Nations Unies

CERD/C/ARG/CO/24-26

Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale

Distr. générale

24 mai 2023

Français

Original : espagnol

Comité pour l’élimination de la discrimination raciale

Observations finales concernant le rapport de l’Argentine valant vingt-quatrième à vingt-sixième rapports périodiques *

1.Le Comité a examiné le rapport de l’Argentine valant vingt-quatrième à vingt-sixième rapports périodiques à ses 2965e et 2966e séances, les 17 et 18 avril 2023. À sa 2976e séance, le 26 avril 2023, il a adopté les présentes observations finales.

A.Introduction

2.Le Comité accueille avec satisfaction le rapport de l’État partie valant vingt-quatrième à vingt-sixième rapports périodiques, ainsi que le rapport de mise à jour. Il se félicite du dialogue ouvert et constructif qu’il a eu avec la délégation de haut niveau de l’État partie et accueille avec intérêt les renseignements fournis à cette occasion.

B.Aspects positifs

3.Le Comité salue les mesures législatives, institutionnelles et politiques ci-après prises par l’État partie :

a)La création du programme national « Ascendance africaine et droits de l’homme », en 2022 ;

b)L’adoption du décret no 138/2021 du 5 mars 2021 rétablissant la pleine validité de la loi sur les migrations (loi no 25871) ;

c)La mise en place de la première table ronde interministérielle sur les politiques publiques en faveur de la communauté d’ascendance africaine en Argentine, en 2020 ;

d)La décision no 230/2020 de l’Institut national de lutte contre la discrimination, la xénophobie et le racisme du 22 décembre 2020 portant création de la Commission pour la reconnaissance historique de la communauté afro-argentine ;

e)La création du Ministère de la femme, du genre et de la diversité, en 2019 ;

f)La décision no 1055/2019 du Ministère de la justice et des droits de l’homme du 10 octobre 2019 portant création du programme national pour la mise en œuvre de la Décennie internationale des personnes d’ascendance africaine ;

g)L’adoption de la loi générale sur la reconnaissance et la protection des apatrides (loi no 27512) du 17 juillet 2019 ;

h)La mise en place de la table ronde interministérielle sur les peuples autochtones, en 2017.

C.Préoccupations et recommandations

Collecte de données

4.Le Comité note que le critère relatif à l’auto-identification ethnique et raciale des personnes autochtones et des personnes d’ascendance africaine a été appliqué à l’occasion du onzième recensement national de la population, des ménages et des logements effectué en 2022, dont les résultats définitifs seront publiés prochainement, et que la campagne « Me reconozco » (Je me reconnais comme tel) a été organisée avant le dernier recensement. Il constate toutefois avec préoccupation qu’en dépit des mesures prises par l’État partie, ce critère n’est pas appliqué systématiquement lors des collectes de données effectuées par les différentes institutions publiques et à tous les niveaux, ce qui limite la possibilité de produire des données et des indicateurs fiables sur les besoins de tous les groupes ethniques ou raciaux de la population. Il regrette l’absence de statistiques ventilées et d’indicateurs socioéconomiques permettant de mesurer les progrès accomplis dans la réalisation des droits énoncés dans la Convention et leur exercice par les peuples autochtones, les personnes d’ascendance africaine, les Roms et les autres minorités, ainsi que par les migrants, les réfugiés, les demandeurs d’asile et les apatrides, et d’évaluer les conditions de vie de ces personnes (art. 2).

5.Eu égard à sa recommandation générale n o 4 (1973) concernant les rapports présentés par les États parties, dans laquelle il est question de la composition démographique de la population, et à ses précédentes observations finales , le Comité recommande à l’État partie de promouvoir la collecte systématique de données, notamment la prise en compte de la variable ethnique et raciale, par les institutions publiques à tous les niveaux . Il lui demande en outre de fournir, dans son prochain rapport, des données fiables, actualisées et complètes sur la composition démographique de la population, ainsi que des indicateurs des droits de l’homme et socioéconomiques , ventilés par origine ethnique, sexe, âge, province, zone urbaine ou rurale, en particulier sur les peuples autochtones, les communautés d’ascendance africaine, les Roms et les autres minorités, ainsi que sur les migrants, les réfugiés, les demandeurs d’asile et les apatrides .

Application de la Convention

6.Le Comité note que la Convention a rang constitutionnel en vertu de l’article 75 (par. 22) de la Constitution de l’État partie. Il regrette toutefois que l’État partie n’ait pas fourni suffisamment de renseignements sur les cas dans lesquels ses tribunaux ont appliqué directement des dispositions de la Convention (art. 1er et 6).

7.Le Comité recommande à l’État partie de prendre des mesures appropriées, notamment en organisant régulièrement des formations sur les dispositions de la Convention à l’intention des juges, des procureurs, des défenseurs publics, des membres des forces de l’ordre et d’autres agents publics, afin de veiller à ce que cet instrument soit appliqué systématiquement par toutes les institutions de l’État et aux différents niveaux de pouvoir . Il lui recommande également de redoubler d’efforts pour sensibiliser la population, notamment les groupes les plus exposés à la discrimination raciale, aux dispositions de la Convention et aux mécanismes de plainte, ainsi qu’aux recours judiciaires et non judiciaires qui sont ouverts pour faire valoir les droits consacrés par la Convention . Il note en outre que malgré la structure fédérale qui peut empêcher l’État partie de s’acquitter pleinement et sur l’ensemble de son territoire des obligations mises à sa charge par la Convention, le Gouvernement fédéral doit veiller à ce que la Convention s’applique sur tout son territoire, et il l’engage à redoubler d’efforts pour s’assurer que les autorités provinciales ont connaissance des droits énoncés dans la Convention et prennent les mesures voulues pour les respecter .

Mesures législatives

8.Le Comité prend note des renseignements fournis par l’État partie concernant les projets de loi en cours visant à modifier la loi nationale sur les actes discriminatoires (loi no 23592) afin que l’orientation sexuelle et l’identité de genre soient reconnues comme des motifs de discrimination. Il s’inquiète toutefois de ce que la législation nationale ne couvre pas tous les éléments énoncés aux articles 1er et 4 de la Convention (art. 1er et 4).

9.Eu égard à ses précédentes observations finales , le Comité recommande à l’État partie, dans le cadre des projets de réforme législative en cours, de faire figurer dans son droit interne une définition de la discrimination raciale qui reprend tous les éléments énoncés à l’article premier (par . 1) de la Convention et s’applique aux actes de discrimination tant directe qu’indirecte dans tous les domaines du droit et de la vie publique, ainsi qu’aux formes de discrimination croisée . Il lui recommande également d ’ ériger en infraction pénale les actes de discrimination raciale et les comportements décrits à l ’ article 4 de la Convention . Il appelle son attention sur ses recommandations générales n o 14 (1993) sur le paragraphe 1 de l’article premier de la Convention, n o 7 (1985) sur l’application de l’article 4 de la Convention, n o 15 (1993) sur l’article 4 de la Convention et n o 35 (2013) sur la lutte contre les discours de haine raciale .

