Nations Unies

CCPR/C/SEN/CO/5

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

11 décembre 2019

Original : français

Anglais, espagnol et français seulement

Comité des droits de l’homme

Observations finales concernant le cinquième rapport périodique du Sénégal *

1.Le Comité des droits de l’homme a examiné le cinquième rapport périodique du Sénégal (CCPR/C/SEN/5) à ses 3649e et 3650e séances (voir CCPR/C/SR.3649 et 3650), les 14 et 15 octobre 2019. À sa 3675e séance, le 31 octobre 2019, il a adopté les observations finales ci-après.

A.Introduction

2.Le Comité sait gré à l’État partie de lui avoir soumis, quoiqu’avec un retard considérable, son cinquième rapport périodique. Il apprécie l’occasion qui lui a été donnée d’engager un dialogue constructif avec la délégation de l’État partie sur les mesures prises par celui-ci pour donner effet aux dispositions du Pacte. Il remercie également l’État partie pour les réponses écrites (CCPR/C/SEN/Q/5/Add.1) apportées à sa liste de points (CCPR/C/SEN/Q/5).

B.Aspects positifs

3.Le Comité salue l’adoption par l’État partie des mesures législatives et institutionnelles ci-après :

a)La loi no 2004-38 du 28 décembre 2004 portant abolition de la peine de mort ;

b)La loi no 2010-11 du 28 mai 2010 instituant la parité absolue homme-femme dans toutes les institutions totalement ou partiellement électives, dont la mise en œuvre est suivie par l’Observatoire national de la parité ;

c)La loi no 2013-05 du 8 juillet 2013 portant modification de la loi no 61-10 du 7 mars 1961 déterminant la nationalité, qui permet à l’époux étranger d’une femme sénégalaise et à leurs enfants d’acquérir la nationalité ;

d)La loi no 2014-26 du 3 novembre 2014 fixant l’organisation judiciaire et son décret no 2015-1039 du 20 juillet 2015, qui créent des tribunaux de grande instance et des tribunaux d’instance, des chambres criminelles à la place des cours d’assises, et prennent en compte une justice de proximité ;

e)La loi no 2016-29 du 8 novembre 2016 modifiant la loi no 65-60 du 21 juillet 1965 portant Code pénal, qui introduit des peines de substitution à l’incarcération du condamné ;

f)La loi no 2016-30 du 8 novembre 2016 modifiant la loi no 65-61 du 21 juillet 1965 portant Code de procédure pénale, qui renforce, entre autres, les garanties juridiques fondamentales et institue la tenue permanente des audiences des chambres criminelles ;

g)La loi organique no 2017-09 du 17 janvier 2017 abrogeant et remplaçant la loi organique no 2008-35 du 8 août 2008 sur la Cour suprême, qui prévoit une procédure d’indemnisation des victimes de détention de longue durée ;

h)La loi organique no 2017-11 du 17 janvier 2017 portant organisation et fonctionnement du Conseil supérieur de la magistrature, qui introduit, entre autres, un droit de recours en matière disciplinaire et exige le vote de la majorité des membres magistrats dans les décisions de révocation ou de mise à la retraite ;

i)La création des Chambres africaines extraordinaires au sein des juridictions sénégalaises pour juger Hissène Habré, condamné en 2016 pour crimes contre l’humanité, crimes de guerre et torture commis au Tchad de 1982 à 1990 ;

j)Le Plan d’action national pour l’éradication des violences basées sur le genre et la promotion des droits humains (2017-2021) et la mise en place des plans d’action régionaux ;

k)La mise en place d’un registre informatisé dans les centres pénitentiaires.

C.Principaux sujets de préoccupation et recommandations

Applicabilité du Pacte dans l’ordre juridique interne et suites données aux constatations du Comité

4.Le Comité prend note de l’article 98 de la Constitution du Sénégal, qui consacre la primauté des traités internationaux sur la législation interne et l’attachement affiché par l’État partie à ce principe. Il regrette toutefois l’absence d’exemples concrets d’application du Pacte par des juridictions internes et les messages contradictoires envoyés par l’État partie, notamment s’agissant des constatations du Comité dans des affaires individuelles. Le Comité se réfère en particulier aux réactions de l’État partie suite aux constatations du Comité en date du 23 octobre 2018 dans la communication Wade c. Sénégal (CCPR/C/124/D/2783/2016), dans laquelle le Comité a conclu à la violation par l’État partie de l’article 14, paragraphe 5, du Pacte. Le Comité est préoccupé par le fait que la décision du Conseil constitutionnel intervenue le 20 janvier 2019 n’a pas tenu compte de ces constatations et a invalidé la candidature de M. Wade au motif qu’il avait été condamné (art. 2).

