NATIONS

UNIES

CCPR

Pacte international

relatif aux droits civils

et politiques

Distr.

RESTREINTE*

CCPR/C/67/D/748/1997

13 décembre 1999

FRANÇAIS

Original : ANGLAIS

COMITÉ DES DROITS DE L'HOMME

Soixante-septième session

18 octobre - 5 novembre 1999

DÉCISION

Communication No 748/1997

Présentée par :Nelly Gómez Silva et sa famille

Au nom de :Les auteurs

État partie :Suède

Date de la communication : 4 juin 1996 (date de la lettre initiale)

Références :Décisions antérieures

-Décision prise par le Comité en application de l'article 91, communiquée à l'État partie le 11 mars 1997 (non publiée sous forme de document)

Date de la présente décision :18 octobre 1999

[ANNEXE]

ANNEXE*

DÉCISION PRISE PAR LE COMITÉ DES DROITS DE L'HOMME EN VERTU DU PROTOCOLE FACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONALRELATIF AUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES- Soixante-septième session -

concernant la

Communication No 748/1997

Présentée par :Nelly Gómez Silva et sa famille

Au nom de :Les auteurs

État partie :Suède

Date de la communication : 4 juin 1996 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l'homme, institué en application de l'article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 18 octobre 1999,

Adopte la décision ci-après :

Décision concernant la recevabilité

1.L'auteur de la communication est M. Luis Fabio Barrero Lozano, qui agit au nom de sa femme, Mme Nelly Gómez Silva, et de leurs enfants Carlos Eduardo, Marisol, Fabiola, Adriana et Francisco Habib. Toutes ces personnes sont de nationalité colombienne et résidaient en Colombie à la date de la présentation de la communication. L'auteur affirme que sa femme a été victime de violations par la Suède des articles 9, paragraphes 1, 2, 3, 4 et 5; 10, paragraphe 1; et 14, paragraphes 2 et 3 a), c) et d) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

Rappel des faits présentés par l'auteur

2.1Le 17 mai 1991, M. Barrero s'est rendu en Suède avec deux de ses enfants, Adriana et Francisco Habib, alors âgés respectivement de 13 et 12 ans, et a demandé l'asile politique, affirmant que leurs vies étaient en danger pour des raisons politiques. Le 30 décembre 1991, Mme Gómez est arrivée en Suède avec sa fille Fabiola, alors âgée de 15 ans. Elle a demandé un permis de résidence. Seize mois plus tard, les deux autres enfants, Carlos Eduardo et Marisol, alors âgés de 21 et 20 ans respectivement, se sont rendus en Suède au motif du regroupement familial.

2.2Le 24 juin 1993, Mme Gómez et sa famille ont été informées que le permis de résidence leur avait été refusé et ont été invitées à quitter le pays. Le 2 juillet 1993, elles ont été arrêtées par la police. À 8 h 30, ce matin‑là, cinq policiers, un interprète, la personne responsable du centre d'hébergement des réfugiés et le travailleur social qui s'occupait de la famille Barrero les ont informées de la décision d'expulsion prise à leur égard. M. Barrero et son fils Carlos Eduardo ont été placés dans deux maisons d'arrêt distinctes tandis que Mme Gómez et le reste de la famille étaient installés dans une chambre d'hôtel sous la garde de la police.

2.3Le 7 juillet 1993, M. Barrero, son fils Carlos Eduardo et l'une de ses filles, ont été renvoyés en Colombie. Dans l'intervalle, les trois autres enfants (Francisco­ Habib, Adriana et Fabiola), qui se trouvaient avec leur mère, ont échappé à la surveillance de la police. Il semble que Mme Gómez ait été détenue par la police jusqu'à ce que les enfants eurent été retrouvés. Le 28 juillet, Mme Gómez a été expulsée et ses trois enfants ont été renvoyés en Colombie en septembre et en octobre.

Teneur de la plainte

3.1L'auteur fait valoir une violation des paragraphes 1 à 3 de l'article 9 dans la mesure où sa femme a été arbitrairement détenue pendant 21 jours après que les autorités suédoises l'eurent informée que sa demande d'asile en Suède avait été rejetée. À ce propos, il précise qu'aucune accusation n'avait été portée contre sa femme pendant ces 21 jours.

3.2Mme Gómez a formé un recours contre le rejet de sa demande d'asile devant le tribunal d'Enköping. Le 22 juillet 1993, elle a reçu une citation à comparaître devant la Cour d'appel d'Enköping. L'auteur affirme que la police ne lui a jamais permis de se présenter devant ce tribunal et qu'il n'existe aucune copie de cette assignation. En la matière, M. Barrero estime qu'il y a eu violation du paragraphe 4 de l'article 9.

