Nations Unies

CAT/C/SVK/CO/4

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

7 juin 2023

Français

Original : anglais

Comité contre la torture

Observations finales concernant le quatrième rapport périodique de la Slovaquie *

1.Le Comité a examiné le quatrième rapport périodique de la Slovaquie à ses 1989e et 1992e séances,les 27 et 28 avril 2023, et a adopté les présentes observations finales à sa 2006e séance, le 9 mai 2023.

A.Introduction

2.Le Comité sait gré à l’État partie d’avoir accepté la procédure simplifiée d’établissement des rapports et d’avoir soumis son rapport périodique conformément à cette procédure, qui permet d’améliorer la coopération entre l’État partie et le Comité et d’orienter l’examen du rapport ainsi que le dialogue avec la délégation.

3.Le Comité se félicite du dialogue constructif qu’il a eu avec la délégation de l’État partie et accueille avec intérêt les renseignements fournis oralement et par écrit en réponse aux préoccupations qu’il avait exprimées.

B.Aspects positifs

4.Le Comité se félicite que l’État partie ait signé le Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, le 14 décembre 2018, et attend avec intérêt qu’il le ratifie, conformément aux assurances qu’il a données.

5.Le Comité accueille également avec satisfaction les mesures prises par l’État partie pour réviser sa législation dans des domaines intéressant la Convention, notamment :

a)L’adoption de la loi no 174/2015 portant modification du Code de procédure pénale, qui renforce les garanties juridiques fondamentales, en 2015 ;

b)L’adoption de la loi no 274/2017 sur les victimes d’infractions, qui prévoit un certain nombre de mesures destinées à protéger les victimes de torture et de mauvais traitements et à leur offrir des réparations et des moyens de réadaptation, et qui définit l’infraction de violence familiale, en 2017 ;

c)L’adoption de la loi no 161/2018 portant modification du Code pénal et de certaines lois, qui rend obligatoire l’utilisation d’appareils d’enregistrement audiovisuel lors des interrogatoires de suspects mineurs, en 2018 ;

d)L’adoption de la loi no 321/2018 portant modification de la loi sur les agents chargés de la probation et de la médiation et de certaines lois, qui permet d’appliquer différentes mesures non privatives de liberté, en 2018 ;

e)L’adoption de la loi no 308/2021 portant modification du Code de procédure pénale, qui prévoit de nouvelles limites relatives à la détention pour risque de collusion, en 2021 ;

f)L’adoption de la loi no 339/2022 portant modification de la loi sur l’exécution des mesures de détention, qui définit des durées maximales de placement à l’isolement, en 2022 ;

g)L’adoption de la loi no495/2022portant modification de la loi sur les soins de santé, qui définit un nouveau cadre légal concernant les conditions du recours aux moyens de contention, en 2023.

6.Le Comité salue les mesures prises par l’État partie pour modifier ses politiques et ses procédures afin de mieux protéger les droits de l’homme et de donner effet à la Convention, en particulier :

a)L’adoption de la Stratégie nationale de promotion et de protection des droits de l’homme, en 2015 ;

b)L’adoption du Plan d’action pour la prévention et l’élimination du racisme, de la xénophobie, de l’antisémitisme et des autres formes d’intolérance, en 2015 ;

c)L’adoption du Plan d’action pour la prévention de toutes les formes de discrimination (2016-2019), en 2015 ;

d)L’adoption du Plan d’action en faveur des droits des personnes appartenant à une minorité nationale ou à un groupe ethnique (2016-2020), en 2016 ;

e)L’adoption du cinquième programme national de lutte contre la traite des personnes (2019-2023), en 2018 ;

f)L’adoption de la Stratégie pour l’égalité, l’inclusion et la participation des Roms à l’horizon 2030, en 2021 ;

g)L’adoption de la Stratégie nationale de désinstitutionnalisation des services sociaux et de la protection de remplacement, en 2021 ;

h)La présentation par le Gouvernement d’excuses officielles aux femmes et aux filles roms victimes de stérilisation forcée ou involontaire, en 2021 ;

i)La présentation par le Gouvernement d’excuses officielles aux victimes d’un usage excessif de la force dans le contexte de la descente de police à Moldava nad Bodvou, en 2021.