5. L’État partie devrait :

a) G arantir, en pratique, la primauté du Pacte sur le droit national, ainsi qu’un recours utile aux justiciables en cas de violation du Pacte ;

b) S ensibiliser les juges, les avocats et les procureurs aux dispositions du Pacte, de sorte que celles-ci soient invoquées devant les tribunaux nationaux et prises en compte dans leurs décisions  ;

c) V eiller à la bonne exécution des constatations adoptées par le Comité.

Institution nationale des droits de l’homme

6.Tout en saluant l’intention affichée par l’État partie de réformer le Comité sénégalais des droits de l’homme pour lui permettre d’être à nouveau accrédité au statut A par l’Alliance globale des institutions nationales des droits de l’homme en vertu des Principes concernant le statut des institutions nationales pour la promotion et la protection des droits de l’homme (Principes de Paris), le Comité regrette que la révision de la loi et son contenu ne soient pas connus, et que les préoccupations concernant les ressources financières allouées à cette institution, son mandat précis ainsi que le mode de désignation de son président et de ses membres n’aient pas été clarifiées durant le dialogue (art. 2).

7. L’É tat partie devrait adopter un cadre législatif et réglementaire qui permette à l’institution nationale des droits de l’homme de se conformer aux Principes de Paris. À ce titre, il devrait lui octroyer un budget autonome et suffisant lui permettant d’accomplir pleinement son mandat , et prévoir un proce ssus de désignation de son p résident ou de s a p résidente et de ses membres garantissant son indé pendance.

Lutte contre l’impunité et violations passées des droits de l’homme

8.Le Comité regrette que l’État partie continue à justifier la loi d’amnistie en lien avec toutes les infractions commises dans le cadre du conflit en Casamance pour « taire les rancœurs, apaiser les esprits et asseoir un dialogue durable » (art. 2, 6, 7 et 14).

9. L ’ État partie devrait :

a) S upprimer toute amnistie pour les crimes internationaux commis par chacune des parties au conflit , afin de pouvoir mener des enquêtes et punir les responsables ;

b ) F ournir une réparation aux victimes et à leurs ayants droit.

Non-discrimination

10.Tout en notant l’existence de l’article 3 de la loi no 81-77 du 10 décembre 1981 réprimant les actes discriminatoires, le Comité note que cette loi ne porte que sur la discrimination raciale, ethnique et religieuse, sans égard à la discrimination tant directe qu’indirecte. Le Comité note avec préoccupation l’absence de plaintes enregistrées dans l’État partie pour des faits de discrimination, malgré les allégations de faits discriminatoires portées devant le Comité, notamment contre les personnes atteintes d’albinisme, les personnes appartenant à des minorités sexuelles ou de genre ou encore les femmes (art. 2, 7, 24, 25 et 26).

11. L’État partie devrait adopter une législation complète contre la discrimination, pour faire en sorte que son cadre juridique :

a) Offre une protection efficace contre la discrimination dans tous les domaines, y compris la sphère privée, et interdise la discrimination directe, indirecte et multiple ;

b) Comporte une liste complète des motifs de discrimination comprenant la couleur de peau, la langue, l’opinion politique ou toute autre opinion, l’origine nationale ou sociale, la fortune, le handicap, l’orientation sexuelle et l’identité de genre ou toute autre situation ;

c) Prévoie des recours utiles en cas de violation.

Égalité entre hommes et femmes

12.Le Comité constate que la loi no 2010-11 sur la parité ne garantit la parité homme-femme que dans les fonctions électives. Le Comité note d’ailleurs les faibles chiffres de représentation des femmes dans certains corps de la fonction publique, notamment dans le corps judiciaire, et dans les postes de gouverneur et de sous-préfet. Le Comité est par ailleurs préoccupé par le maintien de dispositions discriminatoires, notamment dans le Code de la famille (art. 2, 3, 23, 25 et 26).

