CCPR

Pacte international relatif aux droits civilset politiquesDistr.RESTREINTE*

CCPR/C/69/D/701/1996

16 août 2000

FRANÇAISOriginal : ESPAGNOL

COMMISSION DES DROITS DE L'HOMMESoixante‑neuvième session10-28 juillet 2000

CONSTATATIONS

Communication No 701/1996

Présentée par :M. Cesario Gómez Vázquez(représenté par José Luis Mazón Costa)

Au nom de :L'auteur

État partie :Espagne

Date de la communication :29 mai 1995

Références :Décisions antérieures : décision prise par le Comité en vertu de l'article 91, transmise à l'État partie le 26 mai 1998 (non publiée sous forme de document) CCPR/C/61/D/701/1996, décision de recevabilité adoptée le 23 octobre 1998

Date de la présente décision :20 juillet 2000

Le Comité des droits de l'homme a adopté ses constatations le 20 juillet 2000 en application du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole facultatif, au sujet de la communication 701/1996. Le texte des constatations figure dans l'annexe au présent document.

[ANNEXE]

ANNEXE

Constatations du Comité des droits de l'homme au titre du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques-Soixante-neuvième session -

concernant la

Communication No 701/1996*

Présentée par :M. Cesario Gómez Vázquez(représenté par José Luis Mazón Costa)

Au nom de :L'auteur

État partie :Espagne

Date de la communication :29 mai 1995

Date de la décision de recevabilité :23 octobre 1998

Le Comité des droits de l'homme, institué en vertu de l'article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 20 juillet 2000

Ayant achevé l'examen de la communication No 701/1996, présenté au Comité par M. Cesario Gómez Vázquez en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été fournies par l'auteur de la communication et par l'État partie,

Adopte ce qui suit :

Constatations au titre du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole facultatif

1.L'auteur de la communication est Cesario Gómez Vázquez, citoyen espagnol né en 1966 à Murcie, qui exerçait auparavant la profession de professeur d'éducation physique. Il vit actuellement dans la clandestinité quelque part en Espagne. Il affirme être victime de violations par l'Espagne du paragraphe 5 de l'article 14 et de l'article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. L'auteur est représenté par un conseil, M. José Luis Mazón Costa.

Rappel des faits présentés par l'auteur

2.1Le 22 février 1992, l'auteur a été condamné à 12 ans et un jour de prison par la cour provinciale (Audiencia Provincial) de Tolède pour tentative d'assassinat (asesinato en grado de frustración) sur la personne d'un dénommé Antonio Rodríguez Cottin. La Cour suprême (Tribunal Supremo) a rejeté son recours le 9 novembre 1993.

2.2Le 10 janvier 1988 vers 4 heures du matin, Antonio Rodríguez Cottin a reçu cinq coups de poignard sur une aire de parking située à l'extérieur d'une discothèque à Mocejón (Tolède). Du fait de ses blessures, la victime a dû être hospitalisée pendant 336 jours et ne s'est complètement rétablie qu'au bout de 635 jours.

2.3Selon la thèse de l'accusation, l'auteur, qui était employé comme portier à la discothèque en question, a vu la victime arriver en voiture au parking et est allé lui parler, lui demandant de sortir de son véhicule. Pendant qu'ils discutaient, une voiture non identifiée s'est arrêtée à côté d'eux et une personne en est descendue pour leur demander du feu; l'auteur aurait poignardé Rodríguez au dos et au cou au moment où ce dernier se tournait vers l'interlocuteur.

