Nations Unies

CAT/C/SOM/CO/1

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

2 décembre 2022

Français

Original : anglais

Comité contre la torture

Observations finales concernant le rapport initial de la Somalie *

1.Le Comité a examiné le rapport initial de la Somalie à ses 1949e et 1952e séances, les 8 et 9 novembre 2022, et a adopté les présentes observations finales à sa 1969e séance, le 22 novembre 2022.

A.Introduction

2.Le Comité sait gré à l’État partie d’avoir accepté la procédure simplifiée d’établissement des rapports et d’avoir soumis son rapport initial conformément à cette procédure, qui permet d’améliorer la coopération entre l’État partie et le Comité et d’orienter l’examen du rapport ainsi que le dialogue avec la délégation. Il regrette toutefois que le rapport ait été soumis avec vingt-huit ans de retard.

3.Le Comité se félicite d’avoir pu engager un dialogue constructif avec la délégation de l’État partie et accueille avec satisfaction les réponses apportées aux questions et aux préoccupations soulevées pendant l’examen du rapport initial.

B.Aspects positifs

4.Le Comité constate avec satisfaction que l’État partie a ratifié les instruments internationaux ci-après, ou y a adhéré :

a)La Convention relative aux droits de l’enfant, en 2015 ;

b)La Convention relative aux droits des personnes handicapées, en 2019 ;

c)La Convention de l’Union africaine sur la protection et l’assistance aux personnes déplacées en Afrique (Convention de Kampala), en 2019 ;

d)La Convention des Nations Unies contre la corruption, en 2021.

5.Le Comité accueille avec satisfaction les mesures que l’État partie a prises pour réviser sa législation dans des domaines intéressant la Convention, notamment :

a)La promulgation de la loi sur la Commission nationale des droits de l’homme, en 2016 ;

b)La promulgation de la loi portant création de l’Agence nationale pour les personnes handicapées, en 2018.

6.Le Comité salue les mesures que l’État partie a prises pour modifier ses politiques et procédures afin de renforcer la protection des droits de l’homme et de donner effet à la Convention, notamment :

a)La création du Ministère de la femme et de la promotion des droits humains, en 2013 ;

b)Le rétablissement de la Commission nationale pour les réfugiés et les personnes déplacées à l’intérieur du pays, en 2013 ;

c)L’adoption du Plan d’action national visant à mettre fin aux violences sexuelles commises en période de conflit, en 2014 ;

d)La création de l’équipe spéciale interministérielle sur les droits de l’homme.

C.Principaux sujets de préoccupation et recommandations

Définition et incrimination de la torture

7.Le Comité constate que la torture est interdite par l’article 15 (par. 2) de la Constitution fédérale provisoire, mais est gravement préoccupé par le fait que l’État partie n’a pas encore adopté de définition de la torture en tant qu’infraction distincte. Il note que l’État partie a déclaré qu’il prévoyait d’achever la révision de son Code pénal de 1964 en 2023 et qu’il entendait y inscrire une définition de la torture qui soit conforme à l’article premier de la Convention. Toutefois, il est préoccupé par les informations selon lesquelles, en l’absence de législation expresse, les autorités judiciaires ne punissent pas les actes qui pourraient être constitutifs de torture.Il constate avec inquiétude que la législation de l’État partie ne comporte aucune disposition claire garantissant que l’interdiction de la torture est absolue et non-susceptible de dérogation (art. 1er, 2 et 4).

8. Le Comité engage l’État partie à inscrire l’infraction de torture dans sa législation pénale en en donnant une définition conforme à celle qui figure à l’article premier de la Convention, et à veiller à ce que cette infraction soit passible de peines à la mesure de sa gravité, comme le prévoit l’article 4 ( par.  2) de la Convention. L’État partie devrait aussi veiller à ce que le crime de torture soit imprescriptible. Il devrait veiller à ce que le principe de l’interdiction absolue de la torture soit incorporé dans sa législation et appliqué rigoureusement, conformément au paragraphe 2 de l’article 2 de la Convention, et garantir, conformément au paragraphe 3 de ce même article, que l’ordre d’un supérieur ou d’une autorité publique ne peut en aucun cas être invoqué pour justifier la torture.

