Nations Unies

CCPR/C/GC/37

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

17 septembre 2020

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Observation générale no 37 (2020) sur le droit de réunion pacifique (art. 21) *

I.Introduction

1.Le droit de réunion pacifique est un droit de l’homme fondamental qui permet aux individus de s’exprimer collectivement et de contribuer à modeler la société dans laquelle ils vivent. Il est important en lui-même, car il protège la capacité de chacun à exercer son autonomie tout en étant solidaire d’autrui. Associé à d’autres droits connexes, il forme le socle même des systèmes de gouvernance participative fondés sur la démocratie, les droits de l’homme, l’état de droit et le pluralisme. Les réunions pacifiques peuvent jouer un rôle essentiel en ce qu’elles permettent aux personnes qui y participent de mettre en avant des idées et des aspirations dans la sphère publique et de déterminer le degré de soutien ou d’opposition que celles-ci suscitent. Lorsqu’elles sont utilisées pour exprimer des revendications, les réunions pacifiques peuvent être l’occasion de résoudre des différends en associant et en faisant participer toutes les parties, de manière pacifique.

2.Le droit de réunion pacifique est, en outre, un outil précieux qui peut être mis à contribution, et l’a été, pour faire reconnaître et réaliser un large éventail d’autres droits, notamment les droits économiques, sociaux et culturels. Il revêt une importance particulière pour les personnes ou les groupes qui sont marginalisés. Le non-respect et la non-garantie du droit de réunion pacifique sont le signe d’une société répressive.

3.La première phrase de l’article 21 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques est ainsi libellée : « Le droit de réunion pacifique est reconnu ». Ce droit est énoncé dans des termes similaires dans d’autres instruments internationaux et régionaux, et son contenu a été précisé par les organes de surveillance de ces instruments dans leurs constatations, leurs observations finales, leurs résolutions, leurs directives interprétatives et leurs décisions judiciaires. Outre qu’ils sont tenus par le droit international de reconnaître le droit de réunion pacifique, les États dans leur grande majorité ont aussi consacré ce droit dans leur constitution nationale.

4.Le droit de réunion pacifique protège le rassemblement non violent de personnes à des fins spécifiques, principalement pour l’expression d’opinions. C’est un droit individuel qui est exercé collectivement. Il suppose donc intrinsèquement l’association de plusieurs individus.

5.Tout le monde a le droit de se réunir pacifiquement : les citoyens comme les non‑citoyens. Ce droit peut être exercé, par exemple, par les ressortissants étrangers, les migrants (y compris les sans-papiers), les demandeurs d’asile, les réfugiés et les apatrides.

6.L’article 21 du Pacte protège les réunions pacifiques, qu’elles se déroulent à l’extérieur, à l’intérieur ou en ligne, dans l’espace public ou dans des lieux privés, ou qu’elles combinent plusieurs de ces modalités. Ces réunions peuvent prendre de nombreuses formes, à savoir notamment celles de manifestations, protestations, rassemblements, défilés, sit-in, veillées à la bougie et mobilisations éclair. Elles sont protégées au titre de l’article 21, qu’elles soient statiques, comme les piquets, ou mobiles, comme les défilés ou les marches.

7.Dans bien des cas, les réunions pacifiques ont un objectif qui ne prête pas à controverse et elles ne causent que peu ou pas de perturbations. Le but peut être, par exemple, de marquer une journée nationale ou de célébrer le résultat d’un événement sportif. Cependant, les réunions pacifiques peuvent parfois être utilisées pour poursuivre des idées ou des objectifs controversés. Leur ampleur ou leur nature peuvent causer des perturbations, par exemple gêner la circulation des véhicules ou des piétons ou entraver l’activité économique. Ces conséquences, qu’elles soient intentionnelles ou involontaires, ne remettent pas en cause la protection dont bénéficient ces rassemblements. Dans la mesure où un événement peut créer de telles perturbations ou présenter de tels risques, ceux-ci doivent être gérés dans le cadre établi par le Pacte.

8.La reconnaissance du droit de réunion pacifique impose aux États parties l’obligation corrélative de respecter et de garantir l’exercice de ce droit sans discrimination. Cela suppose que les États permettent la tenue de telles réunions sans ingérence injustifiée et qu’ils facilitent l’exercice du droit et protègent les participants. La seconde phrase de l’article 21 énonce les motifs pour lesquels des restrictions peuvent être imposées, mais de telles restrictions doivent être étroitement définies. Il y a en effet des limites aux restrictions qui peuvent être imposées.

9.Il n’est possible d’assurer une protection pleine et entière du droit de réunion pacifique que lorsque d’autres droits avec lequel il a des éléments communs sont également protégés, notamment la liberté d’expression, la liberté d’association et le droit de participer à la vie politique. La protection du droit de réunion pacifique dépend souvent aussi de la réalisation d’un éventail plus large de droits civils et politiques et de droits économiques, sociaux et culturels. Lorsque le comportement des individus les soustrait à la protection de l’article 21, par exemple parce qu’ils se conduisent violemment, ils conservent néanmoins les autres droits qu’ils tiennent du Pacte, sous réserve des limites et restrictions applicables.

10.La façon dont les réunions sont conduites ainsi que leur contexte changent au fil du temps. Cette évolution peut à son tour influer sur la manière dont les autorités envisagent les réunions. Par exemple, étant donné que les nouvelles technologies de communication donnent la possibilité de tenir des réunions en partie ou entièrement en ligne et qu’elles jouent souvent un rôle essentiel du point de vue de l’organisation des rassemblements physiques, de la participation à ces rassemblements et de leur contrôle, il est possible d’entraver la tenue de réunions en s’ingérant dans ces communications. Si les technologies de surveillance peuvent être utilisées pour déceler des menaces de violence et donc pour protéger le public, elles peuvent aussi porter atteinte au droit à la vie privée et à d’autres droits des participants et des passants et avoir un effet dissuasif. En outre, la propriété privée et d’autres formes de contrôle des espaces accessibles au public et des plateformes de communication se développent de plus en plus. De telles considérations doivent éclairer une vision contemporaine du cadre légal que requiert l’article 21.

II.Portée du droit de réunion pacifique

11.Pour déterminer si la participation d’une personne à une réunion est protégée ou non en vertu de l’article 21, il faut suivre un processus en deux étapes. Il s’agit en premier lieu d’établir si le comportement de la personne entre ou non dans le champ de la protection offerte par le droit, c’est-à-dire s’il relève de la participation à une « réunion pacifique » (telle que décrite dans la présente section). Si tel est le cas, l’État est tenu de respecter et de garantir les droits des participants (tels que décrits à la section III ci-dessous). Ensuite, il faut établir si, oui ou non, les restrictions imposées à l’exercice du droit (telles que décrites dans la section IV ci-dessous) sont légitimes dans ce contexte.

12.Participer à une « assemblée » suppose d’organiser ou de prendre part à un rassemblement de personnes dans le but, par exemple, de s’exprimer, de relayer un point de vue sur une question particulière ou d’échanger des idées. On peut aussi se rassembler dans le but de montrer sa solidarité vis-à-vis du groupe ou d’affirmer son identité. Les rassemblements peuvent, outre ces finalités, avoir également un objectif de divertissement ou des fins culturelles, religieuses ou commerciales, et être malgré cela protégés par l’article 21.

13.Si la notion de réunion suppose que le rassemblement comprendra plus d’un participant, même seul, un manifestant jouit des mêmes protections en vertu du Pacte, par exemple de l’article 19. Bien que l’exercice du droit de réunion pacifique soit habituellement interprété comme s’appliquant au rassemblement physique de personnes, la protection offerte par l’article 21 s’étend également à la participation à distance à des réunions ainsi qu’à leur organisation à distance, par exemple aux réunions en ligne.

