Nations Unies

CRC/C/82/D/17/2017

Convention relative aux droits de l ’ enfant

Distr. générale

5 novembre 2019

Français

Original : espagnol

Comité des droits de l ’ enfant

Constatations adoptées par le Comité au titre du Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant établissant une procédure de présentation de communications, concernant la communication no 17/2017 * , **

Communication présentée par :

M. T. (représenté par l’organisation non gouvernementale Fundación Raíces)

Victime présumé(e) :

M. T.

État partie :

Espagne

Date de la communication :

19 mai 2017

Date des constatations :

18 septembre 2019

Objet :

Procédure de détermination de l’âge d’un présumé enfant non accompagné demandeur d’asile

Questions de procédure :

Irrecevabilité ratione personae, non‑épuisement des recours internes

Article(s) de la Convention :

2, 3, 8, 12, 20 et 22

Article(s) du Protocole facultatif :

6 et 7 c), e) et f)

1.1L’auteur de la communication est M. T., de nationalité ivoirienne, né le 31 décembre 1999. Il se dit victime de violations des articles 2, 3, 8, 12, 20 et 22 de la Convention. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 14 avril 2014.

1.2Le 23 mai 2017, le Groupe de travail des communications, agissant au nom du Comité et se fondant sur l’article 6 du Protocole facultatif, a demandé à l’État partie de reconnaître que l’auteur était mineur et de lui accorder la protection voulue, de lui permettre de déposer sa demande d’asile par l’intermédiaire d’un tuteur ou d’un représentant légal, et de l’autoriser à demeurer sur le territoire espagnol tant que sa demande d’asile n’aurait pas été traitée.

1.3Le 19 décembre 2017, le Groupe de travail des communications, agissant au nom du Comité, a décidé de rejeter la demande de l’État partie tendant à ce que la question de la recevabilité de la communication soit examinée séparément du fond.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1Le 15 janvier 2017, l’auteur est arrivé à Almería en provenance de Nador (Maroc) à bord d’une embarcation de fortune. Il a fui la Côte d’Ivoire après que son père a été arrêté par l’armée nationale, puis assassiné en raison de sa collaboration présumée avec des milices opposées au Gouvernement qui sévissaient dans le nord du pays. L’auteur, qui était sans papiers, a expliqué à la Croix-Rouge espagnole qu’il était mineur, ce qu’il a également affirmé au commissariat de la Police nationale, où il a été transféré par la suite.

2.2Le 18 janvier 2017, sans l’avoir entendu ni procédé aux vérifications nécessaires auprès de l’Ambassade de Côte d’Ivoire à Madrid afin de déterminer son âge, le tribunal d’instruction no 5 d’Almería a ordonné que l’auteur soit placé dans le centre de rétention pour étrangers majeurs d’Aluche, à Madrid, où il est resté jusqu’au 2 février 2017. L’auteur a ensuite été transféré dans un centre d’hébergement relevant du programme d’assistance humanitaire aux immigrés, administré par la Croix-Rouge.

2.3En avril 2017, son cousin resté en Côte d’Ivoire lui a envoyé son acte de naissance, son certificat de nationalité et son certificat d’identité portant sa photographie et ses empreintes digitales, autant de documents attestant qu’il était mineur et confirmant son identité.

2.4Le 19 avril 2017, l’organisation non gouvernementale Fundación Raíces a conduit l’auteur auprès d’agents du service des mineurs de la police municipale de Madrid, auxquels celui-ci a remis les documents qu’il avait en sa possession. Après avoir été transféré au service des mineurs de la Police nationale, l’auteur a été emmené à la brigade des étrangers et des frontières. Les policiers se sont exprimés en espagnol et aucun service d’interprétation n’a jamais été proposé à l’auteur. Au bout de trois ou quatre heures, les policiers l’ont laissé partir sans lui donner aucune information et sans le mettre en contact avec les services de protection ni saisir le parquet des mineurs.

2.5Le 20 avril 2017, l’auteur s’est présenté au Bureau d’accueil des réfugiés à Madrid pour déposer une demande d’asile accompagnée de ses documents d’identité. La personne qui l’a reçu lui a fait savoir qu’elle ne pouvait enregistrer sa demande car, en tant que mineur, il devait venir la déposer en compagnie de son tuteur légal. Après avoir effectué quelques vérifications, elle lui a également dit que le parquet des mineurs n’avait pas encore déterminé son âge. L’auteur n’a obtenu aucune confirmation écrite du fait qu’il s’était présenté au Bureau d’accueil des réfugiés, ni même une copie de confirmation ou un justificatif de comparution. Il s’est ensuite rendu à l’Ambassade de Côte d’Ivoire pour y déposer une demande de passeport. Il indique que l’Ambassade de Côte d’Ivoire a reconnu de facto que les documents originaux qu’il avait en sa possession étaient valides, puisqu’elle les a acceptés aux fins du traitement de sa demande de passeport.

2.6Le 4 mai 2017, l’auteur a été invité une deuxième fois à se présenter au Bureau d’accueil des réfugiés, où il s’est rendu avec une avocate. On l’a de nouveau informé que, comme il était mineur, sa demande d’asile ne pouvait être enregistrée en l’absence d’un tuteur légal. Après avoir téléphoné au parquet des mineurs, la personne chargée du dossier a fait savoir à l’auteur qu’il ne pouvait pas demander l’asile tant que n’aurait pas été résolue la contradiction relevée entre son âge tel qu’il figurait sur ses documents (son acte de naissance, son certificat de nationalité, son certificat d’identité et le récépissé de dépôt de sa demande de passeport) et son âge tel qu’il aurait été déterminé par une décision du ministère public établissant qu’il était majeur, et qui ne lui avait pas été transmise. L’auteur a demandé à la personne chargée de son dossier de lui transmettre par écrit la décision du Bureau d’accueil des réfugiés de ne pas l’autoriser, pour la deuxième fois, à déposer une demande d’asile, mais il a essuyé un refus.

2.7Le 8 mai 2017, Fundación Raíces a adressé une lettre à la Sous-Directrice générale chargée des questions d’asile du Ministère de l’intérieur pour l’informer que l’auteur s’était vu interdire à deux reprises de demander l’asile, signaler qu’il se trouvait en situation de vulnérabilité et demander qu’il soit convoqué de toute urgence au Bureau d’accueil des réfugiés afin d’y déposer sa demande d’asile et, si celle-ci venait à être rejetée, qu’il en soit informé par écrit.

2.8Pendant tout ce temps, l’auteur a vécu au centre d’hébergement, centre qui était conçu pour des personnes majeures, où les conditions d’hygiène laissaient à désirer, qui ne répondait pas à ses besoins et où, parce que les conflits y étaient légion, il courait de nombreux risques.