3.3L'auteur considère en outre que sa femme a droit à une réparation pour les violations dont elle a été victime, conformément au paragraphe 5 de l'article 9 du Pacte.

3.4M. Barrero affirme qu'il y a eu violation du paragraphe 1 de l'article 10 au motif qu'un traitement dégradant a été infligé à sa femme au cours de ses 21 jours de détention. Il prétend en outre qu'en raison des conditions dans lesquelles elle a été détenue, sa femme souffre actuellement d'une maladie des bronches qui leur occasionne d'importantes dépenses médicales.

3.5De plus, l'auteur estime que sa femme a été victime d'une violation du paragraphe 2 de l'article 14 du Pacte par la police de Borlänge, qui l'a accusée verbalement d'être à l'origine de la fuite de ses enfants.

3.6M. Barrero affirme enfin qu'il y a eu violation du paragraphe 3 a), c) et d) de l'article 14 du fait que les garanties procédurales n'ont pas été respectées lors du processus d'expulsion. À ce propos, il affirme que l'avocat commis d'office n'est venu voir Mme Gómez que la veille de son expulsion.

3.7Le 12 août 1993, Mme Gómez a déposé une plainte auprès du bureau des droits de l'homme de Santiago de Cali (Personeria Municipal de Santiago de Cali/Delegada para la Defensa de los Derechos Humanos). Le fonctionnaire du bureau chargé de la défense des droits de l'homme (Personero Delegado I para la Defensa de los Derechos Humanos), M. Hernan Sandoval Quintero, lui a conseillé de soumettre son cas aux tribunaux suédois puis au Comité des droits de l'homme. L'auteur a porté l'affaire devant l'Ombudsman suédois, lequel, le 6 décembre 1995, l'a informé qu'il n'était pas compétent pour examiner la demande de réparation pour la détention arbitraire dont sa femme avait été victime. Le 5 janvier 1996, le Ministre de la justice (l'autorité suprême à laquelle se réfère l'Ombudsman dans le domaine juridique) a informé Mme Gómez qu'elle ne pouvait pas prétendre à une réparation car sa détention avait été conforme à la loi. L'auteur affirme par conséquent que tous les recours internes ont été épuisés.

Renseignements et observations communiqués par l'État partie concernant la recevabilité et commentaires de l'auteur à ce sujet

4.1Dans des observations datées du 7 mai 1997, l'État partie soutient que la communication devrait être déclarée irrecevable au motif du non‑épuisement des recours internes, puisque l'auteur n'a pas intenté d'action en dommages‑intérêts devant les tribunaux suédois.

4.2En ce qui concerne les faits de l'espèce, l'État partie affirme que la famille Barrero Gómez est arrivée légalement en Suède où elle a demandé l'asile, qui lui a été refusé. À la date où son expulsion devait avoir lieu, Mme Gómez Silva a tenté de se suicider et ses trois plus jeunes enfants ont pris la fuite. M. Barrero et ses deux aînés ont été renvoyés en Colombie le 7 juillet 1993. Mme Gómez Silva a été renvoyée en Colombie le 29 juillet 1993 après qu'une nouvelle demande d'asile eut été rejetée par le conseil compétent. Deux des enfants qui s'étaient enfuis ont été renvoyés en septembre 1993 et le dernier, le 6 octobre 1993. Le 8 juillet 1993, Mme Gómez Silva a formé un recours devant la Cour administrative d'appel de Jonkoping contre l'ordonnance de mise en détention du 7 juillet, recours qui a été rejeté le 14 juillet. La Cour a déclaré entre autres que compte tenu de la nature des activités de M. Gómez Silva, l'ordonnance de mise en détention avait été prise conformément aux conditions requises. Elle a souligné que la famille n'avait pas été séparée du fait de cette ordonnance de détention mais plutôt en raison du comportement des enfants. Le 30 juillet, la Cour administrative d'appel a décidé de ne pas examiner un nouveau recours introduit par Mme Gómez Silva étant donné qu'elle avait déjà réglé la question de la détention dans sa précédente décision.