14.Les réunions pacifiques sont souvent organisées à l’avance, ce qui laisse le temps aux organisateurs de notifier aux autorités et de faire les préparatifs nécessaires. Toutefois, les rassemblements spontanés, coordonnés ou non, qui ont lieu généralement en réaction directe à des événements en cours, bénéficient également de la protection de l’article 21. Une contre-manifestation est une réunion organisée en forme de protestation contre une autre réunion. Ces deux types d’assemblées peuvent relever du champ d’application de la protection de l’article 21.

15.Une réunion « pacifique » est à l’opposé d’une réunion caractérisée par des violences graves et généralisées. Les adjectifs « pacifique » et « non violent » sont donc interchangeables dans ce contexte. Par définition, le droit de réunion pacifique ne saurait être exercé en faisant usage de violence. Dans le contexte de l’article 21, la « violence » s’entend en général de l’utilisation contre autrui par les participants d’une force physique susceptible d’entraîner des blessures ou la mort, ou de causer des dommages graves aux biens. Les seuls faits de pousser et bousculer ou de perturber la circulation des véhicules ou des piétons ou les activités quotidiennes ne constituent pas de la « violence ».

16.Si le comportement des participants à une réunion est pacifique, le fait que les organisateurs ou les participants n’aient pas satisfait à certaines des prescriptions du droit interne y relatives ne suffit pas à les soustraire à la protection de l’article 21. Les campagnes collectives de désobéissance civile ou d’action directe peuvent être couvertes par l’article 21, à conditions qu’elles soient non violentes.

17.La limite entre une réunion pacifique et une réunion non pacifique n’est pas toujours claire, mais il existe une présomption en faveur du caractère pacifique des réunions. En outre, les actes de violence sporadiques perpétrés par certains participants ne doivent pas être attribués aux autres participants, aux organisateurs ou au rassemblement lui-même. Ainsi, il est possible que dans un même rassemblement, certains participants soient couverts par l’article 21 et d’autres non.

18.Il convient, pour répondre à la question de savoir si une réunion est ou n’est pas pacifique, de prendre en considération la violence qui est exercée par les participants. La violence déployée par les autorités ou commise par des agents provocateurs agissant pour leur compte contre les participants à une réunion pacifique ne rend pas la réunion non pacifique. Il en va de même pour les actes de violence commis par d’autres citoyens contre la réunion, et des violences commises par les participants à des contre-manifestations.

19.Le comportement de certains participants à une réunion peut être considéré comme violent si les autorités peuvent présenter des preuves crédibles que, avant ou pendant l’événement, ces participants en ont incité d’autres à faire usage de violence, et que ces actions sont susceptibles de provoquer la violence ; que les participants sont animés d’intentions violentes et prévoient de mettre leurs plans à exécution ; ou qu’ils s’apprêtent à faire usage de violence de façon imminente. Des cas isolés d’un tel comportement ne suffisent pas pour qu’une réunion dans son ensemble soit qualifiée de non pacifique, mais lorsque la violence est manifestement généralisée dans l’assemblée, la participation au rassemblement en tant que tel n’est plus protégée par l’article 21.

20.Le fait que les participants portent des objets qui sont ou pourraient être considérés comme des armes ou un équipement de protection comme des masques à gaz ou des casques ne suffit pas nécessairement à ce que le comportement de ces participants soit considéré comme violent. Il convient de procéder à une appréciation au cas par cas en tenant compte d’autres considérations, comme la réglementation interne sur le port d’armes (en particulier d’armes à feu), les pratiques culturelles locales, des signes éventuels d’une intention violente et du risque de violence posé par la présence de tels objets.

III.Obligation des États parties concernant le droit de réunion pacifique

21.Le Pacte fait obligation aux États parties de « respecter et […] garantir » tous les droits reconnus dans le Pacte (art. 2 (par. 1)), de prendre des mesures d’ordre législatif ou autre à cette fin (art. 2 (par. 2)), de faire appliquer le principe de responsabilité et de prévoir des recours utiles en cas de violation des droits énoncés dans le Pacte (art. 2 (par. 3)). L’obligation des États parties concernant le droit de réunion pacifique comprend donc ces différents éléments, même si ce droit peut dans certains cas faire l’objet de restrictions répondant aux critères énoncés à l’article 21.

22.Les États doivent permettre aux participants de choisir librement l’objectif de la réunion ou l’opinion que la réunion a pour but de véhiculer. La manière dont les autorités envisagent les réunions pacifiques et les éventuelles restrictions qu’elles imposent à leur tenue ne doivent donc pas, en principe, être liées au contenu des réunions, et ne doivent pas non plus être fonction de l’identité des participants ou des relations que ceux‑ci entretiennent avec les autorités. En outre, même si l’heure, le lieu et les modalités des réunions peuvent, dans certaines circonstances, faire l’objet des restrictions légitimes prévues à l’article 21, étant donné que les réunions sont en général un lieu d’expression, les participants doivent, dans la mesure du possible, pouvoir tenir des réunions à portée de vue et d’ouïe du public visé.

23.Le devoir de respecter et garantir le droit de réunion pacifique comporte à la fois pour les États, avant, pendant et après les réunions, des obligations négatives et d’autres positives. Les États ont ainsi l’obligation négative de s’abstenir de toute intervention injustifiée dans le déroulement des réunions pacifiques. Ils sont tenus, par exemple, de ne pas interdire, restreindre, bloquer, disperser ou perturber les réunions pacifiques sans raison impérieuse et de ne pas sanctionner les participants ou les organisateurs sans motif valable.

24.En outre, les États parties ont l’obligation positive de faciliter la tenue des réunions pacifiques et de permettre aux participants d’atteindre leurs objectifs. Les États doivent donc promouvoir un environnement propice à l’exercice du droit de réunion pacifique sans discrimination et mettre en place un cadre juridique et institutionnel dans lequel ce droit puisse être exercé effectivement. Dans certains cas, les autorités peuvent avoir à prendre des mesures spécifiques. Elles peuvent, par exemple, être obligées de bloquer des rues, de dévier la circulation ou de veiller à la sécurité. Lorsque cela s’impose, les États doivent aussi protéger les participants contre certains abus que pourraient commettre des acteurs non étatiques, tels que des interventions ou des actes de violence d’autres membres du public, de contre-manifestants ou de prestataires de services de sécurité privés.

25.Les États doivent veiller à ce que leurs lois et l’interprétation et l’application qui en sont faites n’entraînent pas de discrimination dans la jouissance du droit de réunion pacifique, fondée par exemple sur la race, la couleur, l’origine ethnique, l’âge, le sexe, la langue, la fortune, la religion ou les convictions, les opinions politiques ou autres, l’origine nationale ou sociale, la naissance, l’appartenance à une minorité, le statut d’autochtone ou tout autre statut, le handicap, l’orientation sexuelle ou l’identité de genre, ou toute autre situation. Un effort particulier doit être consenti pour garantir la protection égale et efficace du droit de réunion pacifique des personnes et des groupes qui sont ou ont été victimes de discrimination ou dont la participation à des réunions est entravée par des obstacles particuliers, et son exercice. En outre, il incombe aux États de protéger les participants contre toutes les formes d’abus et d’attaques discriminatoires.

26.Le droit de réunion pacifique n’exonère pas les participants des contestations de la part d’autres membres de la société. Les États doivent respecter et permettre les contre‑manifestations en tant que réunions à part entière, tout en empêchant qu’elles ne causent des perturbations injustifiées aux réunions qui soulèvent leur réprobation. Les États doivent en principe adopter une approche neutre quant au contenu des contre‑manifestations, et permettre, autant que possible, qu’elles se tiennent à portée de vue et d’ouïe des réunions contre lesquelles elles sont dirigées.

