CERD

Convention internationale

sur l’élimination

de toutes les formes

de discrimination raciale

Distr.

GÉNÉRALE

CERD/C/408/Add.2

19 novembre 2001

Original: FRANÇAIS

COMITÉ POUR L’ÉLIMINATION DELA DISCRIMINATION RACIALE

EXAMEN DES RAPPORTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIESCONFORMÉMENT À L’ARTICLE 9 DE LA CONVENTION

Quinzièmes rapports périodiques que les États parties doivent présenter en 2001

Additif

SÉNÉGAL*

[21 mai 2001]

TABLE DES MATIÈRES

ParagraphesPage

Introduction1 - 73

I.INTRODUCTION DE LA CONVENTION DANS L’ORDREJURIDIQUE INTERNE8 - 104

II.APPLICATION DE LA CONVENTION11 - 764

A.Sur le plan législatif13 - 484

B.Sur le plan judiciaire49 - 5511

C.Sur le plan institutionnel56 - 7612

III.RENSEIGNEMENTS DEMANDÉS PAR LE COMITÉ POURL’ÉLIMINATION DE LA DISCRIMINATION RACIALE77 - 11314

Conclusion11420

Introduction

1.Le présent rapport, établi conformément à l’article 9 de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, regroupe les onzième, douzième, treizième, quatorzième et quinzième rapports périodiques du Sénégal. Il s’agit, pour le Sénégal, d’une part de faire l’état des mesures d’application nationales de la Convention, d’autre part de répondre aux préoccupations et suggestions formulées par le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale à la suite de la présentation du précédent rapport du Sénégal.

2.Comme tout État partie à la Convention, le Sénégal s’est engagé à poursuivre, par tous les moyens appropriés et sans retard, une politique tendant à éliminer toute forme de discrimination raciale et à favoriser l’entente entre toutes les races.

3.Mais bien avant cela, aux premières années de l’indépendance, a été élaborée par le Sénégal une abondante législation à l’effet de lutter contre les préjugés raciaux, ethniques ou régionalistes.

4.La Constitution du 7 mars 1963 déclarait déjà: «Le peuple du Sénégal proclame son attachement aux droits fondamentaux tels qu’ils sont définis dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et dans la Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948.»

5.Cette adhésion s’est traduite par l’affirmation, à l’article premier, de l’égalité de tous les citoyens devant la loi, sans distinction d’origine, de race, de sexe, de religion, et l’interdiction, à l’article 4, de tout acte de discrimination raciale, ethnique ou religieuse, de même que de toute propagande régionaliste pouvant porter atteinte à la sécurité intérieure de l’État ou à l’intégrité du territoire de la République.

6.La nouvelle Constitution, issue du référendum du 7 janvier 2001, affirme dans son préambule:

«L’adhésion du peuple sénégalais à la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et aux instruments internationaux adoptés par l’Organisation des Nations Unies et l’Organisation de l’unité africaine, notamment la Déclaration universelle des droits de l'homme du 10 décembre 1948, la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes du 18 décembre 1979, la Convention relative aux droits de l’enfant du 20 novembre 1989 et la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples du 27 juin 1981».

7.État partie à la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, du 21 décembre 1965, dès sa ratification en 1972, le Sénégal a procédé, d’une part à l’introduction de la Convention dans l’ordre juridique interne et, d’autre part à son application.

I. INTRODUCTION DE LA CONVENTION DANS L’ORDRE JURIDIQUE INTERNE

8.L’introduction des traités dans l’ordonnancement juridique interne, subordonnée au Sénégal à leur «ratification» par le Président de la République qui y est autorisé par une loi, est assurée par leur publication au Journal officiel.

9.Ainsi, en exécution de la loi de ratification n° 72-10 du 1er février 1972, le Président de la République a ordonné, par décret n° 72-992 du 26 juillet 1972, la publication au Journal officiel de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, adoptée le 21 décembre 1965 par l’Assemblée générale dans sa résolution 2106 A (xx).

10.Par cette procédure, la Convention est devenue un élément de l’ordonnancement juridique interne où elle a acquis «une autorité supérieure à celle des lois» (art. 98 de la Constitution). Comme la Constitution, la loi et les règlements, la Convention fait désormais partie du corpus juridique national que les organes de l’État ont le devoir d’appliquer. Il s’agit:

a)Pour les autorités non juridictionnelles, de prendre les mesures d’application nécessaires lorsque les dispositions de la Convention ne sont pas directement applicables en droit interne, c’est-à-dire que leur application nécessite la prise de mesures complémentaires;

b)Pour les autorités juridictionnelles, de faire appliquer les dispositions de la Convention lorsque la solution des litiges dont elles sont saisies l’exige.

II. APPLICATION DE LA CONVENTION

11.Plusieurs dispositions de la Convention se réfèrent soit à l’obligation générale de prendre les mesures de mise en œuvre nécessaires, soit traitent d’aspects particuliers de cette obligation. Celle‑ci découle de l’engagement pris par les États parties à la Convention d’appliquer, par tous les moyens appropriés, une politique visant à éliminer toute forme de discrimination raciale et à favoriser l’entente entre toutes les races.

12.Aussi, en exécution des obligations fondamentales énoncées à l’article 2 de la Convention, le Sénégal a pris les mesures législatives nécessaires (loi n° 81-77 du 10 décembre 1981) pour définir et réprimer la discrimination raciale en vertu des articles 1, 4 et 5. Quant aux articles 6 et 7, ils ont fait l’objet d’autres mesures d’application qui seront présentées plus loin.

A. Sur le plan législatif

1. Mise en œuvre de l’article premier: définition de la discrimination raciale

13.Dans la Convention, l’expression «discrimination raciale» vise:

«Toute distinction, exclusion, restriction ou préférence fondée sur la race, la couleur, l’ascendance ou l’origine nationale ou ethnique, qui a pour but ou pour effet de détruire ou de compromettre la reconnaissance, la jouissance ou l’exercice, dans des conditions d’égalité, des droits de l'homme et des libertés fondamentales dans les domaines politique, économique, social et culturel ou dans tout autre domaine de la vie publique».

14.Cette définition, reprise par l’article 3 de la loi n° 81-77 devenu article 283 bis du Code pénal, a été complétée par l’adjonction de l’expression «discrimination religieuse». Il s’ensuit une extension du champ d’application de la Convention à la religion utilisée comme élément de discrimination. Ce qui, du reste, ne constitue pas une nouveauté, car la Constitution de 1963 interdisait déjà tout acte de discrimination fondée sur la religion. Cette précaution du législateur est certainement due au fait que, dans la vie politique sénégalaise, il est arrivé que des réflexes d’ordre confessionnel aient contribué à influencer des alignements politiques.