13. L’ État partie devrait :

a) É tendre le champ d’application de la loi n o  2010-11 sur la parité à l’ensemble de la fonction publique , et prendre l es mesures nécessaires pour rendre plus effective la parité homme-femme ;

b) Abroger toute disposition contraire au principe d’égalité homme-femme , notamment dans le C ode de la famille , y compris les dispositions relative s à la puissance paternelle, à la polygamie , aux droits successoraux, au choix du domicile familial, au délai de viduité et au consentement au mariage.

Non-discrimination des personnes sur la base de l’orientation sexuelle et de l’identité de genre

14.Le Comité est préoccupé par les discours d’appel à la haine et à la violence véhiculés dans les médias, notamment par des personnes publiques, contre des personnes appartenant à des minorités sexuelles ou de genre et certains défenseurs de leurs droits. Il est également préoccupé par des allégations d’arrestations arbitraires, de violation du droit à la vie privée, de harcèlement et de violences, notamment par des agents des forces de l’ordre. À ce titre, le Comité est préoccupé par le maintien et l’application du troisième alinéa de l’article 319 du Code pénal, qui criminalise les actes sexuels entre personnes adultes consentantes de même sexe (art. 2, 9, 17, 19, 21, 22 et 26).

15. L’ État partie devrait  :

a) Prendre des mesures concrètes et urgentes pour s’attaquer à la campagne actuelle d’appel à la haine contre d es personnes du fait de leur orientation sexuelle et des défenseurs de leurs droit s , y compris les organisations partenaires engagées dans l’action contre le VIH / sida  ;

b) Abroger le troisième alinéa de l’article 319 du C ode pénal , qui criminalise les actes sexuels entre personnes adultes consentantes de même sexe , en vue de réduire la stigmatisation des personnes concernées ;

c) Transmettre des instructions claires aux agents des forces de l’ordre pour mettre fin à toute violence ou arrestation arbitraire contre des personnes du fait de leur orientation sexuelle ou identité de genre , réelle ou perçue ;

d) S’assurer que toute violation fait l’objet d’enquêtes approfondies et de poursuites , le cas échéant .

Violences contre les femmes et pratiques préjudiciables

16.Le Comité demeure préoccupé par la prévalence de pratiques préjudiciables sur le territoire de l’État partie, notamment des mutilations génitales féminines, des violences domestiques, des mariages précoces et des abus sexuels contre les femmes et les filles. Il est de plus préoccupé par l’application insuffisante de la loi no 99-05 du 29 janvier 1999 modifiant certaines dispositions du Code pénal, et par le faible nombre de poursuites pour des faits d’excision. Le Comité est également préoccupé par l’absence de référence explicite au viol conjugal dans les dispositions de l’article 320 du Code pénal.

17. L’ État partie devrait :

a) É largir l’interdiction des mariages forcés aux mariages traditionnels ou religieux , et s’assurer que les mariages précoces sont sanctionné s pénalement et non seulement dissous  ;

b) V eiller à l’enregistrement officiel des mariages traditionnels ou religieux et à la vérification systématique de l’âge des époux et de leur consentement, notamment en s’assurant de leur présence physique à la conclusion du mariage ;

c) V eiller à la stricte application de la loi n o 99-05 du 29 janvier 1999 , qui porte notamment sur l’interdiction des mutilations génitales féminines , en s’assurant que les exciseuses sont poursuivies et condamnées ;

d) Envisager la révision de l’article 320 du C ode pénal pour y inclure spécifiquement la question du viol conjugal , afin de ne laisser aucune ambiguïté sur le champ d’application de cette disposition .

Peine de mort

18.Tout en notant avec satisfaction l’abolition de la peine de mort par la législation nationale, et prenant acte de la volonté affichée par l’État partie de ratifier le Deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, visant à abolir la peine de mort, le Comité constate que le processus de ratification n’a pas encore été lancé.

19. L’ État partie devrait diligenter la ratification du D euxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte , et veiller à poursuivre la sensibilisation de la population à l’abolition de la peine de mort.