27.La possibilité qu’une réunion pacifique provoque des réactions négatives, voire violentes, de la part de certains membres du public n’est pas un motif suffisant pour interdire ou restreindre la réunion en question. Les États sont tenus de prendre toutes les mesures raisonnables qui ne leur impose pas une charge disproportionnée pour protéger tous les participants et pour permettre à de telles réunions de se dérouler sans être interrompues (voir aussi par. 52 ci-dessous).

28.Un système juridique et décisionnel qui fonctionne bien et de manière transparente est indispensable pour s’acquitter de l’obligation de respecter et de garantir le droit de réunion pacifique. Le droit interne doit reconnaître le droit de réunion pacifique, énoncer clairement les devoirs et responsabilités de tous les agents publics concernés, être conforme aux normes internationales en la matière et être accessible au public. Les États doivent veiller à ce que le public connaisse les lois et réglementations relatives au droit de réunion pacifique, y compris, le cas échéant, les procédures à suivre pour exercer ce droit, à ce qu’il sache qui sont les autorités responsables en la matière et à ce qu’il connaisse les règles applicables à ces agents publics ainsi que les recours disponibles en cas de violation de ce droit.

29.Les États parties doivent s’assurer que tous les organismes qui sont concernés par les réunions pacifiques fassent l’objet d’un contrôle indépendant et transparent, y compris en garantissant l’accès en temps voulu à des recours utiles, y compris devant les tribunaux, ou aux institutions nationales des droits de l’homme, afin de faire respecter ce droit avant, pendant et après une réunion.

30.Les journalistes, les défenseurs des droits de l’homme et les observateurs électoraux, notamment, qui surveillent et rendent compte du déroulement des réunions, jouent un rôle particulièrement important pour ce qui est de permettre la pleine jouissance du droit de réunion pacifique. Ces personnes ont droit à la protection offerte par le Pacte. Il ne peut pas leur être interdit d’exercer ces fonctions ni leur être imposé de limites à l’exercice de ces fonctions, y compris en ce qui concerne la surveillance des actions des forces de l’ordre. Ils ne doivent pas risquer de faire l’objet de représailles ou d’autres formes de harcèlement, et leur matériel ne doit pas être confisqué ou endommagé. Même si une réunion est déclarée illégale et est dispersée, il n’est pas mis fin au droit de la surveiller. La surveillance des réunions par les institutions nationales des droits de l’homme et les organisations non gouvernementales constitue une bonne pratique.

31.Les États parties sont responsables au premier chef de la réalisation du droit de réunion pacifique. Cependant, les entreprises commerciales sont tenues de respecter les droits de l’homme, y compris le droit de réunion pacifique, notamment celui des communautés touchées par leurs activités et celui de leurs employés. On doit pouvoir attendre des entités privées et de la société en général qu’elles acceptent que l’exercice de ce droit entraîne des perturbations, dans une certaine mesure.

32.Étant donné que les réunions pacifiques ont souvent pour fonction d’être un lieu d’expression, et que le discours politique jouit d’une protection spéciale en tant que forme d’expression, des efforts redoublés devraient être faits pour permettre la tenue des réunions exprimant un message politique, et celles-ci devraient bénéficier d’une protection renforcée.

33.L’article 21 et les droits connexes ne protègent pas seulement les participants au moment et à l’endroit où une réunion se déroule. La protection englobe également les activités connexes menées par une personne ou par un groupe hors du cadre immédiat du rassemblement mais qui en font partie intégrante et lui donnent tout son sens. Les obligations des États parties s’étendent donc aux actions suivantes, menées par les participants ou par les organisateurs : mobilisation de ressources ; planification ; diffusion de l’information sur une manifestation à venir ; préparation et déplacements pour se rendre à l’événement ; communication entre les participants avant et pendant la réunion ; diffusion de la réunion ou depuis la réunion ; dispersion de la réunion une fois terminée. Ces activités peuvent, comme la participation à la réunion elle-même, être soumises à des restrictions, mais celles-ci doivent être étroitement définies. En outre, nul ne devrait faire l’objet de harcèlement ou d’autres représailles en raison de sa présence ou de son affiliation à une réunion pacifique.

34.De nombreuses activités connexes se déroulent en ligne ou reposent d’une autre manière sur des services numériques. De telles activités sont également protégées par l’article 21. Les États parties ne doivent pas, par exemple, bloquer ou entraver les échanges sur Internet qui sont en rapport avec des réunions pacifiques. Il en va de même pour les interférences géociblées ou utilisant une technologie spécifique dans les connexions ou l’accès aux contenus. Les États devraient veiller à ce que les activités des fournisseurs de services Internet et des intermédiaires n’entraînent pas de restrictions injustifiées des réunions ou d’atteintes injustifiées à la vie privée des personnes participant aux réunions. Toute restriction imposée aux systèmes de diffusion de l’information doit respecter les critères établis pour les restrictions de la liberté d’expression.

35.S’il est fait obligation à tous les organes de l’État de respecter et de garantir le droit de réunion pacifique, les décisions concernant les réunions sont souvent prises au niveau local. Les États doivent donc faire en sorte que les personnes qui prennent part à ces décisions à tous les niveaux de gouvernement disposent d’une formation et de ressources adéquates.

IV.Restrictions du droit de réunion pacifique

36. Le droit de réunion pacifique peut, dans certains cas, être restreint mais il incombe aux autorités de démontrer que toute restriction est justifiée. Les autorités doivent être en mesure de démontrer que toute restriction répond à l’exigence de légalité, et qu’elle est à la fois nécessaire et proportionnée à au moins un des motifs de restriction autorisés énumérés à l’article 21, comme il est expliqué ci-dessous. Lorsque cette preuve n’est pas faite, il y a violation de l’article 21. Lorsque des restrictions sont imposées, il convient de le faire en cherchant à faciliter l’exercice du droit de réunion pacifique et non en s’employant à le limiter par des moyens qui ne sont ni nécessaires ni proportionnés. Les restrictions ne doivent pas être discriminatoires ni porter atteinte à l’essence du droit visé ; elles ne doivent pas non plus avoir pour but de décourager la participation à des réunions ni avoir un effet dissuasif.

37.L’interdiction d’une réunion ne peut être envisagée qu’en dernier ressort. Lorsqu’elles jugent nécessaire d’imposer des restrictions à une réunion, les autorités devraient d’abord chercher à appliquer les mesures les moins intrusives. Les États devraient également envisager d’autoriser la tenue d’une réunion et de décider seulement après coup des mesures à prendre si des transgressions ont eu lieu pendant l’événement, plutôt que d’imposer des restrictions d’emblée dans l’espoir d’éliminer tous les risques.

38.Toute restriction à la participation à une réunion pacifique devrait être basée sur une évaluation individuelle ou différenciée du comportement des participants et de la réunion concernés. Les restrictions systématiques imposées aux réunions pacifiques sont présumées disproportionnées.

39.Dans la deuxième phrase de l’article21, il est dit que l’exercice du droit de réunion pacifique ne peut faire l’objet que des seules restrictions imposées conformément à la loi. Cela pose le principe de l’exigence de légalité, qui s’apparente à l’obligation, prévue dans d’autres articles du Pacte, que les restrictions soient « fixées par la loi ». Les restrictions doivent donc être imposées par la loi ou par des décisions administratives basées sur la loi. Les lois en question doivent être libellées avec suffisamment de précision pour permettre aux citoyens d’adapter leur comportement, et ne peuvent pas conférer aux personnes chargées de leur application un pouvoir illimité ou très étendu.

40.L’article 21 dispose que toute restriction doit être « nécessaire dans une société démocratique ». Les restrictions doivent donc être nécessaires et proportionnées dans une société fondée sur la démocratie, l’état de droit, le pluralisme politique et les droits de l’homme, et ne sauraient être seulement raisonnables ou opportunes. Elles doivent apporter une réponse appropriée à un besoin social impérieux en rapport avec l’un des motifs légitimes énoncés à l’article 21. Elles doivent également être le moyen le moins intrusif d’atteindre l’objectif de protection recherché. Elles doivent en outre être proportionnées, ce qui suppose de porter un jugement de valeur et de mettre en balance, d’une part la nature de l’ingérence et son effet préjudiciable sur l’exercice du droit, et d’autre part le résultat bénéfique de cette ingérence au regard du motif invoqué. Si le préjudice causé l’emporte sur le bénéfice obtenu, la restriction est disproportionnée et, partant, inadmissible.

