Nations Unies

CRC/C/83/D/25/2017

Convention relative aux droits de l’enfant

Distr. générale

27 mars 2020

Français

Original : espagnol

Comité des droits de l’enfant

Constatations adoptées par le Comité au titre du Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant établissant une procédure de présentation de communications, concernant la communication no 25/2017 * , **

Communication présentée par :

H. B. (représenté par l’organisation non gouvernementale Fundación Raíces)

Victime présumée :

L’auteur

État partie :

Espagne

Date de la communication :

12 juillet 2017

Date des constatations :

7 février 2020

Objet :

Procédure de détermination de l’âge d’un enfant non accompagné

Question(s) de procédure :

Irrecevabilité ratione personae, non-épuisement des recours internes

Article(s) de la Convention :

2, 3, 8, 12, 18 (par. 2), 20, 27 et 29

Article(s) du Protocole facultatif :

6

1.1L’auteur de la communication est H. B, de nationalité guinéenne, né le 20 décembre 2001. Il se dit victime d’une violation des articles 2, 3, 8, 12, 18 (par. 2), 20, 27 et 29 de la Convention. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 14 avril 2014.

1.2Le 13 juillet 2017, le Groupe de travail des communications, agissant au nom du Comité et se fondant sur l’article 6 du Protocole facultatif, a demandé à l’État partie de ne pas renvoyer l’auteur dans son pays d’origine et de le placer dans un centre de protection des mineurs en attendant que le Comité ait examiné sa communication.

Rappel des faits présentés par l’auteur

Arrivée en Espagne et démarches entreprises pour obtenir une protection

2.1L’auteur vivait en Guinée. Il a quitté son pays en novembre 2016 et est arrivé à Almería (Espagne) le 3 juin 2017, après avoir voyagé depuis Nador (Maroc) sur une embarcation de fortune. Il a été repéré en haute mer par la marine et secouru par la Croix‑Rouge. À son arrivée en Espagne, il a été transféré au commissariat de police d’Almería, où il a été immédiatement placé dans une cellule, où il est resté pendant trois jours, en compagnie d’adultes. L’auteur voyageait non accompagné, et a déclaré à la police comme à la Croix-Rouge qu’il était né le 20 décembre 2001 et qu’il était par conséquent mineur. Pendant son séjour au commissariat d’Almería, il n’a bénéficié ni de l’assistance d’un interprète ni de celle d’un avocat, et la police a pris ses empreintes, a consigné les données relatives à son identité et l’a photographié. L’auteur n’a fait l’objet d’aucune mesure spéciale à ce stade.

2.2Le 4 juin 2017, l’auteur a été conduit à l’hôpital pour y subir une radiographie de la main gauche qui, analysée selon la méthode de Greulich et Pyle, a permis de conclure qu’il avait plus de 19 ans. Il n’a pas été informé de la raison de cet examen ni de ses résultats. Seulement accompagné de policiers, il n’avait personne à ses côtés pour veiller à ses intérêts.

2.3Le 5 juin 2017, une décision d’expulsion (décision no 1459/17) a été prise contre l’auteur ; il était indiqué dans cette décision que l’auteur était né le 20 décembre 1998.

2.4Le 6 juin 2017, le parquet de la province d’Almería a déclaré l’auteur majeur et le tribunal d’instruction no 1 d’Almería, par décision no 1431/2017, a ordonné son placement dans le centre de détention pour étrangers adultes d’Aluche, à Madrid. Le même jour, un avocat commis d’office a fait signer des documents à l’auteur, affirmant qu’il s’agissait d’une formalité obligatoire aux fins de son admission au centre. L’auteur a signé les documents, mais il n’a pas été informé de ses droits, ni de ce qui allait lui arriver s’il était transféré à Madrid ou s’il restait à Almería. Il n’a plus eu de contacts avec son avocat après cela. L’auteur explique qu’à son arrivée au centre, il a réaffirmé qu’il était mineur, mais qu’aucune mesure n’a été prise en conséquence.

2.5Le 13 juin, une employée de Fundación Raíces s’est rendue au centre pour s’entretenir avec l’auteur après avoir été informée de sa situation par une collègue de l’organisation non gouvernementale (ONG) SOS Racisme. L’auteur lui a confirmé son âge et indiqué que sa famille avait en sa possession son acte de naissance, qui le prouvait. L’employée de Fundación Raíces a contacté la famille de l’auteur, qui a envoyé par courrier électronique un extrait de l’acte de naissance de l’auteur, accompagné d’un jugement en attestant la validité. Les originaux des documents ont été envoyés en Espagne par courrier postal.

2.6Les 14 et 15 juin, Fundación Raíces, agissant au nom de l’auteur, a adressé un courrier, accompagné des documents susmentionnés, au tribunal d’instruction no 1 d’Almería, au parquet de la province de Madrid, au Défenseur du peuple, à la Direction générale de la famille et des mineurs de la Communauté de Madrid et à l’ambassade de Guinée en Espagne, dans lequel elle demandait que des mesures de protection soient prises en faveur de l’auteur et qu’il soit mis immédiatement fin à sa détention administrative au centre pour étrangers.

2.7Le 20 juin 2017, le parquet de la province d’Almería a communiqué sa décision, prise le 16 juin, de ne pas revenir sur la détermination de l’âge de l’auteur.

2.8Le 21 juin, le tribunal d’instruction no 1 d’Almería a demandé à Fundación Raíces de lui renvoyer les documents au motif que ceux qui lui étaient parvenus étaient illisibles, ce que l’ONG a fait le jour même.

2.9Le 29 juin, le tribunal d’instruction no 1 d’Almería a informé Fundación Raíces qu’il n’y avait pas lieu de mettre fin à la détention administrative de l’auteur « puisque l’examen osseux pratiqué à l’hôpital Torrecárdenas d’Almería avait établi que l’auteur avait plus de 18 ans ».

2.10Le 3 juillet, Fundación Raíces a fait suivre les documents originaux de l’auteur au parquet de la province d’Almería et au tribunal d’instruction no 1. Le 25 juillet 2017, le parquet a confirmé qu’il n’y avait pas lieu de réexaminer la décision rendue, et le tribunal d’instruction a rejeté le recours en révision au motif que les documents fournis étaient de simples photocopies et ne concordaient pas avec le résultat des examens réalisés aux fins de déterminer l’âge de l’auteur.