15.Déjà, en 1948, c’est en rupture avec la SFIO (Section française de l’Internationale ouvrière) de Lamine Guèye, que Léopold Sédar Senghor créait le BDS (Bloc démocratique sénégalais). Bien que la motivation de Senghor n’ait été nullement d’ordre confessionnel, l’histoire retiendra qu’il a aussitôt bénéficié du ralliement des Sénégalais chrétiens de la SFIO: les Guillabert à Saint-Louis, les Legrand à Diourbel, les James à Kaolack et les Carvalho à Ziguinchor.

16.Comme l’a affirmé avec justesse une personnalité sénégalaise: «Un espace multiethnique sur lequel se greffe la dimension religieuse ne peut pas être totalement à l’abri de la contradiction.» Aussi, l’extension de la Convention aux discriminations d’origine confessionnelle obéit‑elle au principe de précaution.

17.L’État du Sénégal, laïc et démocratique, n’établit aucune mesure spéciale aux fins de privilégier certains groupes raciaux, ethniques, religieux ou certains individus. Il n’y a «ni sujet ni privilège de lieu de naissance, de personne ou de famille».

18.Aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s’attribuer l’exercice de la souveraineté. Aux termes de l’article 3 de la Constitution: «La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants ou par voie de référendum.»

19.Ainsi, la condamnation de la discrimination sous toutes ses formes est sans équivoque. En effet, l’article 5 de la Constitution déclare punis par la loi «tout acte de discrimination raciale, ethnique ou religieuse, de même que tout acte de propagande régionaliste pouvant porter atteinte à la sécurité intérieure de l’État ou à l’intégrité du territoire de la République».

20.De même, les partis politiques ou coalitions de partis politiques, qui concourent à l’expression du suffrage, ne sont pas autorisés à s’identifier à une race, à une ethnie, à un sexe, à une religion, à une secte, à une langue ou à une région.

21.En application de ces dispositions constitutionnelles et pour donner effet aux dispositions de l’article 4 de la Convention, le Sénégal a pris d’importantes mesures législatives qu’il convient d’examiner.

2. Mise en œuvre de l’article 4

22.Les dispositions de l’article 4 de la Convention traitent des aspects particuliers de l’obligation générale de prendre toute mesure de mise en œuvre nécessaire, notamment l’engagement, au titre des paragraphes a, b et c, de réprimer:

a)Toute diffusion d’idées fondées sur la supériorité ou la haine raciale, toute incitation à la discrimination raciale, ainsi que tous actes de violence, ou provocation à de tels actes, dirigés contre toute race ou tout groupe de personnes d’une autre couleur ou d’une autre origine ethnique, de même que toute assistance apportée à des activités racistes, y compris leur financement;

b)Les organisations ainsi que les activités de propagande organisée et tout autre type d’activité de propagande qui incitent à la discrimination raciale et qui l’encouragent, et de déclarer délit punissable par la loi la participation à ces organisations ou à ces activités;

c)Toutes autorités publiques, toutes institutions publiques, nationales ou locales, qui incitent à la discrimination raciale ou qui l’encouragent.

23.La mise en œuvre de ces dispositions a nécessité l’élaboration et la promulgation de plusieurs lois, notamment:

a)La loi n° 79-02 du 4 janvier 1979 abrogeant et remplaçant les alinéas 2 et 3 de l’article 814 du Code des obligations civiles et commerciales, et l’article 2 de la loi n° 68-08 du 26 mars 1968 modifiant le chapitre II relatif aux associations du livre VI du Code des obligations civiles et commerciales et réprimant la constitution d’associations illégales;

b)La loi n° 79-03 du 4 janvier 1979 abrogeant et remplaçant l’alinéa premier de l’article 5 de la loi n° 65-40 du 22 mai 1965 sur les associations séditieuses;

c)La loi n° 81-17 du 15 mai 1981 relative aux partis politiques;

d)La loi n° 81-77 du 10 décembre 1981 relative à la répression des actes de discrimination raciale, ethnique ou religieuse.

24.Les lois n° 79-02, 79-03 et 81-17, qui sont toutes relatives au cadre légal des groupements associatifs et politiques, interdisent, pour l’admission dans l’association, toute discrimination fondée sur la race, le sexe, la religion sauf en ce qui concerne les associations à caractère exclusivement religieux, ainsi que sur les opinions politiques sauf en ce qui concerne les partis politiques ou les groupements qui leur sont rattachés.

25.Ces lois prévoient également ce qui suit:

1.«Sera puni d’une amende de 200 000 à 300 000 francs et d’un emprisonnement d’un mois à un an ou de l’une de ces deux peines seulement, sans préjudice des peines plus fortes prévues par des lois particulières, quiconque fait ou tente de faire fonctionner une association sans enregistrement ou sans autorisation préalable, selon le cas, ou tente de reconstituer une association dissoute par l’autorité judiciaire ou par le pouvoir exécutif en application de l’article 816 du Code des obligations civiles et commerciales.

L’interdiction des droits civiques énumérés à l’article 34 du Code pénal sera prononcée.»

2.«Sera puni d’un emprisonnement de six mois à deux ans et d’une amende de 100 000 à 300 000 francs quiconque aura participé au maintien ou à la reconstitution directe ou indirecte de l’association ou du groupement dissous pour sédition» (article unique de la loi n° 79-03 précitée).

26.En ce qui concerne les activités de propagande, la loi n° 81-77 a complété l’article premier de la loi n° 65-40 du 22 mai 1965 sur les associations séditieuses, en y ajoutant un alinéa 5 ainsi conçu:

«Dont les activités seraient, en tout ou partie, consacrées à pratiquer la discrimination raciale, ethnique ou religieuse ou à inciter à cette discrimination.»

27.En outre, la loi n° 81-77 a érigé en infraction à la loi pénale les faits dénoncés aux paragraphes a, b et c de l’article 4 de la Convention.

28.Ainsi ont été insérées dans le Code pénal de nouvelles dispositions correspondant aux articles 166 bis, 256 bis et 257 bis.

«Article 166 bis – Tout agent de l’ordre administratif et judiciaire, tout agent investi d’un mandat électif, ou agent des collectivités publiques, tout agent ou préposé de l’État, des établissements publics, des sociétés nationales, des sociétés d’économie mixte ou des personnes morales bénéficiant du concours financier de la puissance publique, qui aura refusé sans motif légitime à une personne physique ou morale, le bénéfice d’un droit pour cause de discrimination raciale, ethnique ou religieuse, sera puni d’un emprisonnement de trois mois à deux ans et d’une amende de 10 000 à 2 000 000 de francs.»