2.4L'auteur a constamment démenti cette version des faits et soutient que le 10 janvier 1988, se sentant mal, il avait quitté la discothèque entre 2 heures et 2 h 30 du matin pour rentrer chez lui à Móstoles (Madrid). Il avait été ramené chez lui par Benjamín Sanz Carranza, Manuela Vidal Ramírez et une autre femme. En arrivant à son domicile à 3 h 15 du matin, il avait demandé de l'aspirine à la personne avec qui il partageait l'appartement; il était resté au lit pendant toute la journée suivante. L'auteur connaissait la victime qui venait souvent à la discothèque et qu'il considérait comme une personne violente. Il affirme que le 5 décembre 1987, M. Rodríguez avait eu une altercation avec Julio Pérez, le propriétaire de la discothèque, et l'avait menacé avec un couteau. Il a déclaré au procès que l'agression dont avait été victime M. Rodríguez le 10 janvier 1988 était un règlement de comptes entre un membre de la pègre et la victime, qui faisait elle-même partie du milieu.

2.5Au cours du procès, l'auteur et l'accusation ont tous deux appelé des témoins à la barre pour corroborer leurs thèses respectives.

2.6Le conseil signale que l'auteur n'a pas formé de recours en amparo : le droit d'appel n'étant pas prévu par les articles 14 à 30 (par. 2) de la Constitution espagnole, son recours aurait été simplement rejeté. Par la suite, il a envoyé copie d'une plainte invoquant la jurisprudence constante de la Cour constitutionnelle, qui rejetait ce type de recours lui ôtant toute efficacité. Le conseil considère de ce fait qu'il a été satisfait à la règle de l'épuisement des recours internes.

Teneur de la plainte

3.1 La principale plainte de l'auteur est qu'il n'a pas eu droit à un recours utile contre la condamnation et la sentence. Il soutient que le Code de procédure pénale espagnol (Ley de Enjuiciamiento Criminal) viole le paragraphe 5 de l'article 14 et l'article 26 du Pacte, en ce sens que lorsque des personnes sont accusées des infractions les plus graves, leur cas n'est examiné que par un seul magistrat (Juzgado de Instrucción) qui, une fois qu'il a achevé l'instruction de l'affaire et estimé qu'elle est en état d'être jugée, transmet le dossier à la cour provinciale (Audiencia Provincial) où trois magistrats jugent l'affaire et statuent. La décision ainsi prise ne peut faire l'objet d'un pourvoi en cassation que pour des motifs juridiques bien précis. La Cour de cassation n'a aucune possibilité de réévaluer les éléments de preuve car toutes les conclusions sur les faits de la cause auxquelles parvient un tribunal inférieur sont sans appel. En revanche, lorsque des personnes sont reconnues coupables d'infractions moins graves, passibles d'une peine de moins de six ans d'emprisonnement, leur cas est examiné par un seul magistrat (Juzgado de Instrucción), qui, une fois l'affaire en état d'être jugée, transmet le dossier à un juge unique (Juzgado de lo Penal) dont la décision est susceptible d'appel devant la cour provinciale (Audiencia Provincial), ce qui garantit un examen effectif, non seulement pour ce qui est de l'application de la loi mais aussi des faits.

3.2Le conseil affirme qu'étant donné que la Cour suprême ne procède pas à un réexamen des éléments de preuve, la procédure susmentionnée constitue une violation du droit de faire examiner par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité et la condamnation prononcée en vertu de la loi. À cet égard, le conseil cite le jugement rendu le 9 novembre, par lequel la demande de pourvoi en cassation déposée au nom de M. Cesario Gómez Vázquez a été rejetée. Le premier argument juridique invoqué dans ce jugement est énoncé en ces termes :

"... il convient également de souligner à ce sujet que c'est au juge unique (tribunal 'a quo') et à lui seul qu'il appartient d'évaluer les éléments de preuve, comme le stipule l'article 741 du Code de procédure pénale.