41.La dernière partie de la seconde phrase de l’article21 donne une liste exhaustive des motifs légitimes pour lesquels le droit de réunion pacifiquepeut faire l’objet de restrictions. Ces motifs sont l’intérêt de la sécurité nationale, la sûreté publique, l’ordre public, la protection de la santé ou de la moralité publiques, et la protection des droits et libertés d’autrui.

42.L’« intérêt de la sécurité nationale » peut être invoqué pour justifier des restrictions si celles-ci sont nécessaires pour préserver la capacité de l’État de protéger l’existence de la nation, son intégrité territoriale ou son indépendance politique contre une menace crédible ou contre l’usage de la force.Dans le cas des réunions « pacifiques », cette condition ne sera remplie qu’exceptionnellement. En outre, lorsque ce sont précisément les atteintes aux droits de l’homme qui sont à l’origine de la détérioration de la sécurité nationale, cela ne saurait servir de motif pour justifier que de nouvelles restrictions soient imposées à ces droits, notamment au droit de réunion pacifique.

43.Pour pouvoir invoquer la protection de la « sûreté publique » comme motif de restriction dudroit de réunion pacifique, il faut établir que la réunion crée un danger réel et important menaçant la sécurité des personnes (leur vie ou leur sécurité personnelle) ou un risque similaire de causer des dommages graves à leurs biens.

44.L’« ordre public » désigne la somme des règles qui assurent le bon fonctionnement de la société ou l’ensemble des principes fondamentaux sur lesquels repose la société, dont le respect des droits de l’homme, y compris du droit de réunion pacifique, fait partie. Les États parties ne devraient pas s’appuyer sur une définition vague de la notion d’« ordre public » pour justifier des restrictions trop larges du droit de réunion pacifique. Il peut arriver qu’en raison de l’effet perturbateur recherché ou inhérent à la nature même de certains rassemblements pacifiques, un degré de tolérance important soit nécessaire. L’« ordre public » et le « maintien de l’ordre » ne sont pas synonymes, et l’interdiction des « troubles à l’ordre public » en droit interne ne devrait pas être utilisée indûment dans le but de restreindre des réunions pacifiques.

45.La protection de la « santé publique » peut exceptionnellement justifier l’imposition de restrictions, par exemple lorsqu’une épidémie de maladie infectieuse s’est déclarée, qui rend dangereuse la tenue de rassemblements.Ce motif peut, dans des cas extrêmes, également être invoqué lorsque la situation sanitaire pendant un rassemblement fait peser un risque important sur la santé du public en général et sur celle des participants eux‑mêmes.

46.Des restrictions à la tenue de réunions pacifiquesne devraient être imposées qu’exceptionnellement pour protéger la « moralité publique ». Si toutefois ce motif était invoqué, il ne devrait pas l’être dans le but de défendre une conception de la morale procédant exclusivement d’une tradition sociale, philosophique et religieuse unique, et toute restriction de cette nature doit être interprétée à la lumière de l’universalitédes droits de l’homme, du pluralisme et du principe de non-discrimination.Des restrictions fondées sur ce motif ne peuvent pas être imposées, par exemple, pour empêcher l’expression de l’orientation sexuelle ou de l’identité de genre.

47.Les restrictions imposées pour protéger « les droits et libertés d’autrui » peuvent concerner la protection des droits garantis par le Pacteou d’autres droits de l’hommedont jouissent les personnes qui ne participent pas au rassemblement. Dans le même temps, les rassemblements constituent une utilisation légitime de l’espace public et d’autres types de lieux, et s’ils peuvent, par leur nature, perturber dans une certaine mesure la vie ordinaire, les perturbations causées doivent être tolérées, à moins qu’elles ne représentent une charge disproportionnée, auquel cas les autorités doivent être en mesure de justifier toute restriction de façon détaillée.

48.Outre le cadre général des restrictions défini à l’article 21, tel que décrit ci-dessus, d’autres considérations sont pertinentes dans l’évaluation des restrictions du droit de réunion pacifique.L’exigence que les restrictions imposées au droit de réunion pacifique soient neutres quant au contenu de la réunion et ne soient donc, en principe, pas liées au message que celle-ci véhicule est un élément central de la réalisation de ce droit. Si elle n’est pas respectée, cela empêche la réalisation de l’objet même des réunions pacifiques, qui est d’être un outil de participation politique et sociale permettant de mettre des idées à l’épreuve en les soumettant à la population et de déterminer le degré de soutien dont elles bénéficient.

49.Les règles applicables à la liberté d’expression devraient également être suivies en ce qui concerne la fonction d’expression d’opinions des réunions pacifiques. Les restrictions ne doivent donc pas être utilisées, expressément ou implicitement, pour museler l’expression de l’opposition politique au pouvoir en place, la contestation de l’autorité, y compris les appels à un changement de gouvernement, de constitution ou de système politique, ou la recherche de l’autodétermination. Elles ne devraient pas être utilisées pour interdire les insultes à l’honneur et à la réputation des agents ou des organes de l’État.

50.Conformément à l’article 20 du Pacte, les réunions pacifiques ne sauraient être utilisées comme outil de propagande en faveur de la guerre (art. 20 (par. 1)), ou d’appel à la haine nationale, raciale ou religieuse qui constitue une incitation à la discrimination, à l’hostilité ou à la violence (art. 20 (par. 2)). Autant que possible, lorsque cela se produit, des mesures devraient être prises contre les auteurs des infractions individuellement, plutôt qu’à l’égard de la réunion dans son ensemble. La participation à des rassemblements dont le message dominant relève du champ d’application de l’article 20 doit être traitée conformément aux critères applicables aux restrictions énoncées dans les articles 19 et 21.

51.D’une manière générale, l’utilisation de drapeaux ou de banderoles et le port d’uniformes ou d’autres signes doivent être perçus comme une forme d’expression légitime qu’il n’y a pas lieu de restreindre, même si ces symboles renvoient à un passé douloureux. Dans des cas exceptionnels, lorsque les symboles arborés sont directement et principalement associés à l’incitation à la discrimination, à l’hostilité ou à la violence, des restrictions appropriées devraient s’appliquer.

52.Le fait qu’une réunion provoque ou puisse provoquer une réaction hostile du public contre les participants ne justifie pas, en règle générale, que cette réunion fasse l’objet d’une restriction ; on doit autoriser la poursuite de la réunion, et protéger les participants (voir par. 18 ci-dessus). Cependant, dans le cas exceptionnel où l’État n’est manifestement pas en mesure de protéger les participants d’un danger grave menaçant leur sécurité, il peut être imposé des restrictions à la participation à la réunion. De telles restrictions doivent résister à un examen strict. Un risque de violence indéterminé ou la simple possibilité que les autorités n’aient pas la capacité de prévenir ou de neutraliser la violence provenant de ceux qui s’opposent à la réunion ne constitue pas un motif suffisant ; l’État doit être capable de démontrer, en se basant sur une évaluation concrète du risque, qu’il ne serait pas en mesure de contenir la situation, même en déployant d’importantes capacités de maintien de l’ordre. Des restrictions moins intrusives, telles que le report ou le changement de lieu de la réunion, doivent être envisagées avant de recourir à l’interdiction.