2.9Le 6 juin 2017, l’auteur s’est rendu à l’Ambassade de Côte d’Ivoire à Madrid pour aller chercher son passeport. Comme celui-ci n’était pas prêt, il s’est vu délivrer une attestation avec photographie, indiquant que son passeport était encore en cours de traitement. Le même jour, il a comparu devant le parquet des mineurs de Madrid en compagnie de son avocate, qui n’a pas été autorisée à assister son client au cours de la comparution. Il a déclaré être mineur et avoir dit de même depuis son arrivée en Espagne. En outre, il a apporté tous les documents dont il disposait, à savoir la copie de tous ses documents, le récépissé original du dépôt de sa demande de passeport, comportant une photographie, l’attestation originale de l’ambassade attestant qu’un passeport allait lui être délivré et l’original de son attestation d’identité. La procureure lui a instamment demandé de se soumettre à des examens visant à déterminer son âge, mais il a refusé au motif qu’il disposait de documents établissant qu’il était mineur. La procureure l’a averti que son refus serait interprété comme signifiant qu’il était majeur. Elle lui a ordonné de lui remettre tous les documents pour qu’elle les transmette à la police, et a enjoint à la brigade des étrangers et des frontières de transférer l’auteur au commissariat d’Aluche pour que son identité soit relevée et qu’il soit inscrit dans le registre de la police. Elle a indiqué à l’avocate qu’il suffirait de quelques heures pour savoir si l’auteur était considéré comme une personne majeure ou mineure. Bien que l’avocate ait souhaité accompagner son client au commissariat, elle n’y a pas été autorisée.

2.10Dans l’après-midi, Fundación Raíces a reçu un appel téléphonique de la police l’informant que le parquet des mineurs lui avait ordonné de laisser partir l’auteur. La police lui a demandé si elle connaissait un endroit où elle pourrait le déposer. L’organisation lui a donné l’adresse du centre d’hébergement pour personnes majeures, où l’auteur avait passé les nuits précédentes.

2.11Comme il ne disposait d’aucune décision écrite du Bureau d’accueil des réfugiés lui refusant l’enregistrement de sa demande d’asile, l’auteur n’a pu introduire aucun recours interne pour défendre son droit de demander une protection internationale. En outre, il fait remarquer que, même s’il existait une décision établissant qu’il était majeur, elle ne lui a jamais été communiquée. Il ajoute qu’en tout état de cause, les décisions relatives à la détermination de l’âge rendues par le ministère public ne sont pas susceptibles d’appel devant une juridiction, comme l’a confirmé le Tribunal constitutionnel espagnol dans son arrêt no 172/2013 du 9 septembre 2013, et que, par conséquent, il aurait épuisé tous les recours internes disponibles.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur se dit victime d’une violation de l’article 2 de la Convention en ce qu’il a subi une discrimination en raison de son statut d’enfant étranger non accompagné. S’il avait été accompagné de sa famille, il ne se serait pas trouvé sans protection et dans l’impossibilité de demander l’asile, puisqu’il aurait été autorisé à déposer une demande en ce sens ou, s’il avait été majeur, il n’aurait pas eu besoin d’une telle autorisation.

3.2L’auteur avance que l’intérêt supérieur de l’enfant, consacré par l’article 3 de la Convention, n’a pas été pris en considération au cours de la procédure de demande d’asile. Il indique qu’en tant que mineur, il avait le droit de demander l’asile sous couvert des garanties et des mesures de protection prévues par le Haut-Commissariat pour les réfugiés, comme l’indique l’observation générale no 6 (2005) sur le traitement des enfants non accompagnés et des enfants séparés en dehors de leur pays d’origine. Il fait observer que l’État partie ne lui a pas accordé le bénéfice du doute quant à son âge, alors qu’il existait pourtant un risque réel de préjudice irréparable, telles l’impossibilité de demander l’asile et les conséquences que cela implique. Il explique qu’il disposait de documents originaux délivrés par son pays d’origine attestant son identité et son statut de mineur.

3.3L’auteur soutient que l’État partie a violé le droit à l’identité qu’il tient de l’article 8 de la Convention. Il indique que l’âge constitue un élément essentiel de l’identité et que l’État partie est tenu de ne pas porter atteinte à son identité, ainsi que de conserver et de préserver les données qui fondent son identité. Il rappelle que les documents originaux qu’il détenait prouvaient son identité, en particulier son statut de mineur, et qu’ il n’y avait donc, à aucun moment, lieu de remettre ce statut en cause, sauf preuve contraire.

3.4L’auteur soutient que l’article 12 de la Convention a été violé en ce que l’État partie ne lui a pas donné la possibilité d’être entendu. Il indique qu’il a été privé à deux reprises du droit d’être entendu puisque, faute de tuteur, il n’avait pas été autorisé à déposer sa demande d’asile. En conséquence, il a été privé de la possibilité d’expliquer les raisons pour lesquelles il avait fui son pays d’origine.

3.5L’auteur soutient en outre que l’article 20 de la Convention a été violé en ce que l’État partie ne lui a pas garanti la protection allant de pair avec son statut d’enfant privé de son milieu familial.

3.6Enfin, l’auteur se dit victime d’une violation de l’article 22 de la Convention puisque, sur les conseils d’une organisation spécialisée dans ce domaine, il a tenté de demander l’asile à deux reprises, mais n’a pas été autorisé à engager pareille procédure. De surcroît, bien qu’il en ait fait la demande à de nombreuses occasions, aucune confirmation écrite de ces refus ne lui a été fournie, ce qui l’a privé de toute possibilité d’introduire un recours interne pour défendre ses droits. Il s’est ainsi trouvé dans une situation de vulnérabilité, courant notamment le risque d’être expulsé, et dans l’impossibilité de pouvoir former un quelconque recours interne pour défendre son droit de demander une protection internationale.

3.7L’auteur affirme que, du fait que le Bureau d’accueil des réfugiés exige de tout mineur qu’il soit accompagné de son tuteur légal pour introduire une demande d’asile, les enfants considérés comme majeurs sur la base d’examens osseux − alors qu’ils sont en possession de documents valides délivrés par leur pays d’origine attestant qu’ils sont mineurs − ne peuvent pas demander une protection internationale.

3.8Comme solutions possibles, l’auteur propose : a) que l’État partie reconnaisse son statut de mineur ; b) que l’État partie l’autorise à déposer sa demande d’asile en qualité de mineur ; c) qu’il soit reconnu comme étant en situation d’abandon et placé sous la tutelle de la Communauté autonome de Madrid ; d) que lui soient reconnus tous les droits attachés à son statut d’enfant, y compris le droit d’être entendu, de bénéficier d’une protection de l’État et d’être assisté par un représentant légal, ainsi que le droit à l’éducation et le droit à une autorisation de résidence et à un permis de travail, lesquels sont nécessaires à l’épanouissement harmonieux de sa personnalité et à son intégration sociale.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Dans ses observations du 18 août 2017, l’État partie affirme que, le jour de leur entrée illégale sur le territoire espagnol, l’auteur et les autres passagers de l’embarcation ont été arrêtés et emmenés au commissariat d’Almería, où leur identité a été relevée et où ils ont été informés de leur droit de se faire assister d’un interprète et d’un avocat commis d’office. L’auteur a déclaré être majeur, ce qui cadrait avec son apparence physique. L’État partie indique qu’à raison de l’entrée illégale de l’auteur sur le territoire espagnol, il a engagé une procédure d’expulsion à son encontre et proposé de le renvoyer dans son pays d’origine. L’ordre d’expulsion a été personnellement notifié à l’intéressé avec l’aide d’un interprète, et l’auteur a été informé de la possibilité de contester cet ordre d’expulsion par la voie judiciaire. Étant donné qu’aucune autorité consulaire n’a proposé d’identifier l’auteur, celui-ci n’a pu être expulsé et a été remis en liberté et confié au centre d’hébergement de la Croix-Rouge.