C.Principaux sujets de préoccupation et recommandations

Définition de la torture

7.Le Comité constate avec préoccupation que la torture n’est pas définie dans le droit interne de l’État partie, que les peines encourues pour cette infraction peuvent ne pas dépasser deux années d’emprisonnement et que la disposition du Code pénal qui incrimine la torture ne précise pas expressément qu’aucune circonstance exceptionnelle, quelle qu’elle soit, ne peut être invoquée pour justifier la torture. Il note en outre avec préoccupation qu’en raison de l’élément intentionnel obligatoire prévu à l’article 420 du Code pénal, les auteurs de traitements cruels, inhumains ou dégradants n’encourent aucune peine si ces actes ont été commis par négligence (art. 1, 2 et 4).

8. Le Comité recommande à nouveau à l ’ État partie d ’ adopter une définition de la torture qui englobe tous les éléments figurant à l ’ article premier de la Convention et de veiller à ce que les peines applicables soient proportionnées à la gravité de l ’ infraction, comme le veut l ’ article 4 ( par . 2) de la Convention . Il fait observer à l ’ État partie que si la définition de la torture en droit interne est trop éloignée de celle énoncée dans la Convention, le vide juridique réel ou potentiel qui en découle peut ouvrir la voie à l ’ impunité .

Garanties juridiques fondamentales

9.Le Comité constate avec préoccupation que les personnes détenues, y compris les mineurs, ne bénéficient pas, dans la pratique, de toutes les garanties juridiques fondamentales dès le début de leur privation de liberté, notamment :

a)Que les personnes détenues n’ont pas toujours effectivement accès à une aide juridique gratuite dès le début de leur privation de liberté et qu’il est arrivé que des détenus ne bénéficient de cette aide qu’une fois arrivés au tribunal ou après leur placement en détention provisoire ;

b)Qu’il a été constaté que la police était parfois présente lors de l’examen médical initial auquel les personnes placées en garde à vue sont soumises et que des informations sensibles concernant les résultats de ces examens n’étaient pas conservées de manière strictement confidentielle ;

c)Qu’en dépit des progrès réalisés dans ce domaine, les informations communiquées aux détenus concernant leurs droits ne sont pas exhaustives ;

d)Que dans certains cas, on empêche les détenus d’informer un membre de leur famille ou une autre personne de leur arrestation, notamment lorsqu’un enquêteur estime que cela pourrait nuire à la procédure pénale ;

e)Que les suspects mineurs sont détenus dans des conditions qui ne leur sont pas adaptées et peuvent être interrogés sans qu’un parent, un avocat ou une autre personne de confiance soit présent (art. 2).

10. L ’ État partie devrait veiller à ce que toute personne détenue bénéficie, en droit et en pratique, et ce, dès le début de sa privation de liberté, de toutes les garanties juridiques fondamentales, notamment des droits suivants  :

a) Être assistée d ’ un avocat, y compris pendant les interrogatoires, et, si nécessaire, bénéficier d ’ une aide juridique gratuite ;

b) Demander à être examinée gratuitement par un médecin indépendant ou par le médecin de leur choix et faire l ’ objet d ’ un tel examen, et obtenir que les résultats des examens médicaux demeurent confidentiels ;

c) Être informée de ses droits, du motif de son arrestation et des accusations portées contre elle de manière complète et détaillée, selon des modalités accessibles et dans une langue qu ’ elle comprend ;

d) Informer un membre de sa famille ou une autre personne de son choix de sa détention, y compris pendant l ’ interrogatoire préliminaire ;

e) Être détenue et interrogée d ’ une manière qui tienne compte de son âge, de sa vulnérabilité et de son niveau de compréhension, particulièrement dans le cas des personnes mineures .

Institution nationale pour la promotion et la protection des droits de l’homme

11.Le Comité se félicite de l’augmentation progressive des fonds alloués au Centre national pour les droits de l’homme et du renforcement des ressources humaines qui en découle, mais il reste préoccupé par le caractère limité du mandat du Centre, le manque de clarté et de transparence du processus de sélection de ses membres, les restrictions imposées à son indépendance et le fait que ses membres ne bénéficient pas expressément de l’immunité fonctionnelle (art. 2).

12. L ’ État partie devrait modifier sa législation en vue de renforcer le mandat et l ’ indépendance du Centre national pour les droits de l ’ homme, afin que celui-ci soit pleinement conforme aux Principes concernant le statut des institutions nationales pour la promotion et la protection des droits de l ’ homme (Principes de Paris), notamment en inscrivant dans la loi l ’ immunité fonctionnelle de ses membres .

