Communication présentée par:

E. K. W. (représentée par le Refugee Advice Centre)

Au nom de:

E. K. W.

État partie:

Finlande

Date de la requête :

2 février 2012 (date de la lettre initiale)

Date de la présente décision:

4 mai 2015

Objet:

Risque d’expulsion vers la République démocratique du Congo

Question(s) de fond:

Risque de torture en cas de renvoi dans le pays d’origine

Article(s) de la Convention:

3 et 22

Annexe

Décision du Comité contre la torture au titre de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (cinquante-quatrième session)

concernant la

Communication no 490/2012 *

Présentée par:

E. K. W. (représentée par le Refugee Advice Centre)

Au nom de:

E. K. W.

État partie:

Finlande

Date de la requête:

2 février 2012 (date de la lettre initiale)

Le Comité contre la torture, institué en vertu de l’article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 4 mai 2015,

Ayant achevé l’examen de la requête no 490/2012, présentée par E. K. W. en vertu de l’article 22 de la Convention contre la torture,

Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par la requérante et l’État partie,

Adopte ce qui suit :

Décision au titre du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention

1.1La requérante, E. K. W., est une ressortissante de la République démocratique du Congo, née le 27 avril 1976. Elle affirme que son expulsion vers la République démocratique du Congo constituerait une violation par la Finlande de l’article 3 de la Convention. La requérante vit avec un compagnon et est mère de deux enfants, tous deux mineurs, nés en Finlande. Elle est représentée par un conseil.

1.2En application du paragraphe 1 de l’article 114 de son règlement intérieur, le Comité a demandé à l’État partie, le 3 février 2012, de ne pas expulser la requérante vers la République démocratique du Congo tant que sa requête serait à l’examen. Le 9 juillet 2012, l’État partie a informé le Comité qu’il avait accédé à sa demande.

Rappel des faits présentés par la requérante

2.1La requérante est née et a vécu à Kinshasa. Elle travaillait avec l’organisation non gouvernementale Lisanga Boboto, dont le but était de venir en aide aux femmes du pays. Elle était également membre du Mouvement de libération du Congo (MLC), qui était à l’époque le principal parti d’opposition en République démocratique du Congo. La requérante assistait aux réunions du MLC et était active au sein du parti.

2.2Le 12 mars 2009, la requérante s’est rendue à Dongo pour y tenir une réunion en vue de mobiliser la population féminine locale. À l’époque, l’Armée de libération du Congo (ALC), la branche armée du MLC, et les Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) étaient engagées dans un conflit armé. La réunion a été interrompue par des soldats des FARDC. La requérante portait un t-shirt et une écharpe du MLC, et les soldats ont également trouvé dans son sac une carte de membre du parti. Ils ont arrêté la requérante ainsi que d’autres femmes qui participaient à la réunion. La requérante a été emprisonnée dans leur camp, détenue dans une fosse, et elle a été violée et constamment brutalisée par les soldats pendant les deux ou trois mois qu’elle a passés en détention. Elle a réussi à s’évader à la faveur d’une attaque du camp par les forces d’opposition, et a trouvé refuge dans une église locale, où des gens ont soigné ses blessures et l’ont aidée à fuir le pays.

2.3La requérante est arrivée en Finlande et a demandé l’asile le 16 février 2010. Elle a produit un rapport médical décrivant les blessures qui lui avaient été infligées pendant sa détention ainsi que les effets du traitement auquel elle avait été soumise dans le camp militaire. Le 28 septembre 2010, le Service finlandais de l’immigration a décidé d’expulser la requérante, après avoir rejeté sa demande d’asile au motif qu’elle présentait des incohérences et des invraisemblances. Il a considéré que les traumatismes qui étaient énumérés dans le certificat médical produit par la requérante (cicatrices, symptômes douloureux post-traumatiques et anxiété mentale), sans être incompatibles avec les déclarations de la requérante, pouvaient avoir d’autres causes que celles évoquées par cette dernière. Le Service de l’immigration n’a pas estimé que la requérante présentait un profil politique propre à l’exposer à un risque de violation de ses droits en cas de renvoi dans son pays d’origine.