Infanticide

20.Le Comité se déclare préoccupé par les cas d’infanticide dans l’État partie, causés par des facteurs tels que la stigmatisation et la honte des femmes enceintes par suite de relations extraconjugales ou de viol. Il est préoccupé par le fait que seules les femmes sont condamnées pour ces actes malgré l’implication ou l’instigation fréquentes de tiers dans la commission de l’infanticide. Le Comité déplore le manque d’accompagnement psychologique des détenues ayant eu recours à l’infanticide (art. 6, 7 et 10).

21. L’ État partie devrait lutter contre les causes de l’infanticide, notamment par la sensibilisation et l’accès à l’information des fe mmes en matière de santé sexuelle et reproductive, et par l’accompagnement psychosocial des femmes concernées. L’ État partie devrait prendre rapidement des mesures énergiques pour protége r le droit à la vie des nouveau-nés et faire en sorte que tous les auteurs d’infanticides , ainsi que les personnes qui poussent les femmes à les commettre , soient traduits en justice.

Mortalité maternelle et interruption volontaire de grossesse

22.Le Comité note que l’avortement est érigé en infraction pénale au titre du troisième alinéa de l’article 305 du Code pénal, sauf dans les cas où la vie ou la santé de la femme enceinte est en danger, ce qui a pour conséquence la pratique d’avortements clandestins dans des conditions dangereuses pour la vie et la santé des femmes concernées. Il est préoccupé par le fait que les femmes qui y ont recours sont poursuivies et purgent des peines dans les lieux de détention de l’État partie (art. 3, 6 et 7).

23. L’ État partie devrait rendre sa législation et sa pratique conforme s à l’article 6 du Pacte, en prenant en compte l’observation générale n o 36 (2018) du Comité sur le droit à la vie , et ainsi :

a) Modifier sa législation pour garantir l’accès effectif à l’avortement médicalisé et légal lorsque le fait de mener la grossesse à terme causerait pour la femme une souffrance considérable, notamment dans les cas où la grossesse résulte d’un viol ou d’un inceste , et où la grossesse n’est pas viable ;

b) Renverser la charge de la preuve pour ne pas faire peser sur la femme la responsabilité de prouver que sa vie est en danger pour avoir eu recours à une interruption volontaire de grossesse médicalisée ;

c) Envisager de supprimer les sanctions pénales contre les femmes qui recourent à l’avortement et les prestataires de soins médicaux qui leur apportent une assistance, car de telles mesures poussent les femmes à recourir à un avortement non médicalisé qui peut porter atteinte à leur vie ou à leur santé ;

d) Garantir l’existence de structures médicales offrant des services d’avortement légal ainsi que l’accès à ces structures, et faire en sorte qu’aucun obstacle juridique, et notamment aucune disposition de droit pénal, ne pousse les femmes à recourir à un avortement non médicalisé, au péril de leur vie et de leur santé ;

e) Veiller à ce que l’avortement soit pratiqué uniquement avec le consentement de la femme et sanctionner pénalement tou te tentative d’avortement forcé ;

f) Renforcer les programmes d’éducation et de sensibilisation qui mettent l’accent sur la santé sexuelle et procréative des femmes et leurs droits en la matière.

Recours excessif à la force

24.Le Comité note avec préoccupation les allégations de recours excessif à la force lors de rassemblements et de manifestations à but politique, ainsi que les cas de décès survenus dans ce contexte. Il regrette l’absence d’informations sur l’issue des enquêtes diligentées, les peines prononcées et les réparations accordées aux victimes ou à leurs ayants droit (art. 6 et 7).

25. L’État partie devrait faire en sorte, dans tous les cas où il y a eu usage excessif de la force, que des enquêtes impartiales et efficaces soient menées promptement et que les responsables soient traduits en justice. Il devrait notamment veiller à consolider les formations sur l’usage de la force à l’intention des agents de maintien de l’ordre, compte dûment tenu des Principes de base sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l ’ application des lois . L ’ État partie devrait également s’assurer que sa législation sur le recours à la force est conforme au Pacte et aux dits Principes .

Décès en détention

26.Le Comité est préoccupé par les allégations de morts en détention et le manque de statistiques claires sur les causes de ces décès, les enquêtes diligentées, les peines prononcées et les réparations octroyées aux ayants droit. Outre le cas d’Ibrahima Mbow, tué par balle lors d’une mutinerie en 2016, le Comité a reçu des allégations de six décès suspects en détention depuis le début de 2019, soit du fait de mauvais traitements infligés lors de la garde à vue, soit du fait des mauvaises conditions de détention, notamment de la surpopulation carcérale (art. 2, 6, 7 et 10).