Détention provisoire

13.Le Comité prend note des mesures que l’État partie a prises récemment pour réduire le recours à la détention provisoire au profit d’une application accrue des mesures non privatives de liberté, mais il reste préoccupé par la longueur excessive de certaines procédures judiciaires et par l’absence de proposition de loi visant à modifier les dispositions du Code de procédure pénale qui autorisent le placement en détention provisoire pour une durée maximale de cinq ans (art. 2, 11 et 16).

14. L ’ État partie devrait modifier sa législation en vue de réduire la durée de la détention provisoire, celle-ci devant être une mesure exceptionnelle, appliquée pour une durée limitée, clairement réglementée et soumise à tout moment à un contrôle judiciaire, afin d ’ assurer le respect des garanties juridiques et procédurales fondamentales . Il devrait continuer de recourir davantage aux mesures non privatives de liberté à la place de la détention provisoire, conformément aux Règles minima des Nations Unies pour l ’ élaboration de mesures non privatives de liberté (Règles de Tokyo) .

Usage excessif de la force par les forces de l’ordre, notamment violence à l’égard des Roms

15.Le Comité est préoccupé par les informations relatives à l’usage excessif de la force par les membres des forces de l’ordre et aux menaces et insultes qu’ils profèrent, en particulier contre des membres de la communauté rom. Il est également préoccupé par le faible nombre de plaintes déposées, de poursuites engagées et de déclarations de culpabilité prononcées dans de tels cas, et constate que lorsque des accusations sont portées contre des membres des forces de l’ordre, elles ont généralement trait à des blessures corporelles ou à des abus d’autorité, plutôt qu’à des actes de torture ou à des traitements cruels, inhumains ou dégradants. Il constate en outre avec inquiétude que les membres des forces de l’ordre impliqués dans l’affaire, très médiatisée, des violences qui auraient été commises au campement de Moldava nad Bodvou (2013) ont été mis hors de cause, alors même que la Cour européenne des droits de l’homme a conclu que des actes de torture ou des mauvais traitements avaient été commis. Plus généralement, le Comité constate avec préoccupation que dans plusieurs de ses arrêts antérieurs, la Cour a jugé que l’État partie n’avait pas enquêté de manière adéquate sur les motivations discriminatoires sous-tendant l’usage excessif de la force par les forces de l’ordre contre des membres de la communauté rom (art. 2, 12 à 14 et 16).

16. L ’ État partie devrait  :

a) Faire en sorte que toutes les allégations d ’ usage excessif de la force, y compris de torture et de mauvais traitements, par des membres des forces de l ’ ordre fassent rapidement l ’ objet d ’ enquêtes impartiales, approfondies et efficaces, et que les personnes soupçonnées d ’ avoir commis de tels actes soient immédiatement suspendues de leurs fonctions pendant toute la durée de l ’ enquête, tout en veillant au respect du principe de la présomption d ’ innocence ;

b) Poursuivre, au titre de l ’ article 420 du Code pénal, les personnes soupçonnées d ’ avoir commis des actes de torture ou des mauvais traitements et, si elles sont déclarées coupables, veiller à ce qu ’ elles soient condamnées à des peines proportionnées à la gravité de leurs actes et à ce que les victimes bénéficient rapidement d ’ une réparation appropriée ;

c) Veiller à ce que les autorités enquêtent comme il se doit sur les motivations discriminatoires lorsque l ’ on soupçonne que celles-ci ont joué un rôle dans la commission d ’ une infraction, et à ce que ces motivations soient considérées comme des circonstances aggravantes dans les poursuites pénales ;

d) Faire en sorte que toutes les actions de la police, y compris les interrogatoires, soient enregistrées en vidéo, notamment en utilisant des caméras d ’ intervention, et veiller à ce que les personnes qui signalent des actes de torture et de s mauvais traitements , ainsi que les témoins de tels actes , soient protégés contre les représailles, y compris les poursuites pénales ;

e) Continuer à lutter contre les attitudes négatives, la stigmatisation et la discrimination à l ’ égard des membres de la communauté rom et d ’ autres groupes minoritaires présents dans l ’ État partie, notamment en menant des programmes d ’ information et de sensibilisation à l ’ intention du grand public et en continuant de suivre et d ’ évaluer l ’ exécution de la Stratégie de 2021 pour l ’ égalité, l ’ inclusion et la participation des Roms à l ’ horizon 2030, afin d ’ en garantir l ’ efficacité ;

f) Fournir au Comité des données actualisées sur le nombre de cas d ’ usage excessif de la force par les forces de l ’ ordre qui ont fait l ’ objet d ’ une enquête, en ventilant ces données par âge, sexe et origine ethnique ou nationale des victimes, sur le nombre d ’ auteurs d ’ actes de torture ou de mauvais traitements qui ont été poursuivis en justice, et sur les peines infligées aux personnes reconnues coupables .

