Communication p résentée par :

F. F. M. (représentée par son conseil, Daniel Norrung)

Victime présumée :

L’auteure

État partie :

Danemark

Date de la communication :

4 juillet 2014 (date de la lettre initiale)

Références :

Document communiqué à l’État partie le 8 juillet 2014 (non publié)

Date d ’ adoption des considérations:

21 juillet 2017

L’auteure de la communication datée du 4 juillet 2014 est F. F. M, une femme de nationalité somalienne, née en 1987, qui réside au Danemark. Elle affirme que son expulsion constituerait une violation par le Danemark des articles 1, 2, 3, 5 et 16 de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes. La Convention et le Protocole facultatif s’y rapportant sont entrés en vigueur dans l’État partie en 1983 et en 2000, respectivement. L’auteure est représentée par un conseil, Daniel Norrung.

La demande d’asile présentée par l’auteure a été rejetée le 8 avril 2014 par le service danois de l’immigration. La Commission de recours des réfugiés a rejeté l’appel de cette décision le 23 juin. Au moment où elle a présenté sa communication et sa demande de mesures conservatoires, l’auteure était en attente d’expulsion. Le 6 juillet, agissant par l’intermédiaire de son Groupe de travail sur les communications, le Comité a prié l’État partie de ne pas expulser l’auteure vers la Somalie avant qu’il n’ait examiné son dossier, conformément au paragraphe 1) de l’article 5 du Protocole facultatif et à l’article 63 de son règlement intérieur.

Rappel des faits présentés par l’auteure

2.1L’auteure est née dans le village de Jeerow, près de Qoryoley, dans le sud de la Somalie. Elle y a vécu jusqu’en novembre 2012. En 2010, l’auteure est tombée amoureuse d’un homme qu’elle a rencontré à l’école qu’ils fréquentaient tous les deux et a commencé une relation avec lui. Dans les trois ou quatre mois qui ont suivi, la famille de son compagnon a pris connaissance de leur liaison et s’est opposée à cette relation parce que l’auteure appartenait à un clan inférieur. Par ailleurs, le compagnon de l’auteure étant le seul garçon de la famille, la famille a refusé qu’il l’épouse et a menacé de la tuer. À la fin de 2010 ou au début de 2011, des femmes de la famille du compagnon se sont rendues au domicile de l’auteure, l’ont aspergée d’eau bouillante et l’ont poignardée. Elle en garde des cicatrices sur le bras, la main et le genou. Elle a été poignardée au bras, au genou et à la tempe. Les agresseuses ont tenté de la poignarder dans le cou, mais n’y sont pas parvenues. Après cette agression, l’auteure a été contrainte de quitter l’école qu’elle fréquentait afin d’éviter la famille de son compagnon, par peur de nouvelles violences.

2.2En 2012, le père de l’auteure a proposé à cette dernière d’épouser un riche membre du Mouvement des Chabab. L’auteure a refusé et secrètement épousé son compagnon le 9 novembre 2012. Elle a détruit le certificat de mariage de peur d’être tuée si le mariage venait à être découvert. Toutefois, les deux familles ont fini par le découvrir. L’auteure a subi des persécutions croissantes de la part de la famille de son mari, qui ont fini par mener de violentes attaques au domicile de sa famille, les 13 et 16 novembre. L’auteure n’était pas présente ces jours-là. Lors de la dernière attaque, la belle-mère de l’auteure a été assassinée pour avoir été confondue avec l’auteure. Elle avait été attaquée à la machette, par derrière, par la belle-mère de l’auteure. Ayant entendu parler des faits, des membres du Mouvement des Chabab ont publiquement déclaré que, conformément à la charia, l’auteure devait être punie pour avoir épousé quelqu’un contre la volonté de ses parents et qu’elle devait leur être remise à cette fin.

2.3L’auteure indique que sa tante paternelle lui a conseillé de fuir parce qu’une autre fille du village, qui s’était trouvée dans une situation semblable, avait fini par être lapidée à mort. La tante et un cousin de l’auteure ont organisé la fuite de l’auteure, au moyen d’un camion qui devait livrer des légumes à Qoryoley le 20 novembre 2012. De là, elle s’est rendue à Mogadiscio. L’auteure affirme qu’elle n’a pu parler qu’une fois avec son mari depuis son départ de Somalie, alors qu’elle se trouvait en Turquie. Celui-ci l’aurait alors informée que son père avait été enlevé par les Chabab à cause de ce qu’elle avait fait.