Bureau du Défenseur du peuple et Bureau du Défenseur public

10.Le Comité constate toujours avec préoccupation que, depuis 2009, l’État partie n’a pas nommé de Défenseur du peuple. Il s’inquiète en outre d’apprendre que la procédure de sélection et de nomination du Défenseur du peuple n’est toujours pas suffisamment claire, transparente et participative. Il prend note du travail important effectué par le Bureau du Défenseur du peuple, mais regrette de ne pas avoir reçu suffisamment d’informations sur les ressources humaines et financières allouées à cette entité. Il se félicite de la nomination, en juin 2020, de la Défenseuse publique chargée des services de communication audiovisuelle, mais regrette de ne pas avoir reçu suffisamment d’informations sur les ressources humaines et financières allouées à l’institution qu’elle dirige (art. 2).

11.Eu égard à ses précédentes observations finales, le Comité  :

a) Exhorte l’État partie à redoubler d’efforts pour parvenir à la nomination d’un défenseur du peuple et lui recommande de prendre les mesures voulues pour que la procédure de sélection et de nomination soit suffisamment claire, transparente et participative, en faisant en sorte qu’elle respecte pleinement les Principes concernant le statut des institutions nationales pour la promotion et la protection des droits de l’homme (Principes de Paris) et tienne dûment compte des recommandations du Sous ‑ Comité d’accréditation de l’Alliance mondiale des institutions nationales des droits de l’homme  ;

b) Recommande à l’État partie de prendre les mesures nécessaires pour renforcer les ressources humaines et financières allouées au Bureau du Défenseur du peuple et au Bureau du Défenseur public chargé des services de communication audiovisuelle afin qu’ils puissent s’acquitter pleinement de leur mandat .

Cadre institutionnel

12.Le Comité salue les travaux de l’Institut national de lutte contre la discrimination, la xénophobie et le racisme, par exemple, l’établissement périodique d’une carte nationale de la discrimination et la création de la Commission pour la reconnaissance historique de la communauté afro-argentine, en 2020. Il prend note des travaux de l’Institut national des affaires autochtones, parmi lesquels on peut souligner le Programme de renforcement communautaire et la médiation en cas de conflit entre les communautés et d’autres acteurs sociaux. Il reste toutefois préoccupé par :

a)L’ingérence dans les affaires de l’Institut national de lutte contre la discrimination, la xénophobie et le racisme, observée depuis 2011, qui pourrait restreindre son indépendance et sa capacité d’action, et l’insuffisance des ressources humaines et financières qui lui sont allouées, en dépit de l’augmentation importante du budget depuis 2021, pour lui permettre de s’acquitter pleinement de son mandat, en particulier dans les provinces et dans les zones reculées du pays, et aider la Commission pour la reconnaissance historique de la communauté afro-argentine à remplir le sien ;

b)Le manque d’informations sur la question de savoir si les autochtones sont pleinement et systématiquement représentés au sein de l’Institut national des affaires autochtones, notamment à la présidence, ainsi qu’au sein du Conseil de la participation autochtone et du Conseil de la participation et de la consultation des peuples autochtones ; la présence limitée de l’Institut national des affaires autochtones dans les provinces et dans les régions reculées du pays où vivent des autochtones ; l’insuffisance des ressources humaines, techniques et financières allouées à l’Institut pour lui permettre de remplir pleinement son mandat, notamment en ce qui concerne le recensement des terres et territoires traditionnellement occupés par les peuples autochtones (art. 2).

13. Eu égard à ses précédentes observations finales , le Comité exhorte l’État partie à  :

a) Reconduire les mesures visant à renforcer l’Institut national de lutte contre la discrimination, la xénophobie et le racisme, en mettant fin à l’ingérence à laquelle elle est sujette  ; augmenter encore les ressources humaines et financières qui lui sont allouées, afin que cette entité ainsi que la Commission pour la reconnaissance historique de la communauté afro-argentine puissent remplir pleinement leur mandat  ; mettre à jour plus fréquemment la carte nationale de la discrimination et continuer d’accroître la présence de l’Institut national dans toutes les provinces et dans les zones les plus reculées du pays  ;

b) Prendre les mesures voulues pour que les peuples autochtones, les communautés d’ascendance africaine, les autres minorités et les migrants participent pleinement et effectivement aux travaux des institutions qui les représentent ou qui luttent contre la discrimination raciale, notamment l’Institut national de lutte contre la discrimination, la xénophobie et le racisme et l’Institut national des affaires autochtones, et allouer des ressources humaines, techniques et financières suffisantes à l’Institut national des affaires autochtones pour qu’il puisse s’acquitter pleinement de son mandat, en particulier en ce qui concerne le recensement des terres et territoires traditionnellement occupés par les peuples autochtones .

Plans nationaux relatifs aux droits de l’homme et à la lutte contre la discrimination

14.Le Comité prend note du premier Plan d’action national en faveur des droits de l’homme (2017-2020), mais regrette de ne pas avoir reçu suffisamment d’informations sur les résultats de son application, notamment en ce qui concerne la discrimination raciale. Il prend note également des efforts déployés pour élaborer le Plan national de lutte contre la discrimination, mais regrette que ce plan n’ait pas été adopté à ce jour (art. 2 et 5).

15. Le Comité recommande à l’État partie  :

a) De rendre compte des résultats de l’application du premier Plan d’action national en faveur des droits de l’homme (2017-2020), notamment en ce qui concerne l’efficacité de la lutte contre la discrimination raciale, et d’élaborer et d’adopter un nouveau plan d’action national en faveur des droits de l’homme  ;

b) De redoubler d’efforts pour adopter dans les meilleurs délais le plan national de lutte contre la discrimination, et de veiller à ce qu’il prévoie des mesures visant à combattre la discrimination raciale, le racisme et la xénophobie, ainsi que la discrimination et le racisme structurels  ;

c) De garantir que les groupes les plus exposés à la discrimination raciale, en particulier les peuples autochtones, les communautés d’ascendance africaine, les migrants, les demandeurs d’asile et les réfugiés, participent activement et pleinement à l’élaboration des plans susmentionnés, à leur suivi et à l’évaluation des progrès réalisés et des résultats obtenus  ;

d) De mettre en place des mécanismes de suivi de l’application de ces plans, et de consacrer suffisamment de ressources financières à leur application effective à tous les niveaux de pouvoir .

