Nations Unies

CEDAW/C/TUN/CO/6

Convention sur l ’ élimination de toutes les formes de discrimination à l ’ égard des femmes

Distr. générale5 novembre 2010FrançaisOriginal: anglais

Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes

Quarante-septième session

4-22 octobre 2010

Examen des rapports présentés par les États partiesen application de l’article 18 de la Convention

Observations finales du Comité pour l’éliminationde la discrimination à l’égard des femmes

Tunisie

1.Le Comité a examiné les cinquième et sixième rapports périodiques de la Tunisie (CEDAW/C/TUN/5-6) à ses 949e et 950e séances, le 7 octobre 2010 (voir CEDAW/C/SR.949 et 950). La liste des points et questions correspondante a été publiée sous la cote CEDAW/C/TUN/Q/6, et les réponses du Gouvernement tunisien à ces questions sous la cote CEDAW/C/TUN/Q/6/Add.1.

A.Introduction

2.Le Comité félicite l’État partie pour la présentation de ses cinquième et sixième rapports périodiques qui, dans l’ensemble, sont conformes aux directives du Comité (HRI/GEN/2/Rev.1/Add.2) et tiennent compte de ses précédentes observations finales. Il le félicite également pour ses réponses écrites à la liste des points et questions soulevées par son groupe de travail de présession et pour son exposé oral et les réponses qu’il a apportées aux questions posées par les membres du Comité.

3.Le Comité remercie l’État partie d’avoir envoyé une délégation de haut niveau conduite par la Ministre des affaires de la femme, de la famille, de l’enfance et des personnes âgées, et composée de représentants de divers ministères, ainsi que de membres de la Chambre des députés et de la Chambre des conseillers. Le Comité félicite l’État partie pour le dialogue constructif qui s’est tenu entre la délégation et les membres du Comité et qui a fourni des indications précieuses sur la situation des femmes en Tunisie et sur la mise en œuvre de la Convention.

B.Aspects positifs

4.Le Comité relève avec satisfaction que l’État partie est résolument déterminé à instaurer l’égalité des sexes et à mettre son cadre législatif en conformité avec les normes internationales, y compris la Convention. Il note à cet égard que la Tunisie est considérée par bon nombre de pays arabes et musulmans comme un exemple à suivre.

5.Le Comité note avec satisfaction que l’État partie a adhéré le 23 septembre 2008 au Protocole facultatif se rapportant à la Convention, devenant ainsi l’un des premiers États arabes à devenir partie à cet instrument.

6.Le Comité se félicite des mesures prises par l’État partie en vue de réexaminer et réviser les lois discriminatoires, à savoir:

a)La loi no 2007-32 de mai 2007 portant modification du Code du statut personnel, qui fixe l’âge minimum requis pour se marier à 18 ans révolus, pour les garçons comme pour les filles; et

b)La loi no 2002-4 de février 2002 portant modification du Code de la nationalité, permettant désormais à la femme tunisienne mariée à un étranger de transmettre sa nationalité à son enfant né à l’étranger, en cas de décès, de disparition ou d’incapacité du père.

7.Le Comité prend note avec satisfaction de plusieurs initiatives législatives prises par l’État partie en faveur des femmes et des filles ayant besoin d’une protection sociale, notamment la loi no 2008-20 du 4 mars 2008 qui consacre le droit de la mère titulaire de la garde des enfants à conserver le domicile conjugal, si elle n’a pas d’autre logement; la loi no 2002-32 du 12 mars 2002 portant création d’un régime de sécurité sociale pour certaines catégories de travailleurs des secteurs agricole et non agricole, dont les employés de maison; et la loi no 2005-32 du 4 avril 2005 portant interdiction de l’emploi d’enfants âgés de moins de 16 ans comme employés de maison.

8.Le Comité félicite l’État partie pour les études et programmes adoptés en vue d’évaluer l’ampleur et les manifestations de la violence dans l’État partie, et de mettre fin à la violence à l’égard des femmes, notamment l’étude menée au cours de la période 2006-2009 sur la violence à l’égard des femmes, le programme «Égalité des sexes et prévention de la violence à l’égard des femmes» adopté en 2006, et la «Stratégie nationale de prévention des comportements violents au sein de la famille et de la société: la violence sexiste tout au long de la vie (2007-2011)». Le Comité salue l’adoption en août 2004 de l’article 226 ter du Code pénal incriminant le harcèlement sexuel.

9.Le Comité relève avec satisfaction que, depuis l’examen du rapport précédent, l’État partie a adhéré aux instruments internationaux ou régionaux ci-après, ou les a ratifiés:

a)Convention relative aux droits des personnes handicapées, le 2 avril 2008;

b)Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant, concernant l’implication d’enfants dans les conflits armés, en janvier 2003;

c)Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant, concernant la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants, en septembre 2002;

d)Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée, en juin 2003;

e)Protocole additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants, en juillet 2003;

f)Protocole contre le trafic illicite de migrants par terre, air et mer, additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée, en juillet 2003;

g)Protocole relatif à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, portant création d’une Cour africaine des droits de l’homme et des peuples, en août 2007.

Principaux sujets de préoccupation et recommandations

10. Le Comité rappelle que l ’ État partie est tenu de mettre en œuvre de manière systématique et continuelle l ’ ensemble des dispositions de la Convention sur l ’ élimination de toutes les formes de discrimination à l ’ égard des femmes, et considère que les sujets de préoccupation et les recommandations figurant dans les présentes conclusions requièrent de la part de l ’ État partie une attention prioritaire, d ’ ici à la présentation du prochain rapport périodique. Le Comité demande par conséquent à l ’ État partie de faire porter son attention sur ces domaines dans ses activités de mise en œuvre et de faire rapport sur les mesures prises et les résultats obtenus, dans son prochain rapport périodique. Il demande à l ’ État partie de soumettre les présentes observations finales à tous les ministères compétents, ainsi qu ’ au Parlement et aux organes judiciaires, afin d ’ assurer leur pleine mise en œuvre.

Parlement

11. Tout en réaffirmant que le Gouvernement a la responsabilité première de la pleine observation des obligations que la Convention impose à l ’ État partie et en est comptable au premier chef, le Comité rappelle que la Convention est obligatoire pour toutes les branches de l’État et invite l ’ État partie à encourager son Parlement, dans le cadre de ses procédures et du processus d ’ établissement du prochain rapport au titre de la Convention, à prendre le cas échéant les mesures nécessaires pour la mise en œuvre des présentes observations finales.