2.4L’auteure a voyagé par avion de Mogadiscio jusqu’à la Turquie en utilisant de faux papiers d’identité, puis elle est arrivée en Grèce par bateau. Elle s’est presque noyée lorsque l’embarcation a chaviré et souffre encore de problèmes d’audition depuis cet événement. Après sept mois en Grèce, elle s’est rendue, par avion, au Danemark, où elle a déposé une demande d’asile le lendemain de son arrivée, le 2 août 2013.

2.5La demande d’asile de l’auteure a été rejetée par le service de l’immigration, qui a jugé que son récit manquait de crédibilité. De plus, l’auteure a été soumise à un test linguistique d’où il est ressorti qu’elle venait du nord de la Somalie, alors qu’elle avait déclaré être originaire du sud. Elle fait valoir que le test linguistique a été administré par un Somalien de Mogadiscio, qui était spécialisé en économie et non en linguistique. En outre, elle déclare qu’aucune étude de terrain connue n’a été menée en Somalie depuis les années 1980 et qu’il y a eu de nombreux déplacements de population depuis lors, en raison des troubles politiques. L’auteure appelle l’attention sur le fait qu’elle a été en mesure de fournir des informations extrêmement détaillées sur son village natal et que les autorités de l’État partie ne les ont pas contestées.

2.6Après son dernier entretien avec le service de l’immigration, l’auteure a appris que son récit n’avait pas été jugé crédible. Elle a alors contacté une fille originaire du même village qu’elle, qu’elle avait rencontrée en Grèce. La jeune fille a aidé l’auteure à entrer en contact avec un ancien professeur, qui lui a fourni une copie scannée du certificat de sa dernière année scolaire. L’auteure a fourni le certificat à la Commission de recours des réfugiés afin de prouver la véracité de ses propos concernant son village d’origine. Le professeur a également dit à l’auteure que son père, dont elle savait qu’il avait été enlevé par les Chabab, avait été tué, et que les Chabab exerçaient un contrôle strict sur Jeerow. Les coordonnées du professeur et le courriel qu’il avait envoyé ont été communiqués à la Commission, de même que les coordonnées de la fille qui avait fait la liaison.

2.7L’auteure a également pris contact avec un homme de son village qu’elle avait rencontré à Copenhague, et qui a fourni un témoignage à la Commission. L’homme a déclaré être originaire de Kismayo, mais avoir quitté la ville dans les années 1990. Il connaissait le père de l’auteure pour avoir fait appel aux services de son garage à plusieurs reprises au milieu des années 1980, quand les camions de sa famille tombaient en panne.

2.8L’auteure a également proposé de se soumettre à un examen médical pour étayer son récit des attaques qu’elle a subies des mains de la famille de son mari. Son offre a été rejetée.

2.9Le 23 juin 2014, la Commission a confirmé la décision du service danois de l’immigration. L’auteure a reçu l’ordre de quitter le Danemark le 7 juillet 2015 au plus tard. Elle a déclaré qu’elle avait épuisé les recours internes.

Teneur de la plainte

3.1En vertu des articles 1, 2, 3, 5 et 16 de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes et de la recommandation générale no 19 (1992) sur la violence à l’égard des femmes, tous les États parties sont tenus de ne pas expulser des personnes qui risquent de subir des violences sexistes après leur retour dans leur pays d’origine. L’auteure déclare qu’elle a expliqué aux services de l’immigration qu’elle avait subi des atteintes graves, notamment des menaces de mort émanant du clan de son mari et des militants Chabab. Pourtant, les services d’immigration n’ont pas cherché à mener une enquête et n’ont pas même accédé à sa demande d’examen médical dans le centre d’accueil des demandeurs d’asile. Ils n’ont pas non plus permis à l’auteure d’être examinée par un spécialiste, qui aurait pu établir la nature et la cause de ses blessures et autres problèmes médicaux, à l’appui de sa requête.

