NATIONS UNIES

CCPR

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr.GÉNÉRALE

CCPR/C/GC/3223 août 2007

FRANÇAISOriginal: ANGLAIS

COMITÉ DES DROITS DE L’HOMMEQuatre‑vingt‑dixième sessionGenève, 9‑27 juillet 2007

OBSERVATION GÉNÉRALE No 32

Article 14. Droit à l’égalité devant les tribunaux et les cours de justiceet à un procès équitable

I. REMARQUES GÉNÉRALES

1.La présente Observation générale remplace l’Observation générale no13 (vingt et unième session).

2.Le droit à l’égalité devant les tribunaux et les cours de justice ainsi que le droit à un procès équitable est un élément clef de la protection des droits de l’homme et constitue un moyen de procédure pour préserver la primauté du droit. L’article 14 du Pacte vise à assurer la bonne administration de la justice et, à cette fin, protège une série de droits spécifiques.

3.L’article 14 est de caractère particulièrement complexe en ce qu’il prévoit diverses garanties aux champs d’application différents. La première phrase du paragraphe 1 énonce la garantie générale de l’égalité devant les tribunaux et les cours de justice, qui s’applique quelle que soit la nature de la procédure engagée devant ces juridictions. La deuxième phrase du même paragraphe reconnaît à toute personne qui fait l’objet d’une accusation en matière pénale, ou dont les droits et obligations de caractère civil sont contestés, le droit à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal compétent, indépendant et impartial établi par la loi. Dans ces procédures, le huis clos ne peut être prononcé que dans les cas précisés dans la troisième phrase du paragraphe 1. Aux paragraphes 2 à 5 de l’article sont énoncées les garanties procédurales reconnues à toute personne accusée d’une infraction pénale. Le paragraphe 6 prévoit un droit effectif à indemnisation en cas d’erreur judiciaire dans une affaire pénale. Le paragraphe 7 interdit la dualité de poursuites pour une même infraction, garantissant ainsi une liberté fondamentale, c’est‑à‑dire le droit de toute personne de ne pas être poursuivie ou punie de nouveau en raison d’une infraction pour laquelle elle a déjà été condamnée ou acquittée par une décision définitive. Les États parties au Pacte, dans leurs rapports, devront clairement distinguer entre ces différents aspects du droit à un procès équitable.

4.L’article 14 énonce les garanties que les États parties doivent respecter quelles que soient les traditions juridiques auxquelles ils se rattachent et leur législation interne. S’il est vrai qu’ils doivent rendre compte de l’interprétation qu’ils donnent de ces garanties par rapport à leur propre système de droit, le Comité note que l’on ne peut pas laisser à la seule appréciation du législateur national la détermination de la teneur essentielle des garanties énoncées dans le Pacte.

5.Si des réserves à des dispositions particulières de l’article 14 peuvent être acceptables, une réserve générale au droit à un procès équitable serait incompatible avec l’objet et le but du Pacte.

6.Même si l’article 14 n’est pas cité au paragraphe 2 de l’article 4 du Pacte parmi les articles non susceptibles de dérogation, tout État qui décide de déroger aux procédures normales prévues par l’article 14 en raison d’une situation de danger public doit veiller à ce que ces dérogations n’aillent pas au‑delà de celles qui sont strictement requises par les exigences de la situation réelle. Les garanties inhérentes au droit à un procès équitable ne peuvent jamais faire l’objet de mesures qui détourneraient la protection des droits auxquels il ne peut pas être dérogé. Par exemple, étant donné que l’article 6 du Pacte, dans sa totalité, ne souffre aucune dérogation, tout procès conduisant à l’imposition de la peine capitale pendant un état d’urgence doit être conforme aux dispositions du Pacte et notamment respecter l’ensemble des obligations énumérées à l’article 14. De même, comme l’article 7, dans sa totalité, ne souffre lui non plus aucune dérogation, aucune déclaration, ni aveux ni en principe aucun autre élément de preuve obtenu en violation de cette disposition ne peuvent être admis dans un procès soumis à l’article 14, y compris en période d’état d’urgence, sauf si une déclaration ou des aveux obtenus en violation de l’article 7 constituent des éléments de preuve établissant qu’il a été fait usage de la torture ou d’autres traitements interdits pour obtenir cette preuve. Il est interdit, en tout temps, de s’écarter des principes fondamentaux qui garantissent un procès équitable, comme la présomption d’innocence.

II. ÉGALITÉ DEVANT LES TRIBUNAUX ET LES COURS DE JUSTICE

7.La première phrase du paragraphe 1 de l’article 14 garantit en termes généraux le droit à l’égalité devant les tribunaux et les cours de justice. Cette garantie ne s’applique pas seulement aux tribunaux et aux cours de justice visés dans la deuxième phrase de ce paragraphe de l’article 14; elle doit également être respectée par tout organe exerçant une fonction juridictionnelle.

8.En termes généraux, le droit à l’égalité devant les tribunaux et les cours de justice garantit, outre les principes mentionnés dans la deuxième phrase du paragraphe 1 de l’article 14, les principes de l’égalité d’accès et de l’égalité de moyens («égalité des armes»), et vise à ce que les parties à la procédure ne fassent l’objet d’aucune discrimination.

9.L’article 14 s’entend du droit d’accès aux tribunaux de toute personne qui fait l’objet d’une accusation en matière pénale ou dont les droits et obligations de caractère civil sont contestés. L’accès à l’administration de la justice doit être garanti effectivement dans tous les cas afin que personne ne soit privé, en termes procéduraux, de son droit de se pourvoir en justice. Le droit d’accès aux tribunaux et aux cours de justice ainsi que le droit à l’égalité devant ces derniers, loin d’être limité aux citoyens des États parties, doit être accordé aussi à tous les individus, quelle que soit leur nationalité ou même s’ils sont apatrides, par exemple aux demandeurs d’asile, réfugiés, travailleurs migrants, enfants non accompagnés et autres personnes qui se trouveraient sur le territoire de l’État partie ou relèveraient de sa juridiction.Une situation dans laquelle les tentatives d’une personne pour saisir les tribunaux ou les cours de justice compétents sont systématiquement entravées va de jure ou de factoà l’encontre de la garantie énoncée dans la première phrase du paragraphe 1 de l’article 14. Cette garantie exclut également toute distinction dans l’accès aux tribunaux et aux cours de justice qui ne serait pas prévue par la loi et fondée sur des motifs objectifs et raisonnables. Ainsi, cette garantie serait bafouée si une personne était empêchée d’engager une action contre toute autre personne en raison par exemple de sa race, de sa couleur, de son sexe, de sa langue, de sa religion, de ses opinions politiques ou autres, de son origine nationale ou sociale, de sa fortune, de sa naissance ou de toute autre situation.

