NATIONS UNIES

CCPR

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr.RESTREINTE*

CCPR/C/92/D/1496/200621 avril 2008

FRANÇAISOriginal: ANGLAIS

COMITÉ DES DROITS DE L’HOMMEQuatre-vingt-douzième session17 mars-4 avril 2008

DÉCISION

Communication n o  1496/2006

Présentée par:

Dilwyn Stow (non représenté par un conseil)

Au nom de:

Graham Stow, Andrew Stow, Alhaji Modou Gai

État partie:

Portugal

Date de la communication:

4 mai 2006 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 3 octobre 2006 (non publiée sous forme de document)

Date de la présente décision:

1er avril 2008

Objet:

Procès dans un pays étranger

Questions de fond:

Irrégularités dans l’évaluation des éléments de preuve

Questions de procédure:

Non-épuisement des recours internes; appréciation des faits et des éléments de preuve; griefs non étayés

Article du Pacte:

14 (par. 1 et 3 f))

Articles du Protocole facultatif:

2, 5 (par. 2 b))

[ANNEXE]

ANNEXE

DÉCISION DU COMITÉ DES DROITS DE L ’ HOMME EN VERTU DU PROTOCOLE FACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES

Quatre-vingt-douz ième session

concernant la

Communication n o 1496/2006 *

Présentée par:

Dilwyn Stow (non représenté par un conseil)

Au nom de:

Graham Stow, Andrew Stow, Alhaji Modou Gai

État partie:

Portugal

Date de la communication:

4 mai 2006 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l ’ homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 1er avril 2008,

Adopte ce qui suit:

DÉCISION CONCERNANT LA RECEVABILITÉ

1.1L’auteur de la communication est M. Dilwyn Stow. Il présente cette communication au nom de ses fils, Graham et Andrew Stow, tous deux de nationalité britannique, et d’Alhaji Modou Gai, de nationalité gambienne. La communication originale est datée du 4 mai 2006 et d’autres documents ont été reçus les 5 et 21 juillet 2006.

1.2Le 19 janvier 2007, le Rapporteur spécial pour les nouvelles communications, agissant au nom du Comité, a décidé que la recevabilité devait être examinée indépendamment du fond.

Rappel des faits présentés par l ’ auteur

2.1Les frères Stow sont des marins et des plongeurs. En juillet 1999, ils envisageaient la possibilité d’ouvrir une école de plongée en Gambie sur un bateau nommé «The Baltic». Au cours de leur voyage de retour de Gambie, ils sont arrivés le 12 juillet 1999 au port de Faro (Portugal) en compagnie de M. Alhaji Modou Gai, qui travaillait pour eux. Ils ont amarré le bateau à l’emplacement désigné par le capitaine de port. La cale et les compartiments de l’embarcation ont été inspectés dans le cadre d’un contrôle de routine et les douaniers n’ont rien découvert de suspect. Le 15 juillet 1999, le capitaine de port a demandé aux propriétaires de déplacer leur bateau pour laisser de la place à un plus gros navire. Le 16 juillet 1999, les frères Stow ont repêché cinq paquets immergés, enveloppés dans du plastique, qu’ils affirment avoir découverts alors qu’ils effectuaient des réparations sur le bateau. Ils assurent avoir agi par curiosité, car ils ignoraient le contenu des paquets, et avoir eu la ferme intention d’informer les autorités. Environ 15 minutes plus tard, la police judiciaire est arrivée. Les deux frères Stow et M. Gai ont été arrêtés car les paquets contenaient du cannabis.