Réserves

12.Le Comité se félicite de la volonté manifestée par l’État partie lors de l’examen qui lui était consacré dans le cadre de l’Examen périodique universel, ainsi qu’au cours du dialogue avec les membres du Comité, de retirer ses réserves, et salue les progrès réalisés en vue de mettre sa législation en conformité avec la Convention. Il est toutefois préoccupé par la déclaration générale de l’État partie et ses réserves quant au paragraphe 2 de l’article 9, relatif à la nationalité; aux alinéas c, d, f, g et h du paragraphe 1 de l’article 16, relatifs au mariage, à la famille et à la succession; et au paragraphe 4 de l’article 15, relatif au droit de la femme de choisir librement sa résidence et son domicile, estimant que certaines de ces réserves sont incompatibles avec l’objet et le but de la Convention. À cet égard, le Comité relève que l’État partie a retiré en 2008 des réserves de même ordre à la Convention relative aux droits de l’enfant, qui avaient trait au statut personnel et en particulier au mariage, aux droits en matière de succession et à la nationalité.

13. Le Comité demande instamment à l ’ État partie de retirer sa déclaration générale et ses réserves à la Convention, considérant en particulier qu ’ elles ne semblent plus nécessaires à la lumière des mesures législatives récentes, et que la délégation a donné l ’ assurance que, sur le fond, la Convention ne contredit pas le droit musulman . Le Comité recommande à l ’ État partie d ’ accompagner le retrait de sa déclaration générale et de ses réserves d ’ une campagne d ’ information appropriée afin de contrer le «blocage idéologique» évoqué par l ’ État partie.

Définition de la discrimination à l’égard des femmes

14.Tout en notant que l’article 6 de la Constitution de l’État partie prévoit l’égalité devant la loi, le Comité regrette que le principe de l’égalité des hommes et des femmes ne soit pas inscrit dans la Constitution, et qu’aucune définition de la discrimination à l’égard des femmes n’y figure, comme prescrit à l’article premier de la Convention.

15.Le Comité demande à l ’ État partie d ’ inscrire, dans la Constitution ou toute autre loi nationale pertinente, le principe de l ’ égalité entre femmes et hommes, conformément à l ’ alinéaa de l’article 2 de la Convention, ainsi qu ’ une définition de la discrimination fondée sur le sexe, conformément à l ’ article premier de la Convention, et d ’ élargir la responsabilité de l ’ État pour les actes de discrimination qui sont le fait du secteur public ou privé, conformément à l ’ alinéae de l ’ article 2 de la Convention, en vue de parvenir à l ’ égalité formelle et réelle entre femmes et hommes.

Lois discriminatoires

16.Le Comité prend note avec satisfaction des efforts déployés par l’État partie pour examiner et réviser la législation à caractère discriminatoire. Il demeure préoccupé, toutefois, par le maintien d’un nombre important de lois et dispositions instaurant une discrimination, en particulier dans la loi sur la nationalité, dans le Code pénal et dans le Code du statut personnel, qui privent les femmes de l’égalité de droits avec les hommes.

17. Le Comité demande à l ’ État partie de s ’ employer en priorité à mener à bien les réformes législatives nécessaires et à modifier, ou abroger, sans tarder et selon un calendrier bien défini, les lois discriminatoires, y compris les dispositions discriminatoires de la loi sur la nationalité, du Code pénal et du Code du statut personnel. Le Comité engage l ’ État partie à intensifier ses efforts pour sensibiliser le Parlement, ainsi que l ’ opinion publique, au fait qu ’ il importe d ’ accélérer la réforme de la législation visant à assurer l ’ égalité de fait pour les femmes et l ’ application de la Convention. Il l ’ encourage en outre à accroître l ’ appui à la réforme au moyen de partenariats et de la coopération avec les chefs religieux et les responsables locaux, les avocats et les juges, les syndicats, les organisations de la société civile et les organisations non gouvernementales représentant les femmes. Le Comité encourage en outre l’État partie à faire en sorte que les femmes soient pleinement associées, sur un pied d’égalité, au processus de réforme de la législation.

Visibilité de la Convention et du Protocole facultatif

18.Le Comité prend note du fait que la Convention, comme d’autres instruments internationaux, est inscrite dans la législation nationale et peut être invoquée devant les tribunaux. Cela étant, le Comité s’inquiète de ce que les dispositions de la Convention n’ont été invoquées qu’une fois (en 2000) devant les tribunaux du pays, dénotant peut-être une méconnaissance de la Convention, de la notion d’égalité réelle qu’elle contient et des recommandations générales du Comité au sein de toutes les branches de l’État, y compris le pouvoir judiciaire. Le Comité relève aussi avec préoccupation que les recommandations générales du Comité et ses précédentes observations finales n’ont pas été diffusées. Il craint en outre que les femmes elles-mêmes, surtout celles qui vivent dans des zones rurales ou excentrées, méconnaissent les droits que leur reconnaissent la Convention et son Protocole facultatif, et soient ainsi peu à même de les revendiquer.

19. Le Comité prie instamment l ’ État partie de prendre les mesures qui s ’ imposent pour que la Convention soit suffisamment connue par toutes les branches de l’État , notamment le pouvoir judiciaire, et appliquée comme cadre de référence pour toutes les lois, décisions de justice et politiques en matière d ’ égalité des sexes et de promotion de la femme. Le Comité recommande que la Convention et la législation nationale qui s ’ y rapporte soient incorporées aux programmes d ’ études juridiques et aux formations destinées aux membres des professions juridiques, notamment les juges, les magistrats, les avocats et les procureurs, en particulier ceux qui travaillent auprès des tribunaux de la famille, afin d ’ établir durablement dans le pays une véritable culture juridique en faveur de l ’ égalité des femmes et des hommes et de la non-discrimination fondée sur le sexe. Il exhorte l ’ État partie à mener des initiatives de sensibilisation auprès des femmes pour qu ’ elles connaissent leurs droits, notamment grâce à des programmes de vulgarisation juridique et à une assistance juridique, et à recourir à tous les moyens utiles, notamment les médias, pour que les informations sur la Convention leur parviennent, quelle que soit la région du pays où elles habitent.

Organisations non gouvernementales

20.Le Comité constate avec satisfaction que l’État partie reconnaît le rôle important joué par les organisations non gouvernementales, les associations de femmes et les autres groupes de la société civile dans la promotion des droits fondamentaux des femmes et de l’égalité des sexes. Il s’inquiète toutefois des informations selon lesquelles des mesures de restriction seraient appliquées aux activités d’organisations non gouvernementales autonomes, s’agissant notamment de leur liberté d’expression, d’association et de réunion et de leur droit de circuler librement. Le Comité prend note également avec préoccupation des arrestations arbitraires et du harcèlement dont seraient victimes des organisations non gouvernementales et des défenseurs des droits de l’homme. Il regrette que l’État partie ne permette pas aux organisations autonomes de femmes de participer au processus d’élaboration des politiques et aux partenariats fondés sur les projets, ni de bénéficier de financements publics.