4.2L’État partie fait savoir que, le 19 avril 2017, l’auteur s’est présenté à la brigade des étrangers et des frontières de Madrid et a indiqué qu’il était né le 31 décembre 1999. Il a refusé de se soumettre à des examens médicaux visant à déterminer son âge et a demandé à être considéré comme mineur sur le fondement des documents qu’il a produits, à savoir : a) une photocopie de son extrait d’acte de naissance ; b) une photocopie de son certificat de nationalité, sur laquelle on pouvait clairement voir que la typographie utilisée pour indiquer sa date de naissance, dont les chiffres avaient été tapés à la machine à écrire, n’était pas la même que celle utilisée pour les autres chiffres du document, qui avait été réalisé à l’aide d’une imprimante par points ; c) un certificat d’identité comprenant une photographie qui ne semblait pas être celle de l’auteur. La police n’a pas mis en œuvre le protocole applicable aux mineurs non accompagnés puisqu’elle n’avait aucun doute sur le fait que l’auteur était majeur compte tenu de son apparence physique, de la « falsification grossière » de la date de naissance indiquée sur son certificat de nationalité et de la différence entre la photographie figurant sur son certificat d’identité et l’apparence physique de l’auteur.

4.3L’État partie explique que le procureur a demandé à la police scientifique d’examiner le certificat d’identité. La police scientifique est parvenue à la conclusion que les empreintes digitales ne correspondaient pas aux empreintes de l’auteur qui avaient été relevées précédemment et qui figuraient dans les registres officiels de l’État partie. Le 27 juin 2017, le procureur a rendu une décision établissant que l’intéressé était majeur.

4.4L’État partie avance que la communication est irrecevable ratione personae en application de l’article 7 c) et f) du Protocole facultatif parce que l’auteur est majeur. Les faits suivants attestent son statut de majeur : a) l’auteur a déclaré volontairement à son entrée en Espagne qu’il était majeur ; b) il a refusé de se soumettre à des examens médicaux visant à déterminer son âge ; c) nul ne connaît sa véritable identité puisque la personne à qui le certificat d’identité a été délivré n’est pas l’auteur − les empreintes digitales ne correspondant pas −, les photocopies de certificats sans données biométriques ne constituent pas une preuve de l’identité et de l’âge d’une personne, et les photocopies disponibles ont clairement été falsifiées de manière à modifier la date de naissance.

4.5L’État partie affirme également que, conformément à l’article 7 e) du Protocole facultatif, la communication est irrecevable au motif que tous les recours internes n’ont pas été épuisés, étant donné que : a) si l’auteur estimait que les examens médicaux pratiqués n’étaient pas suffisants, il aurait pu demander au ministère public d’effectuer des examens supplémentaires ; b) en vertu de l’article 780 de la loi sur la procédure civile, l’auteur peut demander le réexamen de toute décision de la Communauté autonome dans laquelle il n’est pas considéré comme mineur ; c) il peut faire appel de l’ordre d’expulsion le concernant devant la juridiction administrative contentieuse ; d) il peut former devant les tribunaux civils une demande en matière gracieuse aux fins de la détermination de l’âge, conformément à la loi no 15/2015.

4.6S’agissant de l’argument de l’auteur selon lequel, conformément à l’arrêt no 172/2013 rendu le 9 septembre 2013 par le Tribunal constitutionnel saisi du recours en amparo no 952/2013, les décisions du ministère public relatives à la détermination de l’âge d’une personne sans papiers ne sont pas susceptibles d’appel devant une juridiction, l’État partie soutient que le Tribunal lui-même a dit dans cet arrêt que de telles décisions étaient éminemment provisoires et que la décision définitive concernant l’âge d’une personne sans papiers était susceptible d’appel devant une juridiction, au moyen des recours susmentionnés qui, en l’espèce, n’ont pas été épuisés.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité

5.1Dans ses commentaires du 6 novembre 2017, l’auteur soutient que, contrairement à ce qu’affirme l’État partie, les documents qu’il a présentés à la police le 19 avril étaient des originaux assortis des photocopies correspondantes. S’agissant du certificat d’identité, il soutient que l’affirmation de l’État partie selon laquelle la photographie n’est pas la sienne n’est que pure spéculation.

5.2L’auteur soutient en outre que ni lui ni ses avocats n’ont été informés que le ministère public, comme suite à sa décision du 16 mai 2017, avait engagé une procédure d’enquête et de protection des mineurs à son égard et l’avait classée sans avoir vu ou entendu ni l’auteur ni ses avocats, le privant ainsi de la possibilité d’être défendu ou de connaître son statut juridique découlant de la détermination de son âge.

5.3Le 1er juin 2017, l’auteur s’est présenté au Bureau d’accueil des réfugiés pour la troisième fois en compagnie de ses avocats afin de déposer sa demande d’asile. Il a été informé qu’il pourrait soumettre une demande de protection internationale pour autant qu’il déclare être majeur. L’auteur a toutefois estimé que cela allait à l’encontre de son intérêt en tant que mineur.

5.4L’auteur signale que, même si la décision établissant qu’il était majeur avait été rendue le 27 juin 2017, ce n’est que le 25 juillet 2017 que ses avocats ont appris son existence lorsqu’ils ont reçu le réquisitoire du Procureur de la section des mineurs y faisant référence. Il avance que cette situation l’a empêché de défendre ses droits devant la justice et a d’autant plus aggravé sa situation de vulnérabilité. Avant le 27 juin 2017, ni la police ni le ministère public n’ont pris contact avec l’Ambassade de Côte d’Ivoire en Espagne pour vérifier l’identité de l’auteur ou la validité des documents fournis. Le 18 juillet 2017, l’ambassade a délivré un passeport au nom de l’auteur, indiquant qu’il était né le 31 décembre 1999.

5.5L’auteur déclare que, le 31 juillet 2017, le ministère public a déposé une plainte pénale contre l’auteur et trois membres de Fundación Raíces pour des faits présumés d’usurpation d’identité et de falsification de documents.

5.6Le 3, le 10 et le 28 août 2017, l’auteur a adressé des lettres au procureur de la section des mineurs pour l’informer qu’il avait désormais un passeport original et demander que lui soit communiquée de toute urgence la copie de la décision établissant qu’il était majeur et que les mesures de protection ordonnées par le Comité soient mises en œuvre. En outre, il a rappelé la situation de vulnérabilité dans laquelle il se trouvait du fait qu’il vivait dans un centre d’hébergement pour personnes majeures. Le 5 septembre 2017, il a finalement reçu la décision du 27 juin 2017 établissant qu’il était majeur.

