NATIONS UNIES

CAT

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr.RESTREINTE*

CAT/C/38/D/281/200529 mai 2007

FRANÇAISOriginal: ANGLAIS

COMITÉ CONTRE LA TORTURETrente‑huitième session30 avril‑18 mai 2007

DÉCISION

Communication n o 281/2005

Présentée par:

Mme Elif Pelit (représentée par un conseil)

Au nom de:

Mme Elif Pelit

État partie:

Azerbaïdjan

Date de la requête:

21 septembre 2005 (lettre initiale)

Date de la présente décision:

1er mai 2007

Objet: Expulsion de la requérante vers un pays où elle risque d’être soumise à la torture

Questions de procédure: Justification du grief

Articles de la Convention: 3, 22

Articles du Règlement intérieur: 108 (par. 1) et 109

[ANNEXE]

ANNEXE

DÉCISION DU COMITÉ CONTRE LA TORTURE AU TITRE DE L’ARTICLE 22 DE LA CONVENTION CONTRE LA TORTURE ET AUTRES PEINES OU TRAITEMENTS CRUELS, INHUMAINS OU DÉGRADANTS

− Trente ‑huitième session −

concernant la

Communication n o 281/2005

Présentée par:

Mme Elif Pelit (représentée par un conseil)

Au nom de:

Mme Elif Pelit

État partie:

Azerbaïdjan

Date de la requête:

21 septembre 2005 (lettre initiale)

Le Comité contre la torture, institué en vertu de l’article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 1er mai 2007,

Ayant achevé l’examen de la requête no 281/2005 présentée au nom de Mme Elif Pelit en vertu de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par le requérant, son conseil et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Décision au titre du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention

1.1La requérante est Mme Elif Pelit, turque d’origine kurde, née en 1972, qui, lorsque la communication a été présentée, était en attente d’expulsion d’Azerbaïdjan vers la Turquie; elle affirmait que si elle était renvoyée en Turquie, elle risquerait d’y être soumise à la torture, en violation de l’article 3 de la Convention. Elle est représentée par un conseil.

1.2Par une note verbale datée du 22 septembre 2005, le Comité a transmis la requête à l’État partie, en même temps qu’une demande de son rapporteur spécial chargé des mesures provisoires de protection le priant, en application du paragraphe 1 de l’article 108 du Règlement intérieur, de ne pas renvoyer la requérante en Turquie tant que sa requête serait à l’examen. Le 1er décembre 2005, l’État partie a informé le Comité qu’il accédait à cette demande. Nonobstant cette information, le 13 octobre 2006, l’État partie a extradé la requérante vers la Turquie. Par une note verbale datée du 30 avril 2007, l’État partie a informé le Comité que la requérante avait été remise en liberté par décision du tribunal d’Istanbul chargé des crimes graves rendue le 12 avril 2007.

Rappel des faits présentés par la requérante

2.1De 1993 à 1996, la requérante a été détenue en Turquie après avoir été inculpée d’«activités subversives» et de «terrorisme» pour le compte du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan). Elle a été remise en liberté après avoir été acquittée par la Cour de sûreté de l’État d’Istanbul, faute de preuves. Elle affirme avoir été torturée pendant sa détention, sans toutefois préciser en quoi consistaient les actes de torture ni produire de certificat médical.

2.2En 1998, la requérante s’est enfuie en Allemagne, où elle a obtenu le statut de réfugié. En 2002, elle a commencé à travailler comme journaliste pour une agence de presse prokurde. En février 2003, elle a été envoyée en Iraq pour couvrir les événements dans ce pays. En novembre 2003, elle a fait un reportage sur une conférence de presse du PKK dans le nord de l’Iraq, qui a été diffusé sur la chaîne de télévision Al‑Jazeera. En mai 2004, le bureau de l’agence de presse à Mossoul a été attaqué par des individus armés non identifiés, qui ont emporté les documents de voyage de la requérante. Le 6 novembre 2004, celle‑ci a pénétré sur le territoire azerbaïdjanais pour prendre contact avec l’ambassade d’Allemagne et obtenir de nouveaux documents de voyage. Les autorités azerbaïdjanaises l’ont alors arrêtée pour être entrée illégalement dans le pays.

