Nations Unies

CRC/C/90/D/84/2019

Convention relative aux droits de l ’ enfant

Distr. générale

21 juin 2022

Français

Original : anglais

Comité des droits de l ’ enfant

Constatations adoptées par le Comité au titre du Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant établissant une procédure de présentation de communications, concernant la communication no 84/2019*,**

Communication présentée par :

N. B. (représenté par un conseil, Anna Arganashvili et Ana Tavkhelidze, Partnership for Human Rights)

Victime(s) présumée(s) :

L’auteur

État partie :

Géorgie

Date de la communication :

19 novembre 2018

Date des constatations :

1er juin 2022

Objet :

Protection de l’enfant contre les violences, atteintes ou brutalités physiques ou mentales ; discrimination

Question(s) de procédure :

Non-épuisement des recours internes ; griefs insuffisamment étayés

Article(s) de la Convention :

2, 12 et 19

Article(s) du Protocole facultatif:

7 (al. d) et f))

1.L’auteur de la communication est N. B., de nationalité géorgienne, né le 21 juillet 2013. Il affirme que l’État partie a violé les droits qu’il tient des articles 2, 12 et 19 de la Convention. Il est représenté par un conseil. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 19 décembre 2016.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1Le 24 janvier 2017, dans son école maternelle publique, l’auteur s’est vu infliger des châtiments corporels par une enseignante. Le matin, lorsque sa mère l’avait conduit à l’école, l’enfant n’avait aucune blessure, mais quand elle est revenue le chercher le soir, elle a remarqué des marques rouges et des éraflures sur son visage ainsi qu’un gonflement et des bleus sur ses deux oreilles. Contrairement aux autres jours, l’enfant était accompagné de son enseignante, qui a demandé à la mère s’il souffrait d’allergies ou s’il avait été maltraité par son père, ce qui aurait pu causer les rougeurs. La mère de l’auteur a répondu que l’enfant ne souffrait d’aucune allergie et qu’il n’avait pas vu son père récemment. Elle a ensuite demandé à son fils ce qui lui était arrivé, et l’enfant a discrètement pointé du doigt l’enseignante et a dit qu’elle l’avait giflé et lui avait tiré les deux oreilles. L’enseignante s’est mise à rire et a nié les faits.

2.2Lorsque la mère est arrivée à son domicile avec son fils, elle lui a de nouveau demandé ce qu’il s’était passé. L’enfant a répondu que l’enseignante lui avait donné une gifle sur la joue gauche et lui avait tiré et pincé les deux oreilles parce qu’il n’avait pas été capable de dessiner correctement une maison, exercice qui lui avait été donné à faire à l’école maternelle ce jour-là. Sa mère a appelé la police pour signaler les faits. La police est arrivée à leur domicile et a emmené l’auteur et sa mère au poste de police pour les interroger et recueillir des éléments de preuve, après quoi une enquête pénale a été ouverte. La police a aussi appelé les services d’urgence afin que l’enfant soit conduit à l’hôpital pour enfants Iashvili pour y subir un examen médical.

2.3Le 25 janvier 2017, la mère a informé les médias des faits en question, et trois médias ont relayé l’information. La direction de l’école maternelle et l’Agence des services sociaux ont appris les faits dans les médias ; ils n’avaient pas été informés par l’enseignante ou par l’administration de l’école maternelle alors qu’ils auraient dû l’être, conformément à la loi.

2.4Le 25 janvier 2017, un travailleur social a rendu visite à l’auteur et à sa mère. L’auteur indique que la visite n’a duré que quinze minutes et qu’elle était de nature superficielle. Il fait observer qu’il n’y a pas eu d’autre visite des services sociaux et qu’il n’y a eu aucun suivi. En mai et juin 2018, la mère de l’auteur a demandé à l’Agence des services sociaux de lui communiquer les résultats de son appréciation des faits et de l’informer des mesures qu’elle avait prises. Le seul rapport fourni par l’Agence des services sociaux a été un document d’une page et demie rédigé le 6 juin 2018, qui décrivait simplement ce qu’il s’était passé. En l’absence de toute appréciation des faits ou d’évaluation des entretiens conduits avec l’auteur et l’enseignante, la mère a porté plainte auprès de l’inspecteur chargé de la protection des données personnelles, invoquant une violation du droit de l’auteur d’accéder aux informations le concernant. Dans une décision du 8 octobre 2018, l’inspecteur a estimé que l’Agence des services sociaux avait violé le droit de l’auteur d’accéder aux informations le concernant.

2.5Le 6 mars 2017, l’enseignante a été licenciée sur décision du directeur de l’école maternelle. Le motif officiel du licenciement était une « faute professionnelle grave » et il n’était pas fait référence aux faits allégués par l’auteur. L’enseignante a contesté son licenciement. Le 25 septembre 2017, le tribunal municipal de Tbilissi a ordonné la réintégration de l’enseignante en l’absence de motifs raisonnables justifiant son licenciement, aucun motif n’ayant été précisé ou étayé dans la décision de licenciement prise par le directeur ou pendant la procédure devant le tribunal municipal. Le tribunal n’ayant pas été informé des motifs du licenciement, l’auteur n’a pas été invité à participer en tant que tierce partie à la procédure. L’école maternelle n’a pas fait appel de la décision du tribunal. À une date inconnue, l’enseignante a repris son poste à l’école maternelle et a été indemnisée de sa perte de gains.

