Nations Unies

CRC/C/83/D/21/2017

Convention relative aux droits de l ’ enfant

Distr. générale

10 mars 2020

Français

Original : espagnol

Comité des droits de l ’ enfant

Constatations adoptées par le Comité au titre du Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant établissant une procédure de présentation de communications, concernant la communication no21/2017 * , **

Communication présentée par:

A. D. (représenté par l’organisation non gouvernementale Fundación Raíces)

Victime présumée :

L’auteur

État partie:

Espagne

Date de la communication:

2 juin 2017

Date des constatations :

4 février 2020

Objet:

Procédure de détermination de l’âge d’un enfant non accompagné

Question(s) de procédure:

Non-épuisement des recours internes ; abus du droit de présenter une communication ; incompatibilité ratione personae ; défaut de fondement des griefs

Article(s) d e la Convention :

3, 8, 12, 18 (par. 2), 20, 27 et 29

Article(s) du Protocole facultatif:

6 et 7 c), e) et f)

1.1L’auteur de la communication est A. D., de nationalité malienne, né le 30 avril 2000. Il se dit victime d’une violation des articles 3, 8, 12, 18 (par. 2), 20, 27 et 29 de la Convention. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 14 avril 2014.

1.2Le 7 juin 2017, le Groupe de travail des communications, agissant au nom du Comité et se fondant sur l’article 6 du Protocole facultatif, a demandé à l’État partie de prendre des mesures provisoires tendant à suspendre l’exécution de la décision d’expulsion de l’auteur tant que sa communication serait à l’examen et à le placer dans un centre de protection pour mineurs.

1.3Le 18 décembre 2017, le Groupe de travail des communications, agissant au nom du Comité et se fondant sur le paragraphe 5 de l’article 18 de son règlement intérieur au titre du Protocole facultatif, a décidé de rejeter la demande de l’État partie tendant à ce que la question de la recevabilité de la communication soit examinée séparément du fond.

Rappels des faits présentés par l’auteur

Arrivée en Espagne et démarches entreprises pour obtenir une protection

2.1Le 10 mars 2017, l’auteur a été arrêté par la police nationale alors qu’il tentait d’entrer illégalement sur le territoire dans l’État partie à bord d’une embarcation de fortune. Il n’était muni d’aucun document, mais a déclaré être mineur. Cependant, non seulement il n’a pas reçu d’aide, mais le parquet d’Almería spécialisé dans la protection des mineurs a ordonné la réalisation d’examens médicaux, selon la méthode dite de Greulich et Pyle, pour déterminer son âge. Selon le rapport médical, daté du 10 mars 2017, l’auteur avait un âge osseux compris entre 18 et 19 ans.

2.2Le même jour, le tribunal d’instruction no 6 d’Almería a ordonné le renvoi de l’auteur dans son pays d’origine et, le 11 mars, a ordonné son placement dans un centre de détention pour étrangers pour une période de soixante jours au maximum, pour permettre l’exécution de la décision de renvoi. Lorsqu’il a été admis au centre de détention pour étrangers de Madrid, l’auteur a de nouveau déclaré être mineur. Le 7 avril 2017, il a présenté une copie officielle de son acte de naissance et a signalé à cinq autorités publiques différentes que, bien que mineur, il avait été placé dans un centre pour étrangers adultes.

2.3Le 20 avril 2017, le tribunal no 6 d’Almería a ordonné qu’il soit mis fin à la détention de l’auteur afin que celui-ci soit confié aux services de protection des mineurs. Le lendemain, l’auteur a été admis au centre de premier accueil Hortaleza (un centre de protection des mineurs situé à Madrid).

Décision de l’État partie par laquelle l’auteur a été déclaré majeur

2.4Le 9 mai 2017, le parquet d’Almería spécialisé dans la protection des mineurs a convoqué l’auteur pour qu’il subisse des examens médicaux visant à déterminer son âge. L’auteur s’est rendu à la convocation accompagné d’un avocat de la Fundación Raíces et a refusé de se soumettre à ces examens. En effet, il disposait de documents officiels émis par les autorités de son pays qui prouvaient son âge et dont la validité pouvait être vérifiée auprès de l’ambassade. Le même jour, le parquet a rendu une décision par laquelle l’auteur était déclaré majeur, celui-ci ayant refusé de se soumettre à des examens aux fins de détermination de l’âge et les documents dont il était muni n’étant pas considérés comme authentiques. Le 12 mai 2017, l’auteur a obtenu de l’ambassade du Mali un récépissé de demande de passeport.

2.5Le 16 mai 2017, la Direction générale de la famille et des mineurs de la Communauté de Madrid, se fondant sur la décision du parquet, a exclu l’auteur du système de protection, le laissant sans protection. En réponse à cette décision, la Fundación Raíces a soumis au tribunal no 6 d’Almería deux communications par lesquelles elle l’informait de la situation de l’auteur et demandait que celui-ci soit maintenu dans le système de protection des mineurs. Le tribunal a rendu deux décisions, les 26 et 31 mai 2017 respectivement, dans lesquelles il confirmait que sa décision du 20 avril 2017 était définitive. Pendant ce temps, l’auteur était à la rue, ne bénéficiait d’aucun soutien de la part du système de protection des mineurs et n’avait aucune possibilité de recourir contre la décision du parquet spécialisé dans la protection des mineurs par laquelle il avait été déclaré majeur.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que l’authenticité de ses documents d’identité, qui étaient des originaux officiels délivrés par son pays d’origine, n’ayant pas été reconnue, et lui-même ayant refusé de se soumettre à des examens inutiles visant à déterminer son âge, il a été considéré à tort comme majeur et s’est retrouvé en situation d’abandon, sans protection de l’État partie, à la rue et courant le risque d’être expulsé. Il soutient que, conformément à la jurisprudence du Tribunal constitutionnel, les décisions relatives à la détermination de l’âge prises par le ministère public sont insusceptibles de recours direct et que, partant, les recours disponibles ne sont pas utiles pour contester ces décisions.

3.2L’auteur affirme que l’État partie n’a pas pris en considération le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant, consacré par l’article 3 de la Convention. Il cite les observations finales du Comité concernant l’État partie, dans lesquelles celui-ci se dit préoccupé par le fait qu’il n’est pas procédé à un examen de l’intérêt supérieur de l’enfant et par les disparités dans les méthodes employées pour déterminer l’âge des enfants non accompagnés. Il cite le paragraphe 31 de l’observation générale no 6 (2005) du Comité sur le traitement des enfants non accompagnés et des enfants séparés en dehors de leur pays d’origine, et affirme que le parquet n’a pas respecté le principe de la présomption de minorité et ne lui a pas accordé le bénéfice du doute, même après qu’il a présenté des documents officiels. S’appuyant sur plusieurs études, qu’il soumet, il affirme que les méthodes médicales d’estimation de l’âge qui sont utilisées par l’État partie, et en particulier celle qui a été suivie dans son cas, comportent une marge d’erreur élevée, car les études à partir desquelles elles ont été mises au point portaient sur d’autres populations présentant des caractéristiques raciales et socioéconomiques très différentes. Il estime que le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant n’a pas été pris en considération, en violation de l’article 3 de la Convention, car son refus de se soumettre à un examen imprécis a primé un document officiel dont l’authenticité est mise en doute par l’État partie mais n’a pas été officiellement contestée auprès de l’État qui a délivré le document.