53.Les règles relatives à l’heure, au lieu et aux modalités des réunions ne sont généralement pas fonction du contenu de celles-ci, et si certaines restrictions peuvent être imposées à ces éléments, les autorités sont tenues de justifier chaque restriction au cas par cas. Toute restriction de ce type devrait néanmoins, dans la mesure du possible, laisser la possibilité aux participants de se réunir à portée de vue et d’ouïe de leur public cible, ou dans tout autre lieu revêtant une importance du point de vue de leur objectif.

54.En ce qui concerne les restrictions à la durée des réunions, il faut que les participants aient suffisamment la possibilité d’exprimer leur opinion ou de réaliser efficacement leurs autres objectifs. En général, il convient de laisser les réunions prendre fin spontanément. Les restrictions portant sur les heures de la journée durant lesquelles les réunions peuvent ou ne peuvent pas se tenir, ou les dates auxquelles elles peuvent ou non se tenir, soulèvent des préoccupations quant à leur compatibilité avec le Pacte. Les réunions ne devraient pas être limitées au seul motif de leur fréquence. Le choix du moment, la durée ou la fréquence d’une manifestation peuvent, par exemple, jouer un rôle central dans la réalisation de son objectif. Toutefois, les effets cumulés des réunions répétées peuvent être pris en considération dans l’évaluation de la proportionnalité d’une restriction. Par exemple, certaines réunions organisées régulièrement de nuit dans des quartiers résidentiels peuvent avoir d’importantes conséquences pour les personnes vivant dans le voisinage.

55.Concernant les restrictions portant sur le lieu, les réunions pacifiques peuvent en principe être organisées en tout lieu accessible au public ou auquel le public devrait avoir accès, comme les places publiques et la voie publique. L’imposition de règles concernant l’accès du public à certains lieux, comme des bâtiments ou des parcs, pouvant également limiter le droit de se réunir dans de tels lieux, l’application de ce type de restrictions aux réunions pacifiques doit pouvoir être justifiée au regard de l’article 21. Les réunions pacifiques ne devraient pas être reléguées dans des endroits isolés où elles ne peuvent pas attirer l’attention de ceux à qui elles s’adressent ou du grand public. En règle générale, il ne peut être imposé d’interdictions générales d’organiser des rassemblements en tous lieux de la capitale, en tous lieux publics à l’exception d’un lieu unique en ville ou en dehors du centre‑ville, ou sur l’ensemble de la voie publique d’une ville.

56.Il convient de façon générale d’éviter de désigner des zones où les rassemblements sont interdits tels que les abords d’un tribunal, du parlement, d’un site historique ou d’autres bâtiments officiels, notamment parce qu’il s’agit d’espaces publics. Toute restriction à la tenue d’une réunion dans et autour de tels lieux doit être justifiée précisément et bien délimitée.

57.Si les rassemblements dans des espaces privés relèvent du droit de réunion pacifique, les intérêts d’autres personnes ayant des droits sur la propriété doivent être dûment pris en compte. La mesure dans laquelle des restrictions peuvent être imposées à un tel rassemblement dépend de considérations telles que le fait que l’espace soit ou non habituellement accessible au public, la nature et l’ampleur des perturbations que le rassemblement pourrait causer aux intérêts d’autres personnes ayant des droits sur la propriété, le fait que les détenteurs de droits approuvent ou non cette utilisation, le fait que le rassemblement ait pour objet de contester la propriété de l’espace en question et le fait que les participants disposent ou non d’autres moyens raisonnables de réaliser l’objectif de la réunion, conformément au principe de la portée de vue et d’ouïe. L’accès à la propriété privée ne peut pas être refusé pour des motifs discriminatoires.

58.En ce qui concerne les restrictions portant sur les modalités des réunions pacifiques, il convient de laisser les participants décider librement s’ils souhaitent diffuser leur message au moyen de pancartes ou de porte-voix, en s’accompagnant d’instruments de musique ou d’autres moyens techniques, tels que des équipements de projection. La tenue d’une réunion peut nécessiter d’ériger des structures temporaires, par exemple d’installer des enceintes, pour se faire entendre du public ou pour permettre d’une autre manière la réalisation de l’objectif de la réunion.

59.En règle générale, les États parties ne devraient pas limiter le nombre de participants à une réunion. Une telle restriction n’est acceptable que si elle est clairement justifiée par un des motifs légitimes énoncés à l’article 21, par exemple lorsque des considérations de sécurité publique exigent de ne pas dépasser la capacité maximale d’un stade ou d’un pont, ou lorsque des considérations de santé publique exigent le respect d’une distanciation physique.

60.Le port de tenues dissimulant le visage ou de déguisements, comme des capuches ou des masques, par les personnes participant à une réunion, ou le recours à d’autres méthodes pour participer anonymement à une réunion peuvent faire partie des moyens d’expression d’une réunion pacifique ou être le moyen pour les participants d’éviter des représailles ou de protéger leur vie privée, notamment face aux nouvelles technologies de surveillance. L’anonymat devrait être autorisé à moins que le comportement des participants constitue un motif raisonnable d’arrestation, ou qu’il existe d’autres raisons également impérieuses, par exemple le fait que la tenue dissimulant le visage fasse partie d’un symbole exceptionnellement soumis à restriction pour les raisons mentionnées plus haut (voir par. 51). Le port de déguisements ne devrait pas, en lui-même, être considéré comme étant le signe d’une intention violente.

61.Si la collecte d’informations et de données pertinentes par les autorités peut, dans certaines circonstances, contribuer à faciliter la tenue des réunions, elle ne doit pas entraîner d’atteintes à des droits ni avoir un effet dissuasif. Toute collecte d’informations, qu’elle soit effectuée par une entité publique ou privée, y compris au moyen de la surveillance ou en interceptant des communications, ainsi que la manière dont les données sont recueillies, partagées, conservées et consultées, doivent être strictement conformes aux normes internationales applicables, y compris aux normes relatives au respect de la vie privée, et ne doivent jamais servir à intimider ou harceler les personnes qui participent ou souhaitent participer à des rassemblements. Ces pratiques devraient être réglementées au moyen d’un cadre législatif national approprié et accessible au public compatible avec les normes internationales et soumis au contrôle des tribunaux.

62.Le fait qu’une réunion se tienne en public n’empêche pas que des atteintes à la vie privée des participants puissent être commises. L’utilisation de la reconnaissance faciale ou d’autres technologies permettant d’identifier des individus dans une foule peut entraîner des atteintes à la vie privée. Il en va de même en ce qui concerne la surveillance des médias sociaux visant à glaner des informations sur les participants à des réunions pacifiques. Les décisions visant la collecte d’informations et de données personnelles sur les participants à des rassemblements pacifiques et celles concernant le partage ou la conservation de ces informations et données doivent faire l’objet d’un contrôle indépendant et transparent visant à en vérifier la compatibilité avec le Pacte.

63.La liberté des agents de l’État de participer à des réunions pacifiques ne devrait pas être limitée au-delà de ce qui est strictement nécessaire pour préserver la réputation d’impartialité dont ils jouissent auprès du public, et donc leur capacité d’exercer leurs fonctions, et toute restriction à cette liberté doit être compatible avec l’article 21.

64.Exiger des participants ou des organisateurs qu’ils assurent l’encadrement et le maintien de l’ordre et la fourniture de soins médicaux pendant les rassemblements pacifiques ou le nettoyage du site après la réunion ou tous autres services publics connexes et qu’ils en assument les coûts n’est généralement pas compatible avec l’article 21.

65.L’on attend des organisateurs et des participants qu’ils respectent les conditions légalement imposées à la tenue d’une réunion, et ils peuvent être tenus responsables de leur propre comportement illicite, y compris de l’incitation d’autres personnes. Dans des circonstances exceptionnelles, des organisateurs peuvent être tenus responsables de dommages ou de blessures dont ils ne sont pas directement responsables, mais cela doit se limiter aux cas dans lesquels il est établi que les organisateurs auraient pu raisonnablement prévoir les dommages ou les blessures et les éviter. Il est de bonne pratique que les organisateurs de réunions désignent des délégués ou des responsables des services d’ordre, si besoin est, mais cela ne devrait pas être imposé par la loi.

