CCPR

Pacte international relatif aux droits civilset politiquesDistr.

RESTREINTE

CCPR/C/72/D/831/1998

3 août 2001

FRANÇAIS

Original: ANGLAIS

COMITÉ DES DROITS DE L’HOMMESoixante-douzième session9-27 juillet 2001

DÉCISION

Communication no 831/1998

Présentée par:M. Michaël Meiers (représenté par M. Roland Houver)

Au nom de:L’auteur

État partie:France

Date de la communication:11 février 1997 (date de la lettre initiale)

Décisions antérieures:Décision du Rapporteur spécial prise en application de l’article 91, communiquée à l’État partie le 18 septembre 1998 (non publiée sous forme de document)

Date de la présente décision:16 juillet 2001

[Annexe]

Annexe

Décision du Comité des droits de l’homme en vertu du Protocole facultatifse rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Soixante‑douzième session

concernant la

Communication no 831/1998 **

Présentée par:M. Michaël Meiers (représenté par M. Roland Houver)

Au nom de:L’auteur

État partie:France

Date de la communication:11 février 1997 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 16 juillet 2001,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1.L’auteur de la communication est Michaël Meiers, citoyen français domicilié à Belfort. Il accuse les autorités françaises d’une violation de l’article 14, paragraphe 1, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

Rappel des faits

2.1L’auteur a effectué un stage dans la Police nationale française de novembre 1987 au 1er janvier 1990. À l’issue de ce stage, il n’a pas été titularisé comme fonctionnaire et a été licencié par le Ministre de l’intérieur le 27 décembre 1989.

2.2Cette dernière décision a fait l’objet d’un recours devant le Tribunal administratif de Versailles qui, par un jugement du 17 décembre 1991, soit près de deux ans après la décision contestée, a annulé la non-titularisation de l’auteur. Ensuite, étant donné la «mauvaise volonté» de l’administration de se conformer à ladite décision, l’auteur s’est adressé à la section des requêtes du Conseil d’État afin d’être réintégré. Ceci amena le Ministre de l’intérieur à décider, en date du 17 avril 1992, de la réintégration de l’auteur à compter du 1er janvier 1990.

2.3Cependant, le 23 mars 1992, le Ministre de l’intérieur avait interjeté appel du jugement du Tribunal administratif de Versailles devant le Conseil d’État. À cause d’une erreur d’adresse, l’auteur ne fut notifié de ce recours ainsi que des arguments à la base de ce dernier que le 19 novembre 1992 par la préfecture de Belfort. L’auteur s’est alors adressé à un avocat qui a déposé auprès du Conseil d’État des observations en défense le 20 juillet 1993.

2.4Ne recevant plus de nouvelles de cette affaire, l’auteur alla se renseigner en date du 3 juillet 1995 à la sous-section du Conseil d’État compétente. Suite à cette demande, le Conseil d’État informa ce dernier par un courrier du 21 août 1995 que l’instruction de son dossier était terminée et que le rapporteur avait déjà déposé son projet mais qu’il était en revanche impossible de préciser une date d’audience.

2.5Ladite audience eut «apparemment» lieu le 11 décembre 1996 mais l’auteur, n’en ayant pas été averti, ne put s’y rendre. Le Conseil d’État réforma le jugement rendu par le Tribunal administratif de Versailles et donna raison à l’administration. L’arrêt fut notifié aux parties en date du 14 janvier 1997.

2.6L’auteur fait remarquer que la procédure en première instance s’est déroulée sur une période de deux ans, ce qui constitue à ses yeux un délai déraisonnable pour une question de réintégration d’un fonctionnaire. Par ailleurs, la procédure devant le Conseil d’État s’est déroulée, depuis l’introduction de l’appel jusqu’à la notification de l’arrêt, sur une période de quatre années et 10 mois, ce qui constitue également un délai déraisonnable. La totalité de la procédure a donc duré près de sept ans.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur considère que la durée mise par les juridictions administratives à statuer sur son cas est déraisonnable, que soit prise en compte la totalité de la procédure ou uniquement celle s’étant déroulée devant le Conseil d’État. À ce titre, elle constitue une violation flagrante de l’article 14, paragraphe 1, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

3.2L’auteur estime ce délai d’autant plus déraisonnable que le dossier ne présentait aucune difficulté particulière, qu’il n’a lui‑même posé aucune entrave au bon déroulement de la procédure et qu’après le dépôt de ses conclusions auprès du Conseil d’État en juillet 1993, le dossier était prêt à être évoqué.