«Article 256 bis – Sera puni des mêmes peines que celles prévues par l’article 56 (un mois à deux ans et une amende de 250 000 à 300 000 francs), quiconque aura:

Affiché, exposé ou projeté au regard du public;

Offert, même à titre gratuit, même non publiquement, sous quelque forme que ce soit, directement ou par moyen détourné;

Distribué ou remis, en vue de leur distribution par un moyen quelconque, tous objets ou images, tous imprimés, tous écrits, discours, affichages, gravures, peintures, photographies, films ou clichés, matrices ou reproductions photographiques, emblèmes destinés à proclamer la supériorité raciale, à faire naître un sentiment de supériorité raciale ou la haine raciale ou constituant une incitation à la discrimination raciale, ethnique ou religieuse.»

29.Par ailleurs, en ce qui concerne la discrimination raciale, la loi n° 81-77 a aggravé les sanctions prévues pour la répression de certaines infractions soit en renforçant les peines encourues, soit en y adjoignant des peines complémentaires.

30.Ainsi, les articles 277, 278, 281, 295 et l’alinéa 2 de l’article 296 du Code pénal ont été abrogés et remplacés par les dispositions suivantes:

a)En matière de délits commis par tous moyens de diffusion publique

«Article 277 – S’il y a condamnation, la décision pourra, dans les cas prévus aux articles 250, 251, 252, 254, 255, 256 bis et 259, 268, 261 alinéa 2, 265 et 266, prononcer, en outre, la confiscation de tous supports de publication saisis et, dans tous les cas, ordonner la saisine et suppression ou la destruction de tous les exemplaires édités.

Toutefois, la suppression ou la destruction pourra ne s’appliquer qu’à certains exemplaires saisis.»

«Article 278 – En cas de condamnation prononcée en application des articles 250, 251, 252, 254, 255, 256 bis, 259, 260, 261 alinéa 2, 265 et 266 du Code pénal, la suspension du journal ou du périodique pourra être prononcée par la même décision de justice pour une durée qui n’excédera pas trois mois.

Cette suspension sera sans effet sur les contrats de travail qui lient l’exploitant, lequel reste tenu de toutes les obligations contractuelles ou légales en résultant.»

b)En matière de violences

«Article 281 – Tout meurtre commis avec préméditation ou guet‑apens ou lorsque l’acte aura été commis pour cause de discrimination raciale, ethnique ou religieuse, est qualifié d’assassinat.»

«Article 295 – Lors qu’il y aura, ou préméditation ou guet‑apens, ou lorsque l’acte (blessures, coups, toute autre violence ou voie de fait) aura été commis pour cause de discrimination raciale, ethnique ou religieuse, la peine sera portée:

À l’emprisonnement de cinq à dix ans, dans les cas prévus au deuxième alinéa de l’article 294 (coups et blessures volontaires ayant entraîné une maladie ou une incapacité totale de travail personnel pendant plus de 21 jours)

Aux travaux forcés à temps de 10 à 20 ans, dans les cas prévus au deuxième alinéa de l’article 294 (violences suivies de mort, mutilation, amputation ou privation de l’usage d’un membre, cécité, perte d’un œil ou d’autres infirmités permanentes).»

«Article 296 (al. 2) – S’il y a eu préméditation ou guet‑apens, ou lorsque l’acte a été commis pour cause de discrimination raciale, ethnique ou religieuse, l’emprisonnement sera de deux à cinq ans et l’amende de 50 000 à 200 000 francs.»

31.Ces dispositions qui prévoient et punissent tous actes de discrimination raciale, en application de l’article 4 de la Convention, ont été renforcées par des mesures visant à garantir le droit de chacun à l’égalité devant la loi sans distinction de race, de couleur ou d’origine nationale ou ethnique, comme il est, du reste, exigé à l’article 5 de la Convention

3. Mise en œuvre de l’article 5

32.Dès son accession à la souveraineté nationale, le Sénégal a pris des mesures en vue de mettre fin à toute politique ayant pour effet de créer ou de perpétuer le racisme et l’inégalité. Cette option s’est traduite, au niveau de la Constitution de 1963, à l’article premier, par l’obligation, mise à la charge de l’État «d’assurer l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race, de sexe, de religion» et actuellement, à l’article 8 de la Constitution du 22 janvier 2001, par les dispositions suivantes:

La République du Sénégal doit garantir à tous les citoyens les libertés individuelles fondamentales, les droits économiques et sociaux ainsi que les droits collectifs. Ces droits et libertés sont notamment:

Les libertés civiles et politiques: liberté d’opinion, liberté d’expression, liberté de la presse, liberté d’association, liberté de manifestation;

Les libertés culturelles;

Les libertés religieuses;

Les libertés philosophiques;

Les libertés syndicales;

La liberté d’entreprendre;

Le droit à l’éducation;

Le droit de savoir lire et écrire;

Le droit de propriété;

Le droit au travail;

Le droit à la santé;

Le droit à un environnement sain;

Le droit à l’information plurielle.»

33.Par ailleurs, plusieurs dispositions de la nouvelle Constitution consacrent ou réaffirment expressément le droit de la femme à un traitement égal devant la loi. Ainsi, les articles 15 alinéa 2, et 19 consacrent le droit de la femme:

a)D’accéder à la possession et à la propriété de la terre;

b)D’avoir en propre son patrimoine et de gérer personnellement ses biens.

34.De plus, l’article 25 interdit «toute discrimination entre l’homme et la femme devant l’emploi, le salaire et l’impôt».

35.Sur le plan des mesures d’ordre législatif, il y a lieu de relever la continuité qui a caractérisé la politique sénégalaise.

36.Avant la ratification de la Convention, des mesures avaient déjà été prises pour assurer à chacun le droit à un traitement égal devant la loi. En vue de réaliser un traitement égal devant les tribunaux, l’ordonnance n° 60-14 du 3 septembre 1960 avait rétabli la femme dans ses droits; en effet, jusqu’à cette date, en cas de litige en matière familiale, les tribunaux coutumiers donnaient la primauté à la coutume du mari. Actuellement avec l’unification des différents régimes juridiques, la loi est la même pour tous et s’applique sans distinction de sexe.