2.4La requérante a formé un recours contre cette décision devant le Tribunal administratif d’Helsinki, qui l’a déboutée le 20 septembre 2011. Le Tribunal a indiqué que ni le Service de l’immigration ni lui-même n’avaient pu trouver la moindre mention d’affrontements armés entre les FARDC et l’ALC qui seraient survenus dans la région de Dongo en mars 2009. Le Tribunal n’a pas considéré que la requérante présentait un profil politique ou social particulièrement marqué et a relevé qu’elle n’avait pas affirmé avoir été victime de violations à Kinshasa, la ville où elle résidait. Le Tribunal a estimé peu probable qu’en cas de renvoi dans son pays, la requérante intéresse particulièrement les autorités, spécialement à Kinshasa.

2.5La requérante fait valoir qu’en raison de problèmes d’interprétation lors de son entretien, le Service de l’immigration puis le Tribunal ont supposé qu’elle n’appartenait pas au MLC alors qu’en fait, elle y militait activement depuis 2002.

2.6Le 4 novembre 2011, la requérante a sollicité l’autorisation de faire appel devant le Tribunal administratif suprême, lequel a rejeté sa demande et adopté une décision négative définitive le 12 décembre 2011.

2.7Le 3 novembre 2011, la requérante a commencé à se rendre au Centre SOS-Crise, vers lequel le centre d’accueil de Metsälä l’avait orientée en raison de son état anxieux. Elle a eu une première consultation psychiatrique le 19 janvier 2012, suivie d’une seconde le 14 février 2012.

2.8Le 20 octobre 2012, la requérante a donné naissance à son premier enfant.

2.9Dans sa requête, la requérante renvoie au rapport de la Haut-Commissaire des Nations Unies sur la situation des droits de l’homme et les activités du Haut-Commissariat en République démocratique du Congo (A/HRC/10/58) et au rapport établi en 2010 par le Département d’État des États-Unis sur la situation des droits de l’homme en République démocratique du Congo, pour faire comprendre la pratique généralisée de violence sexuelle et de viol contre les femmes dans le pays.

Teneur de la plainte

3.La requérante affirme que son expulsion vers la République démocratique du Congo constituerait une violation de l’article 3 de la Convention au motif qu’elle a déjà été victime de viol et qu’il existe des motifs sérieux de croire qu’elle sera soumise à la torture ou à d’autres traitements inhumains ou dégradants si elle est renvoyée dans ce pays.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Le 9 juillet 2012, l’État partie a fait part de ses observations sur la recevabilité et sur le fond. Le Gouvernement ne soulève pas d’exception d’irrecevabilité de la requête. Quant au fond, il estime que les autorités nationales ont examiné la demande d’asile de la requérante de manière équitable et approfondie, et qu’elles n’ont pu établir qu’en cas de renvoi en République démocratique du Congo, l’intéressée courrait un risque sérieux d’être soumise à la torture ou à des mauvais traitements, en violation de l’article 3 de la Convention.

4.2Dans son exposé des faits de la cause, l’État partie décrit la procédure dont la requérante a fait l’objet au niveau national et évoque les dispositions du droit interne et du droit international pertinentes en ce qui concerne la décision rendue par les autorités nationales. Il note que la requérante a déposé sa demande d’asile auprès de la police le jour de son arrivée en Finlande. Elle y indiquait qu’elle avait été prisonnière politique des FARDC et que, compte tenu de son profil politique, les FARDC attenteraient à nouveau à ses droits si elle était renvoyée dans le pays. La requérante a présenté un rapport médical daté du 2 juin 2010 selon lequel ses cicatrices, ses symptômes et son état anxieux étaient compatibles avec son récit des faits ayant provoqué les maux dont elle souffrait.

4.3Le 28 septembre 2010, le Service finlandais de l’immigration a rejeté la demande d’asile de la requérante, refusé de lui délivrer un permis de séjour et décidé de la renvoyer dans son pays d’origine. Il a motivé sa décision, entre autres, par l’impossibilité d’établir l’identité de l’intéressée ou l’itinéraire qu’elle avait suivi pour arriver en Finlande. Le Service de l’immigration a également relevé que, selon ses propres déclarations, la requérante n’avait pas pris part à des activités politiques ou religieuses dans son pays d’origine. Elle n’avait pas non plus fait état de problèmes en relation avec son travail au sein de Lisanga Boboto. Au sujet du rapport médical daté du 2 juin 2010, le Service de l’immigration a observé que si les traumatismes présentés par la requérante ne contredisaient pas ses déclarations, ils pouvaient avoir d’autres causes que celles invoquées par la requérante. Ils ne pouvaient dès lors étayer son récit des faits qui l’avaient amenée à demander l’asile. Le Service de l’immigration a constaté que, selon les propres déclarations de la requérante, celle-ci n’avait pas un profil politique qui l’exposerait à un risque de violation de ses droits en cas de renvoi dans son pays d’origine. Il n’a constaté aucun autre motif permettant de penser que la requérante risquerait d’être persécutée dans son pays d’origine, dans l’optique de la protection des réfugiés. Le Service de l’immigration a également estimé que la requérante n’avait pas besoin d’une protection pour des motifs humanitaires tenant aux conditions de sécurité dans son pays, étant donné qu’il n’existait pas de risque élevé en la matière à Kinshasa, son lieu de résidence.

