Nations Unies

CRC/C/87/D/75/2019

Convention relative aux droits de l’enfant

Distr. générale

9 juillet 2021

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’enfant

Constatations adoptées par le Comité au titre du Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant établissant une procédure de présentation de communications, concernant la communication no 75/2019 * , ** , ***

Communication présentée par :

M. W.

Victime(s) présumée(s) :

V. W.

État partie :

Allemagne

Date de la communication :

18 janvier 2019 (date de la lettre initiale)

Date des constatations :

31 mai 2021

Objet :

Non-exécution des dispositions relatives au droit de visite du père

Questions de procédure :

Fondement des griefs ; qualité de victime ; épuisement des recours internes

Questions de fond :

Intérêt supérieur de l’enfant ; séparation d’avec les parents ; recours effectif ; procès équitable − retard injustifié

Article(s) de la Convention :

3, 4, 5, 8, 9 (par. 3), 12, 14, 16, 18 et 19 (al. c))

Article(s) du Protocole facultatif :

5 (par. 2) et 7 (al. b), e) et f))

1.1L’auteur de la communication est M. W., de nationalité allemande, né en 1973. Il présente la communication au nom de sa fille, V. W., née le 5 mai 2008. Il n’est pas représenté par un conseil. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 14 avril 2014.

1.2Le 24 juin 2019, le Groupe de travail des communications, agissant au nom du Comité et se fondant sur l’article 6 du Protocole facultatif, a rejeté la demande de mesures provisoires présentée par l’auteur. Le même jour, il a décidé de rejeter la demande de l’État partie tendant à ce qu’il examine la recevabilité de la communication séparément du fond.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1Le 10 octobre 2014, le mariage des parents de V. W. a été dissous par un jugement de divorce. Précédemment, le 9 avril 2014, le tribunal de district de Potsdam avait attribué la garde exclusive de l’enfant à la mère. Le 25 mars 2015, la cour d’appel du Brandebourg a confirmé cette décision.

2.2Initialement, les parents de V. W. se sont entendus sur les modalités d’exercice du droit de visite de l’auteur. Toutefois, dans un deuxième temps, la mère a demandé à la justice de rendre une ordonnance de référé pour que ce droit soit réduit. À l’audience du 21 décembre 2015, les parents ont accepté de déroger temporairement à l’arrangement qui avait été établi, étant entendu qu’une solution permanente devrait être trouvée avant la fin de mai 2016. Les parents n’étant pas parvenus à un accord définitif, un arrangement temporaire a été établi par une ordonnance de référé rendue à une date non précisée.

2.3Le 25 juillet 2017, à la demande de l’auteur, le tribunal de district de Potsdam a modifié les modalités d’exercice du droit de visite de l’intéressé, estimant que celui-ci avait à la fois le droit et le devoir de s’occuper de sa fille un week-end sur deux, du jeudi soir après l’école jusqu’au mardi matin au début des cours. Aux fins de sa décision, le tribunal a suivi les recommandations des experts, qui étaient favorables à ce que l’auteur et sa fille passent davantage de temps ensemble. Il a néanmoins noté qu’il lui était impossible d’accorder la garde partagée à l’auteur, car ce mode de garde supposait que, dans la vie quotidienne, les deux parents exercent l’autorité parentale sur un pied d’égalité et de manière responsable, ce qui n’était pas possible en l’espèce compte tenu du fait qu’ils ne communiquaient pas entre eux. Parallèlement, le tribunal a rejeté la demande de la mère de V. W. tendant à ce qu’il réduise l’exercice du droit de visite de l’auteur, estimant que cette demande ne servait pas l’intérêt supérieur de l’enfant. À cet égard, il a constaté que V. W. était très affectée par la situation chaotique qui régnait tant chez sa mère que chez son père, et surtout par le conflit entre ses parents, mais que le contact avec son père n’était pas la source de ses problèmes. Le tribunal a de surcroît noté que, d’après l’experte, il ne faisait aucun doute que l’auteur était capable d’assumer ses obligations parentales et passait des moments privilégiés avec son enfant. Il a constaté que, même si V. W. prenait le parti de sa mère dans le conflit entre ses parents, sa relation avec son père méritait d’être protégée, se rangeant à l’avis de l’experte selon lequel il existait un risque d’aliénation parentale si le comportement observé chez l’enfant persistait, comportement dont la mère pourrait profiter pour limiter encore, voire supprimer, les contacts entre V. W. et son père.

2.4À une date non précisée, l’auteur a demandé que le tribunal réexamine la question de la garde de l’enfant. Le 25 juillet 2017, le tribunal de district de Potsdam a décidé que la mère conserverait la garde exclusive. L’auteur a fait appel de cette décision et a présenté plusieurs requêtes visant à accélérer la procédure d’appel.

2.5L’auteur soutient qu’il a pu exercer son droit de visite jusqu’en février 2018, après quoi, sans justification aucune, son ex-femme a commencé à l’empêcher de voir sa fille pendant les week-ends où il devait en avoir la garde. À certaines occasions, la mère a insisté pour que deux personnes qu’il ne connaissait pas accompagnent l’enfant pendant ses visites chez lui et a limité ces visites à deux heures. L’auteur a signalé le problème au bureau pour la protection de l’enfance, qui n’a pas pu intervenir car la mère refusait tout dialogue et lui a conseillé de porter plainte devant la justice. En juillet 2018, la mère a déménagé avec son nouveau mari et sa fille à Ettenheim, à quelque 800 kilomètres de leur précédent lieu de résidence. Depuis, l’auteur n’a plus pu avoir de contacts avec son enfant. Le bureau de protection de l’enfance du nouveau lieu de résidence de V. W. a informé l’auteur qu’il ne pourrait prendre aucune mesure tant que des procédures judiciaires étaient en cours, et la mère a continué de refuser tout dialogue.