2.2Le 17 juillet 1999, les intéressés ont été déférés devant le juge d’instruction du tribunal d’Olhão. Ils ont été interrogés en présence d’un interprète et d’un avocat commis d’office. Le magistrat a décidé qu’il y avait assez d’éléments pour ordonner leur placement en détention provisoire pour trafic de stupéfiants. Le 6 juillet 2000, près d’un an après leur arrestation, ils ont été inculpés de trafic de stupéfiants. Une audience s’est tenue le 7 juin 2001 devant le tribunal de Faro. Les prévenus ont demandé qu’elle soit enregistrée sur support magnétique mais le tribunal a refusé. Le 7 juillet 2001, ils ont été reconnus coupables de trafic de stupéfiants et condamnés à douze ans d’emprisonnement (neuf ans pour M. Gai). Au cours du procès, l’accusation a soutenu que les frères avaient traîné le cannabis sous l’eau depuis les îles Canaries au moyen d’un filet de chalutier retrouvé à bord. Selon l’auteur, des experts cités comme témoins ont écarté cette possibilité. Ils ont déclaré que le filet n’avait jamais été utilisé et était trop petit pour contenir la cargaison totale; en outre, ses bords étaient trop fragiles pour supporter un tel poids. Les juges ont cependant suivi la thèse de l’accusation et déclaré les accusés coupables. Le procès s’est déroulé entièrement en portugais.

2.3Le 24 octobre 2001, la cour d’appel d’Évora a annulé le procès et le jugement de première instance pour défaut d’enregistrement magnétique et a ordonné un nouveau procès devant le même tribunal.

2.4Au deuxième procès, deux des trois juges qui avaient déjà statué la première fois siégeaient de nouveau, ce qui selon l’auteur compromettait l’indépendance et l’impartialité du tribunal. Les prévenus ont demandé la récusation de ces deux juges mais la cour d’appel d’Évora a rejeté leur demande le 22 janvier 2002. Le 15 juillet 2002, ils ont été de nouveau condamnés à douze ans d’emprisonnement et à payer les frais d’interprétation. Cette fois encore, le procès s’était déroulé entièrement en portugais.

2.5Après leur deuxième condamnation, les intéressés ont interjeté appel auprès de la cour d’appel d’Évora, faisant valoir que les éléments de preuve présentés étaient insuffisants pour justifier le verdict. En outre, le fait que deux juges ayant statué lors du premier examen de l’affaire aient également pris part au deuxième procès avait selon eux compromis l’indépendance du tribunal, en violation du Code de procédure pénale, de la Constitution et de la Convention européenne des droits de l’homme. L’appel a été rejeté le 20 novembre 2002. Selon la cour, le simple fait que les deux juges avaient siégé dans les deux procès ne suffisait pas à conclure qu’ils avaient agi avec partialité; pour parvenir à cette conclusion, il aurait fallu apporter d’autres éléments de preuve, ce que les intéressés n’avaient pas fait. La cour a également rappelé que le premier procès avait été annulé pour des raisons techniques et non pour des raisons liées au fond de l’affaire.

2.6Les intéressés se sont pourvus en cassation devant la Cour suprême en faisant valoir le manque d’impartialité du tribunal de Faro. Ils ont également affirmé que les éléments de preuve étaient insuffisants pour les déclarer coupables, que le jugement de la cour d’appel était mal fondé et que les peines étaient excessives. Le 30 avril 2003, la Cour suprême les a déboutés. Elle a considéré, notamment, que la législation interne n’interdisait pas aux mêmes juges de siéger lorsqu’un procès devait être tenu à nouveau pour des raisons telles que celles invoquées en l’espèce, puisque la décision sur le fond n’avait pas été contestée ni même examinée par la cour d’appel. La Cour suprême a également établi qu’il n’y avait pas eu violation de la Constitution ni de la Convention européenne des droits de l’homme.

2.7Dans le cadre de leur moyen tiré du manque d’impartialité des juges, les intéressés ont saisi la Cour constitutionnelle, faisant valoir l’inconstitutionnalité des articles 40 et 43, paragraphes 1 et 2, du Code de procédure pénale, afin d’être jugés par des magistrats qui n’avaient pas pris part au procès initial à l’issue duquel la condamnation avait été prononcée. La Cour a rejeté leur demande le 13 août 2003.

2.8En janvier 2005, les frères Stow ont été transférés au Royaume-Uni pour exécuter le reste de leur peine; ils ont été mis en liberté conditionnelle le 14 juillet 2005. M. Gai a pour sa part été transféré en Gambie.