37.En matière de nationalité, la loi n° 61-10 du 7 mars 1961, modifiée par la loi n° 89‑42 du 26 décembre 1989, déterminant la nationalité sénégalaise dispose:

«Peut opter pour la nationalité sénégalaise à partir de l’âge de 18 ans et jusqu’à ce qu’il ait atteint l’âge de 25 ans:

1.L’enfant légitime né d’une mère sénégalaise et d’un père de nationalité étrangère;

2.L’enfant naturel lorsque celui de ses parents à l’égard duquel la filiation a été établie en second lieu est sénégalais si l’autre parent est de nationalité étrangère.»

38.Par ailleurs, la femme étrangère qui épouse un Sénégalais peut acquérir la nationalité sénégalaise, sauf si elle y a renoncé expressément lors de la célébration du mariage. Inversement, la femme sénégalaise qui épouse un étranger ne perd pas sa nationalité d’origine, sauf si en vue de son mariage, elle demande expressément à en être déchue. Dans ce cas, la déchéance ne joue que si elle peut acquérir la nationalité du futur époux.

39.En matière d’emploi, la loi n° 61‑33 du 16 juin 1961 portant statut général de la fonction publique et la loi n° 59‑64 du 6 novembre 1959 portant Code du travail disposent l’une et l’autre qu’aucune distinction n’est faite entre l’homme et la femme en ce qui concerne leur application.

40.De même, la loi n° 72‑61 du 12 juin 1972 portant Code de la famille a institué le divorce par consentement mutuel, mettant ainsi à égalité l’homme et la femme. Par ailleurs, la même loi a proscrit la répudiation, privilège du mari dans le droit musulman, et, à titre de sanction, en a fait une cause de divorce pour injures graves à l’endroit de la femme.

41.Après la ratification de la Convention, les réformes se sont amplifiées, touchant tous les domaines.

42.Ainsi, en matière pénale, la loi n° 77-33 du 22 février 1977, portant modification du Code pénal, a abrogé l’article 332 qui prévoyait et punissait le délit d’abandon de domicile conjugal, considéré comme discriminatoire à l’égard de la femme. En effet, le choix du domicile conjugal était une des prérogatives du mari, qui ne semblait pas concerné par les dispositions de l’article 332. Aussi, le délit d’abandon de domicile a été supprimé et remplacé par l’abandon de famille, plus neutre.

43.En matière de droits de la famille, la loi n° 89‑01 du 17 janvier 1989 a modifié ou abrogé les dispositions du Code de la famille qui paraissaient discriminatoires à l’égard de la femme.

44.Ainsi, l’alinéa premier de l’article 371 a été modifié pour s’énoncer comme suit: «La femme, comme le mari, a le plein exercice de sa capacité civile.» Ce qui a entraîné l’abrogation de l’article 13 qui fixait le domicile de la femme au domicile choisi par le mari.

45.De même a été abrogé l’article 154 qui donnait pouvoir au mari de s’opposer à l’exercice d’une profession séparée par son épouse.

46.L’article 19 a aussi été modifié pour permettre à l’épouse d’administrer provisoirement les biens de son conjoint absent. Aux termes dudit article, «dès le dépôt de la demande de déclaration d’absence, le tribunal désigne un administrateur provisoire des biens qui peut être le conjoint resté au foyer…».

47.Enfin, l’article 80, qui réservait au seul mari la délivrance du livret de famille, a été également modifié et complété par la mention suivante: «copie conforme du livret de famille sera remise à l’épouse au moment de l’établissement de l’acte de mariage».

48.Ces dispositions dérivées, tout comme les dispositions conventionnelles, peuvent être invoquées devant les juridictions sénégalaises et recevoir application lorsque la solution des litiges dont celles‑ci sont saisies l’exige.

B. Sur le plan judiciaire

49.Aux termes de l’article 98 de la Constitution, pour être applicable dans l’ordre juridique interne sénégalais, un traité doit, après ratification ou approbation, être publié. Cette formalité accomplie, la Convention ne souffre d’aucun obstacle juridique à son application par les tribunaux sénégalais, lorsque cette application ne nécessite pas la prise de mesures complémentaires ou que ces mesures ont été prises.

50.Avec l’entrée en vigueur de la loi n° 81‑77 précitée, intervenue en janvier 1984 pour donner effet aux articles 1er, 4 et 5 de la Convention, toute personne soumise aux juridictions sénégalaises peut demander à ces juridictions satisfaction ou réparation pour tout dommage dont elle pourrait être victime par suite d’actes de discrimination raciale contraires à la Convention qui violeraient ses droits individuels et ses libertés fondamentales. À défaut d’être entendue, la personne pourra, conformément à la déclaration du Sénégal, au titre de l’article 14 de la Convention, être reçue par le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale.

51.Apparemment, ni le Comité, ni les juridictions nationales n’ont été saisis pour actes de discrimination raciale. Néanmoins, le Sénégal n’a pas cessé de renforcer son dispositif législatif de protection des droits de la personne.

52.Ainsi, par une série de mesures législatives, notamment les lois n° 85‑25 du 27 février 1985 et 99‑06 du 29 janvier 1999, des voies de recours effectives ont été aménagées pour permettre à toute personne gardée à vue, lors de l’enquête préliminaire, de faire constater tous actes de violation de ses droits individuels et de ses libertés fondamentales. Le suspect placé en garde à vue peut saisir le Procureur de la République sous le couvert de l’officier de police judiciaire par toute personne ou par son conseil aux fins de se faire examiner par un médecin à tout moment de la garde à vue. Selon la loi (Code de procédure pénale, art. 56, al. 2), le Procureur doit ordonner l’examen demandé. En cas de prolongation de la garde à vue, la personne détenue peut également solliciter l’assistance d’un conseil parmi les avocats inscrits au tableau de l’ordre des avocats ou admis en stage. L’avocat désigné peut communiquer, y compris par téléphone ou par tous autres moyens de communication, s’il ne peut se déplacer dans les meilleurs délais, avec la personne gardée à vue dans des conditions qui garantissent la confidentialité de l’entretien.

53.Est prescrite à peine de nullité, la mention au procès-verbal d’audition des informations données et des demandes faites en application des dispositions susmentionnées, ainsi que de la suite qui leur a été donnée.

54.Par ailleurs, l’action publique pour l’application des peines, qui est mise en mouvement et exercée par les magistrats ou les fonctionnaires auxquels elle est confiée par la loi, peut aussi être mise en mouvement par la partie lésée. Aux termes de l’article 2 du Code de procédure pénale, «l’action civile en réparation appartient à tous ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par l’infraction».