21. Le Comité demande instamment à l ’ État partie de mettre fin aux actes d ’ intimidation et au harcèlement, et de respecter et protéger les activités pacifiques des organisations et personnes qui défendent les droits de l ’ homme. Il recommande à l ’ État partie de coopérer plus efficacement et de façon plus systématique avec les organisations non gouvernementales, les associations de femmes et les autres groupes de la société civile dans la mise en œuvre de la Convention. Il lui recommande en outre de consulter les organisations non gouvernementales tout au long de l ’ élaboration de son prochain rapport périodique.

Dispositifs de recours en justice

22.Le Comité note avec satisfaction que tant le Haut Comité des droits de l’homme et des libertés fondamentales que le Ministère des affaires de la femme, de la famille, de l’enfance et des personnes âgées sont habilités à traiter les plaintes reposant sur la discrimination à caractère sexiste. Il s’inquiète toutefois que ces organes n’aient reçu aucune plainte fondée sur ce motif au cours des années écoulées. Eu égard à l’article 61 bis du Code pénal adopté en juin 2010, le Comité prend note des assurances données par la délégation, selon laquelle cet article n’empêchera pas les femmes de saisir le Comité de cas de discrimination, comme le prévoit le Protocole facultatif.

23.Le Comité exhorte l ’ État partie à renforcer son dispositif de recours juridique afin que les femmes aient réellement accès à la justice. L ’ État partie est donc invité à garantir concrètement l ’ indépendance totale du Haut Comité des droits de l ’ homme et des libertés fondamentales et sa conformité aux principes relatifs au statut des institutions nationales de promotion et de protection des droits de l’homme ( Principes de Paris ) . Le Comité recommande également à l ’ État partie de veiller à ce que l ’ application de l ’ article 61bis du Code pénal n ’ empêche pas les particuliers d ’ avoir recours aux mécanismes disponibles au titre du Protocole facultatif, et de lui présenter, dans son prochain rapport périodique, des informations sur la jurisprudence relative à l ’ application de cet article.

Stéréotypes et pratiques néfastes

24.Le Comité reconnaît les efforts de l’État partie pour promouvoir un changement quant aux rôles stéréotypés des femmes, notamment via les médias et les programmes d’éducation. Il demeure toutefois préoccupé par la persistance des attitudes patriarcales et des stéréotypes fortement enracinés concernant les rôles, les responsabilités et l’identité des femmes et des hommes. Le Comité est également préoccupé par la résurgence de normes culturelles, de pratiques et de traditions préjudiciables. Il s’inquiète de ce que ces pratiques et traditions perpétuent la discrimination à l’égard des femmes et des filles, comme en témoignent la situation défavorisée et inégale de celles-ci dans de nombreux domaines, notamment l’emploi, la prise de décisions, le mariage et les relations familiales, et la persistance de la violence contre les femmes.

25.Sachant que l ’ État partie considère la persistance de stéréotypes fortement enracinés comme un obstacle majeur au retrait de sa déclaration générale et de ses réserves à la Convention et compte tenu de la résurgence de normes culturelles, de pratiques et de traditions préjudiciables, le Comité engage l ’ État partie à mettre en place sans attendre une stratégie globale, assortie d ’ objectifs et de délais, afin d ’ éliminer les attitudes patriarcales et les stéréotypes discriminatoires à l ’ égard des femmes, en conformité avec l ’ alinéaf de l ’ article 2 et l ’ alinéaa de l ’ article 5 de la Convention. Il faudrait prévoir notamment des activités de sensibilisation à la question, s ’ adressant tant aux hommes qu ’ aux femmes, à tous les niveaux de la société, et les mener en concertation avec la société civile. Le Comité engage l ’ État partie à protéger le pluralisme des médias et à garantir la liberté d ’ expression et l ’ accès à l ’ information, de façon à promouvoir un débat plus large au sein de la population et à tirer parti du dynamisme et de l ’ ingéniosité de la société civile pour s ’ attaquer aux causes profondes de la discrimination fondée sur le sexe et promouvoir une image positive, non stéréotypée et non discriminatoire de la femme.

Violence contre les femmes

26.Le Comité félicite l’État partie de la diversité des actions engagées, depuis la présentation de son précédent rapport périodique, notamment sous la forme d’initiatives législatives récentes, afin de venir à bout de la violence contre les femmes. Il demeure préoccupé, toutefois, par l’ampleur de la violence dirigée contre les femmes et les filles, comme l’indiquent les enquêtes menées en 2004 selon lesquelles entre 20 et 40 % des femmes avaient subi une agression sexuelle de la part de leur époux, plus de 50 % avaient fait l’objet d’agressions verbales et 45 % des filles avaient été en butte à différentes formes de violence dans des lieux publics. Le Comité regrette aussi que, malgré sa recommandation antérieure, l’État partie n’ait pas encore adopté une loi générale sur la violence contre les femmes, y compris la violence dans la famille et le viol conjugal. Il est préoccupé par l’article 218 du Code pénal, selon lequel le retrait de la plainte par l’épouse victime de l’agression met fin à la procédure ou à l’exécution de la peine, et par les articles 227 bis et 239 du Code pénal, selon lesquels le violeur ou le ravisseur sont exonérés de peine s’ils épousent ensuite la victime. À cet égard, le Comité s’inquiète de l’impunité dont jouissent trop souvent les auteurs de tels actes, comme en témoigne le nombre très élevé de plaintes qui sont retirées. L’État partie donne l’impression, qui inquiète le Comité, que les liens familiaux l’emportent sur la protection de la femme et la répression de la violence contre les femmes. Le Comité regrette aussi l’absence persistante de données et d’informations précises sur l’incidence des diverses formes de violence contre les femmes et les filles, et le retard dans la création de la base de données prévue dans la «Stratégie nationale de prévention des comportements violents dans la famille et la société: la violence sexiste tout au long de la vie» de 2007.