2.11L’auteur est resté au centre de détention pour étrangers d’Aluche pendant toute la durée de la procédure.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que, les documents d’identité officiels établis dans son pays d’origine n’ayant pas été considérés comme des documents valables, il a été à tort déclaré majeur sur la base du résultat des examens osseux effectués à l’hôpital, se retrouvant ainsi sans protection et dans une situation d’extrême vulnérabilité, sa détention administrative dans un lieu totalement inapproprié pour un mineur ayant duré plus d’un mois.

3.2L’auteur s’estime victime d’une violation de l’article 2 de la Convention en ce qu’il a été l’objet de discrimination parce qu’il était étranger, mineur et non accompagné. Il ajoute qu’il n’aurait pas été privé de la protection à laquelle sa condition de mineur lui donnait droit s’il avait été accompagné par sa famille ou s’il n’avait pas été étranger et originaire d’un pays d’Afrique subsaharienne. En effet, la validité des documents établis par les autorités d’autres pays que le sien n’est jamais mise en doute, pas plus que l’âge des étrangers de la même nationalité que lui dès lors qu’il s’agit d’adultes ou de mineurs accompagnés.

3.3L’auteur affirme en outre que, bien qu’il soit un mineur étranger non accompagné et demandeur d’asile, il n’a pas été tenu compte de son intérêt supérieur, reconnu par l’article 3 de la Convention, en ce que la présomption de minorité qui doit prévaloir en cas de doute ou d’incertitude sur l’âge d’un individu, a fortiori lorsqu’il existe un risque réel qu’un préjudice irréparable lui soit causé, n’a pas été respectée. Il dit posséder des documents qui prouvent qu’il est mineur, à savoir un extrait de son acte de naissance et un jugement en attestant la validité. L’auteur affirme subir un préjudice du fait de son placement dans un centre pour adultes, ce lieu étant totalement inapproprié pour un mineur. En outre, il court le risque que la décision d’expulsion rendue contre lui soit exécutée, ce qui signifierait que l’État partie expulserait de son territoire un demandeur d’asile mineur.

3.4L’auteur indique que, bien que le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant soit inscrit dans la législation espagnole, aucun protocole unique de détermination de l’âge n’a encore été établi, compte tenu des différences entre les communautés autonomes pour ce qui est de déterminer ce qui constitue l’intérêt supérieur de l’enfant.

3.5L’auteur se dit également victime d’une violation de l’article 3, lu conjointement avec les articles 18 (par. 2) et 20 (par. 1) de la Convention, du fait qu’aucun tuteur ou représentant n’a été désigné, alors qu’il s’agit d’une garantie de procédure fondamentale allant dans le sens du respect de l’intérêt supérieur d’un enfant non accompagné. Il affirme qu’en le déclarant majeur sur la base d’examens radiologiques et en ne reconnaissant pas les documents d’identité établis dans son pays d’origine comme valables, l’État partie l’a privé de tous les droits qu’il tient de la Convention en tant que mineur.

3.6L’auteur se dit victime d’une violation, par l’État partie, du droit à l’identité qu’il tient de l’article 8 de la Convention. Il fait valoir que l’âge est un élément essentiel de l’identité et que l’État partie est tenu de ne pas porter atteinte à son identité, ainsi que de conserver et de sauvegarder les éléments qui la constituent.

3.7L’auteur affirme en outre que son droit d’être entendu n’a pas été respecté, en violation de l’article 12 de la Convention, étant donné qu’il n’a pas eu la possibilité d’exprimer son opinion sur toute question l’intéressant. Il affirme qu’il n’a pas été entendu puisqu’il n’a pas bénéficié de l’assistance d’un avocat avant que soient réalisés les examens visant à déterminer son âge et que, la seule fois où il a vu un avocat, celui-ci ne l’a pas informé de ses droits.

3.8L’auteur affirme en outre qu’il y a eu violation de l’article 20 de la Convention en ce qu’il n’a pas reçu de l’État partie la protection qui lui était due en sa qualité d’enfant privé de son milieu familial. Il ajoute que l’État partie a d’emblée considéré qu’il était adulte, sans disposer d’aucune preuve concluante à cet égard.

3.9Enfin, l’auteur se dit victime d’une violation des articles 27 et 29 de la Convention au motif que son intérêt supérieur n’a pas été respecté et qu’il n’a de ce fait pas pu développer pleinement toutes ses facultés. Il affirme qu’il n’a pas pu se développer convenablement non seulement parce qu’il n’a pas bénéficié des conseils d’un tuteur pour le guider vers l’âge adulte, mais aussi parce qu’il a été placé dans un centre de détention pour étrangers où les conditions de vie ne convenaient pas à un mineur.

3.10À titre de réparation, l’auteur propose : a) que l’État partie reconnaisse qu’il est mineur, qu’il suspende l’exécution de la décision d’expulsion vers son pays d’origine et qu’il le confie aux services de protection de l’enfance ; b) que lui soient reconnus tous les droits attachés à sa qualité de mineur, y compris le droit à la protection de l’autorité publique, le droit à un représentant légal et le droit à l’éducation, et qu’un permis de séjour et de travail lui soit accordé afin qu’il puisse développer pleinement sa personnalité et s’intégrer dans la société ; c) que soit reconnu le fait que son âge ne peut pas être établi sur la base des examens médicaux qu’il a subis ; d) que les décisions rendues par le parquet concernant la détermination de l’âge puissent être contestées devant les tribunaux ; e) que soit reconnu le droit de tout mineur d’être entendu par l’intermédiaire d’une personne ou d’une institution spécialisée dans les droits de l’enfant ; f) que soit reconnu le droit de tout mineur d’être assisté par un avocat ou une personne de son choix avant d’être entendu par les autorités publiques ; g) que toute décision concernant le mineur soit communiquée à celui-ci ainsi qu’à son avocat.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Dans ses observations du 17 janvier 2018 sur la recevabilité de la communication, l’État partie fait valoir que le récit des faits présenté par l’auteur est incomplet et inexact. Le 3 juin 2017, 33 hommes et trois femmes, parmi lesquels se trouvait l’auteur, ont tenté d’entrer illégalement sur le territoire espagnol par la mer, en passant par Almería. Les garde-côtes espagnols les ont secourus et ramenés à terre, où ils ont été pris en charge par la Croix-Rouge espagnole. Les intéressés ont ensuite été détenus au commissariat d’Almería à des fins d’identification, et ils ont été informés de leurs droits en présence d’un interprète. Quatre d’entre eux affirmant être mineurs, il leur a été proposé de se soumettre à des examens médicaux visant à déterminer leur âge, sous réserve du recueil préalable de leur consentement éclairé. Le 4 juin 2017, l’auteur a subi une radiographie de la main gauche qui, analysée conformément à l’atlas de Greulich et Pyle, a permis de conclure qu’il avait plus de 19 ans.