3.3L’auteur se dit également victime d’une violation de l’article 3, lu conjointement avec l’article 18 (par. 2) de la Convention, au motif qu’un tuteur ne lui a pas été assigné pour veiller sur ses intérêts, alors que cela constitue une garantie de procédure fondamentale pour le respect de l’intérêt supérieur de l’enfant non accompagné. Il affirme en outre qu’il y a eu violation de l’article 3 (par. 2), lu conjointement avec l’article 20 (par.1), l’État ne l’ayant pas protégé dans la situation d’abandon et de grande vulnérabilité dans laquelle il se trouvait en tant que mineur migrant non accompagné. Il fait valoir que l’intérêt supérieur de l’enfant devrait primer les dispositions d’ordre public relatives aux étrangers et qu’en présence d’un mineur muni de documents dûment délivrés par son pays d’origine, l’État partie doit mobiliser son appareil administratif et désigner automatiquement un tuteur.

3.4L’auteur soutient en outre que l’État partie a violé son droit à l’identité, reconnu à l’article 8 de la Convention, étant donné que l’âge constitue un élément fondamental de l’identité et que l’État partie est tenu de ne pas y porter atteinte.. L’État partie avait l’obligation de conserver et de récupérer les données relatives à l’identité de l’auteur qui existaient ou pouvaient exister encore. Or il lui a attribué un âge qu’il n’a pas et une date de naissance qui ne correspond pas à celle figurant sur son document d’identité.

3.5L’auteur dénonce en outre une violation de son droit d’être entendu, qu’il tient de l’article 12 de la Convention, et souligne que la législation nationale prévoit la protection de ce droit. À cet égard, il indique que l’article 9 de la loi organique no 1/1996 sur la protection juridique des mineurs dispose que le mineur a le droit d’être entendu et écouté et, à cette fin, doit recevoir les informations qui lui permettent d’exercer ce droit, rédigées en des termes compréhensibles, dans des formats accessibles et adaptés à sa situation, et qu’il sera fait en sorte que les mineurs suffisamment matures puissent exercer ce droit par eux‑mêmes ou par l’intermédiaire d’une personne désignée par eux pour les représenter.

3.6L’auteur affirme également qu’il y a eu violation de l’article 20 de la Convention en raison du défaut de protection et de l’exclusion sociale dont il a été victime du fait des décisions et actions de l’État partie. Il affirme qu’il n’a pas été protégé par l’État partie car celui-ci a considéré qu’il était majeur, sans preuve concluante, et cite l’observation générale no6, où il est souligné que le droit à une protection doit être interprété compte tenu de la situation du mineur, de son âge et de son origine ethnique, culturelle et linguistique.

3.7L’auteur se dit aussi victime d’une violation des articles 27 et 29 de la Convention, car il n’a pas pu développer pleinement toutes ses facultés. Il estime que, faute de tuteur pour le guider, il ne peut pas s’épanouir comme il le devrait à son âge.

3.8À titre de réparation, l’auteur propose : a) que l’État partie respecte le principe de la présomption de minorité, eu égard à l’acte de naissance qu’il utilise pour obtenir un passeport ; b) que l’État partie reconnaisse que le simple refus de se soumettre à un examen aux fins de détermination de l’âge ne saurait amener à conclure que l’intéressé est majeur ; c) que le parquet comme l’entité chargée de la protection des mineurs se conforment immédiatement à l’ordonnance du tribunal d’instruction du tribunal no 6 d’Almería portant intégration de l’auteur dans le système de protection des mineurs ; d) que les décisions concernant la détermination de l’âge puissent être contestées directement devant les tribunaux ; e) que le droit du mineur d’être entendu par l’intermédiaire d’une personne ou d’une institution spécialisée dans les droits des mineurs soit reconnu ; f) que le mineur se voie reconnaître tous les droits découlant de sa qualité d’enfant, notamment le droit d’être protégé par l’autorité publique compétente, le droit à un représentant légal, le droit à l’éducation et le droit de se voir accorder un permis de séjour et de travail qui permette le plein épanouissement de sa personnalité et son intégration dans la société.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

Exposé des faits

4.1Dans ses observations du 9 août 2017 sur la recevabilité de la communication, l’État partie affirme que l’auteur a présenté les faits de manière partielle et inexacte. Il indique que les seules photographies de l’auteur qu’il reconnaît comme valables sont les photographes officielles prises au moment de son sauvetage et mises à la disposition des tribunaux, et qu’il conteste la validité des photographies fournies par l’auteur.

4.2L’État partie explique qu’après avoir été emmené au poste de police d’Almería à des fins d’identification, l’auteur a été informé de manière claire et compréhensible de ses droits, en présence d’un interprète. Pendant la procédure d’identification, l’auteur, qui n’avait pas de papiers, a déclaré de son plein gré qu’il s’appelait A. D., qu’il était né le 1er janvier 2000 en Gambie et qu’il était le fils de Stoy (père) et Roukia (mère). Comme il se disait mineur, il lui a été proposé de procéder à un examen aux fins de détermination de l’âge, ce à quoi il a donné son consentement exprès et éclairé. Une radiographie de sa main droite a donc été faite, laquelle a permis de déterminer que son âge osseux estimé était compris entre 18 et 19 ans, tranche d’âge pour laquelle il n’y a pas d’écart type.

4.3Sur la base de ces preuves médicales, le 10 mars 2017, le parquet provincial d’Almería a rendu une décision par laquelle il était établi de manière « éminemment provisoire » que l’auteur était majeur. La décision de renvoi prise le jour même a été notifiée personnellement à l’auteur, avec l’aide d’un avocat, et celui-ci a été informé de la possibilité de former recours devant les tribunaux contre cette décision.

4.4Le 30 mars, l’auteur a commencé à se faire représenter par la Fundación Raíces, qui a présenté ce qu’elle prétend être le certificat d’enregistrement de la naissance de l’auteur et a demandé que l’auteur, qui avait été placé au centre de détention pour étrangers, soit mis à la disposition des autorités de protection de l’enfance. L’État partie affirme que le certificat présenté : a) ne comportait pas de données biométriques prouvant qu’il se rapportait à l’auteur ; b) ne portait pas sur un enregistrement de naissance effectué dans le passé, mais était un acte dressé sur la base d’une déclaration faite par le père présumé, dont rien ne montrait qu’elle n’avait pas été faite après l’entrée illégale de l’auteur sur le territoire de l’État partie ; c) comportait des renseignements différents de ceux que l’auteur avait donnés lors de son arrestation, à savoir qu’il y était indiqué : i) que l’auteur était né au Mali et non en Gambie ; ii) que le père de l’auteur s’appelait Sidy et non Stoy ; iii) que la mère de l’auteur s’appelait Rokia et non Roukia ; et iv) que la date de naissance de l’auteur était le 31 avril 2000 et non le 1er janvier 2000.