27.Le Comité prie instamment l’État partie de s’attacher en priorité à combattre la violence contre les femmes et les filles et à prendre des mesures systématiques pour en venir à bout, conformément à sa recommandation générale n o  19 (1992) . L’État partie devrait adopter sans tarder une loi générale érigeant en infraction pénale toutes les formes de violence contre les femmes, notamment la violence dans la famille, le viol conjugal et la violence sexuelle. Cette loi devrait faire en sorte que les femmes et les filles victimes de violence aient accès à des voies de recours et des moyens de protection immédiats, notamment des ordonnances de protection, à un nombre suffisant de refuges sûrs et à une aide juridictionnelle. Au titre de ces mesures, l’État partie devrait également fixer des objectifs, des étapes à franchir et des délais pour l’application de la «Stratégie nationale de prévention des comportements violents dans la famille et la société». À cet égard, l’État partie devrait accélérer la mise en place de la base de données nationale sur la violence contre les femmes afin de disposer de statistiques fiables sur toutes les formes de violence fondée sur le sexe. Le Comité engage vivement aussi l’État partie à modifier les articles 218, 227 bis et 239 du Code pénal afin que les auteurs de violence contre les femmes ne puissent tirer un avantage injustifié de leurs actes délictueux. L’État partie devrait sensibiliser l’opinion et mener des programmes éducatifs traitant du fait que toutes les formes de violence contre les femmes, y compris la violence au foyer et le viol conjugal, sont inacceptables.

28.Le Comité est préoccupé par l’absence de financement durable pour les refuges et les centres de consultation sans hébergement pour les femmes victimes de violence, par la concentration de ces services dans les zones urbaines et par la qualité inégale des services fournis. Il regrette l’attitude de l’État partie quant à la sélection des partenaires de la société civile habilités à recevoir un financement.

29. Le Comité demande à l’État partie de faire en sorte qu’il existe un nombre suffisant de refuges et de centres de consultation sans hébergement qui soient de bonne qualité, et à veiller à leur répartition géographique équitable. Il demande instamment à l’État partie d’attribuer un financement suffisant aux prestataires de services non gouvernementaux et de fixer des critères objectifs pour l’octroi de ce financement.

30.Malgré les informations fournies dans les réponses écrites à la liste des points et questions à traiter et par la délégation de l’État partie, le Comité demeure préoccupé par les allégations de harcèlement dont feraient l’objet les femmes portant le hijab (voile) en public.

31. Le Comité demande instamment à l’État partie de prendre toutes les mesures nécessaires pour protéger les femmes qui portent le hijab (voile) contre le harcèlement par des agents de l’État ou des particuliers.

Traite

32.Le Comité note avec satisfaction l’information fournie par la délégation concernant le projet de loi sur la traite des êtres humains qui est à l’examen dans l’État partie et concernant le plan national d’action envisagé à cet égard. Le Comité est néanmoins préoccupé par le fait que la notion de traite des êtres humains n’est apparemment pas vraiment bien comprise, ce qui n’est pas sans conséquences préjudiciables sur l’aptitude de l’État partie à s’attaquer à ce phénomène. Il regrette également l’absence d’informations sur le contenu du projet de loi et l’absence de données ventilées sur l’ampleur de la traite des êtres humains. Le Comité regrette de ne pas avoir d’informations sur les poursuites engagées et les sanctions prononcées contre les responsables de traite d’êtres humains et sur les mesures prises pour protéger les femmes qui risquent d’en être victimes.

33. Le Comité engage instamment l’État partie à intensifier sa lutte contre toutes les formes de traite des femmes et des filles. Il lui demande d’accélérer l’adoption du projet de loi sur la question et de veiller à que la nouvelle loi permette de poursuivre et de punir les auteurs, et de protéger véritablement les victimes et de leur offrir des moyens de recours appropriés, conformément au Protocole additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants et à l’article 6 de la Convention. Le Comité encourage l’État partie à mener des travaux de recherche sur les causes profondes de la traite et à renforcer la coopération bilatérale et multilatérale avec les pays voisins en vue de prévenir la traite et de traduire les auteurs en justice. Il recommande aussi que les membres de l’appareil judiciaire, les agents de la force publique, les gardes frontière, les travailleurs sociaux et les prestataires de service dans toutes les régions du pays reçoivent une information et une formation sur la législation de lutte contre la traite. De plus, le Comité recommande à l’État partie de réaliser des études comparatives sur la traite et la prostitution, de s’attaquer à leurs causes profondes afin que les filles et les femmes ne soient plus exposées à l’exploitation sexuelle et aux trafiquants et de prendre des mesures en faveur du rétablissement et de l’insertion sociale des victimes. Le Comité demande instamment à l’État partie d’étudier les Principes et directives concernant les droits de l’homme et la traite des êtres humains: recommandations de 2002 du Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme (E/2002/68/Add.1) et de les mettre dûment en application dans le cadre de sa lutte contre la traite des êtres humains.

Exploitation de la prostitution

34.Le Comité prend note du fait que l’État partie assure un examen médical hebdomadaire et une surveillance continue de la police pour les femmes exerçant la prostitution légalement autorisée. Il s’inquiète toutefois de ce que ces mesures peuvent porter atteinte à leur droit à la vie privée et à l’intimité ainsi qu’à leur liberté de mouvement et que cela peut contribuer à leur stigmatisation sociale. En outre, le Comité note que l’État partie estime que la prostitution légale et illégale va progressivement diminuer à mesure que les femmes s’émancipent politiquement. Il relève toutefois non sans inquiétude qu’une telle conviction pourrait dissuader l’État partie de prendre des mesures appropriées pour s’attaquer véritablement à la prostitution légale et illégale, notamment de mettre en place des programmes de réadaptation et d’émancipation économique à l’intention des femmes qui veulent sortir de la prostitution.

35. Le Comité engage l’État partie à prendre toutes les mesures appropriées, y compris l’adoption et l’exécution d’un plan global visant à réprimer l’exploitation de la prostitution des femmes, en renforçant notamment les mesures de prévention, en décourageant la demande et en prenant des mesures visant à réadapter les victimes de l’exploitation de la prostitution. Le Comité demande à l’État partie d’inclure, dans son prochain rapport périodique, une évaluation approfondie, fondée sur des études appropriées, des causes et de l’étendue de la prostitution légale et illégale. Ces informations devraient être ventilées par âge et par zone géographique et rendre compte des résultats obtenus.

Participation à la vie politique et publique

36.Le Comité félicite l’État partie des progrès remarquables obtenus dans le domaine de la participation des femmes à la vie publique. Il relève en particulier l’augmentation du nombre des candidatures féminines aux élections législatives de 2009, avec 18 % de femmes sur les listes, et l’augmentation de la représentation des femmes au Parlement, où elles occupent 26,17 % des sièges. Le Comité note avec satisfaction les mesures positives prises par le parti au pouvoir pour instaurer un quota minimal de 30 % de candidatures féminines, lors des dernières élections législatives et municipales. Le Comité regrette, toutefois, que ces quotas ne s’appliquent pas à tous les partis politiques. Il regrette en outre la lenteur des progrès enregistrés dans la représentation des femmes dans les organes élus et désignés de haut niveau, notamment en qualité de fonctionnaires de rang supérieur au sein des organes de l’exécutif, de l’appareil judiciaire, de la fonction publique et du service diplomatique, ainsi que dans les organes des collectivités territoriales. Il est préoccupé par le fait que la représentation des femmes reste faible dans les syndicats, aux postes d’encadrement et de prise de décisions ainsi que dans les conseils d’administration du secteur privé.