4.3En ce qui concerne les procédures que les demandeurs d'asile doivent suivre, l'État partie informe le Comité que les affaires impliquant des étrangers ne sont pas du ressort du Gouvernement puisqu'elles sont renvoyées devant l'un des deux conseils indépendants. Mme Gómez Silva a formé un recours devant la Cour administrative d'appel contre l'ordonnance de mise en détention du 7 juillet 1993 mais n'a pas introduit d'autre recours devant la Cour administrative suprême. Toutefois, l'État partie indique aussi qu'elle avait peu de chances de se voir accorder une autorisation de recours, laquelle est la condition préalable à tout examen d'une affaire par la Cour administrative suprême.

4.4À propos du paragraphe 4 de l'article 9, l'État partie affirme que Mme Gómez Silva a bien fait valoir le droit qui y est énoncé puisqu'elle a contesté la légalité de sa détention devant la Cour. À cet égard, l'État partie fait également observer que si la détention avait effectivement été illégale, Mme Gómez Silva aurait eu droit à réparation en vertu de la loi de 1974 sur l'indemnisation en cas de restrictions à la liberté.

4.5Mme Gómez Silva a porté plainte auprès de l'Ombudsman parlementaire et a tenté de faire valoir son droit à une indemnisation. L'Ombudsman parlementaire a décidé de ne pas examiner l'affaire étant donné que le Ministre de la justice en avait été aussi saisi et qu'une enquête était en cours. L'État partie affirme que la plainte déposée auprès du Ministre de la justice consistait en une simple allégation de violation des droits de l'homme sans aucune référence à un droit particulier; Mme Gómez Silva demandait simplement l'ouverture d'une enquête et faisait valoir son droit à une réparation pour l'arrestation illégale dont elle avait été victime. Le Ministre de la justice a décidé, le 5 janvier 1996, de ne pas lui accorder de réparation, étant donné qu'à son avis la privation de liberté n'avait pas été manifestement injustifiée et que l'État n'était pas tenu à réparation en vertu de la loi de 1974 sur l'indemnisation en cas de restrictions à la liberté. Il n'existait pas non plus d'autres motifs d'accorder réparation. L'État partie estime en conséquence que la communication devrait être déclarée irrecevable au motif du non‑épuisement des recours internes puisque aucune action en dommages‑intérêts n'a été intentée devant un tribunal suédois.

4.6L'État partie, se référant en outre aux dispositions de la loi sur les étrangers, explique dans quelles conditions des étrangers peuvent être placés en détention ou faire l'objet d'une mesure spéciale de surveillance, et quelles sont les conditions spécifiques applicables aux étrangers de moins de 16 ans, à savoir qu'ils ne doivent pas être mis en détention mais doivent simplement être placés sous surveillance. Il mentionne en particulier la disposition en vertu de laquelle des étrangers ne peuvent être détenus pendant plus de deux mois sauf s'il existe de solides raisons de prolonger cette période. Ces ordonnances de mise en détention sont réexaminées au plus tard dans les deux mois suivant la date à laquelle elles ont été exécutées et dans un délai de six mois après qu'elles ont été prises.

4.7S'agissant des allégations de violation du paragraphe 1 de l'article 9 du Pacte, l'État partie estime que les ordonnances de mise en détention ont été prises conformément à la loi et n'étaient donc aucunement arbitraires. Il affirme par ailleurs que les dispositions du paragraphe 2 de l'article 9 ne sont pas applicables en l'espèce étant donné que Mme Gómez Silva n'a été accusée d'aucune infraction pénale. Il fait cependant observer qu'il ressort de la décision du Ministre de la justice que Mme Gómez Silva a été dûment informée dans sa langue des raisons de son arrestation. L'État partie estime en outre que la communication ne soulève pas de question relevant du paragraphe 5 de l'article 9.

4.8Pour ce qui est du traitement infligé à Mme Gómez Silva pendant sa détention, l'État partie considère que : "le Gouvernement n'est pas en mesure de faire de commentaire à ce sujet étant donné qu'il n'a pas connaissance des faits". Il estime que cette allégation n'est pas fondée puisque le Ministre de la justice n'a pas jugé bon de prendre des mesures contre les autorités responsables ou contre un fonctionnaire particulier à la suite des allégations formulées par M. Barrero. En outre, étant donné que quatre ans se sont écoulés depuis les faits, le Gouvernement n'est pas en mesure d'examiner l'affaire. L'État partie estime qu'il s'agit de simples allégations générales qui ne sont pas étayées.

4.9Enfin, en ce qui concerne les allégations de violation de l'article 14 du Pacte, l'État partie estime que Mme Gómez Silva n'a pas eu recours aux mécanismes disponibles pour garantir les droits qui y sont énoncés. Il considère que les garanties prévues aux paragraphes 2 et 3 de l'article 14 ne s'appliquent qu'aux personnes accusées d'une infraction pénale, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.