4.5L’État partie indique que, compte tenu des doutes quant à la majorité de l’auteur, le juge d’instruction a consenti à ce que l’auteur quitte le centre de détention pour étrangers pour être « confié aux services de protection des mineurs » pendant le réexamen de la question de la détermination de son âge. Après l’admission de l’auteur au centre ouvert de premier accueil pour mineurs Hortaleza, à Madrid, a été organisé, le 3 mai 2017, un entretien pendant lequel l’auteur, qui était assisté d’un interprète, a dit : a) qu’il était né le 27 avril 2000 (pendant sa détention, il avait dit qu’il était né le 1er janvier 2000, et la date indiquée sur son acte de naissance est le 31 avril 2000) ; b) qu’il avait menti au sujet de sa nationalité (Gambie) parce qu’il savait que c’était un pays en guerre où il ne pouvait être renvoyé ; c) qu’il était entré sur le territoire de l’État partie par l’intermédiaire de diverses mafias d’immigration clandestine, qu’il avait payées pour ce faire.

4.6L’État partie fait valoir qu’afin de déterminer s’il était majeur ou non, et compte tenu des doutes soulevés à cet égard par des documents non probants qui contredisaient la seule preuve médicale objective recueillie, le parquet a de nouveau convoqué l’auteur pour qu’il donne son consentement à la réalisation d’examens objectifs supplémentaires aux fins de détermination de l’âge (panoramique dentaire, examen radiologique osseux de la clavicule et examen physique par le médecin légiste). L’auteur, assisté de son conseil, a refusé de se soumettre à ces examens. Compte tenu du refus de l’auteur et du fait qu’il n’y avait aucun document officiel d’identité probant comportant des données biométriques, le parquet a rendu, le 9 mai 2017, une décision portant confirmation de la majorité de l’auteur. Compte tenu de cette décision, la Commission de la tutelle des mineurs de la Communauté autonome de Madrid a décidé, le 16 mai 2017, de retirer l’auteur du centre de premier accueil Hortaleza. L’État partie indique que l’auteur étant adulte et en liberté, il ignore où il se trouve actuellement.

Motifs d’irrecevabilité

4.7L’État partie fait valoir que la communication est irrecevable ratione personae au motif que l’auteur est majeur. Il affirme que l’auteur est majeur car : a) il n’a pas présenté de documents d’identité officiels comportant des données biométriques vérifiables au moment de son entrée illégale sur son territoire ; b) son apparence est celle d’une personne majeure, comme le montrent les photographies prises au moment de son arrestation ; c) l’examen médical objectif pratiqué a établi non seulement que l’auteur était âgé de 18 ans, mais qu’il pouvait même avoir 19 ans ; d) l’acte de naissance ne contient pas d’élément permettant d’établir qu’il se rapporte à l’auteur, car il ne comporte pas de données biométriques, a été délivré sur la base d’une déclaration faite par une personne intéressée, n’a pas fait l’objet d’une procédure contradictoire et porte une date postérieure à l’entrée illégale sur le territoire ; e) l’auteur a menti au sujet de sa nationalité et a donné, en diverses occasions, des noms différents concernant ses parents et des dates de naissance différentes ; f) l’auteur a expressément refusé de subir d’autres examens médicaux objectifs.

4.8Selon l’État partie, déclarer une communication recevable alors que des examens médicaux objectifs attestent que l’intéressé est majeur ne peut que profiter aux mafias qui se livrent au trafic d’immigration clandestine, que l’auteur a payées, et qui recommandent aux migrants de partir sans documents d’identité et de se dire mineurs.

4.9L’État partie, se fondant sur l’article 7 e) du Protocole facultatif, fait valoir en outre que la communication est irrecevable au motif que tous les recours internes disponibles n’ont pas été épuisés. L’auteur avait la possibilité : a) de saisir le parquet pour demander des examens médicaux supplémentaires ; b) de demander au juge civil, conformément à la procédure prévue par l’article 780 de la loi de procédure civile, de réexaminer la décision en application de laquelle il n’a pas été placé sous tutelle ; c) de recourir contre la décision de renvoi devant la juridiction administrative (ce que l’auteur a fait, mais l’affaire est toujours en instance) ; d) de former, devant la juridiction civile, conformément à la loi no 15/2015, une demande en matière gracieuse aux fins de détermination de l’âge.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité

5.1Dans des commentaires du 25 septembre 2017, l’auteur affirme que : a) il n’a pas menti sur le nom de son père ou de sa mère ; b) il n’a pas donné son consentement éclairé à l’examen aux fins de détermination de l’âge car il n’a pas été dûment informé de la procédure ni de ses implications et n’a pas bénéficié de l’assistance d’un avocat ; c) il n’est pas possible de former un recours juridictionnel contre une décision de renvoi et seul est possible, comme indiqué dans la décision elle-même, un recours hiérarchique qui n’a pas d’effet suspensif ; d) les documents fournis n’auraient en aucun cas pu contenir des données biométriques, les certificats de naissance ne comportant jamais de telles données ; e)l’ordonnance du tribunal d’instruction no 6 d’Almería du 20 avril 2017 ne conditionne nullement la fin de sa détention à la conduite d’un nouvel examen aux fins de détermination de l’âge ; f) il n’a pas été dûment informé et ne s’est pas vu offrir la possibilité de se faire accompagner par son conseil lors de l’entretien du 3 mai 2017 (absence de garantie qui doit entraîner la nullité absolue de toute déclaration faite par l’auteur pendant cet entretien) ; g) son conseil n’a pas été autorisé à intervenir dans la rédaction du procès-verbal de l’audition, ce qui explique pourquoi il n’a pas signé le procès-verbal (qui n’a pas non plus été remis à l’auteur ou à son avocat) ; h) il a passé vingt-six jours au centre Hortaleza, sans avoir de tuteur ; i) l’État partie omet de dire qu’il a entamé les démarches pour obtenir un passeport alors qu’il relevait des services de protection de la Communauté autonome de Madrid.

5.2L’auteur affirme également qu’il a déclaré être né en Gambie par crainte d’être expulsé, car il n’y a pas d’accord de renvoi avec ce pays. En ce qui concerne les divergences entre les dates de naissance, il avance qu’elles pourraient être dues à une erreur lors de son identification par la police. Toutefois, ces données ne sauraient être déterminantes car, en tant que mineur, il n’a pas bénéficié de l’assistance d’un conseil à ce moment et il a dû fournir ces données alors qu’il était en situation de stress.