Programmes et plans nationaux relatifs aux personnes d’ascendance africaine

16.Le Comité salue la création du programme national pour la mise en œuvre de la Décennie internationale des personnes d’ascendance africaine, en 2019, de la première table ronde interministérielle sur les politiques publiques en faveur de la communauté d’ascendance africaine en Argentine, en 2020, et du programme national « Ascendance africaine et droits de l’homme », en 2022. Il est toutefois préoccupé d’apprendre que les politiques publiques visant à garantir la non-discrimination et la protection des droits humains des personnes d’ascendance africaine ne sont guère appliquées. Il regrette également que le plan national « Afro » n’ait pas encore été adopté (art. 2 et 5).

17.Le Comité recommande à l’État partie de prendre les mesures voulues pour que les politiques publiques visant à garantir la non-discrimination des personnes d’ascendance africaine et la protection de leurs droits humains soient effectivement appliquées, notamment d’y consacrer suffisamment de ressources humaines, techniques et financières, de mettre en place des mécanismes de coordination et de suivi et de veiller à ce que les personnes d’ascendance africaine participent effectivement à l’élaboration, au suivi et à l’évaluation de ces politiques et aux activités des institutions créées à cette fin . Il lui recommande également de redoubler d’efforts pour que le plan national « Afro » soit adopté rapidement .

Discours et crimes de haine à caractère raciste

18.Le Comité prend note des mesures prises pour lutter contre les discours de haine, notamment de la création du groupe d’étude de la culture de la haine, en 2020, du réseau d’études et d’actions concernant les discours de haine, en 2022, et de l’observatoire des médias et des réseaux sociaux. Il est toutefois préoccupé d’apprendre que les discours de haine et la xénophobie à l’égard des populations qui en sont traditionnellement victimes, en particulier les peuples autochtones, les communautés d’ascendance africaine, les migrants, les demandeurs d’asile et les réfugiés, se sont intensifiés, y compris sur Internet et les plateformes numériques, et de la part de personnalités et d’autorités publiques aux niveaux national et provincial. Il regrette l’absence d’informations sur la prise en compte effective des circonstances aggravantes prévues par la législation de l’État partie en cas de crime à caractère raciste ou motivé par la haine raciale. Parmi les cas de violence raciale, le Comité s’inquiète des informations selon lesquelles le caractère raciste du meurtre de Fernando Baez Sosa, âgé de 18 ans, n’a pas été suffisamment pris en compte, en dépit des témoignages indiquant que la victime a été la cible d’insultes racistes au moment des faits. Il regrette en outre l’absence d’informations sur les plaintes, les enquêtes et les sanctions dont font l’objet les auteurs de crimes de haine et d’actes de violence à caractère raciste, et sur les réparations accordées aux victimes ou à leur famille, ainsi que sur l’existence, aux niveaux fédéral et provincial, d’un système d’enregistrement et de collecte de données sur ces crimes (art. 4).

19. Le Comité recommande à l’État partie  :

a) De prendre les mesures voulues pour prévenir, condamner et combattre les discours de haine raciale à l’égard des peuples autochtones, des personnes d’ascendance africaine, des migrants, des demandeurs d’asile et des réfugiés, y compris sur Internet et les plateformes numériques, et de la part de personnalités publiques et d ’ autorités aux niveaux national et provincial  ;

b) De redoubler d’efforts pour prévenir la prolifération des discours de haine raciale sur Internet et les plateformes de réseaux sociaux, en étroite collaboration avec les fournisseurs de services et les populations les plus touchées par ce type de discours  ;

c) De faire en sorte que les discours et crimes de haine à caractère raciste fassent l’objet d’enquêtes approfondies, que les auteurs soient sanctionnés, que la circonstance aggravante que constitue la haine raciale, prévue par la législation nationale, soit dûment prise en compte, si nécessaire, et que les victimes ou leur famille obtiennent réparation  ;

d) De poursuivre et d’intensifier les campagnes de sensibilisation du public visant à mettre fin aux préjugés et à la stigmatisation à l’égard des populations qui en sont traditionnellement victimes, et de promouvoir le respect de la diversité et l’élimination de la discrimination raciale, notamment des discours et des crimes de haine à caractère raciste  ;

e) De prendre les mesures voulues pour garantir l’enregistrement systématique, aux niveaux fédéral et provincial, des discours et crimes de haine à caractère raciste, y compris pour mettre en place un système de collecte de données sur ces crimes, ventilées notamment par origine ethnique, nationalité et genre des victimes .

Discrimination structurelle

20.Le Comité sait gré à l’État partie d’avoir admis l’existence du racisme structurel dont sont victimes principalement les peuples autochtones, les personnes d’ascendance africaine et les migrants, et prend note des mesures adoptées dans le domaine économique et social pour lutter contre la pauvreté et les inégalités touchant ces groupes, qui en sont traditionnellement victimes, ainsi que des mesures spéciales ou positives prises en faveur de ces communautés. Il reste toutefois préoccupé par la discrimination et le racisme structurels ainsi que par l’invisibilité dont continuent d’être victimes les peuples autochtones, les personnes d’ascendance africaine et les non-ressortissants, y compris les migrants, les demandeurs d’asile et les réfugiés, et qui se traduisent par des taux élevés de pauvreté et d’exclusion sociale, en particulier chez les personnes qui vivent dans les zones rurales et reculées. Il est également préoccupé par les effets de la discrimination et du racisme structurels sur l’exercice effectif des droits énoncés à l’article 5 de la Convention, notamment le droit de prendre part au gouvernement et à la direction des affaires publiques, et des droits économiques, sociaux et culturels, en particulier l’accès à l’emploi et le droit à l’alimentation, à la santé et à l’éducation (art. 2 et 5).

21.Eu égard à ses précédentes observations finales et à la lumière de sa recommandation générale n o 32 (2009) sur la signification et la portée des mesures spéciales dans la Convention, le Comité recommande à l’État partie d’adopter, à tous les niveaux de pouvoir, les mesures spéciales ou les mesures d’action positive nécessaires visant à éliminer la discrimination structurelle dont sont victimes les peuples autochtones, les personnes d’ascendance africaine et les non-ressortissants . Il rappelle que, conformément à la recommandation générale susmentionnée, les autorités fédérales ont la responsabilité d’élaborer un cadre propice à l’application homogène de mesures spéciales dans tous les territoires de l’État, qui doivent être conçues et appliquées après consultation des communautés touchées et avec leur participation active . Il recommande en outre à l’État partie  :

a) De redoubler d’efforts pour réduire les taux élevés d’inégalité et de pauvreté qui touchent les peuples autochtones, les personnes d’ascendance africaine et les non-ressortissants  ;

b) D’adopter des mesures efficaces pour assurer la pleine participation des peuples autochtones et des personnes d’ascendance africaine aux affaires publiques et au gouvernement, aux niveaux fédéral, provincial et local, et pour favoriser leur représentation aux postes de décision dans les secteurs public et privé  ;