10.La présence ou l’absence d’un défenseur est souvent déterminante en ce qui concerne la possibilité pour une personne d’avoir accès à la procédure judiciaire appropriée ou d’y participer véritablement. Alors que l’article 14 garantit explicitement à l’alinéa d du paragraphe 3 le droit de se faire assister d’un défenseur aux personnes accusées d’une infraction pénale, les États sont encouragés, dans les autres cas, à accorder une aide juridictionnelle gratuite à des personnes n’ayant pas les moyens de rémunérer elles‑mêmes un défenseur, et ils y sont même parfois tenus. Par exemple, si une personne condamnée à mort souhaite faire procéder au contrôle constitutionnel, à supposer qu’il existe, des irrégularités constatées au cours d’un procès pénal mais ne dispose pas de moyens suffisants pour rémunérer un défenseur à cet effet, l’État est tenu de lui en attribuer un, conformément au paragraphe 1 de l’article 14, à la lumière du droit de disposer d’un recours utile énoncé au paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte.

11.De la même manière, l’imposition aux parties à une procédure judiciaire d’une charge financière telle qu’elles ne puissent de fait avoir accès aux tribunaux pourrait soulever des questions relevant du paragraphe 1 de l’article 14. En particulier, l’obligation stricte faite par la loi d’accorder le remboursement des frais de l’instance à la partie gagnante, sans prendre en considération les incidences de cette obligation ou sans accorder d’aide judiciaire, peut décourager des personnes d’exercer les actions judiciaires qui leur sont ouvertes pour faire respecter les droits reconnus par le Pacte.

12.Le droit à l’égalité d’accès à un tribunal, énoncé au paragraphe 1 de l’article 14, vise l’accès aux procédures de première instance et n’implique pas un droit de faire appel ou de disposer d’autres recours.

13.Le droit à l’égalité devant les tribunaux et les cours de justice garantit aussi l’égalité des armes. Cela signifie que toutes les parties à une procédure judiciaire ont les mêmes droits procéduraux, les seules distinctions possibles étant celles qui sont prévues par la loi et fondées sur des motifs objectifs et raisonnables n’entraînant pas pour le défendeur un désavantage ou une autre inégalité. Cette égalité des armes est rompue si, par exemple, seul le ministère public, mais pas le défendeur, peut faire appel d’une décision. Le principe de l’égalité entre les parties s’applique aux procédures civiles égalementet veut, entre autres, que chaque partie ait la possibilité de contester tous les arguments et preuves produits par l’autre partie. Dans des cas exceptionnels, ce principe peut aussi entraîner l’obligation de fournir gratuitement les services d’un interprète dans les cas où, faute de quoi, une partie sans ressources ne pourrait pas participer au procès dans des conditions d’égalité ou si les témoins cités pour sa défense ne pourraient être interrogés.

14.L’égalité devant les tribunaux et les cours de justice veut aussi que des affaires du même ordre soient jugées devant des juridictions du même ordre. Par exemple si, pour certaines catégories d’infractions, l’affaire est soumise à une procédure pénale exceptionnelle ou examinée par des tribunaux ou cours de justice spécialement constitués, la distinction doit être fondée sur des motifs objectifs et raisonnables.

III. DROIT DE CHACUN À CE QUE SA CAUSE SOIT ENTENDUE ÉQUITABLEMENT ET PUBLIQUEMENT PAR UN TRIBUNAL COMPÉTENT, INDÉPENDANT ET IMPARTIAL

15.Le droit de chacun à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal compétent, indépendant et impartial établi par la loi est garanti, selon la deuxième phrase du paragraphe 1 de l’article 14, dans les procédures visant à décider soit du bien‑fondé d’une accusation en matière pénale dirigée contre l’intéressé soit d’une contestation relative à ses droits et obligations de caractère civil. Une accusation en matière pénale se rapporte en principe à des actes qui sont réprimés par la loi pénale interne. Cette notion peut également être étendue à des mesures de nature pénale s’agissant de sanctions qui, indépendamment de leur qualification en droit interne, doivent être considérées comme pénales en raison de leur finalité, de leur caractère ou de leur sévérité.

16.Plus complexe est la notion de détermination des droits et obligations de caractère civil («in a suit at law», «de carácter civil»). Elle est formulée différemment dans les différentes versions linguistiques du Pacte qui font toutes également foi aux termes de l’article 53 du Pacte, et l’examen des travaux préparatoires ne permet pas de résoudre ces divergences. Le Comité note que le «caractère civil», ou l’équivalent de cette notion dans les autres langues, dépend de la nature du droit en question et non pas du statut de l’une des parties ou de l’organe qui est appelé, dans le système juridique interne concerné, à statuer sur les droits en question. La notion en question englobe a) non seulement les procédures visant à déterminer le bien‑fondé de contestations sur les droits et obligations relevant du domaine des contrats, des biens et de la responsabilité civile en droit privé, mais également b) les procédures concernant des concepts équivalents en droit administratif, tels que le licenciement de fonctionnaires pour des motifs autres que disciplinaires, l’octroi de prestations sociales ou les droits à pension des militaires, ou encore les procédures relatives à l’utilisation des terres du domaine public ou l’appropriation de biens privés. En outre, cette notion peut couvrir c) d’autres procédures dont l’applicabilité doit être appréciée au cas par cas au vu de la nature du droit concerné.

17.D’un autre côté, le droit d’accéder aux tribunaux et cours de justice prévu dans la deuxième phrase du paragraphe 1 de l’article 14 ne s’applique pas lorsque la loi interne ne reconnaît aucun droit à l’intéressé. C’est pourquoi le Comité a estimé que cette disposition était inapplicable dans les cas où le droit interne ne reconnaissait pas le droit d’être promu à un poste de rang supérieur dans la fonction publique, d’être nommé juge ou de voir sa condamnation à mort commuée par un organe exécutif. En outre, les droits et obligations de caractère civil ne sont pas en jeu lorsque l’intéressé se trouve confronté à des mesures prises à son encontre en sa qualité de personne subordonnée à un degré élevé de contrôle administratif, par exemple lorsque des mesures disciplinaires qui ne sont pas assimilables à des sanctions pénales sont prises contre un fonctionnaire, un agent des forces armées ou un détenu. Cette garantie ne s’applique pas non plus aux procédures d’extradition, d’expulsion et d’éloignement. Bien que dans ces cas et d’autres cas similaires la deuxième phrase du paragraphe 1 de l’article 14 ne prévoit pas de droit d’accès aux tribunaux ou cours de justice, d’autres garanties de procédure peuvent néanmoins s’appliquer.

