CCPR

Pacte international relatif aux droits civilset politiquesDistr.

RESTREINTE*

CCPR/C/69/D/785/1997

8 août 2000

FRANÇAIS

Original : ANGLAIS

COMITÉ DES DROITS DE L'HOMME

Soixante‑neuvième session

10-28 juillet 2000

DÉCISION

Communication No 785/1997

Présentée par :M. Alexandre Wuyts (représenté par un conseil,M. E. Th. Hummels)

Au nom de :L'auteur

État partie :Pays‑Bas

Date de la communication :24 juin 1996

Décisions antérieures :Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l'article 91 du règlement intérieur, communiquée à l'État partie le 20 janvier 1998 (non publiée sous forme de document)

Date de la présente décision :17 juillet 2000

[ANNEXE]

ANNEXE

DÉCISION DU COMITÉ DES DROITS DE L'HOMME EN VERTU DU PROTOCOLE FACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONALRELATIF AUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES

- Soixante‑neuvième session -

concernant la

Communication No 785/1997*

Présentée par :M. Alexandre Wuyts (représenté par un conseil,M. E. Th. Hummels)

Au nom de :L'auteur

État partie :Pays‑Bas

Date de la communication :24 juin 1996

Le Comité des droits de l'homme, institué en application de l'article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 17 juillet 2000,

Adopte ce qui suit :

Décision concernant la recevabilité

1.L'auteur de la communication est Alexandre Wuyts, de nationalité belge, né le 22 février 1974. Il se déclare victime d'une violation de l'article 10 du Pacte par les Pays‑Bas. Il est représenté par Mre E. Th. Hummels.

Rappel des faits présentés par l'auteur

2.1Le 11 février 1994, l'auteur a été reconnu coupable de plusieurs délits de vol avec violence ou menace de violence contre autrui, ainsi que de tentatives et de menaces de graves voies de fait. Il a été condamné à huit mois d'emprisonnement et le juge a ordonné sa détention en hôpital psychiatrique pour traitement obligatoire, pour une durée indéterminée. Le placement a été initialement fixé à deux ans, renouvelables. Selon le jugement, le traitement devait débuter le 3 mars 1994, mais d'après le conseil il n'a effectivement commencé que le 17 mars 1995, plus d'un an après. Au cours de cette période, l'auteur a été maintenu en détention sans suivre de traitement.

2.2Le 6 février 1996, le tribunal de district de Middelburg a ordonné le renouvellement du traitement pour deux ans. Il a considéré que les rapports de psychiatrie indiquaient que l'état de l'auteur ne s'était pas amélioré et que celui‑ci refusait tout médicament contre les troubles psychotiques. Le 19 juin 1996, la cour d'appel d'Arnhem a confirmé la décision du tribunal de district.

Teneur de la plainte

3.Le conseil affirme que l'auteur est victime d'une violation de l'article 10 du Pacte parce qu'il a été maintenu en détention sans suivre de traitement pendant plus d'un an, alors qu'un traitement avait été ordonné par le tribunal. Il déclare également que si le traitement avait débuté à temps, il n'aurait pas été nécessaire de renouveler la période de détention de l'auteur. Selon le conseil, dans ces circonstances, tout autre traitement ne devrait être que librement consenti et le maintien de l'auteur en détention constitue en conséquence une violation du droit au respect de la dignité inhérente à la personne humaine et donc de l'article 10 du Pacte.

Observations de l'État partie sur la recevabilité de la communication et commentaires du conseil à ce sujet

4.1Dans ses observations du 10 avril 1998, l'État partie indique qu'au 3 mars 1994, date à laquelle le traitement de l'auteur aurait dû débuter, aucune place n'était disponible dans les hôpitaux. L'auteur a donc été placé dans le service de surveillance intensive du centre de détention. Le 20 décembre 1994, il a été placé provisoirement à la clinique du Meijersinstituut d'Utrecht et, le 17 mars 1995, il a été transféré à la clinique Van der Hoeven d'Utrecht. L'État partie conteste en conséquence l'allégation de l'auteur selon laquelle il aurait dû attendre plus d'un an avant d'être admis à l'hôpital car la période d'attente a été en réalité de neuf mois et demi. L'État partie informe également le Comité que le traitement obligatoire a été de nouveau prolongé de deux ans par décision du tribunal en date du 24 février 1998.

4.2L'État partie indique que, le 20 mars 1997, la cour d'appel de La Haye a décidé dans une affaire analogue à celle de l'auteur que l'État partie devait verser 150 florins pour chaque jour au‑delà de trois mois passé en détention sans recevoir de traitement alors qu'un traitement psychiatrique obligatoire a été ordonné par les tribunaux. L'État s'est pourvu en cassation contre cette décision et le recours est en instance. À la suite de la décision, le conseil de l'auteur, le 21 mars 1997, a demandé à l'État une indemnisation et, le 20 juin 1997, l'État lui a offert 3 000 florins. L'État partie indique que, dans l'attente de l'arrêt en cassation, il n'accepte pas d'obligations et qu'il n'est disposé à verser les 3 000 florins que si le plaignant s'engage à ne pas entreprendre d'autres procédures contre lui.