27. L’ État partie devrait prendre d es mesures urgentes pour que tous les décès en détention fassent l’objet d’enquêtes approfondies et impartiales , que les ayant s droit des victimes obtiennent réparation , et qu e les responsables soient poursuivis et sanctionnés proportionnellement à la gravité de leurs actes .

Torture et mauvais traitements

28.Le Comité regrette l’absence d’informations détaillées sur les plaintes pour actes de torture ou mauvais traitements, les enquêtes diligentées, les poursuites entamées, les condamnations prononcées et les réparations accordées. Il regrette aussi le manque d’informations sur les sanctions disciplinaires prises. À ce titre, le Comité note avec préoccupation que les enquêtes sont souvent confiées aux services mis en cause dans la plainte et que toute poursuite contre un agent des forces de l’ordre doit d’abord faire l’objet d’une autorisation appelée « ordre de poursuite », laquelle est délivrée par le ministre dont l’auteur présumé dépend. Le Comité regrette l’absence de statistiques sur les cas où les aveux obtenus par la torture ont été déclarés irrecevables durant la procédure judiciaire. Il regrette enfin que la définition de la torture en droit interne ne soit pas totalement conforme à l’article premier de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (art. 2 et 7).

29. L’ État partie devrait :

a) Réviser sa législation afin d’incriminer la torture conformément aux dispositions de la Convention contre la torture , en reprenant la définition de l’article premier de la C onvention, en prévoyant des peines proportionnées à la gravité de ces actes et en garantissant l’ irrecevabilité des aveux obtenus par la torture ;

b) Veiller à ce que toutes les allégations de torture fassent l’objet d’enquêtes impartiales et approfondies par des services indépendant s et distincts de ceux mis en cause, que les auteurs soient poursuivis et sanctionnés proportionnellement à la gravité de leurs actes et que les victimes obtiennent réparation.

Traite des personnes

30.Tout en saluant l’adoption de la loi no 2005-06 du 10 mai 2005 relative à la lutte contre la traite des personnes et pratiques assimilées et à la protection des victimes, ainsi que la création de la Cellule nationale de lutte contre la traite des personnes en particulier des femmes et des enfants, le Comité s’inquiète du nombre extrêmement limité de poursuites et de condamnations en application de cette loi, s’agissant notamment de l’exploitation des femmes et des enfants (art. 7, 8, 24 et 26).

31. L’ État partie devrait veiller à la stricte application de la loi n o 2005-06 relative à la lutte contre la traite des personnes et les pratiques assimilées , notamment en diligentant systé matiquement des enquêtes impartiales et approfondies sur les actes de traite , en ouvrant la possibilité aux organisations de la société civile de se constituer partie civile devant les tribunaux , et en garantissant à titre prioritaire l’aide juridictionnelle pour toutes les victimes de traite et leurs ayant s droit.

Réfugiés et demandeurs d’asile

32.Le Comité est préoccupé par les informations sur le statut précaire des réfugiés et demandeurs d’asile au Sénégal, notamment les délais excessifs observés par la Commission nationale d’éligibilité au statut de réfugié pour rendre ses décisions. Le Comité est également préoccupé par l’absence de recours ouvert contre les décisions de la Commission et par le fait que l’avant-projet de loi portant statut de réfugié et de l’apatridie, lancé en 2012 et qui devrait permettre de pallier ces insuffisances, n’a toujours pas été adopté. En outre, les cartes d’identité délivrées aux réfugiés ne sont pas toujours reconnues par les services publics et les établissements privés comme les banques, ce qui a une incidence négative sur les droits des réfugiés et demandeurs d’asile. Enfin, le Comité note avec préoccupation que la loi no 61-10 du 7 mars 1961 déterminant la nationalité sénégalaise, dont la dernière modification date de 2013, ne prévoit l’acquisition de la nationalité que pour le nouveau-né trouvé et non pour tout « enfant trouvé », sans distinction par rapport à l’âge. S’agissant des enfants nés sur le territoire sénégalais de parents non sénégalais, la loi ne prévoit pas l’acquisition de la nationalité par ces enfants, ce qui en ferait des apatrides (art. 7, 13 et 26).