37. Le Comité recommande à l’État partie de mener des politiques durables visant à promouvoir la pleine participation des femmes, sur un pied d’égalité avec les hommes, à la prise de décisions dans tous les domaines de la vie publique, politique et professionnelle. Il lui recommande aussi de tirer pleinement parti de la recommandation générale n o  23 (1997) concernant la participation des femmes à la vie publique et lui demande de prendre des mesures temporaires spéciales, conformément aux dispositions du paragraphe 1 de l’article 4 de la Convention et de la recommandation générale n o  25 (2004) relative aux mesures temporaires spéciales, en vue d’accélérer la réalisation de la pleine participation des femmes, sur un pied d’égalité avec les hommes, à la vie publique et politique. Le Comité demande à l’État partie de prendre les mesures nécessaires pour garantir la participation des femmes aux diverses étapes du processus électoral. Le Comité recommande que soient menées des activités visant à sensibiliser l’opinion à l’importance, pour la société dans son ensemble, de la participation des femmes à la prise de décisions, et que soient élaborés des programmes de formation et de mentorat à l’intention des femmes candidates et élues à une charge publique ainsi que des programmes de formation à l’encadrement et à la négociation destinés aux dirigeantes actuelles et futures. Le Comité demande également à l’État partie de suivre l’évolution de la situation concernant la présence des femmes dans les syndicats et à des postes supérieurs de direction afin de les aider à accroître leur participation dans ces secteurs par des initiatives législatives ou autres, et de donner des informations sur les résultats obtenus, avec des données statistiques ventilées.

Éducation

38.Le Comité félicite l’État partie des progrès impressionnants accomplis pour ce qui est d’atteindre l’égalité entre filles et garçons dans l’éducation, comme en témoigne le taux de scolarisation élevé des filles dans l’enseignement secondaire et supérieur. Le Comité regrette, toutefois, que les données fournies sur les taux de scolarisation ne soient pas homogènes et ne soient pas toujours ventilées en fonction du sexe et du lieu pour chaque classe d’âge, car cela ne permet pas d’évaluer rapidement et de façon précise la mesure dans laquelle les filles ont un accès universel à l’éducation, à chaque niveau d’enseignement et dans les zones urbaines, rurales et reculées. En l’absence de ces données, il est malaisé de mesurer l’importance des abandons scolaires chez les filles, à chaque niveau du système. En outre, le Comité note la ségrégation qui se fait dans le choix des études au niveau postsecondaire, les filles étant concentrées dans les domaines d’études traditionnellement féminins tandis qu’elles sont sous-représentées dans l’enseignement technique et professionnel, avec pour conséquence une sous-représentation des femmes dans la main-d’œuvre rémunérée.

39. Le Comité encourage l ’ État partie à intensifier ses efforts pour réaliser la scolarisation universelle pour les filles avec un enseignement de qualité , à chaque niveau du système éducatif, dans les zones urbaines, rurales et reculées («zones d ’ ombre»), ainsi qu ’ à accélérer les efforts pour réduire le nombre de filles qui abandonnent les études , nombre qui augmente à mesure que sont franchis les différents niveaux . Plus précisément, l ’ État partie devrait prendre toutes les mesures nécessaires pour augmenter, dans les zones rurales et reculées, le nombre des enseignants qualifiés, les infrastructures éducatives adéquates, notamment les internats, et les services de transport scolaire . Le Comité recommande aussi à l ’ État partie d ’ identifier les obstacles culturels, idéologiques et structurels qui empêchent les filles de poursuivre leurs études dans des domaines non traditionnels au niveau postsecondaire, et de s ’ y attaquer, et de donner aux filles davantage de possibilités de suivre un enseignement technique et professionnel. Il conviendrait de s ’ employer d ’ urgence à élaborer et mettre en place des programmes d ’ orientation professionnelle et de conseil sur les carrières afin d’encourager les filles à choisir un domaine leur permettant de faire une transition sans heurt vers le monde du travail.

40.Le Comité note avec satisfaction que le taux d’analphabétisme a baissé pendant la période couverte par le rapport et que les conventions collectives par branche comprennent des dispositions obligeant les employeurs à accorder aux travailleurs illettrés du temps pour suivre des cours d’éducation pour adultes. Néanmoins, le Comité reste préoccupé par le fait que, malgré la mise en œuvre du Programme national d’enseignement pour les adultes (PNEA), en 2000, il y a eu une féminisation de l’analphabétisme pendant la période considérée. Le Comité est également préoccupé par les disparités régionales et urbaines/rurales que révèlent les taux d’analphabétisme avec, en 2008, 20,1 % d’analphabètes dans les zones urbaines contre 42,8 % dans les zones rurales, et jusqu’à 48,5 % dans certains gouvernorats de la région du centre-ouest.

41. Le Comité demande à l ’ État partie de redoubler d’ efforts pour éradiquer l ’ analphabétisme, remédier à sa féminisation et combler l ’ écart entre les régions et entre les zones urbaines et rurales.

Emploi

42.Le Comité félicite l’État partie des mesures qu’il a introduites dans sa stratégie pour l’emploi en vue de promouvoir l’égalité entre hommes et femmes sur le marché du travail, mais regrette l’absence de mesures législatives visant à concrétiser sur le plan de l’égalité des sexes son engagement en faveur de l’égalité en général. Le Comité demeure préoccupé par le faible pourcentage que représentent les femmes dans la main-d’œuvre (25,3 % en 2008), malgré leur niveau d’études élevé, par le fort taux de chômage qui touche les femmes, ainsi que par la ségrégation professionnelle tant horizontale que verticale. Il relève en outre que les femmes sont concentrées dans les emplois faiblement qualifiés, mal rémunérés et caractérisés par de mauvaises conditions de travail, tels que le secteur textile et habillement, ainsi que dans le secteur informel. Le Comité s’inquiète de l’écart de rémunération qui perdure entre les hommes et les femmes, ces dernières gagnant 78 % de ce que gagnent les hommes, et il s’inquiète aussi de la faible représentation des femmes dans les postes de direction ainsi que dans les conseils d’administration des sociétés privées. Il relève aussi avec inquiétude que les accords salariaux ne respectent pas le principe de l’égalité de rémunération entre les femmes et les hommes pour un travail de valeur égale. Tout en notant que la législation du travail reconnaît le congé de maternité, il s’inquiète de constater que cette législation n’est pas pleinement conforme à la Convention no 89 (1948) de l’OIT relative au travail de nuit des femmes employées dans l’industrie et que la durée du congé de maternité n’est pas la même dans le secteur public et le secteur privé. Le Comité regrette l’absence d’informations sur l’application effective de la législation du travail et des conventions collectives et sur la manière dont l’inspection du travail en assure le respect.