2.3Le 3 décembre 2004, le tribunal d’instance d’Istanbul chargé des crimes graves a condamné la requérante par contumace à une peine d’emprisonnement de dix ans pour participation à des activités subversives pour le compte du PKK, parce qu’elle avait assisté en tant que journaliste à une réunion de membres du PKK dans le nord de l’Iraq. Le 6 décembre 2004, le même tribunal a demandé son extradition aux autorités azerbaïdjanaises.

2.4Le 17 mars 2005, le tribunal de Charoursk, au Nakhitchevan (Azerbaïdjan), a condamné la requérante à une amende pour entrée illégale sur le territoire. Bien qu’il ait ordonné sa remise en liberté, des agents du Ministère de l’intérieur ont procédé à son arrestation dans la salle d’audience et l’ont emmenée à Bakou, où elle a été incarcérée. Le 2 juin 2005, le tribunal d’Azerbaïdjan chargé des crimes graves a décidé de l’extrader vers la Turquie. Le 2 septembre 2005 la cour d’appel a confirmé la décision, qui est devenue exécutoire immédiatement. Le 14 septembre 2005, la requérante a interjeté appel auprès de la Cour suprême mais comme cet appel n’a pas d’effet suspensif elle risque d’être extradée à tout moment.

Teneur de la plainte

3.La requérante affirme que son expulsion vers la Turquie constituerait une violation de l’article 3 de la Convention car il existe des motifs sérieux de croire qu’en cas de renvoi en Turquie elle serait soumise à la torture ou à d’autres traitements inhumains et contrainte de faire des aveux. Elle serait immédiatement placée en garde à vue et interrogée par le Département de la lutte antiterroriste. Par le passé, l’Azerbaïdjan a renvoyé en Turquie un nombre important de personnes soupçonnées de liens avec le PKK.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1En date du 1er janvier 2005, l’État partie a contesté la recevabilité de la requête, la jugeant irrecevable parce que la requérante n’a pas apporté suffisamment d’éléments montrant que, comme elle l’affirme, elle courrait personnellement un risque prévisible et réel d’être soumise à la torture ou à d’autres traitements inhumains au sens de l’article 3 de la Convention.

4.2L’État partie fait observer que la situation générale qui règne actuellement en Turquie ne permet pas de penser que des personnes (notamment d’origine kurde) courraient un risque d’être torturées si elles étaient renvoyées dans ce pays. En 2003, une loi appelée loi sur la réinsertion dans la société a été adoptée afin de faire cesser les persécutions des membres du PKK; plusieurs pays de l’Union européenne partagent cette façon de voir.

4.3L’État partie rappelle que, selon la jurisprudence du Comité, l’existence dans un pays d’un ensemble systématique de violations graves des droits de l’homme ne constitue pas en soi un motif suffisant pour établir qu’une personne court un risque réel d’être torturée si elle est expulsée vers ce pays; il doit exister des «motifs spéciaux» donnant à penser que l’intéressé serait personnellement en danger. Comme le Comité l’a souligné, il faut qu’il y ait des motifs sérieux de croire que l’intéressé court un risque prévisible, réel et personnel d’être soumis à la torture dans le pays de renvoi. L’État partie a rappelé aussi que, d’après le Comité, la charge de la preuve incombe au requérant et l’existence d’un risque de torture doit être appréciée selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons.

4.4Pour l’État partie, les critères susmentionnés ne s’appliquent pas à l’allégation de la requérante, qui affirme qu’elle sera «très probablement» soumise à la torture si elle est extradée, à cause de faits qui remontent à 1993.