66.Les autorités ne doivent exiger de personne qu’il s’engage à ne pas organiser de réunions à l’avenir ou à ne pas participer à des réunions futures. Inversement, nul ne saurait être contraint de participer à un rassemblement.

67.Si des sanctions pénales ou administratives sont infligées aux organisateurs d’une réunion pacifique ou à des participants à une telle réunion pour leur comportement illicite, ces sanctions doivent être proportionnées et non discriminatoires et ne doivent pas être basées sur des infractions dont la définition est ambiguë ou trop large, ou réprimer un comportement protégé par le Pacte.

68.Si les actes terroristes doivent être érigés en infractions pénales conformément au droit international, l’infraction de terrorisme ne doit pas être définie de façon trop large ou discriminatoire et ne doit pas être utilisée de manière à faire obstacle à l’exercice du droit de réunion pacifique ou à le décourager. L’organisation d’une réunion pacifique ou la participation à une telle réunion ne saurait être réprimée en vertu de lois antiterroristes.

69.On doit pouvoir saisir sans difficulté la justice pour obtenir réparation de restrictions, et pouvoir faire appel ou demander la révision d’une décision. L’exercice de ce droit ne doit pas être compromis par les délais ou la durée de telles procédures. Dans tous les cas de ce genre, les garanties procédurales énoncées dans le Pacte s’appliquent ; il en va de même en cas de détention ou de sanctions, y compris d’amendes, infligées en relation avec la tenue d’une réunion pacifique.

V.Régime de notification préalable

70.Devoir demander l’autorisation des autorités met à mal le principe selon lequel le droit de réunion pacifique est un droit fondamental.Les systèmes de notification qui impliquent que ceux qui ont l’intention d’organiser une réunion pacifique sont tenus d’en informer les autorités à l’avance et de fournir certains détails importants sont autorisés dans la mesure nécessaire pour aider les autorités à faciliter le bon déroulement des réunions pacifiques et à protéger les droits d’autrui. Cependant, cette exigence ne doit pas être utilisée à mauvais escient pour décourager la tenue de réunions pacifiques et, comme dans le cas d’autres ingérences dans ce droit, elle doit être justifiée par l’un des motifs énoncés à l’article 21. L’application d’un régime de notification préalable ne peut pas devenir une fin en soi. Les procédures de notification préalable devraient être transparentes et ne devraient pas être inutilement contraignantes ; les conditions qu’elles imposent aux organisateurs devraient être proportionnées aux répercussions que la réunion est susceptible d’avoir pour la population, et elles devraient être gratuites.

71.Le défaut de notification préalable aux autorités d’un rassemblement à venir, lorsque cette notification est requise, ne rend pas illégale la participation à la réunion en question, et ne doit pas en soi servir de motif pour disperser la réunion ou arrêter les participants ou les organisateurs, ou pour infliger des sanctions injustifiées, par exemple accuser les participants ou les organisateurs d’infractions pénales. Si des sanctions administratives sont infligées aux organisateurs pour défaut de notification, les autorités doivent en expliquer les raisons. L’absence de notification préalable n’exonère pas les autorités de l’obligation de faciliter la tenue de la réunion et de protéger les participants dans la mesure de leurs capacités.

72.Toute exigence de notification des réunions planifiées à l’avance doit être prévue dans le droit interne. Le préavis minimum requis pour la notification peut varier selon le contexte et les moyens que la réunion nécessitera de mettre en œuvre, mais il ne devrait pas être excessivement long. Si des restrictions sont imposées à une réunion à la suite de sa notification préalable, elles devraient être communiquées suffisamment tôt pour laisser le temps de saisir la justice ou d’autres mécanismes afin de les contester. Devraient être exclues de tout régime de notification préalable les réunions dont on peut raisonnablement penser qu’elles auront des répercussions négligeables sur autrui, en raison par exemple de leur nature, du lieu où elles se dérouleront, et de leur taille ou durée limitée. L’obligation de notification préalable ne devrait pas non plus s’appliquer aux rassemblements spontanés, pour lesquels le temps manque pour avertir.

73.Lorsqu’un régime d’autorisation continue d’exister dans le droit interne, il doit, dans la pratique, fonctionner comme un système de notification et l’autorisation doit être accordée automatiquement dès lors qu’aucune raison impérieuse ne s’y oppose. À l’inverse, un régime de notification ne doit pas se transformer dans la pratique en régime d’autorisation.

VI.Obligations et pouvoirs des autorités chargées du maintien de l’ordre

74.Les agents de la force publique chargés de maintenir l’ordre dans les réunions doivent respecter et garantir l’exercice des droits fondamentaux des organisateurs et des participants, tout en protégeant les journalistes, les observateurs, le personnel médical et les autres membres du public, ainsi que les biens de nature publique ou privée, contre d’éventuels dommages. L’approche normale des autorités devrait consister, si nécessaire, à chercher à faciliter la tenue des réunions pacifiques.

75.Les organes chargés du maintien de l’ordre devraient, dans toute la mesure possible, chercher à mettre en place des voies qui permettent la communication et le dialogue entre les différentes parties avant et pendant la réunion, afin d’assurer une meilleure préparation, d’apaiser les tensions éventuelles et de résoudre tout différend. S’il est de bonne pratique que les organisateurs et les participants s’associent à ces échanges, ceux-ci ne sauraient y être obligés.

76.Lorsque la présence des forces de l’ordre est nécessaire, l’encadrement de la réunion devrait être planifié et réalisé dans l’intention de permettre le déroulement du rassemblement tel qu’il était prévu et de minimiser le risque de dommage aux personnes ou aux biens. Le plan devrait fournir le détail des instructions données à toutes les forces et unités chargées du maintien de l’ordre, de l’équipement dont elles disposeront et de leur déploiement.

77.Les autorités chargées du maintien de l’ordre devraient aussi établir des plans d’urgence et des protocoles de formation en ce qui concerne notamment l’encadrement des réunions dont les autorités n’ont pas reçu notification à l’avance et qui pourraient causer des troubles à l’ordre public. Il est essentiel que des structures de commandement claires existent pour que les responsabilités soient bien définies, de même que des protocoles d’enregistrement et de documentation des événements qui permettent l’identification des policiers et le signalement de tout recours à la force.

78.Les forces de l’ordre devraient s’employer à désamorcer les situations susceptibles d’entraîner des violences. Elles sont tenues d’utiliser toutes les méthodes non violentes et d’adresser un avertissement préalable avant de faire usage de la force si celle-ci devient absolument nécessaire, sauf s’il est manifeste que les méthodes non violentes comme l’avertissement préalable seraient inefficaces. Tout recours à la force doit impérativement s’inscrire dans le respect des principes fondamentaux de légalité, de nécessité, de proportionnalité, de précaution et de non-discrimination applicables aux articles 6 et 7 du Pacte, et ceux qui font usage de la force doivent systématiquement en rendre compte. Les régimes juridiques nationaux relatifs au recours à la force par les forces de l’ordre doivent être mis en conformité avec les exigences du droit international, en s’inspirant de normes telles que les Principes de base sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois et le guide de l’ONU sur l’utilisation d’armes à létalité réduite par les responsables de l’application des lois intitulé United Nations Human Rights Guidance on Less-Lethal Weapons in Law Enforcement .