3.3En outre, l’auteur rappelle que le Code des tribunaux administratifs fixe un délai de 60 jours pour le dépôt des mémoires en réponse par les parties, délai qui n’a presque jamais été respecté à l’égard de l’administration. Ceci a valu à l’État partie d’être sanctionné plusieurs fois par la Cour européenne des droits de l’homme (Vallée c. France, CEDH 26 avril 1994; Karakaya c. France, CEDH 8 février 1996).

3.4En ce qui concerne les conséquences du délai de la procédure, l’auteur considère que suite à la décision du Conseil d’État, il se retrouvait dans la situation dans laquelle il était cinq ans auparavant. Par conséquent, même si l’auteur ne conteste pas que le salaire perçu par lui durant ces années devrait lui rester acquis en vertu de «la règle du service fait», il soutient que l’administration lui réclamera la restitution de l’indemnité versée par l’administration pour la durée de la procédure en première instance durant laquelle il n’était pas en fonction.

3.5En outre, depuis sa réintégration à l’administration, l’auteur n’a cessé de rencontrer des problèmes avec sa hiérarchie qui ont finalement conduit à sa révocation le 4 avril 1996 en raison de son refus de se rendre à différentes expertises psychiatriques qui lui paraissaient inopportunes. Entre-temps, l’auteur a initié un nombre important de procédures (recours pour excès de pouvoir, procédure en responsabilité, procédures devant le Conseil de l’ordre des médecins, ...) qui n’auraient pas été mises en œuvre si le Conseil d’État s’était prononcé dans un délai raisonnable.

3.6L’auteur évalue l’ensemble du préjudice subi suite à la durée de la procédure à 3 millions de francs français (plus ou moins 428 000 dollars des États-Unis).

3.7En ce qui concerne la recevabilité de la communication, l’auteur précise qu’il n’a pu introduire de recours devant la Cour européenne des droits de l’homme car celle-ci considère que le contentieux disciplinaire des fonctionnaires titulaires ne fait pas partie des «obligations à caractère civil» au sens de l’article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

3.8Par contre, sur le principe de la recevabilité devant le Comité, l’auteur renvoie expressément à la jurisprudence de ce dernier dans son affaire Casanovas (Casanovas c. France, 441/1990, 19 juillet 1994) lors de laquelle il avait considéré qu’une procédure de révocation dirigée contre un fonctionnaire constituait bien une contestation sur des droits civils au sens de l’article 14, paragraphe 1, du Pacte. L’auteur revendique l’application de cette jurisprudence à son cas.

Renseignements et observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond de la communication

4.1L’État partie considère que la communication doit être déclarée irrecevable parce qu’elle ne rentre pas dans le champ d’application de l’article 14, paragraphe 1, du Pacte.

4.2Tout d’abord, le principe de non-titularisation après un stage ne présente pas le caractère d’une procédure disciplinaire et, par conséquent, ne constitue en aucun cas une accusation en matière pénale. L’État partie fait à ce sujet une distinction entre une procédure disciplinaire qui peut avoir lieu durant le stage ou à son issue et une décision constatant la fin du stage et refusant la titularisation pour des motifs liés à l’aptitude professionnelle du candidat, ce qui est le cas de l’auteur. Or, si la loi attache des conséquences importantes à la procédure disciplinaire comme la motivation des décisions et la communication du dossier, il n’en va pas de même pour une décision de non-titularisation, ce qui confirme l’absence de caractère disciplinaire de cette dernière.

4.3Ensuite, si l’État partie n’ignore pas la jurisprudence du Comité dans son affaire Casanovas citée plus haut, il considère néanmoins qu’elle ne peut s’appliquer au cas d’espèce. En effet, même s’il présente un enjeu pécuniaire pour l’auteur, le litige porte sur un moment de la carrière des fonctionnaires où les pouvoirs discrétionnaires de l’administration sont les plus sensibles et où le contrôle du juge se limite à l’erreur manifeste d’appréciation.