2.9L’auteur a alors soumis l’affaire à la Cour européenne des droits de l’homme (requête no 18306/04), en invoquant des violations des articles 5, 6 et 14 de la Convention européenne des droits de l’homme. Le 4 octobre 2005, la Cour a déclaré la requête irrecevable au motif qu’elle était manifestement mal fondée et que les recours internes n’avaient pas été épuisés. Le Portugal n’a formulé aucune réserve au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur ne fait référence à aucune disposition particulière du Pacte. Cependant, ses griefs semblent soulever des questions au regard de l’article 14 du Pacte. Ainsi, il indique qu’au début des deux procès, les déclarations des défendeurs ont été traduites en portugais et les questions posées par le juge ont également été traduites. En revanche, le reste des deux procès s’est déroulé entièrement en portugais, sans interprétation. En outre, le tribunal de Faro les a condamnés à payer 80 000 escudos pour les frais d’interprétation.

3.2L’auteur dénonce également le manque d’impartialité du tribunal de Faro pendant le nouveau procès, arguant que deux des trois juges appelés à statuer avaient déjà siégé lors du premier procès. Selon l’auteur, il est impossible de demander à un juge d’oublier ce qu’il a vu, entendu et décidé dans un premier procès, de sorte que cette situation contrevient à un certain nombre de dispositions du Code de procédure pénale, à la Constitution du Portugal et à l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme.

3.3L’auteur affirme que les prévenus n’ont reçu la notification écrite des charges retenues contre eux que dix mois et demi après leur arrestation, et que ces charges n’avaient pas été traduites en anglais. Il ajoute que les prévenus ont été condamnés sur la base de preuves insuffisantes et que les éléments présentés par les experts, qui prouvaient que le bateau n’avait pas pu transporter le cannabis, n’avaient pas été pris en considération.

Observations de l ’ État partie sur la recevabilité

4.1Dans une note du 29 novembre 2006, l’État partie a formulé des objections à la recevabilité de la communication. Il fait valoir que l’auteur n’a pas précisé quels articles du Pacte il estimait avoir été violés, de sorte qu’il lui était très difficile de répondre sur la recevabilité et sur le fond. L’auteur renvoie simplement aux dispositions de la Convention européenne des droits de l’homme, ce qui montre qu’il soumet au Comité la même demande que celle qu’il a déjà soumise à la Cour européenne des droits de l’homme, sans y apporter la moindre modification. La communication n’est donc pas suffisamment étayée et ne répond pas aux conditions prévues à l’article 96 b) du Règlement intérieur.

4.2Pour l’État partie, la communication constitue un abus du droit de soumettre des communications au sens de l’article 3 du Protocole facultatif, car elle a été présentée trois ans après l’adoption de la dernière décision au Portugal. L’État partie n’ignore pas que le Protocole facultatif ne fixe aucun délai pour la soumission de communications au Comité. Cela étant, la stabilité des décisions de justice, la cohérence entre les organismes internationaux et le principe de la sécurité juridique seraient compromis si une décision judiciaire pouvait être contestée à tout moment et en l’absence de faits nouveaux. On peut arguer que la communication n’a pas été soumise plus tôt au Comité parce que la Cour européenne en était saisie. Cependant, une plainte devant la Cour européenne ne constitue pas un recours qui doit être épuisé. En conséquence, un retard de trois ans dans la soumission de la communication n’est pas justifié.

4.3Bien que le Règlement intérieur n’empêche pas le Comité d’examiner une affaire traitée par un autre organe international, le principe de non-examen d’une affaire déjà examinée devrait s’inscrire dans les principes généraux du droit afin de garantir la cohérence de la jurisprudence des organes internationaux. Étant donné qu’elle a été examinée par la Cour européenne, la présente affaire ne devrait pas être examinée par le Comité, même en l’absence de réserve particulière au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif. Autrement, le Comité deviendrait un organe d’appel des décisions des autres organes internationaux, ce qui créerait une insécurité pour les pays qui n’ont pas formulé de réserve. En outre, le fait qu’un certain nombre de pays ont émis des réserves à la disposition susmentionnée tend à indiquer l’existence d’un principe selon lequel le Comité devrait déclarer irrecevables les affaires déjà examinées par une autre instance internationale. L’État partie renvoie à l’opinion dissidente signée de Mme Palm, M. Ando et M. O’Flaherty dans la communication no 1123/2002 (Correia de Matos c. Portugal), qui se disent préoccupés par le fait que deux organes internationaux − au lieu d’essayer d’harmoniser leur jurisprudence − arrivent à des conclusions divergentes en appliquant exactement les mêmes dispositions aux mêmes faits.