4.5L’État partie a invoqué l’Observation générale no 1 du Comité, en vertu de laquelle le risque doit être «hautement probable» et encouru «personnellement et actuellement». On ne saurait qualifier de «récent» un incident survenu il y a près de treize ans. La requérante n’a par ailleurs apporté aucun élément montrant les mauvais traitements qu’elle aurait subis, comme le requièrent les alinéas b et c du paragraphe 8 de l’Observation générale du Comité.

4.6L’État partie a fait observer que le Comité a affirmé avec constance que c’était aux tribunaux des États parties à la Convention et non à lui‑même qu’il appartenait d’apprécier les faits et les éléments de preuve dans une affaire donnée, pour autant que ces tribunaux n’enfreignent pas le principe d’indépendance, ce qui, de l’avis de l’État partie, n’est pas le cas en l’espèce.

4.7Dans la présente affaire, les tribunaux azerbaïdjanais n’ont pas conclu qu’il existait des «motifs spéciaux» ni un «risque réel, prévisible et personnel» pour la requérante d’être torturée si elle était renvoyée en Turquie. De plus, la requérante n’a pas eu d’activités politiques qui auraient pu l’exposer à des risques particuliers.

4.8L’État partie affirme aussi qu’il a reçu des autorités turques des assurances diplomatiques concernant l’application à l’égard de Mme Pelit des dispositions de l’article 14 de la Convention européenne sur l’extradition relatives à la «règle de la spécialité». Si elle est extradée, la requérante ne sera pas l’objet de poursuites pénales pour des faits antérieurs au transfèrement, autres que ceux ayant motivé la demande d’extradition.

Commentaires de la requérante sur les observations de l’État partie

5.1Le 20 février 2006, la requérante a fait parvenir sa réponse aux observations de l’État partie. Elle réitère qu’elle a été torturée en Turquie pendant sa détention entre 1993 et 1996. Elle fait valoir que, comme il est généralement admis, le réfugié qui a déjà été soumis à la torture est fondé à craindre de subir à nouveau cette forme de persécution s’il est renvoyé dans son pays d’origine. À l’époque, elle avait été torturée parce qu’on la soupçonnait d’entretenir des liens avec le PKK. Or c’est ce même fait qui motive la demande d’extradition actuelle. La requérante estime par conséquent que les conditions énoncées au paragraphe 8 b) de l’Observation générale no 1 du Comité sont remplies.

5.2La requérante rappelle qu’elle a obtenu le statut de réfugié en Allemagne et explique que quand elle a demandé l’asile elle a fait état des tortures qu’elle avait subies et souligne que les autorités allemandes n’ont pas mis en doute sa crédibilité.

5.3En ce qui concerne l’argument de l’État partie qui affirme que la situation en Turquie a évolué, elle fait observer que, malgré les progrès accomplis, des personnes qui se trouvaient dans une situation analogue à la sienne auraient été torturées en Turquie dans un passé récent.

5.4La requérante relève que les pièces présentées par les autorités turques manquent de précision et de clarté. Elle cite à l’appui de son propos la traduction suivante d’un passage d’un document non spécifié: «À raison de son appartenance à l’organisation terroriste illégale (en vertu de l’article 168, par. 2, du Code pénal), Elif Pelit est condamnée par contumace à une peine d’emprisonnement. La peine est réputée commencer le 2 décembre 2004 et prendra donc fin le 3 décembre 2014.».

5.5La requérante affirme que la Turquie demande son extradition pour la punir de ses opinions politiques; il est probable que pour ce faire la torture sera employée.