Garanties juridiques fondamentales

9.Le Comité est préoccupé par les informations selon lesquelles les forces fédérales, en particulier l’Agence nationale de renseignement et de sécurité, procèdent à des arrestations sans mandat, maintiennent des personnes en détention pendant des périodes prolongées, maltraitent des suspects pendant les interrogatoires, placent certains détenus réputés pour être associés à Al-Shabaab dans des « maisons sûres » avant de les inculper officiellement et n’informent pas les détenus de leur droit d’être libérés sous caution. Il prend note de l’article 34 de la Constitution, qui consacre les droits des suspects et des détenus, mais constate avec préoccupation que ses dispositions n’énoncent pas de garanties de procédure pénale visant spécifiquement à prévenir la torture et les mauvais traitements. À cet égard, il regrette le manque d’informations sur les points suivants : la manière dont l’État partie interprète l’expression « délai raisonnable », s’agissant de la période pendant laquelle une personne peut être maintenue en détention avant d’être jugée (art. 34 (par. 2) de la Constitution) ; les mesures prises pour garantir l’exercice effectif de leurs droits par tous les détenus ; les recours ouverts aux détenus dont les droits ont été violés ; les mesures prises pour lutter contre la corruption des agents des forces de l’ordre et des magistrats. Au vu des informations fournies par l’État partie, le Comité constate qu’il y a eu une augmentation notable de la fourniture d’aide juridique gratuite entre 2016 et 2017 ; il demeure toutefois préoccupé par les informations selon lesquelles l’aide juridique gratuite dans l’État partie reste insuffisante (art. 2 et 16).

10. L’État partie devrait  :

a) Veiller à ce que toutes les personnes arrêtées ou détenues bénéficient, en droit et dans la pratique, de toutes les garanties juridiques fondamentales dès le début de leur privation de liberté, notamment des droits d’accéder rapidement à un avocat et, si nécessaire, de bénéficier d’une aide juridique gratuite, en particulier aux stades de l’enquête et des interrogatoires, d’être informées de leurs droits, du motif de leur arrestation et des accusations portées contre elles, d’informer rapidement un proche parent ou un tiers de leur arrestation, de demander à être examinées par un médecin indépendant de leur choix et de faire l’objet d’un tel examen, de contester la légalité de leur détention et d’être présentées rapidement devant un juge  ;

b) Faire en sorte que tous les détenus puissent accéder à des mécanismes efficaces permettant de porter plainte en cas de non-respect des garanties juridiques fondamentales  ;

c) Faire figurer dans son prochain rapport au Comité des renseignements sur le nombre de plaintes reçues pour non-respect des garanties juridiques fondamentales et sur l’issue de ces plaintes.

Institution nationale des droits de l’homme

11.Le Comité prend note des informations fournies par l’État partie concernant la loi de 2016 relative à la Commission nationale des droits de l’homme, qui prévoit la création d’une institution nationale des droits de l’homme conformément à l’article 41 de la Constitution, mais regrette que le processus de création de ladite Commission ne soit toujours pas achevé. À cet égard, il prend note de l’engagement pris par l’État partie d’établir la Commission avant la mi-2023 (art. 2).

12. Le Comité recommande instamment à l’État partie d’établir rapidement une institution nationale des droits de l’homme qui soit conforme aux Principes concernant le statut des institutions nationales pour la promotion et la protection des droits de l’homme (Principes de Paris), et de la doter de ressources financières et humaines suffisantes pour qu’elle puisse s’acquitter de son mandat efficacement et en toute indépendance. L’État partie devrait en outre veiller à ce que la société civile soit dûment consultée aux fins de la nomination des membres de l’institution nationale des droits de l’homme et participe à ce processus, et à ce que le mandat de ladite institution établisse clairement qu’elle est habilitée à effectuer des visites inopinées dans tout lieu partie où quiconque est, ou pourrait être, privé de liberté sur le territoire de l’État. Le Comité invite l’État partie à solliciter auprès du Haut ‑Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme une assistance et des conseils techniques, ainsi qu’une aide au renforcement des capacités.

Compétence des tribunaux militaires

13.Le Comité constate avec préoccupation que les tribunaux militaires traitent et jugent des affaires civiles, y compris des affaires concernant des mineurs, alors que ces tribunaux n’offrent pas les garanties d’une procédure régulière prévues par la loi, notamment pour ce qui est de fournir aux défendeurs les services d’un conseil et du droit de recours, et que leurs procédures manquent de transparence (art. 2).

14. L’État partie devrait envisager de procéder aux modifications législatives nécessaires pour retirer aux tribunaux militaires la compétence pour juger des affaires civiles et pour que seuls les tribunaux ordinaires aient compétence pour connaître des violations graves des droits de l’homme, notamment des actes de torture, commises contre des civils. Il devrait également faire le nécessaire pour que les tribunaux militaires offrent toutes les garanties relatives à l’équité des procès, notamment pour que tous les défendeurs bénéficient des services d’un conseil et puissent exercer leur droit de recours.