79.Lorsqu’il est indispensable de faire usage de la force dans le but légitime de maintenir l’ordre durant un rassemblement, l’emploi de la force doit être limité au minimum. Une fois que la nécessité d’employer la force a cessé, par exemple parce qu’un individu violent a été appréhendé, utiliser la force n’est plus autorisé. Les forces de l’ordre ne devraient pas utiliser davantage de force que ce qui est proportionné à l’objectif légitime de disperser une réunion, de prévenir un crime ou d’arrêter ou d’aider à arrêter légalement des délinquants ou des suspects. Le droit interne ne doit pas accorder aux agents de la force publique des pouvoirs largement illimités, par exemple celui d’utiliser « la force » ou « toute la force nécessaire » pour disperser des rassemblements, ou simplement celui de « tirer dans les jambes ». En particulier, la législation nationale ne doit pas autoriser qu’il soit fait usage de la force contre les personnes participant à un rassemblement de façon gratuite, excessive ou discriminatoire.

80.Ne devraient être déployés pour maintenir l’ordre dans les rassemblements que des agents des forces de l’ordre qui ont été formés à l’encadrement des réunions, y compris aux normes relatives aux droits de l’homme pertinentes. La formation devrait sensibiliser les agents aux besoins particuliers des personnes et des groupes en situation de vulnérabilité, qui, dans certains cas, peuvent comprendre les femmes, les enfants et les personnes handicapées, lorsqu’ils participent à des réunions pacifiques. Les forces militaires ne devraient pas être utilisées pour maintenir l’ordre dans les rassemblements, mais si elles sont déployées en appui, à titre exceptionnel et de façon temporaire, elles doivent avoir reçu une formation aux droits de l’homme appropriée et agir dans le respect des mêmes règles et normes internationales que celles qui s’appliquent aux forces de police.

81.Tous les agents des forces de l’ordre qui sont chargés de maintenir l’ordre dans une réunion doivent être convenablement équipés, notamment, le cas échéant, d’armes à létalité réduite adaptées à l’objectif visé, et doivent disposer d’un équipement de protection. Les États parties doivent veiller à ce que toutes les armes, y compris les armes à létalité réduite, fassent l’objet de tests indépendants stricts et à ce que les agents qui en sont équipés aient reçu une formation spéciale, et doivent évaluer et contrôler les conséquences de l’usage de ces armes sur les droits des personnes concernées. Les autorités de maintien de l’ordre doivent être attentifs aux effets potentiellement discriminatoires que peuvent avoir certaines tactiques de maintien de l’ordre, notamment dans le contexte de l’utilisation des nouvelles technologies, et doivent y remédier.

82.Placer des individus ciblés en détention provisoire dans le but de les empêcher de participer à des réunions peut constituer une privation de liberté arbitraire, incompatible avec le droit de réunion pacifique. C’est particulièrement le cas si la détention dure plus de quelques heures. Lorsque le droit interne autorise une telle détention, cette mesure ne peut être utilisée que dans les cas les plus exceptionnels, ne peut pas durer plus longtemps que ce qui est absolument nécessaire et ne peut être utilisée que lorsque les autorités ont la preuve que les individus concernés ont l’intention de commettre des actes de violence ou d’inciter à commettre de tels actes pendant un rassemblement, et si l’utilisation d’autres moyens de prévention serait manifestement inappropriée. Procéder à des arrestations de masse sans distinction avant, pendant ou après un rassemblement constitue une mesure arbitraire et donc illégale.

83.Les pouvoirs d’interpellation et de fouille ne peuvent être exercés sur les personnes qui participent à un rassemblement ou sont sur le point de le faire que s’il existe des soupçons raisonnables qu’une infraction grave a été commise ou risque d’être commise, et ne peuvent pas être exercés de manière discriminatoire. Le simple fait que les autorités associent un individu à une réunion pacifique ne constitue pas un motif suffisant pour l’interpeller et le fouiller.

84.Le confinement (ou encerclement), qui consiste pour les forces de l’ordre à entourer les participants et à les contenir dans un périmètre limité, ne peut être utilisé que lorsqu’il est nécessaire et proportionné pour faire face à des violences ou à un risque imminent de violences provenant de ce périmètre. Il est souvent préférable de prendre des mesures de répression ciblées contre certains individus que de confiner un groupe. Il convient de veiller tout particulièrement à ne confiner, autant que possible, que les personnes directement liées aux violences commises et de limiter la durée du confinement au minimum nécessaire. Lorsque le confinement est utilisé sans discernement ou à titre de sanction, il constitue une violation du droit de réunion pacifique et peut aussi entraîner la violation d’autres droits comme le droit de ne pas être soumis à une détention arbitraire et celui de ne pas être privé de sa liberté de circuler.

85.Un rassemblement ne peut être dispersé que dans des cas exceptionnels. Il est possible de disperser un rassemblement si celui-ci a perdu son caractère pacifique ou s’il existe manifestement un danger imminent que des violences graves éclatent auxquelles on ne saurait raisonnablement remédier en prenant des mesures plus proportionnées, comme des interpellations ciblées. Dans tous les cas, les règles de maintien de l’ordre relatives au recours à la force doivent être strictement respectées. Les conditions dans lesquelles la dispersion d’une réunion peut être ordonnée devraient être énoncées dans le droit interne, et seul un agent dûment habilité peut ordonner la dispersion d’une réunion pacifique. Un rassemblement qui demeure pacifique mais entraîne d’importantes perturbations, comme une paralysie étendue de la circulation, ne peut être dispersé, en règle générale, que si les perturbations sont « graves et de longue durée ».

86.Lorsqu’une décision de dispersion est prise conformément à la législation nationale et au droit international, il convient de l’appliquer en évitant de recourir à la force. Lorsque les circonstances ne le permettent pas, l’emploi de la force doit être limité au minimum nécessaire. Dans toute la mesure possible, toute force utilisée devrait être dirigée contre l’individu ou le groupe qui commet des actes de violence ou menace d’en commettre. Il ne devrait pas être fait usage d’une force susceptible de causer davantage qu’un préjudice négligeable contre des personnes ou des groupes qui opposent une résistance passive.

87.Les armes à létalité réduite destinées à couvrir une zone étendue, comme le gaz lacrymogène ou les canons à eau, frappent sans discrimination. Lorsque de telles armes sont utilisées, tous les efforts raisonnables devraient être faits pour limiter les risques, comme celui de causer un mouvement de panique ou d’atteindre des passants. Ces armes ne devraient être utilisées qu’en dernier recours, après une sommation et après avoir donné aux participants une possibilité suffisante de se disperser. Il ne devrait pas être fait usage de gaz lacrymogène dans des lieux fermés.

88.Les armes à feu ne sont pas un outil approprié de maintien de l’ordre dans les réunions. Elles ne doivent jamais être utilisées dans le seul but de disperser une assemblée. L’emploi d’armes à feu par des agents des forces de l’ordre dans le contexte du maintien de l’ordre dans les réunions n’est conforme au droit international que s’il est limité à des individus ciblés et aux situations dans lesquelles il est strictement nécessaire pour protéger la vie ou prévenir un préjudice grave découlant d’une menace imminente. Compte tenu du danger que de telles armes représentent pour la vie, cette condition minimum doit aussi s’appliquer aux tirs de balles en métal recouvertes de caoutchouc. Lorsque les forces de l’ordre se préparent à faire usage de la force, ou lorsque des violences semblent devoir se produire, les autorités doivent aussi veiller à ce que des services médicaux appropriés soient disponibles. Il n’est jamais légitime de tirer à l’aveugle ou de faire usage d’armes à feu en mode entièrement automatique pour maintenir l’ordre dans un rassemblement.

89.L’État est responsable, en vertu du droit international, des actions et omissions des agents de ses organes de maintien de l’ordre. Pour prévenir des violations, les États devraient systématiquement promouvoir une culture de responsabilité des membres des forces de l’ordre chargés du maintien de l’ordre dans les rassemblements. Pour renforcer la transparence, les policiers en uniforme intervenant dans ce cadre devraient toujours arborer un moyen d’identification facilement reconnaissable.