Conditions de détention

17.Le Comité prend note des informations détaillées fournies par l’État partie sur les mesures qui ont été prises pour améliorer les conditions matérielles dans lesquelles vivent les personnes privées de liberté, notamment les détenus condamnés à la réclusion à perpétuité, ainsi que leur qualité de vie, mais il est préoccupé par :

a)Les mauvaises conditions de détention dans les cellules de prison et les cellules de détention, y compris l’exiguïté des cellules, le manque de lumière naturelle et la mauvaise circulation de l’air ;

b)Le régime oppressif imposé aux détenus dans les quartiers de haute sécurité et aux détenus condamnés à la réclusion à perpétuité, notamment le temps insuffisant passé en dehors des cellules, l’accès limité aux loisirs, le recours à la contention physique et la présence d’agents pénitentiaires lors des examens médicaux ;

c)Le recours excessif et systématique, à titre de procédure, aux fouilles à nu sans évaluation individualisée des risques et aux fouilles gynécologiques en ce qui concerne les femmes, ce qui peut constituer un traitement cruel, inhumain ou dégradant ;

d)Le manque de personnel médical qualifié dans les prisons, y compris de professionnels de la psychologie et de la psychiatrie, ce qui restreint l’accès des détenus aux soins de santé mentale (art. 2, 11 et 16).

18. L ’ État partie devrait faire en sorte que les conditions de détention soient pleinement conformes à l ’ Ensemble de règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus (Règles Nelson Mandela) et aux Règles des Nations Unies concernant le traitement des détenues et l ’ imposition de mesures non privatives de liberté aux délinquantes (Règles de Bangkok) . Il devrait en particulier  :

a) Veiller à ce que l ’ utilisation des moyens de contention soit proportionnée, soumise à une réglementation stricte et limitée aux circonstances où elle est absolument nécessaire et à la période la plus courte possible ;

b) Limiter la pratique des fouilles à nu à des cas exceptionnels et, à tout le moins, aux situations dans lesquelles on peut raisonnablement soupçonner qu ’ un acte répréhensible a été commis, et veiller à ce que les principes de la nécessité, de la proportionnalité et du caractère raisonnable de la mesure, visés aux règles 50 à 53 des Règles Nelson Mandela, soient respectés ;

c) Veiller à ce que les prisons disposent des ressources humaines et matérielles nécessaires pour fournir aux détenus des soins de santé adéquats, notamment en recrutant du personnel qualifié pour que tous ceux qui ont besoin de soins de santé mentale puissent les recevoir rapidement .

Établissements psychiatriques

19.Le Comité apprécie la sincérité avec laquelle l’État partie a reconnu qu’il avait eu connaissance de cas dans lesquels on avait empêché des patients de sortir de l’établissement psychiatrique dans lequel ils étaient volontairement internés, et qu’il fallait lutter contre cette pratique à titre de priorité. Le Comité reste toutefois préoccupé par cette situation. Il est également préoccupé par le taux élevé de placement dans des établissements psychiatriques en général. Il prend note des mécanismes de contrôle mis en place par l’État partie, notamment l’Autorité de surveillance des soins de santé, mais regrette qu’il s’agisse d’un mécanisme strictement réactif, plutôt que proactif. Enfin, il prend note des mesures que l’État partie a prises pour éliminer l’utilisation des lits-cages d’ici à 2025, et des efforts plus généraux qu’il déploie pour continuer à légiférer sur l’utilisation des moyens de contention dans les établissements de santé (art. 2 et 16).