4.2Le 6 juin 2017, le procureur de la province d’Almería a rendu une décision provisoire déclarant que l’auteur devait être réputé majeur. Celui-ci étant entré illégalement sur le territoire espagnol, une procédure a été engagée en vue de son renvoi dans son pays d’origine.

4.3L’auteur a été informé personnellement de la décision d’expulsion rendue contre lui, en présence d’un avocat et d’un interprète. Il a également été informé de la possibilité qui lui était ouverte de former un recours contre cette décision. Il a été admis au centre pour étrangers le 6 juin 2017. L’auteur a désigné l’ONG Fundación Raíces pour le représenter, et celle-ci a transmis au tribunal de simples photocopies de documents censés valoir acte de naissance et demandé que l’auteur soit confié aux services de protection de l’enfance. L’État partie indique que les documents présentés ne contenaient pas de données biométriques, et qu’il s’agissait en fait d’un acte dressé sur déclaration, en dehors de toute procédure contradictoire, établi le 6 juin 2017 sur la base de la déclaration qu’auraient faite devant un juge des personnes dont le lien avec l’auteur n’est pas connu.

4.4Le 14 juin 2017, Fundación Raíces a déposé plusieurs requêtes. Le 16 juin 2017, le parquet a rendu une nouvelle décision dans laquelle il déclarait que l’auteur était majeur, que les documents soumis étaient de simples photocopies, qu’ils étaient rédigés dans une langue étrangère et n’avaient pas été traduits, et que des doutes existaient quant à leur authenticité. Le tribunal d’instruction no 1 d’Almería a rejeté le recours contre la mesure prise sur la base de la détermination provisoire de l’âge de l’auteur. Un recours a été formé contre cette décision le 3 juillet 2017.

4.5L’État partie affirme que la communication est irrecevable ratione personae au regard des alinéas c) et f) de l’article 7 du Protocole facultatif et des articles 16 e) et h) et 18 du Règlement intérieur du Comité puisque l’auteur est majeur. Il invoque les arguments suivants : a) l’auteur n’a pas présenté de documents d’identité officiels contenant des données biométriques vérifiables à son arrivée en Espagne ; b) il a l’apparence d’un adulte, comme le montrent les photographies qui ont été prises au moment de son entrée illégale sur le territoire espagnol ; c) il a subi un examen médical objectif qui a permis de conclure qu’il avait 19 ans ; d) les documents qu’il a communiqués ultérieurement ne contiennent pas de données permettant de les rattacher incontestablement à l’auteur. L’État partie affirme que le paragraphe 35 i) de l’observation générale no 6 (2005) établit clairement que la présomption de minorité ne s’applique qu’« en cas d’incertitude » concernant l’âge d’un individu, pas lorsqu’il est manifeste que l’intéressé est adulte.

4.6L’État partie ajoute qu’en l’absence de preuve digne de foi attestant que l’auteur est mineur, déclarer la communication recevable « servirait uniquement les intérêts des mafias impliquées dans le trafic de migrants en situation irrégulière, auxquelles l’auteur a dû recourir, moyennant finance, pour se rendre en Espagne », et que mettre en doute, sans preuves, le professionnalisme de ses services sociaux, de ses services de santé et de ses forces de sécurité est profondément injuste et ne peut qu’être une source regrettable de démotivation pour les fonctionnaires concernés.

4.7L’État partie affirme en outre que la communication est irrecevable au regard de l’alinéa e) de l’article 7 du Protocole facultatif en ce que tous les recours internes n’ont pas été épuisés étant donné que l’auteur aurait pu : a) saisir le parquet pour demander des examens médicaux complémentaires ; b) demander le réexamen de toute décision de la communauté autonome ne le reconnaissant pas comme mineur aux fins de la protection de l’enfance, conformément à l’article 780 de la loi de procédure civile ; c) contester la décision d’expulsion et tout éventuel refus de l’asile devant la juridiction contentieuse administrative ; d) engager une action gracieuse devant les tribunaux civils aux fins de détermination de l’âge, en application de la loi no 15/2015.

4.8L’État partie signale en outre que, d’après le jugement no 172/2013 du 9 septembre 2013 rendu par le Tribunal constitutionnel sur le recours en amparo no 952/2013, les décisions du parquet concernant la détermination de l’âge sont « éminemment provisoires », et qu’une décision définitive s’agissant de la détermination de l’âge de la personne sans papiers peut être obtenue auprès d’un tribunal par la voie des recours disponibles à cette fin, lesquels n’ont en l’espèce pas été épuisés.

Observations de l’État partie sur le fond

5.1Dans ses observations du 17 janvier 2017, l’État partie affirme qu’au regard de l’alinéa f) de l’article 7 du Protocole facultatif, la communication est insuffisamment motivée : elle ne contient pas la moindre explication quant à la nature des violations des droits reconnus par la Convention qui auraient été commises en l’espèce.

5.2Pour ce qui est du grief de l’auteur selon lequel il aurait été porté atteinte à son intérêt supérieur, l’État partie affirme qu’« il peut difficilement avoir été porté atteinte à l’intérêt d’un enfant » en l’espèce puisque, d’après les examens médicaux objectifs auxquels l’auteur a été soumis, celui-ci est majeur. Il ajoute que le grief est formulé en termes généraux, et ne précise pas clairement en quoi le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant n’aurait pas été respecté. Le grief semble reposer sur l’idée que tout examen médical visant à déterminer l’âge d’un individu qui aboutit à la conclusion que l’intéressé est majeur constitue une violation de la Convention. L’observation générale no 6 établit que la présomption de minorité s’applique en cas d’incertitude sur l’âge, non lorsqu’il est manifeste que l’intéressé est adulte, auquel cas les autorités nationales peuvent légalement le considérer comme tel sans avoir à faire procéder à des examens pour s’en assurer. Pourtant, en l’espèce, les autorités ont donné à l’auteur la possibilité de se soumettre à des examens médicaux objectifs en vue de déterminer son âge, auxquels celui‑ci a consenti en connaissance de cause.