18.Le terme «tribunal», au paragraphe 1 de l’article 14, désigne un organe, quelle que soit sa dénomination, qui est établi par la loi, qui est indépendant du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif ou, dans une affaire donnée, qui statue en toute indépendance sur des questions juridiques dans le cadre de procédures à caractère judiciaire. La deuxième phrase du paragraphe 1 de l’article 14 garantit l’accès à un tribunal à toute personne qui fait l’objet d’une accusation en matière pénale. Ce droit ne souffre pas de restrictions et toute condamnation pénale prononcée par un organe autre qu’un tribunal est incompatible avec la disposition en question. De la même façon, toute décision dans des contestations relatives aux droits et obligations de caractère civil doit être rendue au moins à un stade ou un autre de la procédure par un «tribunal» au sens de cette disposition. L’État partie qui n’établit pas un tribunal compétent pour statuer sur ces droits ou obligations ou qui ne permet pas à une personne de saisir un tel tribunal dans une affaire donnée déroge à l’article 14 si les restrictions en question ne sont pas fondées dans le droit interne, si elles ne sont pas nécessaires à la poursuite de buts légitimes tels que la bonne administration de la justice ou fondées sur des exceptions d’incompétence au sens du droit international telles que les immunités, ou si elles limitent l’accès à la justice au point de porter atteinte à l’essence même du droit.

19.La garantie de compétence, d’indépendance et d’impartialité du tribunal au sens du paragraphe 1 de l’article 14 est un droit absolu qui ne souffre aucune exception. La garantie d’indépendance porte, en particulier, sur la procédure de nomination des juges, les qualifications qui leur sont demandées et leur inamovibilité jusqu’à l’âge obligatoire de départ à la retraite ou l’expiration de leur mandat pour autant que des dispositions existent à cet égard; les conditions régissant l’avancement, les mutations, les suspensions et la cessation de fonctions; et l’indépendance effective des juridictions de toute intervention politique de l’exécutif et du législatif. Les États doivent prendre des mesures garantissant expressément l’indépendance du pouvoir judiciaire et protégeant les juges de toute forme d’ingérence politique dans leurs décisions par le biais de la Constitution ou par l’adoption de lois qui fixent des procédures claires et des critères objectifs en ce qui concerne la nomination, la rémunération, la durée du mandat, l’avancement, la suspension et la révocation des magistrats, ainsi que les mesures disciplinaires dont ils peuvent faire l’objet. Une situation dans laquelle les fonctions et les attributions du pouvoir judiciaire et du pouvoir exécutif ne peuvent pas être clairement distinguées et dans laquelle le second est en mesure de contrôler ou de diriger le premier est incompatible avec le principe de tribunal indépendant. Il est nécessaire de protéger les magistrats contre les conflits d’intérêts et les actes d’intimidation. Afin de préserver l’indépendance des juges, leur statut, y compris la durée de leur mandat, leur indépendance, leur sécurité, leur rémunération appropriée, leurs conditions de service, leurs pensions et l’âge de leur retraite sont garantis par la loi.

20.Les juges ne peuvent être révoqués que pour des motifs graves, pour faute ou incompétence, conformément à des procédures équitables assurant l’objectivité et l’impartialité, fixées dans la Constitution ou par la loi. La révocation d’un juge par le pouvoir exécutif, par exemple avant l’expiration du mandat qui lui avait été confié, sans qu’il soit informé des motifs précis de cette décision et sans qu’il puisse se prévaloir d’un recours utile pour la contester, est incompatible avec l’indépendance du pouvoir judiciaire. Il en va de même lorsque, par exemple, le pouvoir exécutif révoque des juges supposés être corrompus sans respecter aucune des procédures légales.

21.L’exigence d’impartialité comprend deux aspects. Premièrement, les juges ne doivent pas laisser des partis pris ou des préjugés personnels influencer leur jugement ni nourrir d’idées préconçues au sujet de l’affaire dont ils sont saisis, ni agir de manière à favoriser indûment les intérêts de l’une des parties au détriment de l’autre. Deuxièmement, le tribunal doit aussi donner une impression d’impartialité à un observateur raisonnable. Ainsi, un procès sérieusement entaché par la participation d’un juge qui, selon le droit interne, aurait dû être écarté, ne peut pas normalement être considéré comme un procès impartial.

22.Les dispositions de l’article 14 s’appliquent à tous les tribunaux et cours de justice inclus dans son champ d’application, qu’il s’agisse de juridictions de droit commun ou d’exception, de caractère civil ou militaire. Le Comité note l’existence, dans de nombreux pays, de tribunaux militaires ou d’exception qui jugent des civils. Bien que le Pacte n’interdise pas le jugement de civils par des tribunaux militaires ou d’exception, il exige que de tels procès respectent intégralement les prescriptions de l’article 14 et que les garanties prévues dans cet article ne soient ni limitées ni modifiées par le caractère militaire ou exceptionnel du tribunal en question. Le Comité note par ailleurs que le jugement de civils par des tribunaux militaires ou d’exception peut soulever de graves problèmes s’agissant du caractère équitable, impartial et indépendant de l’administration de la justice. C’est pourquoi il importe de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer que de tels procès se déroulent dans des conditions garantissant véritablement les pleines garanties prévues à l’article 14. Le jugement de civils par des tribunaux militaires ou d’exception devrait être exceptionnel, c’est-à-dire limité aux cas où l’État partie peut démontrer que le recours à de tels tribunaux est nécessaire et justifié par des raisons objectives et sérieuses et où, relativement à la catégorie spécifique des personnes et des infractions en question, les tribunaux civils ordinaires ne sont pas en mesure d’entreprendre ces procès.

23.Certains pays ont mis en place, par exemple dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, des tribunaux spéciaux de «juges sans visage» composés de juges anonymes. Les procédures de ces tribunaux, quand bien même une autorité indépendante s’est assurée de l’identité et du statut des juges, sont souvent irrégulières non seulement du fait que l’identité et le statut des juges ne sont pas connus de l’accusé, mais souvent aussi à cause d’irrégularités, comme l’exclusion du public, ou même de l’accusé ou de son représentant, ; restrictions du droit d’avoir un défenseur de son choix; restrictions graves ou déni du droit du défendeur de communiquer avec son avocat, en particulier lorsqu’il est détenu au secret; menaces dirigées contre les avocats; temps insuffisant pour préparer la défense; restrictions graves ou déni du droit de faire comparaître et d’interroger ou faire interroger des témoins, y compris l’interdiction de procéder au contre‑interrogatoire de certaines catégories de témoins, par exemple les fonctionnaires de police ayant arrêté et interrogé le défendeur. Les procès devant les tribunaux composés ou non de «juges sans visage», en particulier dans de telles circonstances, ne remplissent pas les conditions fondamentales d’un procès équitable et, en particulier, la prescription selon laquelle le tribunal doit être indépendant et impartial.