2.6Par une décision du 19 juillet 2018, la cour d’appel du Brandebourg a confirmé le rejet de la demande de l’auteur tendant à ce que la garde de l’enfant lui soit confiée.

2.7Entre août et novembre 2018, l’auteur a présenté trois requêtes à la cour d’appel en vue de faire accélérer la procédure. Ces requêtes ont été rejetées ou n’ont pas eu de suite. Le 16 janvier 2019, la cour d’appel du Brandebourg a décidé de suspendre le droit de visite de l’auteur jusqu’au 30 juillet 2019 au motif que forcer V. W. à entretenir des contacts avec son père contre son gré compromettrait son bien-être et son développement psychique et mental. La cour a souligné que, depuis février 2018, V. W. avait déclaré à plusieurs reprises devant tous les acteurs concernés qu’elle ne voulait avoir strictement aucun contact avec son père, même si les visites étaient supervisées, ce qui excluait toute mesure même moins intrusive. De ce fait, la cour a accepté la proposition de la mère de ne pas mettre l’enfant sous pression pendant sa première année dans sa nouvelle école et d’attendre la fin des cours pour reprendre la procédure. L’auteur soutient que cette décision ne pouvait pas faire l’objet d’un recours ordinaire.

2.8Le 12 février 2019, l’auteur a déposé un recours constitutionnel contre la décision susmentionnée. Le 27 mars 2019, la Cour constitutionnelle a refusé de se saisir.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur avance que sa fille est victime d’une violation de l’article 3 de la Convention en ce que l’intérêt supérieur de l’enfant n’a pas été pris en compte par les autorités compétentes alors qu’il doit pourtant primer toute autre considération. En particulier, il soutient que le bureau de protection de l’enfance s’est rangé du côté de la mère et n’a pas fait grand-chose à cause des problèmes structurels qui handicapent le système national de protection de l’enfance (arriéré de dossiers, mauvaises conditions de travail, effectifs insuffisants, absence de supervision efficace). Il soutient également que, non seulement dans son cas, mais aussi de manière générale, en Allemagne, les tribunaux aux affaires familiales ne peuvent pas protéger efficacement l’intérêt supérieur de l’enfant en raison de la longueur des procédures, qui fait que les enfants restent longtemps dans l’incertitude cependant que leurs parents se disputent les droits de garde et de visite.

3.2L’auteur avance également qu’il a été porté atteinte à l’article 5 de la Convention en ce que l’État partie ne lui a pas permis d’exercer son rôle, ses droits et ses responsabilités en tant que père et l’a empêché de contribuer au développement de son enfant, d’une part parce qu’il n’a pas fait respecter le droit de visite que la justice lui avait accordé et d’autre part parce que la procédure judiciaire a été excessivement longue.

3.3L’auteur soutient que, comme il ressort des expertises réalisées dans le cadre de la procédure judiciaire, la mère de V. W. abuse de son droit de garde et maltraite l’enfant. Selon lui, V. W. est dépendante de sa mère et, sans intervention extérieure, et notamment sans l’intervention des tribunaux, elle sera incapable d’échapper à l’influence de celle-ci et de rétablir le contact avec lui. Or, priver l’enfant de tout contact avec son père et sa famille paternelle constitue manifestement une violation du droit de préserver son identité garanti à l’article 8 de la Convention. L’auteur avance qu’il appartient aux autorités de fournir à V. W. l’aide et la protection dont elle a besoin pour rétablir son identité le plus rapidement possible. Il avance également que l’État n’a pas respecté son droit et son devoir d’avoir une influence sur le développement de son enfant et a donc enfreint les dispositions de l’article 14 de la Convention.

3.4Invoquant les articles 9 et 16 de la Convention, l’auteur réaffirme que les tribunaux ont jugé que sa présence dans la vie de l’enfant était propice au développement de celle-ci et méritait donc d’être protégée. Néanmoins, les autorités compétentes n’ont fait aucun effort pour garantir le droit de l’enfant d’avoir des contacts réguliers avec le parent n’ayant pas la garde, ni pour mettre fin à l’ingérence arbitraire exercée par la mère dans l’exercice du droit de sa fille d’avoir une vie de famille, au mépris du large droit de visite accordé à l’auteur par le tribunal de district de Potsdam.

3.5L’auteur soutient que, quand bien même les tribunaux ont donné à l’enfant l’occasion d’exprimer son opinion, l’article 12 de la Convention n’a été respecté qu’en apparence, les experts ayant clairement établi que le rejet du père par l’enfant était dû à l’influence de la mère et au fait que V. W., aux prises avec un conflit de loyauté, avait pris le parti de celle-ci, qui l’avait volontairement coupée de son père pendant une longue période. L’auteur soutient également que la représentante légale de V. W. n’était pas impartiale et a défendu les intérêts de la mère au lieu de protéger l’intérêt supérieur de l’enfant. Il fait valoir que, comme les représentants légaux sont désignés par le tribunal, ils sont financièrement dépendants des juges, qui décident de faire appel à leurs services dans telle ou telle affaire, et leur indépendance est donc compromise.