20. L ’ État partie devrait  :

a) Veiller à ce que le droit à la liberté des patients volontairement internés dans des établissements psychiatriques soit respecté, notamment en prévoyant dans la législation des garanties suffisantes pour ces patients et des voies de recours utiles contre l ’ institutionnalisation involontaire ;

b) Veiller à ce qu ’ en lieu et place d ’ un mécanisme de prévention distinct chargé spécifiquement des établissements psychiatriques, le mécanisme national de prévention nouvellement créé soit doté des ressources financières et humaines, y compris du personnel spécialisé, lui permettant de réaliser régulièrement des contrôles préventifs et efficaces dans les établissements psychiatriques en vue de réduire le risque d ’ actes de torture et de traitements cruels, inhumains ou dégradants ;

c) Poursuivre et intensifier ses efforts de désinstitutionnalisation et de promotion des services de soins de substitution et de proximité, notamment en appliquant effectivement sa stratégie nationale de désinstitutionnalisation des services sociaux et de la protection de remplacement, adoptée en 2021 ;

d) Accélérer les efforts visant à éliminer l ’ utilisation des lits-cages et veiller à ce que les pratiques de substitution, y compris l ’ utilisation des chambres d ’ isolement, soient compatibles avec les normes internationales et régionales en matière de droits de l ’ homme, notamment la norme révisée du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants sur les moyens de contention dans les établissements psychiatriques pour adultes .

Violence fondée sur le genre

21.Le Comité prend note des mesures positives que l’État partie a prises pour lutter contre la violence fondée sur le genre et la violence domestique et remédier à ce problème. Il constate néanmoins avec préoccupation que, malgré l’adoption de nouvelles dispositions législatives, le nombre de cas de violence domestique, y compris les cas de matricide ou de décès imputables à des parents proches ou des partenaires, a fortement augmenté pendant la pandémie de maladie à coronavirus (COVID-19). Il s’inquiète en outre de ce que souvent, les actes de violence domestique et fondée sur le genre commis au sein de la communauté rom ne sont pas signalés, ce qui limite l’accès des victimes à des services de protection et de réadaptation et à des réparations et fait que les responsables ont rarement à répondre de leurs actes (art. 2, 12 à 14 et 16).

22. L ’ État partie devrait faire en sorte que tous les cas de violence domestique et fondée sur le genre, en particulier ceux pour lesquels la responsabilité internationale de l ’ État partie au regard de la Convention est engagée du fait d ’ actions ou d ’ omissions des autorités ou d ’ autres organes de l ’ État, donnent lieu à une enquête approfondie, que les auteurs présumés soient poursuivis et, s ’ ils sont déclarés coupables, dûment sanctionnés, et que les victimes et leur famille obtiennent réparation, y compris sous la forme d ’ une indemnisation adéquate et de services de réadaptation, et aient accès à une aide juridique, à des lieux d ’ accueil sûrs et aux soins médicaux et au soutien psychologique nécessaires . En outre, le Comité recommande à l ’ État partie de redoubler d ’ efforts pour mener auprès des membres de la communauté rom, notamment des hommes et des garçons, et d ’ autres groupes minoritaires, des activités de sensibilisation et d ’ information sur la violence domestique et fondée sur le genre, et d ’ en faire davantage pour instaurer une relation de confiance entre les membres des communautés minoritaires et les institutions de l ’ État .

Stérilisation involontaire de femmes roms

23.Le Comité félicite l’État partie pour les efforts qu’il a déployés pour réparer les erreurs du passé concernant la stérilisation involontaire des femmes roms, notamment les excuses officielles qu’il a présentées et le système d’indemnisation des victimes qu’il a proposé de mettre en place. Le Comité constate toutefois avec préoccupation que sous sa forme actuelle, le système d’indemnisation proposé limite à deux ans le délai pour déposer une demande d’indemnisation, ce qui pourrait empêcher les victimes vivant à l’étranger ou celles ayant un accès limité à l’information de recevoir une indemnisation. Il constate également avec préoccupation que le montant de l’indemnisation proposée est relativement faible (5 000 euros maximum par victime) et que des obstacles financiers, tels que le coût des déclarations sous serment et du voyage pour se rendre dans les centres régionaux afin de remplir les documents nécessaires à la demande d’indemnisation, sont susceptibles d’empêcher certaines victimes d’obtenir une réparation adéquate (art. 2, 12 à 14 et 16).