33. L’ État partie devrait :

a) Réviser sa législation afin de la rendre compatible avec le Pacte et la Convention relative au statut de s réfugiés ;

b) Augmenter les ressources financières et humaines de la Commission nationale d’ é ligibilité au statut de réfugié afin de la rendre plus efficace ;

c) Réduire l es délais de réponse aux demandes de reco nnaissance du statut de réfugié ;

d) Réviser la loi n o 61- 1 0 déterminant la nationalité sénégalaise , afin d’éviter les risques d’apatridie , notamment pour les enfants trouvés sur le territoire sénégalais , quel que soit leur âge , et les enfants nés au Sénégal de parents étrangers.

Garde à vue, détention provisoire et accès à un avocat

34.Le Comité est préoccupé par les violations des garanties judiciaires qui lui ont été rapportées, notamment :

a)Les délais de garde à vue qui excèdent quarante-huit heures sans que la personne soit automatiquement déférée au parquet, suivant la pratique dite du « retour de parquet » ;

b)L’indisponibilité des statistiques sur les gardes à vue et les détentions provisoires pour atteinte à la sûreté de l’État ou pour terrorisme, et sur le nombre de sanctions pénales ou disciplinaires prises pour non-respect des délais prescrits par la loi ;

c)L’impossibilité matérielle pour l’État partie de garantir l’accès à un avocat dès l’interpellation, du fait du nombre très limité d’avocats inscrits au barreau ainsi que de leur concentration dans la capitale, ce qui conduit au manque d’accès effectif à l’aide juridictionnelle sur l’ensemble du territoire ;

d)La proportion alarmante de personnes en détention provisoire (près de la moitié de la population carcérale) et le fait qu’actuellement, la durée de la détention avant jugement n’est limitée par la loi qu’en matière correctionnelle (art. 9 et 14).

35. L’ État partie devrait :

a) Prendre les mesures nécessaires pour garantir en pratique le respect des délais de garde à vue, en luttant notamment contre la prat ique dite du retour de  parquet ;

b) Veiller à l’utilisation restrictive et encadrée des gardes à vue ordonnées en cas de crimes ou délits contre la sûreté de l’ État ou en matière de terrorisme ;

c) Garantir l’accès à un a vocat dès l’interpellation, notamment en prenant des mesures pour élargir l’accès à la profession et pour inciter les avocats à exercer en dehors de la capitale ;

d ) Garantir l’accès à l’aide juridictionnelle , notamment dans les régions , et veiller à y allouer un budget suffisa nt pour son bon fonctionnement ;

e) Prendre toutes les mesures nécessaires pour que le recours à la détention provisoire soit une mesure utilisée uniquement à titre exceptionnel et pour une durée non excessive, confo rmément à l’article 9 du Pacte et à la lumière de l’ o bservation générale n o 35 (2014) du Comité sur la liberté et la sécurité de la personne.

Indépendance de la magistrature

36.Tout en saluant l’adoption de la loi organique no 2017-10 du 17 janvier 2017 portant statut des magistrats, qui prévoit un certain nombre de mesures pour une plus grande indépendance de l’autorité judiciaire, le Comité demeure préoccupé par la composition du Conseil supérieur de la magistrature, présidé par le Président de la République et dont le Vice-Président est le Ministre de la justice, et par la faible proportion de ses membres élus (un tiers). Le Comité note aussi avec préoccupation que les magistrats sont susceptibles d’être mutés, par recours à l’intérim ou aux nécessités de service, ce qui peut contrevenir à leur indépendance. Il est aussi préoccupé par les atteintes portées au pouvoir d’appréciation des procureurs, placés sous l’autorité du Garde des sceaux. À cet égard, le Comité a reçu des allégations préoccupantes d’immixtion, notamment dans des affaires à résonance politique (art. 14).

37. L’État partie devrait prendre des mesures urgentes pour protéger l’autonomie, l’indépendance et l’impartialité pleines et entières des juges , notamment au moyen d’ u ne révision de la loi organique n o  2017-10, pour que le Président de la République et le Ministre de la justice ne soient plus membres du Conseil supérieur de la magistrature et afin de garantir l’inamovibilité des magistrats . L’ État partie devrait garantir l’autonomie du parquet en interdisant notamment toute possibilité d’in gérence de l’exécutif dans des affaires judiciaires.