5.3Pour ce qui est des arguments de l’État partie concernant l’irrecevabilité ratione materiae de la communication, l’auteur fait valoir, tout d’abord, que l’on ne saurait demander que celle-ci soit déclarée irrecevable sans l’avoir examinée au fond, car la détermination de l’âge de l’auteur est précisément la question de fond sur laquelle elle porte.

5.4L’auteur fait ensuite valoir que l’on ne saurait affirmer qu’il était majeur car : a) le fait qu’il n’était pas porteur de documents officiels comportant des données biométriques au moment de son entrée ne peut en aucun cas être interprété comme prouvant qu’il était majeur ; b) une appréciation subjective de son apparence ne saurait être considérée comme un moyen valable d’écarter la présomption de minorité ; c) l’examen médical réalisé ne peut pas être considéré comme un examen objectif ayant permis de déterminer précisément son âge. En revanche, les documents qu’il a présentés (et qui à aucun moment n’ont été considérés comme faux) constituent une preuve de sa minorité, car il s’agit de documents officiels, dûment délivrés par les autorités maliennes et acceptés par le juge d’instruction. En outre, lorsque le juge a rendu son ordonnance, il avait déjà apprécié toutes les circonstances, tandis que le parquet n’a pas tenu compte de la décision du juge alors qu’il disposait d’un seul élément supplémentaire, à savoir le refus de l’auteur de se soumettre à des examens aux fins de détermination de l’âge peu fiables. L’auteur ajoute que le Tribunal suprême lui-même a expressément interdit la réalisation d’examens médicaux aux fins de détermination de l’âge des mineurs non accompagnés. Par ailleurs, le fait que l’auteur ait menti sur sa nationalité ne change rien à son âge, et il est faux de dire qu’il a menti sur les noms de ses parents.

5.5L’auteur explique en outre que le refus de se soumettre à des examens de détermination de l’âge, examens très intrusifs et dont les résultats sont très contestés, ne peut en aucun cas être interprété comme prouvant qu’il est majeur. Il fait valoir que, face à un tel refus, des démarches auraient pu être faites auprès de l’ambassade du Mali pour l’identifier, mais que cela n’a pas été fait. La présomption de minorité et le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant doivent être des considérations primordiales qui priment toute autre considération et, en cas de doute, et comme l’a estimé le juge lui-même, l’État doit garantir que l’intéressé est traité comme un mineur (a fortiori lorsque des documents officiels attestant son âge sont fournis). Les actes de l’État partie montrent qu’il utilise une procédure de détermination de l’âge n’offrant pas de garanties, dans le cadre de laquelle il n’y a pas de présomption de minorité et il appartient à l’enfant de prouver qu’il est mineur, ce qui est impossible.

5.6En ce qui concerne l’affirmation de l’État partie selon laquelle déclarer la communication recevable profiterait aux mafias qui se livrent au trafic d’immigration clandestine, l’auteur estime qu’elle met en évidence le fait que le contrôle des flux migratoires prime l’intérêt supérieur de l’enfant.

5.7Pour ce qui est de la question de l’irrecevabilité pour non-épuisement des recours internes, l’auteur maintient que les décisions relatives à la détermination de l’âge sont insusceptibles de recours direct, comme il était indiqué dans la décision rendue par le parquet dans cette affaire. De même, les recours internes mentionnés par l’État partie ne sont pas utiles ou ne lui sont pas ouverts. L’auteur, premièrement, souligne l’impossibilité de présenter des éléments de preuve supplémentaires ou de soumettre d’autres moyens de preuve au parquet (par exemple, demander qu’il soit procédé à des vérifications auprès de l’ambassade du Mali), puisqu’il a été empêché d’exercer son droit d’être entendu et de bénéficier de l’assistance d’un conseil. Deuxièmement, le recours prévu par l’article 780 de la loi de procédure civile n’est pas utile dans le cas des mineurs non accompagnés car : a) les mineurs ne se voyant pas garantir l’assistance d’un conseil pendant les phases administratives précédentes, ils ne peuvent pas être informés des voies par lesquelles ils peuvent s’opposer à la décision concernant la détermination de leur âge ni s’en prévaloir ; b) la durée des procédures et la non-automaticité des mesures de protection mettent en évidence l’inefficacité du recours. En effet, bien que le Tribunal suprême ait, par le passé, fait droit à des demandes de mineurs qui se trouvaient dans une situation similaire à celle de l’auteur, dans de nombreux cas ces arrêts ont été rendus quand le recours avait perdu en partie sa raison d’être et que le mineur était devenu adulte. En outre, les recours ne donnent pas lieu à l’adoption de mesures de protection, ou donnent lieu à des mesures qui restent sans effet. De fait, dans le cas de l’auteur, un recours contre la décision de cessation de la tutelle assorti d’une demande de mesures de protection a été formé le 12 juillet, et, plus de deux mois après, aucune réponse n’avait été donnée concernant ces mesures, ce qui a laissé l’auteur, qui était mineur, sans tutelle. Troisièmement, l’auteur explique que la procédure de recours contre la décision de renvoi actuellement en instance n’est pas utile dans le cas d’un mineur en situation de rue qui se trouve sans protection ni tutelle, et qu’elle aurait pour seul résultat de rendre sans effet la décision d’expulsion et ne remédierait pas à la situation d’abandon. Quatrièmement, l’auteur indique que la Fundación Raíces a formé une demande en matière gracieuse aux fins de détermination de l’âge dans d’autres cas et que ces demandes ont été rejetées au motif qu’il ne s’agissait pas de la voie adéquate.

5.8Enfin, l’auteur explique que ses documents n’ayant pas été contestés devant les tribunaux, ils restent valides à tous égards pour les autres administrations publiques espagnoles, qui le considèrent comme mineur. De ce fait, si l’auteur doit suivre un traitement médical, demander l’asile ou s’enregistrer, il ne peut le faire car il a besoin de l’autorisation d’un tuteur alors qu’on ne lui en a pas assigné.

Observations de l’État partie sur le fond

6.1Dans des observations du 12 décembre 2017, l’État partie affirme qu’il n’y a pas eu violation du principe de l’intérêt supérieur de l’enfant, consacré par l’article 3 de la Convention, l’auteur étant majeur. Il précise que la présomption de minorité doit être appliquée uniquement en cas d’incertitude, mais pas lorsqu’il est manifeste que l’intéressé est majeur. L’État partie est parvenu à la conclusion qu’en l’espèce, la personne sans papiers semblant avoir atteint la majorité, les autorités pouvaient légalement la considérer comme étant majeure, sans qu’il soit nécessaire de procéder au moindre examen. L’État partie fait valoir que considérer comme mineur un adulte en l’absence de preuves irréfutables et sur la seule foi de la déclaration de la personne concernée ferait courir un risque important aux mineurs placés dans les centres d’accueil (qui pourraient être soumis à des violences et à des mauvais traitements de la part de l’adulte), ce qui constituerait une violation du principe de l’intérêt supérieur de l’enfant.