24.L’article 14 est également pertinent quand l’État, dans son ordre juridique, reconnaît les tribunaux de droit coutumier ou les tribunaux religieux et leur confie des fonctions judiciaires. Il faut veiller à ce que ces tribunaux ne puissent rendre de jugements exécutoires reconnus par l’État, à moins qu’il soit satisfait aux prescriptions suivantes: les procédures de ces tribunaux sont limitées à des questions de caractère civil et à des affaires pénales d’importance mineure, elles sont conformes aux prescriptions fondamentales d’un procès équitable et aux autres garanties pertinentes du Pacte, les jugements de ces tribunaux sont validés par des tribunaux d’État à la lumière des garanties énoncées dans le Pacte et peuvent être attaqués par les parties intéressées selon une procédure répondant aux exigences de l’article 14 du Pacte. Ces principes sont sans préjudice de l’obligation générale de l’État de protéger les droits, consacrés par le Pacte, de toute personne touchée par le fonctionnement de tribunaux de droit coutumier et de tribunaux religieux.

25.La notion de procès équitable inclut la garantie d’un procès équitable et public. L’équité des procédures implique l’absence de toute influence, pression, intimidation ou ingérence, directe ou indirecte, de qui que ce soit et pour quelque motif que ce soit. Un procès n’est pas équitable si, par exemple, le tribunal ne contrôle pas les manifestations d’hostilité du public à l’égard de l’accusé dans la salle d’audience ou de soutien à l’une des parties qui portent atteinte aux droits de la défense ou d’autres manifestations d’hostilité avec des effets similaires. Lorsque le tribunal tolère que le jury ait des réactions racistes ou lorsque le jury a été sélectionné de manière déséquilibrée du point de vue racial, un procès équitable n’est pas non plus garanti.

26.L’article 14 garantit seulement l’égalité en matière de procédure et l’équité, mais ne saurait être interprété comme garantissant l’absence d’erreur de la part du tribunal compétent. Il appartient généralement aux juridictions des États parties au Pacte d’examiner les faits et les éléments de preuve ou l’application de la législation nationale dans un cas d’espèce, sauf s’il peut être établi que l’appréciation des éléments de preuve ou l’application de la législation ont été de toute évidence arbitraires, manifestement entachées d’erreur ou ont représenté un déni de justice, ou que le tribunal a par ailleurs violé son obligation d’indépendance et d’impartialité. Il en va de même pour les instructions spécifiques données au jury par le juge dans un procès avec jury.

27.Un élément important du procès équitable est la rapidité de la procédure. Si la question des retards excessifs dans la procédure pénale est explicitement abordée à l’alinéa c du paragraphe 3 de l’article 14, dans un procès civil les retards que ne justifient ni la complexité de l’affaire ni la conduite des parties portent atteinte au principe du procès équitable consacré par le paragraphe 1 de cette disposition.Lorsque ces retards sont dus au manque de ressources et à l’insuffisance chronique des crédits, l’État partie devra, dans la mesure du possible, allouer des ressources budgétaires supplémentaires à l’administration de la justice.

28.Tous les procès en matière pénale ou concernant des droits et obligations de caractère civil doivent en principe faire l’objet d’une procédure orale et publique. Le caractère public des audiences assure la transparence de la procédure et constitue une importante sauvegarde dans l’intérêt de l’individu et de toute la société. Le tribunal doit permettre au public de s’informer de la date et du lieu de l’audience et fournir les moyens matériels permettant aux personnes intéressées d’y assister, dans des limites raisonnables, compte tenu, notamment, de l’intérêt éventuel du public pour l’affaire et de la durée de l’audience. Le droit d’être entendu publiquement ne s’applique pas nécessairement à tous les procès en appel, qui peuvent consister en l’examen de documents écrits, ni aux décisions préalables au procès prises par un procureur ou une autre autorité publique.

29.Le paragraphe 1 de l’article 14 prévoit que le huis clos total ou partiel peut être prononcé par le tribunal pendant un procès soit dans l’intérêt des bonnes mœurs, de l’ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, soit lorsque l’intérêt de la vie privée des parties en cause l’exige, soit dans la mesure où le tribunal l’estimera absolument nécessaire lorsqu’en raison des circonstances particulières de l’affaire la publicité nuirait aux intérêts de la justice. En dehors de ces circonstances exceptionnelles, le procès doit être ouvert au grand public, y compris les représentants des médias, et l’accès ne doit pas en être limité à une catégorie particulière de personnes, par exemple. Cependant, même dans les affaires où le huis clos a été prononcé, le jugement doit être rendu public, notamment l’exposé des principales constatations, les éléments de preuve déterminants et le raisonnement juridique, sauf si l’intérêt de mineurs exige qu’il en soit autrement ou si le procès porte sur des différends matrimoniaux ou sur la tutelle des enfants.

IV. PRÉSOMPTION D’INNOCENCE

30.En vertu du paragraphe 2 de l’article 14, toute personne accusée d’une infraction pénale est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie. Du fait de la présomption d’innocence, qui est indispensable à la protection des droits de l’homme, la charge de la preuve incombe à l’accusation, nul ne peut être présumé coupable tant que l’accusation n’a pas été établie au‑delà de tout doute raisonnable, l’accusé a le bénéfice du doute et les personnes accusées d’avoir commis une infraction pénale ont le droit d’être traitées selon ce principe. Toutes les autorités publiques ont le devoir de s’abstenir de préjuger de l’issue d’un procès, par exemple de s’abstenir de faire des déclarations publiques affirmant la culpabilité de l’accusé. Les défendeurs ne devraient pas normalement être entravés ou enfermés dans des cages pendant les audiences, ni présentés au tribunal d’une manière laissant penser qu’ils peuvent être des criminels dangereux. Les médias devraient éviter de rendre compte des procès d’une façon qui porte atteinte à la présomption d’innocence. En outre, la longueur de la détention provisoire ne doit jamais être interprétée comme une indication de la culpabilité ou de son degré. Le rejet d’une demande de libération sous caution ou la mise en cause de la responsabilité civile ne portent pas atteinte à la présomption d’innocence.