2.6Entre avril et août 2018, alors que l’enquête était en cours, l’avocat de l’auteur a demandé à cinq reprises à la police et au procureur de porter l’affaire devant la justice. Le 8 juin 2018, l’avocat a demandé au Bureau du procureur du district Gldani-Nadzaladevi de Tbilissi d’accorder le statut de victime à l’auteur. Le 11 juin 2018, le procureur a rejeté la demande en l’absence de motifs suffisants justifiant des accusations selon lesquelles les blessures de l’enfant étaient directement dues à l’acte illégal dont il aurait été victime. L’avocat a contesté ce raisonnement devant le procureur en chef du district Gldani‑Nadzaladevi, insistant sur le fait que, compte tenu de la présence manifeste de blessures, l’enquête pénale aurait dû permettre de déterminer si celles-ci avaient été causées alors que l’enfant était sous la garde de l’école maternelle. Toutefois, le 21 juin 2018, le procureur en chef a rejeté le recours.

2.7Le 15 juin 2018, la mère a demandé à l’école maternelle de lui indiquer précisément le moment où les blessures avaient été découvertes. Dans sa lettre du 11 juillet 2018, l’administration de l’école maternelle n’a pas donné de réponse précise, tout en reconnaissant qu’au moins deux membres du personnel avaient remarqué les blessures sur le visage de l’enfant − sans confirmer que celles-ci avaient été infligées par l’enseignante de l’auteur −, mais n’en avaient pas informé l’administration. De plus, l’administration n’avait pas signalé aux autorités locales que les membres de son personnel ne l’avaient pas informé de ces blessures, manquement qui aurait pu donner lieu à des sanctions administratives.

2.8Le 15 juin 2018, la mère de l’auteur a aussi demandé à l’Agence de gestion des écoles maternelles de la ville de Tbilissi quelles mesures avaient été prises pour enquêter sur les faits. Dans sa réponse du 11 juillet 2018, l’Agence a confirmé qu’elle avait interrogé le personnel de l’école maternelle, y compris l’enseignante de l’auteur, et qu’elle avait rencontré les parents des autres enfants à l’école et qu’aucun d’eux n’avait confirmé que l’auteur avait subi des violences physiques. Cependant, la grand-mère d’un enfant autiste qui est dans la même classe que l’auteur a dit qu’elle avait souvent été témoin de la manière dont l’enseignante criait sur les enfants et a affirmé que son petit-fils était également rentré à la maison avec des hématomes sur les oreilles. L’Agence a toutefois indiqué qu’elle n’avait interrogé ni l’auteur ni les enfants qui avaient été témoins des faits. En l’absence d’informations détaillées sur ce qu’il s’était passé, la mère a déposé une nouvelle plainte auprès de l’inspecteur chargé de la protection des données personnelles pour violation du droit de l’enfant d’accéder aux informations le concernant. Dans une décision du 10 octobre 2018, l’inspecteur a déclaré que l’Agence de gestion des écoles maternelles de Tbilissi avait violé le droit de l’auteur d’accéder aux informations le concernant.

2.9Le 26 juin 2018, le Centre de psychologie et de recherche appliquées, qui est spécialisé dans l’examen des affaires de violence à l’égard des enfants, a établi un rapport d’évaluation psychologique, dans lequel il indiquait que l’auteur avait été en mesure de décrire les violences physiques que lui avait infligées l’enseignante et qu’il était dans un bon état psychoémotionnel.

2.10Le 22 août 2018, l’avocat de l’auteur a été autorisé à consulter le dossier dans les bureaux du Ministère de l’intérieur, ce qui lui a permis de constater que l’enquête était entachée de multiples irrégularités. Un examen du dossier a révélé que, bien que d’autres parents aient affirmé que la même enseignante avait infligé des châtiments corporels à leurs enfants, il n’y avait aucune information permettant de savoir si ces parents avaient été interrogés et aucun enfant qui aurait pu être témoin des faits n’avait été interrogé. L’auteur fait aussi observer que les forces de l’ordre n’avaient engagé aucune procédure administrative pour enquêter sur l’absence de signalement des faits par le personnel de l’école maternelle et n’avaient pas informé les services sociaux de l’ouverture de l’enquête pénale.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur allègue une violation des articles 2, 12 et 19 de la Convention. En ce qui concerne l’épuisement des recours internes, il explique qu’en vertu du Code de procédure pénale, seul le procureur peut porter l’affaire devant un tribunal. La victime présumée n’a aucun moyen d’agir sur la progression de l’enquête et de la procédure. En l’espèce, le procureur n’a pas fait avancer l’enquête et n’a pas porté l’affaire devant un tribunal. L’auteur ne disposait donc d’aucune possibilité juridique de se plaindre du fait que le procureur avait laissé l’enquête pénale durer vingt-deux mois.