5.7Le 26 septembre 2017, l’auteur s’est présenté une nouvelle fois au Bureau d’accueil des réfugiés en compagnie de son avocate. Il n’a pas pu présenter sa demande d’asile en qualité de mineur puisque le Bureau d’accueil des réfugiés a de nouveau tenu compte de la décision du ministère public établissant qu’il était majeur, alors qu’il avait présenté son passeport attestant son statut de mineur. L’auteur explique que, compte tenu de la gravité de la situation dans laquelle il se trouvait, il a finalement déposé sa demande en qualité de majeur, car il n’avait pas d’autre choix. Il a déclaré être né le 1er janvier 1999.

5.8Le 27 octobre 2017, l’auteur a saisi le ministère public pour demander le réexamen de la décision établissant qu’il était majeur. En outre, il a réitéré la demande qu’il avait faite au service de protection de la Communauté autonome de Madrid aux fins de son admission au système de protection en tant que mineur en situation d’abandon.

5.9S’agissant de l’argument de l’État partie selon lequel la communication doit être déclarée irrecevable ratione materiae, l’auteur avance que : a) son passeport permet bel et bien d’affirmer qu’il est mineur ; b) il est faux d’affirmer qu’il a déclaré être majeur à son entrée en Espagne et que, même s’il l’avait fait, cela ne saurait suffire à en déduire qu’il est majeur ; c) l’allégation selon laquelle sa véritable identité ne serait pas connue ne constitue pas une preuve de son statut de personne majeure ; d) le fait qu’il a refusé de se soumettre à des examens visant à déterminer son âge qui sont très intrusifs et dont les résultats sont fortement sujets à caution ne saurait en aucun cas être interprété comme prouvant qu’il est majeur. L’auteur fait savoir que l’examen radiologique de détermination de l’âge, à savoir l’évaluation d’une radiographie du poignet gauche selon la méthode de Greulich et Pyle, présente une telle marge d’erreur qu’il ne saurait aboutir à des résultats infaillibles, comme en témoigne la littérature scientifique la plus récente. En outre, cet examen fait référence à des personnes de type caucasien et n’est pas conçu pour des personnes d’autres origines, comme les Africains, dont le rythme de maturation osseuse est différent.

5.10En ce qui concerne l’épuisement des recours internes, l’auteur avance que l’État partie a dressé une liste des recours officiels disponibles sans préciser s’ils étaient accessibles ou utiles, alors que c’est à lui qu’incombe la charge de la preuve. Il explique n’avoir jamais été informé des démarches que la police et le ministère public avaient menées dans le cadre de la procédure visant à déterminer son âge, raison pour laquelle il n’a pas été en mesure d’exploiter les voies de recours mentionnées par l’État partie.

5.11S’agissant de l’allégation de l’État partie selon laquelle l’auteur a été informé de la possibilité d’introduire un recours juridictionnel contre l’ordre d’expulsion, l’auteur soutient qu’il n’est pas possible d’introduire directement un recours contre cet ordre par voie juridictionnelle, puisqu’il faut nécessairement saisir une juridiction d’appel et que c’est l’administration elle-même qui se prononce dans un délai de trois mois, sans que les effets de l’ordre d’expulsion soient suspendus.

5.12S’agissant de l’allégation de l’État partie selon laquelle l’auteur aurait pu former devant les tribunaux civils une demande en matière gracieuse aux fins de la détermination de l’âge, en application de la loi no 15/2015, l’auteur avance que Fundación Raíces avait déjà présenté une telle demande, mais qu’elle avait été rejetée au motif que la voie de recours n’était pas la bonne.

5.13Enfin, l’auteur soutient que l’État partie n’a pas mis en œuvre la mesure provisoire le concernant prévue par le Comité, puisqu’il n’a jamais été placé sous tutelle et n’a donc pas pu enregistrer une demande l’asile en tant que mineur auprès du Bureau d’accueil des réfugiés.

Observations de l’État partie sur le fond

6.1Dans ses observations du 14 mars 2018, l’État partie confirme sa description des faits et les arguments qu’il a avancés concernant la recevabilité de la communication. Il considère que le renvoi de l’auteur dans son pays d’origine, où il a des attaches personnelles et familiales, ne lui fait courir aucun risque irréparable ni ne constitue une circonstance exceptionnelle.

6.2L’État partie rappelle que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes disponibles. Il ajoute que la détermination de l’âge peut être à tout moment vérifiée par des moyens efficaces puisque, si de nouvelles preuves objectives sont présentées, comme des documents d’identité originaux contenant des données biométriques attestant l’âge du titulaire du document ou des preuves médicales objectives contraires, le ministère public lui‑même peut décider de prendre de nouvelles mesures d’enquête concernant l’âge réel du mineur.

6.3L’État partie signale que le grief de l’auteur selon lequel son intérêt supérieur n’a pas été respecté est de nature générale et qu’il ne précise pas exactement en quoi la disposition concernée a été violée. L’observation générale no 6 indique que le bénéfice du doute doit être accordé au mineur en cas d’incertitude, mais pas lorsqu’il est évident que l’intéressé est majeur, auquel cas les autorités nationales peuvent légalement le considérer comme tel sans être tenues de procéder à un quelconque examen. Toutefois, en l’espèce, les autorités ont offert à l’auteur la possibilité de se soumettre à des examens médicaux objectifs permettant de déterminer son âge. L’État partie signale que, lorsque des personnes majeures sont admises dans des centres d’accueil pour mineurs, les mineurs peuvent subir des actes de violence et de maltraitance de la part des majeurs.

6.4S’agissant du grief que l’auteur tire de la violation présumée de son droit à ce que son intérêt supérieur soit respecté, garanti par les articles 18 (par. 2) et 20 (par. 1) de la Convention, l’État partie fait remarquer que les autorités espagnoles ont secouru l’auteur alors qu’il se trouvait à bord d’une embarcation précaire, que les services sanitaires l’ont pris en charge à son arrivée sur le territoire espagnol, qu’il a bénéficié gratuitement des services d’un avocat et d’un interprète, que, dès qu’il a déclaré être mineur, l’information a été transmise au ministère public, qui est l’institution chargée de veiller à l’intérêt supérieur de l’enfant, et qu’il est actuellement en liberté et bénéficie d’une aide sociale.

6.5Pour ce qui est des griefs de violation de l’article 8 de la Convention, l’État partie considère que l’auteur n’a pas justifié en quoi son droit de préserver son identité avait été violé. Il ajoute que les autorités espagnoles ont enregistré l’auteur sous le nom qu’il a donné lorsqu’il est entré illégalement sur le territoire espagnol et que, de fait, les documents qu’il a présentés sont ceux qui lui permettent d’exercer ses droits à l’heure actuelle.