5.3Étant donné que les seuls éléments disponibles étaient les déclarations de l’auteur et qu’aucune preuve digne de foi attestant qu’il était mineur n’avait été fournie, il n’y avait pas lieu de lui appliquer les dispositions légales visant à protéger les mineurs. L’État partie fait observer que, si des adultes sont admis dans des centres d’accueil pour mineurs, il y a un risque qu’ils maltraitent les résidents qui sont réellement mineurs.

5.4L’État partie affirme en outre qu’il n’a pas enfreint le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant au regard de l’article 18 (par. 2) et de l’article 20 (par. 1) de la Convention étant donné que les autorités espagnoles ont secouru l’auteur en haute mer alors qu’il se trouvait à bord d’une embarcation très fragile, que celui-ci a reçu des soins de santé à son arrivée sur le territoire espagnol et bénéficié de l’assistance gratuite d’un avocat et d’un interprète, que l’autorité judiciaire compétente a immédiatement été informée de sa situation afin que le respect de ses droits soit garanti, et que sa déclaration selon laquelle il était mineur a été notifiée sans délai au parquet afin que celui-ci puisse dûment veiller à la prise en considération de son intérêt supérieur. Par conséquent, même si l’auteur avait été mineur, ce qui n’est pas le cas, on ne pourrait guère considérer qu’il n’a pas bénéficié d’une représentation légale adéquate ou qu’il a été privé de protection.

5.5Pour ce qui est des griefs de l’auteur concernant son droit à l’identité, l’État partie fait valoir que les autorités espagnoles ont enregistré l’auteur sous le nom que celui-ci a déclaré lorsqu’il est entré illégalement sur le territoire espagnol et que, de fait, c’est cet enregistrement qui lui permet d’exercer ses droits à l’heure actuelle.

5.6L’État partie affirme en outre qu’il n’y a pas eu de violation des articles 27 et 29 de la Convention, même en supposant que l’auteur ait été mineur, étant donné que celui-ci a été directement pris en charge par l’État et que, son identité n’ayant pu être établie, il a été remis en liberté et il bénéficie d’un ensemble de mesures d’assistance et a accès au système de santé.

5.7S’agissant des mesures de réparation proposées par l’auteur dans sa lettre initiale, l’État partie fait valoir que l’auteur ne sollicite ni ne propose « aucune mesure qui permettrait de déterminer son âge avec certitude ». Pour ce qui est de sa demande visant à ce que les décisions du parquet puissent être contestées devant les tribunaux, l’État partie affirme que ces décisions sont « éminemment provisoires », qu’elles peuvent être réexaminées par le procureur si de nouveaux éléments de preuve sont présentés et qu’elles peuvent être remplacées par les décisions définitives émanant d’autres instances judiciaires. Quant aux autres griefs avancés par l’auteur, l’État partie indique que celui-ci a déjà bénéficié de la protection de l’autorité publique et de l’assistance d’avocats commis d’office, des juges et du parquet.

Commentaires de l’auteur concernant les observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

6.1Dans ses commentaires du 19 avril 2018, revenant sur la question de l’épuisement des recours internes, l’auteur signale que plusieurs organisations ont relevé avec préoccupation que la procédure de détermination de l’âge en vigueur en Espagne ne prévoyait pas les garanties nécessaires à une défense efficace des droits des mineurs, qui subissent de ce fait des préjudices irréparables. Il indique que les décisions relatives à la détermination de l’âge ne sont pas susceptibles de recours devant les tribunaux, ce qui, dans son cas, est particulièrement grave étant donné qu’il est détenu dans un centre pour étrangers et qu’il risque d’être renvoyé dans son pays sans que son intérêt supérieur ou la possibilité d’un regroupement familial n’aient été dûment examinés.

6.2Pour ce qui est des moyens disponibles pour contester la décision par laquelle il a été déclaré majeur, l’auteur souligne qu’il serait vain de demander la réalisation d’autres examens médicaux puisque les résultats ne sont pas fiables et que les méthodes employées ne permettent pas de déterminer l’âge avec exactitude. Il affirme en outre qu’il ne pouvait pas se prévaloir de l’article 780 de la loi de procédure civile pour dénoncer le déni de protection dont il était victime puisqu’aucune décision n’avait été rendue à cet égard et qu’il était détenu au centre pour étrangers en attendant son expulsion. Il fait valoir également que le recours qui peut être exercé pour contester une décision d’expulsion n’est pas un recours utile pour un mineur en détention privé de protection et de tuteur, d’autant que l’exercice d’un tel recours permettrait uniquement de suspendre l’exécution de la décision d’expulsion, mais ne changerait rien au déni de protection. Enfin, il indique que Fundación Raíces a en d’autres occasions présenté des recours gracieux à des fins de détermination de l’âge, mais que ceux-ci ont été systématiquement rejetés au motif qu’il ne s’agissait pas de la voie appropriée.

6.3S’agissant de la détermination de son âge, l’auteur indique que son âge a été estimé sur la base des photographies que la police avait prises de lui à son arrivée sur le territoire de l’État partie, photographies auxquelles il n’a pas eu accès. Il souligne que cette estimation est totalement subjective étant donné que l’âge d’une personne ne peut pas être déterminé sur la seule base de son apparence physique.

6.4L’auteur expose une nouvelle fois les faits et indique que le parquet n’a pas réexaminé la décision par laquelle il avait été déclaré majeur, au motif que les documents présentés ne concordaient pas avec le résultat des examens médicaux qui avaient été pratiqués, alors que, début août 2017, il avait fait parvenir au parquet des documents établis par l’ambassade de Guinée qui confirmaient qu’il était mineur. L’auteur fait observer que l’État partie n’a pris aucune mesure pour vérifier son âge à la lumière des documents fournis − photocopies ou originaux de l’extrait d’acte de naissance et du jugement en attestant la validité. Le 28 juillet 2017, après avoir été détenu cinquante-deux jours au centre pour étrangers, il a été transféré dans un centre pour adultes géré par l’organisation non gouvernementale espagnole Movimiento por la Paz dans le cadre d’un programme financé par le Ministère de l’intérieur. Quelques mois plus tard, l’Espagne n’ayant pas pris les mesures de protection voulues à son égard, il a décidé de partir pour la France.