3.2L’auteur se dit victime d’une violation des droits qu’il tient de l’article 19 de la Convention. Il affirme que l’État partie n’a pas pris les mesures législatives voulues pour interdire toutes les formes de violence contre les enfants, y compris les châtiments corporels, malgré la recommandation faite par le Comité à l’issue de l’examen du quatrième rapport périodique de l’État partie. Il fait observer que les châtiments corporels ne sont pas expressément interdits dans les centres d’accueil de la petite enfance ou dans les structures d’accueil pour les enfants plus âgés. Il affirme qu’en Géorgie, les enfants subissent de nombreuses violences physiques et psychologiques dans les établissements scolaires et préscolaires. Il fait observer que, d’après le Défenseur public, des cas de violence psychologique ont été constatés dans 70 % des 61 établissements préscolaires inspectés, tandis que dans 40 % des établissements inspectés, il a été constaté que les châtiments corporels étaient utilisés. Il fait également observer que les enfants de l’État partie pâtissent du fait que la violence est un moyen de discipline socialement accepté. Il affirme que, dans son cas particulier, les autorités de l’État partie n’ont pas fait en sorte que les responsables aient à répondre de leurs actes et n’ont pas mis en place des mesures de protection efficaces. L’école maternelle n’a pas pris les faits en considération et ne les a pas signalés aux autorités compétentes. La police et les autorités de poursuites n’ont pas mené d’enquête efficace dans un délai raisonnable et n’ont pas effectué un certain nombre d’actes d’enquête. En outre, l’Agence des services sociaux n’a pas réagi de manière adéquate face à ce qui s’était passé et n’a pas enquêté sur les faits.

3.3L’auteur allègue une violation des droits qu’il tient de l’article 2 de la Convention, car, au moment où la présente communication a été soumise, l’État partie n’avait pas érigé en infraction pénale le recours aux châtiments corporels, ce qui constituait une discrimination à l’égard des enfants fondée sur leur âge. Il fait valoir que l’article 126 du Code pénal érige les coups et blessures en infraction, mais ne prend pas en compte les châtiments corporels infligés aux enfants, qui ne sont donc réprimés ni en droit ni dans la pratique. L’article 126 relève du chapitre consacré aux atteintes à la santé, alors qu’en droit international, l’interdiction des châtiments corporels à l’égard des enfants concerne essentiellement l’atteinte à la dignité de l’enfant et vise à garantir son intégrité physique et morale. Par conséquent, l’objet de la protection est non seulement la santé, mais aussi la dignité et l’intégrité morale de l’enfant, auxquelles il peut être porté atteinte sans qu’il y ait forcémentd’atteinte à la santé .

3.4L’auteur fait en outre observer que, pour qu’un acte soit constitutif de coups et blessures, il doit y avoir eu intention d’infliger des douleurs. Par conséquent, il n’est pas réaliste d’appliquer l’article 126 lorsque les châtiments corporels sont utilisés comme méthode d’éducation des enfants et servent à faire respecter la discipline. En outre, cet article définit l’infraction de coups et blessure comme le fait de « porter plusieurs coups », ce qui signifie qu’un seul coup porté ne peut pas être considéré comme constitutif d’une telle infraction.

3.5Enfin, l’auteur allègue une violation des droits qu’il tient de l’article 12 de la Convention, puisqu’il n’a pas eu la possibilité de participer à l’enquête sur les faits. Il fait observer que la direction de l’école maternelle n’a fait participer ni lui ni sa mère à l’enquête qu’elle a menée sur les faits. Il affirme également que l’Agence des services sociaux n’a pas fait apparaître son point de vue ou celui de sa mère dans les documents officiels qu’elle a produits et que le tribunal de première instance n’a fait participer ni sa mère ni lui-même à l’audience.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans ses observations du 15 novembre 2019, l’État partie rappelle les faits de l’espèce comme suit : le jour des faits, le 24 janvier 2017, la police a ouvert une enquête pour donner suite à la plainte déposée par la mère de l’auteur. Le 25 janvier 2017, la mère, le directeur adjoint de l’école maternelle et l’enseignante mise en cause ont été interrogés par les autorités. Le même jour, un enquêteur spécialisé dans la justice pour mineurs s’est entretenu avec l’enfant en présence du père de l’enfant et d’un psychologue. L’enfant a dit que son enseignante lui avait fait mal aux joues et aux oreilles en le frappant. Les autorités ont en outre ordonné un examen médico-légal. Selon le rapport médico-légal du 27 janvier 2017, l’auteur présentait des hématomes violets sur les lobes des oreilles gauche et droite. Le même type d’hématome a été constaté sur sa joue droite et sur la partie gauche de sa mâchoire inférieure. Selon le rapport, les hématomes avaient été causés par un objet dense et contondant et étaient considérés comme des blessures légères ; et il n’y avait pas eu d’atteinte à la santé.