5.6La requérante demande sa remise en liberté immédiate pour pouvoir retourner en Allemagne, où elle bénéficie du statut de réfugié.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Le Comité a examiné la recevabilité de la communication au cours de sa trente‑sixième session, en mai 2006. Il s’est assuré que la même question n’a pas été et n’est pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement et a noté que l’État partie n’a pas soulevé d’objection relativement à l’épuisement des recours internes. Il a noté également que l’État partie a indiqué avoir reçu des autorités turques des assurances diplomatiques concernant l’application à l’égard de la requérante de la «règle de la spécialité» prévue à l’article 14 de la Convention européenne sur l’extradition et que la requérante n’a fait aucune observation à ce propos. Le Comité a en outre fait remarquer qu’en l’espèce, la question était de savoir non pas si la requérante serait jugée en cas de renvoi en Turquie, et à quel motif, mais plutôt si elle risquait d’être torturée dans ce pays.

6.2Le Comité a en outre noté que l’État partie a contesté la recevabilité de la communication en arguant que la requérante n’avait pas apporté suffisamment d’éléments montrant que, si elle était extradée, elle courrait un risque prévisible, réel et personnel d’être soumise à la torture ou à d’autres traitements inhumains au sens de l’article 3 de la Convention. Il a aussi noté que la requérante dit avoir été torturée en Turquie entre 1993 et 1996, parce qu’elle était soupçonnée d’avoir des liens avec le PKK et que c’est le même motif qui fondait la demande d’extradition qui la visait. C’est précisément pour ce motif qu’elle avait obtenu le statut de réfugié en Allemagne. Le Comité a noté que, d’après la requérante, malgré l’évolution générale de la situation en Turquie intervenue ces dernières années, des personnes soupçonnées de liens avec le PKK avaient été soumises à la torture. Le Comité a donc décidé que la communication était recevable et a prié l’État partie de soumettre des observations sur le fond.

Observations de l’État partie

7.1En date du 9 octobre 2006, l’État partie a rappelé les faits de l’espèce: Mme Pelit a été arrêtée en Turquie en 1993. En 1996, la Cour de sûreté de l’État d’Istanbul l’a acquittée faute de preuves. En 1998, elle est arrivée en Allemagne avec de faux papiers et a obtenu l’asile politique dans ce pays en 1999.

7.2Le 6 novembre 2004, elle a été arrêtée en Azerbaïdjan pour être entrée illégalement dans ce pays. Lors du passage de la frontière, elle était accompagnée d’individus armés, qui se sont retirés après un échange de coups de feu avec les gardes frontière azerbaïdjanais. Le 17 mars 2005, le tribunal d’instance de Charoursk l’a reconnue coupable en vertu de l’article 318.2 du Code pénal et l’a condamnée à une amende. Une fois l’amende réglée, elle a été libérée.

7.3Au cours de l’enquête préliminaire, le 6 décembre 2004, les autorités turques ont adressé au Ministère azerbaïdjanais de la justice une demande d’extradition. Cette demande a été faite conformément à la Convention européenne sur l’extradition de 1957, sur la base d’un arrêt du 3 décembre 2004 du tribunal d’instance d’Istanbul chargé des crimes particulièrement graves condamnant Mme Pelit en application de l’article 168/2 du Code pénal. Un mandat d’arrêt a été lancé contre elle à ce motif. La requérante a donc été de nouveau arrêtée le 17 mars 2005 et son affaire a été renvoyée au tribunal d’Azerbaïdjan chargé des crimes graves, qui a compétence en matière d’extradition. Le 2 juin 2005, ce tribunal a autorisé l’extradition de la requérante. Un recours contre cette décision a été déposé auprès de la cour d’appel, le 20 juin 2005. Le 2 septembre 2005, la cour d’appel a confirmé la décision d’extradition. Le 14 septembre 2005, l’avocat de la requérante a formé un recours en cassation devant la Cour suprême. Le 25 octobre 2005, la Cour suprême s’est déclarée incompétente pour examiner cet appel.