Peine de mort

15.Le Comité note que l’État partie n’a pas aboli la peine de mort. Il regrette le manque d’informations sur le nombre de prisonniers condamnés à mort, la durée moyenne de leur détention et les dispositions légales qui autorisent la peine capitale. Il prend note des assurances données par la délégation selon lesquelles il n’y a pas en Somalie d’exécutions de personnes de moins de 18 ans ni de personnes condamnées pour des raisons politiques, mais il reste préoccupé par les informations émanant d’autres sources selon lesquelles des exécutions ont eu lieu sans procès équitable et la législation prévoit la peine capitale pour un certain nombre d’infractions, notamment des infractions politiques, l’espionnage et d’autres actes jugés hostiles à l’État ou susceptibles de porter atteinte à la sécurité publique. Il note avec satisfaction que l’État partie a donné l’assurance qu’il avaitl’intention de mettre fin aux exécutions publiques, et fait observer que ces exécutions soulèvent de graves questions au regard de la Convention (art. 2, 11 et 16).

16. Le Comité invite l’État partie à mettre de toute urgence un terme aux exécutions publiques, à instaurer un moratoire sur la peine de mort en vue de son abolition et à prendre les mesures voulues pour commuer toutes les peines de mort en peines de prison. Il invite également l’État partie à examiner la possibilité de ratifier le deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, visant à abolir la peine de mort, et à adopter des mesures législatives en vue d’une telle abolition.

Allégations de torture et de mauvais traitements

17.Le Comité prend note de la création par l’État partie du Comité de contrôle des services de police, qui est chargé d’enquêter sur les violations commises par les policiers et les enquêteurs, y compris les actes de torture. Cependant, il est préoccupé par les informations persistantes signalant des cas de brutalités policières, de recours excessif à la force, de menaces, de harcèlement et d’arrestations arbitraires visant en particulier les personnes soupçonnées de terrorisme, les défenseurs des droits de l’homme et les journalistes. Il regrette que l’État partie n’ait pas pu répondre à ses questions sur les conditions qui doivent être réunies pour que le Comité de contrôle des services de police puisse lancer une enquête sur un cas de torture, le nombre de cas ayant fait l’objet d’une enquête, les ressources humaines et budgétaires allouées au Comité de contrôle des services de police et la manière dont son mandat a été coordonné avec celui du Procureur général (art. 12 et 13).

18. L’État partie devrait  :

a) Veiller à ce que toutes les plaintes pour acte de torture ou mauvais traitements donnent rapidement lieu à une enquête impartiale et à ce que les auteurs présumés des faits soient dûment jugés et, s’ils sont reconnus coupables, se voient imposer des peines à la mesure de la gravité de leurs actes  ;

b) Veiller à ce que les autorités ouvrent une enquête chaque fois qu’il existe des motifs raisonnables de croire qu’un acte de torture a été commis ou que des mauvais traitements ont été infligés  ;

c) Veiller à ce que le Comité de contrôle des services de police dispose des ressources humaines et budgétaires nécessaires pour enquêter sur tous les actes de torture présumés  ;

d) Veiller, en cas d’allégations de torture ou de mauvais traitements, à ce que les suspects soient immédiatement suspendus de leurs fonctions pendant la durée de l’enquête, en particulier s’il existe un risque qu’ils soient en mesure de commettre une nouvelle fois l’acte qui leur est imputé, d’exercer des représailles contre la victime présumée ou de faire obstruction à l’enquête  ;

e) Réunir et publier des données statistiques complètes et ventilées concernant l’ensemble des plaintes et des signalements relatifs à des actes de torture ou à des mauvais traitements, en indiquant notamment si ces plaintes et ces signalements ont donné lieu à des enquêtes et, dans ce cas, par quelle autorité ont été menées ces enquêtes, si celles-ci ont abouti à l’application de mesures disciplinaires ou à l’engagement de poursuites et si les victimes ont obtenu réparation, de sorte que l’État partie puisse communiquer ces données au Comité et à d’autres organes de contrôle à l’avenir.