4.2Entre le 26 et le 28 janvier 2017, les autorités ont interrogé quatre membres du personnel de l’école maternelle, qui ont nié avoir été témoins des faits ou avoir eu connaissance d’autres plaintes déposées par des parents contre l’enseignante mise en cause. Le 3 mars 2017, les autorités ont accepté le témoignage de la grand-mère d’un autre enfant, qui a déclaré que l’enseignante était une personne agressive ayant fréquemment infligé des châtiments corporels à son petit-fils, et que d’autres parents avaient formulé des accusations similaires. Le 28 mars 2017, l’Agence de gestion des écoles maternelles de Tbilissi a informé les autorités chargées de l’enquête du licenciement de l’enseignante pour manquement à ses obligations professionnelles, notamment l’obligation de garantir le bien-être et la sécurité de l’enfant. Selon le compte rendu établi à la suite de l’enquête interne menée par l’Agence, deux employées de l’école maternelle ont écrit une lettre de plainte au directeur adjoint, expliquant qu’il leur était insupportable de travailler avec cette enseignante et que si elle était autorisée à revenir, elles seraient contraintes de quitter leur poste. Cependant, le 2 mai 2018, lorsqu’elles ont été interrogées par les autorités, les deux employées ont déclaré qu’elles n’avaient pas à se plaindre de l’enseignante, qui, d’après elles, était une personne agréable. L’une des employées a déclaré qu’elle avait passé toute la journée du 24 janvier 2017 avec l’enseignante, et qu’elle aurait donc remarqué si l’enfant avait subi une quelconque violence physique.

4.3Entre le 29 avril 2018 et le 19 juin 2018, les autorités ont pris contact avec trois personnes ayant des enfants dans la même école maternelle que l’auteur et qui auraient pu être au courant de ce qui s’était passé, mais ces personnes ont refusé de témoigner. Cependant, en novembre 2019, deux d’entre elles ont déclaré qu’elles n’avaient rien à reprocher à l’enseignante mise en cause et qu’elles n’avaient pas connaissance d’actes de maltraitance qu’elle aurait pu commettre. L’enquête sur les événements du 24 janvier 2017 est toujours entre les mains du procureur.

4.4En ce qui concerne la recevabilité, l’État partie estime que la communication doit être déclarée irrecevable pour non-épuisement des procédures tant civiles que pénales.

4.5L’État partie fait valoir que l’auteur n’a pas épuisé les recours civils disponibles au titre des articles 207 à 209 du Code administratif général de la Géorgie, lus conjointement avec l’article 1005 du Code civil, qui lui auraient permis d’intenter une action civile en dommages et intérêts contre une entité étatique. Afin de prouver l’efficacité de ce recours, l’État partie se réfère à la pratique judiciaire nationale et à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. L’État partie affirme que l’auteur n’a pas engagé de procédure contre l’école maternelle en vue d’obtenir réparation, d’une part, et contre les organes chargés de l’enquête, pour se plaindre de la durée de l’enquête pénale, d’autre part.

4.6L’État partie estime que l’auteur aurait dû attendre la fin de l’enquête pénale en cours, car les autorités prenaient des mesures d’enquête efficaces et rapides. Le fait qu’aucun chef d’inculpation n’ait été retenu contre l’enseignante, qui n’a été accusée de violence physique que par l’auteur et sa mère, ne peut être considéré comme une décision arbitraire ou un défaut de diligence de la part des autorités. L’État partie conteste l’existence de retards importants dans l’enquête, compte tenu de la complexité et du caractère sensible de l’affaire, qui concerne un enfant de 3 ans. Il rappelle que l’auteur a été interrogé le lendemain des faits par un enquêteur spécialisé dans la justice pour mineurs en présence de son père et d’un psychologue, que son avocat a été autorisé à consulter les pièces du dossier et que les autorités ont pris contact avec tous les parents mentionnés par l’auteur pour les interroger et que, malgré leur réticence à coopérer, les deux tiers des parents ont été entendus. Par conséquent, l’auteur n’a pas démontré que l’enquête était entachée de graves irrégularités qui auraient nui à son efficacité globale.

4.7En ce qui concerne l’allégation de l’auteur selon laquelle il aurait dû se voir accorder le statut de victime, l’État partie précise qu’en vertu de l’article 3 (par. 22) du Code de procédure pénale, on entend par « victime » « toute personne physique ou morale qui a subi un préjudice moral, physique ou matériel directement causé par une infraction ». En raison des informations contradictoires obtenues auprès des différentes sources au cours de l’enquête ainsi que de l’absence de preuves directes confirmant que l’enseignante mise en cause ou toute autre personne aurait pu commettre l’infraction en question contre l’auteur, les critères juridiques permettant l’octroi du statut de victime n’étaient manifestement pas remplis.

4.8L’État partie signale que, le 14 décembre 2018, la Cour constitutionnelle de Géorgie a rendu un arrêt sur la base duquel il est devenu possible de contester devant les tribunaux nationaux le refus des autorités de poursuite d’accorder le statut de victime, quelle que soit la catégorie de l’infraction commise. Par conséquent, dès la date de promulgation de cet arrêt, l’auteur pouvait saisir les tribunaux nationaux pour contester le refus du procureur de lui accorder ce statut. Pourtant, il n’a pas utilisé cette voie de recours.