c) De prendre des mesures supplémentaires pour lutter contre la discrimination raciale dans le domaine de l’emploi dont sont victimes en particulier les personnes autochtones, les personnes d’ascendance africaine et les migrants et pour permettre à ces personnes d’avoir plus facilement accès au secteur structuré de l’économie  ;

d) De faire en sorte que les mesures prises pour lutter contre la faim aient des effets concrets sur les personnes autochtones, les personnes d’ascendance africaine et les migrants et contribuent notamment à réduire la dénutrition infantile qui touche particulièrement les peuples autochtones  ;

e) De redoubler d’efforts pour que les personnes autochtones, les personnes d’ascendance africaine et les migrants aient accès dans des conditions d’égalité à des services de santé de qualité et culturellement adaptés et pour réduire la mortalité maternelle et juvénile dans les communautés autochtones  ;

f) D’adopter des mesures supplémentaires pour lutter contre la discrimination raciale dans l’éducation, qui touche en particulier les personnes autochtones, les personnes d’ascendance africaine et les migrants, et pour garantir la disponibilité, l’accessibilité et la qualité de l’enseignement à tous les niveaux pour les enfants de ces communautés, y compris des mesures visant à renforcer l’éducation interculturelle bilingue pour les communautés autochtones .

Recours au profilage racial

22.Le Comité constate avec préoccupation que les agents de police et les autres membres des forces de l’ordre continuent de pratiquer le profilage racial, en particulier à l’égard des personnes issues de peuples autochtones, des personnes d’ascendance africaine, des migrants, des demandeurs d’asile et des réfugiés, ce qui donne lieu, dans de nombreux cas, à des violences policières et, dans certains cas, à des morts. Il regrette de ne pas avoir reçu suffisamment d’informations sur l’existence aux niveaux fédéral et provincial de lois qui interdisent expressément le profilage racial. Il constate en outre avec préoccupation que l’État partie ne s’est pas pleinement conformé à l’arrêt rendu par la Cour interaméricaine des droits de l’homme le 31 août 2020 en l’affaire Acosta Martínez y otros vs . Argentina par lequel il s’est vu ordonner notamment d’organiser une formation sur le caractère discriminatoire du profilage racial auquel la police a recours lorsqu’elle procède à des arrestations dans le cadre des pouvoirs qui lui sont conférés et sur l’effet préjudiciable de cette pratique sur les personnes d’ascendance africaine, et de mettre en place un mécanisme chargé d’enregistrer les plaintes de personnes qui affirment avoir fait l’objet d’une détention arbitraire fondée sur le profilage racial (art. 2, 4 et 5).

23.À la lumière de sa recommandation générale n o 36 (2020) sur la prévention et l’élimination du recours au profilage racial par les représentants de la loi, le Comité recommande à l’État partie d’adopter une législation interdisant expressément le profilage racial de la part des agents des forces de l’ordre, aux niveaux fédéral et provincial . Il lui recommande également de prendre les mesures voulues pour prévenir la pratique du profilage racial et y mettre fin, notamment en dispensant une formation continue aux agents des forces de l’ordre à tous les niveaux, de tenir compte de la recommandation générale susmentionnée, de faciliter le signalement et l’enregistrement des cas de profilage racial, d’enquêter sur les responsables et de les sanctionner . Il lui recommande en outre de redoubler d’efforts pour se conformer pleinement à l’arrêt rendu par la Cour interaméricaine des droits de l’homme en l’affaire Acosta Martínez y otros vs . Argentina.

Emploi excessif de la force par les membres des forces de l’ordre

24.Le Comité prend note des mesures prises pour traiter les cas de violence policière et de violence institutionnelle, notamment des travaux menés par la Direction nationale des politiques de lutte contre la violence institutionnelle, qui relève du Secrétariat aux droits de l’homme, et des formations sur l’emploi de la force dispensées aux membres des forces de l’ordre. Il est toutefois préoccupé par les nombreuses allégations selon lesquelles les violences policières, dont certaines ont entraîné la mort de la victime, ont des conséquences disproportionnées pour les personnes autochtones, les personnes d’ascendance africaine et les migrants. Il s’inquiète en outre d’apprendre que les victimes ou leur famille font souvent face à des difficultés, notamment des discriminations, qui les empêchent d’accéder à la justice, et que les responsables ne sont généralement pas sanctionnés. Il est également préoccupé par l’absence, aux niveaux fédéral et provincial, de statistiques unifiées et fiables, ventilées par origine ethnique de la victime, qui permettraient de connaître l’ampleur de ce type de violence (art. 2, 4, 5 et 6).

25.Le Comité recommande à l’État partie d’adopter, aux niveaux fédéral et provincial, les mesures voulues pour prévenir les actes de violence policière et institutionnelle, notamment d’accélérer l’adoption du projet de loi visant à lutter de façon globale contre la violence institutionnelle exercée par des membres des services de sécurité et des agents pénitentiaires et de mettre en place à l’intention des membres des forces de l’ordre des programmes permanents de formation à l’emploi de la force dans le respect des normes internationales, notamment les Principes de base sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois et les Lignes directrices des Nations Unies basées sur les droits de l’homme portant sur l’utilisation des armes à létalité réduite dans le cadre de l’application des lois . Il lui recommande également de faire en sorte que tous les cas de violence policière et institutionnelle fassent l’objet d’une enquête, que les responsables soient sanctionnés et que les victimes et leur famille obtiennent une réparation adéquate . Il lui recommande enfin de mettre en place, aux niveaux fédéral et provincial, un système d’enregistrement permettant d’établir des statistiques unifiées, fiables et ventilées, notamment par origine ethnique, nationalité et sexe des victimes .

Liberté de réunion pacifique et défenseurs et défenseuses des droits de l’homme

26.Le Comité est préoccupé par les informations indiquant une augmentation du nombre de mesures et d’initiatives législatives au niveau provincial qui restreignent indûment le droit de réunion pacifique des minorités, en particulier des peuples autochtones, comme le décret no 91/23 adopté par la province de Salta et l’initiative législative lancée dans la province de Jujuy et visant à réformer la Constitution provinciale et à limiter les mouvements de protestation sociale. Il est également préoccupé par les diverses allégations selon lesquelles les forces de l’ordre et les sociétés de sécurité privées font un usage excessif de la force à l’égard des membres de minorités ethniques, notamment de peuples autochtones, qui manifestent pour défendre leurs droits. Il demeure préoccupé par les allégations selon lesquelles les dirigeants et les représentants de peuples autochtones, les personnes d’ascendance africaine et les migrants qui défendent leurs droits, ainsi que les défenseurs et défenseuses des droits de l’homme qui militent en faveur des droits de ces groupes de population, sont victimes de représailles, d’actes d’intimidation et de menaces et font l’objet d’un nombre disproportionné de procédures pénales. Il est également préoccupé par les allégations selon lesquelles le peuple mapuche et ses dirigeants sont stigmatisés et considérés, notamment par de hauts fonctionnaires provinciaux, comme un groupe lié au terrorisme (art. 5).