6.2L’État partie affirme également qu’il n’y a pas eu violation du principe de l’intérêt supérieur de l’enfant au regard de l’article 18 (par. 2) et de l’article 20 (par. 1) de la Convention, faisant valoir que : a) dès que l’auteur a foulé le sol espagnol, il a été pris en charge par les services de santé ; b) l’auteur s’est vu délivrer des documents et a bénéficié gratuitement et aux frais de l’État des services d’un avocat et d’un interprète ; c) la situation de l’auteur a été immédiatement signalée à l’autorité judiciaire compétente afin que le respect de ses droits soit assuré pendant le déroulement de la procédure découlant de son séjour irrégulier ; d) dès que l’auteur a dit être mineur, le parquet en a été informé et il a rendu une décision provisoire selon laquelle l’auteur était majeur, décision qui a été réexaminée à la demande de l’auteur, de sorte qu’on ne saurait dire qu’il y a eu défaut d’assistance juridique ou de protection ; e) au moment de l’envoi des observations sur le fond, l’auteur était en liberté et faisait l’objet d’un recours en protection formé par les autorités administratives compétentes pour son accompagnement social.

6.3Selon l’État partie, en supposant que l’auteur était mineur, il n’a pas non plus été porté atteinte à son droit à l’identité, protégé par l’article 8 de la Convention, puisque son identité déclarée a été enregistrée dès son entrée illégale sur le territoire espagnol.

6.4L’État partie affirme également qu’il n’a pas non plus été porté atteinte au droit d’être entendu, protégé par l’article 12 de la Convention. Il soutient que l’auteur a toujours eu la possibilité d’être entendu et de formuler tout grief qu’il estimait justifié. À cet égard, il a été entendu lorsqu’il était en état d’arrestation et qu’il a dit être mineur, lorsqu’il a désigné les avocats de son choix et lorsqu’il a choisi de refuser de se soumettre à des examens médicaux.

6.5Enfin, l’État partie affirme qu’il n’y a pas eu violation de l’article 20 de la Convention car celui-ci ne s’applique qu’aux personnes dont la minorité est incontestable. En l’espèce, le droit invoqué est tout simplement inapplicable.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernant le fond

7.1Dans des commentaires du 19 février 2018, l’auteur donne des renseignements à jour sur l’affaire, indiquant que l’État partie n’a toujours pas pris les mesures provisoires demandées par le Comité le 7 juin 2017 concernant son placement dans un centre de protection pour mineurs. Le 4 septembre 2017, le Tribunal de première instance no 23 de Madrid a invité l’auteur à se présenter devant lui dans un délai de dix jours afin qu’il statue sur la mesure de protection et sur le recours contre la décision administrative de cessation de la tutelle. Ignorant où se trouvait exactement l’auteur du fait de la non-application par l’État partie des mesures provisoires, le 16 octobre 2017, le Tribunal a déclaré la demande irrecevable et a classé l’affaire. Enfin, l’auteur a maintenant une carte NINA, nécessaire pour obtenir tout d’abord sa carte d’identité, puis son passeport, et qui, contenant des données biométriques, l’identifie de manière probante (par un numéro unique, ses empreintes digitales et une photographie).

7.2Pour ce qui est du fond de la communication, l’auteur soutient que les diverses décisions prises par l’État partie constituent une violation du principe de l’intérêt supérieur de l’enfant, notamment : a) le fait de le considérer comme étant sans papiers alors qu’il a produit un document d’identité qui apporte la preuve pleine et entière de son âge ; b) le fait de vouloir lui faire subir des examens médicaux aux fins de détermination de l’âge alors même qu’il est en possession d’un document d’identité ; c) le fait de le considérer comme majeur du seul fait qu’il a refusé de se soumettre à des examens aux fins de détermination de l’âge ; d) le fait de l’exclure du système de protection de l’enfance. L’auteur rappelle que le Comité s’est dit préoccupé par le recours généralisé à ce type d’examens, y compris dans des cas où les documents d’identité semblent authentiques, et ce malgré plusieurs arrêts du Tribunal suprême portant sur cette pratique.

7.3L’auteur fait valoir que l’on ne saurait affirmer que le parquet a agi comme une sorte de représentant légal chargé de veiller à ses intérêts, puisqu’il y a un conflit d’intérêts manifeste, comme la justice espagnole l’a déjà constaté. L’État partie n’a donc pas respecté l’obligation qui lui incombait d’assigner au mineur un tuteur ou un représentant légal. De même, les seules mesures de prise en charge et d’hébergement prises en faveur de l’auteur sont celles qui ont été prises pendant la brève période pendant laquelle il était placé au centre de protection des mineurs de Hortaleza. En outre, l’État partie fait valoir que l’auteur fait l’objet d’un recours en protection sociale subsidiaire formé par les autorités administratives. Cependant, il ne fournit aucune preuve et, à la connaissance de la Fundación Raíces, qui représente l’auteur, celui-ci se trouve à Almería − on ne sait pas précisément où −, et ne bénéficie d’aucun programme d’aide sociale.

7.4L’auteur affirme, en ce qui concerne la violation de l’article 8 de la Convention, que l’État partie a altéré des éléments importants de son identité en lui attribuant un âge et une date de naissance qui ne correspondent pas à ceux figurant dans ses documents officiels, dont la validité n’a pas officiellement contestée.

7.5L’auteur affirme que son droit d’être entendu, qu’il tient de l’article 12 de la Convention, a été violé à deux reprises. Il l’a été tout d’abord dans le cadre de la première procédure, au cours de laquelle son âge a été déterminé, parce qu’il n’avait ni tuteur ni conseil et que le formulaire de consentement éclairé n’indiquait pas quels examens médicaux seraient effectués, ni quelles seraient les conséquences d’un refus de donner son consentement. Puis, au cours de la deuxième procédure, l’auteur a eu un premier entretien auquel n’ont pris part ni son tuteur (qui n’a jamais été désigné) ni son conseil. Par la suite, lors de la deuxième entrevue, le conseil n’a pas été autorisé à intervenir lorsqu’il estimait que le procès-verbal de l’audition ne reflétait pas les propos de l’auteur. L’auteur estime que l’article 12 est lié à l’article 3 de la Convention car il porte sur la prise en compte de l’intérêt supérieur de l’enfant dans le cadre des procédures, principe qui, en l’espèce, n’a pas été respecté.

7.6L’auteur affirme qu’il y a eu violation de l’article 6 du Protocole facultatif car l’État partie n’a pas pris les mesures provisoires ordonnées par le Comité.