24.L ’ État partie devrait veiller à ce que toutes les allégations de stérilisation forcée ou involontaire donnent lieu à une enquête impartiale, que les personnes responsables aient à répondre de leurs actes et que les victimes reçoivent une réparation adéquate . Il devrait également adopter des mesures législatives et des politiques générales pour prévenir et incriminer la stérilisation forcée ou involontaire des femmes, en particulier définir clairement l ’ obligation d ’ obtenir le consentement préalable, libre et éclairé de l ’ intéressée avant toute opération de stérilisation et faire mieux connaître l ’ existence de cette obligation auprès des femmes roms et du personnel médical . Le Comité recommande à l ’ État partie d ’ accroître le délai fixé pour le dépôt des demandes d ’ indemnisation, de procéder à une analyse proactive visant à recenser toutes les personnes susceptibles d ’ avoir subi une stérilisation involontaire, et d ’ aller activement au-devant des victimes afin de leur faire connaître le système d ’ indemnisation qu ’ il propose, tant avant que pendant la mise en place de celui-ci . L ’ État partie devrait veiller à ce que les victimes qui doivent présenter une déclaration sous serment attestant de leur stérilisation involontaire aient accès à une aide juridique gratuite pour obtenir une telle déclaration . Plus généralement, il devrait supprimer tous les obstacles financiers à l ’ obtention d ’ une indemnisation, y compris les coûts liés à l ’ obligation, pour les victimes, de se rendre dans un des centres régionaux pour déposer les documents nécessaires à l ’ indemnisation . Il devrait également veiller à ce que l ’ indemnisation accordée soit proportionnée au préjudice subi, en tenant compte des sommes versées dans des affaires similaires dans la région, y compris par la Cour européenne des droits de l ’ homme .

Non-refoulement, apatridie et migrations

25.Le Comité est préoccupé par les règles autorisant la police des frontières à refuser d’admettre des personnes qui cherchent à entrer sur le territoire de l’État partie pour des raisons humanitaires, ainsi que par la marge d’appréciation dont elle dispose pour prendre de telles décisions. Ces décisions peuvent certes faire l’objet d’un recours dans le cadre d’une procédure administrative, mais le Comité craint que, dans la pratique, l’accès à cette voie de recours soit limité. S’il prend note de la loi no 404/2011 sur le séjour des étrangers, qui comprend une définition de l’apatridie et prévoit la possibilité de leur accorder un droit de résidence permanente, le Comité constate avec préoccupation que l’État partie ne dispose pas d’une procédure efficace de détermination du statut d’apatride (art. 2, 3 et 16).

26. L ’ État partie devrait veiller à ce qu ’ aucune personne ne puisse être expulsée, refoulée ou extradée vers un autre État lorsqu ’ il y a des motifs sérieux de croire qu ’ elle courrait personnellement un risque prévisible d ’ être soumise à la torture . Il devrait également veiller à ce que toutes les personnes qui satisfont à cette condition disposent de voies de recours efficaces et accessibles pour faire appel d ’ une décision de transfert, notamment qu ’ elles aient accès à une aide juridique gratuite, et à ce que tous les refus soient fondés sur une appréciation au cas par cas de la situation et respectent le principe de non-refoulement . Il devrait se doter d ’ une procédure de détermination du statut d ’ apatride, créer une base de données centrale des apatrides se trouvant sur son territoire et envisager de retirer sa réserve à l ’ article 27 de la Convention de 1954 relative au statut des apatrides .

27.Le Comité relève avec préoccupation que l’État partie continue de détenir des familles avec enfants, notamment dans le cadre de la procédure établie par le Règlement Dublin III. Il note en outre avec inquiétude que, bien qu’il existe des mesures de substitution à la détention, celles-ci sont rarement appliquées ou sont inaccessibles aux détenus en raison de la charge financière que la libération peut faire peser sur eux (art. 2, 11 et 16).

28. L ’ État partie ne devrait recourir à la détention de familles avec enfants qu ’ en dernier ressort et appliquer cette mesure pour la durée la plus courte possible, et devrait dans chaque cas examiner dûment la disponibilité, l ’ efficacité et l ’ adéquation des mesures de substitution à la détention, conformément aux Règles de Tokyo .

