NATIONS UNIES

CAT

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr.GÉNÉRALE

CAT/C/PER/CO/425 juillet 2006

FRANÇAISOriginal: ESPAGNOL

COMITÉ CONTRE LA TORTURETrente-sixième session1er-19 mai 2006

EXAMEN DES RAPPORTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES EN APPLICATION DE L’ARTICLE 19 DE LA CONVENTION

Conclusions et recommandations du Comité contre la torture

PÉROU

1.Le Comité a examiné le quatrième rapport périodique du Pérou (CAT/C/61/Add.2) à ses 697e et 699e séances, les 2 et 3 mai 2006 (CAT/C/SR.697 et 699) et a adopté les conclusions et recommandations suivantes à sa 718e séance, le 16 mai 2006 (CAT/C/SR.718).

A. Introduction

2.Le Comité accueille avec satisfaction le quatrième rapport périodique du Pérou. Il se félicite du dialogue constructif engagé avec la délégation de haut niveau et la remercie des réponses franches et directes qu’elle a apportées par écrit et oralement aux questions du Comité.

B. Aspects positifs

3.Le Comité félicite l’État partie pour les progrès importants qu’il a accomplis au cours des cinq dernières années. Il salue en particulier le travail de la Commission vérité et réconciliation qui, en août 2003, a soumis au Président de la République un rapport contenant, d’une part, une série de recommandations visant à promouvoir les principes de la justice, de la vérité et de la réparation au moyen de réformes institutionnelles, et, d’autre part, des mesures relatives à la reconnaissance du statut de victime et à l’établissement de réparations pour les victimes. Le Comité souhaite souligner en particulier l’importance du Plan intégré de réparations et signaler qu’il importe que des ressources suffisantes soient dégagées pour mettre en œuvre les recommandations faites dans le présent rapport.

4.Le Comité prend note de l’augmentation du nombre d’enquêtes menées sur des plaintes pour actes de torture.

5.Le Comité félicite le bureau du Défenseur du peuple pour son travail de suivi des plaintes pour torture.

6.Le Comité relève avec satisfaction que le Tribunal constitutionnel et la Cour suprême ont fait référence aux normes internationales et régionales relatives aux droits de l’homme quand ils se sont prononcés sur la compétence des juridictions pénales militaires.

7.Le Comité accueille avec satisfaction, dans les cas de disparition forcée, la reconnaissance par le Tribunal constitutionnel du droit à la vérité comme droit fondamental.

8.Le Comité accueille avec satisfaction la mise en place d’un sous-système pénal spécialisé dans les actions contre la torture, qui comprend des parquets et d’autres organes spécialisés.

9.Le Comité prend note de la loi pour la protection des réfugiés, adoptée en décembre 2002, qui consacre le droit au non-refoulement selon les dispositions de la Convention relative au statut des réfugiés et du Protocole relatif au statut des réfugiés. Ainsi, le respect des obligations énoncées à l’article 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants est renforcé.

10.Le Comité se félicite de la déclaration de l’État partie en 2002 au sujet de la formulation de la déclaration prévue aux articles 21 et 22 de la Convention.

11.Le Comité félicite aussi l’État partie d’avoir ratifié le Statut de Rome de la Cour pénale internationale, le 10 novembre 2001, la Convention interaméricaine sur les disparitions forcées, le 8 février 2002, et la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille, le 14 septembre 2005.

C. Sujets de préoccupation et recommandations

Persistance des plaintes pour torture et traitements cruels

12.Le Comité prend note de la diminution du nombre de plaintes contre la police déposées devant le Défenseur du peuple pour actes de torture entre 1999 et 2004. Cependant, le Comité est préoccupé par les plaintes qui continuent à être déposées contre des membres de la police nationale ou des forces armées et contre des agents du système pénitentiaire, ainsi que par les plaintes de recrues pour torture et traitements cruels.

L’État partie doit adopter des mesures efficaces pour empêcher la pratique de la torture sur tout le territoire placé sous sa juridiction. Le Comité rappelle à l’État partie qu’il est tenu de mener immédiatement des enquêtes efficaces et impartiales sur toutes les plaintes déposées, puis de veiller à ce que des peines appropriées soient prononcées contre les coupables et à ce que réparation soit accordée aux victimes.

Bureau du Défenseur du peuple

13.Le Comité souligne le rôle important du bureau du Défenseur du peuple en matière de promotion et de protection des droits de l’homme au Pérou et en particulier le rôle de ses visites dans les lieux de détention. Le Comité constate avec préoccupation qu’il arrive fréquemment que les autorités ne s’acquittent pas de leur devoir de collaboration avec le bureau du Défenseur du peuple et s’inquiète de ce que l’État partie ne donne pas suite aux recommandations formulées par le bureau.

L’État partie doit adopter les mesures nécessaires pour soutenir l’action du bureau du Défenseur du peuple, notamment une large diffusion des informations sur le mandat du bureau, et doit mettre en œuvre les recommandations que celui-ci formule.