Intervention de tiers

8.Le 12 novembre 2018, le Défenseur français des droits a soumis, en qualité de tiers, une intervention portant sur la question de la détermination de l’âge et de la détention de mineurs dans des centres pour adultes dans l’attente de leur expulsion. Cette intervention a été transmise aux parties, qui ont été invitées à faire part de leurs commentaires. Les parties n’ont pas soumis de commentaires dans le cadre de la présente communication, mais les parties à la communication J. A. B. c. Espagne, au sujet de laquelle la même intervention de tiers a été soumise, ont formulé des commentaires. Dans ces commentaires, les deux parties ont précisé que ceux-ci s’appliquaient à toutes les communications au sujet desquelles ladite intervention avait été soumise.

Informations et observations complémentaires reçues des parties

Informations complémentaires reçues de l’auteur

9.1Le 31 octobre 2019, l’auteur communique des informations complémentaires, selon lesquelles, le 14 avril 2018, le consulat du Mali à Madrid lui avait délivré sa carte consulaire, confirmant ainsi son âge et son identité. Le 20 avril 2018, l’auteur a engagé une procédure ordinaire contre le ministère public pour obtenir la reconnaissance de la validité de tous les documents officiels qu’il a soumis (acte de naissance, carte d’identité consulaire et carte NINA), la reconnaissance de sa minorité et son placement sous la tutelle de la Communauté de Madrid. Il a demandé qu’un défenseur soit désigné d’office et, compte tenu de l’urgence, a déposé sa demande sans attendre que ce défenseur soit nommé, et a également demandé que soit prise une mesure provisoire de protection. Le 25 avril 2018, la demande a été déclarée irrecevable par le tribunal parce que l’auteur n’avait pas de représentant légal nommé par un juge. Cette décision a été notifiée à l’auteur le 3 mai 2018, trois jours après sa majorité. L’auteur n’a pas fait appel de la décision car, dans d’autres affaires similaires, les tribunaux avaient classé l’affaire une fois que les mineurs étaient devenus majeurs, au motif que l’action était devenue sans objet.

9.2Le 17 mai 2018, l’auteur a reçu son passeport original mais ne l’a présenté à aucune autorité car il était devenu majeur. Il indique qu’au moment où il écrit, il est en situation irrégulière et que la police pourrait donc ordonner son expulsion à tout moment.

Observations de l’État partie sur les informations complémentaires communiquées par l’auteur

9.3Le 19 novembre 2019, l’État partie a soumis des observations sur les informations complémentaires communiquées par l’auteur. Il y affirme que l’auteur a manqué à son devoir de loyauté en n’informant pas le Comité qu’il avait reçu son passeport et qu’il était devenu majeur le 30 avril 2018, ce qui signifie sa communication était subitement devenue sans objet. Il ajoute que les allégations de l’auteur ne sont pas cohérentes, car c’est précisément parce qu’il a reconnu que l’auteur était mineur que le juge a décidé qu’il n’avait pas capacité pour introduire l’action et qu’il aurait dû avoir un représentant légal nommé par un juge. Ainsi, les autorités judiciaires ont reconnu la validité des documents présentés et la minorité de l’auteur.

9.4L’État partie demande au Comité de mettre fin à l’examen de la communication car : a) les autorités judiciaires ont reconnu la validité du passeport présenté par l’auteur ; b) l’auteur n’a pas informé le Comité qu’il était devenu majeur ; c) la communication est devenue sans objet, l’auteur étant désormais majeur.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

10.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 20 de son règlement intérieur au titre du Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant établissant une procédure de présentation de communications, déterminer si la communication est recevable.

10.2Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel la communication est irrecevable ratione temporis car : a) l’auteur semblait être majeur ; b) l’examen médical pratiqué a établi qu’il était majeur ; c) l’acte de naissance de l’auteur ne comportait pas de données biométriques et ne prouvait donc pas qu’il était majeur ; d) l’auteur a menti sur sa nationalité et a donné des dates de naissancedifférentes; e) l’auteur a expressément refusé de subir d’autres examens médicaux. Le Comité constate toutefois que l’auteur a affirmé être mineur à son arrivée en Espagne et qu’il a soumis au parquet et au tribunal d’instruction une copie de son acte de naissance malien qui prouvait qu’il était mineur. Il prend note de l’argument de l’État partie selon lequel, l’acte de naissance ne comportant pas de données biométriques, les données qui y figurent ne peuvent pas être recoupées avec les renseignements donnés par l’auteur. Il rappelle que la charge de la preuve n’incombe pas exclusivement à l’auteur de la communication, d’autant plus que l’auteur et l’État partie n’ont pas toujours un accès égal aux éléments de preuve et que, très souvent, seul l’État partie dispose des informations pertinentes. En l’espèce, le Comité note que l’auteur fait valoir que, s’il avait des doutes quant à la validité de son acte de naissance, l’État partie aurait dû s’adresser aux autorités consulaires du Mali pour vérifier son identité, ce qu’il n’a pas fait, et qu’il aurait d’autant plus dû le faire quand l’auteur a entamé des démarches pour obtenir son passeport alors qu’il relevait du système de protection des mineurs et qu’il a présenté des pièces justificatives pour ce faire. Compte tenu de ce qui précède, le Comité considère que l’article 7 c) du Protocole facultatif ne fait pas obstacle à la recevabilité de la communication.

10.3Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel l’auteur n’a pas épuisé les recours internes disponibles car il aurait pu : a) saisir le parquet pour demander des examens médicaux supplémentaires ; b) demander au juge civil, conformément à la procédure prévue par l’article 780 de la loi de procédure civile, de réexaminer la décision en application de laquelle il n’a pas été placé sous tutelle ; c) recourir contre la décision de renvoi devant la juridiction administrative ; d) former, devant la juridiction civile, conformément à la loi no 15/2015, une demande en matière gracieuse aux fins de détermination de l’âge. Il prend également note des arguments de l’auteur selon lesquels les recours internes évoqués par l’État partie ne lui sont pas ouverts ou ne sont pas utiles. Il estime que, dans le contexte de l’expulsion imminente de l’auteur du territoire espagnol, tout recours qui se prolongerait excessivement ou qui ne suspendrait pas l’exécution de la décision d’expulsion ne peut pas être considéré comme utile. Il constate que l’État partie n’a pas démontré que les recours mentionnés suspendraient l’exécution de cette décision. Compte tenu de ce qui précède, le Comité conclut que l’article 7 e) du Protocole facultatif ne fait pas obstacle à la recevabilité de la communication.

10.4Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel il devrait être mis fin à l’examen de la communication parce que la minorité de l’auteur a été reconnue sur le fondement de son passeport et que, l’auteur étant devenu majeur, sa communication est devenue sans objet. Il fait observer qu’il n’est pas nécessaire que l’auteur d’une communication soit mineur pour qu’il soit statué sur celle-ci, ni même pour qu’elle puisse être soumise, pour autant que les violations alléguées aient été commises alors que l’auteur était mineur, comme c’est le cas en l’espèce. Par conséquent, l’article 7 f) du Protocole facultatif ne fait pas obstacle à la recevabilité de la communication. De même, le Comité considère que l’auteur n’a pas commis de violation ou d’abus de procédure en n’ayant pas fait le nécessaire pour l’informer directement qu’il était devenu majeur. En effet, l’auteur a atteint la majorité dix-huit ans après la date de naissance qu’il a déclarée tout au long de la procédure engagée devant le Comité, et cette majorité n’a d’incidence ni sur la recevabilité ni sur le fond de la communication.