4.9En ce qui concerne l’allégation de l’auteur selon laquelle il aurait subi une discrimination fondée sur son âge parce que les châtiments corporels infligés aux enfants ne sont pas érigés en infraction pénale, l’État partie affirme que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes, car la loi géorgienne sur l’élimination de toutes les formes de discrimination a porté création d’un mécanisme de contrôle indépendant au sein du Bureau du Défenseur public. En vertu de l’article 10 de cette loi, la victime présumée a le droit d’intenter une action en justice conformément aux dispositions du Code de procédure civile. En outre, l’auteur peut saisir la justice pour demander réparation du préjudice moral ou matériel subi. Par conséquent, le grief de l’auteur est également irrecevable pour non-épuisement des recours internes.

4.10Sur le fond, l’État partie soutient qu’il a respecté ses obligations découlant des articles 2, 12 et 19 de la Convention.

4.11En ce qui concerne le droit de l’enfant d’être entendu, l’État partie considère que le niveau de participation de l’auteur à l’enquête était suffisant aux fins du respect des dispositions de l’article 12 de la Convention.

4.12L’État partie signale que l’article 126 (par. 1) du Code pénal érige en infraction le fait de porter des coups ou toute autre forme de violence infligée sciemment à un mineur et s’applique à tous les cas où un mineur est soumis à des violences physiques ou psychologiques. Les données statistiques concernant l’application de l’article 126 aux affaires de violences psychologiques ou physiques visant un mineur montrent que des poursuites pénales ont été engagées : en 2017, dans 20 affaires ; en 2018, dans 85 affaires, dont 2 relatives à des violences physiques dans une école maternelle ; au cours des dix premiers mois de 2019, dans 93 affaires, dont 1 affaire de violence physique dans une école maternelle. L’allégation de l’auteur quant au caractère discriminatoire de l’article 126 n’est donc pas fondée.

4.13Enfin, l’État partie mentionne les mesures qu’il a prises pour combattre la violence à l’égard desenfants et pour assurer une protection efficace des droits de l’enfant, y compris les stratégies et plans d’action nationaux mis en œuvre, les formations dispensées et les campagnes de sensibilisation menées. En particulier, le Code des droits de l’enfant, adopté le 20 septembre 2019, entrera en vigueur progressivement d’ici à janvier 2022. L’objectif du Code est de créer une base légale générale pour la réalisation des droits prévus par la Convention, y compris la protection contre toutes les formes de violence et l’accès à la justice. De plus, les travailleurs sociaux du pays ont été formés aux questions relatives à la violence familiale, à la violence à l’égard des enfants et au respect des procédures d’orientation en matière de protection de l’enfance. Des programmes de formation portant sur la violence à l’égard des enfants sont régulièrement organisés dans les écoles. La question de la violence familiale est aussi intégrée dans les programmes de formation de l’École supérieure de la magistrature de Géorgie, ainsi que dans les programmes de formation des juges, des policiers, des enquêteurs et des procureurs.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond

5.1Dans ses commentaires du 5 avril 2020, l’auteur fait valoir que les recours civils sont non seulement peu susceptibles de déboucher sur une réparation effective, mais aussi que la procédure excéderait des délais raisonnables. Puisque les faits concernant les châtiments corporels n’ont pas été établis, il n’y avait pas lieu d’engager une action civile. L’école maternelle, l’Agence de gestion des écoles maternelles de Tbilissi et la police ont refusé de reconnaître l’acte illégal dont l’auteur a été victime. En outre, l’auteur risquait à nouveau de subir des châtiments corporels, car l’enseignante mise en cause avait repris son poste à l’école maternelle.

5.2En ce qui concerne l’allégation de l’État partie selon laquelle il n’a pas attendu la clôture de l’enquête pénale, l’auteur fait observer que, même si l’enquête a été ouverte le 24 janvier 2017, les témoignages des employés n’ont été recueillis qu’en février 2018 et ceux des autres parents en avril 2019. Ces actes d’enquête ont été accomplis si tard qu’ils ne peuvent pas être considérés comme efficaces. Pendant la période de plus de trois ans qui s’est écoulée depuis les faits, l’enquête n’a donné aucun résultat tangible. L’enseignante a repris son poste sur décision du tribunal et la responsabilité de l’école maternelle n’a pas été engagée. N’ayant pas obtenu le statut de victime, l’auteur n’avait aucune possibilité de réclamer des dommages et intérêts. Par conséquent, les recours au pénal proposés par l’État partie sont irréalistes et leur issue incertaine.

5.3L’auteur considère que la saisine du Bureau du Défenseur public au titre de la loi sur l’élimination de toutes les formes de discrimination n’est pas un recours efficace, car les décisions du Défenseur public ont valeur de recommandation. Selon le rapport spécial de 2017 sur les mesures prises pour combattre et prévenir la discrimination et sur la situation en matière d’égalité établi par le Défenseur public, seules 4 des 19 recommandations et propositions générales adressées à des entités publiques depuis la création du Département de l’égalité jusqu’à la fin du mois d’août 2017 ont été appliquées par les entités publiques et même le rapport de 2019 fait état d’un faible taux d’application.