7.4Étant donné que la requérante prétendait avoir obtenu le statut de réfugié et considérait que l’article 33 de la Convention relative au statut des réfugiés aurait dû s’appliquer dans son cas, l’État partie note qu’elle a été reconnue en tant que réfugiée par un tribunal allemand en 1999. Les décisions des tribunaux étrangers ne sont pas exécutoires en Azerbaïdjan. Pour faire reconnaître la décision d’un tribunal étranger, il faut une requête spécifique à cet effet auprès de la Cour suprême, conformément au Code de procédure civile. Dans le cas d’espèce, aucune requête en reconnaissance de la décision de 1999 du tribunal allemand n’a été présentée à la Cour suprême.

7.5Selon l’État partie, le statut de réfugié est accordé en Azerbaïdjan par le Comité d’État pour les questions de réfugiés. La requérante n’a jamais obtenu ce statut. L’État partie note que le bureau du HCR à Bakou a présenté au tribunal chargé des crimes graves une déclaration faisant remarquer que le statut de réfugié accordé par une partie à la Convention relative au statut des réfugiés de 1957 doit être reconnu par toutes les autres parties à la Convention. L’État partie suppose que le bureau du HCR à Bakou se réfère à l’alinéa f de la Conclusion no 12 du Comité exécutif du HCR «Effet extraterritorial de la détermination du statut de réfugié». Toutefois, cette conclusion n’a qu’un caractère de recommandation. L’État partie invoque une autre conclusion non contraignante du Comité exécutif du HCR, la Conclusion no 8 «Détermination du statut de réfugié», dont le paragraphe f) dit qu’«il serait généralement souhaitable qu’un État contractant accepte la reconnaissance du statut de réfugié pratiquée par d’autres États parties à ces instruments». D’un autre côté, le paragraphe g) de la Conclusion no 12 stipule que «le statut du réfugié détenu dans un État contractant ne doit être remis en question par un autre État contractant que dans des cas exceptionnels s’il apparaît que l’intéressé ne remplit manifestement pas les conditions requises par la Convention». Selon l’État partie, en présence de justifications sérieuses, concernant par exemple «la participation aux activités de structures illégales», et d’informations émanant des services de sécurité azerbaïdjanais selon lesquelles la requérante était un membre actif du PKK, les autorités compétentes de l’État partie ont eu raison de remettre en question le statut de réfugié de la requérante.

7.6Selon l’État partie, le cas de Mme Pelit ne relève pas de l’alinéa b) de l’article premier de la Convention relative au statut des réfugiés, puisqu’elle a commis un crime grave de droit commun en dehors du pays qui lui a accordé l’asile, avant d’y être admise comme réfugiée. Par ailleurs, en application du paragraphe g) de la Conclusion no 17 du Comité exécutif du HCR, «la protection en matière d’extradition s’applique aux personnes qui remplissent les critères de la définition du réfugié et qui ne sont pas exclues du bénéfice du statut de réfugié en vertu de l’alinéa b) de l’article premier».

7.7Selon l’État partie, les tribunaux azerbaïdjanais n’avaient aucune raison de considérer que le crime à raison duquel l’extradition de la requérante était demandée était à caractère politique ou lié à un crime politique, condition nécessaire pour rejeter une demande d’extradition conformément à la Convention européenne sur l’extradition. Les tribunaux ont noté que Mme Pelit avait été arrêtée auparavant en Turquie, à deux reprises, en tant que personne soupçonnée d’appartenir à une organisation terroriste, mais qu’elle avait été remise en liberté faute de preuve. L’État partie y voit la preuve de l’impartialité dont les tribunaux turcs ont fait montre dans ce cas. Les tribunaux azerbaïdjanais se sont également penchés sur la question de savoir si les crimes imputés à la requérante constituaient des crimes en droit azerbaïdjanais (au titre des articles 278 et 279 du Code pénal, par exemple).