10.5Le Comité considère que les griefs que l’auteur soulève au titre des articles 18 (par.2), 27 et 29 de la Convention n’ont pas été suffisamment étayés aux fins de la recevabilité et les déclare donc irrecevables au regard de l’article 7 f) du Protocole facultatif.

10.6Le Comité considère toutefois que l’auteur a suffisamment étayé les griefs qu’il soulève au titre des articles 3, 8, 12 et 20 de la Convention. Il déclare donc cette partie de la communication recevable et procède à son examen quant au fond.

Examen au fond

10.7Conformément au paragraphe 1 de l’article 10 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la communication à la lumière de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

10.8Le Comité doit notamment déterminer si, dans les circonstances de l’espèce, la procédure de détermination de l’âge à laquelle a été soumis l’auteur, qui a déclaré être mineur et a, par la suite, présenté son acte de naissance pour le prouver, a constitué une violation des droits reconnus par la Convention. L’auteur affirme en particulier que l’intérêt supérieur de l’enfant n’a pas été pris en compte au cours de cette procédure, étant donné le type d’examen médical pratiqué pour déterminer son âge et le fait qu’aucun un tuteur ou représentant n’a été désigné.

10.9Le Comité rappelle que la détermination de l’âge d’une personne jeune qui affirme être mineure revêt une importance capitale, puisque le résultat de cette procédure permet d’établir si la personne en question peut ou non prétendre à la protection de l’État en qualité d’enfant. De même, et cela est extrêmement important pour le Comité, la jouissance des droits consacrés par la Convention est liée à cette détermination. Il est donc impératif qu’il existe une procédure adéquate pour déterminer l’âge et qu’il soit possible d’en contester les résultats au moyen d’une procédure de recours. Tant que ces procédures sont en cours, l’intéressé doit se voir accorder le bénéfice du doute et être traité comme un enfant. Le Comité rappelle à cet égard que l’intérêt supérieur de l’enfant devrait être une considération primordiale tout au long de la procédure de détermination de l’âge.

10.10Le Comité rappelle également que les documents disponibles devraient être considérés comme authentiques, sauf preuve du contraire. En l’absence de documents d’identité ou d’autres moyens appropriés, « [p]our obtenir une estimation éclairée de l’âge, les États devraient procéder à une évaluation complète du développement physique et psychologique de l’enfant, qui soit effectuée par des pédiatres et d’autres professionnels capables de combiner différents aspects du développement. Ces évaluations devraient être faites sans attendre, d’une manière respectueuse de l’enfant, qui tienne compte de son sexe et soit culturellement adaptée, et comporter des entretiens avec l’enfant, dans une langue que celui-ci comprend. […] La personne évaluée devrait avoir le bénéfice du doute ».

10.11En l’espèce, le Comité constate que : a) afin de déterminer l’âge de l’auteur, qui était sans papiers lorsqu’il est entré sur le territoire espagnol, les autorités ont soumis l’intéressé à un examen médical consistant en une radiographie de sa main gauche, sans qu’aucun autre examen complémentaire, notamment aucune expertise psychologique, ne soit pratiqué et, d’après les informations dont le Comité dispose, sans que le moindre entretien ne soit conduit avec l’intéressé dans le cadre de cette procédure ; b) à la suite de ces examens, l’hôpital concerné a déterminé que l’âge osseux de l’auteur se situait entre 18 et 19 ans selon l’atlas de Greulich et Pyle, sans tenir compte du fait que les résultats d’un tel examen, qui ne permet pas d’établir des marges d’écart type pour cette tranche d’âge, ne peuvent pas nécessairement être extrapolés aux personnes présentant les caractéristiques de l’auteur ; c) sur la base du résultat de cet examen médical, le parquet a rendu une décision par laquelle il déclarait l’auteur majeur ; d) après que l’auteur a présenté son acte de naissance, le juge compétent a conclu que l’intéressé était mineur et l’a confié aux services de protection de l’enfance ; e) par la suite, le parquet spécialisé dans la protection des mineurs a convoqué l’auteur pour lui faire subir de nouveaux examens médicaux ; f) l’auteur ayant refusé de se soumettre à ces examens, le parquet l’a déclaré majeur, ce qui a mis fin à sa prise en charge par les services de protection des mineurs ; g) l’auteur n’était pas accompagné d’un tuteur pendant la procédure de détermination de l’âge à laquelle il a été soumis.

10.12Le Comité prend également note des nombreux éléments d’information versés au dossier qui tendent à montrer que les examens osseux manquent de précision et comportent une grande marge d’erreur, et qu’ils ne sauraient donc être la seule méthode utilisée pour déterminer l’âge chronologique d’une personne jeune qui affirme être mineure et qui présente des documents à l’appui de ses dires.

10.13Le Comité note que l’État partie affirme que l’auteur avait manifestement l’apparence d’une personne majeure. Il rappelle toutefois son observation générale no 6, dans laquelle il établit qu’il ne faut pas se fonder uniquement sur l’apparence physique de l’individu mais aussi sur son degré de maturité psychologique, et que l’évaluation doit être menée scientifiquement, dans le souci de la sécurité de l’enfant, de manière adaptée à son statut d’enfant et à son sexe et équitablement, et qu’en cas d’incertitude persistante, le bénéfice du doute doit être accordé à l’intéressé, qu’il convient de traiter comme un enfant si la possibilité existe qu’il s’agisse effectivement d’un mineur.

10.14Le Comité note en outre que l’auteur affirme qu’aucun tuteur ou représentant ne lui a été assigné pour défendre ses intérêts en tant que personne pouvant être un enfant migrant non accompagné, ni avant ni pendant la procédure de détermination de l’âge à laquelle il a été soumis et à l’issue de laquelle le parquet a conclu qu’il était majeur. Il rappelle que les États parties sont tenus d’assurer à tous les jeunes étrangers qui affirment être mineurs, le plus rapidement possible après leur arrivée sur le territoire, l’assistance gratuite d’un représentant légal qualifié et, le cas échéant, d’un interprète. Il considère que le fait d’assurer la représentation de ces personnes pendant la procédure de détermination de leur âge constitue une garantie essentielle pour le respect de leur intérêt supérieur et de leur droit d’être entendues, le rôle joué par le parquet spécialisé dans la protection des mineurs n’étant pas suffisant à cet égard. Ne pas le faire constitue une violation des articles 3 et 12 de la Convention, puisque la procédure de détermination de l’âge est le point de départ de l’application de la Convention. Le défaut de représentation adéquate peut donner lieu à une grave injustice.