4.4La requérante a introduit un recours contre la décision du Service de l’immigration devant le Tribunal administratif. Dans son mémoire du 21 février 2011 au Tribunal administratif, le Service de l’immigration faisait valoir qu’étant donné que le récit de la requérante invoquant des incidents survenus à Dongo n’était en rien crédible, on ne pouvait retenir l’hypothèse que les soldats étaient au courant de ses opinions politiques ou qu’elle avait été arrêtée et brutalisée pour des motifs politiques. Le 20 septembre 2011, le Tribunal administratif a rejeté le recours de la requérante. Dans les motifs de sa décision, il évoquait les déclarations de la requérante et les informations concernant son pays. Le fait qu’en examinant les rapports disponibles au sujet du pays, ni le Tribunal ni le Service de l’immigration n’avaient relevé la moindre mention d’un affrontement armé entre les FARDC et l’ALC qui aurait eu lieu dans la région de Dongo en mars 2009, entamait la crédibilité de la déclaration de la requérante. L’intéressée n’avait pas fait état d’atteintes à ses droits en raison de ses activités au sein de Lisanga Boboto. Elle avait déclaré qu’elle était seulement sympathisante, mais non membre, du MLC, et que la carte de membre du MLC lui avait été remise lorsqu’elle s’était rendue à Dongo. Le t-shirt et l’écharpe du MLC étaient distribués au public et elle les portait sans motivation politique. Le Tribunal n’a pas considéré que la requérante avait besoin de l’asile ou d’une protection pour motifs d’ordre humanitaire; qu’elle intéresserait particulièrement les autorités congolaises en raison de son profil politique; ou que la situation dans son pays était dangereuse au point de rendre son renvoi impossible.

4.5Le 12 décembre 2011, le Tribunal administratif suprême a refusé d’autoriser la requérante à faire appel.

4.6En ce qui concerne les éléments attestant l’état de santé de la requérante dont le Comité a été saisi, l’État partie fait observer qu’un seul rapport médical, celui du 2 juin 2010, avait été précédemment soumis au Service de l’immigration. La requérante aurait pu présenter au Tribunal administratif suprême le rapport du psychothérapeute daté du 28 novembre 2011, puisqu’il a été établi avant que l’autorisation de faire appel lui soit refusée, mais elle ne l’a pas fait.

4.7Pour ce qui est des allégations de la requérante concernant des problèmes d’interprétation dans le cadre de la procédure devant le Service de l’immigration et le Tribunal administratif, l’État partie fait valoir qu’elles manquent de crédibilité pour les raisons exposées ci-après. La requérante a rédigé elle-même sa demande d’asile en lingala, qu’elle a indiqué comme étant sa langue. Lors de l’interrogatoire organisé par la police le 14 mars 2010, elle a déclaré que sa langue était le kintandu et qu’elle parlait également le lingala et un peu le français. Comme il est mentionné dans le procès-verbal de son entretien avec le Service de l’immigration, qui s’est déroulé en lingala, la requérante a confirmé qu’elle comprenait les paroles de l’interprète. Il lui a été dit expressément que si elle ne comprenait pas les questions qui lui étaient posées, elle devait le signaler à la personne qui menait l’entretien. Le procès-verbal d’un entretien au Service de l’immigration en date du 7 juillet 2010 indique que la requérante a été interrogée en détail sur ses contacts avec le MLC et ses activités au sein du parti. Elle a expliqué qu’elle n’était pas membre du MLC, qu’elle avait seulement assisté à une réunion du parti en tant que sympathisante, sans y prendre la parole, qu’elle n’avait reçu une carte de membre que lorsqu’elle s’était rendue à Dongo et qu’elle portait la tenue vestimentaire du MLC, qui était distribuée au public, sans aucune motivation politique. Le Gouvernement relève que la requérante n’a pas mentionné de problèmes résultant de l’interprétation dans le cadre de ses recours devant le Tribunal administratif et le Tribunal administratif suprême.

