invite l’État partie à envisager de ratifier les principaux instruments des Nations Unies relatifs aux droits de l’homme auxquels il n’est pas encore partie: le deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, visant à abolir la peine de mort, et le Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels.
25.L’État partie est invité à diffuser largement le rapport soumis au Comité ainsi que les présentes observations finales, dans les langues voulues y compris les langues autochtones, par le biais des sites Web officiels, des médias et des organisations non gouvernementales.
26.Le Comité demande à l’État partie de lui faire parvenir, au plus tard le 23 novembre 2013, des renseignements sur la suite donnée aux recommandations suivantes faites aux paragraphes 8 a), 15 a) et 17 b) du présent document: a) mener sans délai des enquêtes impartiales et efficaces; b) renforcer ou faire respecter les garanties juridiques auxquelles ont droit les détenus; c) poursuivre et punir les auteurs d’actes de torture et de mauvais traitements.
27.Le Comité invite l’État partie à présenter son prochain rapport périodique, qui sera le septième, le 23 novembre 2016 au plus tard. À cette fin, il lui soumettra en temps voulu une liste préalable de points à traiter, puisque l’État partie a accepté d’établir son rapport conformément à la procédure facultative.