43. Le Comité invite instamment l ’ État partie d ’ adopter une politique et des mesures législatives concrètes pour accélérer l ’ élimination de la discrimination à l ’ égard des femmes en matière d ’ emploi et de s ’ employer à garantir aux femmes, sur le marché du travail, une réelle égalité des chances à tous les niveaux. Le Comité demande à l ’ État partie de redoubler d’ efforts pour relever les salaires dans les branches du secteur public où l’emploi féminin prédomine. Il encourage l ’ État partie à renforcer l ’ inspection du travail , notamment dans le secteur privé et le secteur informel, afin que les femmes travaillant dans ces secteurs ne soient pas exploitées et bénéficient effectivement de la sécurité sociale et d ’ autres prestations sociales. Le Comité invite en outre instamment l ’ État partie à veiller à mettre en place des systèmes d ’ évaluation des emplois fondés sur des critères intégrant le souci d ’ égalité entre les sexes, l ’ objectif étant de réduire les écarts de salaire entre hommes et femmes et d ’ appliquer le principe de l ’ égalité de rémunération (à travail égal, s alaire égal) conformément à sa r ecommandation générale n o 13 (1989) , relative à l’égalité de rémunération pour un travail de valeur équiva l ente, et à la Convention n o 100 (1951) de l ’ OIT concernant l ’ égalité de rémunération entre les travailleuses et les travailleurs pour un travail de valeur équivalente . Le Comité recommande aussi à l ’ État partie de recourir davantage aux mesures temporaires spéciales prévues au paragraphe 1 de l ’ article 4 de la Convention et dans sa r ecommandation générale n o 25, en appliquant des objectifs chiffrés assortis de délais ou des quotas concernant l ’ accès des femmes au marché du travail, y compris leur accès à des emplois non traditionnels, et concernant la promotion des femmes aux échelons supérieurs dans les secteurs public et privé. Il invite l ’ État partie à faire figurer dans son prochain rapport périodique des informations concernant l ’ usage qu ’ il aura fait des mesures temporaires spéciales sur le marché du travail, et les résultats obtenus, ainsi que sur les mesures prises pour assurer l ’ application et le respect dans les faits de la législation du travail et des accords professionnels.

Concilier vie de famille et vie professionnelle

44.Le Comité accueille avec satisfaction les possibilités introduites par la loi no 2006‑58, qui permet aux mères de jeunes enfants ou d’enfants handicapés de travailler à temps partiel en percevant les deux tiers de leur salaire tout en conservant intégralement leurs droits à l’avancement, à la promotion, aux congés, à la retraite et à la couverture sociale, mais il regrette que cette possibilité ne soit pas offerte aux pères. Le Comité constate avec inquiétude que la pénurie de services de garderie et le retrait progressif du secteur public en tant que prestataire de services risquent de contribuer à exclure des services en question les familles pauvres et les familles vivant dans les zones rurales. Le Comité est préoccupé en outre par le fait que ce facteur, conjugué à l’absence de politique générale de soutien, pourrait faire obstacle à la participation des femmes au marché du travail. Le Comité regrette que les responsabilités liées au ménage et à la famille soient toujours principalement à la charge des femmes.

45. Le Comité encourage l ’ État partie à intensifier ses efforts pour aider les hommes et les femmes à concilier les obligations familiales et professionnelles, entre autres, par le biais de nouvelles initiatives de sensibilisation et d ’ éducation s ’ adressant tant aux hommes qu ’ aux femmes, sur le partage équilibré des tâches domestiques et des soins aux enfants, ainsi qu ’ en donnant la possibilité aux hommes de travailler à temps partiel, et en leur offrant des incitations à cet effet . Le Comité invite instamment l ’ État partie à redoubler d’ efforts pour augmenter le nombre de places disponibles dans les garderies pour les enfants d ’âge scolaire, et en améliorer l ’ accessibilité et la qualité a fin de faciliter l ’ entrée et le retour des femmes sur le marché du travail.

Harcèlement sexuel

46.Le Comité salue l’adoption de la loi de 2004 sur le harcèlement sexuel, mais regrette que celle-ci ne comporte pas une définition du harcèlement sexuel conforme à la recommandation générale no 19 de 1992, ne prévoie pas le renversement de la charge de la preuve, et que, en cas de classement de l’affaire ou d’acquittement de l’accusé, la victime présumée du harcèlement risque d’être accusée de diffamation. Le Comité note que ces limitations, de même que la méconnaissance de la loi manifestée par les autorités et les victimes, ainsi que la stigmatisation sociale des victimes de harcèlement sexuel, peuvent expliquer le nombre négligeable d’affaires portées devant les tribunaux, malgré la fréquence du phénomène dans l’État partie.

47.Le Comité recommande à l ’ État partie de modifier l ’ article 226 ter du Code pénal, en vue de l’aligner sur la recommandation générale n o 19 du Comité et de faciliter l’accès à la justice pour les victimes de harcèlement. I l invite instamment l ’ État partie à mener des campagnes de sensibilisation ciblant en particulier les femmes qui travaillent afin de briser la culture du silence qui entoure le harcèlement sexuel, et, comme le recommande la Commission d ’ experts de l ’ OIT, l ’ invite à fournir aux autorités compétentes des informations précis es permettant de repérer les cas de harcèlement sexuel et d ’ y remédier.

Employées de maison

48.Le Comité prend acte avec satisfaction des mesures législatives visant à mettre l’âge minimum d’accès à l’emploi en conformité avec les normes internationales et à mettre en place un régime de sécurité sociale pour les domestiques. Il est toutefois préoccupé par le manque de données, qui entrave la capacité de l’État partie de s’occuper comme il convient de la question. En outre, le Comité est préoccupé par les conclusions d’une enquête menée par une association féminine en 2008 indiquant que 94,7 % des domestiques n’étaient pas couverts par la sécurité sociale, 17,5 % étaient âgés de 12 à 17 ans et environ 16 % avaient été victimes de violences sexuelles.