... L'appelant, par conséquent, reconnaît l'existence de multiples preuves à charge et son argumentation consiste uniquement à interpréter celles‑ci à sa manière; or cette argumentation est irrecevable quand elle se fonde sur le principe de la présomption d'innocence car l'accepter reviendrait à changer la nature du pourvoi en cassation en le convertissant en une seconde instance".

et le deuxième argument invoqué est le suivant :

"... de même, le principe 'in dubio pro reo' (le doute profite à l'accusé) invoqué par l'appelant est rejeté, car l'appelant oublie que ce principe ne saurait être admis en cassation pour la raison évidente que cela reviendrait à réévaluer les preuves, réévaluation qui, comme nous l'avons dit et répété, nous est interdite".

3.3Le conseil fait valoir en outre que l'existence de différentes procédures de recours, en fonction de la gravité de l'infraction, constitue un traitement discriminatoire à l'égard des personnes qui sont reconnues coupables d'infractions graves, ce qui va à l'encontre de l'article 26 du Pacte.

3.4L'auteur précise que l'affaire n'a pas été soumise à une autre instance internationale d'enquête ou de règlement.

Renseignements et observations sur la question de la recevabilité communiqués par l'État partie

4.1Dans les observations qu'il a présentées conformément à l'article 91 du règlement intérieur, l'État partie demande au Comité de déclarer la communication irrecevable parce qu'elle ne satisfait pas aux dispositions de l'article 2 du Protocole facultatif, l'auteur n'ayant pas épuisé les recours internes, étant donné qu'il n'a pas présenté de recours en amparo devant la Cour constitutionnelle. À ce sujet, l'État partie cite les décisions de la Commission européenne des droits de l'homme, qui a systématiquement refusé de déclarer recevables les plaintes concernant l'Espagne lorsqu'il n'a pas été présenté de recours en amparo. L'État partie invoque l'incohérence de la défense de l'auteur qui, dans une première communication, déclare qu'il n'a pas formé de recours parce que le droit de faire appel n'est pas un droit protégé par la Constitution espagnole, pour ensuite rectifier cette affirmation dans une seconde lettre, et déclarer qu'il n'a pas présenté de recours en raison de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle qui a constamment rejeté de tels recours. L'État partie affirme également que la communication est irrecevable pour non-épuisement des recours internes parce que cette question n'a jamais été portée devant les tribunaux espagnols.

4.2L'État partie invoque également l'irrecevabilité de la communication pour abus du droit de présenter de telles communications étant donné que l'auteur vit dans la clandestinité et s'est soustrait à l'action de la justice. Enfin, l'État partie fait valoir que la qualité de représentant dont se prévaut le conseil de l'auteur n'est guère fiable faute de pouvoir suffisant et parce que l'autorisation de l'avocat précédent n'a pas été demandée.

5.1Le conseil de l'auteur reconnaît que, dans sa lettre initiale, il a affirmé qu'il n'existait pas de recours effectif devant la Cour constitutionnelle. Puis, se rendant compte de son erreur, il a envoyé une seconde lettre pour invoquer l'inefficacité du recours en question en faisant valoir la jurisprudence constante de rejet de la Cour constitutionnelle (une décision de la Cour constitutionnelle était jointe) et en se référant à la jurisprudence du Comité à cet égard.

5.2L'avocat reconnaît que l'auteur vit dans la clandestinité, mais il fait valoir que cette circonstance n'a pas empêché le Comité de déclarer d'autres communications recevables. En ce qui concerne la fiabilité de son pouvoir pour représenter l'auteur, le conseil regrette que l'État partie n'explique pas clairement en quoi celle‑ci serait douteuse, si tant est que doute il puisse y avoir.

Délibérations du Comité quant à la recevabilité

6.1À sa soixante et unième session d'octobre 1997, Le Comité a examiné la recevabilité de la communication. Le Comité s'est assuré, comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe 2 a) de l'article 5 du Protocole facultatif, que la même question n'était pas en cours d'examen devant une autre instance internationale d'enquête ou de règlement.