6.6S’agissant du grief de l’auteur selon lequel son droit d’être entendu aurait été violé, l’État partie soutient que l’intéressé a toujours eu la possibilité d’être entendu et de défendre sa cause. L’auteur a été traduit devant un juge de première instance lorsqu’il était détenu au commissariat, où son identité a été relevée et où il a été informé de son droit de se faire assister d’un interprète et d’un avocat commis d’office. L’auteur a également eu le droit d’exposer ses griefs au Bureau d’accueil des réfugiés.

6.7S’agissant des griefs de l’auteur selon lesquels il aurait été privé de son droit à une protection et à une aide spéciales de l’État partie, qu’il tire de l’article 20 de la Convention, l’État partie indique qu’en l’espèce, compte tenu qu’il existe des preuves de la majorité de l’auteur, le droit allégué est tout simplement inapplicable.

6.8Quant aux solutions possibles proposées par l’auteur dans sa communication initiale, l’État partie affirme que celui-ci ne demande ni ne propose aucune mesure permettant de déterminer son âge avec certitude. Il ne propose pas non plus que des examens médicaux objectifs différents soient réalisés ni que les données le concernant soient vérifiées auprès des autorités de son pays d’origine présumé.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernant le fond

7.1Dans ses commentaires du 19 mars 2018, l’auteur indique que l’État partie fonde l’intégralité de son raisonnement juridique sur l’existence d’examens médicaux objectifs, sans pour autant préciser de quels examens il s’agit ni fournir de copie des résultats de ces examens. L’auteur précise qu’il n’a jamais subi d’examens visant à déterminer son âge, ni à Almería ni à Madrid.

7.2Le 6 novembre 2017, le parquet provincial de Madrid a rejeté sa demande de réexamen de la décision du 27 juin 2017 établissant qu’il était majeur, alors que le passeport produit n’était pas un faux, ne présentait pas de signe de falsification, n’avait pas été contesté et ne faisait pas l’objet d’une procédure judiciaire. Le parquet a affirmé que le passeport ne pouvait être pris en considération « étant donné que, compte tenu de l’historique des faits liés à la présente décision et des rapports préparés par des experts, il a été établi que la personne qui s’était présentée dans les bureaux du parquet provincial le 6 juin 2017 n’était pas M. T., car il n’avait pas été possible de vérifier la véritable identité de la personne présente ». À cet égard, l’auteur avance qu’il n’a pas été établi que la personne qui s’était présentée n’était pas M. T. puisque la procédure pénale engagée par suite de la plainte du ministère public n’avait pas encore été menée à bien.

7.3Le 17 novembre 2017, l’auteur a saisi une juridiction administrative contentieuse pour interjeter directement appel de la décision du parquet et demander des mesures de protection. Par une décision du 19 décembre 2017, la juridiction saisie a rejeté le recours au motif qu’elle n’était pas compétente pour statuer. L’auteur précise qu’à l’heure actuelle le recours en révision de la décision de ne pas lui accorder de mesures de protection, qu’il a introduit devant ce même tribunal des affaires administratives contentieuses, ainsi que son recours devant le tribunal supérieur de justice pour défaut de compétence n’ont pas encore été tranchés.

7.4Par une décision du 26 février 2018, l’Audiencia Provincial de Madrid a rejeté la plainte déposée par le ministère public contre des membres de Fundación Raíces au motif que rien ne semblait indiquer qu’ils avaient participé à quelconque infraction.

7.5L’auteur réaffirme sa position concernant la recevabilité de la communication. S’agissant des allégations de l’État partie selon lesquelles il n’apporte aucune preuve de son statut de mineur, l’intéressé affirme que : a) il a présenté son acte de naissance et son certificat de nationalité à la police ; b) le 6 juin 2017, il a apporté au ministère public le récépissé du dépôt de sa demande de passeport auprès de l’ambassade, comportant sa photographie et sa date de naissance ; c) une fois qu’il a obtenu son passeport, il l’a présenté au ministère public le 3 août, le 28 août 2017 et le 27 octobre 2017.

7.6L’auteur avance que le fait que sa demande de réexamen de la décision établissant qu’il était majeur a été rejetée alors qu’il avait produit un passeport valide, qui ne faisait pas l’objet d’une procédure judiciaire, prouve que les voies de recours interne étaient vaines.

7.7L’auteur indique que l’État partie n’a pas pris en considération son intérêt supérieur à quatre reprises : a) lorsqu’il a été décidé de le considérer comme sans papiers, alors qu’il avait produit des documents d’identité attestant pleinement son âge et son identité, et de le soumettre à des examens visant à évaluer son âge ; b) lorsqu’il n’a pas été placé sous tutelle ou admis dans un centre d’accueil pour mineurs, à titre de mesure de protection dans l’attente de la décision du ministère public, comme le recommande le Protocole applicable aux mineurs étrangers non accompagnés ; c) lorsque les autorités ont déduit de son refus de se soumettre à des examens qu’il était majeur ; d) lorsque sa demande de réexamen de la décision établissant qu’il était majeur a été rejetée alors qu’il était titulaire d’un passeport.

7.8L’auteur explique que l’État partie a enfreint son droit à l’identité en lui attribuant − et en indiquant sur sa carte de demandeur d’asile − une date de naissance qui ne correspondait pas à celle figurant sur les documents attestant son identité qui lui avaient été délivrés par les autorités de son pays d’origine. Il fait remarquer qu’il ressort aussi bien de la législation espagnole que de la jurisprudence de la Cour suprême que les documents délivrés par les autorités du pays d’origine font foi en ce qui concerne l’identité d’un étranger.

7.9Enfin, l’auteur demande au Comité de prier l’État partie de lui reconnaître tous les droits qui auraient été les siens en tant que mineur, conformément au droit interne espagnol, et notamment de lui accorder un permis de séjour étant donné que, du fait qu’il n’a pas été placé sous tutelle, il a été privé de la possibilité d’obtenir le permis de séjour qui est accordé aux jeunes sous tutelle lorsqu’ils atteignent l’âge de la majorité.

Renseignements complémentaires communiqués par l’État partie

8.1Le 27 août 2018, l’État partie a indiqué que, selon la décision no 188/2018 du 26 février 2018 de la première chambre de l’Audiencia Provincial de Madrid, concernant l’enquête pénale pour usurpation d’identité et faux et usage de faux, « le 19 avril 2017, des membres de Fundación Raíces ont remis à la police municipale de Madrid une personne disant s’appeler M. T., indiquant qu’elle était mineure et fournissant une série de documents officiels ivoiriens attestant que l’intéressé était né le 31 décembre 1999. Aprèsvérification, la police est parvenue à la conclusion que M. T. avait produit de faux documents et a décidé en conséquence de ne pas appliquer le protocole-cadre relatif aux mineurs étrangers non accompagnés. Fundación Raíces a soumis une communication au nom de M. T., signée par L. R. et E. F., au Comité des droits de l’enfant, ce qui a conduit le Procureur de la section des mineurs à rouvrir la procédure ; le 6 juin s’est tenue une audience à laquelle a assisté une personne qui n’était pas M. T., et qui était accompagnée d’une avocate, A. E. S. La personne en question a produit les documents demandés et, après avoir comparé cette personne et la photographie, le procureur a émis des doutes quant à l’identité de la personne et a demandé une expertise, qui a démontré que la carte d’identité était fausse. ».