Conditions de détention

38.Le Comité est très préoccupé par les conditions de détention dans l’État partie, qui fait état d’un taux d’occupation de plus de 270 % notamment dû à une proportion élevée de la population carcérale en détention provisoire et à l’insuffisance des peines de substitution à l’emprisonnement prononcées par les juges. Il est préoccupé par le manque d’informations sur les mesures de réhabilitation, surtout pour les jeunes et les femmes. Enfin, le Comité est préoccupé par l’insuffisance du budget alloué à l’administration pénitentiaire (art. 6, 7, 9 et 10).

39. L’ État partie devrait :

a) Remédier au problème de la surpopulation carcérale, notamment en incitant les juges à faire application de la loi n o 2016-29 , qui introduit des peines de substitution à l’incarcération du condamné , et en augmentant les inspections des centres de détention par les magistrats du siège et du parquet ;

b) Entreprendre des travaux de rénovation de la maison d’arrêt de Rebeuss et finaliser la construction de nouveaux centres de détention pour désengorger les lieux actuels de privation de liberté .

Exploitation et maltraitance des enfants

40.Malgré les efforts menés par l’État partie dans le cadre de la protection de l’enfance et de la lutte contre la traite, le Comité constate la persistance du phénomène de l’exploitation infantile et des abus y compris sexuels dans les zones aurifères et touristiques. Le Comité est également préoccupé par les faits suivants et le nombre anormalement faible de poursuites contre les auteurs présumés de tels actes (art. 2, 6, 7 et 24) :

a)La situation des enfants forcés de mendier (dont le nombre est estimé à 100 000 dans l’État partie) ;

b)La pratique des châtiments corporels dans le cadre familial, mais aussi dans certaines écoles ;

c)La persistance d’abus sexuels dans des écoles secondaires du Sénégal ;

d)Des cas d’exploitation et de maltraitance grave sur des enfants par des maîtres coraniques (ayant parfois pour résultat des décès ou séquelles graves pour les enfants concernés).

41. L’ État partie devrait adopter des mesures urgentes pour mettre un terme à la maltraitance, à l’exploitation, à la traite et à toute autre forme de violence et de torture dont sont victimes les enfants , notamment :

a) M ettre fin à toute forme d’exploitation et de maltraitance des enfants y compris par des maîtres cor aniques dans les daaras ;

b) Dans le cadre de la Stratégie n ationale de p rotection de l’ e nfant, constituer une base de données nationale sur tous les cas de violence familiale sur enfant, et procéder à une évaluation complète de l’ampleur, des causes et de la nature de cette violence ;

c ) Accélérer l’adoption du code de l’enfant tout en veillant à ce qu’il soit conforme aux dispositions du Pacte  ;

  d ) Veiller à la stricte application de l ’ article 298 du Code pénal, qui criminalise les violences physiques et la négligence volontaires envers un enfant, en dotant toute la chaîne judiciaire de moyens adaptés à l’ampleur du phénomène ;

e ) Accélérer l’adoption du projet de loi sur la modernisation des écoles coraniques tout en veillant à ce que la loi adoptée soit compatible avec les obligation s de l’ État partie au titre du Pacte et prévoie un système d’inspections doté des ressources nécessaires ;

f ) Permettre aux organisations de la société civile de se constituer partie civile devant les tribunaux , dans tous les cas de traite et de maltraitance des enfants .

Enregistrement des naissances

42.Malgré les efforts déployés par l’État partie, le Comité constate que le taux d’enregistrement des naissances demeure faible, surtout dans les zones rurales (art. 16 et 24).

43. L’ État partie devrait renforcer sa politique d’enregistrement des naissances , et notamment :

a) Modernis er son système d’enregistrement des actes d’état civil en augmentant le budget qui y est alloué ;

b) Assur er la gratuité de l’enregistrement des naissances pour, au moins, les enfants de moins de 5 ans, en particulier dans les zones rurales et reculées ;

c) Renfor cer les équipes mobiles d’enregistrement des naissances afin de toucher les zones les plus reculées.