5.1L'auteur de la communication conteste certains des faits mentionnés par l'État partie. Il fait observer que sa femme n'a pas tenté de se suicider à cause de l'arrêté d'expulsion mais plutôt à cause de ce qui s'est passé dans l'appartement au moment où les policiers, l'interprète, etc., sont venus les chercher pour les conduire au commissariat. On ne l'a pas laissé lui‑même finir sa toilette puisque la police l'a fait sortir de force de la salle de bains lorsqu'elle est arrivée. L'auteur précise également que l'allégation de l'État partie selon laquelle Mme Gómez Silva était régulièrement en contact par téléphone avec ses enfants en fuite est fausse; elle était en contact avec ses neveux qui habitent légalement en Suède, ce qui peut être confirmé par l'interprète, Karen Redon, qui était aux côtés du médecin qui s'est occupé de Mme Gómez Silva.

5.2En ce qui concerne les circonstances entourant la détention, l'auteur indique que lui‑même et tous les membres de sa famille ont été arrêtés en même temps et conduits à bord de diverses voitures au commissariat de Borlänge. À son arrivée, son fils, Carlos Eduardo Barrero, a été fouillé et enfermé dans une cellule; M. Barrero est arrivé ensuite avec sa fille Adriana Barrero Gómez, dans une voiture qui s'est engouffrée dans un garage souterrain. Derrière eux se trouvait une autre voiture transportant sa femme Nelly Gómez et les trois plus jeunes enfants, Marisol, David et Fabiola, qui les a suivis dans le sous‑sol. Là, ils ont été conduits vers un ascenseur. M. Barrero affirme qu'il s'est alors débattu avec force et que les policiers l'ont traîné dans l'ascenseur, le maltraitant devant sa famille. C'est ce qui a rendu ses filles hystériques. Il a été conduit dans les locaux de détention, où il a été fouillé, et enfermé dans une cellule. Les autres membres de sa famille ont été embarqués dans un fourgon et conduits du sous‑sol jusqu'à l'entrée du commissariat; ils ont été amenés dans l'un des bureaux où ils sont restés environ cinq heures. Ils ont été par la suite conduits dans un hôtel situé juste en face du commissariat où ils ont été placés sous la garde de quatre policiers qui ne les quittaient pas d'une semelle même lorsqu'ils allaient aux toilettes. L'auteur répète que sa femme et ses enfants sont restés quatre jours dans cet hôtel où ils étaient gardés nuit et jour. Le cinquième jour, les trois plus jeunes enfants ont été reconduits au commissariat de police par deux policiers. C'est en chemin que les trois enfants auraient réussi à s'enfuir, ce qui a provoqué la confusion au commissariat. Les policiers sont partis à leur recherche. Après la fuite des trois plus jeunes enfants, M. Barrero Lozano et ses deux aînés ont été renvoyés en Colombie le 7 juillet 1993. Mme Nelly Gómez a été enfermée dans une cellule du commissariat pendant 21 jours avant d'être renvoyée en Colombie.

5.3L'auteur insiste sur le fait qu'il ne conteste pas la décision des autorités suédoises de ne pas lui accorder l'asile ni l'expulsion de sa famille mais plutôt la façon dont l'arrêté d'expulsion a été exécuté par le chef de la police de Borlänge, en particulier le fait que sa femme a été enfermée dans une cellule du commissariat de police pendant 21 jours prétendument en attendant le retour des enfants qui s'étaient enfuis alors qu'elle a été expulsée au bout de ces 21 jours bien que les enfants n'aient pas été retrouvés.

Délibérations du Comité

6.1Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l'homme doit, conformément à l'article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2En ce qui concerne l'allégation de l'auteur selon laquelle les droits de sa femme en vertu des paragraphes 2, 3, 4 et 5 de l'article 9, du paragraphe 1 de l'article 10 et de l'article 14 ont été violés, le Comité estime qu'elle n'est pas suffisamment étayée, aux fins de la recevabilité, par les éléments d'information dont il dispose et par les arguments avancés par l'auteur.

7.En conséquence, le Comité des droits de l'homme décide :

a)Que la communication est irrecevable en vertu  de l'article 2 du Protocole facultatif.

b)Que la présente décision sera communiquée à l'État partie et à l'auteur.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement aussi en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel présenté par le Comité à l'Assemblée générale.]

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