55.Ainsi, le Sénégal a tout mis en œuvre pour que la Convention soit appliquée à tous égards par les organes de l’État. Veillent à son application les organisations non gouvernementales des droits de l'homme aussi bien que les institutions créées par l’État à cette fin.

C. Sur le plan institutionnel

56.Pour assurer un meilleur suivi de leurs engagements internationaux en matière de droits de l'homme, les autorités sénégalaises ont progressivement instauré un système institutionnel de promotion et de protection des droits de l’homme et du droit humanitaire. Ainsi, ont été mise en place:

1. Le Comité sénégalais des droits de l’homme

57.Créé en 1970 pour remplacer la Commission nationale des droits de l’homme, le Comité sénégalais des droits de l’homme avait pour objectif de contribuer au renforcement de la démocratie conformément aux principes et idéaux proclamés par la Déclaration universelle des droits de l’homme.

58.Faisant suite à la résolution 48/134 du 20 décembre 1993 relative aux institutions nationales pour la promotion et la protection des droits de l'homme, adoptée par l’Assemblée générale à sa quarante‑huitième session, et à la déclaration faite à la première Conférence africaine des institutions nationales des droits de l’homme, tenue à Yaoundé du 5 au 7 février 1996, les autorités sénégalaises ont accordé au Comité sénégalais des droits de l'homme des garanties statutaires.

59.La loi n° 97-04 du 10 mars 1997, prise à cet effet, a renforcé la composition et l’indépendance du Comité sénégalais des droits de l'homme qui, par ailleurs, a vu ses domaines de compétence élargis.

60.Institution indépendante, le Comité a pour vocation d’assurer la représentation des différents courants d’opinion concernant les droits de l’homme au Sénégal. Aussi, le Comité comporte‑t‑il, dans sa composition, des représentants des organisations non gouvernementales, de l’Assemblée nationale, des juridictions suprêmes, du barreau et des universités. Les représentants de l’État qui en sont membres siègent à titre consultatif.

61.Le Comité, chargé de promouvoir les droits de l’homme par des actions d’information et de plaidoyer, veille à l’application et au respect des conventions relatives aux droits de l’homme.

62.Par ailleurs, organe consultatif et de concertation, le Comité peut, à la demande du Gouvernement, du Parlement ou sur initiative propre, faire des recommandations sur toute question relative aux droits de l’homme, notamment à l’endroit du Comité interministériel des droits de l'homme et du droit humanitaire.

2. Le comité interministériel des droits de l'homme et du droit international humanitaire

63.Créé par décret n° 97-674 du 2 juillet 1997, le Comité interministériel est un organe interne de l’administration. Il a pour mission principale de coordonner l’action gouvernementale en matière de droits de l’homme. Ainsi, il s’assure de l’élaboration, de la soumission et de la présentation des différents rapports périodiques du Sénégal, au titre des instruments juridiques internationaux relatifs aux droits de l’homme.

64.Le Comité interministériel veille également à ce que la législation sénégalaise soit adaptée aux dispositions des conventions internationales relatives aux droits de l’homme auxquelles le Sénégal est partie.

65.Le Comité examine, en outre, les allégations de violation des droits de l'homme et s’assure que les départements ministériels concernés leur apportent les réponses appropriées.

66.Actuellement, la structure et les missions du comité interministériel sont appelées à connaître des modifications importantes par suite de la création du Guichet des droits de l’homme et du droit humanitaire.

3. Le Guichet des droits de l’homme et du droit humanitaire

67.L’une des toutes premières décisions du Président de la République, élu aux élections présidentielles de mars 2000, a été de créer un Guichet des droits de l’homme rattaché à la présidence de la République. La symbolique est forte et marque la volonté politique au niveau le plus élevé de l’État de faire des questions de droits de l’homme une priorité nationale.

68.Aux termes du projet de décret fixant les attributions et l’organisation du Guichet, celui‑ci coordonne, en relation avec la Commission interministérielle des droits de l’homme et du droit international humanitaire, l’action du Gouvernement dans le domaine des droits de l’homme et du droit international humanitaire. Il est, au sein de l’administration, l’interlocuteur des organisations des droits de l’homme et facilite leurs relations avec les administrations.

69.Chargé de l’élaboration, de la présentation et du suivi des rapports périodiques soumis aux instances internationales de défense des droits de l’homme, le Guichet veille au respect des délais de présentation des rapports et à la mise en œuvre par l’administration des recommandations formulées à l’issue de leur examen par ces instances.

70.Le Guichet a également pour mission l’examen des allégations et réclamations en matière de droits de l’homme et leur instruction en vue de soumettre au Président de la République des propositions pour suite à donner sous forme de directives adressées aux administrations concernées.

71.Chargé d’assurer le suivi des actions menées par l’administration en matière des droits de l’homme et de droit humanitaire, le Guichet favorise toute action de sensibilisation et de formation des agents de l’État aux droits de l’homme et au droit international humanitaire, notamment par la diffusion de brochures et l’organisation de séminaires.

72.Enfin, le Guichet assure le secrétariat permanent de la Commission interministérielle des droits de l’homme et du droit international humanitaire présidée par le Secrétaire général du Gouvernement.

4. La Commission interministérielle des droits de l’homme et du droit international humanitaire

73.Appelée à se substituer au Comité interministériel des droits de l'homme et du droit international humanitaire, la Commission interministérielle restera le cadre de concertations gouvernementales où les départements ministériels pourront harmoniser leurs vues sur les questions des droits de l’homme.

74.La Commission délibère, après avis du Comité sénégalais des droits de l’homme sur les projets de rapports périodiques élaborés par le Guichet des droits de l’homme et du droit humanitaire.

75.Elle veille également à l’adaptation des lois et règlements en vigueur en matière de droits de l’homme. La Commission encourage, en particulier, l’enseignement des droits de l’homme et du droit humanitaire, au besoin dans les langues nationales, au sein des établissements scolaires et universitaires et dans les écoles de formation des forces de sécurité.

76.Les mesures prises pour donner effet aux dispositions de l’article 7 de la Convention n’ont pas encore été abordées dans ce rapport. Ce sujet a été volontairement omis dans les développements qui précèdent, car il s’agit, pour le Sénégal, de répondre point par point à tous les renseignements demandés par le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, sans esquiver aucune question.