5.4Quant à l’affirmation de l’État partie selon laquelle il était pertinent que l’enquête dure vingt-deux mois, l’auteur fait observer que, puisqu’il risquait de subir de nouvelles violences, les autorités auraient dû faire preuve d’une plus grande diligence. Les autorités n’ont jamais justifié les retards pris dans l’enquête, en particulier, elles n’ont pas expliqué la raison pour laquelle elles n’avaient pris contact avec les témoins que quinze mois après les faits, et n’ont pas tenu l’auteur et sa mère au courant des différentes étapes de l’enquête. De plus, l’article 71 (par. 1) du Code pénal dispose qu’une personne est exonérée de toute responsabilité pénale si deux ans se sont écoulés depuis la commission d’une infraction pour laquelle la peine maximale ne dépasse pas deux ans d’emprisonnement, ce qui est le cas en l’espèce.

5.5En ce qui concerne l’audition de l’auteur le lendemain des faits, l’auteur rappelle que l’opinion d’un enfant doit être prise au sérieux. Même s’il a fourni une description détaillée des faits, qui était étayée par des preuves matérielles − les blessures sur son visage et ses oreilles, − les autorités n’ont pas pris son témoignage au sérieux.

5.6En ce qui concerne l’argument de l’État partie selon lequel, à la suite d’un arrêt rendu par la Cour constitutionnelle le 14 décembre 2018, il était devenu possible pour l’auteur de contester le refus du procureur de lui accorder le statut de victime, l’auteur rappelle qu’il a soumis sa communication au Comité en novembre 2018, ce qui signifie qu’il n’avait pas la possibilité de recourir à ce mécanisme.

5.7En conclusion, alors qu’il est patent que des blessures ont été infligées à l’auteur alors qu’il était sous la garde de l’école maternelle, l’État partie n’a fourni aucune explication raisonnable à ce sujet. L’État partie n’a pas su empêcher que des violences soient infligées à l’auteur, en l’occurrence des châtiments corporels, n’a pas enquêté et n’a pas protégé l’auteur contre ces violences. L’auteur n’a reçu aucune indemnisation et n’a bénéficié d’aucune mesure de réadaptation.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 20 de son règlement intérieur au titre du Protocole facultatif, déterminer si la communication est recevable.

6.2Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel la communication est irrecevable pour non-épuisement des recours internes étant donné que : a) l’auteur n’a intenté d’action civile en dommages et intérêts ni contre l’école maternelle ni contre les organes chargés de l’enquête pour se plaindre de la durée de l’enquête pénale ; b) l’auteur n’a pas attendu la fin de l’enquête pénale en cours ; c) à la suite de l’arrêt rendu par la Cour constitutionnelle le 14 décembre 2018, l’auteur n’a pas contesté devant les tribunaux le refus du procureur en chef de lui accorder le statut de victime ; d) l’auteur n’a pas porté plainte pour discrimination fondée sur l’âge auprès du mécanisme de contrôle du Bureau du Défenseur public et n’a pas utilisé la possibilité que lui offrait l’article 10 de la loi sur l’élimination de toutes les formes de discrimination de porter son grief devant les tribunaux.

6.3En ce qui concerne l’affirmation de l’État partie selon laquelle l’auteur n’a pas épuisé les recours internes vu qu’il n’a pas exercé d’action civile en dommages et intérêts, le Comité prend note de l’argument de l’auteur selon lequel, le fait qu’il ait subi un châtiment corporel n’ayant pas été reconnu, l’action civile était dénuée de fondement. Le Comité considère en outre que les procédures civiles visant à l’obtention d’une indemnisation pour les préjudices subis ne sauraient se substituer à l’obligation qui incombe aux autorités de l’État d’enquêter efficacement sur les allégations d’infractions et d’engager des poursuites contre les auteurs de ces infractions.

6.4Pour ce qui est de l’argument de l’État partie selon lequel les recours internes n’ont pas été épuisés car l’enquête pénale est toujours en cours, le Comité prend note de l’argument de l’auteur selon lequel l’enquête a pris un retard important, ce qui l’a rendue inefficace. Le Comité considère que ce grief porte sur l’efficacité de l’enquête pénale, qui est étroitement liée au fond des griefs que l’auteur tire de l’article 19 de la Convention, et décide par conséquent d’examiner ce grief au fond.

6.5En ce qui concerne l’argument de l’État partie selon lequel l’auteur n’a pas contesté le refus du procureur de lui octroyer le statut de victime, le Comité prend note des allégations de l’auteur selon lesquelles il a soumis sa communication au Comité avant que la Cour constitutionnelle rende son arrêt du 14 décembre 2018 et n’avait donc pas la possibilité de recourir à ce mécanisme.

6.6Enfin, en ce qui concerne la possibilité de déposer une plainte pour discrimination fondée sur l’âge auprès du mécanisme de contrôle du Bureau du Défenseur public, le Comité prend note de l’argument de l’auteur, qui soutient que ce mécanisme n’est pas un recours utile, car les décisions du Bureau du Défenseur public ont valeur de recommandation et sont peu appliquées. Le Comité considère qu’il n’est généralement pas nécessaire d’épuiser les voies de recours devant des organes non judiciaires ne pouvant pas offrir de réparation pour satisfaire à la condition énoncée à l’article 7 (al. e)) du Protocole facultatif.