Commentaires de la requérante sur les observations de l’État partie

5.1Au sujet de l’observation de l’État partie selon laquelle elle n’avait présenté qu’un seul rapport médical aux services de l’immigration, la requérante a fait valoir, le 9 septembre 2012, que le rapport médical daté du 2 juin 2010 mentionnait ses lésions corporelles et soulignait que son état de santé mentale nécessitait un suivi régulier. Elle a ajouté qu’au cours de son entretien avec le Service finlandais de l’immigration du 7 juillet 2010, elle avait évoqué les atteintes graves et les tortures qu’elle avait subies lorsqu’elle s’était trouvée aux mains des soldats. Elle avait notamment précisé qu’elle avait été tenue captive dans une fosse creusée dans le sol et avait été violée à de nombreuses reprises. La requérante renvoie à la directive 2004/83/CE du Conseil de l’Union européenne du 29 avril 2004 concernant les normes minimales relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir prétendre au statut de réfugié ou les personnes qui, pour d’autres raisons, ont besoin d’une protection internationale, et relatives au contenu de ces statuts, ainsi qu’à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, pour affirmer que la charge de la preuve est renversée et incombe à l’État partie dès lors que la personne qui demande l’asile a déjà subi de graves préjudices ou des tortures avant sa fuite. Compte tenu du fait que la requérante a relaté aux autorités les tortures qu’elle avait subies et produit un rapport médical à l’appui de ses dires, la charge de la preuve revenait aux autorités finlandaises.

5.2La requérante mentionne aussi les grandes difficultés auxquelles elle s’est heurtée pour pouvoir consulter un médecin spécialiste. Pendant la procédure devant le Service de l’immigration, elle s’était plainte à une infirmière des douleurs et de l’état de faiblesse qu’elle ressentait mais n’avait pas été orientée vers un psychiatre. Le Service de l’immigration n’avait pas non plus estimé nécessaire qu’elle consulte un gynécologue. C’est seulement après son transfert dans un autre centre d’accueil, en novembre 2011, qu’elle avait été orientée vers un psychologue. Son conseil avait essayé d’obtenir un rendez-vous pour elle chez un psychiatre mais l’infirmière s’occupant de son cas n’ayant pas estimé cette démarche nécessaire, le centre d’accueil avait décidé qu’il ne paierait pas la consultation. C’est ainsi que, malgré ses efforts, la requérante n’avait été orientée que tardivement vers un psychiatre et vers le Centre pour les victimes de torture (Centre for Torture Survivors).

5.3S’agissant de la remarque de l’État partie sur les conditions de sécurité existant en République démocratique du Congo, la requérante fait valoir que l’État partie n’a fourni aucun élément d’information pour l’étayer. Elle renvoie aux constatations du Comité dans l’affaire Njamba et Balikosa c. Suèd e, dans lesquelles le Comité a conclu qu’il lui était impossible de distinguer des zones particulières de la République démocratique du Congo qui pourraient être considérées comme sûres pour les requérantes.

5.4Pour ce qui est des prétendues contradictions concernant son activité politique au sein du MLC et les problèmes d’interprétation qu’elle a invoqués, la requérante insiste sur sa condition de personne traumatisée et déclarée atteinte de troubles de stress post-traumatique. Elle renvoie à la jurisprudence du Comité selon laquelle une exactitude parfaite ne peut guère être attendue de victimes de la torture.

5.5La requérante se réfère à l’Observation générale no 1 (1997) du Comité relative à l’application de l’article 3 de la Convention dans le contexte de l’article 22 et fournit des informations à l’appui de son affirmation selon laquelle elle risquerait d’être soumise à la torture si elle était expulsée. Se fondant sur les critères cités au paragraphe 8 de l’Observation générale, elle fait valoir qu’il existe en République démocratique du Congo des violations graves des droits de l’homme; qu’aucune zone ne peut être considérée comme sûre pour elle, en tant que femme qui a été victime de torture et en est restée traumatisée; qu’elle a été détenue, et constamment maltraitée et torturée par les soldats des FARDC; qu’elle a fourni des éléments de preuve médicaux montrant que, comme elle l’affirme, elle a subi des dommages mentaux et physiques; qu’elle a travaillé avec l’organisation non gouvernementale Lisanga Boboto, qui collabore avec une organisation non gouvernementale plus importante, La Voix des sans voix pour les droits de l’homme; et qu’elle était membre du MLC, le deuxième plus grand parti d’opposition en République démocratique du Congo, qu’elle assistait à ses réunions et qu’elle menait des activités en son sein.