III. RENSEIGNEMENTS DEMANDÉS PAR LE COMITÉ POUR L’ÉLIMINATIONDE LA DISCRIMINATION RACIALE

77.À l’occasion de la présentation du dernier rapport du Sénégal, le Comité avait, d’une part, exprimé ses préoccupations concernant:

1.Le «manque de renseignements adéquats, dans le rapport, sur les mesures qui ont été prises par l’État partie (le Sénégal) pour appliquer les dispositions des articles 5, 6 et 7 de la Convention»:

2.Le «sujet du conflit affectant la région de la Casamance où, malgré la signature d’accords entre le Gouvernement sénégalais et les sécessionnistes, la violence a réapparu, prenant la forme d’un conflit ethnique».

78.D’autre part, le Comité avait fait des suggestions et recommandations au Gouvernement sénégalais, notamment de «redoubler d’efforts pour parvenir à une solution durable et pacifique des problèmes de la région de Casamance, en vue d’éviter à l’avenir toute violence et normaliser la situation».

79.Le Comité avait également attiré l’attention du Sénégal sur l’amendement au paragraphe 6 de l’article 8 de la Convention, qui avait été décidé le 15 janvier 1992 à la quatorzième Réunion des États parties et approuvé par l’Assemblée générale dans sa résolution 47/111 du 16 décembre 1992, et l’avait invité à prendre rapidement les mesures nécessaires à l’acceptation officielle dudit amendement.

80.Sur le premier point, à savoir le manque de renseignements adéquats sur les mesures prises pour appliquer les dispositions des articles 5, 6 et 7, il convient de relever que ces questions constituent pour le Sénégal, à l’instar du Comité, des sujets de préoccupation majeure. Pour s’en convaincre, il suffit de se reporter aux développements consacrés aux mesures prises par le Sénégal pour donner effet aux dispositions des articles 5 et 6.

81.Quant aux obligations énoncées à l’article 7 de la Convention, elles ne sont pas absentes des sujets de préoccupation nationale. Bien au contraire, elles en constituent une des priorités. Déjà en 1963, la Constitution dans ses articles 16 et 17 faisait obligation à l’État et aux collectivités publiques de créer les conditions préalables et les institutions publiques qui garantissent l’éducation pour tous les enfants.

82.Plus récemment, la Constitution du 22 janvier 2001 dans son article 22 dispose:

«L’État a le devoir et la charge de l’éducation et de la formation de la jeunesse par des écoles publiques. Tous les enfants, garçons et filles, en tous lieux du territoire national, ont le droit d’accéder à l’école» (al. 2).

Dans le respect de la pluralité et de la diversité, il n’est fait aucune distinction entre les institutions et communautés religieuses ou non religieuses qui sont «également reconnues comme moyens d’éducation». De même, «toutes les institutions nationales, publiques ou privées, ont le devoir d’alphabétiser leurs membres et de participer à l’effort national d’alphabétisation dans l’une des langues nationales».

83.En exécution de ces obligations constitutionnelles, notamment celles énoncées dans la Constitution de 1963, d’une part, et, d’autre part, dans la loi n° 71-36 du 3 juin 1971, abrogée et remplacée par la loi n° 91-22 du 16 février 1991, portant loi d’orientation de l’éducation nationale, le Gouvernement, dans sa lettre de politique générale concernant ce secteur, a déclaré l’enseignement élémentaire un droit fondamental pour tout enfant. Aussi s’est‑il engagé, par des mécanismes d’accroissement quantitatif de la population scolarisable (7 à 12 ans), à corriger les disparités entre les sexes et entre les régions, ainsi qu’à généraliser l’enseignement. À cet effet, un important effort de mobilisation sociale a été initié et s’est concrétisé comme suit:

a)Tenue, en 1995, du Forum national sur la scolarisation des jeunes filles;

b)Institution d’un prix du Président de la République pour les établissements scolaires qui se seront distingués dans le recrutement des jeunes filles;

c)Mise en place du Programme Scolarisation des filles (SCOFI) et des écoles communautaires;

d)Mise en œuvre du Programme de développement des ressources humaines (PDRH 2) et du projet d’appui à l’École nouvelle, soutenu par l’UNICEF;

e)Mise en place du projet d’appui aux groupements de promotion féminine (PAGPF) qui, dans son volet éducation, a réalisé 300 garderies communautaires dans cinq régions du Sénégal;

f)Finalisation et mise en œuvre du Programme décennal de l’éducation et de la formation (1998-2007), qui permettra de corriger les disparités géographiques en matière de scolarisation des enfants, d’assurer une meilleure prise en compte des enfants handicapés et de réaliser à terme la scolarisation pour tous.

84.La volonté de l’actuel chef de l’État de faire de l’éducation une priorité nationale, exprimée dans la Constitution de janvier 2001, a été récemment réaffirmée au Forum économique mondial de Davos. En effet, à l’occasion de la présentation de son projet de développement pour l’Afrique, intitulé projet OMEGA, partant de l’échec des politiques de développement jusqu’ici mises en œuvre sur le continent et financées par l’aide et la dette extérieures, le chef de l’État sénégalais a proposé à ses pairs une nouvelle approche du développement qui se fonde sur l’éducation et la réalisation des infrastructures.

85.Ainsi l’éducation, qui reçoit plus de 30 % du budget de l’État, est considérée par le Sénégal comme vecteur de développement économique et social. C’est pourquoi, sous la direction du Président de la République qui définit la politique de l’État, le Gouvernement issu de l’alternance a mis en chantier un vaste programme de réforme de l’éducation nationale et de la formation professionnelle.

86.Sur le deuxième point, soulevé par le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, à savoir le conflit qui affecte la région sud du Sénégal, «se référant tout particulièrement aux tensions manifestées depuis quelques années en région de Casamance», alléguant que «les problèmes interethniques étaient l’une des causes les plus graves et permanentes de violations massives des droits de l’homme, de discrimination et, parfois, d’oppression politique en Afrique, les membres du Comité ont voulu savoir ce que le Sénégal faisait à son échelle pour empêcher que certaines tensions interethniques ne dégénèrent sur son territoire». Aussi, «le Comité a souhaité avoir des précisions sur la situation dans cette région et sur les mesures que le Gouvernement envisagerait de prendre pour y répondre et pour empêcher que pareille situation ne se reproduise ailleurs».

87.Ce qui se passe en Casamance n’est pas un conflit ethnique. Les Joola, par exemple, ne sont traqués nulle part au Sénégal. Pour apprécier pleinement cette affirmation, il est nécessaire de situer la Casamance et le Mouvement des forces démocratiques de la Casamance dans le contexte sénégalais.

88.Chacune des régions du Sénégal présente des caractéristiques qui lui sont propres. Mais la Casamance semble être un cas particulier sur le plan de la géographique physique et de la culture.