6.2En ce qui concerne la règle de l'épuisement des recours internes, le Comité a pris note de l'argument de l'État partie selon lequel la communication est irrecevable au motif du non‑épuisement des recours internes. Le Comité rappelle sa jurisprudence constante, selon laquelle, aux fins du paragraphe 2 b) de l'article 5 du Protocole facultatif, les recours internes doivent être à la fois utiles et disponibles. En ce qui concerne l'argument de l'État partie selon lequel l'auteur aurait dû introduire un recours devant la Cour constitutionnelle, le Comité observe que la Cour constitutionnelle a toujours rejeté les recours en amparo de ce type. Le Comité considère que, en l'espèce, un recours qui ne peut aboutir ne peut pas compter et n'a pas à être épuisé aux fins du Protocole facultatif. En conséquence, le Comité décide que les dispositions du paragraphe 2 b) de l'article 5 du Protocole ne l'empêchent pas d'examiner la plainte, qui pourrait soulever des questions au titre du paragraphe 5 de l'article 14 et de l'article 26 du Pacte.

Observations de l'État partie quant au fond et réponses de l'auteur

7.1Dans sa réponse en date du 31 mai 1999, l'État partie réitère sa position sur l'irrecevabilité de la plainte en raison de ce que les questions soumises au Comité n'ont jamais été portées devant les tribunaux internes. De plus, il estime que les recours internes concernant les allégations de violation de l'article 26 et du paragraphe 5 de l'article 14 du Pacte n'ont pas été présentés à temps et dans les formes, ce qui devrait entraîner le rejet de l'affaire.

7.2Le Conseil de l'État soutient que les allégations soumises au Comité sont théoriques et visent à la révision de la loi en général et qu'elles ne concernent pas particulièrement M. Gómez Vázquez qui, par conséquent, n'a pas le statut de victime. Ainsi, comme il n'existe pas de victime au sens de l'article premier du Protocole facultatif, l'État partie considère qu'il faut conclure à l'irrecevabilité de l'affaire.

7.3De plus, le conseil de l'État soumet que, compte tenu de ce que M. Gómez Vásquez s'est soustrait à l'action de la justice et est en fuite, il faut conclure au rejet de l'affaire, pour violation du principe dit "des mains propres". Le conseil de l'État soumet que, faute d'avoir présenté sa plainte aux organes judiciaires nationaux, l'auteur n'est pas en droit de se dire l'objet d'une violation d'un droit de l'homme, et ce, d'autant moins que non seulement une telle violation n'a pas été invoquée au regard du droit interne, mais encore les faits établis par la justice sont explicitement reconnus.

7.4Le conseil de l'État soutient que l'auteur prétend, du seul fait de la désignation d'un nouvel avocat, réinterpréter tout le dossier de l'instance. Il soumet en outre que la désignation de l'avocat qui agit devant l'instance internationale souffre d'un vice de forme. Selon lui, l'auteur, lorsqu'il a désigné des avocats pour son procès interne, l'a fait dans les formes officielles et qu'il s'est contenté pour son recours au droit international d'une lettre ordinaire.

7.5Quant à l'allégation de violation de l'article 26, l'État partie maintient la position qu'il a déjà fait valoir au sujet de la recevabilité, à savoir que l'on compare deux catégories de délits : d'une part, les délits graves et d'autre part, les infractions de moindre importance. En ce sens, l'État partie soutient qu'une différence de traitement entre deux catégories distinctes ne saurait en aucun cas constituer une discrimination.