3.6L’auteur soutient qu’il a été porté atteinte à l’article 18 de la Convention en ce que, au lieu de reconnaître que les deux parents ont une responsabilité commune pour ce qui est d’élever l’enfant et d’assurer son développement, le droit allemand de la famille est fondé sur le principe selon lequel un parent s’occupe de l’enfant et l’autre, des factures. Il avance que, en conséquence, sa fille et lui ont clairement été privés du droit reconnu à cet article.

3.7L’auteur soutient que, alors qu’il apparaît que la mère compromet potentiellement le bien-être de sa fille en faisant pression sur elle et en l’éloignant de lui, ce qu’ont confirmé les expertises réalisées, les tribunaux n’ont pas ordonné d’enquête, au mépris des obligations énoncées aux articles 4 et 19 de la Convention. Il ajoute que les juges aux affaires familiales n’ont pas la formation nécessaire pour que l’État partie puisse s’acquitter de l’obligation d’apprécier l’intérêt supérieur de l’enfant mise à sa charge par le droit international. Dans bien des cas, et notamment en l’espèce, les décisions que les juges rendent nuisent à l’enfant et l’empêchent de réaliser ses droits. L’auteur soutient que cette situation a encore été exacerbée par le fait que, comme les tribunaux sont surchargés, les procédures de détermination des droits de garde et de visite sont excessivement longues, ce qui est inacceptable dans un pays qui aurait les moyens financiers de s’attaquer à ces problèmes structurels.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur la demande de mesures provisoires formulée par l’auteur

4.1Dans des observations datées des 28 mars et 25 avril 2019, l’État partie a demandé au Comité de déclarer la communication irrecevable aux motifs que l’auteur n’avait pas la qualité de victime et n’avait pas épuisé les recours internes (voir art. 5 (par. 2) et 7 (al. e)) du Protocole facultatif). Il soutient en outre que la communication n’est pas recevable au regard de l’article 7 (al. b)) du Protocole facultatif parce qu’elle n’a été signée ni par l’auteur ni par V. W.

4.2En ce qui concerne la qualité de victime, l’État partie avance que V. W. n’a pas consenti à la présentation de la communication et que l’auteur ne peut agir au nom de sa fille car il n’en a pas la garde. S’il est possible, exceptionnellement, que le parent n’ayant pas la garde agisse au nom de son enfant lorsque l’intérêt supérieur de celui-ci l’exige, il y a tout lieu de croire, en l’espèce, que la communication a été soumise contre la volonté de l’enfant, qui a expressément refusé tout contact avec son père, raison pour laquelle, d’ailleurs, la cour d’appel du Brandebourg a rendu la décision que l’auteur conteste.

4.3L’État partie avance que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes, le recours qu’il a introduit auprès de la Cour constitutionnelle fédérale étant toujours en instance.

4.4Concernant la demande de mesures provisoires, l’État partie résume dans le détail le raisonnement exposé par le tribunal de district de Potsdam dans son jugement du 25 juillet 2017 et fait observer que, le 16 janvier 2019, la cour d’appel du Brandebourg a suspendu le droit de visite de l’auteur jusqu’au 30 juillet 2019, ce qui explique que les autorités n’aient par la suite pris aucune mesure pour faciliter les contacts entre l’auteur et son enfant.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité et la demande de mesures provisoires

5.Dans des commentaires datés du 27 mai 2019, l’auteur conteste la thèse de l’État partie concernant la recevabilité de la communication. Il fait observer que, le 27 mars 2019, la Cour constitutionnelle fédérale a refusé de se saisir de son recours, et qu’il a donc épuisé toutes les voies de recours internes disponibles. En outre, il soutient que la façon dont les tribunaux aux affaires familiales traitent la question de la séparation des enfants d’avec un de leurs parents, en particulier le père, est un problème systématique en Allemagne. Il souligne que l’État partie n’a pas répondu aux griefs relatifs à la longueur des procédures judiciaires. Il indique que, après que la Cour européenne des droits de l’homme a rendu plusieurs arrêts dans lesquels elle a conclu à des violations dans des affaires comparables, l’Allemagne a récemment pris des mesures pour accélérer les procédures dans les affaires qui relèvent du droit de la famille. Dans son cas, toutefois, ces mesures se sont avérées inefficaces.

Observations de l’État partie sur le fond

6.1Dans une note verbale datée du 29 octobre 2019, l’État partie a présenté des observations sur le fond de la communication.