6.5Pour ce qui est des allégations de l’État partie selon lesquelles la communication serait irrecevable ratione personae, l’auteur maintient que la question de son âge est au contraire la question de fond de la communication et ne peut donc pas être considérée comme un motif d’irrecevabilité. Il fait valoir les éléments suivants : a) en l’espèce, il existe des documents attestant qu’il est mineur ; b) tous les arguments invoqués par l’État partie font apparaître une violation du principe de la présomption de minorité ; c) les documents que l’auteur a fournis ne comportent pas de données biométriques parce qu’il n’a pas pu se procurer de documents comportant de telles données puisqu’il était détenu dans un centre pour étrangers et que ce type de données ne figurent pas sur les actes de naissance ; e) il n’a pas présenté de preuves médicales de son âge parce que, comme cela a été démontré, les méthodes existantes ne sont pas fiables ; f) contrairement à ce qu’affirme l’État partie, il n’a pas consenti à la réalisation d’examens médicaux et il n’a pas été informé de la nature de ces examens ; g) le critère subjectif − son apparence physique − sur lequel a été fondée l’estimation de son âge démontre que la procédure de détermination de l’âge en vigueur dans l’État partie n’offre aucune garantie ; h) le fait que l’État partie doute de la validité des documents fournis n’est pas un motif suffisant pour déclarer que l’auteur est majeur.

6.6L’auteur rappelle qu’il avait 16 ans au moment de la soumission de la communication et que l’examen radiographique sur la base duquel il a été conclu qu’il avait plus de 19 ans ne permet pas de déterminer avec exactitude l’âge d’une personne mais en donne une estimation, avec une marge d’erreur que les experts évaluent à plus ou moins deux ans ; en outre, cet examen repose sur des données de référence se rapportant à des sujets caucasiens. En l’espèce, l’État partie n’a pas tenu compte de la marge d’erreur inhérente à cet examen. L’auteur réaffirme que son acte de naissance doit être considéré comme un document valable et « suffisant » pour attester sa minorité. Il ajoute qu’un acte de naissance établi par les autorités de son pays d’origine est une preuve solide de sa minorité dont la valeur probante doit être reconnue et prise en considération.

6.7En ce qui concerne l’affirmation de l’État partie selon laquelle déclarer la communication recevable servirait les intérêts des mafias impliquées dans le trafic de migrants en situation irrégulière, l’auteur fait valoir qu’il ressort clairement de la procédure de détermination de l’âge appliquée par l’État partie que c’est la « présomption de majorité » qui prévaut, au détriment de l’intérêt supérieur de l’enfant et au profit des autres intérêts de l’Espagne, notamment le contrôle des flux migratoires sur son territoire.

6.8Pour ce qui est de la violation du principe de l’intérêt supérieur de l’enfant énoncé à l’article 3 de la Convention, l’auteur réaffirme que l’État partie n’a pas respecté la présomption de minorité, qui était pourtant d’autant plus essentielle que le risque d’un préjudice irréparable était imminent, puisqu’il était sous le coup d’une décision d’expulsion. Il renvoie à l’observation générale conjointe no 4 du Comité pour la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille (2017) et no 23 du Comité des droits de l’enfant (2017) sur les obligations des États en matière de droits de l’homme des enfants dans le contexte des migrations internationales dans les pays d’origine, de transit, de destination et de retour, dans laquelle il est indiqué que les documents soumis dans le cadre de la procédure de détermination de l’âge doivent être considérés comme authentiques sauf preuve du contraire, que les déclarations des enfants doivent être prises en considération et que le doute doit bénéficier à l’intéressé en cas d’incertitude sur son âge. Il affirme que les autorités espagnoles auraient dû le placer immédiatement dans un centre pour mineurs ou, si elles avaient des doutes quant à son âge, s’adresser aux autorités consulaires guinéennes pour vérifier son identité.

6.9L’auteur ajoute que les examens médicaux qu’il a subis ne peuvent pas être considérés comme objectifs ni comme un moyen de déterminer son âge avec exactitude et que leurs résultats doivent être interprétés conformément au principe de l’intérêt supérieur de l’enfant. Cela supposerait d’appliquer la présomption de minorité, puisque la marge d’erreur inhérente aux examens en question est de plus ou moins deux ans. L’auteur affirme qu’en l’espèce il n’a pas été tenu compte de cette marge d’erreur et que la validité des documents présentés pour attester son âge n’a pas été contestée par une autorité judiciaire.

6.10En ce qui concerne le grief selon lequel son intérêt supérieur n’a pas été respecté au regard des articles 18 (par. 2) et 20 (par. 1) de la Convention, l’auteur soutient que, contrairement à ce que fait valoir l’État partie, on ne saurait affirmer que, dans le cadre de la procédure de détermination de l’âge, le parquet a tenu de manière adéquate le rôle qui aurait incombé au tuteur ou au représentant légal que les autorités auraient dû désigner dès qu’elles ont su que l’auteur était peut-être mineur. Il ajoute que l’article 20 fait obligation aux États parties de prendre des mesures pour assurer la prise en charge et l’hébergement des mineurs privés de leur milieu familial. Il réaffirme qu’il n’a bénéficié d’aucune mesure de ce type.

6.11En ce qui concerne la violation de son droit à l’identité, l’auteur fait valoir que l’article 8 de la Convention impose à l’État partie une double obligation : celle de ne pas porter atteinte à l’identité de l’enfant et celle de rétablir cette identité lorsque l’enfant a été privé de l’un quelconque des éléments qui la constituent. Il estime que l’âge d’un individu est un élément constitutif de son identité et qu’il relève par conséquent de la protection prévue à l’article 8. Il explique que l’État partie a violé son droit à l’identité en lui attribuant une date de naissance différente de celle qui figure dans les justificatifs d’identité établis par les autorités de son pays d’origine. Il fait observer que, selon la propre législation de l’État partie et la jurisprudence du Tribunal suprême, les documents d’identité d’un étranger établis par les autorités de son pays d’origine font foi.