7.6En ce qui concerne la violation du paragraphe 5 de l'article 14, l'État partie explique que l'avocat de l'auteur non seulement n'a pas invoqué le défaut de recours en appel, ni demandé la révision complète du procès en se prévalant du recours en révision, mais a explicitement reconnu dans son exposé à la Cour suprême : "Nous ne prétendons pas, en arguant de la présomption constitutionnelle d'innocence, déformer ou dénaturer les fins du recours en cassation, et en appeler en formant ce recours à une nouvelle instance judiciaire". En outre, l'auteur non seulement n'a pas formé de recours en amparo devant la Cour constitutionnelle après le rejet du recours en cassation du 9 décembre 1993, mais a soumis à la place, le 30 décembre, au Ministère de la justice un recours en grâce, présentant comme premier argument à l'appui de sa demande : "le soussigné a eu depuis lors une conduire irréprochable, à l'exception du délit commis, qui n'a été qu'un acte isolé dans sa vie, acte à propos duquel il a donné de multiples manifestations de son repentir". Il affirmait semblablement dans un exposé à la Cour provinciale de Tolède, en date du 14 janvier 1994 : "Le délit qui a valu cette condamnation à l'auteur est un acte isolé dans sa vie et celui‑ci manifeste en permanence le désir fervent et sincère d'être réintégré dans la société. L'État partie estime qu'il est par conséquent difficile de soutenir qu'il y a eu violation du Pacte étant donné que l'auteur a reconnu les faits tels qu'ils ont été établis par les tribunaux espagnols.

8.1L'avocat de l'auteur dans sa réponse, en date du 8 novembre 1998, aux allégations de l'État partie, conteste les argu­ments présentés par celui‑ci qui veulent que la communication n'ait pas de fondement et que l'auteur ne puisse se poser en victime étant donné qu'il a été condamné à l'issue d'un procès contradictoire, procès dont il n'a pas eu la possibilité de demander la révision par une instance supérieure, non plus qu'une réévaluation des témoignages, la Cour de cassation n'ayant considéré que les aspects juridiques de la sentence.

8.2L'avocat de l'auteur rejette l'argument de l'État partie selon lequel il ne représente pas légitimement l'auteur qui avait initialement fait appel à un autre conseil avant de saisir les instances internationales, et il ajoute en faveur de M. Vázquez que ni le Pacte, ni le Protocole facultatif, ni la jurisprudence du Comité n'exigent que l'avocat de la défense soit désigné dans des formes officielles; il estime par conséquent que l'allégation de l'État partie est à cet égard dénuée de tout fondement.

8.3En réponse au conseil de l'État qui soutient qu'il n'y a pas lieu d'invoquer l'article 26 étant donné qu'il s'agit de deux catégories distinctes de délits qui n'ont par conséquent pas à être traitées de la même façon dans la législation, le conseil de l'auteur réaffirme que la plainte ne porte pas sur le fait que deux catégories différentes de délits soient traitées différemment, mais sur le fait que dans l'ordre judiciaire espagnol, les condamnés pour des délits graves n'ont pas la possibilité d'obtenir une révision complète de leur procès ni des sentences prononcées, cela en contravention avec le paragraphe 5 de l'article 14 du Pacte.

8.4En ce qui concerne l'allégation que l'auteur aurait renoncé aux droits qui lui sont reconnus au paragraphe 5 de l'arti­cle 14 en se pourvoyant en cassation, pourvoi assujetti aux limites fixées conformément au Code de procédure pénale pour les recours de ce type, le conseil de l'auteur explique que dans le système espagnol, l'acceptation des limites fixées en matière de recours est une condition sine qua non de la recevabilité du recours, puis de l'examen des arguments présentés. Ce qui ne saurait en aucun cas être interprété comme un renoncement au droit à la révision intégrale de la condamnation. Le conseil de l'auteur soutient que l'avocat qui représentait celui‑ci dans la juridiction interne n'a pu demander que la révision partielle autorisée par la loi et que c'est là, précisément, que réside la violation du paragraphe 5 de l'article 14, mentionnant à l'appui de ses dires la jurisprudence du Comité.