6.7Toutefois, le Comité relève que l’auteur n’a pas contesté l’argument de l’État partie selon lequel l’article 10 de la loi sur l’élimination de toutes les formes de discrimination offre la possibilité de saisir les tribunaux d’une plainte pour discrimination. Il considère donc que l’auteur n’a pas épuisé tous les recours internes disponibles s’agissant du grief de discrimination qu’il tire de l’article 2 de la Convention, et déclare cette partie de la communication irrecevable au regard de l’article 7 (al. e)) du Protocole facultatif.

6.8Enfin, le Comité prend note du grief que l’auteur tire de l’article 12 de la Convention, selon lequel la direction de l’école maternelle n’a interrogé ni sa mère ni lui-même, l’Agence des services sociaux n’a fait apparaître ni son opinion ni celle de sa mère dans les documents officiels et le tribunal qui a statué sur le licenciement de l’enseignante n’a entendu ni l’auteur ni sa mère. Le Comité note toutefois que l’auteur a été entendu dans le cadre de l’enquête pénale et qu’il a été auditionné par un représentant du Centre de psychologie et de recherche appliquées. En conséquence, le Comité conclut que l’auteur n’a pas suffisamment étayé le grief qu’il tire de l’article 12 de la Convention et le déclare irrecevable au regard de l’article7 (al.f) du Protocole facultatif.

6.9Le Comité constate toutefois que l’auteur a épuisé les recours internes en ce qui concerne ses griefs relatifs aux châtiments corporels qu’il a subis, en raison des irrégularités qui ont entaché l’enquête pénale qui a suivi. Il considère que ces griefs sont suffisamment étayés aux fins de la recevabilité et qu’ils soulèvent des questions au regard de l’article 19 de la Convention. En conséquence, il les déclare recevables et passe à leur examen au fond.

Examen au fond

7.1Conformément à l’article 10 (par. 1) du Protocole facultatif, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

7.2Le Comité rappelle son observation générale no 8, dans laquelle il précise que l’article 19 de la Convention, qui prolonge son article 4, dispose clairement que les États sont tenus de prendre des mesures législatives ou autres pour s’acquitter de l’obligation qui est la leur de protéger les enfants contre toutes les formes de violence, y compris les châtiments corporels. Il rappelle également que, dans le cadre de l’examen du quatrième rapport périodique de l’État partie, il s’est dit vivement préoccupé par la fréquence des châtiments corporels à l’école et dans les institutions, par l’absence de législation incriminant les châtiments corporels et d’activités de sensibilisation visant à combattre cette pratique et par la mise en œuvre limitée du mécanisme d’orientation vers les services de protection de l’enfance dans les écoles maternelles.

7.3En l’espèce, le Comité doit déterminer si les châtiments corporels que l’enseignante aurait infligés à l’auteur le 24 janvier 2017 et l’allégation selon laquelle ces faits n’ont pas fait l’objet d’une enquête efficace constituent une violation par l’État partie des obligations qui lui incombent en vertu de l’article 19 de la Convention. À cet égard, il fait observer que l’article 19 contient des dispositions portant sur le fond et sur les procédures.

7.4En ce qui concerne l’élément de fond de l’article 19 (par. 1), le Comité relève que lorsque l’auteur a été amené à l’école maternelle le matin du 24 janvier 2017, il n’avait aucune blessure sur le visage. Néanmoins, lorsque sa mère est revenue le chercher ce jour‑là, il avait des hématomes violets sur les lobes des oreilles gauche et droite, sur la joue droite et sur la partie gauche de la mâchoire inférieure. Comme en atteste un rapport médico-légal et le propre récit de l’auteur, ces blessures étaient dues au fait que son enseignante à l’école maternelle l’avait frappé et lui avait tiré les oreilles. Le Comité rappelle qu’il a défini les châtiments « corporels » ou « physiques » comme tous châtiments impliquant l’usage de la force physique et visant à infliger un certain degré de douleur ou de désagrément, aussi léger soit‑il. La plupart de ces châtiments donnent lieu à l’administration d’un coup (« tape », « gifle », « fessée ») à un enfant, avec la main ou à l’aide d’un instrument − fouet, baguette, ceinture, chaussure, cuillère en bois, etc. Le Comité rappelle que la charge de la preuve ne saurait incomber exclusivement à l’auteur de la communication, d’autant que l’auteur et l’État partie n’ont pas toujours le même accès aux éléments de preuve et que, souvent, seul l’État partie dispose des informations pertinentes.