6.12L’auteur réaffirme qu’il n’a pas pu exercer son droit d’être entendu, reconnu à l’article 12 de la Convention. Ce droit a été violé dès son arrivée en Espagne, lorsque, alors qu’il se disait mineur, les autorités qui l’ont enregistré lui ont attribué un âge qui n’était pas le sien. De même, au commissariat d’Almería, l’auteur a été gardé en cellule alors qu’il avait déclaré être mineur. Il réaffirme qu’il n’a bénéficié ni de l’assistance d’un avocat ni de celle d’un interprète au cours de la procédure visant à déterminer son âge.

6.13L’auteur indique qu’il n’a pas pu exercer efficacement son droit d’être entendu pendant son séjour au centre de détention pour étrangers car le contexte était hostile et inapproprié pour un mineur. L’auteur renvoie à l’observation générale no 12(2009) sur le droit de l’enfant d’être entendu, qui dispose que les États parties doivent garantir au mineur la possibilité de décider de la manière dont il exercera son droit d’être entendu, que ce soit directement ou par l’intermédiaire de ses représentants, et surtout veiller à ce que le mineur puisse exprimer son opinion en toute liberté et en connaissance de cause, c’est-à-dire sans être manipulé ou soumis à une influence ou des pressions indues. Le Comité indique qu’« [u]n enfant ne peut se faire entendre efficacement si le contexte est intimidant, hostile, peu réceptif ou inadapté à son âge. La procédure doit être à la fois accessible et adaptée à l’enfant ».

6.14En ce qui concerne la violation de l’article 27 de la Convention, l’auteur estime que les conditions nécessaires à son développement physique, mental, spirituel et social n’ont pas été assurées par l’État partie. Il ajoute qu’il n’a pas non plus reçu l’assistance voulue lorsqu’il a été libéré. Il rappelle en particulier qu’aucun tuteur n’a été désigné, qu’il n’a pas été transféré dans un centre de protection des mineurs, et qu’il n’a pas bénéficié du soutien psychologique dont il avait besoin après le long périple qui l’avait conduit de son pays d’origine à la Costa de Almería.

6.15En ce qui concerne le principe de la non-discrimination à l’égard des mineurs, consacré par l’article 2 de la Convention, l’auteur réaffirme que l’âge des étrangers qui se disent mineurs mais qui ne sont pas originaires de pays d’Afrique ou qui sont accompagnés par leurs représentants légaux n’est jamais mis en doute.

6.16L’auteur indique que l’État partie n’a pas pris les mesures provisoires demandées par le Comité puisqu’après sa sortie du centre de détention pour étrangers, il n’a pas été transféré dans un centre de protection des mineurs et aucun tuteur n’a été désigné. L’inexécution des mesures provisoires constitue une violation de l’article 6 du Protocole facultatif.

6.17Enfin, l’auteur réaffirme qu’il attend des autorités de l’État partie qu’elles le reconnaissent comme mineur sur la foi des documents qu’il a produits, au lieu de se fonder sur les examens médicaux réalisés en vue de déterminer son âge.

Intervention de tiers

7.Le 3 mai 2018, le Défenseur des droits de la France a soumis en qualité de tiers une intervention portant sur la question de la détermination de l’âge et de la détention, dans des centres pour adultes, de mineurs sous le coup d’une décision d’expulsion.

Informations complémentaires communiquées par l’auteur

8.Le 20 juillet 2018, l’auteur a fait savoir qu’il se trouvait dans un centre d’accueil pour mineurs près de Lyon (France). Il a informé Fundación Raíces qu’il souhaitait que le Comité poursuive l’examen de sa communication.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

9.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 20 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant établissant une procédure de présentation de communications.

9.2Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel la communication est irrecevable ratione personae au regard des alinéas c) et f) de l’article 7 du Protocole facultatif, étant donné que l’auteur est majeur et qu’il n’a pas présenté de preuve suffisante et fiable du contraire. Il relève toutefois que l’auteur affirme avoir déclaré être mineur à son arrivée en Espagne et avoir par la suite communiqué au parquet et au tribunal d’instruction une copie et un extrait de son acte de naissance établi en Guinée et attestant qu’il était mineur, documents sur la base desquels il a demandé le réexamen de la décision relative à la détermination de son âge, demande que le parquet a rejetée sans véritablement motiver sa décision. Le Comité note également que l’ambassade de Guinée a ultérieurement établi des documents attestant que l’auteur était mineur. Il prend note de l’argument de l’État partie selon lequel l’acte de naissance ne comporte pas de données biométriques et ne peut donc pas servir à vérifier l’identité de l’auteur. Il rappelle que la charge de la preuve ne saurait incomber exclusivement à l’auteur de la communication, d’autant que l’auteur et l’État partie n’ont pas toujours également accès aux éléments de preuve et que, souvent, seul l’État partie dispose des informations pertinentes. En l’espèce, il prend note de l’argument de l’auteur selon lequel, si l’État partie avait des doutes quant à la validité de l’acte de naissance, il aurait dû s’adresser aux autorités consulaires guinéennes pour vérifier son identité, ce qu’il n’a pas fait. À la lumière de ce qui précède, le Comité considère que l’alinéa c) de l’article 7 du Protocole facultatif ne fait pas obstacle à la recevabilité de la communication.

9.3Le Comité prend également note de l’argument de l’État partie selon lequel l’auteur n’a pas épuisé les recours internes disponibles étant donné : a) qu’il aurait pu demander au parquet de faire procéder à des examens médicaux supplémentaires ; b) qu’il aurait pu, en vertu de l’article 780 de la loi de procédure civile, demander le réexamen de toute décision de la communauté autonome ne reconnaissant pas sa qualité de mineur ; c) qu’il aurait pu contester la décision d’expulsion devant la juridiction contentieuse administrative ; d) qu’il aurait pu engager devant les tribunaux civils une action gracieuse aux fins de détermination de l’âge, en vertu de la loi no 15/2015. Le Comité prend toutefois note de l’affirmation de l’auteur selon laquelle, bien qu’il ait produit des documents de l’ambassade de Guinée attestant sa minorité, le parquet a rejeté sa demande de réexamen de la décision le déclarant majeur au motif que les documents en question ne concordaient pas avec le résultat des examens médicaux pratiqués pour déterminer son âge. Le Comité estime que, compte tenu du caractère imminent de l’expulsion de l’auteur, toute procédure de recours qui excéderait des délais raisonnables ou qui ne suspendrait pas l’exécution de la décision d’expulsion ne saurait être considérée comme utile. Il relève que l’État partie n’a pas démontré que les recours mentionnés suspendraient l’exécution de la décision d’expulsion. Par conséquent, il conclut que l’alinéa e) de l’article 7 du Protocole facultatif ne fait pas obstacle à la recevabilité de la communication.