49. Le Comité engage instamment l ’ État partie à prendre toutes les mesures nécessaires pour protéger les employées de maison de l ’ exploitation économique et des violences sexuelles. Il lui recommande en outre d ’ intensifier les inspections du travail pour que les enfants qui ne sont pas en âge de travailler ne soient pas exploités, que des conditions de travail et de vie convenables soient assurées et que les domestiques jouissent de manière effective de la sécurité sociale et d ’autres prestations . L ’ État partie devrait également faire en sorte que les domestiques aient accès à des mécanismes de dépôt de plaintes contre les employeurs et que toutes les violations fassent l ’ objet d ’ une enquête rapide et soient promptement réprimées.

Santé

50.Tout en saluant les efforts de l’État partie pour améliorer l’infrastructure des services de santé et la baisse de 24,5 % du taux de mortalité liée à la maternité entre 1999 et 2006, le Comité demeure préoccupé par la lenteur de cette baisse. Il regrette l’absence de statistiques à jour sur les taux de mortalité liée à la maternité pour l’ensemble du pays. Il note avec inquiétude les importantes disparités régionales concernant les taux de mortalité infantile, les accouchements assistés et la couverture sanitaire prénatale. Il est également préoccupé par les informations faisant état d’une discrimination à l’encontre des femmes célibataires dans l’accès aux services d’interruption de grossesse. Le Comité regrette le manque d’informations sur l’état de santé mentale des femmes.

51. Dans l ’ optique de sa r ecommandation générale n o 24 (1999) , le Comité invite l ’ État partie à intensifier ses efforts pour atteindre les objectifs fixés dans le onzième plan de développement (2007- 2011) et à réduire les disparités régionales dans l ’ accès des femmes aux services de santé et aux services connexes. Il exhorte l ’ État partie à mener des enquêtes nationales approfondies sur la mortalité et la morbidité liées à la maternité , à en publier les résultats et à inclure dans son prochain rapport des données ventilées par sexe sur les taux de morbidité aux niveaux national et régional , ainsi que dans les zones urbaines et rurales. Le Comité appelle à un renforcement et à une extension des efforts pour faire mieux connaître et rendre plus accessibles à travers le pays des méthodes de contraception abordables et à faire en sorte que les femmes célibataires ne se heurtent pas à des obstacles dans l ’ accès aux services d ’ interruption de grossesse. Il recommande en outre de promouvoir sur une vaste échelle l ’ éducation sur la santé et les droits en matière de sexualité en ciblant les adolescents et les adolescentes, une attention particulière devant être accordée à la prévention des grossesses précoces et à la lutte contre les infections transmises sexuellement, y compris le VIH/sida. Le Comité invite aussi l ’ État partie à fournir dans son prochain rapport périodique des informations sur l ’ état de santé mentale des femmes et leur accès aux services de santé mentale.

Femmes rurales

52.Le Comité se félicite des efforts que fait l’État partie en faveur des femmes rurales, notamment par le biais du Plan d’action national pour la promotion des femmes rurales (PANPFR), de l’adoption de mécanismes pour la coordination, le suivi et l’évaluation de ce plan et de la création de pôles de rayonnement dans les zones rurales. Il demeure cependant préoccupé par la situation des femmes rurales, en particulier des femmes âgées, notamment en ce qui concerne l’accès à l’éducation, aux services de santé et aux activités génératrices de revenus.

53. Le Comité encourage l ’ État partie à poursuivre ses politiques et programmes destinés à renforcer la position économique des femmes en milieu rural et à leur assurer l ’ accès aux services de santé, à l ’ éducation et aux services sociaux. Le Comité demande à l ’ État partie d ’ inclure dans son prochain rapport périodique des informations et des données sur la situation des femmes rurales, en particulier d es femmes âgées , et sur les résultats de sa politique visant à renforcer la position économique des femmes ainsi que leur accès à l ’ éducation et aux services de santé.

Femmes célibataires

54.Conformément à ses précédentes observations finales, le Comité est préoccupé par la situation précaire des femmes célibataires ayant des enfants nés hors mariage qui continuent d’être victimes de discrimination et d’une stigmatisation sociale.

55. Comme suite aux recommandations du Comité des droits de l ’ enfant (CRC/C/ T UN/CO/ 3, par. 2 6 et 44 ), le Comité encourage l ’ État partie à prendre toutes les mesures possibles pour éliminer la discrimination et la stigmatisation sociale dont sont victimes les mères célibataires, notamment en fournissant l ’ assistance psychologique et financière requise et en menant des campagnes de sensibilisation.

Groupes de femmes défavorisés

56.Le Comité note avec préoccupation que très peu d’informations et de statistiques ont été fournies au sujet des groupes de femmes et de filles défavorisées, notamment les femmes appartenant à une minorité, migrantes ou réfugiées et les filles vivant dans la rue. Il est également préoccupé par le fait que ces femmes et ces filles sont souvent victimes de formes multiples de discrimination, notamment dans l’accès à l’éducation, à l’emploi, aux soins de santé, à la protection contre la violence et à la justice.

57. Le Comité prie l ’ État partie de dresser, dans son prochain rapport, un tableau complet de la situation de fait des groupes de femmes et de filles défavorisées et de fournir des informations sur les programmes concrets menés et les progrès accomplis.

Nationalité

58.Le Comité note avec intérêt l’information fournie par la délégation au sujet du projet de loi portant modification de l’article 6 du Code de la nationalité. Il demeure toutefois préoccupé par le fait que le Code n’accorde pas aux femmes les mêmes droits qu’aux hommes en ce qui concerne l’acquisition ou la transmission de la nationalité tunisienne. Il juge en particulier préoccupant le fait que les enfants nés en Tunisie ne peuvent acquérir la nationalité tunisienne que par des ascendants de sexe masculin alors que la même possibilité n’existe pas dans le cas des ascendants de sexe féminin. Il note en outre avec préoccupation que contrairement aux Tunisiens, qui peuvent transmettre leur nationalité à leur conjointe étrangère, les Tunisiennes ne jouissent pas du même droit, et que les enfants de Tunisiennes mariées à des étrangers rencontrent encore des obstacles dans l’acquisition de la nationalité tunisienne.

59. Le Comité prie l ’ État partie d ’ accélérer le processus d ’ adoption du projet de loi portant modification de l ’ article 6 du Code de la nationalité et de continuer d ’ harmoniser ce code avec l ’article 9 de la Convention. Il lui recommande également de retirer sa réserve au sujet du paragraphe 2 de l ’article 9.