6.2En ce qui concerne l’allégation de violation de l’article 3 de la Convention, l’État partie soutient que cette disposition fait de l’intérêt supérieur de l’enfant une considération parmi d’autres. L’intérêt supérieur de l’enfant, peut donc, dans certains cas, passer après d’autres intérêts privés et publics protégés par la loi. En tout état de cause, en l’espèce, l’intérêt supérieur de l’enfant a été une considération primordiale, V. W. ayant expressément dit qu’elle ne souhaitait pas avoir de contact avec l’auteur. De surcroît, en tenant dûment compte de la volonté de l’enfant, qui avait 11 ans lorsque la décision contestée a été rendue, la cour d’appel du Brandebourg a respecté les dispositions de l’article 12 de la Convention. L’État partie avance par ailleurs que, eût-elle été excessive, comme l’auteur le soutient, la longueur de la procédure n’a rien changé à l’appréciation du juge. En ce qui concerne les allégations concernant le système allemand de protection de l’enfance, l’État partie fait valoir que plusieurs audits ont été menés entre 2007 et 2011 et aucun n’a révélé l’existence de problèmes structurels. L’État partie explique qu’il incombe au premier chef aux parents de protéger l’intérêt supérieur de l’enfant, l’État ayant uniquement un rôle de tuteur qui lui permet d’intervenir par certains moyens si le développement de l’enfant est menacé. Quant au rôle des bureaux de protection de l’enfance, il fait observer que ce sont des organes administratifs et que leurs agents doivent par conséquent exercer leurs fonctions dans le respect de la loi. Néanmoins, il est possible de dénoncer toute illégalité présumée auprès des organes de contrôle ou des tribunaux administratifs. En outre, l’État partie conteste l’allégation de l’auteur selon laquelle le droit allemand de la famille aggrave les conflits au lieu de favoriser la réconciliation. À cet égard, il fournit des informations générales concernant les lois qui visent à améliorer le système de protection de l’enfance et à faciliter le règlement non contentieux des différends, et renvoie aux garanties procédurales adoptées en matière de droit de la famille, notamment le fait que les juges peuvent ouvrir une enquête d’office et désigner un représentant légal pour l’enfant et sont tenus de tenir des audiences.

6.3En ce qui concerne l’allégation de violation de l’article 4 de la Convention, l’État partie fait observer que cette disposition impose aux États l’obligation directe de réaliser tous les droits énoncés dans la Convention. Partant, elle ne fait qu’emporter une « obligation objective », sans reconnaître aucun « droit subjectif » à la personne. L’auteur ne peut donc pas alléguer qu’il a été victime d’une violation de l’article 4 de la Convention.

6.4En ce qui concerne l’allégation de violation de l’article 5 de la Convention, l’État partie fait observer que cette disposition impose à la famille ou aux autres personnes légalement responsables de l’enfant de donner à celui-ci l’orientation et les conseils appropriés à l’exercice des droits que lui reconnaît la Convention. Par ailleurs, il cite la législation interne relative aux droits et obligations des parents au regard de leurs enfants mineurs.

6.5En ce qui concerne les articles 7 et 8 de la Convention, l’État partie souligne que ces dispositions garantissent à l’enfant, dans la mesure du possible, le droit de connaître ses parents et d’être élevé par eux. Néanmoins, certaines situations justifient que ce droit ne soit pas réalisé, par exemple lorsque l’enfant doit être retiré à sa famille. Étant donné que, en l’espèce, V. W. a refusé tout contact avec l’auteur, l’État partie ne saurait être tenu pour responsable de l’absence de relations entre le père et la fille, d’autant que rien dans le dossier ne permet de penser que le contact ne pourrait pas être rétabli si l’intéressée le souhaitait.

6.6Concernant l’allégation de violation de l’article 12 de la Convention, l’État partie insiste sur le fait que l’enfant a expressément refusé de voir son père.

6.7L’État partie soutient que l’article 9 (par. 3) de la Convention est muet sur la question de savoir dans quelle mesure les États parties doivent réglementer les relations personnelles entre l’enfant et le parent qui n’en a pas la garde. Nonobstant les allégations de l’auteur selon lesquelles la mère a peut-être influencé sa fille, le refus d’un enfant d’avoir des contacts avec un de ses parents, s’il est fondé, peut être déterminant.

6.8L’État partie avance que rien dans le dossier ne permet de penser que la mère a à ce point manipulé sa fille que celle-ci n’est plus capable d’exercer les droits garantis par l’article 14 de la Convention.

6.9En ce qui concerne l’allégation de violation de l’article 16 de la Convention, l’État partie soutient que la notion de vie privée est une notion « fourre-tout » et que le droit fondamental à la vie privée protège toutes les formes d’exercice, d’expression et de manifestation de ce qui relève du domaine privé. Partant, si ce droit protège les actes ou omissions susceptibles de nuire à l’enfant qui en est titulaire, l’étendue de cette protection est limitée par le libre-arbitre de l’intéressé tel qu’il est reconnu aux articles 5 et 12 de la Convention. L’État partie rappelle que, en l’espèce, l’enfant a elle-même décidé de ne plus avoir de contact avec son père.

6.10L’État partie soutient que l’article 18 (par. 1) de la Convention ne fait aucunement obligation aux États parties d’accorder la garde conjointe aux parents séparés et que, lorsque les parents n’habitent plus sous le même toit, celui avec lequel l’enfant vit a de fait davantage de responsabilités. Cela étant, si les parents ne parviennent pas à s’entendre sur l’exercice des responsabilités parentales, l’État doit agir dans l’intérêt supérieur de l’enfant, sachant que la garde conjointe peut être contraire à cet intérêt. Par ailleurs, l’État partie réaffirme que la décision des tribunaux nationaux d’accorder la garde exclusive à la mère est conforme à la volonté de l’enfant.

6.11En ce qui concerne la violation alléguée de l’article 19 de la Convention, l’État partie soutient que cette disposition met une obligation directe à la charge des États et ne crée aucun « droit subjectif » en faveur des personnes. En tout état de cause, les informations fournies au Comité ne font pas manifestement apparaître que V. W. est victime de violences physiques ou émotionnelles, de négligence, d’abus sexuels ou d’autres mauvais traitements de la part de sa mère.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernant le fond

7.1Dans des commentaires datés du 1er décembre 2019, l’auteur informe le Comité que, à cette date et bien qu’une procédure ait été engagée devant le tribunal du ressort du nouveau domicile de l’enfant, à savoir le tribunal de district d’Emmendingen, ni lui ni sa famille n’ont eu de contact avec sa fille.