7.5En l’espèce, le Comité relève que, lorsque l’auteur a été pris en charge par l’école maternelle, il n’avait aucune blessure au visage. Aucune explication plausible n’a été fournie concernant les blessures aux oreilles et au visage, qui auraient été causées par la punition infligée par une enseignante d’une l’école maternelle publique, dans l’école maternelle, et alors que l’auteur était placé sous la garde d’une institution publique. Le Comité considère que l’auteur a fourni une description détaillée et cohérente du traitement que lui aurait fait subir le personnel de l’école maternelle. Cette description est en partie corroborée par le témoignage de la grand-mère d’un autre enfant, qui a confirmé que l’enseignante avait fréquemment infligé des châtiments corporels à son petit-fils. La déclaration de l’enseignante de l’auteur selon laquelle l’enfant pourrait souffrir d’allergies n’est étayée par aucune preuve. Le rapport médico-légal du 27 janvier 2017 indique que les blessures ont été causées par un objet contondant et ne mentionne pas le fait qu’elles puissent être dues à une allergie. Sur la base de tous les éléments qui lui ont été soumis et en l’absence d’autre explication des autorités de l’État partie, le Comité estime que le traitement subi par l’auteur était une forme de violence infligée à l’enfant, comme défini à l’article 19 de la Convention. Compte tenu de la vulnérabilité particulière de l’auteur, qui est un enfant de trois ans et demi, du fait que l’auteur est placé sous l’autorité et le contrôle de l’enseignante et du rôle de l’école maternelle, qui est d’assurer le service de base d’intérêt général consistant à prendre des enfants en charge et à les éduquer, le Comité estime que l’État partie n’a pas cherché à expliquer l’origine des blessures subies par l’auteur alors que celui-ci était sous la garde de l’école maternelle, et que la responsabilité de l’État partie pour ces blessures est donc engagée au titre de l’article 19 (par. 1) de la Convention.

7.6En ce qui concerne l’élément de procédure énoncé à l’article 19 (par. 2) de la Convention, le Comité prend note de l’argument de l’auteur selon lequel ses allégations de châtiments corporels n’ont pas donné lieu à une enquête pénale efficace. Il rappelle que les enquêtes portant sur des cas de violence signalés par un enfant ou son représentant ou par un tiers doivent être menées par des professionnels qualifiés qui ont reçu une formation complète et spécifique à leurs fonctions et s’appuyer sur une approche fondée sur les droits de l’enfant et adaptée aux besoins de celui-ci. Des procédures rigoureuses mais adaptées aux enfants facilitent le repérage des cas de violence et le recueil d’éléments de preuve pour les procédures administratives, civiles et pénales et pour les procédures de protection de l’enfant. Le Comité souligne qu’une enquête sur une affaire de mauvais traitements infligés à un enfant devrait être efficace en ce sens qu’elle devrait permettre de déterminer si l’auteur a subi des châtiments corporels à l’école maternelle et d’identifier les responsables. Il rappelle que l’obligation d’enquêter est une obligation de moyens, et non de résultat. Les autorités doivent prendre toutes les mesures raisonnables pour recueillir des preuves concernant les faits. En outre, l’enquête doit également être menée rapidement et dans un délai raisonnable.

7.7Le Comité constate qu’en l’espèce, si l’auteur a été interrogé par un enquêteur spécialisé, en présence de son père et d’un psychologue, l’État partie n’indique pas si cet entretien a fait l’objet d’un enregistrement vidéo en vue d’une éventuelle utilisation dans le cadre du procès ultérieur ou si l’enfant a été informé du fait qu’il était important de dire la vérité. Le Comité constate en outre que, bien que la police ait rapidement ouvert une enquête pénale, il a fallu près de dix mois aux autorités chargées de l’enquête pour interroger deux employées qui s’étaient plaintes de l’enseignante mise en cause et quinze mois pour prendre contact avec les parents dont les enfants étaient sous la garde de cette enseignante. L’État partie n’a pas expliqué ces retards. Le Comité note également que ce n’est que le 22 août 2018, soit dix‑neuf mois après les faits signalés, que le conseil de l’auteur a été autorisé à consulter le dossier de l’affaire. Enfin, il constate que plus de cinq ans après les faits, l’enquête est toujours en cours et qu’il n’y a aucune avancée significative. Quelle que soit l’issue de l’enquête et sans entrer dans des considérations sur la question de savoir si les informations et éléments de preuve versés au dossier justifiaient l’ouverture d’une enquête pénale, le Comité estime que l’enquête ne satisfait pas aux critères de diligence et d’efficacité.

7.8Compte tenu de ce qui précède, le Comité conclut que les autorités nationales n’ont pas fait preuve de la diligence voulue et n’ont pas enquêté rapidement et efficacement sur les allégations de châtiments corporels, en violation des obligations qui incombent à l’État partie en vertu de l’article 19 de la Convention.

8.Le Comité des droits de l’enfant, agissant en vertu de l’article 10 (par. 5) du Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant établissant une procédure de présentation de communications, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article 19 de la Convention.

9.L’État partie a l’obligation d’offrir à l’auteur une réparation effective. Il a également l’obligation de prendre toutes les mesures nécessaires pour que de telles violations ne se reproduisent pas, notamment en veillant à ce que les affaires de châtiments corporels fassent rapidement l’objet d’une enquête.

10.Conformément à l’article 11 du Protocole facultatif, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dès que possible et dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures qu’il aura prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité à faire figurer des renseignements sur ces mesures dans les rapports qu’il soumettra au Comité au titre de l’article 44 de la Convention. Il est invité en outre à rendre publiques les présentes constatations et à les diffuser largement dans ses langues officielles.