8.2L’État partie indique qu’il a été établi : a) que l’auteur, qui est majeur, a présenté de faux documents à la police municipale pour faire valoir sa minorité ; b) que, comme suite à la soumission d’une communication au Comité au motif que l’intéressé était mineur, le ministère public a convoqué l’auteur pour procéder à une nouvelle détermination de son âge, dans l’hypothèse où de nouvelles circonstances ou de nouveaux documents permettraient de prouver qu’il était mineur ; c) qu’à cette convocation s’est présentée Fundación Raíces, qui représentait l’auteur, avec une personne qui n’était pas l’auteur et qui était un mineur se faisant passer pour l’auteur ; d) devant les doutes du juge, une expertise a été pratiquée, qui a confirmé la tentative d’usurpation d’identité.

Intervention de tiers

9.1Le 12 novembre 2018, le Défenseurfrançais des droits a soumis en qualité de tiers une intervention portant sur la question de la détermination de l’âge et du placement de mineurs dans des centres pour adultes dans l’attente de leur éloignement.

Commentaires supplémentaires de l’auteur

10.1Par une lettre du 28 mars 2019, l’auteur indique que, le 18 février 2019, l’Audiencia Provincial de Madrid a rejeté la requête en déclinatoire de compétence présentée par son avocate afin que l’affaire soit jugée par le tribunal pour mineurs. Cependant, le 11 mars 2019, le tribunal pénal no 18 de Madrid a validé le déclinatoire de compétence, « étant établi que l’accusé était mineur en avril 2017, et les tribunaux pour mineurs étant compétents pour juger les faits ». L’auteur fait savoir en outre que, dans sa décision, le tribunal a indiqué que, pendant l’audience, le ministère public avait reconnu la validité du passeport.

10.2L’auteur conclut que cette décision confirme : a) qu’au moment où il est entré en Espagne et a demandé l’asile et pendant l’intégralité de son séjour jusqu’au 31 décembre 2017, il était mineur ; b) que l’État partie reconnaît pour la deuxième fois qu’il était mineur. Il précise que les autorités espagnoles avait déjà reconnu la validité de la date de naissance inscrite sur son passeport lorsqu’elles avaient modifié sa date de naissance sur sa carte de demandeur d’asile ; c) que le ministère public n’a pas pris en considération un passeport valide et, partant, que l’auteur n’a pas bénéficié de la protection ni joui des droits auxquels il pouvait prétendre en tant que mineur.

Commentaires supplémentaires de l’État partie

11.1Par une lettre du 1er avril 2019, l’État partie indique que, le 11 mars 2019, le tribunal pénal no 18 de Madrid a mis fin à la procédure en déclarant qu’au moment des faits en cause, l’auteur était mineur. Le tribunal indique qu’« en plénière a été présenté un certificat émis par l’Ambassade de la République de Côte d’Ivoire attestant que le passeport biométrique no 17AL64055, délivré à M. T. le 16 juillet 2017 par les autorités compétentes du service d’émission des passeports biométriques de Côte d’Ivoire, a été transmis par l’Ambassade de la Côte d’Ivoire à Madrid (Espagne) le 20 avril 2017, est authentique et satisfait aux normes générales relatives aux passeports biométriques. ».

11.2L’État partie fait observer que le fait que les autorités judiciaires nationales aient reconnu que l’auteur était né le 31 décembre 1999 montre qu’au moment de la soumission de la communication au Comité, toutes les voies de recours internes n’avaient pas été épuisées. L’État partie demande donc que la communication soit déclarée irrecevable pour non-épuisement des recours internes utiles.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

12.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 20 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant établissant une procédure de présentation de communications.

12.2Le Comité note que l’État partie fait valoir qu’au moment où il a soumis sa communication, l’auteur n’avait pas épuisé les recours internes disponibles, puisque : a) ilaurait pu demander au ministère public que soient pratiqués des examens supplémentaires ; b) il aurait pu demander la révision de toute décision de la Communauté autonome dans laquelle il n’était pas considéré comme mineur, sur le fondement de l’article780 du code de procédure civile ; c) il aurait pu contester son refoulement devant la juridiction contentieuse administrative ; d) il aurait pu former devant les tribunaux civils une demande en matière gracieuse aux fins de la détermination de l’âge, conformément à la loi no15/2015. L’État partie soutient en outre que le fait que, dans sa décision du 11 mars 2019, le tribunal pénal no 18 de Madrid a reconnu que l’auteur était mineur montre que l’auteur n’avait pas épuisé les recours internes disponibles.

12.3Cela étant, le Comité note que l’auteur affirme n’avoir été informé des mesures prises par la police et le ministère public en lien avec la détermination de son âge qu’après qu’il a soumis sa communication au Comité. En particulier, il n’a eu accès à la décision établissant qu’il était majeur que le 5 septembre 2018, soit plus de trois mois après qu’elle a été rendue, après des demandes répétées auprès du ministère public. Le Comité observe en outre que l’auteur a demandé la révision de cette décision auprès du ministère public, ensoumettant une copie de son passeport dûment établi par l’Ambassade de Côte d’Ivoire à Madrid, révision qui lui a été refusée le 6 novembre 2017. Le Comité note également que l’auteur fait valoir que, ne disposant pas de décision écrite du Bureau d’accueil des réfugiés lui refusant l’enregistrement de sa demande d’asile en tant que mineur, il n’a pas pu se prévaloir d’autre voie interne pour exercer son droit de demander la protection internationale.

12.4Le Comité considère que, l’expulsion de l’auteur étant imminente, tout recours qui se prolongerait excessivement ou qui ne suspendrait pas l’exécution de l’ordonnance de refoulement ne saurait être considéré comme utile. Il constate que l’État partie n’a pas démontré que les recours mentionnés auraient suspendu l’exécution de l’ordonnance de refoulement. Par conséquent, il conclut que l’article 7 e) du Protocole facultatif ne fait pas obstacle à la recevabilité de la présente communication.

12.5Le Comité considère que l’auteur a suffisamment étayé les griefs qu’il soulève au titre des articles 2, 3, 8, 12, 20 et 22 de la Convention, concernant la non-prise en compte de l’intérêt supérieur de l’enfant, le fait qu’il n’a pas été autorisé à être accompagné de son représentant pendant la procédure de détermination de l’âge et le défaut de désignation d’un tuteur, qui l’a empêché de demander l’asile en qualité de mineur. Par conséquent, le Comité déclare cette partie de la communication recevable et procède à son examen au fond.