8.5Le conseil de l'auteur fait valoir que l'on ne demande pas au Comité, comme le prétend l'État, d'évaluer les faits ni les preuves établies en l'espèce, question qui d'ailleurs outrepasse sa compétence, mais qu'on lui demande simplement de vérifier si la révision de la sentence qui a condamné l'auteur s'est effectuée conformément aux exigences du paragraphe 5 de l'article 14 du Pacte. Il soutient que la jurisprudence présentée par l'État partie, à savoir 29 sentences de la Cour suprême, est sans rapport avec le déni du droit d'interjeter appel dont a souffert l'auteur de la communication. L'examen attentif desdites sentences fait apparaître clairement que l'on doit en tirer des conclusions opposées à celles qu'en tire l'État, car dans la plupart d'entre elles, il est reconnu que le pourvoi en cassation d'un jugement pénal est assujetti à de strictes restrictions quant à la possibilité de réexamen des éléments de preuve produits devant le tribunal de première instance. Dans aucune de ces sentences la Cour suprême n'a révisé l'évaluation des éléments de preuve faite par le tribunal de première instance, sauf en cas de vice de forme ou d'insuffisance de preuves justifiant que l'on reconnaisse le non‑respect du droit à la présomption d'innocence ou si les conclusions concernant les faits sur lesquelles se fonde la sentence sont en contradiction avec des pièces démontrant qu'il y a eu erreur.

8.6L'État partie soutient que rien au paragraphe 5 de l'article 14 du Pacte n'implique qu'un recours doit explicitement être un recours en appel de jugement et que le pourvoi en cassation tel que le prévoit le régime judiciaire espagnol répond pleinement aux exigences du recours en deuxième instance, même s'il n'autorise pas à revoir les éléments de preuve sauf dans les cas exceptionnels que prévoit la loi. Compte tenu de ce qui précède, le conseil estime que le procès pénal de son client, et particulièrement la sentence qui l'a condamné, n'ont pas fait l'objet d'une révision complète, pas plus sous l'angle juridique que sous l'angle des faits, et que l'auteur s'est vu dénier ainsi le droit que lui reconnaît l'article 26 du Pacte.

Examen de la question quant au fond

9.Le Comité des droits de l'homme a examiné la présente communication à la lumière de tous les renseignements qui lui ont été communiqués par les parties, conformément à ce qui est prévu au paragraphe 1 de l'article 5 du Protocole facultatif.

Révision de la recevabilité

10.1Pour ce qui concerne l'argument de l'État partie qui veut que la communication soit irrecevable faute pour l'auteur d'avoir épuisé les recours internes, le Comité réaffirme sa position, à savoir que pour que l'on considère qu'il y a eu épuisement des recours, il faut que les recours disponibles aient quelque chance d'aboutir. En l'espèce, il existe une ample jurisprudence récente de la Cour constitutionnelle espagnole déniant le recours en amparo s'agissant de la révision de sentences, jurisprudence dont s'autorise le Comité pour estimer, comme il l'a déjà fait lorsqu'il a décidé de la recevabilité de l'affaire considérée le 23 octobre 1998, que rien ne s'oppose à ce qu'il analyse l'affaire quant au fond.

10.2Pour ce qui est de l'argument de l'État partie qui veut que l'auteur ne puisse exciper du statut de victime, en raison de ce que, comme le soutient son conseil, la communication prétendrait à faire réviser la loi espagnole, d'où il s'ensuivrait que la communication serait inadmissible, le Comité observe que l'auteur a été condamné par une cour de justice espagnole et que la question dont il est saisi n'est pas celle, théorique, de la révision de la loi espagnole mais celle de savoir si la procédure d'appel qui a été suivie dans le cas de l'auteur offrait ou non les garanties exigées par le Pacte. Il estime par conséquent que l'auteur satisfait aux conditions lui conférant la qualité de victime, ainsi qu'il ressort de l'article premier du Protocole facultatif.

10.3Pour ce qui est de l'allégation de l'État partie qui veut que la communication soit déclarée inadmissible pour abus du droit de soumettre des plaintes, puisque l'auteur s'est soustrait à la justice et vit dans la clandestinité, en violation du droit espagnol, le Comité réaffirme sa position, à savoir que l'auteur ne perd pas son droit à présenter une plainte en vertu du Protocole facultatif du seul fait qu'il s'est soustrait à l'exécution de la peine prononcée par un tribunal de l'État partie contre lequel il porte plainte.