27.Le Comité recommande à l’État partie de prendre toutes les mesures voulues, notamment au niveau provincial, pour garantir l’exercice du droit de réunion pacifique sans aucune discrimination fondée sur la race, la couleur, l’ascendance ou l’origine nationale ou ethnique . Il lui recommande également d’enquêter sur les plaintes dénonçant l’emploi excessif de la force au cours de manifestations pacifiques, le recours à des représailles, des actes d’intimidations et des menaces, et l’engagement d’un nombre disproportionné de poursuites pénales contre les dirigeants et les représentants de peuples autochtones, les communautés d’ascendance africaine et les migrants qui défendent leurs droits, ainsi que contre les défenseurs et défenseuses des droits de l’homme qui militent en faveur des droits de ces groupes de population . Il lui recommande en outre de prendre des mesures adéquates pour combattre la stigmatisation et les préjugés à l’égard des dirigeants et des représentants du peuple mapuche qui cherchent à défendre leurs droits .

Consultation et consentement préalable, libre et éclairé

28.Le Comité prend note des efforts déployés par l’État partie, notamment de la création d’un espace de renforcement communautaire et de consultation préalable, libre et éclairée au sein de l’Institut national des affaires autochtones, en 2021, ainsi que des mesures législatives et des mécanismes de consultation préalable mis en place dans les provinces. Il demeure toutefois préoccupé par l’absence de réglementation régissant les procédures de consultation visant à obtenir le consentement préalable, libre et éclairé des peuples autochtones, ainsi que de mécanismes efficaces permettant la tenue de ces consultations. Il s’inquiète en outre des allégations concernant les effets néfastes que les activités extractives, les projets d’infrastructure et les projets touristiques et agro-industriels ont sur les territoires, les ressources et les modes de vie traditionnels des peuples autochtones (art. 2 et 5).

29.Eu égard à ses précédentes observations finales , le Comité exhorte l’État partie à adopter une loi nationale régissant les procédures de consultation visant à obtenir le consentement préalable, libre et éclairé des peuples autochtones, à créer des mécanismes appropriés permettant la tenue de ces consultations et à veiller à ce que les peuples autochtones participent effectivement à l’élaboration d’une telle loi et à la mise en place des mécanismes de consultation . Il lui recommande de faire en sorte que les mesures législatives ou administratives adoptées aux niveau x fédéral ou provincial, ainsi que les projets d’infrastructure et d’exploitation des ressources naturelles, susceptibles d’avoir des conséquences pour les peuples autochtones, fassent l’objet de processus de consultation visant à obtenir le consentement préalable, libre et éclairé de ces communautés . Il lui recommande également de garantir que les peuples autochtones participent effectivement à l’élaboration du plan d’action national sur les entreprises et les droits de l’homme, et de veiller à ce que ce plan mette en évidence le fait qu’il faut protéger et respecter les droits des peuples autochtones dans le cadre des activités des entreprises et établir des mécanismes efficaces et accessibles permettant de réparer les préjudices que pourraient subir ces communautés .

Propriété collective et expulsions des peuples autochtones

30.Le Comité reste préoccupé par l’absence de règles permettant de garantir la propriété collective des terres traditionnellement occupées par les peuples autochtones, en dépit des dispositions de l’article 75 (par. 17) de la Constitution de l’État partie et de l’arrêt rendu le 6 février 2020 par la Cour interaméricaine des droits de l’homme en l’affaire Comunidades indígenas miembros de la Asociación Lhaka Honhat (Nuestra Tierra) vs . Argentina. Il prend note des mesures prises pour procéder au recensement ou à la délimitation des terres, comme le prévoit la loi no 26160, mais reste préoccupé par le peu de progrès réalisés dans le domaine du recensement et par l’absence d’un mécanisme chargé de délivrer des titres de propriété sur les terres traditionnellement occupées par les peuples autochtones, en dépit des mesures prises à cette fin dans certaines provinces, comme l’a indiqué la délégation de l’État partie. Il se félicite que la Cour interaméricaine des droits de l’homme ait validé l’accord partiel conclu entre les communautés membres de l’association Lhaka Honhat, mais constate avec préoccupation que d’importantes mesures ordonnées par la Cour, notamment l’adoption de dispositions d’ordre législatif ou autre visant à garantir que les droits de propriété collective des communautés autochtones bénéficient d’une sécurité juridique, n’ont pas encore été appliquées. Il est également préoccupé par les informations reçues indiquant que, le 29 mars 2023, la Chambre des députés de la province de Mendoza a adopté un projet de loi disposant que les Mapuche ne doivent pas être considérés comme un peuple autochtone argentin au sens de l’article 75 (par. 17) de la Constitution nationale et des dispositions des traités internationaux (art. 5).

31.Eu égard à ses précédentes observations finales , le Comité exhorte l’État partie à adopter les mesures législatives et administratives voulues pour garantir les droits de propriété collective des peuples autochtones et mettre en place, aux niveaux fédéral et provincial, des mécanismes efficaces chargés de délivrer des titres de propriété sur les terres traditionnellement occupées par les peuples autochtones . Il lui recommande de redoubler d’efforts pour appliquer la loi n o 26160 et achever rapidement le processus de recensement des territoires autochtones, notamment en augmentant les ressources humaines, techniques et financières allouées à l’Institut national des affaires autochtones et au Programme national de recensement des terres des communautés autochtones . Il lui recommande également d’intensifier l’action menée pour appliquer pleinement les mesures ordonnées par la Cour interaméricaine des droits de l’homme dans l’affaire Lhaka Honhat. Il l’exhorte en outre à adopter les mesures voulues pour que les droits reconnus par la Convention à tous les peuples autochtones vivant sur son territoire, notamment au peuple mapuche, soient pleinement respectés, à tous les niveaux de pouvoir, y compris au niveau provincial .

32.Le Comité demeure particulièrement préoccupé par les expulsions de peuples autochtones, qui se poursuivent en dépit du fait que la loi no 26160 et ses versions ultérieures, visent à en suspendre l’exécution, ainsi que par les diverses allégations selon lesquelles des communautés autochtones sont victimes de violences policières lors de ces expulsions ou des manifestations organisées contre celles-ci, comme l’ont été notamment la communauté mapuche Lafken Winkul Mapu, à Villa Mascardi, au cours d’une manifestation qui s’est soldée par la mort de Rafael Nahuel, le 25 novembre 2017, la communauté guaranie Cheru Tempa, dans la province de Salta, en juillet 2020, la communauté Tusca Pacha, appartenant au peuple Kolla, dans la province de Jujuy, en octobre 2020, et les communautés des localités de Tolombón et de El Mollar, dans la province de Tucumán, respectivement en août 2021 et février 2022. Il est également préoccupé par les informations selon lesquelles des communautés autochtones sont la cible d’actes de violence commis par des bandes armées, en particulier dans les provinces de Santiago del Estero et de Río Negro (art. 5).