Examen au fond

13.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 10 du Protocole facultatif, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

13.2Le Comité doit déterminer si, en l’espèce, la procédure de détermination de l’âge à laquelle a été soumis l’auteur, qui a déclaré être mineur et a présenté plusieurs documents d’identité à l’appui de ses dires − acte de naissance, certificat de nationalité, certificat d’identité, puis passeport − a violé les droits reconnus à l’auteur par la Convention. Enparticulier, l’auteur a affirmé que l’intérêt supérieur de l’enfant n’a pas été pris en considération dans le cadre de cette procédure, qu’il n’a pas été correctement informé des mesures prises pour déterminer son âge, et qu’il n’a pas été autorisé à bénéficier de la présence de son représentant légal pendant la procédure de détermination de l’âge.

13.3Le Comité rappelle que la détermination de l’âge d’une personne jeune qui affirme être mineure revêt une importance capitale, puisque le résultat de cette procédure permet d’établir si la personne en question peut ou non prétendre à la protection nationale en qualité d’enfant. De même, et cela est extrêmement important pour le Comité, la jouissance des droits énoncés dans la Convention est liée à cette détermination. Il est donc impératif que l’âge soit déterminé selon une procédure régulière, dont les résultats pourront être contestés au moyen d’une procédure de recours. Tant que les procédures en question sont en cours, il faudrait accorder à l’intéressé le bénéfice du doute et le traiter comme un enfant. Par conséquent, le Comité considère que l’intérêt supérieur de l’enfant devrait être une considération primordiale tout au long de la procédure de détermination de l’âge.

13.4En l’espèce, le Comité note que l’État partie fait valoir que l’auteur a été considéré comme majeur par les autorités car : a) l’auteur a de lui-même déclaré être majeur à son arrivée en Espagne ; b) il avait clairement l’apparence physique d’un majeur ; c) il a refusé de se soumettre à des examens médicaux de détermination de l’âge ; d) les documents d’identité qu’il a présentés n’étaient pas propres à attester son identité. Ilrappelle aussi l’observation générale conjointe no 4 du Comité pour la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille et no 23 du Comité des droits de l’enfant (2017) sur les obligations des États en matière de droits de l’homme des enfants dans le contexte des migrations internationales dans les pays d’origine, de transit, de destination et de retour, dans laquelle il est indiqué que les documents d’identité doivent être considérés comme authentiques, sauf preuve du contraire.À cet égard, il note que les autorités de l’État partie ont considéré que l’acte de naissance et le certificat de nationalité soumis par l’auteur ne pouvaient être considérés comme des preuves de sa minorité parce qu’ils ne contenaient pas de données biométriques, que, sur le certificat de nationalité, la date de naissance avait été modifiée, et que l’empreinte digitale figurant sur l’attestation d’identité ne correspondait pas à celle de l’auteur. Cependant, le Comité observe également que l’auteur a présenté à plusieurs occasions aux autorités de l’État le récépissé de la demande de passeport soumise à l’Ambassade de Côte d’Ivoire à Madrid, le certificat de l’Ambassade attestant que son passeport était en cours d’établissement et, une fois qu’il l’a obtenu, le passeport lui-même. Le Comité rappelle que la charge de la preuve n’incombe pas exclusivement à l’auteur de la communication, d’autant que l’auteur et l’État partie ne jouissent pas du même accès aux éléments de preuve et que, souvent, l’État partie est le seul à disposer des informations pertinentes. En l’espèce, le Comité prend note de l’argument de l’auteur qui fait valoir que, si l’État partie avait des doutes sur la validité des documents présentés, il aurait dû s’adresser aux autorités consulaires de la Côte d’Ivoire pour vérifier son identité, ce qu’il n’a pas fait. Le Comité observe que les autorités de l’État partie se sont seulement mises en contact avec les autorités consulaires pour vérifier l’authenticité du passeport quand l’auteur avait déjà été déclaré majeur.

13.5Le Comité note en outre que l’auteur affirme ne pas avoir été autorisé, en tant que possible enfant migrant non accompagné, à être assisté d’un représentant légal chargé de défendre ses intérêts pendant la procédure de détermination de l’âge à laquelle il a été soumis et à l’issue de laquelle il a été déclaré majeur. Il rappelle que les États parties doivent autoriser tous les jeunes gens qui affirment être mineurs, le plus rapidement possible après leur arrivée sur le territoire, à se faire représenter par un représentant légal de leur choix ou leur assurer l’assistance gratuite d’un représentant légal qualifié et, le cas échéant, d’un interprète. Il considère que le fait de faciliter la représentation de ces jeunes gens au cours de la procédure de détermination de l’âge constitue une garantie essentielle pour le respect de leur intérêt supérieur et de leur droit d’être entendu. Ne pas le faire constitue une violation des articles 3 et 12 de la Convention, puisque la procédure de détermination de l’âge est le point de départ de l’application de la Convention. Le défaut de représentation adéquate peut donner lieu à une injustice grave.

13.6Compte tenu de ce qui précède, le Comité considère que la procédure de détermination de l’âge à laquelle a été soumis l’auteur, qui a affirmé être un enfant et a présenté des preuves à l’appui de ses dires, n’a pas été assortie des garanties nécessaires à la protection des droits que l’auteur tient de la Convention. En l’espèce, et compte tenu en particulier que l’auteur n’a pas bénéficié de la présence d’un représentant pendant la procédure, que les documents qu’il a fournis, notamment son passeport, ont été jugés sans valeur probante, et que l’État n’a pas demandé confirmation aux autorités consulaires de la Côte d’Ivoire comme il aurait pu le faire en cas de doute, le Comité considère que l’intérêt supérieur de l’enfant n’a pas été une considération primordiale pendant la procédure de détermination de l’âge à laquelle l’auteur a été soumis, ce qui constitue une violation des articles 3 et 12 de la Convention.

13.7Le Comité doit également déterminer si le fait que l’auteur n’a pas pu demander l’asile en tant que mineur a constitué une violation des droits qu’il tient de la Convention. Ilnote que l’auteur affirme : a)qu’il a tenté de soumettre sa demande d’asile en tant que mineur au Bureau d’accueil des réfugiés à quatre reprises, et que cette possibilité lui a été refusée faute de tuteur ; b)que le Bureau d’accueil des réfugiés n’a jamais rendu de décision écrite à ce sujet ; c)que l’impossibilité dans laquelle il s’est trouvé de soumettre sa demande d’asile l’a exposé au risque d’être expulsé. Le Comité note que l’État partie affirme qu’il n’a pas été démontré que l’auteur risquerait de subir un préjudice irréparable s’il était renvoyé dans son pays d’origine, où il a des attaches personnelles et familiales, ni que son renvoi constituerait une circonstance exceptionnelle. Cependant, le Comité observe que l’auteur a finalement obtenu une carte de demandeur d’asile, après avoir été contraint à affirmer qu’il était majeur, alors qu’il était détenteur d’un passeport original attestant qu’il était mineur.