V. DROITS DE L’ACCUSÉ

31.Le droit de toute personne accusée d’une infraction pénale d’être informée dans le plus court délai et de façon détaillée, dans une langue qu’elle comprend, de la nature et des motifs de l’accusation portée contre elle, consacré à l’alinéa a du paragraphe 3, est la première des garanties minimales prévues dans l’article 14 en matière de procédures pénales. Cette garantie s’applique à tous les cas d’accusation en matière pénale, y compris ceux des personnes non détenues, mais elle ne s’applique pas aux enquêtes pénales qui précèdent l’inculpation. La notification des motifs d’une arrestation est garantie séparément au paragraphe 2 de l’article 9 du Pacte. Le droit d’être informé de l’accusation «dans le plus court délai» exige que l’information soit donnée dès que l’intéressé est formellement inculpé d’une infraction pénale en droit interne ou est désigné publiquement comme tel. On peut satisfaire aux conditions précises de l’alinéa a du paragraphe 3 en énonçant l’accusation soit verbalement − sous réserve d’une confirmation écrite ultérieure − soit par écrit, à condition de préciser aussi bien le droit applicable que les faits généraux allégués sur lesquels l’accusation est fondée. En cas de procès par contumace, l’alinéa a du paragraphe 3 de l’article 14 exige que, nonobstant l’absence de l’accusé, toutes les mesures voulues soient prises pour l’informer de l’accusation et lui signifier les poursuites dont il est l’objet.

32.L’alinéa b du paragraphe 3 stipule que l’accusé doit disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense, et communiquer avec le conseil de son choix. Cette disposition est un élément important de la garantie d’un procès équitable et une application du principe de l’égalité des armes. Lorsque le défendeur est sans ressources, la communication avec le conseil pourrait nécessiter que les services d’un interprète soient fournis gratuitement avant et pendant le procès. Le «temps nécessaire» dépend des cas d’espèce. Si le conseil estime raisonnablement que le temps accordé pour la préparation de la défense est insuffisant, il lui appartient de demander le renvoi du procès. L’État partie ne peut pas être tenu pour responsable de la conduite de l’avocat chargé de la défense, sauf s’il est apparu, ou aurait dû apparaître, manifestement au juge que le comportement de l’avocat était incompatible avec les intérêts de la justice. Les demandes de renvoi raisonnables doivent obligatoirement être accordées, en particulier quand l’accusé est inculpé d’une infraction pénale grave et a besoin d’un délai supplémentaire pour préparer sa défense.

33.Les «facilités nécessaires» doivent comprendre l’accès aux documents et autres éléments de preuve, à tous les éléments à charge que l’accusation compte produire à l’audience, ou à décharge. On entend par éléments à décharge non seulement ceux qui établissent l’innocence, mais aussi d’autres éléments de preuve pouvant renforcer la thèse de la défense (par exemple, des indices donnant à penser que des aveux n’étaient pas spontanés). Si l’accusé fait valoir que les éléments de preuve ont été obtenus en violation de l’article 7 du Pacte, il faut que des informations sur les conditions dans lesquelles ces éléments ont été recueillis soient disponibles pour permettre d’apprécier cette allégation. Lorsque l’accusé ne parle pas la langue employée à l’audience, mais qu’il est représenté par un conseil qui connaît la langue concernée, il peut suffire que les documents pertinents figurant dans le dossier soient mis à la disposition de son conseil.

34.Le droit de l’accusé de communiquer avec son conseil exige que l’accusé ait accès à un conseil dans le plus court délai. En outre, le conseil doit pouvoir rencontrer l’accusé en privé et communiquer avec lui dans des conditions qui respectent intégralement le caractère confidentiel de leurs communications. De plus, les avocats doivent être à même de conseiller et de représenter les personnes accusées d’un crime conformément à la déontologie établie, sans être l’objet de restrictions, d’influences, de pressions ou d’interventions injustifiées de la part de qui que ce soit.

35.Le droit de l’accusé d’être jugé sans retard excessif, consacré à l’alinéa c du paragraphe 3 de l’article 14, ne vise pas seulement à éviter qu’une personne reste trop longtemps dans l’incertitude quant à son sort et, si elle est détenue pendant le procès, à faire en sorte que cette privation de liberté ne soit pas d’une durée plus longue que ne l’exigent absolument les circonstances du cas mais serve également les intérêts de la justice. Ce qui est raisonnable doit être évalué au cas par cas, compte tenu essentiellement de la complexité de l’affaire, de la conduite de l’accusé et de la manière dont les autorités administratives et judiciaires ont traité l’affaire. Dans les cas où le tribunal lui refuse la libération sous caution, l’accusé doit être jugé dans le plus court délai. Cette garantie concerne non seulement le délai entre le moment où l’accusé est formellement inculpé et celui où le procès doit commencer, mais aussi le moment où le jugement définitif en appel est rendu. Toute la procédure, que ce soit en première instance ou en appel, doit se dérouler «sans retard excessif».

36.L’alinéa d du paragraphe 3 de l’article 14 comporte trois garanties distinctes. Premièrement, cette disposition exige que l’accusé ait le droit d’être présent à son procès. Les procès en l’absence de l’accusé peuvent dans certaines circonstances être autorisés dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, par exemple quand l’accusé, bien qu’informé du procès suffisamment à l’avance, refuse d’exercer son droit d’y être présent. Par conséquent, ces procès sont compatibles avec l’alinéa d du paragraphe 3 de l’article 14 uniquement si les mesures nécessaires ont été prises pour demander dans le délai voulu à l’accusé de comparaître et pour l’informer à l’avance de la date et du lieu de son procès et lui demander d’y être présent.

37.Deuxièmement, le droit de toute personne accusée d’un crime de se défendre elle‑même ou d’avoir l’assistance d’un défenseur de son choix, et d’être informée de ce droit, comme prévu à l’alinéa d du paragraphe 3 de l’article 14, fait référence à deux types de défense qui ne sont pas incompatibles. Les personnes qui se font aider par un avocat ont le droit de donner des instructions à celui-ci sur la conduite de la défense, dans les limites de la responsabilité professionnelle, et de témoigner en leur nom propre. En même temps, le texte du Pacte est clair dans toutes les langues officielles, puisqu’il dispose que l’accusé peut se défendre lui‑même «ou» avoir l’assistance d’un défenseur de son choix, ce qui lui laisse la possibilité de refuser l’assistance d’un conseil. Le droit d’assurer sa propre défense sans avocat n’est cependant pas absolu. L’intérêt de la justice peut, dans certaines circonstances, nécessiter la commission d’office d’un avocat contre le gré de l’accusé, en particulier si l’accusé fait de manière persistante gravement obstruction au bon déroulement du procès, si l’accusé doit répondre à une accusation grave mais est manifestement incapable d’agir dans son propre intérêt, ou s’il s’agit, le cas échéant, de protéger des témoins vulnérables contre les nouveaux traumatismes que l’accusé pourrait leur causer ou les manœuvres d’intimidation qu’il pourrait exercer contre eux en les interrogeant lui‑même. Cependant, les restrictions du droit de l’accusé d’assurer sa propre défense doivent servir un but objectif et suffisamment important et ne pas aller au‑delà de ce qui est nécessaire pour protéger les intérêts de la justice. Par conséquent, la législation interne devrait éviter d’exclure purement et simplement le droit d’assurer sa propre défense dans une procédure pénale, sans l’assistance d’un conseil.