89.La Casamance, qui est grande comme la Belgique, a une superficie égale à un septième de l’ensemble du Sénégal. Composée de trois régions naturelles, à savoir: la Haute Casamance à l’est, la Moyenne Casamance au centre et la Basse Casamance à l’ouest, ouverte sur l’océan Atlantique, la Casamance a un peuplement qui se répartit comme suit: les Peuls et les Mandingues occupent l’est et le centre qui correspondent aujourd’hui à la Région administrative de Kolda; les Joola, les Manjak, les Mankagn et les Balantes se partagent la région ouest, c’est‑à‑dire la région administrative de Ziguinchor.

90.Coupée du reste du pays par l’enclave gambienne, la Casamance est resserrée entre la Gambie au nord et la Guinée‑Bissau au sud, n’ayant qu’une frontière réduite à l’est avec le Sénégal oriental. Conséquence du tracé arbitraire des frontières coloniales, une telle situation géographique ne pouvait que favoriser l’isolement, le sentiment d’être autre, au niveau des populations locales, surtout celle de la Basse Casamance qui n’a pas une seule frontière avec une autre région du Sénégal.

91.Ce phénomène, il convient de le préciser, n’est pas spécifique à la Casamance. En effet, dans certaines localités du Fouta au nord, les populations ont la même attitude. C’est que, pour elles, le Sénégal se réduit à Dakar et au bassin arachidier, c’est-à-dire aux zones desservies par le chemin de fer, implanté à l’époque coloniale.

92.C’est dans ce contexte que sont apparus au Sénégal, qui n’a jamais connu de partis politiques ethniques, des regroupements régionalistes. En Casamance, en 1944, est créé le Mouvement des forces démocratiques de la Casamance (MFDC) qui dénonce la centralisation et demande que la région exerce pleinement ses responsabilités politiques, en élisant ses représentants locaux. Dans la région du Fleuve, en 1947, est créée l’Union générale des originaires de la vallée du Fleuve (UGOVF) pour la défense des intérêts du Fouta.

93.En ce qui concerne la Casamance, «c’est du côté de la revendication exclusivement régionaliste qu’il faut situer l’origine du MFDC. Au moment de sa création, ses initiateurs sont deux instituteurs, l’un Joola catholique, Emile Badiane, l’autre Peul musulman, Ibou Diallo, appuyés par plus d’une centaine de notables de toute la région, en provenance de tous les groupes ethniques; le MFDC a d’ailleurs été créé à Sédhiou en Moyenne Casamance, dont le peuplement est à prédominance mandingue».

94.À l’origine, le MFDC est surtout soucieux de se démarquer de l’emprise de la Section française de l’Internationale ouvrière (SFIO), parti politique dont l’antenne sénégalaise a aussi hérité de la tradition jacobine de centralisation excessive.

95.Lorsque le Bloc démocratique sénégalais (BDS), parti politique fédéral, est créé, le MFDC y adhère et devient l’une de ses branches régionales. En 1954, à Ziguinchor, au Congrès du parti, lorsque le BDS prend la décision d’abolir les regroupements régionaux et de soumettre toute adhésion à une candidature individuelle, une partie des Casamançais refusent de suivre et créent, sur l’initiative de Djibril Sarr, le Mouvement autonome de Casamance (MAC).

96.L’autonomie dont se réclame le MAC est celle‑là même que le MFDC, dix ans plus tôt, avait affichée pour rompre avec la SFIO. La seule préoccupation de ses animateurs était l’autonomie par rapport au BDS. D’ailleurs, il convient de préciser que les animateurs du MAC sont des Woolof de Casamance, originaires de la région (Djbril Sarr, puis Assane Seck).

97.Le MFDC, créé en 1944, a fini par se dissoudre dans le BDS. Mais, le 26 décembre 1982, le MFDC est recréé par l’abbé Augustin Diamacoune Senghor, ecclésiastique joola. En 1985 naît la branche armée du MFDC, appelée «Atika» («le Combattant» en joola). La question se pose, alors, de savoir quelles ambitions nourrit le Mouvement? Et quelle justification donne‑t‑il à celles‑ci?

98.Au mois d’octobre 1990, parmi les documents saisis par les forces de sécurité sur des membres du Mouvement figure une carte représentant une république joola. Celle‑ci passe au nord par Tanaf (Sénégal) et est limitée au sud par le Rio Cacheu (Guinée‑Bissau), à l’est par la Gambie, à l’ouest par l’océan Atlantique. Elle comprend donc une partie du Sénégal, de la Gambie et de la Guinée‑Bissau avec six provinces: Combo en Gambie, Bignona, Ziguinchor, Oussouye et Dabo au Sénégal, et Veréla en Guinée‑Bissau.

99.Pour cerner les causes profondes de la «sécession», il faut remonter au samedi 23 août 1980 à Dakar où, à la Chambre de commerce, l’abbé Diamacoune Senghor déclare: «De quel droit la France a‑t‑elle, à l’indépendance du Sénégal, rattaché la Casamance à ce pays sans que les intéressés soient consultés? La Casamance n’a rien à voir avec le Sénégal aux plans historique, économique et ethnique. C’est uniquement pour des raisons de commodité qu’elle a été administrée avec le Sénégal, mais c’était un protectorat.» Ainsi sont posés les jalons de ce qui allait devenir le «problème casamançais».

100.Mais, dans un document intitulé «Note relative à l’interrogation du porte-parole du MFDC sur les limites territoriales de la Casamance du temps de la colonisation», rendu public le samedi 17 février 2001, le Collectif des cadres casamançais a déclaré qu’une confusion avait été développée sur les notions de «pays de protectorat», qui aurait été le statut de la Casamance, et de «territoire d’administration directe pour le reste du Sénégal». Les rédacteurs du document ont affirmé qu’en réalité, c’est en 1892 que, dans la colonie du Sénégal, avait été instituée une dualité budgétaire. La notion de pays de protectorat recouvrait à la fois une procédure et un mode de gestion budgétaires qui étaient différents de ceux en vigueur dans les territoires d’administration directe. Or, Ziguinchor, Carabane et Sédhiou, toutes des provinces de la Casamance, étaient sous administration directe sur le plan budgétaire comme il résultait d’un décret du 16 juin 1895.

101.D’ailleurs, un décret du 18 octobre 1904 avait étendu à l’ensemble du Sénégal la procédure budgétaire instaurée en 1892. Elle avait été supprimée en 1920 par un décret, en date du 4 décembre, qui instituait les communes de plein exercice et les communes mixtes.