Lutte contre le terrorisme

19.Le Comité est vivement préoccupé par les allégations de torture et d’autres violations graves des droits de l’homme commises lors d’opérations antiterroristes. Les informations dont il dispose indiquent notamment que l’unité de l’armée Danab, stationnée sur la base aérienne de Balidoogle, dans le district de Leego, a enlevé et torturé une centaine de jeunes hommes entre 2018 et 2022, a exécuté sommairement 25 autres jeunes hommes et a détenu de nombreux jeunes hommes dans des prisons secrètes, sans inculpation ni jugement. Le Comité est également préoccupé par les informations selon lesquelles l’Agence nationale de renseignement et de sécurité aurait recours à la détention secrète et à la torture et les forces spéciales de l’armée nationale somalienne commettraient des actes de torture (art. 2, 11 à 13 et 16).

20. Le Comité engage l’État partie à  :

a) Veiller à ce que les lois antiterroristes soient pleinement conformes aux normes internationales relatives aux droits de l’homme, notamment pour ce qui est d’offrir toutes les garanties juridiques fondamentales énoncées au paragraphe 13 de son observation générale n o 2 (2007), et à ce que ces garanties soient respectées dans la pratique  ;

b) Veiller à ce que toutes les allégations d’exécutions extrajudiciaires, de torture et d’autres violations graves des droits humains commises à l’égard de personnes accusées de terrorisme ou d’actes portant atteinte à la sécurité de l’État par les services de sécurité nationaux et par l’armée nationale somalienne, y compris l’unité Danab stationnée sur la base aérienne de Balidoogle à Leego , fassent sans délai l’objet d’une enquête impartiale et efficace, et à ce que les auteurs de ces actes soient poursuivis et dûment sanctionnés  ;

c) Veiller à ce que nul ne soit détenu dans un lieu de détention secret, car ces lieux constituent en eux-mêmes une violation de la Convention et devraient être fermés. Le Comité engage vivement l’État partie à enquêter sur tout lieu de détention secrète, à en révéler l’existence et à indiquer de quelle autorité il relève  ;

d) Examiner la pratique de la mise au secret en vue de l’abolir ou de faire en sorte que cette mesure soit appliquée de manière limitée, en dernier recours et conformément à la loi.

Aveux obtenus par la torture ou les mauvais traitements

21.Le Comité prend note des garanties juridiques inscrites dans le Code de procédure pénale qui rendent irrecevables les preuves obtenues par la torture et d’autres mesures de contrainte, mais il est préoccupé par les informations selon lesquelles l’Agence nationale de renseignement et de sécurité obtient des aveux par la torture et les mauvais traitements et que les tribunaux admettent ces aveux en tant qu’élément de preuve (art. 15).

22. L’État partie devrait adopter des mesures efficaces pour garantir que toutes les personnes auxquelles des aveux ou des déclarations ont été extorqués par la torture ou par des mauvais traitements ont accès à des mécanismes de plainte et que, dans la pratique, les aveux ou déclarations obtenus par la contrainte sont déclarés irrecevables, sauf dans les cas où ils sont invoqués contre la personne accusée de torture pour établir qu’une déclaration a été faite. L’État partie devrait également veiller à ce que les juges soient formés aux moyens de déceler les cas dans lesquels des aveux ou des déclarations ont été obtenus par la torture et d’enquêter à ce sujet. Le Comité invite en outre le Gouvernement à se pencher attentivement sur les Principes relatifs aux entretiens efficaces dans le cadre d’enquêtes et de collecte d’informations (Principes de Méndez).

Conditions de détention

23.Le Comité prend note des informations fournies par l’État partie concernant sa coopération avec le Comité international de la Croix-Rouge aux fins de l’amélioration des conditions dans les prisons. Toutefois, il s’inquiète de ce que malgré les efforts déployés par l’État partie à cet égard, notamment l’ouverture du complexe pénitentiaire et judiciaire de Mogadiscio en 2019, la surpopulation et les mauvaises conditions carcérales persistent. Il a été signalé que les conditions sont particulièrement mauvaises dans les prisons urbaines en raison d’arrestations massives, ainsi que dans le Djoubaland. Le Comité prend note avec inquiétude des informations selon lesquelles les conditions dans les prisons dans les zones contrôlées par Al-Shabaab mettent en danger la vie des détenus. Il est préoccupé en particulier par le manque d’installations sanitaires adéquates et d’hygiène, l’absence de soins médicaux, la mauvaise qualité de la nourriture et le manque d’eau potable dans les prisons de tout le pays. À cet égard, il regrette que l’État partie n’ait pas fourni d’informations sur les mesures concrètes prises pour améliorer la situation dans les prisons et assurer aux détenus une alimentation adéquate et suffisante malgré la sécheresse historique de deux ans qu’a connu le pays. L’absence de registres pénitentiaires centralisés constitue un autre problème très préoccupant. Le Comité est préoccupé en outre par les informations indiquant que la séparation entre mineurs et adultes dans les établissements de détention, et entre femmes en détention provisoire et détenues condamnées, n’est pas toujours strictement respectée. Enfin, il regrette que l’État partie n’ait pas fourni les informations demandées sur les violences entre détenus et les décès en détention (art. 2, 11 et 16).