38.Troisièmement, l’alinéa d du paragraphe 3 de l’article 14 garantit à l’accusé le droit d’avoir l’assistance d’un défenseur chaque fois que l’intérêt de la justice l’exige, et sans frais s’il n’a pas les moyens de le rémunérer. La gravité du délit est importante pour décider si «l’intérêt de la justice» exige qu’un défenseur soit commis d’office, de même que l’existence d’une chance objective de succès en appel. Dans les affaires où l’accusé risque la peine capitale, il va de soi qu’il doit bénéficier de l’assistance effective d’un avocat à tous les stades de la procédure. Les avocats commis d’office par les autorités compétentes sur la base de cette disposition doivent représenter de façon effective l’accusé. À la différence des avocats engagés par l’accusé lui‑même, en cas d’incompétence ou de faute flagrante, par exemple le retrait d’un recours en appel sans consulter l’accusé dans une affaire où ce dernier encourt la peine de mort, ou en cas d’absence durant l’audition d’un témoin dans ce type d’affaire, il peut être considéré que l’État concerné est responsable d’une violation de l’alinéa d du paragraphe 3 de l’article 14, s’il apparaissaitmanifestement au juge que le comportement de l’avocat était incompatible avec les intérêts de la justice. Il y a aussi violation de la même disposition si le tribunal ou d’autres autorités compétentes empêchent l’avocat choisi de s’acquitter correctement de sa tâche.

39.L’alinéa e du paragraphe 3 de l’article 14 garantit le droit de l’accusé d’interroger ou de faire interroger les témoins à charge et d’obtenir la comparution et l’interrogatoire des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge. En tant qu’application du principe de l’égalité des armes, cette disposition est importante car elle permet à l’accusé et à son conseil de conduire effectivement la défense, et garantit donc à l’accusé les mêmes moyens juridiques qu’à l’accusation pour obliger les témoins à être présents et pour interroger tous les témoins à charge ou les soumettre à un contre‑interrogatoire. Elle ne confère pas, cependant, un droit illimité d’obtenir la comparution de tout témoin demandé par l’accusé ou par son conseil, mais garantit seulement le droit de faire comparaître les témoins utiles pour la défense et d’avoir une possibilité adéquate d’interroger les témoins à charge et de les soumettre à un contre‑interrogatoire à un stade ou un autre de la procédure. Dans ces limites et sous réserve des restrictions imposées à l’utilisation de déclarations, aveux et autres éléments de preuve obtenus en violation de l’article 7, c’est essentiellement à la législation des États parties qu’il incombe de déterminer la recevabilité des éléments de preuve et les modalités d’appréciation de ceux‑ci par les tribunaux des États parties.

40.Le droit de l’accusé de se faire assister gratuitement d’un interprète s’il ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l’audience, conformément à l’alinéa f du paragraphe 3 de l’article 14, consacre un autre aspect des principes de l’équité et de l’égalité des armes dans les procédures pénales. Ce droit existe à tous les stades de la procédure orale. Il vaut également pour les étrangers et pour les nationaux. Toutefois, un accusé dont la langue maternelle n’est pas la même que la langue officielle du tribunal n’a, en principe, pas le droit de se faire assister gratuitement d’un interprète s’il connaît suffisamment bien la langue officielle pour se défendre efficacement.

41.Enfin, l’alinéa g du paragraphe 3 de l’article 14 garantit le droit de ne pas être forcé de témoigner contre soi‑même ou de s’avouer coupable. Il faut comprendre cette garantie comme l’obligation pour les autorités chargées de l’enquête de s’abstenir de toute pression physique ou psychologique directe ou indirecte sur l’accusé, en vue d’obtenir une reconnaissance de culpabilité. Aussi est‑il d’autant plus inacceptable de traiter l’accusé d’une manière contraire à l’article 7 du Pacte pour le faire passer aux aveux. La législation interne doit veiller à ce que les déclarations ou aveux obtenus en violation de l’article 7 du Pacte ne constituent pas des éléments de preuve, si ce n’est lorsque ces informations servent à établir qu’il a été fait usage de la torture ou d’autres traitements interdits par cette disposition et à ce qu’en pareil cas il incombe à l’État de prouver que l’accusé a fait ses déclarations de son plein gré.

VI. MINEURS AU REGARD DE LA LOI PÉNALE

42.Le paragraphe 4 de l’article 14 dispose que la procédure applicable aux jeunes gens qui ne sont pas encore majeurs au regard de la loi pénale tiendra compte de leur âge et de l’intérêt que présente leur rééducation. Les jeunes doivent bénéficier au moins des mêmes garanties et de la même protection que celles accordées aux adultes conformément à l’article 14 du Pacte. Ils ont besoin en plus d’une protection spéciale. Dans une procédure pénale, ils devraient en particulier être informés directement des accusations portées contre eux ou, le cas échéant, par l’intermédiaire de leurs parents ou représentants légaux, bénéficier d’une aide appropriée pour la préparation et la présentation de leur défense, être jugés sans retard selon une procédure équitable en présence de leur conseil ou autre défenseur et de leurs parents ou représentants légaux, à moins que cela ne soit jugé contraire à l’intérêt supérieur de l’enfant, compte tenu en particulier de leur âge et de leur situation. La détention avant et pendant le procès doit être évitée dans la mesure du possible.

43.Les États devraient prendre des mesures afin de mettre en place un système approprié de justice pénale des mineurs et de faire en sorte que les mineurs soient traités d’une manière adaptée à leur âge. Il est essentiel de fixer un âge minimal au-dessous duquel les enfants et les mineurs ne seront pas traduits en justice pour des infractions à la loi pénale; cet âge devrait tenir compte de leur immaturité physique et mentale.

44.Chaque fois que cela est possible, en particulier lorsqu’il faudrait encourager la rééducation des jeunes suspectés d’avoir commis des actes interdits par la loi pénale, des mesures permettant de ne pas recourir à la procédure pénale, telles que la médiation entre le délinquant et la victime, des entretiens avec la famille du délinquant, des conseils, des travaux d’intérêt général ou des programmes d’éducation, devront être envisagées, sous réserve qu’elles soient compatibles avec les prescriptions énoncées dans le Pacte et les autres normes relatives aux droits de l’homme pertinentes.