10.4Enfin, en ce qui concerne le dernier motif d'irrecevabilité invoqué par l'État partie, à savoir que le conseil désigné par l'auteur n'aurait pas légitimement pouvoir pour le représenter devant le Comité des droits de l'homme, ce dernier prend note de cet argument mais réaffirme néanmoins qu'aucune modalité spécifique n'est requise pour sa saisie et que l'État ne met pas en question le fait que le conseil de M. Gómez Vásquez a reçu de lui mandat de le défendre mais invoque simplement le fait que celui‑ci n'aurait pas rempli des formalités qui ne sont pas requises par le Pacte. Le Comité considère par conséquent que le conseil de l'auteur agit selon les instructions de son client et le représente de ce fait légitimement.

Questions de fond

11.1Quant à la question de savoir si l'auteur a été victime d'une violation du paragraphe 5 de l'article 14 du Pacte, au motif que la condamnation et la sentence prononcées à son encontre ont fait l'objet d'un recours devant la Cour suprême uniquement dans les limites fixées par l'article 876 et suivants du Code de procédure pénale – ce que son conseil nomme un recours en révision incomplet - le Comité prend note de ce que l'État partie affirme que le Pacte n'exige pas que le recours en révision doive être explicitement un recours en appel. Toutefois, il note qu'indépendamment de la nomenclature adoptée, le recours en question doit répondre aux critères spécifiés par le Pacte. Or il ressort des renseignements et des documents présentés par l'État partie que celui‑ci ne réfute pas l'allégation de l'auteur selon laquelle la déclaration de culpabilité et la condamnation prononcées contre lui n'ont pas fait l'objet d'une révision complète. Le Comité conclut que l'impossibilité d'une révision intégrale – qui ressort clairement de la décision de la Cour de cassation citée au point 3.2, où il apparaît que cette révision concerne uniquement les aspects formels ou juridiques du verdict – n'est pas conforme aux garanties exigées au paragraphe 5 de l'article 14 du Pacte. Par conséquent, l'auteur s'est vu dénier le droit à une révision de la déclaration de culpabilité et de la condamnation prononcées à son encontre en violation des dispositions du paragraphe 5 de l'article 14 du Pacte.

11.2En ce qui concerne l'allégation selon laquelle il y aurait eu violation de l'article 26 du Pacte parce que le système espagnol prévoit différentes procédures de recours en fonction de la gravité de l'infraction, le Comité considère que le fait de traiter différemment des délits différents ne constitue pas nécessairement une discrimination. Le Comité considère que l'auteur n'a pas fourni d'arguments convaincants à l'appui de son allégation selon laquelle l'article 26 du Pacte aurait été violé dans le présent cas.

12. Le Comité des droits de l'homme, agissant conformément au paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, considère qu'il ressort des faits examinés qu'il y a bien eu, en ce qui concerne M. Cesario Gómez Vázquez, violation du paragraphe 5 de l'article 14 du Pacte.

13.En vertu de l'alinéa a) du paragraphe 3 de l'article 2 du Pacte, l'auteur a droit à un recours utile. La déclaration de culpabilité de l'auteur doit être annulée, à moins qu'elle ne soit révisée selon les normes prévues au paragraphe 5 de l'article 14 du Pacte. L'État partie est tenu de prendre les dispositions qui s'imposent pour que ne se produisent plus à l'avenir pareilles violations.

14. Considérant que, lorsqu'il est devenu partie au Protocole facultatif, l'État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s'il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l'article 2 du Pacte, il s'est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire ou soumis à sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu'une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l'État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations.

[Adopté en anglais, en français et en espagnol (version originale). Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel présenté par le Comité à l'Assemblée générale.]

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