33. Eu égard à ses précédentes observations finales , le Comité exhorte l’État partie à prendre toutes les mesures nécessaires pour que la loi n o 26160 et ses versions ultérieures, qui interdisent les expulsions, soient pleinement et effectivement appliquées sur l’ensemble de son territoire . Il lui recommande de redoubler d’efforts pour enquêter sur les violences policières commises lors de ces expulsions ou des manifestations organisées contre celles-ci, ainsi que sur les violences commises par des bandes armées, de sanctionner les responsables, d’accorder des réparations adéquates aux victimes et de protéger les peuples autochtones contre les actes de violence commis tant par des agents de l’État que par des acteurs non étatiques, et d’assurer leur sécurité face à de tels actes .

Situation des femmes autochtones, des femmes d’ascendance africaine et des femmes migrantes

34.Le Comité salue la création, en décembre 2019, du Ministère de la femme, du genre et de la diversité, et l’adoption de la loi no 27610 relative à l’accès à l’interruption volontaire de grossesse et du décret no 476/21, qui a mis en place la carte d’identité nationale pour les personnes de genre non binaire. En dépit des efforts déployés par l’État partie, le Comité demeure préoccupé par les multiples formes de discrimination auxquelles les femmes issues de peuples autochtones ou de communautés d’ascendance africaine et les femmes migrantes continuent de se heurter dans tous les domaines de la vie sociale, politique, économique et culturelle. Il est particulièrement préoccupé par les différents cas signalés d’atteintes et de violences sexuelles dont sont victimes des femmes et des filles autochtones de la part d’hommes créoles (pratique du « chineo »), en particulier dans le nord du pays, comme le sont des femmes et des filles wichís, dans la province de Salta. Il relève également avec inquiétude que, le 4 octobre 2022, sept femmes autochtones et six enfants de la communauté mapuche Lafken Winkul Mapu auraient été arrêtés par les forces de sécurité à Villa Mascardi, dans la province de Río Negro, à la suite d’une perquisition et d’une expulsion musclée, avant d’être placés au secret pendant au moins soixante-douze heures, et que quatre de ces femmes seraient toujours détenues (art. 2, 5 et 6).

35.Eu égard à ses précédentes observations finales et à la lumière de sa recommandation générale n o 25 (2000) sur la dimension sexiste de la discrimination raciale, le Comité recommande à l’État partie de redoubler d’efforts pour lutter contre les multiples formes de discrimination auxquelles se heurtent les femmes autochtones, les femmes d’ascendance africaine et les femmes migrantes, en tenant compte des questions de genre dans toutes les politiques et stratégies de lutte contre la discrimination raciale adoptées aux niveaux fédéral et provincial . Il lui recommande également d’adopter les mesures voulues pour prévenir les atteintes et les violences sexuelles dont sont victime s les femmes et les filles autochtones, d’ascendance africaine ou migrantes en tenant compte du caractère intersectionnel de ce type de violence et de la nécessité d’élaborer des politiques culturellement pertinentes avec la participation des femmes et des communautés concernées, pour enquêter sur les responsables et les sanctionner et pour accorder des réparations adéquates aux victimes, notamment aux femmes et aux filles wichís de la province de Salta . Il lui recommande en outre d’adopter des mesures visant à empêcher que les femmes autochtones qui militent pour leurs droits ne s’exposent à des poursuites et à faire en sorte qu’elle aient effectivement accès à la justice, que leurs droits fondamentaux soient respectés et qu’elles bénéficient des garanties d’une procédure régulière .

Situation des migrants, des demandeurs d’asile, des réfugiés et des apatrides

36.Le Comité constate avec satisfaction que l’abrogation du décret no 70/2017 par le décret no 138/2021 du 4 mars 2021 a permis de rétablir pleinement la loi sur les migrations (loi no 25871), et salue l’adoption de la loi générale sur la reconnaissance et la protection des apatrides (loi no 27512). Il prend note des mesures prises pour faciliter la régularisation des migrants, en particulier des personnes d’origine sénégalaise et des personnes originaires de pays membres de la Communauté des Caraïbes, de la République dominicaine et de Cuba. Il est toutefois préoccupé par :

a)La persistance des violences policières à l’égard des travailleurs migrants, notamment les vendeurs ambulants (les « manteros »), en particulier ceux qui sont originaires du Sénégal ou d’Haïti ;

b)L’existence de normes établissant une distinction dans l’accès aux droits et aux services de base, en particulier dans les provinces ;

c)Les allégations selon lesquelles les autorités de l’immigration n’enregistrent pas les demandes d’asile aux frontières ;

d)Les retards dans le traitement des demandes du statut de réfugié adressées à la Commission nationale pour les réfugiés ;

e)Les informations selon lesquelles les personnes appartenant au peuple nivaclé qui vivent dans les zones frontalières de l’Argentine, dans la province de Formosa, ont du mal à se voir délivrer des certificats de naissance et des documents d’identité, ce qui les expose au risque de devenir apatrides.

37. Eu égard à ses précédentes observations finales et à la lumière de sa recommandation générale n o 30 (2004) sur la discrimination contre les non ‑ ressortissants, le Comité recommande à l’État partie  :

a) De prendre des mesures efficaces pour prévenir la discrimination raciale et la violence policière et institutionnelle à l ’ égard des travailleurs migrants, ainsi que pour enquêter sur les responsables et les sanctionner et accorder des réparations adéquates aux victimes  ;

b) De revoir les normes et les pratiques, notamment à l’échelle provinciale, qui établissent des distinctions discriminatoires entre les ressortissants et les non ‑ ressortissants dans l’accès aux droits et aux services de base, en dépit des dispositions de la loi sur les migrations, ou à l’égard des migrants originaires de pays n’appartenant pas au Marché commun du Sud (MERCOSUR)  ;

c) De renforcer la formation sur les droits des demandeurs d’asile et des réfugiés dispensée aux autorités de l’immigration et d’enquêter sur les allégations selon lesquelles ces autorités n’enregistrent pas les demandes d’asile présentées aux frontières  ;

d) D’allouer des ressources humaines, techniques et financières suffisantes à la Commission nationale pour les réfugiés afin, notamment, de remédier aux retards dans le traitement des demandes du statut de réfugié  ;

e) De prendre les mesures nécessaires, notamment dans les provinces, pour que les personnes appartenant au peuple nivaclé se voient délivrer des actes de naissance et des documents d’identité .