VII. RÉEXAMEN PAR UNE JURIDICTION SUPÉRIEURE

45.Le paragraphe 5 de l’article 14 dispose que toute personne déclarée coupable d’une infraction a le droit de faire examiner par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité et la condamnation, conformément à la loi. Comme le montrent les termes utilisés dans les différentes langues («crime», «infraction», «delito»), la garantie ne concerne pas seulement les infractions les plus graves. L’expression «conformément à la loi» ne doit pas s’entendre comme laissant l’existence même du droit de révision à la discrétion des États parties étant donné que ce droit est reconnu par le Pacte, et non pas simplement par le droit interne. L’expression «conformément à la loi» vise plutôt les modalités selon lesquelles le réexamen par une juridiction supérieure doit être effectué, ainsi que la détermination de la juridiction chargée de procéder au réexamen conformément au Pacte. Le paragraphe 5 de l’article 14 n’exige pas des États parties qu’ils mettent en place plusieurs instances d’appel.Toutefois, la référence à la législation interne qui figure dans cette disposition doit être interprétée comme signifiant que, si le droit interne prévoit d’autres instances d’appel, le condamné doit pouvoir utiliser effectivement chacune d’entre elles.

46.Le paragraphe 5 de l’article 14 ne s’applique pas aux procédures portant sur des droits et obligations de caractère civil ni à aucune autre procédure qui n’est pas un élément du système d’appel pénal, comme les recours constitutionnels.

47.Il y a violation du paragraphe 5 de l’article 14 non seulement lorsque la décision rendue en première instance est définitive mais également lorsqu’une déclaration de culpabilité prononcée par une juridiction d’appel ou une juridiction statuant en dernier ressort après que l’acquittement a été prononcé en première instance, conformément au droit interne, ne peut pas être réexaminée par une juridiction supérieure. Lorsque la juridiction la plus élevée dans l’ordre judiciaire d’un pays statue en premier et dernier ressort, le fait de ne pas avoir droit à un réexamen par une juridiction supérieure n’est pas compensé par le fait d’être jugé par le tribunal suprême de l’État partie concerné; un tel système est au contraire incompatible avec le Pacte, à moins que l’État partie concerné n’ait formulé une réserve à ce sujet.

48.Le droit de faire examiner par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité et la condamnation, établi au paragraphe 5 de l’article 14, fait obligation à l’État partie de faire examiner quant au fond, en vérifiant si les éléments de preuve sont suffisants et à la lumière des dispositions législatives applicables, la déclaration de culpabilité et la condamnation, de manière que la procédure permette un examen approprié de la nature de l’affaire. Une révision qui concerne uniquement les aspects formels ou juridiques du verdict sans tenir aucun compte des faits n’est pas suffisante en vertu du Pacte. Toutefois, le paragraphe 5 de l’article 14 n’exige pas un nouveau procès intégral ni une nouvelle «audience» à condition que le tribunal qui procède au réexamen puisse examiner les faits de la cause. Ainsi, par exemple, lorsqu’une juridiction supérieure examine avec attention les allégations portées contre une personne déclarée coupable, qu’elle analyse les éléments de preuve qui ont été produits en première instance et dont il a été tenu compte en appel et qu’elle considère qu’il y avait suffisamment de preuves à charge pour justifier une décision de culpabilité en l’espèce, il n’y a pas de violation du Pacte.

49.Le droit de faire examiner la déclaration de culpabilité ne peut être exercé utilement que si la personne déclarée coupable peut disposer du texte écrit des jugements, dûment motivés, de la juridiction de jugement et au moins de ceux de la première juridiction d’appel lorsque le droit interne prévoit plusieurs instances d’appel ainsi que d’autres documents, tels que les comptes rendus d’audience, nécessaires à l’exercice effectif du droit de recours. L’exercice effectif de ce droit est également compromis, et le paragraphe 5 de l’article 14 est violé, lorsque le réexamen par la juridiction supérieure fait l’objet d’un retard excessif, en violation de l’alinéa c du paragraphe 3 de l’article 14.

50.Un système de contrôle juridictionnel qui ne vise que les condamnations dont l’exécution a commencé ne satisfait pas aux prescriptions énoncées au paragraphe 5 de l’article 14, que ce recours puisse être exercé par la personne qui a été condamnée ou que son exercice soit laissé à la discrétion d’un juge ou d’un procureur.

51.Le droit de recours revêt une importance capitale dans les affaires de condamnation à mort. Le refus, par le tribunal chargé d’examiner une condamnation à mort, d’accorder l’aide judiciaire à un condamné sans ressources constitue une violation non seulement de l’alinéa d du paragraphe 3 de l’article 14 mais aussi de son paragraphe 5, étant donné qu’en pareil cas l’absence d’aide juridictionnelle pour former un recours empêche l’examen de la déclaration de culpabilité et de la condamnation par la juridiction supérieure. Il y a également violation du droit de faire examiner la déclaration de culpabilité dans le cas où l’intéressé n’est pas informé du fait que son défenseur n’a pas l’intention de faire valoir des moyens d’appel devant la cour, le privant ainsi de la possibilité d’engager un autre conseil, afin que ses arguments puissent être examinés par une juridiction d’appel.

VIII. INDEMNISATION EN CAS D’ERREUR JUDICIAIRE

52.En vertu du paragraphe 6 de l’article 14 du Pacte, une personne qui a fait l’objet d’une condamnation pénale définitive et qui a subi une peine à raison de cette condamnation sera indemnisée, conformément à la loi, si la condamnation est ultérieurement annulée ou lorsque la grâce est accordée parce qu’un fait nouveau ou nouvellement révélé prouve qu’il s’est produit une erreur judiciaire. Il est nécessaire que les États parties légifèrent afin de garantir que l’indemnisation prescrite par cette disposition puisse effectivement être payée, et ce dans un délai raisonnable.

53.Cette garantie ne s’applique pas lorsqu’il est prouvé que la non‑révélation en temps utile du fait inconnu est entièrement ou partiellement imputable à l’accusé. En pareil cas, la charge de la preuve incombe à l’État. En outre, aucune indemnisation n’est due lorsque la condamnation est annulée en appel, c’est‑à‑dire avant que le jugement ne devienne définitif, ou à la suite d’une grâce accordée pour des motifs humanitaires ou dans le cadre de l’exercice de pouvoirs discrétionnaires ou pour des raisons d’équité, qui ne donnent pas à entendre qu’il s’est produit une erreur judiciaire.