10.15Le Comité note également que l’État partie affirme qu’un mineur non accompagné est considéré comme ayant des papiers dès lors qu’il est en possession d’un passeport ou d’un document d’identité analogue comportant des données biométriques qui atteste son âge. Non seulement s’agit-il d’une exigence que ne pose pas la jurisprudence du Tribunal suprême de l’État partie lui-même (par. 5.4, supra), mais on ne saurait agir dans un sens contraire à ce qu’établi un acte de naissance original et officiel délivré par un pays souverain sans avoir officiellement contesté ce document.

10.16Compte tenu de ce qui précède, le Comité considère que la procédure de détermination de l’âge à laquelle a été soumis l’auteur, qui affirmait être un enfant, n’était pas assortie des garanties nécessaires à la protection des droits que celui-ci tient de la Convention. Il note cet égard que l’acte de naissance officiel et original de l’auteur, délivré par un pays souverain, n’a pas été pris en considération, que l’auteur a été déclaré majeur après qu’il a refusé de subir des examens de détermination de l’âge et qu’aucun tuteur n’a été désigné pour l’accompagner pendant cette procédure. En conséquence, il estime que l’intérêt supérieur de l’auteur en tant qu’enfant n’a pas été une considération primordiale pendant la procédure de détermination de l’âge à laquelle il a été soumis, en violation des articles 3 et 12 de la Convention.

10.17 Le Comité note également que l’auteur affirme que l’État partie a violé les droits qu’il tient de l’article 8 de la Convention car il a porté atteinte à certains éléments de son identité en lui attribuant un âge qui ne correspondait pas aux informations figurant sur le document officiel délivré par son pays d’origine. Le Comité considère que la date de naissance d’un enfant fait partie de son identité et que les États sont tenus de respecter le droit de l’enfant de préserver son identité, sans le priver d’aucun des éléments qui la constituent. En l’espèce, il constate que l’État partie n’a pas respecté l’identité de l’auteur dès lors qu’il a refusé d’accorder toute valeur probante à l’acte de naissance attestant sa minorité, sans même en avoir contrôlé la validité ni avoir vérifié les données qui y figuraient auprès des autorités du pays d’origine de l’auteur. En conséquence, le Comité conclut que l’État partie a commis une violation de l’article 8 de la Convention.

10.18Le Comité prend également note des affirmations de l’auteur, non contestées par l’État partie, concernant le fait que l’État ne l’a pas protégé dans la situation d’abandon et de grande vulnérabilité dans laquelle il se trouvait en tant que mineur migrant non accompagné, et la contradiction qu’il y a à déclarer l’auteur majeur tout en exigeant qu’il ait un tuteur pour effectuer des démarches administratives telles que, par exemple, celles liées à la santé. Il constate que l’auteur n’a pas été protégé, même après qu’il a présenté aux autorités espagnoles son acte de naissance, qui confirmait sa qualité d’enfant, et alors qu’un juge avait décidé sa prise en charge par le système de protection des mineurs, en raison d’une décision rendue par le parquet du simple fait qu’il refusait de se soumettre à des examens médicaux dont la précision est sérieusement remise en question. En conséquence, le Comité considère que ces faits constituent une violation du paragraphe 1 de l’article 20.

10.19Enfin, le Comité prend note des allégations de l’auteur concernant l’inexécution par l’État partie de la mesure provisoire consistant à le placer dans un centre de protection pour mineurs. Il rappelle qu’en ratifiant le Protocole facultatif, les États parties se sont engagés à mettre en œuvre les mesures provisoires demandées en application de l’article 6 du Protocole afin d’éviter qu’un préjudice irréparable ne soit causé alors qu’une communication est en cours d’examen, l’objectif étant d’assurer l’efficacité de la procédure de présentation de communications émanant de particuliers. En l’espèce, il prend note de l’argument de l’État partie selon lequel le placement de l’auteur dans un centre de protection de l’enfance pourrait faire courir un risque important aux enfants qui se trouvent dans ce centre. Il observe toutefois que cet argument est fondé sur l’hypothèse que l’auteur est majeur. Il estime que le risque encouru est bien plus grand lorsqu’une personne potentiellement mineure est envoyée dans un centre accueillant uniquement des personnes reconnues comme adultes. En conséquence, il considère que la non-application de la mesure provisoire demandée constitue en elle-même une violation de l’article 6 du Protocole facultatif.

10.20Le Comité des droits de l’enfant, agissant en vertu du paragraphe 5 de l’article 10 du Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant établissant une procédure de présentation de communications, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation des articles 3, 8, 12, 20 (par. 1) de la Convention et de l’article 6 du Protocole facultatif.

11.En conséquence, l’État partie est tenu d’accorder à l’auteur une réparation effective pour les violations subies, y compris de lui donner la possibilité de régulariser sa situation administrative dans le pays. Il est également tenu de veiller à ce que de telles violations ne se reproduisent pas. À cet égard, le Comité lui recommande :

a)De garantir que toute procédure visant à déterminer l’âge de jeunes gens qui affirment être mineurs soit conforme à la Convention et en particulier : i) que, lors de cette procédure, les documents présentés par les jeunes gens en question soient pris en considération et, lorsque ces documents ont été délivrés ou certifiés valides par les États émetteurs ou par les ambassades, qu’ils soient acceptés comme authentiques ; ii) que les jeunes gens concernés se voient assigner sans délai et gratuitement un représentant légal qualifié ou un autre représentant que les avocats privés désignés pour les représenter soient reconnus et que tous les représentants légaux ou autres représentants soient autorisés à assister ces personnes au cours de la procédure ;

b)De faire en sorte que les jeunes non accompagnés qui affirment avoir moins de 18 ans se voient assigner un tuteur compétent le plus rapidement possible, y compris lorsque la procédure de détermination de l’âge est encore en cours ;

c)De mettre en place un mécanisme de réparation efficace et accessible pour les jeunes migrants non accompagnés qui affirment être âgés de moins de 18 ans, afin qu’ils puissent demander le réexamen des décisions des autorités par lesquelles ils ont été déclarés majeurs, dans les cas où la procédure de détermination de leur âge a été menée sans les garanties nécessaires pour protéger leur intérêt supérieur et leur droit d’être entendu ;

d)De dispenser aux agents des services de l’immigration, aux policiers, aux fonctionnaires du ministère public, aux juges et aux autres professionnels concernés des formations sur les droits des mineurs migrants, et en particulier sur les observations générales nos 6, 22 et 23 du Comité.

12.Conformément à l’article 11 du Protocole facultatif, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dès que possible et dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. Il demande en outre à l’État partie d’inclure des informations sur ces mesures dans les rapports qu’il présentera au titre de l’article 44 de la Convention. Enfin, l’État partie est invité à rendre publiques les présentes constatations et à les diffuser largement.