102.Poursuivant leur analyse, les cadres casamançais ont porté leur attention sur deux périodes:

a)Avant l’arrivée des Européens: d’après les cadres casamançais, il n’existait pas d’entité territoriale politico‑administrative dénommée «Casamance»; l’espace sénégambien et guinéen était constitué de royaumes et/ou d’unités villageoises organisées sur des bases ethniques ou ayant des rapports de vassalité, d’alliance ou simplement de voisinage, avec des appellations comme Joolof, Cayor, Sine, Gadam, Kasa, Gabou, Kantou, Patchona, etc;

b)À l’époque coloniale: les cadres ont relevé que l’appartenance sénégalaise de la Casamance était affirmée par les premiers colons. En effet, en 1967, dans son ouvrage L’histoire moderne pour servir de suite à l’ancienne de M. Rollin, tome 12, l’abbé de Marsy précise, dans l’introduction, en page 3, à propos de l’histoire des Africains occidentaux: «Le Sénégal et la Nigritie s’étendent au nord de la Guinée, entre 11 et 20° de latitude.» Or, entre 11 et 20° nord, c’est une bonne partie de la Guinée-Bissau actuelle qui est incluse dans le Sénégal et la Nigritie, puisque la limite nord de la Guinée-Bissau se situe à 12° 20’ de latitude.

103.Dans l’ouvrage de G.G. Beslier, Le Sénégal, publié chez Payot en 1935, l’auteur a reproduit les cartes des peuplades d’après le père Boilat: les Mandingues, les Diola, les Woolof, etc. y apparaissent comme des peuples du Sénégal.

104.Par ailleurs, le décret du 1er août 1889, qui a érigé en colonies les territoires au sud de la Guinée portugaise, à savoir les colonies de la Guinée française, de la Côte d’Ivoire et du Dahomey a maintenu comme partie intégrante de la colonie du Sénégal, le Saloum, qui correspond à l’actuelle région administrative de Kaolack et la Casamance.

105.La réponse du Collectif des cadres casamançais au MFDC, reproduite partiellement dans le quotidien Le Soleil du 19 février 2001, ne laisse aucun doute sur la question de la Casamance. En effet, l’objection de protectorat de la Casamance ne résiste pas à l’analyse, de même que les allégations ou suppositions de discrimination.

106.Sur le plan de l’éducation, au vu des statistiques scolaires portant sur les années 60 et 70, le taux de scolarisation pour la Casamance est passé de la troisième place en 1965 avec 31,2 % à la deuxième place en 1976 avec 34,1 %. Entre 1987 et 1988, sur les 2 420 écoles primaires que comptait le Sénégal, 309 soit 12,77 % se trouvaient dans la région de Ziguinchor qui comptait seulement 5,76 % de la population du Sénégal.

107.Dans le domaine de la santé, en 1980, la Casamance venait en quatrième position en ce qui concerne le nombre d’habitants pour un médecin, derrière le Cap-Vert, le Fleuve, le Sénégal Oriental, mais avant la région de Thiès, deuxième ville du Sénégal, abritant la ville natale du Président Senghor, et la région du Diourbel-Louga, ville natale du Premier Ministre d’alors, devenu Président de la République.

108.Selon les dernières statistiques du Département de la santé, remontant à 1991 et relatives au nombre d’habitants pour un médecin, un infirmier, une sage‑femme, la région de Ziguinchor arrive en troisième position derrière Dakar et Thiès, sur les dix régions que compte le pays. D’ailleurs, c’est en Basse Casamance qu’on trouve la proportion la plus faible d’enfants handicapés: soit 0,94 % de 0 à 14 ans, contre 0,95 % pour Dakar et 2,28 % pour Louga. Cette situation s’explique par le résultat des campagnes publiques de vaccination beaucoup plus soutenues dans la région de Ziguinchor.

109.Sur le plan du développement régional, de gros efforts ont été fournis pour désenclaver la Casamance des autres régions. Il existe actuellement deux importantes voies d’accès routier à la région: la transgambienne qui traverse la Gambie, et celle qui relie le Sénégal oriental à la Casamance. Il convient également de mentionner la liaison Dakar-Ziguinchor-Dakar, assurée par bateau deux fois par semaine. Enfin, au moins une fois par jour, cette liaison est assurée par avion. Ziguinchor est la seule capitale régionale à bénéficier d’une telle fréquence de liaison aérienne avec Dakar. Il importe aussi de préciser que l’aéroport du Cap‑Skiring reçoit régulièrement, en période de campagne touristique, de gros porteurs en provenance d’Europe.

110.Les autorités actuelles, sous l’impulsion du Président de la République, ont mis en place une dynamique de paix, consolidée, d’une part, par la rencontre des membres du Gouvernement avec les dirigeants du MFDC et, d’autre part, par l’invite du Gouvernement faite aux différentes branches du MFDC de se retrouver pour négocier d’une seule voix.

111.En conclusion, le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale conviendra avec le Sénégal que le conflit en Casamance n’est pas un conflit ethnique; il n’existe aucun antagonisme de fond entre l’ethnie joola et les autres ethnies. Au plus fort de la crise, aucun cas d’affrontement ou même de simple détérioration des rapports humains quotidiens n’a été signalé entre le groupe joola et les autres groupes ethniques, ni en Casamance ni ailleurs sur le territoire national.

112.Cette thèse a été récemment confirmée par le résultat du référendum du 7 janvier 2001. En effet, à cette occasion, le projet de constitution, soumis à la sanction des populations et qui proclamait «le principe intangible de l’intégrité du territoire national et de l’unité nationale dans le respect des spécificités culturelles de toutes les composantes de la Nation», a été voté à 95 % par les populations de la Basse Casamance qui ont participé à hauteur de 96 % au référendum. Ce qui signifie que ces populations, à prédominance joola, adhèrent au choix des dirigeants sénégalais pour ce qui concerne la Casamance, dont l’avenir réside dans son désenclavement. Projet que le Gouvernement souhaite réaliser dans un avenir proche.

113.À cet effet, au cours de différents comités régionaux de développement tenus à Kolda et à Ziguinchor, le Premier Ministre a annoncé une série de mesures portant sur des centaines de millions pour accroître les capacités économiques de la Casamance. Le but est de relier l’économie de la Casamance à l’économie des autres régions du Sénégal.

Conclusion

114.Le Sénégal renouvelle, ici, solennellement son engagement de ne ménager aucun effort pour réaliser, sur son territoire, une société de tolérance, et de participer à l’effort international de lutte contre la discrimination sous toutes ses formes.

-----