90.Les États sont tenus d’enquêter sans tarder et de façon efficace et impartiale sur toute allégation ou tout soupçon raisonnable de recours illégal à la force ou d’autres violations, y compris de violences sexuelles ou fondées sur le genre, par des membres des forces de l’ordre dans le contexte des rassemblements. Une action ou une omission, qu’elle soit intentionnelle ou par négligence, peut constituer une violation des droits de l’homme. Les agents de la force publique ayant commis des violations doivent être tenus responsables en vertu du droit interne et, le cas échéant, du droit international, et les victimes doivent disposer de recours utiles.

91.Tout recours à la force par des agents des forces de l’ordre devrait être enregistré et consigné sans délai dans un rapport transparent. Lorsque l’usage de la force entraîne un préjudice ou des dommages, le rapport devrait contenir des renseignements suffisants pour pouvoir déterminer si le recours à la force était nécessaire et proportionné, grâce à une description détaillée de l’incident, précisant les raisons pour lesquelles il a été fait usage de la force, quelle a été l’efficacité du recours à la force et quelles en ont été les conséquences.

92.Tout déploiement d’agents en civil dans les rassemblements doit être strictement nécessaire compte tenu des circonstances et ces agents ne doivent jamais inciter à la violence. Avant de procéder à une fouille, à une interpellation ou de recourir à une quelconque force, les agents en civil doivent s’identifier auprès des personnes concernées.

93.L’État est responsable en dernier ressort du maintien de l’ordre lors des rassemblements et ne peut déléguer certaines tâches à des entreprises de sécurité privées que dans des circonstances exceptionnelles. En pareil cas, il demeure responsable de la conduite de ces prestataires. Cette responsabilité vient s’ajouter à celle qui incombe à l’entreprise privée en vertu du droit national et, le cas échéant, du droit international. Les autorités devraient décrire dans la législation nationale le rôle des entreprises de sécurité privées et leurs pouvoirs en matière de maintien de l’ordre, et l’usage qu’elles peuvent faire de la force ainsi que leur formation devraient être strictement réglementés.

94.Lorsqu’elle est judicieuse, l’utilisation de dispositifs d’enregistrement, notamment de caméras-piétons, par les agents des forces de l’ordre durant les rassemblements peut jouer un rôle positif pour garantir la responsabilité. Toutefois, les autorités devraient établir des directives claires et accessibles au public afin de s’assurer que ces dispositifs sont utilisés dans le respect des normes internationales relatives au respect de la vie privée et ne dissuadent pas les personnes qui souhaitent participer à des réunions de le faire. Les participants, les journalistes et les observateurs ont eux aussi le droit d’enregistrer les membres des forces de l’ordre.

95.L’État a l’entière responsabilité de tous systèmes d’armes contrôlés à distance qu’il utilise durant un rassemblement. L’utilisation de telles armes peut entraîner une aggravation des tensions et requiert la plus grande prudence. Les systèmes d’armes létales entièrement autonomes, qui peuvent être utilisés sans aucun contrôle humain effectif une fois qu’ils sont déployés, ne doivent jamais être employés pour maintenir l’ordre durant un rassemblement.

VII.Le droit de réunion en période d’état d’urgence et de conflit armé

96.Si le droit de réunion pacifique ne figure pas parmi les droits non dérogeables énumérés au paragraphe 2 de l’article 4 du Pacte, d’autres droits qui peuvent s’appliquer aux réunions, tels que ceux qui sont garantis dans les articles 6, 7 et 18, ne sont pas susceptibles de dérogation. Les États parties ne doivent pas déroger au droit de réunion pacifique s’ils peuvent réaliser leur objectif en imposant les restrictions prévues à l’article 21. Si un État déroge au Pacte, par exemple face à une manifestation de masse comportant des actes de violence, il doit pouvoir justifier que cette situation représente une menace pour l’existence de la nation mais aussi que toutes les mesures qu’il a prises et qui dérogent au Pace sont rendues strictement nécessaires par la situation et remplissent les conditions énoncées à l’article 4.

97.Dans une situation de conflit armé, le recours à la force lors de rassemblements pacifiques reste régi par les règles relatives au maintien de l’ordre, et les dispositions du Pacte continuent de s’appliquer. Les civils qui participent à un rassemblement sont protégés contre le recours à la force létale à leur encontre sauf s’ils prennent directement part aux hostilités, au sens du droit international humanitaire, et pendant le temps de cette participation. En pareille circonstance, ils ne peuvent être ciblés que dans la mesure où ils ne sont pas protégés d’une autre manière contre des attaques par le droit international. Tout recours à la force en vertu du droit international humanitaire est soumis aux règles et principes de distinction, de précaution dans l’attaque, de proportionnalité, de nécessité militaire et d’humanité. Dans toutes les décisions concernant le recours à la force, la sécurité et la protection des personnes participant aux réunions et du public en général doivent être des considérations importantes.

VIII.Lien entre l’article 21 et d’autres dispositions du Pacte ainsi que d’autres régimes juridiques

98.La pleine protection du droit de réunion pacifique dépend de la protection d’un ensemble d’autres droits. L’emploi injustifié de la force ou le recours à une force disproportionnée ou à un autre comportement illégal par des représentants de l’État durant un rassemblement peut enfreindre les articles 6, 7 et 9 du Pacte. Un cas extrême, dans lequel des participants à un rassemblement pacifique sont soumis illégalement à la force ou à un comportement illicite dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique dirigée contre toute population civile peut aussi constituer, lorsque les autres critères sont remplis, un crime contre l’humanité.

99.Limiter la capacité des personnes de voyager, y compris de se rendre à l’étranger (art. 12 (par. 2)), pour participer à une réunion, à un défilé ou à un autre rassemblement mobile peut constituer une violation du droit de circuler dont jouissent ces personnes (art. 12 (par. 1)). Les décisions officielles visant à restreindre l’exercice des droits de réunion doivent pouvoir faire l’objet d’un recours judiciaire dans le cadre d’une procédure répondant aux critères d’équité et de l’audience publique (art. 14 (par. 1)). La surveillance des personnes qui participent à des rassemblements et d’autres activités visant à collecter des données peuvent entraîner une violation de la vie privée des personnes concernées (art. 17). Les rassemblements religieux peuvent aussi être protégés en vertu de la liberté de manifester sa religion ou ses convictions (art. 18). Le droit de réunion pacifique est davantage qu’une manifestation de la liberté d’expression (art. 19 (par. 2)) ; l’expression d’opinions est souvent l’une de ses fonctions et les motifs de la reconnaissance de ces deux droits et les restrictions de ces droits qui sont acceptables se recoupent à maints égards. La liberté d’accéder à l’information détenue par les pouvoirs publics (art. 19 (par. 2)) suppose que le public puisse avoir connaissance du cadre juridique et administratif régissant les réunions et permet au public de demander des comptes aux agents publics.

100.La liberté d’association (art. 22) protège également l’action collective, et les restrictions à ce droit affectent souvent le droit de réunion pacifique. Le droit de participer à la vie politique (art. 25) est étroitement lié au droit de réunion pacifique, et dans les cas où un tel lien existe, les restrictions doivent être justifiées au regard à la fois des critères énoncés à l’article 21 et de ceux qui figurent à l’article 25. Le droit à la non‑discrimination protège les participants contre les pratiques discriminatoires dans le contexte des rassemblements (art. 2 (par. 1), 24 et 26).

101.La participation à des réunions pacifiques peut cependant être restreinte conformément à l’article 21 dans le but de protéger les droits et libertés d’autrui.

102.Le droit de réunion pacifique a une valeur intrinsèque. Il est, en outre, souvent exercé dans le but de faire progresser la mise en œuvre d’autres droits de l’homme et d’autres normes et principes du droit international. Dans de tels cas, l’obligation de respecter et de garantir le droit de réunion pacifique se justifie également, au plan juridique, par l’importance du large éventail des autres droits, normes et principes dont il fait progresser la mise en œuvre.