7.8L’État partie invoque la résolution 1373 (2001) du Conseil de sécurité des Nations Unies en date du 28 septembre 2001, qui interdit de donner refuge à ceux qui financent, organisent, appuient ou commettent des actes terroristes. L’État partie rappelle la déclaration du Comité lui‑même en date du 22 novembre 2001, dans laquelle ce dernier dit croire que quelle que soit la riposte à la menace du terrorisme international adoptée par les États parties, cette riposte sera conforme aux obligations qu’ils ont contractées en ratifiant la Convention contre la torture.

7.9L’État partie rappelle que le paragraphe f) de la Conclusion no 17 du Comité exécutif du HCR souligne que «rien dans les présentes conclusions ne doit être considéré comme portant atteinte à la nécessité pour les États d’assurer, conformément à la législation nationale et aux instruments internationaux, le châtiment des infractions graves, telles que la capture illégale d’aéronefs, la prise d’otages et le meurtre». L’emploi de l’expression «telles que» signifie que la liste des crimes n’est pas exhaustive, et que la liste de 1980 est obsolète dans la mesure où elle ne contient pas des crimes graves reconnus par la communauté internationale après cette date (par exemple le terrorisme). Les tribunaux azerbaïdjanais sont parvenus à la conclusion correcte que les actes commis par MmePelit sont constitutifs de crimes graves au sens de l’alinéa b)de l’article premier de la Convention relative au statut des réfugiés. Le principe du non‑renvoi ne s’appliquait donc pas dans son cas.

7.10L’État partie rappelle que la situation générale des droits de l’homme en Turquie ne permet pas d’affirmer que les personnes en général, les Kurdes en particulier, qui sont renvoyées dans ce pays risquent d’être soumises à la torture. Après l’adoption par la Turquie de la loi de 2003 sur la réinsertion dans la société, de nombreux actes de persécution visant les partisans du PKK ont cessé. Cet avis est partagé par plusieurs pays européens. L’existence d’un ensemble de violations systématiques et flagrantes des droits de l’homme dans un pays donné ne constitue pas en soi un motif suffisant pour conclure que l’individu risque d’être soumis à la torture à son retour dans ce pays. Pour l’État partie, la requérante n’a pas apporté la preuve qu’elle risque d’être soumise à la torture si elle est extradée, comme elle avait déjà été torturée en 1993.

7.11L’État partie rappelle la jurisprudence du Comité selon laquelle il appartient aux tribunaux des États parties et non au Comité d’évaluer les faits et les preuves dans une affaire donnée, à moins que lesdits tribunaux ne violent ouvertement le principe d’impartialité. Dans le cas d’espèce, les tribunaux azerbaïdjanais n’ont trouvé aucun «motif spécial» ni constaté l’existence d’un risque «réel, prévisible et personnel» de torture couru par la requérante. Les tribunaux ont constaté que la requérante ne s’était livrée à aucune activité politique qui ferait qu’elle courrait un risque particulier d’être soumise à la torture si elle est extradée.

7.12En outre, les autorités azerbaïdjanaises ont reçu des assurances diplomatiques concernant l’application de l’article 14 de la Convention européenne sur l’extradition (règle de la spécialité). En conséquence, si la requérante est renvoyée en Turquie, elle ne serait poursuivie pour aucun crime autre que celui mentionné dans le mandat d’arrêt. Les autorités azerbaïdjanaises ont reçu de la Turquie des assurances diplomatiques claires et convaincantes excluant clairement la torture et autres formes de traitements inhumains à l’encontre de Mme Pelit après son extradition. En application de ces garanties, les autorités azerbaïdjanaises auraient diverses possibilités de surveiller le respect des droits de Mme Pelit, ce qui est, selon l’État partie, conforme aux recommandations formulées par le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture dans des situations similaires.

7.13L’État partie note en outre que la requérante peut toujours saisir la Cour européenne des droits de l’homme si elle estime que ses droits ont été violés.