7.2En ce qui concerne l’allégation de violation de l’article 3 de la Convention, l’auteur soutient qu’aucun recours juridique ne permet de dénoncer le dysfonctionnement des bureaux de protection de l’enfance et que le recours disciplinaire n’est pas un recours effectif étant donné que l’autorité mise en cause est à la fois juge et partie. De surcroît, il fait observer que les réformes législatives visant à accélérer les procédures judiciaires ne servent à rien tant qu’elles ne sont pas mises en application par les tribunaux.

7.3L’auteur reprend les arguments qu’il a précédemment formulés concernant la violation des droits garantis par l’article 5 de la Convention et souligne que, malgré les obligations que la Convention met à la charge de l’État partie, dans les situations litigieuses, les enfants finissent hélas généralement par ne plus avoir de relations avec l’un de leurs parents.

7.4L’auteur fait observer que l’argument selon lequel rien dans le dossier ne permet de penser que sa fille ne pourrait pas rétablir le contact avec lui si elle le souhaitait et il n’y a donc pas eu violation de l’article 8 de la Convention montre clairement que l’État partie ne comprend pas la situation et, surtout, ne réalise pas que l’enfant est vulnérable parce qu’elle est influencée par sa mère, dont elle est dépendante. Il avance que la dépendance excessive envers un parent est considérée comme préjudiciable au développement personnel et au bien‑être de l’enfant et ne saurait justifier la violation des droits que sa fille tient des articles 9, 12 et 14 de la Convention. L’auteur fait de nouveau valoir les griefs tirés des articles 18 et 19 de la Convention et ajoute que l’Organisation mondiale de la Santé a récemment reconnu l’aliénation parentale, qui figure sur la liste des problèmes relationnels répertoriés dans la nouvelle Classification internationale des maladies (CIM-11).

Renseignements complémentaires communiqués par l’auteur

8.1Le 11 mars 2021, l’auteur a fourni des renseignements complémentaires au Comité, indiquant que la décision de la cour d’appel du Brandebourg datée du 16 janvier 2019 était la dernière décision en date rendue par les juridictions nationales. Il soutient que, hormis par la voie du recours extraordinaire qu’il a présenté devant la Cour constitutionnelle et que celle‑ci a déclaré irrecevable en mars 2019, il n’a pas eu la possibilité de contester le verdict de la cour d’appel. Il rappelle que, le 22 mai 2019, il a engagé une procédure devant le tribunal de district d’Emmendingen en vue de faire rétablir son droit de visite. À la première audience, le 2 juillet 2019, le tribunal a demandé qu’une expertise soit réalisée avant le 1er avril 2020. À cette audience également, le service de protection de l’enfance et la représentante légale de l’enfant se sont déclarés préoccupés par le fait que l’auteur ne pouvait pas voir sa fille, estimant que cette situation, qui était peut-être due à une aliénation parentale, pouvait avoir un effet néfaste sur le développement de V. W. La représentante légale s’est en outre inquiétée du fait que les tribunaux n’avaient pris aucune mesure depuis la décision de janvier 2019, ce qui perpétuait regrettablement l’absence totale de contact entre le père et l’enfant. L’auteur soutient que, le 10 octobre 2019, la mère a contesté l’impartialité du juge saisi de l’affaire afin de retarder l’adoption d’une décision. Toutefois, après qu’il a présenté une demande tendant à accélérer la procédure, le 9 décembre 2019, le tribunal a rejeté la requête de la mère. Celle-ci a interjeté appel, mais a été déboutée le 19 juin 2020. L’auteur a en outre demandé au tribunal de rendre une ordonnance de référé l’autorisant à renouer le contact avec sa fille dans le cadre de visites supervisées. Toutefois, il est toujours en attente d’une décision, malgré ses multiples requêtes tendant à accélérer la procédure.

8.2Le 26 mai 2020, la représentante légale de V. W. a informé le tribunal de district qu’elle n’avait plus aucun contact avec l’enfant depuis plus d’un an à cause du manque de coopération de la mère. Estimant que la situation compromettait le bien-être de l’enfant, elle a demandé au tribunal de prendre des mesures. Le 7 août 2020, l’auteur a de nouveau saisi le tribunal d’une requête tendant à accélérer la procédure, présentée au titre de l’article 155 (al. b) de la loi sur les procédures relatives au droit de la famille, et a déposé une plainte dénonçant l’inaction du tribunal. Cette plainte a été rejetée le 28 août 2020. Dans l’intervalle, le tribunal de district a repoussé au 1er novembre 2020 le délai de soumission de l’expertise. Le 5 octobre 2020, l’experte a fait savoir qu’elle ne pourrait pas achever son rapport parce que la mère l’empêchait de rencontrer l’enfant. Le 11 octobre 2020, la représentante légale de V. W. a informé le tribunal de district que la mère l’avait systématiquement empêchée de rencontrer l’enfant et que comme, dans ces circonstances, elle ne pouvait pas faire son travail, elle souhaitait qu’il soit fait droit à la demande de la mère de la dessaisir du dossier.