Mariage et relations familiales

60.Tout en saluant les modifications apportées récemment par l’État partie à sa législation − notamment aux lois sur la fiscalité et au Code du statut personnel − concernant l’âge du mariage et la possibilité pour la femme tunisienne de transmettre sa nationalité à son enfant, le Comité demeure préoccupé par la persistance d’une discrimination en matière de statut personnel, notamment en ce qui concerne le mariage, la garde des enfants, la tutelle et l’héritage. À cet égard, il juge préoccupant un règlement administratif daté de 1973 qui interdit le mariage entre une musulmane et un non-musulman, créant ainsi un obstacle non prévu dans le Code du statut personnel. Tout en notant les efforts faits par l’État partie pour réduire le montant de la dot à un dinar, le Comité est préoccupé par le fait que celle-ci demeure une condition sans laquelle le mariage n’est pas valide. Il note aussi avec préoccupation qu’en dépit des efforts considérables faits pour assurer l’égalité des conjoints pendant le mariage et à sa dissolution, l’époux demeure le chef de famille et est ainsi habilité à choisir le domicile du couple et à transmettre son nom et sa nationalité à l’enfant. En outre, le Comité note avec préoccupation que les mères n’exercent pas la responsabilité parentale sur un pied d’égalité avec les hommes et qu’elles ne jouissent pas des pleins droits en matière de tutelle. Il note également qu’en dépit de la décision historique de la Haute Cour d’appel et l’instauration du «mécanisme de retour» en droit successoral, la discrimination en matière d’héritage persiste. Il regrette en outre que la communauté de biens n’est pas le régime juridique par défaut, avec pour conséquence une vulnérabilité économique de l’épouse.

61. Le Comité engage l ’ État partie à assurer l ’ égalité entre les femmes et les hommes dans le mariage et les relations familiales et à retirer ses réserves au sujet de l ’ article 16. Il l ’ exhorte à modifier sans délai toutes les dispositions et les réglementations administratives qui sont encore discriminatoires, y compris celles ayant trait au mariage, à la dot, à la garde et à la tutelle légale des enfants et à l ’ héritage. Il recommande aussi à l ’ État partie de faire de la communauté de biens dans le mariage le régime juridique par défaut pour qu ’ en cas de dissolution du mariage, les épouses aient un droit égal aux biens acquis pendant le mariage, conformément au paragraphe 1 h) de l ’ article 16 de la Convention et à la r ecommandation générale n o 21 (1994) du Comité sur l’égalité dans le ma riage et les relations familial es .

Coopération internationale et régionale

62.Le Comité rend hommage à l’État partie pour son attitude dynamique à l’égard de la promotion de l’égalité entre les sexes dans les instances internationales et à travers sa coopération régionale avec d’autres pays dans le domaine des droits des femmes.

63. Le Comité recommande à l ’ État partie de saisir toutes les possibilités, notamment dans le cadre des programmes de coopération régionale, pour donner aux femmes et aux filles tunisiennes l ’ occasion d ’ acquérir une expérience à l ’ étranger sur un pied d ’ égalité avec les hommes.

Déclaration et Programme d’action de Beijing

64. Le Comité exhorte l’État partie à appliquer intégralement, dans le cadre de ses obligations au titre de la Convention, la Déclaration et le Programme d’action de Beijing, qui renforcent les dispositions de la Convention, et lui demande d’inclure des renseignements à ce sujet dans son prochain rapport périodique.

Objectifs du Millénaire pour le développement

65. Le Comité tient à souligner qu’une mise en œuvre intégrale et effective de la Convention est indispensable à la réalisation des objectifs du Millénaire pour le développement. Il prie l’État partie de tenir compte du principe de l’égalité entre les sexes et de prendre concrètement en considération les dispositions de la Convention dans toute action pour atteindre ces objectifs et le prie de lui communiquer des informations à ce sujet dans son prochain rapport périodique.

Diffusion des observations finales

66. Le Comité demande que les présentes observations finales soient largement diffusées en Tunisie afin que la population du pays en particulier les représentants de l’État, les hommes politiques, les parlementaires, les organisations féminines et les organisations de défense des droits de l’homme soient au courant des mesures prises pour assurer l’égalité de droit et de fait entre les sexes et conscients du chemin qui reste à parcourir à cet égard. Il recommande que les présentes observations soient également diffusées au niveau local, notamment dans les communautés reculées. Il encourage l’État partie à organiser une série de réunions pour mesurer les progrès accomplis dans leur mise en œuvre. Le Comité prie l’État partie de continuer à diffuser largement, notamment auprès des organisations féminines et des organisations de défense des droits de l’homme, le texte des recommandations générales du Comité, de la Déclaration et du Programme d’action de Beijing, ainsi que les textes issus de la vingt-troisième session extraordinaire de l’Assemblée générale intitulée «Les femmes en l’an 2000: égalité entre les sexes, développement et paix pour le XXI e siècle».

Ratification d’autres instruments

67. Le Comité note que l’adhésion de l’État partie aux neuf principaux instruments relatifs aux droits de l’homme * contribuerait à promouvoir l’exercice effectif des droits individuels et des libertés fondamentales des femmes dans tous les domaines. Il encourage donc la Tunisie à devenir partie aux instruments suivants: Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille (en la signant et en la ratifiant ou en y adhérant) et Convention internationale sur la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées (en la ratifiant).

Suite donnée aux observations finales

68. Le Comité prie l’État partie de lui communiquer par écrit, dans un délai de deux ans, des informations sur les mesures qu’il aura prises pour donner suite aux recommandations figurant aux paragraphes 13 et 27 ci-dessus.

Élaboration du prochain rapport

69. Le Comité prie l’État partie d’assurer la large participation de tous les ministères et organismes publics à l’élaboration du prochain rapport, ainsi que de consulter un vaste éventail d’organisations féminines et d’organisations de défense des droits de l’homme pendant le processus.

70. Le Comité prie l’État partie de répondre aux préoccupations exprimées dans les présentes observations finales dans le prochain rapport périodique qu’il présentera conformément à l’article 18 de la Convention. Il l’invite à présenter ce rapport en octobre 2014.

71. Le Comité invite l’État partie à se conformer aux directives harmonisées pour l’établissement de rapports au titre des instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme, englobant le document de base commun et les rapports pour chaque instrument, approuvées lors de la cinquième réunion intercomités des organes créés en vertu d’instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme, en juin 2006 (HRI/MC/2006/3 et Corr.1). Les directives sur l’établissement de rapports propres à un instrument international, que le Comité a adoptées à sa quarantième session en janvier 2008, doivent être appliquées concurremment avec les directives harmonisées relatives au document de base commun. Ensemble, elles constituent les directives harmonisées pour l’établissement de rapports au titre de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes. Le document propre à cet instrument ne devrait pas dépasser 40 pages et le document de base commun actualisé devrait être de 80 pages au maximum.