7.14Se référant à différentes décisions du Comité et de la Cour européenne des droits de l’homme, l’État partie rappelle que le risque de torture allégué doit être réel et non une simple possibilité. L’existence de ce risque doit être corroborée à première vue. Or aucun commencement de preuve n’a été apporté dans le présent cas.

7.15L’État partie conclut que la requérante n’a pas apporté des preuves suffisantes qu’elle court un risque prévisible, réel et personnel d’être soumise à la torture et autres mauvais traitements en contravention de l’article 3 de la Convention.

8.1Le 17 octobre 2006, l’avocat de la requérante a informé le Comité que Mme Pelit avait été extradée en Turquie le 13 octobre 2006. L’avocat n’a été informé qu’après coup du transfèrement de sa cliente.

8.2Compte tenu de ces éléments, le Comité, par l’entremise de son rapporteur spécial sur les mesures provisoires, a adressé à l’État partie une note verbale datée du 17 octobre 2006 dans laquelle il rappelait que le non‑respect d’une demande de mesures provisoires de protection compromettait la protection des droits inscrits dans la Convention. L’État partie a été prié de fournir des éclaircissements sur la situation actuelle de Mme Pelit et sur le lieu où elle se trouvait.

8.3Le 8 novembre 2006, l’État partie a réitéré les informations contenues dans sa communication du 9 octobre 2006. Il a ajouté qu’il avait pris contact avec les autorités turques pour organiser une rencontre entre un représentant autorisé et la requérante, afin de s’enquérir de sa situation et de son état de santé. La communication de l’État partie a été transmise au conseil de la requérante, pour commentaires de celui‑ci, mais aucune réponse n’a été reçue.

8.4Le Comité a examiné la situation de la requérante au cours de sa trente‑septième session, en novembre 2006. Il a décidé d’adresser une lettre à l’État partie. Dans cette lettre, datée du 24 novembre 2006, le Comité s’est déclaré gravement préoccupé par la manière dont l’État partie avait agi dans cette affaire. Le Comité a prié l’État partie de lui fournir rapidement des informations sur l’état de santé et le lieu de détention actuels de Mme Pelit. Le 8 février 2007, l’État partie a été de nouveau invité à présenter des observations à ce sujet.

9.1Le 26 février 2007, l’État partie a fourni des informations mises à jour sur la situation de la requérante en Turquie. Il note que depuis l’extradition de la requérante, l’ambassade d’Azerbaïdjan en Turquie assure un suivi régulier des conditions dans lesquelles la requérante est détenue, et un conseiller de l’ambassade a eu des entretiens en privé avec elle.

9.2La requérante est actuellement détenue dans l’établissement pénitentiaire «Gebze M Tipli Kapali Infaz Kurumu» (à Gebze) et, lors d’un entretien, elle a confirmé qu’elle était détenue dans des conditions normales. Elle a accès à son avocat et a droit à un appel téléphonique de cinq minutes chaque semaine. Des journaux lui sont fournis tous les jours.

9.3L’État partie fait remarquer que les détenus ne peuvent pas recevoir de la nourriture de l’extérieur mais que la requérante a droit à trois repas par jour. Dans une conversation avec le conseiller de l’ambassade, elle s’est dite généralement satisfaite de la nourriture, qui était néanmoins parfois de mauvaise qualité. Elle a passé une visite médicale dans l’établissement pénitentiaire et aucun problème de santé n’a été décelé.

9.4Lors d’une autre conversation privée avec le représentant de l’ambassade, la requérante a confirmé qu’elle n’avait pas été soumise à la torture ou à des mauvais traitements par les autorités pénitentiaires. Elle a également affirmé que son état de santé était satisfaisant. L’État partie ajoute qu’il continuera de surveiller la situation de la requérante.

Délibérations du Comité

Violation de l’article 22 de la Convention

10.1Le Comité note tout d’abord que l’auteur a été transféré en Turquie le 13 octobre 2006 alors même que, par une demande de mesures provisoires en application du paragraphe 1 de l’article 108 du Règlement intérieur, il avait prié l’État partie de ne pas transférer la requérante tant que la communication de celle‑ci était à l’examen.