Traite des personnes

29.Le Comité accueille avec intérêt les renseignements fournis par l’État partie concernant le nombre d’enquêtes ouvertes et de poursuites engagées dans des affaires de traite potentielle de personnes, mais il regrette que des informations actualisées ne lui aient pas été communiquées concernant le nombre de poursuites ayant abouti à des déclarations de culpabilité. À la lumière des informations qu’il a reçues, le Comité relève avec préoccupation que le nombre de déclarations de culpabilité prononcées pour traite des personnes dans l’État partie reste faible. Il constate en outre avec inquiétude qu’en l’absence de plainte, aucune enquête pour traite n’est ouverte d’office. Il est également préoccupé par la persistance, dans l’État partie, de la mendicité forcée et de la traite à des fins d’exploitation sexuelle, en particulier au sein de la communauté rom (art. 2, 12 à 14 et 16).

30. L ’ État partie devrait veiller à ce que les affaires de traite des personnes fassent l ’ objet d ’ enquêtes approfondies, y compris en l ’ absence de plainte, à ce que les auteurs présumés des faits soient poursuivis et, s ’ ils sont reconnus coupables, condamnés à une peine appropriée, et à ce que les victimes obtiennent une réparation complète, y compris une indemnisation adéquate et des moyens de réadaptation . L ’ État partie devrait également garantir la pleine application de son cinquième programme national de lutte contre la traite des personnes (2019-2023) et surveiller et évaluer son efficacité, afin d ’ intégrer les enseignements tirés de son application dans les futures actions menées pour lutter contre la traite .

Formation

31.Le Comité prend note des renseignements fournis par l’État partie concernant la formation des médecins, des agents des forces de l’ordre, des membres du corps judiciaire et des autres fonctionnaires de justice, mais il regrette que ces renseignements se rapportent principalement aux formations relatives à la traite des personnes ou à la violence fondée sur le genre, et que les formations concernant la torture et les traitements cruels, inhumains ou dégradants qui ont été mentionnées portent généralement sur des normes régionales et non universelles. Le Comité regrette également qu’aucune information ne lui ait été communiquée ni sur la formation des militaires à la Convention ou aux dispositions du droit international humanitaire relatives à la torture, ni sur le suivi des programmes de formation et l’évaluation de leur efficacité. Enfin, il regrette que les juges et les avocats ne soient pas formés au Manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Protocole d’Istanbul) ou, plus généralement, à la détection des signes de torture (art. 10).

32. L ’ État partie devrait veiller à ce que tous les fonctionnaires concernés, particulièrement les membres des forces de sécurité et les militaires, les fonctionnaires de l ’ administration pénitentiaire, les magistrats, les avocats et les médecins, suivent une formation sur les dispositions de la Convention, tout particulièrement sur l ’ interdiction absolue de la torture, et à ce qu ’ ils aient pleinement conscience que les violations de ces dispositions ne sauraient être tolérées et doivent faire l ’ objet d ’ une enquête, que les responsables doivent être traduits en justice et, s ’ ils sont déclarés coupables, dûment sanctionnés . En outre, l ’ État partie devrait suivre et évaluer ces activités de formation afin d ’ en apprécier l ’ efficacité, et faire le nécessaire pour que tous les professionnels concernés, y compris les juges et les avocats, soient spécialement formés à repérer les cas de torture et de mauvais traitement s et aient notamment suivi à cette fin une formation relative au Protocole d ’ Istanbul, tel que révisé .

Enquêtes sur les actes de torture et de traitements cruels, inhumains ou dégradants et poursuites

33.Le Comité s’inquiète du peu de poursuites engagées par l’État partie pour actes de torture ou de traitements cruels, inhumains ou dégradants au titre de l’article 420 du Code pénal. L’inexistence d’une définition de la torture, associée à la similitude des peines encourues pour ces infractions et celles dont sont passibles les auteurs d’infractions pour lesquelles un niveau de preuve moins élevé est requis, tels que l’abus d’autorité au sens de l’article 326 du Code pénal, lui font craindre que les actes de torture et de traitements cruels, inhumains ou dégradants ne fassent pas expressément l’objet de poursuites en tant que tels. Le Comité rappelle à l’État partie que le fait de nommer l’infraction de torture et d’engager des poursuites pour torture sert le but de la Convention, car il appelle l’attention de tout‑un‑chacun, notamment des auteurs, des victimes et du grand public, sur la gravité particulière de cette infraction, tout en permettant aux fonctionnaires compétents de repérer précisément sa commission, et au grand public de détecter et, si nécessaire, de contester les actions ou les omissions de l’État qui constituent une violation de la Convention. Enfin, malgré la création, en 2019, du Bureau des services d’inspection, le Comité est préoccupé par les informations selon lesquelles cet organe, qui relève du même pouvoir que la police et dont les locaux sont parfois situés dans le même immeuble que les services de police, manque d’indépendance et d’impartialité (art. 2, 11 à 14 et 16).