4.4À cet égard, l’État partie rappelle la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme selon laquelle les litiges relatifs au recrutement, la carrière et la cessation d’activité des fonctionnaires ne font pas partie du champ d’application de l’article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l’homme sauf à ce qu’ils présentent un caractère essentiellement patrimonial, ce dernier étant interprété de manière très restrictive.

4.5Or, il s’avère que l’article 14, paragraphe 1, du Pacte est rédigé dans des termes similaires à ceux de l’article 6 susmentionné. Donc, dans la mesure où il semble bien que le présent litige porte sur la non-titularisation de l’auteur et par souci de cohérence dans l’interprétation des instruments internationaux, l’État partie estime qu’il serait souhaitable que le Comité déclare la communication irrecevable au motif qu’elle ne rentre pas dans le champ d’application de l’article 14, paragraphe 1, du Pacte.

4.6À titre subsidiaire, et en ce qui concerne le bien-fondé de la communication, l’État partie fait valoir que l’auteur ne peut se prévaloir de la qualité de victime dans la mesure où le délai de la procédure devant le Conseil d’État n’a pas préjudicié ses droits. La décision initiale du Tribunal administratif de Versailles avait en effet annulé la décision de refus de titularisation, ce qui a eu pour conséquence que l’auteur a continué à exercer son activité et à percevoir normalement son salaire au titre de service fait.

Réponse du requérant aux observations de l’État partie

5.1L’auteur rappelle que dans l’affaire Casanovas, le Comité avait considéré qu’une procédure de révocation d’un fonctionnaire constituait bien une contestation sur les droits civils au sens de l’article 14 du Pacte.

5.2L’auteur estime que la même jurisprudence doit s’appliquer au cas présent. La procédure de révocation dans l’affaire Casanovas est en effet la perte d’un emploi avec les conséquences pécuniaires qui en découlent. De la même manière, la non-titularisation d’un fonctionnaire stagiaire constitue un refus d’employer l’auteur de manière définitive, ce qui a des conséquences pécuniaires identiques. Il s’agit donc bien d’une contestation sur un droit civil, son principal aspect étant son caractère patrimonial.

5.3D’autre part, l’auteur soulève qu’il ne s’agit pas ici de contester la décision de non‑titularisation mais bien la durée de la procédure, ce dernier problème étant assurément visé par les termes de l’article 14 du Pacte.

5.4Par rapport au bien-fondé de la communication, l’auteur estime que le préjudice matériel et moral résultant du délai déraisonnable de la procédure est incontestable. Les procédures que l’auteur a initiées après la décision initiale du Tribunal administratif se sont en effet achevées par un non-lieu suite à l’arrêt du Conseil d’État. Or, si l’auteur avait été informé en temps utile de l’appel introduit par l’administration et si le Conseil d’État avait rendu sa décision dans un délai raisonnable, les frais occasionnés par les procédures suivantes auraient pu être évités.

Décision du Comité concernant la recevabilité

6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité note les observations de l’État partie sur la recevabilité ratione m a teriae de la communication ainsi que son argumentation et celle de l’auteur sur l’applicabilité de la jurisprudence Casanovas au cas présent.

6.3Le Comité est d’avis cependant que, sans devoir considérer l’étendue du champ d’application de l’article 14, paragraphe 1 du Pacte, et tout en exprimant une certaine préoccupation quant à la durée de la procédure, l’auteur n’a pas, dans le cas présent, suffisamment établi que la durée de la procédure relative à la décision de non‑titularisation du 23 décembre 1989 et qui s’est déroulée devant les juridictions administratives françaises lui avait causé un préjudice réel, étant donné d’une part qu’il avait perçu des indemnités pour la période précédant sa réintégration en 1992 et d’autre part qu’il avait continué à exercer son activité et à percevoir son salaire jusqu’à sa révocation en 1996.

7.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide: 

Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif;

Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et au représentant de l’auteur de la communication.

[Adopté en anglais (version originale), en français et en espagnol. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel présenté par le Comité à l’Assemblée générale.]

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