4.3Selon l'État partie, la communication est irrecevable en vertu du paragraphe 2 b) de l'article 5 du Protocole facultatif parce que les négociations concernant l'indemnisation pour le temps passé en détention en attente d'un placement en hôpital psychiatrique sont toujours en cours. Si aucun accord n'intervient, l'auteur peut saisir le tribunal et demander une indemnisation. Selon l'État partie, les tribunaux ont accordé des indemnisations dans de nombreux cas analogues.

5.Dans ses observations, le conseil note que le Meijersinstituut n'est pas un hôpital psychiatrique, mais un centre d'orientation. Il ajoute que tous les recours internes ont été épuisés puisque l'auteur a fait appel de la décision du tribunal de district de Middelburg de prolonger de deux ans son traitement obligatoire en invoquant l'article 10 du Pacte. Le recours de l'auteur a été rejeté par la cour d'appel qui a considéré que la période de détention avant placement était regrettable mais ne constituait pas une violation de l'article 10 du Pacte. Le conseil ajoute qu'on ne peut pas attendre de l'auteur qu'il engage toutes sortes de procédures civiles à cet égard.

Observations de l'État partie sur le fond de la communication et commentaires du conseil

6.1Dans ses observations du 20 juillet 1998, l'État partie traite du fond de la communication. Il distingue deux questions différentes. La première question est de savoir si le traitement subi par l'auteur au cours de sa détention en attente de placement dans un hôpital psychiatrique était incompatible avec les dispositions du paragraphe 1 de l'article 10 du Pacte. La deuxième question est de savoir si le fait que l'ordonnance de traitement obligatoire n'ait pas pris effet immédiatement est contraire au principe selon lequel toute personne doit être traitée "avec humanité et avec le respect de la dignité inhérente à la personne humaine".

6.2Pour ce qui est de la première question, l'État partie note que l'auteur a été placé dans un service hospitalier spécial du centre de détention, un "service de surveillance individuelle", qui accueille des détenus souffrant de troubles psychologiques. Ce service fournit des soins spéciaux adaptés aux problèmes individuels des détenus. Chaque détenu a sa propre cellule, avec un lit, des toilettes et un lavabo, et généralement aussi un poste de télévision. En outre, le service dispose d'une pièce commune avec équipements de loisirs. L'emploi du temps quotidien est adapté aux besoins des détenus. Le personnel est plus nombreux que dans les autres quartiers ordinaires du centre de détention, afin de permettre tous les contacts sociaux nécessaires avec les détenus et il a reçu une formation spécialisée. L'état de chaque détenu est suivi soigneusement et dès qu'un signe d'évolution négative se manifeste, un psychologue est averti et celui‑ci peut, si nécessaire, appeler un psychiatre. En cas de crise, il est prévu de placer le détenu dans un service d'observation et de surveillance médicale, ce qui, néanmoins, ne s'est pas avéré nécessaire dans le cas de l'auteur. L'État partie conclut que les conditions de détention de l'auteur n'ont pas été contraires aux dispositions du paragraphe 1 de l'article 10 du Pacte.

6.3Pour ce qui est de la deuxième question, l'État partie fait valoir que le temps que l'auteur a passé en attente de placement dans un établissement psychiatrique ne peut pas être assimilé à une condition de détention, au regard de laquelle le paragraphe 1 de l'article 10 serait applicable. Selon l'État partie, cette partie de la communication devrait être déclarée irrecevable car ne relevant pas de l'article 10 du Pacte.

6.4En outre, l'État partie note que l'auteur conteste la légalité de sa détention. Toutefois, selon lui, la question de savoir si la détention a été légale n'entre pas en ligne de compte s'agissant d'une éventuelle violation de l'article 10 du Pacte, qui concerne le droit d'être traité avec humanité au cours de la détention (légale ou illégale). Pour ce qui est de la légalité, l'État partie renvoie à l'arrêt de la Cour suprême du 5 juin 1998, rendu dans un cas analogue à celui de l'auteur et dans lequel la Cour a estimé que le Ministre de la justice n'était pas dans l'obligation, en vertu des dispositions du règlement d'application des ordonnances relatives aux hôpitaux, de veiller à ce que toute la capacité nécessaire soit disponible en tout temps pour les personnes soumises à une ordonnance d'hospitalisation. Le règlement prévoit que le Ministre doit prendre une décision sur le placement dans un service d'hôpital psychiatrique "dès que possible". La Cour suprême a considéré qu'un certain "décalage entre la capacité disponible et la capacité nécessaire" était acceptable du point de vue de la répartition rationnelle des ressources financières. Elle a déclaré qu'une attente de six mois pouvait être considérée comme acceptable pour la société. Elle considère que le maintien d'une personne dans un centre de détention provisoire au‑delà de six mois est illégal, sauf circonstances spéciales.

6.5L'État partie souligne que l'illégalité ne concerne pas, selon la Cour suprême, le maintien de la personne dans des conditions de privation de liberté, mais la non‑application d'un traitement dans un établissement approprié en temps voulu. Dans de tels cas, une indemnisation est justifiée.