10.2Le Comité demeure profondément préoccupé par le fait que l’État partie, après avoir dans un premier temps accédé à la demande du Comité, n’en a ensuite pas tenu compte et a transféré la requérante en Turquie. L’État partie est prié d’éviter d’agir de la sorte à l’avenir. Le Comité rappelle qu’en ratifiant la Convention et en reconnaissant volontairement la compétence du Comité en vertu de l’article 22, l’État partie s’est engagé à coopérer de bonne foi au déroulement de la procédure de plainte individuelle instituée par cet article et à lui donner plein effet. La décision de l’État partie d’expulser la requérante malgré la demande de mesures provisoires du Comité a annulé l’exercice effectif du droit de plainte conféré par l’article 22 de la Convention et rendu la décision finale du Comité sur le fond vaine et vide de sens. Le Comité conclut donc qu’en expulsant la requérante dans les circonstances décrites ci‑dessus, l’État partie a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 22 de la Convention.

Examen au fond

11.Sur le fond du grief au titre de l’article 3, le Comité a noté qu’en l’espèce, la requérante avait obtenu le statut de réfugié en Allemagne, les autorités allemandes ayant considéré qu’elle risquait d’être victime de persécutions en cas de renvoi en Turquie. Elle bénéficiait encore de ce statut lorsqu’elle a été expulsée vers la Turquie par les autorités de l’État partie. Le Comité rappelle les dispositions du paragraphe f) de la Conclusion no 12 du Comité exécutif du Haut‑Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés relative à l’effet extraterritorial de la détermination du statut de réfugié, selon lesquelles «il est inhérent au but même de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 que le statut de réfugié déterminé par un État contractant soit reconnu par les autres États contractants». L’État partie n’a pas expliqué pourquoi il n’a pas respecté ce principe dans le cas de la requérante, à savoir dans des circonstances où la situation générale de personnes telles que la requérante et l’expérience qu’elle a vécue dans le passé soulevaient de réels problèmes au regard de l’article 3 de la Convention. Le Comité note en outre que les autorités azerbaïdjanaises ont reçu de la Turquie des assurances diplomatiques au sujet de la question des mauvais traitements, ce qui revient en soi à reconnaître qu’en cas d’expulsion, la requérante risquerait de subir de tels traitements. Bien que la situation de la requérante ait fait l’objet d’un certain suivi après son renvoi, l’État partie n’a pas mis le texte de ces assurances à la disposition du Comité pour qu’il puisse juger par lui‑même, à travers une évaluation indépendante ou par d’autres moyens, si la protection offerte était satisfaisante (voir la démarche du Comité dans l’affaire Agiza c. Suède), et il n’a pas donné suffisamment de détails sur le suivi assuré et les mesures prises pour que, dans les faits et de l’avis de la requérante, ce suivi soit objectif, impartial et suffisamment fiable. Dans ces circonstances, et étant donné que l’État partie a extradé la requérante alors que, dans un premier temps, il avait accédé à la demande de mesures provisoires du Comité, ce dernier considère que la façon dont l’État partie a traité l’affaire de la requérante est assimilable à une violation des droits protégés par les dispositions de l’article 3 de la Convention.

12.Le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines et traitements cruels, inhumains ou dégradants, est d’avis que l’expulsion de la requérante constitue une violation des articles 3 et 22 de la Convention.

13.Conformément au paragraphe 5 de l’article 112 de son règlement intérieur, le Comité souhaite recevoir, dans un délai de quatre‑vingt‑dix jours, des renseignements sur les mesures que l’État partie aura prises pour donner suite aux constatations ci‑dessus.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol, en français et en russe. Paraîtra ultérieurement aussi en arabe et en chinois dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

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