8.3L’auteur allègue que certains rapports médicaux indiquent que l’enfant souffre d’une fatigue constante qui pourrait être due au fait que la mère lui donne des médicaments ayant d’importants effets secondaires. Il avance que l’état de santé de sa fille a à plusieurs reprises empêché celle-ci d’aller à l’école et de faire certaines activités et que la mère s’en est servi d’excuse pour annuler les réunions prévues avec la représentante légale et l’experte désignée par le tribunal. Il fait observer que le service de protection de la jeunesse a informé le tribunal que la santé de l’enfant s’était détériorée et qu’une expertise devait être réalisée sans plus attendre. Au cas où l’un ou l’autre des parents s’y opposerait, il était recommandé que la garde soit partagée entre le père et la mère pour prévenir tout risque pour l’enfant. Nonobstant cet avis, à l’audience du 14 décembre 2020, le tribunal n’a pas avancé le délai de soumission de l’expertise. En outre, après l’audition de l’enfant, le 8 janvier 2021, le juge n’a pas émis d’ordonnance de référé ou rendu une décision qui permettrait de régler la situation. Pendant l’audition, l’enfant a une fois de plus fait savoir qu’elle ne voulait plus avoir de contact avec son père. Le 2 février 2021, l’auteur a de nouveau introduit une requête tendant à accélérer la procédure, mais a été débouté le 8 février 2021. Il a interjeté appel devant le tribunal régional de Karlsruhe, qui l’a débouté le 31 mars 2021. Il soutient que les voies de recours disponibles ne sont pas efficaces pour ce qui est de faire accélérer les procédures judiciaires.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

9.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 20 de son règlement intérieur au titre du Protocole facultatif, déterminer si la communication est recevable.

9.2Le Comité note que l’État partie soutient que la communication est irrecevable au regard de l’article 5 (par. 2) du Protocole facultatif et de l’article 13 du règlement intérieur au motif que la victime présumée n’a pas consenti à la présentation de la communication et que l’auteur n’a pas la garde de l’enfant. Il rappelle que ces dispositions permettent de présenter une communication sans le consentement exprès de la victime présumée dès lors que l’auteur peut justifier qu’il agit au nom de celle-ci et que le Comité estime qu’il en va de l’intérêt supérieur de l’enfant. En pareilles circonstances, le parent qui n’a pas la garde doit être considéré comme ayant l’autorité nécessaire pour représenter son enfant devant le Comité, sauf s’il peut être établi qu’il n’agit pas dans l’intérêt supérieur de l’intéressé. Dans des affaires qui soulevaient des questions analogues, notamment dans Y et Z c. Finlande, C.R. c. Paraguay et F.F., T.F. et E.F. c. Panama, le Comité, après avoir dûment pesé les circonstances de l’espèce, a considéré que rien ne l’empêchait d’examiner les communications en question. Cependant, ces affaires sont différentes de la présente affaire d’un point de vue factuel en ce que l’État partie ne contestait pas la recevabilité de la plainte pour ce motif particulier ou les enfants concernés étaient plus jeunes et leur opinion n’était pas connue du Comité.

9.3En l’espèce, le Comité note que, d’après les informations versées au dossier, depuis février 2018, V. W. a dit à plusieurs reprises, devant tous les acteurs concernés, qu’elle ne voulait plus avoir de contact avec son père. Il note également que, d’après les informations les plus récentes qu’il a reçues, lors d’une audience tenue le 8 janvier 2021, V. W. a de nouveau exprimé fermement son souhait de n’avoir aucun contact avec son père. Il note en outre que V. W. a maintenant 13 ans et qu’il convient d’accorder le poids voulu à son opinion, compte tenu de son âge et de son degré de maturité. Passant à la question de savoir si les circonstances de l’espèce lui permettent d’examiner l’affaire même si V. W. n’a pas consenti à ce que l’auteur agisse en son nom, le Comité prend en considération le fait qu’elle a récemment refusé de nouveau d’avoir des contacts avec son père et que l’on peut raisonnablement affirmer que, si elle avait eu la possibilité de donner son avis sur l’affaire à l’examen, elle n’aurait pas consenti à ce que l’auteur soumette la communication en son nom. Même s’il reconnaît que, dans certains cas, il peut y avoir un conflit entre l’opinion de l’enfant et son intérêt supérieur, il observe que, en l’espèce, les autorités de l’État partie n’ont pas été inactives pendant la période concernée. Il note que non seulement l’enfant a été entendue récemment par le juge, mais une représentante légale a été nommée pour représenter ses intérêts, des expertises ont été réalisées et une nouvelle expertise doit être soumise dans le cadre de la procédure en cours devant le tribunal de district d’Emmendingen. À cet égard, le Comité a conscience de l’absence alléguée de coopération de la part de la mère, qui a empêché les experts de s’acquitter de leurs fonctions dans les meilleurs délais. Néanmoins, il considère que le tribunal de district d’Emmendingen semble surveiller la situation et note qu’il ressort du compte rendu de l’audience de V. W. qui a eu lieu le 8 janvier 2021 qu’il est prévu que l’enfant rencontre l’expert prochainement. Dans ces circonstances, même s’il estime que la décision de l’auteur de soumettre la communication sans le consentent de sa fille pouvait se justifier au moment où la plainte a été enregistrée, au titre de l’article 13 (par. 3) de son règlement intérieur au titre du Protocole facultatif, les faits qui se sont produits ensuite le conduisent à conclure qu’il n’est plus dans l’intérêt supérieur de l’enfant qu’il examine la communication sans le consentement exprès de V. W. Par conséquent, il considère que l’article 5 (par. 2) du Protocole facultatif, lu conjointement avec l’article 20 (par. 4) de son règlement intérieur l’empêche d’examiner la communication.