24. L’État partie devrait  :

a) Redoubler d’efforts pour améliorer les conditions de détention et réduire la surpopulation carcérale, notamment en appliquant des mesures non privatives de liberté. À cet égard, le Comité appelle l’attention de l’État partie sur les Règles minima des Nations Unies pour l’élaboration de mesures non privatives de liberté (Règles de Tokyo) et les Règles des Nations Unies concernant le traitement des détenues et l’imposition de mesures non privatives de liberté aux délinquantes (Règles de Bangkok)  ;

b) Garantir la satisfaction des besoins fondamentaux des personnes privées de liberté, notamment en ce qui concerne l’eau, l’alimentation et l’assainissement, et veiller à ce que les prisonniers bénéficient de soins médicaux et de soins de santé appropriés, conformément aux règles 24 à 35 de l’Ensemble de règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus (Règles Nelson Mandela)  ;

c) Veiller à la séparation entre les personnes en détention provisoire et les détenus condamnés, notamment dans les prisons pour femmes, et entre les mineurs et les adultes dans tous les lieux de détention  ;

d) Établir un registre central informatisé dans lequel sont inscrits tous les détenus à tous les stades de leur privation de liberté, qui soit accessible à toute autorité compétente, et informer le Comité du type d’informations qui y sont consignées et des mesures concrètes adoptées pour garantir une tenue rigoureuse du registre en tant que protection importante contre la détention au secret ou arbitraire et la disparition forcée  ;

e) Recueillir des informations sur les mauvais traitements dans les lieux de privation de liberté dans les territoires contrôlés par Al- Shabaab , et faciliter l’établissement des faits de ce type commis par d’autres acteurs.

Surveillance des lieux de détention

25.Le Comité prend note des visites de contrôle effectuées dans les prisons par la Commission parlementaire des droits de l’homme de la Chambre haute (Sénat). Toutefois, il demeure préoccupé par l’absence de contrôle systématique des lieux de détention par des observateurs nationaux et internationaux (art. 2 et 11).

26. L’État partie devrait envisager de ratifier le Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et instaurer un contrôle systématique de tous les lieux de détention par des observateurs nationaux et internationaux. Il devrait aussi garantir que tous les lieux de privation font l’objet d’une surveillance indépendante efficace et régulière et d’inspections inopinées, et permettre aux personnes chargées d’exercer cette surveillance de recenser les conditions, les traitements ou les comportements dans les lieux de privation de liberté qui constituent des actes de torture ou des mauvais traitements, de mener des entretiens confidentiels avec les détenus et de rendre compte de leurs conclusions aux autorités concernées.

Impunité

27.Le Comité est préoccupé par les informations rendant compte de l’impunité généralisée des policiers et des militaires qui commettent des actes de torture. À cet égard, il regrette que l’État partie n’ait pas fourni les informations demandées sur les mécanismes de plainte dont disposent les victimes de torture, sur les mesures prises pour protéger les plaignants et les témoins et sur le cadre juridique régissant les procédures disciplinaires et pénales. Le Comité regrette également l’absence de données statistiques ventilées sur les plaintes pour torture et mauvais traitements (art. 11, 13 et 16).

28. L’État partie devrait faire le nécessaire pour que toutes les victimes de torture et de mauvais traitements disposent de mécanismes de plainte efficaces, que les victimes et les témoins soient protégés contre les représailles, que toutes les allégations de torture et de mauvais traitements donnent lieu sans délai à des enquêtes impartiales et efficaces et que tous les auteurs de tels actes se voient infliger des sanctions pénales et/ou disciplinaires à la mesure de la gravité des infractions commises. Il devrait aussi réunir et publier des données statistiques complètes et ventilées concernant l’ensemble des plaintes et des signalements relatifs à des actes de torture ou à des mauvais traitements, en indiquant notamment si ces plaintes ont donné lieu à des enquêtes et, dans l’affirmative, quelles autorités ont mené ces enquêtes, si celles-ci ont débouché sur l’application de mesures disciplinaires ou sur l’engagement de poursuites et si les victimes ont obtenu réparation.