34. L ’ État partie devrait faire le nécessaire pour que toutes les allégations de torture et de traitement cruel, inhumain ou dégradant donnent lieu à une enquête et à ce que les faits soient poursuivis en tant que tels, compte tenu de l ’ importance qu ’ il y a à poursuivre les auteurs de tels actes, non seulement à des fins de dissuasion et pour faire respecter le principe de responsabilité, mais aussi pour que les victimes puissent obtenir réparation . L ’ État partie devrait aussi prendre les mesures législatives et les autres mesures qui s ’ imposent pour que les enquêtes soient menées par des mécanismes qui sont indépendants sur le plan institutionnel, afin d ’ éviter tous conflits d ’ intérêt dans les enquêtes concernant des actes de torture et des mauvais traitements .

Réparations

35.Le Comité prend note des mesures encourageantes que l’État partie a prises en matière de réadaptation et de réparation pour les victimes de torture et de traitements cruels, inhumains ou dégradants, notamment la présentation d’excuses officielles et l’adoption de la loi no 274/2017 sur les victimes d’infractions. Il constate néanmoins avec préoccupation que peu de professionnels de santé mentale sont qualifiés pour apporter une prise en charge psychologique ou psychiatrique aux victimes de torture et de mauvais traitements (art. 14).

36. Le Comité recommande à l ’ État partie de poursuivre ses efforts visant à assurer aux victimes de torture et de traitements cruels, inhumains ou dégradants des moyens de réadaptation et une réparation, en veillant tout particulièrement à affecter, en nombre suffisant, du personnel qualifié pour satisfaire à leurs besoins . Le Comité recommande aussi à l ’ État partie d ’ envisager de contribuer au Fonds de contributions volontaires des Nations Unies pour les victimes de la torture .

Châtiments corporels

37.Le Comité s’inquiète des ambiguïtés de la loi relative aux châtiments corporels sur les enfants dans le milieu familial ; il relève que le Code de la famille, dans sa version révisée, permet de recourir à des « méthodes d’éducation adéquates » et n’interdit pas expressément les châtiments corporels dans le milieu familial. Le Comité note que, selon l’État partie, les châtiments corporels sont interdits de manière implicite dans la législation interne, mais il souligne que leur interdiction explicite pourrait avoir un fort effet dissuasif et pédagogique sur les parents en ce qui concerne le recours aux châtiments corporels contre leurs enfants (art. 16).

38. Le Comité recommande à l ’ État partie d ’ interdire expressément et sans ambiguïté le recours par les parents aux châtiments corporels dans l ’ exercice de leurs droits et obligations, et de mener des campagnes de sensibilisation et d ’ éducation du grand public à l ’ interdiction des châtiments corporels sur les enfants et à leurs conséquences .

Procédure de suivi

39.Le Comité demande à l ’ État partie de lui faire parvenir le 12 mai 2024 au plus tard des renseignements sur la suite qu ’ il aura donnée à ses recommandations concernant la définition de la torture  ; l ’institution nationale pour la promotion et la protection des droits de l ’ homme  ; la stérilisation involontaire de femmes roms  ; les châtiments corporels (voir par . 8, 12, 24 et 38) . L ’ État partie est aussi invité à informer le Comité des mesures qu ’ il prévoit de prendre pour appliquer, d ’ ici la soumission de son prochain rapport, tout ou partie des autres recommandations formulées dans les présentes observations finales .

Questions diverses

40. L ’ État partie est invité à diffuser largement le rapport soumis au Comité ainsi que les présentes observations finales, dans les langues voulues, au moyen des sites Web officiels et par l ’ intermédiaire des médias et des organisations non gouvernementales, et d ’ informer le Comité des activités de diffusion qu ’ il aura menées .

41. Le Comité prie l ’ État partie de soumettre son prochain rapport périodique, qui sera le cinquième, d ’ ici au 12 mai 2027 . À cette fin, et compte tenu du fait qu ’ il a accepté d ’ établir son rapport selon la procédure simplifiée, le Comité lui fera parvenir en temps utile une liste préalable de points à traiter . Les réponses de l ’ État partie à cette liste constitueront le cinquième rapport périodique qu ’ il soumettra en application de l ’ article 19 de la Convention .