Observations complémentaires de la requérante

6.Le 2 juillet 2014, la requérante a présenté au Comité les rapports de trois spécialistes médicaux du Centre pour les victimes de torture : l’un établi par un psychiatre, daté du 29 août 2013, un autre établi par un physiothérapeute, daté du 17 avril 2013, et une note de synthèse de son dossier médical établie par un neurologue/psychothérapeute, en date du 7 mars 2013. Il ressort de ces documents que la requérante présente les symptômes d’un état dépressif sévère, que les constatations cliniques sont compatibles avec sa description des méthodes de torture appliquées et qu’elle a besoin d’un traitement physique et psychologique de longue durée. La requérante ajoute que ces rapports, de même que les précédents, appuient clairement ses allégations selon lesquelles elle a été victime de viol et d’autres formes de torture et de mauvais traitements en République démocratique du Congo. Selon elle, au vu de la situation qui prévaut dans son pays d’origine, il existe des motifs sérieux de croire qu’elle courrait personnellement un risque prévisible et réel d’être soumise à la torture si elle était renvoyée en République démocratique du Congo. La requérante a également informé le Comité qu’elle avait donné naissance à un deuxième enfant le 3 octobre 2013.

Observations complémentaires de l’État partie

7.Le 20 janvier 2015, l’État partie a indiqué au Comité qu’en dépit des nouveaux certificats médicaux que la requérante avait fait parvenir au Comité, mais qu’elle n’avait pas soumis aux autorités finlandaises, les faits présentés au Comité par cette dernière ne montraient pas que son renvoi en République démocratique du Congo constituerait une violation de l’article 3 de la Convention. L’État partie maintient que la demande d’asile de la requérante a été examinée de manière équitable et approfondie par les autorités nationales et qu’il n’a pas été établi qu’elle courrait un risque sérieux de torture ou de mauvais traitements si elle était renvoyée dans son pays.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

8.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une requête, le Comité contre la torture doit déterminer si la requête est recevable en vertu de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été et n’est pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

8.2Le Comité rappelle que, conformément au paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention, il n’examine aucune requête émanant d’un particulier sans s’être assuré que celui‑ci a épuisé tous les recours internes disponibles. Il note qu’en l’espèce, l’État partie a reconnu que la requérante avait épuisé tous les recours internes disponibles. Ne voyant aucun autre obstacle à la recevabilité, le Comité déclare la requête recevable.

Examen au fond

9.1Conformément au paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, le Comité a examiné la présente requête en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

9.2Le Comité doit déterminer si, en expulsant la requérante vers la République démocratique du Congo, l’État partie manquerait à l’obligation qui lui est faite en vertu de l’article 3 de la Convention de ne pas expulser ou refouler un individu vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’il risque d’être soumis à la torture.

9.3Le Comité doit apprécier s’il existe des motifs sérieux de croire que la requérante risquerait personnellement d’être soumise à la torture en cas de renvoi en République démocratique du Congo. Pour ce faire, il doit, en application du paragraphe 2 de l’article 3 de la Convention, tenir compte de tous les éléments pertinents, y compris de l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives. Le Comité rappelle cependant qu’il s’agit de déterminer si l’intéressé court personnellement un risque prévisible et réel d’être soumis à la torture dans le pays où il serait renvoyé. Dès lors, l’existence, dans un pays, d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives, ne constitue pas en soi un motif suffisant pour établir qu’un individu risque d’être soumis à la torture à son retour dans ce pays; il doit exister des motifs supplémentaires de penser que l’intéressé court personnellement un risque. Inversement, l’absence d’un ensemble de violations flagrantes et systématiques des droits de l’homme ne signifie pas qu’une personne ne puisse pas être soumise à la torture dans la situation particulière qui est la sienne.