IX. PRINCIPE NE BIS IN IDEM

54.Le paragraphe 7 de l’article 14 du Pacte, qui dispose que nul ne peut être poursuivi ou puni en raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été condamné ou acquitté par un jugement définitif conformément à la loi et à la procédure pénale de chaque pays, consacre le principe ne bis in idem. Cette disposition interdit de traduire un individu qui a été condamné ou acquitté pour une infraction déterminée, soit de nouveau devant la même juridiction soit devant une autre juridiction pour la même infraction; ainsi, par exemple, la personne qui a été acquittée par une juridiction civile ne peut pas être jugée de nouveau pour la même infraction par une juridiction militaire ou une juridiction d’exception. Le paragraphe 7 de l’article 14 n’interdit pas de rejuger une personne qui a été condamnée par contumace et qui le demande, mais il s’applique à la seconde condamnation.

55.Les peines répétées prononcées contre les objecteurs de conscience qui n’ont pas déféré à un nouvel ordre d’appel sous les drapeaux peuvent être assimilées à une peine sanctionnant la même infraction si ce refus réitéré est fondé sur la même détermination permanente qui s’appuie sur des raisons de conscience.

56.L’interdiction faite au paragraphe 7 de l’article 14 ne s’applique pas dans le cas où une juridiction supérieure annule la déclaration de culpabilité et ordonne un nouveau procès. De plus, elle n’interdit pas la réouverture d’un procès pénal justifiée par des circonstances exceptionnelles comme la découverte d’éléments de preuve qui n’étaient pas disponibles ou connus quand l’intéressé a été acquitté.

57.Cette garantie s’applique aux infractions pénales uniquement et ne s’applique pas aux mesures disciplinaires qui ne sont pas une sanction pour une infraction pénale au sens de l’article 14 du Pacte. De plus, cette disposition n’oblige pas à respecter le principe ne bis in idem à l’égard des juridictions nationales de deux États ou plus. Cela ne doit pas, toutefois, dispenser les États de chercher, par la conclusion de conventions internationales, à éviter qu’une personne ne soit jugée de nouveau pour la même infraction pénale.

X. LIENS DE L’ARTICLE 14 AVEC LES AUTRES DISPOSITIONS DU PACTE

58.L’article 14 du Pacte étant un ensemble de garanties de procédure, il joue souvent un rôle important dans la mise en œuvre de garanties portant sur le contenu des droits du Pacte qui doivent être prises en considération dans le contexte d’une décision sur des accusations en matière pénale et sur des droits et obligations de caractère civil. Du point de vue de la procédure, le lien avec le droit à un recours utile garanti au paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte est pertinent. En général, cette disposition doit être respectée chaque fois que l’une des garanties énoncées à l’article 14 a été violée. Toutefois, en ce qui concerne le droit de faire examiner par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité et la condamnation, le paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte est une lex specialis par rapport au paragraphe 3 de l’article 2 quand il s’agit d’invoquer le droit d’accès à un tribunal au niveau de l’appel.

59.Dans le cas de procès qui aboutissent à une condamnation à mort, le respect scrupuleux des garanties d’un procès équitable est particulièrement important. Prononcer une condamnation à la peine capitale à l’issue d’un procès au cours duquel les dispositions de l’article 14 du Pacte n’ont pas été respectées constitue une violation du droit à la vie (art. 6).

60.Le fait d’infliger des mauvais traitements à une personne qui fait l’objet d’une accusation pénale et de la contraindre par la force à faire ou signer des aveux de culpabilité constitue une violation à la fois de l’article 7 du Pacte, qui interdit la torture et les traitements cruels, inhumains et dégradants, et de l’alinéa g du paragraphe 3 de l’article 14, qui interdit de contraindre quelqu’un à témoigner contre soi‑même ou à s’avouer coupable.

61.Si une personne soupçonnée d’une infraction pénale et placée en détention conformément à l’article 9 du Pacte est inculpée mais n’est pas traduite en jugement, les dispositions du paragraphe 3 de l’article 9 et de l’alinéa c du paragraphe 3 de l’article 14 du Pacte, qui garantissent le droit d’être jugé sans retard excessif, peuvent être violées simultanément.

62.Les garanties de procédure prévues à l’article 13 du Pacte reprennent des éléments relatifs à un procès équitable qui sont également l’objet de l’article 14 et devraient donc être interprétées à la lumière de cette disposition. Dans la mesure où le droit interne confie à un organe judiciaire la tâche de se prononcer sur les expulsions et éloignements, la garantie d’égalité de tous devant les tribunaux et les cours de justice, consacrée au paragraphe 1 de l’article 14, et les principes d’impartialité, d’équité et d’égalité des armes qui en découlent implicitement sont applicables. Cela dit, toutes les garanties pertinentes de l’article 14 s’appliquent lorsque l’expulsion prend la forme d’une sanction pénale ou que la violation d’un arrêté d’expulsion tombe sous le coup de la loi pénale.

63.La façon dont une procédure pénale se déroule peut avoir des effets sur l’exercice et la jouissance de droits et garanties contenus dans le Pacte et qui n’ont pas de rapport avec l’article 14. Ainsi, par exemple, le fait de laisser en souffrance pendant des années, en violation de l’alinéa c du paragraphe 3 de l’article 14 du Pacte, la mise en accusation pour diffamation d’un journaliste qui a publié certains articles, en violation de l’alinéa c du paragraphe 3 de l’article 14, peut placer l’inculpé dans une situation d’incertitude et d’intimidation et avoir un effet très dissuasif qui restreint indûment l’exercice du droit à la liberté d’expression (art. 19 du Pacte). De même, faire durer une procédure plusieurs années en contravention de l’alinéa c du paragraphe 3 de l’article 14 peut constituer une violation du droit d’un individu de quitter son propre pays tel qu’il est garanti au paragraphe 2 de l’article 12 du Pacte, si l’intéressé est obligé de rester dans ce pays tant que la procédure est pendante.

64.En ce qui concerne le droit d’accéder, dans des conditions générales d’égalité, aux fonctions publiques de son pays, garanti à l’alinéa c de l’article 25 du Pacte, la révocation de juges en violation de cette disposition peut constituer une violation de cette garantie considérée à la lumière du paragraphe 1 de l’article 14 qui prévoit l’indépendance du pouvoir judiciaire.

65.Les lois de procédure, ou leur application, qui établissent des distinctions fondées sur l’un quelconque des motifs énoncés au paragraphe 1 de l’article 2 et à l’article 26, ou ignorent le droit égal des hommes et des femmes visé à l’article 3 de jouir des garanties énoncées à l’article 14 du Pacte, violent non seulement l’obligation faite au paragraphe 1 de cet article qui dispose que «tous sont égaux devant les tribunaux et les cours de justice», mais peut aussi constituer une discrimination.

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