Violence fondée sur le genre

29.Le Comité prend note des mesures prises par l’État partie pour lutter contre la violence fondée sur le genre, parmi lesquelles la création du Ministère de la condition de la femme et de la promotion des droits humains, l’adoption d’un plan d’action national visant à mettre fin aux violences sexuelles en temps de conflit et la rédaction d’un projet de loi sur les infractions sexuelles. Toutefois, il est préoccupé par les taux élevés de violence sexuelle et fondée sur le genre et de violence domestique à l’égard des femmes et des enfants, et par l’impunité quasi‑totale qui entoure ces actes. Le Comité rappelle qu’entre le 1er août 2019 et le 30 juin 2020, l’ONU a enregistré des centaines de cas de violence sexuelle contre des femmes et des filles, actes attribués à des hommes armés non identifiés et à des membres de milices claniques, d’Al-Shabaab, de la police et des forces armées somaliennes. Plus récemment, le Comité a été saisi d’allégations de violences fondées sur le genre commises par des membres d’Al-Shabaab, des forces Danab, des forces du Président du Djoubaland, Ahmed Mohamed Islam « Madobe » et des forces de défense kenyanes. Le Comité est également préoccupé par les informations selon lesquelles les familles et les victimes préfèrent porter plainte devant les tribunaux traditionnels, qui peuvent accorder des dommages et intérêts au membre masculin de la famille ou demander à l’auteur des actes d’épouser la victime. En outre, il est gravement préoccupé par le nombre extrêmement élevé de cas de mutilation génitale féminine dans le pays et par le fait qu’aucune loi n’incrimine expressément cette pratique (art. 2, 4, 12 et 16).

30. L’État partie devrait  :

a) Prendre des mesures efficaces pour que tous les cas de violence fondée sur le genre, en particulier ceux qui sont liés à des actes ou des omissions des pouvoirs publics ou d’autres entités qui engagent la responsabilité internationale de l’État partie au regard de la Convention, donnent lieu à une enquête approfondie, que tous les auteurs présumés de tels faits soient poursuivis et, s’ils sont reconnus coupables, condamnés à des peines appropriées, et que les victimes ou leur famille obtiennent des moyens de réadaptation et une réparation complète, notamment sous la forme d’une indemnisation adéquate  ;

b) Redoubler d’efforts pour éliminer la pratique des mutilations génitales féminines. Le Comité recommande également à l’État partie d’envisager d’adopter une législation incriminant les mutilations génitales féminines, et de lancer une campagne de sensibilisation aux dangers des mutilations génitales féminines et à l’interdiction de cette pratique  ;

c) Recueillir des éléments de nature à étayer les allégations d’actes de violence fondée sur le genre commis par Al- Shabaab .

Traite des personnes et autres formes contemporaines d’esclavage

31.Le Comité est préoccupé par les informations faisant état de mariages forcés, de mariages d’enfants et de traite à des fins d’exploitation sexuelle, et par l’absence dans la législation nationale de disposition interdisant le mariage d’enfants et la mise à disposition d’enfant à des fins de commerce du sexe (art. 16).

32. L’État partie devrait faire en sorte que sa législation interdise toutes les formes contemporaines d’esclavage, y compris la traite des personnes, le mariage forcé et le mariage d’enfant. Le Comité recommande à l’État partie d’envisager de ratifier le Protocole additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants.

Châtiments corporels infligés aux enfants

33.Le Comité constate avec préoccupation que les châtiments corporels infligés aux enfants sont largement acceptés et ne sont pas interdits à la maison, dans les structures de protection de remplacement, les garderies et les écoles, ainsi que dans les centres de détention (art. 16).

34. L’État partie devrait prendre des mesures pour mettre fin à la pratique des châtiments corporels infligés aux enfants, conformément aux récentes recommandations du Comité des droits de l’enfant .

Crimes de haine

35.Le Comité regrette que l’État partie n’ait pas communiqué d’informations sur les mesures prises pour prévenir et combattre les crimes de haine, y compris la violence à l’égard des personnes en raison de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre réelle ou supposée (art. 16).

36. L’État partie devrait prendre des mesures pour prévenir et réprimer les actes criminels motivés par la discrimination, l’intolérance, la haine ou les stéréotypes négatifs en  : a) veillant à ce que ces actes fassent l’objet d’enquêtes efficaces et que leurs auteurs soient dûment poursuivis et sanctionnés  ; b) collectant des données et des statistiques détaillées sur le nombre et le type de crimes de haine, sur les mesures administratives et judiciaires prises pour enquêter sur ces crimes et pour poursuivre leurs auteurs et sur les peines prononcées. Il devrait également accorder une réparation, y compris des moyens de réadaptation, aux victimes.