6.6L'État partie conteste en conséquence l'allégation de l'auteur selon laquelle son traitement obligatoire est devenu illégal en raison du retard pris dans la mise en place du traitement. Si l'auteur estime qu'il a été lésé du fait du retard prolongé avant le début du traitement, il peut toujours porter plainte devant la justice afin d'obtenir une indemnisation de l'État.

7.Dans ses observations, le conseil fait remarquer que l'article 10 englobe le devoir positif de l'État partie de fournir un traitement psychiatrique à toute personne à laquelle un tel traitement a été ordonné par le tribunal. Aucun traitement de ce type n'a été offert dans le centre de détention. Pour ce qui est des recours disponibles, le conseil affirme que l'indemnisation n'équivaut pas à une protection suffisante et que l'argumentation de l'État partie revient implicitement à reconnaître la violation de l'article 10.

8.1Dans d'autres observations, l'État partie conteste l'affirmation du conseil selon laquelle le Meijersinstituut est un institut d'orientation et non pas un centre de traitement. L'institut en question a été désigné par le Ministre de la justice comme centre de soins pour personnes faisant l'objet d'une ordonnance d'hospitalisation. Dans la pratique, l'institut a une double fonction. Il joue le rôle de centre d'orientation dans le sens où, pendant sept semaines, son personnel observe les personnes ayant fait l'objet d'une ordonnance d'hospitalisation, afin de pouvoir conseiller le Ministre de la justice sur l'établissement le plus approprié pour la personne en question. Il dispense également un traitement, lorsque celui‑ci est nécessaire. Dans le cas à l'étude, l'auteur a immédiatement reçu un traitement lorsqu'il a été admis à l'institut en attendant son placement à la clinique Van der Hoeven.

8.2L'État partie joint le texte d'une décision prise le 7 avril 1993 par le Président du tribunal de district de Groningen dans une affaire analogue à celle de l'auteur. Dans cette affaire, l'auteur avait demandé au tribunal d'ordonner à l'État de le placer dans un établissement psychiatrique dans les deux semaines, afin d'entreprendre le traitement obligatoire. Le tribunal avait accédé à sa demande. Selon l'État partie, cet exemple prouve que l'auteur aurait pu encore exercer des recours utiles.

9.Dans ses observations, le conseil affirme à nouveau que le Meijersinstituut est un institut d'orientation et n'est pas prévu pour dispenser un véritable traitement, même si des soins à court terme sont fournis. Il ajoute que la décision du Président du tribunal de district de Groningen n'a aucun rapport avec l'affaire de l'auteur.

Délibérations du Comité

10.1Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l'homme doit, conformément à l'article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

10.2Le Comité doit se prononcer sur deux questions. La première question est de savoir si le fait que l'État partie n'a pas placé rapidement l'auteur dans un hôpital psychiatrique pour qu'il soit traité signifie qu'une violation de l'article 10 a été commise pendant le retard ainsi intervenu et la deuxième question est de savoir si le maintien de l'auteur sous traitement obligatoire et en détention constitue une violation de l'article 10 en raison du retard intervenu avant le début du traitement.

10.3Pour ce qui est de la première question, le Comité note que l'État partie a objecté que l'auteur n'avait pas épuisé les recours internes car il aurait pu saisir le tribunal et demander à être placé en hôpital psychiatrique et, en l'absence de réponse positive, demander une indemnisation. L'argument avancé par le conseil, selon lequel l'auteur aurait épuisé les recours internes du fait qu'il a contesté le renouvellement de l'ordonnance de traitement obligatoire en faisant valoir que celui‑ci constituait une violation de l'article 10, ne concerne que la deuxième question dont le Comité est saisi. Le Comité a noté que les tribunaux des Pays‑Bas, dans des affaires analogues à celle de l'auteur, avaient approuvé des demandes de placement immédiat en hôpital psychiatrique et, subsidiairement, une indemnisation, et estime que ce moyen constituait un recours utile disponible à l'auteur. L'auteur ne s'étant pas prévalu de ce recours, cette partie de la communication est irrecevable en vertu du paragraphe 2 b) de l'article 5 du Protocole facultatif.

10.4Le Comité considère que l'auteur a épuisé les recours internes s'agissant de la deuxième question. Toutefois, il estime que ni les arguments avancés par le conseil ni les renseignements dont il dispose ne sont pas suffisants pour étayer, aux fins de la recevabilité, l'allégation du conseil selon laquelle le maintien obligatoire prolongé en établissement psychiatrique constitue une violation de l'article 10. Dans ces circonstances, cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l'article 2 du Protocole facultatif.

10.5Le Comité note que les faits de l'affaire auraient pu soulever des questions au regard de l'article 9 du Pacte. Toutefois comme les parties n'ont pas abordé ce point, il n'est pas en mesure de se prononcer à ce sujet.

11.En conséquence, le Comité des droits de l'homme décide :

a)Que la communication est irrecevable en vertu de l'article 2 et du paragraphe 2 b) de l'article 5 du Protocole facultatif;

b)Que la présente décision sera communiquée à l'État partie et à l'auteur.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel présenté par le Comité à l'Assemblée générale.]

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