13.8À cet égard, le Comité rappelle son observation générale no 6 selon laquelle :

« [l]es États devraient […] désigner un tuteur ou un conseiller dès que l’enfant non accompagné ou séparé est identifié en tant que tel et reconduire ce dispositif jusqu’à ce que l’enfant atteigne l’âge de la majorité ou quitte le territoire et/ou cesse de relever de la juridiction de l’État à titre permanent, conformément à la Convention et à d’autres obligations internationales.

[…]

Tout enfant partie à une procédure de demande d’asile ou à une procédure administrative ou judiciaire devrait bénéficier, outre des services d’un tuteur, d’une représentation légale ».

Le Comité considère que le fait que les autorités n’ont pas assigné de tuteur à l’auteur pour qu’il puisse demander l’asile en tant que mineur, alors que l’intéressé était en possession de documents officiels attestant sa minorité, a eu pour conséquence de le priver de la protection spéciale qui doit être accordée aux mineurs non accompagnés demandeurs d’asile et l’a exposé à un risque de dommage irréparable en cas de renvoi vers son pays d’origine, en violation des articles 20 (par. 1) et 22 de la Convention.

13.9Le Comité note également que l’auteur affirme que l’État partie a violé ses droits lorsqu’il a modifié des éléments de son identité en lui attribuant un âge et une date de naissance qui ne correspondaient pas aux informations figurant sur les documents soumis aux autorités espagnoles. Il considère que la date de naissance d’un enfant fait partie de son identité et que les États parties ont l’obligation de respecter le droit de l’enfant de préserver son identité, sans le priver d’aucun des éléments qui la constituent. En l’espèce, il observe que l’État partie affirme que l’acte de naissance et le certificat de nationalité présentés par l’auteur ne pouvaient pas être considérés comme une preuve de minorité parce qu’ils ne contenaient pas de données biométriques, que la date de naissance indiquée sur le certificat de nationalité avait été modifiée et que l’empreinte digitale figurant sur le certificat d’identité ne correspondait pas à celles de l’auteur. Le Comité observe également que l’auteur a informé les autorités à plusieurs reprises qu’il avait demandé un passeport à l’Ambassade de Côte d’Ivoire à Madrid et que, quand ce passeport lui a été délivré, il leur en a soumis une copie. Le Comité considère que l’État partie n’a pas respecté l’identité de l’auteur lorsqu’il a refusé d’accorder une valeur probante à l’acte de naissance et au passeport présentés par l’auteur sans avoir vérifié les données figurant sur ces documents auprès des autorités du pays d’origine de l’auteur. En conséquence, le Comité conclut que l’État partie a violé l’article 8 de la Convention.

13.10Ayant conclu à une violation des articles 3, 8, 12, 20 (par.1) et 22 de la Convention, le Comité ne juge pas nécessaire d’examiner si les mêmes faits constituent une violation distincte de l’article 2 de la Convention.

13.11Enfin, le Comité prend note des griefs de l’auteur concernant la non-application par l’État partie de la mesure provisoire consistant à reconnaître que l’auteur était mineur, à lui offrir la protection voulue et à lui donner la possibilité de demander l’asile par l’intermédiaire d’un tuteur ou d’un représentant qui lui aurait été officiellement assigné. Il rappelle que les États parties ayant ratifié le Protocole facultatif ont pour obligation internationale de mettre en œuvre les mesures provisoires demandées en application de l’article 6 du Protocole afin d’éviter qu’un préjudice irréparable ne soit causé alors que la communication est en cours d’examen, l’objectif étant d’assurer l’efficacité de la procédure de présentation de communications émanant de particuliers. En l’espèce, le Comité note que l’État partie affirme que le transfert de l’auteur dans un centre de protection des mineurs pourrait mettre gravement en danger les enfants accueillis dans ces centres. Il fait toutefois observer que cet argument repose sur l’idée que l’auteur est majeur. Il estime que le plus risqué est d’envoyer une personne potentiellement mineure dans un centre qui n’accueille que des individus reconnus comme adultes. Il observe également que l’État partie n’a jamais assigné de tuteur à l’auteur pour qu’il puisse soumettre sa demande d’asile en tant mineur et qu’il n’a reconnu la date de naissance de l’auteur qu’une fois que celui-ci était majeur. Par conséquent, le Comité considère que la non-application de la mesure provisoire demandée constitue en soi une violation de l’article 6 du Protocole facultatif.

13.12Le Comité des droits de l’enfant, agissant en vertu du paragraphe 5 de l’article 10 du Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant établissant une procédure de présentation de communications, constate que les faits dont il est saisi sont constitutifs d’une violation des articles 3, 8, 12, 20 (par. 1) et 22 de la Convention et de l’article 6 du Protocole facultatif.

14.En conséquence, l’État partie est tenu d’accorder à l’auteur une réparation effective pour les violations subies, y compris de lui donner la possibilité de régulariser sa situation administrative dans l’État partie, en tenant dûment compte du fait qu’il était un enfant non accompagné lorsqu’il a présenté sa demande d’asile pour la première fois. Il a également l’obligation de veiller à ce que de telles violations ne se reproduisent pas. à cet égard, le Comité lui recommande :

a)De veiller à ce que toute procédure visant à déterminer l’âge de jeunes gens affirmant être mineurs soit conforme à la Convention et, en particulier : i) qu’au cours de cette procédure, les documents soumis par les intéressés soient pris en considération et que, dès lors qu’ils ont été établis ou que leur validité a été confirmée par l’État concerné ou son ambassade, leur authenticité soit reconnue ; ii) que les jeunes gens concernés se voient assigner sans délai et gratuitement un représentant légal qualifié ou un autre représentant, que les avocats privés désignés pour les représenter soient reconnus et que tous les représentants légaux ou autres représentants soient autorisés à les assister au cours de la procédure ;

b)De faire en sorte qu’un tuteur compétent soit désigné dans les meilleurs délais pour veiller aux intérêts des jeunes demandeurs d’asile non accompagnés qui affirment avoir moins de 18 ans, afin que ceux-ci puissent demander l’asile en qualité de mineurs, même lorsque la procédure visant à déterminer leur âge est en cours ;

c)De mettre en place un mécanisme de réparation efficace et accessible aux jeunes migrants non accompagnés affirmant avoir moins de 18 ans afin qu’ils puissent contester les décisions des autorités les déclarant majeurs dans les cas où la détermination de leur âge n’a pas été assortie des garanties nécessaires à la protection de leur intérêt supérieur et de leur droit d’être entendu ;

d)De dispenser aux agents des services de l’immigration, aux policiers, aux fonctionnaires du parquet, aux juges et aux autres professionnels concernés des formations sur les droits des enfants migrants, et en particulier sur les observations générales conjointes nos 6, 22 et 23 du Comité.

15.Le Comité rappelle qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait ou non violation de la Convention et des deux Protocoles facultatifs thématiques s’y rapportant.

16.Conformément à l’article 11 du Protocole facultatif, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dès que possible et dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. Il demande en outre à l’État partie d’inclure des informations sur ces mesures dans les rapports qu’il présentera au titre de l’article 44 de la Convention. Enfin, l’État partie est invité à rendre publiques les présentes constatations et à les diffuser largement.