9.4Par conséquent, le Comité décide :

a)Que la communication est irrecevable au regard de l’article 5 (par. 2) du Protocole facultatif ;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’auteur de la communication et, pour information, à l’État partie.

Annexe

Opinion conjointe (dissidente) de Bragi Gudbransson et Velina Todorova

Concernant la recevabilité

1.Nous ne souscrivons pas à la décision de la majorité déclarant la communication irrecevable au regard de l’article 5 (par. 2) du Protocole facultatif et de l’article 13 du règlement intérieur du Comité au titre du Protocole facultatif.

2.Nous notons que les faits qui se sont produits après l’enregistrement de la communication ont conduit le Comité à conclure qu’il n’était plus dans l’intérêt supérieur de l’enfant que la communication soit examinée sans le consentement exprès de l’enfant. Nous rappelons néanmoins que, dans des affaires soulevant des questions analogues, y compris dansY et Z c . Finland e, C.R. c . Paraguay et F.F., T.F. et E.F. c . Panam a, le Comité a estimé qu’une communication peut être soumise au nom d’une victime présumée sans son consentement exprès dès lors que l’auteur peut justifier qu’il agit au nom de celle-ci et que le Comité estime qu’il en va de l’intérêt supérieur de l’enfant. Nous notons que, dans C.R. c . Paraguay, alors que l’enfant aurait pu être considérée suffisamment mature pour exprimer son opinion, le Comité n’a pas examiné la question de la qualité de victime au regard des dispositions pertinentes.

3.En l’espèce, nous estimons qu’il est difficile de déterminer ce que l’enfant pense de la présentation de la communication par son père et que c’est une erreur de faire de l’opinion de l’enfant le facteur déterminant de l’irrecevabilité de la communication, puisque l’enfant a été complétement privée de la sécurité et du soutien nécessaires à l’expression d’une opinion et que les éléments disponibles portent à croire que sa mère fait pression sur elle pour qu’elle refuse tout contact avec son père. Même sa représentante légale n’a pas pu s’entretenir avec elle et on ne sait pas si elle a été informée de la présentation de la communication au Comité. De surcroît, des spécialistes se sont dits préoccupés par le fait que V. W. était isolée par sa mère et par l’apparente détérioration de sa santé. Par conséquent, nous considérons que l’aliénation parentale alléguée et ses effets potentiels sur la volonté exprimée par l’enfant de ne pas voir son père font précisément partie de la question dont est saisi le Comité. Dans ces conditions, nous ne pouvons pas présumer que la présentation de la communication est contraire à l’intérêt supérieur de l’enfant. Nous concluons par conséquent que rien dans les dispositions de l’article 5 (par. 2) du Protocole facultatif ne fait obstacle à la recevabilité de la communication.

4.Nous considérons en outre que, aux fins de la recevabilité, l’auteur a suffisamment étayé les allégations selon lesquelles l’État partie n’a pas veillé à ce qu’il puisse maintenir le contact avec sa fille et n’a pas tenu compte de l’intérêt supérieur de l’enfant, ce qui semble soulever des questions au regard des articles 3, 9 (par. 3) et 18 de la Convention. Nous considérons de surcroît que cette partie de la communication n’est pas irrecevable pour d’autres motifs. Le Comité aurait donc dû la déclarer recevable.

Concernant le fond

5.Nous estimons que le Comité aurait dû déterminer si, dans les circonstances de l’espèce, en ne veillant pas à ce que l’auteur et sa fille puissent maintenir le contact, l’État partie a violé le droit que l’enfant tient de l’article 9 (par. 3) de la Convention d’entretenir régulièrement des relations personnelles et des contacts directs avec son père. Le Comité n’a pas non plus cherché à déterminer si les allégations de l’auteur concernant l’absence de contact avec sa fille faisaient aussi apparaître une violation des articles 3 et 18 de la Convention.

6.Nous rappelons que l’article 9 (par. 3) de la Convention fait obligation aux États parties de respecter le droit de l’enfant séparé de ses deux parents ou de l’un d’eux d’entretenir régulièrement des relations personnelles et des contacts directs avec ses deux parents, sauf si cela est contraire à l’intérêt supérieur de l’enfant. Nous rappelons également la position du Comité selon laquelle les procédures judiciaires portant sur les droits de visite entre un enfant et un parent dont il est séparé doivent être menées rapidement, car le passage du temps peut avoir des conséquences irréparables sur les relations entre l’enfant et son parent. Cela inclut l’application rapide des décisions résultant de ces procédures. Nous rappelons de surcroît que, en règle générale, l’interprétation et la bonne application de la législation nationale doivent rester la prérogative des autorités nationales, sauf lorsqu’il apparaît qu’elles ont été manifestement arbitraires ou ont constitué un déni de justice. Le rôle du Comité est de vérifier qu’il n’y a pas eu d’arbitraire ni de déni de justice et que l’intérêt supérieur de l’enfant a été une considération primordiale.