4.4L’État partie conteste également la recevabilité de la communication en raison du non‑épuisement des recours internes. Parmi les griefs dont le Comité est saisi, seul celui de manque d’impartialité du tribunal de première instance a été soulevé devant les juridictions nationales. En particulier, le grief d’absence d’assistance gratuite d’un interprète n’a pas été soumis aux tribunaux portugais.

4.5Quant au grief de manque d’impartialité du tribunal de première instance, le fait que deux juges aient siégé dans le premier et dans le deuxième procès ne permet pas de conclure que le tribunal a été partial, d’autant plus que le premier procès a été annulé pour des questions purement procédurales.

Commentaires de l ’ auteur

5.Le 27 mars 2007, l’auteur a répondu à la lettre lui faisant part des observations de l’État partie. Toutefois, il n’a pas répondu aux questions soulevées par l’État partie et s’est limité à répéter ses allégations initiales.

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son Règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité ne peut pas retenir l’argument de l’État partie qui fait valoir que la présente communication est irrecevable parce qu’elle a déjà été examinée par la Cour européenne des droits de l’homme. D’une part, le paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif ne s’applique que lorsqu’une question analogue à celle qui est soulevée dans la communication est «en cours d’examen» devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement et, d’autre part, aucune réserve au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif n’a été émise par le Portugal.

6.3Le Comité prend note de l’argument de l’État partie pour qui la communication doit être déclarée irrecevable parce qu’elle constitue un abus du droit de soumettre une communication au sens de l’article 3 du Protocole facultatif, en raison du temps excessif qui s’est écoulé avant sa soumission au Comité. Il réaffirme que le Protocole facultatif ne fixe pas de délai pour lui adresser des communications et qu’un simple retard dans la soumission d’une plainte ne constitue pas en soi, sauf dans des circonstances exceptionnelles, un abus du droit de présenter une communication. Dans l’affaire à l’examen, le Comité ne considère pas que les trois années de retard constituent un abus du droit de soumettre des communications.

6.4En ce qui concerne la question de l’épuisement des recours internes, le Comité note qu’aucun recours n’a été engagé dans l’État partie pour ce qui est de la violation du droit à l’assistance gratuite d’un interprète ou du retard dans la réception des accusations écrites. En conséquence, il constate que les intéressés n’ont pas épuisé les recours internes disponibles à cet égard et déclare cette partie de la communication irrecevable au regard du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

6.5S’agissant de l’affirmation selon laquelle les prévenus ont été condamnés sur la base de preuves insuffisantes, le Comité considère que ce grief porte essentiellement sur l’appréciation des faits et des preuves par les tribunaux nationaux. Il rappelle sa jurisprudence et réaffirme qu’il appartient généralement aux juridictions des États parties d’examiner ou d’apprécier les faits et éléments de preuve, sauf s’il peut être établi que la conduite du procès ou l’appréciation des faits et des preuves a été manifestement arbitraire ou a représenté un déni de justice. Le Comité considère que l’auteur n’a pas suffisamment montré que le premier et le deuxième procès étaient entachés de telles irrégularités et conclut par conséquent que cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.6Enfin, en ce qui concerne le grief tiré de la partialité du tribunal de Faro parce que deux des juges qui ont condamné les prévenus avaient également statué dans le premier procès qui a été annulé, le Comité note que cette question a été examinée en détail par la cour d’appel, la Cour suprême et la Cour constitutionnelle, conformément à la loi portugaise. Il note également que le nouveau procès a été ordonné pour une question de procédure et non pour des raisons tenant au fond de l’affaire. Étant donné qu’aucun fait ni élément nouveau n’a été présenté au cours du deuxième procès, l’auteur n’a pas montré, aux fins de la recevabilité, en quoi les juges ont fait preuve de prévention à l’égard des défendeurs lors du nouveau procès. Cette partie de la communication est donc irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:

a)Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 et du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur de la communication.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

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