Registre national des plaintes pour torture et autres traitements inhumains

14.Le Comité prend note de l’existence, affirmée par la délégation, du registre du bureau du Défenseur du peuple. Il considère néanmoins que l’État partie doit aussi créer un registre du ministère public afin de compléter le registre précédent.

L’État partie doit établir un registre national recensant toutes les plaintes déposées par les personnes qui déclarent être victimes de torture et de traitements cruels, inhumains ou dégradants, comme le Comité l’a déjà recommandé dans ses conclusions et recommandations de 1999 (A/55/44, par. 56 à 63).

États d’urgence

15.Le Comité est préoccupé par les proclamations fréquentes de l’état d’urgence et les allégations d’abus commis par la police et les forces armées lorsque ces mesures exceptionnelles sont appliquées.

L’État partie doit limiter la proclamation de l’état d’urgence aux situations absolument nécessaires et scrupuleusement respecter, pendant ces périodes-là, les obligations qui lui incombent en matière de droits de l’homme, conformément au paragraphe 2 de l’article 2 de la Convention.

Enquête immédiate et impartiale (art. 4 et 13)

16.Le Comité reconnaît que l’État partie a progressé en abrogeant les lois d’amnistie et en traduisant devant les tribunaux pénaux, pour actes de torture, des officiers de l’armée et de hauts responsables de la police. Toutefois, le Comité est toujours préoccupé par les retards excessifs avec lesquels les procès sont menés et regrette que la compétence de la justice pénale militaire ne soit pas alignée sur les obligations internationales dans le domaine des droits de l’homme contractées par le Pérou et inscrites dans la Convention.

L’État partie doit:

a) Faire en sorte qu’une enquête impartiale et approfondie soit immédiatement menée sur toutes les allégations d’actes de torture, de mauvais traitements et de disparitions forcées imputés à des agents de l’État. Les enquêtes ne doivent pas être réalisées par la justice pénale militaire. En cas d’accusation de torture, l’inculpé devrait être suspendu de ses fonctions ou transféré pendant la durée de l’enquête afin d’éviter tout risque d’entrave à la justice. Le Comité rappelle que les forces armées et la police sont tenues de collaborer aux enquêtes menées par la justice ordinaire;

b) Juger les responsables et infliger des peines appropriées aux coupables, ce qui ne permettra à aucun acte de ce type de rester impuni;

c) Veiller à ce que le ministère public et le service de médecine légale disposent de ressources propres suffisantes et que leur personnel ait la formation voulue pour s’acquitter de leurs fonctions.

Formation des professionnels (art. 10)

17.Le Comité reconnaît que l’État partie a fait des efforts pour améliorer la formation des professionnels de l’administration de la justice. Toutefois, il est préoccupé par le fait que ceux-ci et les professionnels de santé n’ont toujours pas la formation nécessaire pour reconnaître les cas de torture et de traitements cruels, inhumains ou dégradants, en particulier en détention provisoire et en garde à vue.

L’État partie doit développer les programmes de formation à l’intention des officiers de police, des membres de l’armée, du personnel pénitentiaire et des procureurs, sur les obligations imposées par la Convention et spécialement sur la qualification appropriée des cas de torture. De même, il est recommandé de mettre en place des cours de formation pour les professionnels de santé chargés de déceler les cas de torture et pour tous ceux qui aident les victimes de torture à se réadapter.

Conditions dans les centres de détention et les établissements pénitentiaires (art. 1, 11, 12 et 16)

18.Le Comité est préoccupé par le fait que des plaintes pour torture et mauvais traitements dans les lieux de détention provisoire et dans les établissements pénitentiaires continuent à être déposées. Il s’inquiète de la surpopulation et de l’entassement dans les prisons ainsi que de l’absence de professionnels de santé et d’avocats commis d’office chargés de défendre convenablement leurs clients.

L’État partie doit prendre d’urgence des mesures pour réduire la surpopulation carcérale et donner la priorité à un meilleur accès aux professionnels de santé et aux avocats commis d’office.

19.Le Comité prend note de l’annonce de la fermeture de la prison de Challapalca, mais regrette que la prison de Yanamayo n’ait pas elle aussi été fermée alors que le Comité l’avait expressément recommandé à l’issue de l’enquête menée en 1998 au titre de l’article 20. De même, le Comité s’inquiète que la prison de sécurité maximale de la base navale de Callao, placée sous l’administration de la marine, soit toujours utilisée pour les prisonniers de droit commun.

L’État partie doit fermer la prison de Yanamayo. Il doit garantir que les établissements pénitentiaires civils seront régis par les autorités civiles et non militaires et il doit aussi mettre en œuvre son Plan national de traitement pénitentiaire.

Intimidation et menaces

20.Le Comité est préoccupé par les plaintes qu’il a reçues faisant état de représailles, d’actes d’intimidation et de menaces contre les personnes qui dénoncent des actes de torture et de mauvais traitements, ainsi que par l’absence de dispositif efficace de protection des témoins et des victimes. Il regrette que les défenseurs des droits de l’homme qui ont collaboré avec la Commission vérité et réconciliation aient été menacés.