Plaintes pour discrimination raciale et accès à la justice

38.Le Comité constate que, selon la carte nationale de la discrimination établie en 2019 par l’Institut national de lutte contre la discrimination, la xénophobie et le racisme, 72 % des personnes interrogées ont déclaré avoir été victimes de discrimination contre 65 % en 2013. En outre, 93 % des personnes interrogées estiment qu’il existe une discrimination forte, voire assez forte, en Argentine. Le pourcentage de personnes interrogées qui ont été victimes de discrimination est de 64 % chez les personnes autochtones, de 62 % chez les migrants boliviens et paraguayens et de 57 % chez les personnes d’ascendance africaine. Près de 60 % des personnes interrogées ne savaient pas qu’il était possible de saisir la justice en cas de discrimination et seulement 3 % avaient déjà déposé plainte pour discrimination. Dans ce contexte, le Comité regrette l’absence d’informations suffisantes et détaillées sur les plaintes pour discrimination raciale, discours de haine, violence raciste et infractions connexes dont la justice ou d’autres institutions nationales et provinciales ont été saisies, ainsi que sur l’issue des enquêtes menées, les sanctions prononcées et les réparations accordées aux victimes. Il prend note du projet de loi visant à inclure le renversement de la charge de la preuve en faveur des victimes dans la législation nationale antidiscrimination, mais regrette qu’il n’ait pas encore été adopté. Il se dit en outre préoccupé par les comportements racistes et la discrimination raciale dans le système judiciaire, par le nombre insuffisant d’interprètes, de défenseurs publics bilingues et de spécialistes des systèmes traditionnels de justice des peuples autochtones et par le manque de formation des agents des forces de l’ordre, des défenseurs publics, des avocats, des juges et des professionnels de la justice en matière de droit coutumier autochtone (art. 5 et 6).

39. Rappelant que l’absence de plainte n’est pas nécessairement synonyme d’absence de discrimination raciale, mais serait plutôt révélatrice d’une mauvaise connaissance des recours juridiques existants, d’une volonté insuffisante de la part des autorités de poursuivre les responsables, d’une absence de confiance dans le système judiciaire ou de la crainte des victimes de subir des représailles, le Comité recommande à l’État partie  :

a) D’adopter la législation qui prévoit un renversement de la charge de la preuve en faveur des victimes de discrimination, notamment de discrimination raciale  ;

b) De mettre en place un mécanisme de collecte de données statistiques, aux niveaux fédéral et provincial, sur les plaintes pour discrimination raciale et les infractions à motivation raciste  ;

c) De renforcer les campagnes d’information sur les droits consacrés par la Convention et la législation antidiscrimination et sur la façon de déposer plainte pour discrimination raciale, en s’adressant en particulier aux groupes qui en sont traditionnellement victimes  ;

d) De faciliter le signalement des cas de discrimination raciale et de veiller à ce que les différents services de police soient formés pour prendre en compte et enregistrer les plaintes pour discrimination raciale et les infractions à motivation raciste  ;

e) De prévenir, de recenser et de sanctionner les comportements racistes et la discrimination raciale dans le système judiciaire, d’augmenter le nombre d’interprètes et de spécialistes des systèmes traditionnels de justice des peuples autochtones et de renforcer la formation des agents des forces de l’ordre, des défenseurs publics, des avocats, des juges et des professionnels de la justice concernant le droit coutumier autochtone, les droits des personnes d’ascendance africaine et des migrants et la lutte contre la discrimination raciale .

Racisme dans le sport

40.Le Comité note que l’État partie a adopté des mesures visant à lutter contre le racisme, les discours haineux et les infractions motivées par la haine raciale dans le sport, et a notamment créé l’Observatoire des discriminations dans le sport, organisé des campagnes de sensibilisation, mis en place une surveillance des manifestations sportives et conclu des accords avec des instances sportives. Il est toutefois préoccupé par la persistance d’actes de discrimination raciale et de discours et de violences racistes dans le sport, en particulier dans le football (art. 4, 5, 6 et 7).

41. Le Comité recommande à l’État partie de redoubler d’efforts pour que ses initiatives visant à lutter contre la discrimination raciale, la haine et les violences racistes dans le sport, en particulier dans le football, soient pleinement mises en œuvre et d’établir des mécanismes permettant de mesurer leurs effets, en associant les personnes et les communautés les plus touchées par ces actes et en veillant à ce qu’elles participent activement à ces initiatives . Il lui recommande également de prendre des mesures pour que ces actes fassent l’objet d’enquêtes en bonne et due forme et que les responsables soient identifiés et sanctionnés .

Éducation et autres mesures visant à lutter contre les préjugés raciaux et l’intolérance et à remédier aux séquelles du passé

42.Le Comité note que la délégation de l’État partie a replacé dans son contexte le projet politique qu’avait le pays d’effacer l’histoire des populations d’ascendance africaine et des populations autochtones et qui allait de pair avec la volonté d’exterminer ces communautés et, par la suite, de nier leur existence et de les rendre invisibles, et constate que l’État partie a pris diverses mesures pour inverser ce processus systémique et structurel ancré dans la société argentine en s’appuyant sur l’éducation, la culture et des mesures de contrôle. Il se félicite que l’État partie reconnaisse les injustices du passé et tienne compte des séquelles de l’histoire, et prend note des mesures qu’il a prises, notamment la mise en place de la Commission pour la reconnaissance historique de la communauté afro-argentine et de la Table ronde interministérielle sur les peuples autochtones, l’instauration de la « Journée nationale des Afro-Argentins et de la culture africaine » en hommage à la mémoire de María Remedios del Valle et la création d’un concours en son nom. Il prend note de ces mesures, mais regrette l’absence de renseignements sur des initiatives à large échelle qui permettraient de remédier aux erreurs du passé, qui continuent d’alimenter le racisme et la discrimination raciale et structurelle dans l’État partie et empêchent toutes les personnes et les communautés vivant en Argentine d’exercer pleinement l’ensemble de leurs droits humains et libertés fondamentales dans des conditions d’égalité. Il est préoccupé en outre par les informations selon lesquelles la loi relative à l’éducation nationale (loi no 26206) ne prévoit pas de mentionner l’existence de la population et de la culture d’ascendance africaine dans les programmes scolaires (art. 2, 5 et 7).