7.En l’espèce, nous notons que l’auteur soutient, et que l’État partie ne conteste pas, qu’il n’a plus eu aucun contact avec sa fille depuis juillet 2018 parce que, bien que les tribunaux lui aient accordé un droit de visite, la mère l’a empêché d’avoir toute relation avec l’enfant. Il avance que, en ne faisant pas respecter son droit de visite et en ne réexaminant pas les modalités de garde après le 30 juillet 2019 malgré ses demandes répétées, les autorités nationales n’ont pas garanti le droit de V. W. d’avoir des contacts réguliers avec le parent qui n’a pas la garde, alors que sa présence dans la vie de sa fille avait pourtant été jugée digne de protection. Nous notons également que l’auteur avance que, étant donné que sa fille est exposée à l’aliénation parentale, le fait qu’elle refuse expressément de le voir ne saurait justifier que tout contact entre eux soit coupé. Cela étant, nous prenons note de l’argument de l’État partie, pour qui le refus fondé de la part d’un enfant d’entretenir des contacts avec un parent peut être décisif dans la détermination du droit de visite même s’il est allégué que l’enfant est influencé par sa mère.

8.Nous constatons que, malgré la décision du 25 juillet 2017 relative aux modalités d’exercice de son droit de visite, l’auteur a commencé dès mars 2018 à être empêché d’entretenir des contacts réguliers et non supervisés avec sa fille et qu’il en a informé les autorités. Toutefois, ses plaintes n’ont pas eu de suite parce qu’une procédure était en instance devant la cour d’appel du Brandebourg et la mère refusait d’engager le dialogue tant avec l’auteur qu’avec le bureau de protection de l’enfance. La situation a encore été aggravée par le fait que la mère a décidé de déménager dans une ville située à quelque 800 kilomètres de son ancien domicile, en conséquence de quoi, malgré ses tentatives répétées pour voir sa fille, l’auteur a fini par perdre tout contact avec elle en juillet 2018. Nous notons que l’État partie n’a pas précisé quelles mesures avaient été prises par les autorités nationales, le cas échéant, pour faciliter les contacts entre l’auteur et V. W. et, en particulier, pour atténuer les difficultés créées par l’éloignement physique qu’a entraîné le déménagement de l’enfant, que ce soit entre mars 2018 et janvier 2019 (lorsque la cour d’appel du Brandebourg a rendu sa décision) ou après juillet 2019 (lorsque le droit de visite de l’auteur a été rétabli). Nous constatons avec préoccupation que, alors que la mesure de suspension du droit de visite de l’auteur n’était que temporaire, les tribunaux n’ont pas d’office réexaminé les modalités de ce droit, ni lorsque la mesure a expiré, le 30 juillet 2019, ni après. De surcroît, à ce jour et bien que la représentante légale de l’enfant ait fait expressément part de ses préoccupations au tribunal du ressort du nouveau domicile de l’enfant, à savoir le tribunal de district d’Emmendingen, celui-ci n’a rendu aucune décision, ni même aucune ordonnance de référé, concernant la procédure engagée par l’auteur en vue d’obtenir un droit de visite.

9.En ce qui concerne l’argument de l’État partie selon lequel V. W. a expressément refusé de voir son père, nous sommes conscients que les autorités judiciaires doivent accorder du poids à l’avis de l’enfant. Cela étant, il convient de noter que la longueur excessive de la procédure a donné lieu à une situation dans laquelle l’enfant a été coupée de son père et se retrouve sous l’influence exclusive de sa mère. De surcroît, nous avons à l’esprit que, dans le cadre de l’action que l’auteur a engagée le 22 mai 2019 pour faire rétablir son droit de visite, l’experte désignée par le tribunal de district d’Emmendingen et la représentante légale de l’enfant ont signalé à de nombreuses reprises qu’elles ne pouvaient pas entrer en contact avec V. W. à cause du manque de coopération de la mère et que, dans ces circonstances, elles n’étaient pas en mesure de s’acquitter de leur mission de protéger l’intérêt supérieur de l’enfant. Nous notons à cet égard que, même si l’enfant a été entendue par le tribunal de district le 8 janvier 2021, aucune expertise n’a été réalisée et aucune décision n’a encore été rendue.

10.Nous rappelons qu’il ressort de l’observation générale no 14 -(2013) du Comité que l’article 3 de la Convention relative aux droits de l’enfant confère à l’enfant le droit à ce que son intérêt supérieur soit apprécié et soit une considération primordiale dans toutes les actions ou décisions qui le concernent, tant dans la sphère publique que dans la sphère privée. L’inaction, la carence et l’omission sont aussi considérées comme des actions, par exemple lorsque les services sociaux ne font pas le nécessaire pour protéger un enfant contre la négligence ou les mauvais traitements.

11À la lumière de ce qui précède, nous estimons que, en ne prenant pas de dispositions, entre mars 2018 et le moment où le droit de visite de l’auteur a été suspendu, pour faire respecter les modalités d’exercice de ce droit telles qu’elles avaient été définies par le tribunal de district de Potsdam en 2017 et en ne réexaminant pas ces modalités une fois la mesure de suspension levée, ce qui a probablement conduit à ce qu’elle reste appliquée au‑delà du 30 juillet 2019, l’État partie a porté atteinte au droit de l’enfant d’entretenir régulièrement des relations personnelles et des contacts directs avec son père, garanti par l’article 9 (par. 3) de la Convention, et à son droit de voir son intérêt supérieur pris en compte, garanti par l’article 3. Nous estimons également que cette inaction constitue une violation de l’obligation qui incombe à l’État partie, au titre de l’article 18 de la Convention, de n’épargner aucun effort pour faire reconnaître le principe selon lequel les deux parents ont une responsabilité commune pour ce qui est d’élever l’enfant et d’assurer son développement.

12.Nous estimons que les faits dont le Comité est saisi font apparaître une violation des articles 3, 9 (par. 3) et 18 de la Convention.