Conformément à l’article 13 de la Convention, l’État partie doit prendre des mesures efficaces pour que toutes les personnes qui portent plainte pour actes de torture ou de mauvais traitements soient protégées contre toute intimidation et contre tout risque de représailles. L’État partie doit mener des enquêtes sur tous les cas d’intimidation de témoins qui sont portés à sa connaissance et mettre en place un dispositif approprié de protection des témoins et des victimes.

Réparations

21.Le Comité reconnaît les progrès réalisés en matière de protection du droit de réparation pour les victimes de torture et de traitements cruels, inhumains ou dégradants, et dans tout ce qui a trait aux travaux de la Commission vérité et réconciliation dont les plaintes sont progressivement examinées par les tribunaux. Malgré des progrès significatifs réalisés dans le domaine des réparations, le Comité regrette que les recommandations de la Commission vérité et réconciliation n’aient pas été suffisamment appliquées, spécialement en faveur des groupes vulnérables.

L’État partie doit appliquer les recommandations de la Commission vérité et réconciliation pour que les conséquences de la violence soient éliminées et que l’impunité du passé n’ait plus cours. En ce qui concerne les réparations, l’État partie doit prendre en compte les considérations sexospécifiques et prêter l’attention nécessaire aux groupes les plus vulnérables, en particulier aux populations autochtones qui ont subi le plus de violences.

22.Le Comité souligne l’obligation de donner réparation aux victimes chaque fois qu’un jugement pour acte de torture est rendu dans l’une des Cours du pays. Le Comité est préoccupé par le caractère souvent dérisoire de la somme donnée au titre de réparation et le retard pris par l’État partie lorsqu’il s’agit de s’acquitter des réparations fixées par plusieurs jugements de la Cour interaméricaine des droits de l’homme ainsi que par plusieurs décisions du Comité des droits de l’homme saisis pour des cas de viol, de torture et autres traitements cruels, inhumains ou dégradants.

L’État partie doit garantir que, pour tous les cas d’actes de torture et autres traitements cruels, inhumains ou dégradants où sa responsabilité aura été établie, il s’acquittera de son obligation de verser une réparation convenable aux victimes.

Traitements cruels, inhumains ou dégradants

23.Le Comité est préoccupé par les plaintes faisant état de cas de femmes involontairement stérilisées. Il a aussi été informé que les professionnels de santé, employés par l’État, refusaient d’administrer les soins médicaux mettant leur vie en péril. La loi en vigueur restreint fortement la pratique de l’interruption volontaire de grossesse, y compris dans les cas de viol, ce qui a eu des conséquences graves et a entraîné le décès de femmes qui auraient pu être sauvées. Les allégations reçues indiquent que l’État partie n’a pas empêché que des actes nuisant gravement à la santé physique et mentale des femmes soient commis, et que ces actes sont des actes cruels et inhumains.

L’État partie doit prendre les mesures nécessaires, y compris au niveau législatif, pour empêcher efficacement que soient commis des actes nuisant gravement à la santé des femmes et pour que soient donnés les soins médicaux nécessaires. Il doit aussi renforcer les programmes de planification familiale en offrant un meilleur accès à l’information et aux services de santé de la procréation, y compris pour les adolescents.

24.Le Comité demande que, dans son prochain rapport périodique, l’État partie fournisse les renseignements demandés en suivant les lignes directrices sur les rapports périodiques, et qu’il inclue les données relatives à toutes les plaintes déposées pour torture et autres traitements cruels, inhumains ou dégradants afin d’éviter les contradictions et de faciliter le travail du Comité pour que celui-ci ait une vision plus claire de la situation en matière de protection contre la torture.

Il faudra préciser:

a) Le sexe, les origines ethnique et géographique des victimes des actes visés par la Convention;

b) Les fonctions des accusés et l’unité à laquelle ils appartiennent ainsi que des précisions sur leur suspension pendant la durée de l’enquête;

c) La juridiction compétente pour mener l’enquête et les sanctions ou dispenses de peine qui ont été prononcées;

d) Les réparations accordées aux victimes, notamment le montant des indemnisations et les services de réadaptation proposés.

25. Le Comité recommande à l’État partie de diffuser largement les rapports qu’il a soumis au Comité ainsi que les présentes conclusions et recommandations, y compris dans les langues autochtones, par le biais des médias, des sites Web officiels et des organisations non gouvernementales.

26. Le Comité engage l’État partie à envisager de ratifier le Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

27. Le Comité demande à l’État partie de lui fournir, dans un délai d’un an, des renseignements sur les mesures qu’il aura prises pour donner suite aux recommandations formulées aux paragraphes 14, 15, 16, 20 et 22.

28. Le Comité invite l’État partie à présenter son prochain rapport périodique, qui sera considéré comme le sixième rapport, au plus tard le 5 août 2009, date limite de présentation de son sixième rapport périodique.

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