Libertés d’expression, de réunion pacifique et d’association, et protection des journalistes et des défenseurs des droits de l’homme

44.Le Comité est préoccupé par le maintien des délits de presse dans le nouveau Code de la presse et par les nombreuses allégations d’arrestations sur la base de ces délits et d’autres dispositions telles que le délit d’offense au Chef de l’État et celui relatif à la production et à la dissémination en ligne de documents ou images contraires à la bonne morale, notamment à l’encontre de journalistes et de défenseurs des droits de l’homme. Le Comité est également préoccupé par la récurrence de prises de parole politiques visant à dénigrer le travail des journalistes et défenseurs des droits de l’homme se dressant contre le positionnement du Gouvernement, ou à dénoncer des violations de droits de l’homme. Le Comité note enfin les conditions restrictives imposées aux manifestations, qui sont automatiquement interdites dans le centre-ville de Dakar (art. 7, 9, 19, 21 et 22).

45. L’ État partie devrait p rendre les mesures législatives et institutionnelles nécessaires pour que toute restriction à l’exercice de la liberté d’expression soit conforme aux conditions st rictes énoncées dans le Pacte , et notamment :

a) Dépénaliser les délits de presse et délits d’offense au C hef de l’État ;

b) Garantir et respecter le droit de réunion et de manifestation de la population, de la classe politique et des organisations de la société civile ;

c) S’assur er que les institutions de régulation telles que l’Autorité de r égulation des t élécommunications et des p ostes ainsi que le Conseil national de régulation de l’ audiovisuel exercent leur rôle de manière impartiale et indépendante ;

d) E nquêter sur les actes de harcèlement, de menace et d’intimidation, d’appel à la haine à l’encontre de journalistes, d’opposants politiques et de défenseurs des droits de l’homme , ainsi que poursuivre et condamner les responsables de ces actes .

Participation aux affaires publiques

46.Le Comité est préoccupé par le fait que les personnes privées de liberté au Sénégal, qu’elles soient en détention provisoire ou condamnées, ne peuvent en pratique ni exercer leur droit de vote ni être éligibles, et par le fait que cette déchéance des droits politiques ne semble pas avoir de limite temporelle clairement définie par la loi. Le Comité est à ce titre préoccupé par la décision prise par le Conseil constitutionnel le 20 janvier 2019 invalidant la candidature des deux principaux opposants politiques, sans qu’une limite temporelle à la déchéance de leur droit d’éligibilité ait été prévue (art. 25).

47. Compte tenu de l’observation générale n o 25 (1996) du Comité sur la participation aux affaires publiques et le droit de vote, l’État partie devrait prendre les mesures nécessaires pour mettre sa législation en conformité avec le Pacte , et clairement définir les catégories de condamnés se voyant privés de l’exercice de leurs droits civils et politiques ainsi que la durée de suspension de ces droits .

D.Diffusion et suivi

48. L’État partie devrait diffuser largement le texte du Pacte, de son cinquième rapport périodique et des présentes observations finales auprès des autorités judiciaires, législatives et administratives, de la société civile et des organisations non gouvernementales présentes dans le pays, ainsi qu’auprès du grand public afin de les sensibiliser aux droits consacrés par le Pacte.

49. Conformément au paragraphe 1 de l’article 75 du règlement intérieur du Comité, l’État partie est invité à faire parvenir, le 8 novembre 2021 au plus tard, des renseignements sur la suite qu’il aura donnée aux recommandations formulées aux paragraphes 27 (décès en détention), 33 (réfugiés et demandeurs d’asile) et 4 1 (exploitation et maltraitance des enfants) .

50. En conformité avec le cycle d’examen prévisible du Comité, l’ État partie recevra du Comité en 2025 la liste de points à traiter avant soumission du rapport et aura un an pour soumettre ses réponses à la liste de points, qui constituer ont son sixi ème rapport périodique. Le Comité demande également à l’ État partie de consulter largement la société civile et les organisations non gouvernementales œuvrant dans le pays lors de la préparation de son rapport. En conformité avec la résolution  68/268 de l’Assemblée générale, la limite fixée pour ce rapport est de 21 200 mots. Le prochain dialogue constructif avec l’ État partie se tiendra en  2027 , à Genève.