Non-refoulement et extraditions illégales

37.Le Comité est vivement préoccupé par les informations selon lesquelles l’État partie aurait agi en violation du principe de non-refoulement au cours de la période considérée. S’il prend note des dispositions de l’article 37 (par. 1) de la Constitution de l’État partie, qui consacre le principe de non-refoulement, il regrette que l’État partie n’ait pas fourni d’informations sur les dispositions de la législation nationale rendant le principe de non‑refoulement applicable,notamment en prévoyant des mécanismes de recours contre les décisions d’expulsion, avec effet suspensif. Il regrette également que l’État partie n’ait pas fourni de statistiques sur le nombre d’expulsions, de renvois et d’extraditions. Il est en outre préoccupé par les informations selon lesquelles l’État partie a illégalement extradé une personne accusée de terrorisme vers l’Éthiopie en violation de l’article 36 (par. 1) de sa Constitution, qui dispose que les extraditions ne peuvent être effectuées que sur la base d’un traité ou d’une convention internationale, alors que l’État partie n’a pas d’accord d’extradition avec l’Éthiopie. Il relève que l’État partie indique que son droit interne n’autorise les extraditions que vers les États avec lesquels des accords d’extradition ont été conclus (art. 3 et 8).

38. L’État partie devrait veiller à ce que, en droit et dans la pratique, aucune personne ne puisse être expulsée, refoulée ou extradée vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle courrait personnellement un risque prévisible d’être soumise à la torture ou à des mauvais traitements. Il devrait s’assurer que toutes les extraditions auxquelles il procède respectent les conditions énoncées dans sa Constitution et dans les accords d’extradition auxquels il est partie.

Demandeurs d’asile, réfugiés et personnes déplacées à l’intérieur du pays

39.Le Comité prend note de la créationde la Commission nationale pour les réfugiés et les personnes déplacées à l’intérieur du pays et des mesures prises en vue de l’adoption d’une politique nationale sur les réfugiés, les rapatriés et les personnes déplacées à l’intérieur du pays. Il est toutefois préoccupé par les informations selon lesquelles les personnes déplacées à l’intérieur du pays sont victimes d’exactions graves, notamment de violences sexuelles et fondées sur le genre, subissent des cycles répétés d’expulsions forcées et n’ont qu’un accès limité aux soins de santé, à la nourriture et à l’eau. Il regrette l’absence de statistiques, ventilées par âge, sexe et lieu, sur le nombre de personnes déplacées à l’intérieur du pays et le nombre de personnes expulsées des camps. Il regrette aussi que l’État partie n’ait pas fourni d’informations sur les ressources humaines et budgétaires allouées aux camps de personnes déplacées. Il regrette également l’absence d’informations statistiques, ventilées par âge, sexe et pays d’origine, sur les personnes qui ont demandé et obtenu l’asile (art. 3 et 16).

40. L’État partie devrait renforcer la protection des demandeurs d’asile, des réfugiés et des personnes déplacées à l’intérieur du pays et empêcher qu’ils ne soient maltraités. En particulier, il devrait allouer des ressources humaines et financières suffisantes aux camps de demandeurs d’asile, de réfugiés et de personnes déplacées à l’intérieur du pays, en coopération avec les partenaires internationaux, afin de protéger ces personnes contre les exactions et de garantir leur accès à une nourriture, une eau et des installations sanitaires suffisantes et adéquates, ainsi qu’à des soins médicaux et psychologiques. Il devrait en outre s’assurer qu’aucune expulsion illégale n’a lieu et que les personnes hébergées dans les camps sont pleinement informées de leurs droits.

Formation

41.Le Comité prend note des informations fournies par l’État partie au sujet des programmes de formation destinés aux membres des forces de l’ordre, aux juges, aux procureurs et aux garde-frontières. Il regrette toutefois que l’État partie n’ait pas répondu à certaines de ses questions portant spécifiquement sur la formation des juges et des procureurs ainsi que du personnel médico-légal et médical, en indiquant par exemple si les programmes de formation existants font référence au Manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Protocole d’Istanbul, tel que révisé) et s’il dispose d’une méthode permettant d’évaluer l’efficacité de ces programmes de formation, notamment pour ce qui est de réduire le nombre de cas de torture et de mauvais traitements (art. 2, 10 et 16).