9.4Le Comité rappelle son Observation générale no 1 (1997), selon laquelle l’existence d’un risque de torture doit être appréciée selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons. Il n’est pas nécessaire de montrer que le risque couru est hautement probable (par. 6), mais ce risque doit être encouru personnellement et actuellement. À cet égard, le Comité a établi dans des décisions antérieures que le risque de torture devait être prévisible, réel et personnel. Le Comité rappelle que, conformément à son Observation générale no 1, il accorde un poids considérable aux constatations de fait des organes de l’État partie intéressé, mais qu’il n’est pas lié par de telles constatations et est au contraire habilité, en vertu du paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, à apprécier librement les faits en se fondant sur l’ensemble des circonstances de chaque affaire. Le Comité rappelle en outre que, conformément à son Observation générale no 1 (par. 5), c’est au requérant qu’il incombe de présenter des arguments défendables.

9.5Le Comité note que la requérante affirme avoir été arrêtée par des soldats des FARDC alors qu’elle tenait un séminaire à l’intention des femmes à Dongo en 2009, et avoir été maltraitée et torturée, et notamment violée à de nombreuses reprises, par les soldats. Il note également que l’État partie indique que les autorités officielles n’ont reçu qu’un seul rapport médical, daté du 2 juin 2010, qu’elles n’ont pas considéré comme un élément de preuve suffisant pour établir que la requérante avait été torturée. Le Comité relève toutefois que, selon le rapport, les marques que porte la requérante sur le corps et les symptômes psychiatriques qu’elle présente sont compatibles avec les tortures qu’elle déclare avoir subies. Le Comité conclut que la requérante a apporté suffisamment d’éléments prouvant qu’elle a été soumise à la torture par le passé.

9.6Le Comité note également que la requérante affirme avoir été victime de viol et d’autres formes de torture de la part de membres des FARDC, c’est-à-dire des forces militaires officielles de la République démocratique du Congo, qui sont présentes et actives sur l’ensemble de son territoire, et qu’elle prétend s’être évadée alors qu’elle était détenue par ces forces. Le Comité prend note des observations de l’État partie concernant la crédibilité du récit fait par la requérante de ses activités politiques et de son appartenance à un parti d’opposition, et des circonstances de son évasion et de sa fuite du pays. Il rappelle cependant que l’on ne peut guère s’attendre à ce que le récit d’une victime de la torture soit d’une parfaite exactitude, et que les incohérences dans l’exposé des faits par la requérante ne remettent pas en cause la véracité générale de ses allégations, d’autant qu’il a été démontré que l’intéressée souffre de troubles post-traumatiques. Le Comité note également que lors de son arrestation, la requérante portait une tenue vestimentaire pouvant la désigner comme sympathisante d’un parti d’opposition et était en possession d’une carte de membre de cette formation, et observe qu’il n’en fallait pas plus pour créer l’impression qu’elle appartenait à ce parti et qu’elle y militait.

9.7Le Comité prend note des arguments de la requérante qui affirme que la violence contre les femmes est très répandue en République démocratique du Congo. Il rappelle à ce propos sa jurisprudence et ses constatations dans l’affaire Njamba et Balikosa c. Suède, affaire dans laquelle il a considéré qu’lui était impossible de distinguer des zones particulières de la République démocratique du Congo qui pourraient être considérées comme sûres pour les requérantes. Le Comité observe qu’il est affirmé dans de récents rapports fiables, à savoir le Rapport de la Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme sur la situation des droits de l’homme et les activités du Haut-Commissariat en République démocratique du Congo de 2013(A/HRC/24/33) et les observations finales du Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes concernant le rapport unique valant sixième et septième rapports périodiques de la République démocratique du Congo (CEDAW/C/COD/CO/6-7), que les violences généralisées à l’égard des femmes, notamment les viols commis par des groupes armés nationaux et des membres des forces de sécurité et de défense, sont un phénomène qui concerne principalement les zones touchées par le conflit et les zones rurales du pays, en particulier celles situées dans l’est du territoire. Le Comité est toutefois préoccupé par le fait que, selon ces rapports, des violences de ce type se produisent aussi ailleurs dans le pays.

9.8En conséquence, le Comité considère, après avoir pris en considération tous les facteurs de ce cas d’espèce, qu’il y a de sérieux motifs de croire que la requérante risque d’être soumise à la torture si elle est renvoyée en République démocratique du Congo.

10.Le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Conventions, conclut que le renvoi de la requérante en République démocratique du Congo par l’État partie constituerait une violation de l’article 3 de la Convention.

11.Conformément au paragraphe 5 de l’article 112 de son règlement intérieur, le Comité souhaite être informé par l’État partie, dans un délai de quatre-vingt-dix jours à compter de la date de transmission de la présente décision, des mesures qu’il aura prises pour donner suite à cette décision.