9.4Le Comité considère que les griefs que l’auteur tire des articles 18 (par. 2), 27 et 29 de la Convention n’ont pas été suffisamment étayés aux fins de la recevabilité et les déclare irrecevables au regard de l’article 7 f) du Protocole facultatif.

9.5Le Comité considère en revanche que l’auteur a suffisamment étayé les griefs qu’il tire des articles 2, 3, 8, 12 et 20 (par. 1) de la Convention. Il déclare donc que cette partie de la communication est recevable et procède à son examen quant au fond.

Examen au fond

10.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 10 du Protocole facultatif, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations communiquées par les parties.

10.2Le Comité doit notamment déterminer si, en l’espèce, la procédure de détermination de l’âge à laquelle a été soumis l’auteur, qui a déclaré être mineur et a produit son acte de naissance et des documents établis par l’ambassade de la Guinée pour le prouver, a entraîné la violation des droits consacrés par la Convention. L’auteur affirme notamment qu’il a été victime de discrimination au motif que les documents originaux et officiels délivrés par les autorités de son pays d’origine n’ont pas été pris en considération, qu’à aucune des étapes de la procédure visant à déterminer son âge il n’a été tenu compte du principe de l’intérêt supérieur de l’enfant, et que ni son droit d’être entendu ni son droit de préserver son identité n’ont été respectés.

10.3Le Comité rappelle que la détermination de l’âge d’un jeune qui affirme être mineur revêt une importance capitale, puisque le résultat de cette procédure détermine si l’intéressé peut ou non prétendre à la protection de l’État en qualité d’enfant. De même, et cela est extrêmement important pour le Comité, la jouissance des droits énoncés dans la Convention est liée à cette détermination. Il est donc impératif que la détermination de l’âge repose sur une procédure régulière, et que les décisions en résultant soient susceptibles de recours. Tant que la procédure de détermination de l’âge est en cours, l’intéressé doit avoir le bénéfice du doute et être traité comme un enfant. Par conséquent, le Comité estime que l’intérêt supérieur de l’enfant devrait être une considération primordiale tout au long de la procédure de détermination de l’âge.

10.4Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel l’observation générale no 6 n’empêche ni n’interdit la réalisation d’examens médicaux objectifs de détermination de l’âge sur des personnes qui semblent être majeures, n’ont pas de documents d’identité et se disent mineures (par. 6.3 supra). Cependant, il rappelle que les documents disponibles doivent être considérés comme authentiques, sauf preuve du contraire. En outre, en l’absence de documents d’identité ou d’autres moyens appropriés qui permettent d’estimer l’âge sur des bases solides, les États doivent faire procéder à une évaluation complète du développement physique et psychologique de l’enfant par des pédiatres, des spécialistes et d’autres professionnels capables d’examiner conjointement différents aspects du développement de l’enfant. Ces évaluations doivent être faites sans attendre, selon une procédure adaptée, qui tienne compte du genre et de la culture de l’enfant, et qui comporte des entretiens dans une langue qui lui est compréhensible. De plus, il est extrêmement important que la personne évaluée ait le bénéfice du doute.

10.5En l’espèce, le Comité constate que : a) l’âge de l’auteur, qui n’avait pas de papiers lorsqu’il est entré sur le territoire espagnol, a été déterminé sur la base d’un examen osseux du poignet, sans qu’aucun examen complémentaire, en particulier psychologique, n’ait été effectué et, d’après les informations dont le Comité dispose, sans qu’aucun entretien n’ait été conduit avec l’auteur dans le cadre de cette procédure ; b) sur la base des résultats de cet examen, l’hôpital a estimé à 19 ans l’âge osseux de l’auteur conformément à l’atlas de Greulich et Pyle, sans indiquer de marge d’erreur possible ; c) sur la base de ce résultat, le parquet a rendu une décision déclarant que l’auteur était majeur ; d) le parquet n’a pas tenu compte des documents attestant la minorité de l’auteur qui avaient été établis par l’ambassade de Guinée en vue d’un éventuel réexamen de la décision par laquelle l’auteur avait été déclaré majeur.

10.6Le Comité constate toutefois que nombre d’éléments d’information portent à croire que les examens osseux manquent de précision, qu’ils comportent une grande marge d’erreur et qu’ils ne sauraient donc être la seule méthode utilisée pour déterminer l’âge chronologique d’un jeune qui affirme être mineur et qui présente des documents pour le prouver.

10.7Le Comité prend note de l’affirmation de l’État partie selon laquelle l’auteur avait manifestement l’apparence d’un adulte. Le Comité rappelle néanmoins son observation générale no 6, qui dispose que l’évaluation de l’âge ne devrait pas se fonder uniquement sur l’apparence physique de l’individu mais tenir compte également de son degré de maturité psychologique, qu’elle doit être menée scientifiquement, dans le souci de la sécurité de l’enfant, de manière adaptée à son statut d’enfant et à son sexe et équitablement, et qu’en cas d’incertitude persistante, le bénéfice du doute doit être accordé à l’intéressé, qu’il convient, si la possibilité existe qu’il s’agisse effectivement d’un mineur, de traiter comme tel.

10.8Le Comité prend également note des allégations de l’auteur − que l’État partie n’a pas contestées − selon lesquelles il n’a pas été désigné de tuteur ni de représentant pour défendre ses intérêts en sa qualité présumée d’enfant migrant non accompagné, ni avant, ni pendant la procédure de détermination de l’âge à l’issue de laquelle il a été déclaré majeur. Il rappelle que les États parties sont tenus d’assurer à tous les jeunes étrangers qui affirment être mineurs, le plus rapidement possible après leur arrivée sur le territoire, l’assistance gratuite d’un représentant légal qualifié et, le cas échéant, d’un interprète. Le Comité considère que le fait d’assurer la représentation de ces jeunes au cours de la procédure de détermination de l’âge constitue une garantie essentielle pour le respect de leur intérêt supérieur et de leur droit d’être entendu. Ne pas assurer leur représentation constituerait une violation des articles 3 et 12 de la Convention, puisque la procédure de détermination de l’âge est à la base de l’application de la Convention. Le défaut de représentation adéquate peut entraîner une injustice grave.