42. L’État partie devrait  :

a) Dispenser un enseignement et développer plus avant les programmes de formation continue afin que tous les agents de l’État, en particulier les membres des forces de l’ordre, les agents de la sécurité nationale, le personnel militaire, les garde ‑ frontières, le personnel pénitentiaire, les juges et les procureurs connaissent bien les dispositions de la Convention, tout particulièrement en ce qui concerne l’interdiction absolue de la torture, et qu’ils sachent qu’aucun manquement ne sera toléré, que toute violation donnera lieu à une enquête et que les responsables seront poursuivis et, s’ils sont reconnus coupables, dûment punis  ;

b) Veiller à ce que tous les intervenants concernés, notamment les membres du personnel médico-légal et médical, les juges et les procureurs, soient spécifiquement formés à déceler et attester les cas de torture et de mauvais traitements et à les signaler aux autorités compétentes, conformément au Protocole d’Istanbul (tel que révisé)  ;

c) Établir et appliquer une méthode permettant d’évaluer l’efficacité et les effets des programmes d’éducation et de formation relatifs à la Convention et au Protocole d’Istanbul (tel que révisé).

Réparations

43.Le Comité regrette que la délégation de l’État partie n’ait pas fourni de renseignements précis en ce qui concerne les réparations, notamment le cadre juridique applicable et les mesures d’indemnisation qui ont été ordonnées par les tribunaux nationaux ou d’autres organes de l’État et dont ont effectivement bénéficié les victimes de torture ou leur famille. Il regrette également que l’État partie n’ait communiqué aucune information sur les programmes de réparation, ni sur les mesures prises pour soutenir et faciliter les activités des organisations non gouvernementales visant à assurer la réadaptation des victimes d’actes de torture ou de mauvais traitements (art. 14).

44. L’État partie devrait s’employer, notamment dans le cadre de la coopération internationale, à faire en sorte que toutes les victimes d’actes de torture ou de mauvais traitements obtiennent réparation, notamment qu’elles puissent faire valoir devant les tribunaux leur droit à une indemnisation équitable et adéquate, ainsi qu’aux moyens nécessaires à une réadaptation la plus complète possible. Le Comité rappelle à l’État partie son observation générale n o 3 (2012), dans laquelle il explique le contenu et la portée de l’obligation qui incombe aux États parties de garantir une réparation complète aux victimes d’actes de torture. L’État partie devrait réunir et faire parvenir au Comité des informations sur les mesures de réparation et d’indemnisation, y compris les moyens de réadaptation, qui ont été ordonnées par les tribunaux ou d’autres organes de l’État et dont les victimes d’actes de torture ou de mauvais traitements ont effectivement bénéficié.

Procédure de suivi

45. Le Comité demande à l’État partie de lui faire parvenir le 25 novembre 2023 au plus tard des renseignements sur la suite qu’il aura donnée à ses recommandations concernant la définition et l’incrimination de la torture, l’institution nationale des droits de l’homme et les enquêtes sur les allégations de torture (voir plus haut, par.  8, 12 et 18 a)). L’État partie est aussi invité à informer le Comité des mesures qu’il prévoit de prendre pour appliquer, d’ici la soumission de son prochain rapport, tout ou partie des autres recommandations formulées dans les présentes observations finales.

Autres questions

46. Le Comité recommande à l’État partie d’envisager de faire la déclaration prévue à l’article 22 de la Convention, par laquelle les État reconnaissent la compétence du Comité pour recevoir et examiner des communications présentées par ou pour le compte de particuliers relevant de sa juridiction qui affirment être victimes d’une violation, par un État partie, des dispositions de la Convention.

47. L’État partie est invité à diffuser largement le rapport soumis au Comité ainsi que les présentes observations finales, dans les langues voulues, au moyen des sites Web officiels et par l’intermédiaire des médias et des organisations non gouvernementales, et à informer le Comité des activités menées à cet effet.

48. L’État partie est également invité à soumettre son document de base commun conformément aux instructions qui figurent dans les Directives harmonisées concernant l’établissement des rapports destinés aux organes créés en vertu d’instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme .

49. Le Comité prie l’État partie de soumettre son prochain rapport périodique, qui sera le deuxième, le 25 novembre 2026 au plus tard. À cette fin, et compte tenu du fait qu’il a accepté d’établir son rapport selon la procédure simplifiée, le Comité lui fera parvenir en temps utile une liste préalable de points à traiter. Les réponses de l’État partie à cette liste constitueront son deuxième rapport périodique au titre de l’article 19 de la Convention, que le Comité l’engage à soumettre en temps voulu.