43. Rappelant l’importance de l’éducation pour combattre les préjugés qui conduisent à la discrimination raciale et pour favoriser la compréhension, la tolérance et l’amitié entre tous les groupes de la société, comme le prévoit l’article 7 de la Convention, et l’importance de la lutte contre le racisme structurel qui est latent dans toutes les institutions de la société, le Comité recommande à l’État partie  :

a) D’élaborer et d’appliquer, en concertation avec les communautés d’ascendance africaine et les peuples autochtones, des lignes directrices visant à lutter contre le racisme structurel et institutionnel aux niveaux fédéral et provincial  ;

b) D’adopter, aux niveaux fédéral et provincial, des lois qui disposent que tous les agents de la fonction publique doivent obligatoirement suivre une formation sur le racisme, la discrimination raciale, les discours haineux et les violences racistes, comme ce fut le cas dans le cadre des lois dénommées « loi Micaela  » (loi n o 27499) et « loi Lucio » relatives à une formation obligatoire sur le genre et les violences fondées sur le genre, ainsi qu’une formation sur les droits de l’enfant et la violence à l’égard des enfants et des adolescents  ;

c) De mettre en place des mécanismes de dialogue avec les représentants des peuples autochtones et des communautés d’ascendance africaine en vue de créer des institutions chargées d’étudier et d’élaborer des propositions et des initiatives à large échelle visant à remédier aux injustices du passé  ;

d) De revoir la loi relative à l ’ éducation nationale et de veiller à ce que les autorités nationales et provinciales en charge de l ’ éducation élaborent des programmes scolaires pour le primaire et le secondaire qui accordent une place à l ’ histoire et aux contributions des Argentins d ’ ascendance africaine à la construction de la nation  ;

e) De renforcer les mesures visant à appliquer les recommandations formulées en 2019 par le Groupe de travail d’experts sur les personnes d’ascendance africaine , notamment en ce qui concerne la création d’un institut national chargé des questions relatives aux Argentins d’ascendance africaine, aux personnes d’ascendance africaine et aux personnes africaines, de traiter la question des inégalités et de l’invisibilité des Argentins d’ascendance africaine dans le cadre d’un processus de justice réparatrice, de créer un musée de la culture afro-argentine et de concevoir des monuments et des sites culturels ayant pour thème l’apport des Argentins d’ascendance africaine et des personnes d’ascendance africaine .

D.Autres recommandations

Ratification d’autres traités

44. Compte tenu du caractère indissociable de tous les droits de l’homme, le Comité engage l’État partie à envisager de ratifier les instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme auxquels il n’est pas encore partie, en particulier ceux dont les dispositions intéressent directement les communautés qui peuvent faire l’objet de discrimination raciale, comme la Convention interaméricaine contre le racisme, la discrimination raciale et les formes connexes d’intolérance et la Convention interaméricaine contre toutes les formes de discrimination et d’intolérance .

Suite donnée à la Déclaration et au Programme d’action de Durban

45.À la lumière de sa recommandation générale n o 33 (2009) sur le suivi de la Conférence d’examen de Durban, le Comité recommande à l’État partie de donner effet à la Déclaration et au Programme d’action de Durban, adoptés en septembre 2001 par la Conférence mondiale contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance qui y est associée, en tenant compte du document final de la Conférence d’examen de Durban, tenue à Genève en avril 2009, quand il applique la Convention . Le Comité demande à l’État partie d’inclure dans son prochain rapport périodique des renseignements précis sur les plans d’action qu’il aura adoptés et les autres mesures qu’il aura prises pour mettre en œuvre la Déclaration et le Programme d’action de Durban au niveau national .

Décennie internationale des personnes d’ascendance africaine

46. À la lumière de la résolution 68/237 de l’Assemblée générale proclamant la Décennie internationale des personnes d’ascendance africaine pour 2015-2024 et de la résolution 69/16 sur le programme d’activités de la Décennie, le Comité recommande à l’État partie d’élaborer et de mettre en œuvre un programme adapté de mesures et de politiques en collaboration avec les organisations et les personnes d’ascendance africaine . Le Comité demande à l’État partie d’inclure dans son prochain rapport des renseignements précis sur les mesures concrètes qu’il aura adoptées dans ce cadre, compte tenu de sa recommandation générale n o 34 (2011) sur la discrimination raciale à l’égard des personnes d’ascendance africaine .

Consultations avec la société civile

47. Le Comité recommande à l’État partie de poursuivre et d’élargir le dialogue avec les organisations de la société civile qui travaillent dans le domaine de la protection des droits de l’homme, en particulier celles qui luttent contre la discrimination raciale et les organisations représentatives des groupes les plus exposés à la discrimination raciale, dans le cadre de l’élaboration du prochain rapport périodique et du suivi des présentes observations finales .

Diffusion de l’information

48. Le Comité recommande à l’État partie de mettre ses rapports à la disposition du public dès leur soumission et de diffuser les observations finales du Comité qui s’y rapportent auprès de tous les organes de l’État chargés de l’application de la Convention aux niveaux fédéral, provincial et local, et de les publier sur le s sites Web du Ministère des affaires étrangères, du commerce international et des cultes, du Secrétariat aux droits de l’homme, de l’Institut national de lutte contre la discrimination, la xénophobie et le racisme et de l’Institut national des affaires autochtones, dans les langues officielles et les autres langues couramment utilisées, selon qu’il conviendra .

Document de base commun

49.Le Comité engage l’État partie à mettre à jour son document de base commun, qui date de 2014, conformément aux directives harmonisées pour l’établissement de rapports au titre des instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme, en particulier celles concernant le document de base commun, adoptées à la cinquième réunion intercomités des organes créés en vertu d’instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme tenue en juin 2006. À la lumière de la résolution 68/268 de l’Assemblée générale, le Comité exhorte l’État partie à respecter la limite de 42 400 mots fixée pour ce document .

Suite donnée aux présentes observations finales

50. Conformément à l ’ article 9 (par . 1) de la Convention et à l’article 65 de son règlement intérieur, le Comité demande à l’État partie de fournir, dans un délai d’un an à compter de l’adoption des présentes observations finales, des renseignements sur la suite qu’il aura donnée aux recommandations figurant dans les paragraphes 11 a) (Bureau du Défenseur du peuple et Bureau du Défenseur public), 15 b) (plans nationaux en matière de droits de l’homme et de lutte contre la discrimination) et 33 (propriété collective et expulsions des peuples autochtones) .

Paragraphes d’importance particulière

51. Le Comité souhaite appeler l’attention de l’État partie sur l’importance particulière des recommandations figurant dans les paragraphes 23 (utilisation du profilage racial), 29 (consultation et consentement préalable, libre et éclairé) et 35 (situation des femmes autochtones, des femmes d’ascendance africaine et des femmes migrantes) et lui demande de faire figurer dans son prochain rapport périodique des renseignements détaillés sur les mesures concrètes qu’il aura prises pour y donner suite .

Élaboration du prochain rapport périodique

52. Le Comité recommande à l’État partie de soumettre son rapport valant vingt ‑ septième à trentième rapports périodiques, d’ici au 4 janvier 2028, en tenant compte des directives pour l’établissement du document se rapportant spécifiquement à la Convention adoptées par le Comité à sa soixante et onzième session et en traitant de tous les points soulevés dans les présentes observations finales . À la lumière de la résolution 68/268 de l’Assemblée générale, le Comité exhorte l’État partie à respecter la limite de 21 200 mots fixée pour les rapports périodiques .