10.9Compte tenu de ce qui précède, le Comité considère que la procédure de détermination de l’âge à laquelle a été soumis l’auteur, qui a affirmé être mineur et a présenté des preuves à l’appui de ses dires, n’a pas été assortie des garanties nécessaires à la protection des droits qu’il tient de la Convention. En l’espèce, compte tenu en particulier de l’examen qui a été pratiqué pour déterminer l’âge de l’auteur, du fait que celui-ci n’était pas accompagné d’un représentant pendant la procédure et que l’acte de naissance qu’il a présenté a été jugé quasi automatiquement sans valeur probante, sans même que l’État partie ait procédé à un examen en bonne et due forme des informations qu’il contenait ni, s’il doutait de leur validité, qu’il en demande confirmation aux autorités consulaires guinéennes, le Comité estime que l’intérêt supérieur de l’enfant n’a pas été une considération primordiale dans la procédure de détermination de l’âge à laquelle l’auteur a été soumis, en violation des articles 3 et 12 de la Convention.

10.10Le Comité note également que l’auteur affirme que l’État partie a violé ses droits lorsqu’il a modifié des éléments de son identité en lui attribuant un âge et une date de naissance qui ne correspondaient pas aux informations figurant sur son acte de naissance, et qu’il n’a pas révisé sa position même après que l’auteur a soumis des documents établis par l’ambassade de Guinée attestant qu’il était mineur. Le Comité considère que la date de naissance d’un enfant fait partie de son identité et que les États parties sont tenus de respecter le droit de l’enfant de préserver son identité, sans le priver d’aucun des éléments qui la constituent. Il fait observer qu’en l’espèce, bien que l’auteur ait fait parvenir aux autorités espagnoles une copie et un extrait de son acte de naissance, l’État partie n’a pas respecté son identité en considérant que ces documents n’avaient aucune valeur probante, sans que les informations qui y figuraient aient été dûment examinées par une autorité compétente ni vérifiées auprès des autorités du pays d’origine de l’auteur. Par conséquent, le Comité conclut que l’État partie a violé l’article 8 de la Convention.

10.11Enfin, le Comité prend note des allégations de l’auteur concernant l’inexécution par l’État partie de la mesure provisoire demandée, à savoir le transfert de l’auteur dans un centre de protection des mineurs. Il rappelle que les États parties qui ont ratifié le Protocole facultatif ont l’obligation internationale de mettre en œuvre les mesures provisoires demandées en application de l’article 6 dudit protocole pour éviter qu’un préjudice irréparable ne soit causé alors que la communication est en cours d’examen, afin d’assurer l’efficacité de la procédure de présentation de communications émanant de particuliers. En l’espèce, le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel le transfert de l’auteur dans un centre de protection des mineurs pourrait mettre gravement en danger les enfants accueillis dans ces centres. Il fait toutefois observer que cet argument repose sur l’idée que l’auteur est majeur. Il souligne le risque qu’il peut y avoir à envoyer une personne potentiellement mineure dans un centre qui n’accueille que des individus reconnus comme adultes. Par conséquent, il considère que l’inexécution de la mesure provisoire demandée constitue en elle-même une violation de l’article 6 du Protocole facultatif.

10.12Le Comité des droits de l’enfant, agissant en vertu du paragraphe 5 de l’article 10 du Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant établissant une procédure de présentation de communications, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation des articles 3, 8, 12, et 20 (par. 1) de la Convention et de l’article 6 du Protocole facultatif.

10.13Ayant conclu à l’existence d’une violation des articles 3, 8, 12 et 20 (par. 1) de la Convention, le Comité n’examinera pas séparément le grief de violation de l’article 2 de la Convention fondé sur les mêmes faits.

11.En conséquence, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur une réparation effective pour les violations subies. Il est également tenu de veiller à ce que de telles violations analogues ne se reproduisent pas. À cet égard, le Comité lui recommande :

a)De garantir que toute procédure visant à déterminer l’âge de jeunes gens affirmant être mineurs est conforme à la Convention et, en particulier, de faire en sorte : i) que les documents soumis par les intéressés soient pris en considération et leur authenticité reconnue lorsqu’ils ont été établis, ou leur validité confirmée, par les États ou leurs ambassades ; ii) qu’un représentant légal qualifié ou d’autres représentants soient désignés sans délai et à titre gratuit, que les avocats privés désignés pour représenter les mineurs présumés soient reconnus et que les représentants légaux ou autres représentants soient autorisés à les assister tout au long de la procédure ;

b)Faire en sorte qu’un tuteur compétent soit désigné dans les meilleurs délais pour veiller aux intérêts des jeunes demandeurs d’asile non accompagnés qui affirment avoir moins de 18 ans, afin que ceux-ci puissent demander l’asile en qualité de mineurs, même lorsque la procédure visant à déterminer leur âge est en cours ;

c)Mettre en place un mécanisme de réparation efficace et accessible pour les jeunes migrants non accompagnés affirmant avoir moins de 18 ans afin qu’ils puissent contester les décisions des autorités les déclarant majeurs dans les cas où leur âge a été déterminé suivant une procédure qui ne respecte pas les garanties nécessaires à la protection de leur intérêt supérieur et de leur droit d’être entendu ;

d)Dispenser aux agents des services de l’immigration, aux policiers, aux fonctionnaires du ministère public, aux juges et aux autres professionnels concernés une formation sur les droits des mineurs demandeurs d’asile et des autres mineurs migrants, et en particulier sur l’observation générale no 6 et les observations générales conjointes nos 22 et 23 du Comité.

12Conformément à l’article 11 du Protocole facultatif, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dès que possible et dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures qu’il aura prises pour donner effet aux présentes constatations. Il demande en outre à l’État partie d’inclure des informations sur ces mesures dans les rapports qu’il présentera au titre de l’article 44 de la Convention. Enfin, l’État partie est invité à rendre publiques les présentes constatations et à les diffuser largement.