3.2L’auteure déclare en outre que la Commission de recours des réfugiés a rejeté la demande qu’elle lui avait faite, si elle n’était pas en mesure de lui accorder l’asile sur la base des informations dont elle disposait, d’ajourner la clôture de son dossier afin de pouvoir faire des recherches au sujet du certificat scolaire, grâce aux coordonnées de son ancien professeur et à celles de la personne qui l’avait mise en relation avec lui.

3.3En conséquence, les quelques éléments de son dossier médical ont dû être demandés par le conseil de l’auteure, avant son entretien avec la Commission. Or, malgré les informations contenues dans son dossier médical qui confirmaient les problèmes cardiaques et auditifs de l’auteure ainsi que l’agression violente qu’elle disait avoir subie, la Commission a rejeté la demande, sans enquêter davantage. Une enquête approfondie fondée sur le Manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Protocole d’Istanbul) aurait permis d’obtenir une base solide pour mieux apprécier la crédibilité de l’auteure.

3.4Le conseil de l’auteure déclare que la violation des dispositions de la Convention a été mentionnée pendant l’audience du 23 juin 2014 mais que cette mention ne figure pas dans la décision de la Commission.

3.5L’auteure affirme par conséquent que si elle était renvoyée en Somalie, sa vie et sa santé seraient en danger à cause du risque d’attaques répétées de la part de la famille et du clan de son mari et des Chabab qui contrôlent de nombreuses régions du sud de la Somalie. Son renvoi constituerait par conséquent une violation des articles 1, 2, 3, 5 et 16 de la Convention. Elle affirme également que son renvoi constituerait une violation des articles 3, 6 et 7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques parce que sa vie et sa santé seraient en danger. Elle affirme donc que l’État partie a apprécié son dossier de façon erronée en ne tenant pas compte de certains éléments de preuve et en ne cherchant pas à clarifier les points soulevant le doute, et qu’il n’a donc pas respecté ses obligations au titre de la Convention.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Le 8 janvier 2014, l’État partie a présenté ses observations sur la recevabilité et le fond de la communication et a demandé que les mesures conservatoires soient levées. L’État partie affirme que l’auteure n’a pas démontré qu’à première vue sa communication était recevable au titre du paragraphe 2 c) de l’article 4 du Protocole facultatif, car elle n’a pas fourni assez d’éléments attestant qu’elle courait personnellement un risque prévisible et réel de subir des formes graves de violence sexiste si elle retournait en Somalie. Il estime que la communication étant manifestement infondée, elle doit être rejetée. Il affirme que la communication doit être déclarée irrecevable par manque d’éléments de preuve ou, si elle était jugée recevable, elle devrait être rejetée au titre du fond par manque d’éléments attestant que l’auteure serait exposée à un risque de violence sexiste grave à son retour en Somalie.

4.2L’État partie souligne que l’auteure a allégué des violations non seulement de la Convention, mais également du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Notant qu’il ne relève pas de la compétence du Comité d’examiner les plaintes déposées au titre du Pacte, toutes les plaintes déposées à ce titre devraient être jugées irrecevables car elles sont incompatibles avec les dispositions de la Convention, au sens du paragraphe 2) b) de l’article 4 du Protocole facultatif.

4.3L’État partie renvoie à la décision du 23 juin 2014, dans laquelle la Commission de recours des réfugiés a indiqué que l’auteure n’avait pas été en mesure d’expliquer de façon crédible les raisons qui l’avaient poussée à quitter la Somalie. La Commission a conclu que les motifs de la demande d’asile manquaient de logique interne et semblaient avoir été inventés. La Commission a fait valoir que l’auteure avait fait des déclarations incohérentes sur des points essentiels.

4.4La Commission a noté qu’avant le rejet de sa demande d’asile, l’auteure n’avait pas dit que des membres de la famille de son mari lui avaient infligé des brûlures et des coups de couteau. Même si l’existence de lésions pouvant avoir été causées par des coups de couteau et des brûlures était établie, la Commission a considéré que l’imputation des lésions à telle agression n’avait pas été corroborée de façon plausible.

4.5De plus, l’auteure n’a pas été en mesure d’expliquer de façon convaincante pourquoi elle s’était mariée en secret alors qu’elle avait déclaré que son compagnon et elle avaient eu peur d’annoncer leur mariage publiquement et qu’elle avait détruit son certificat de mariage pour cette raison.

4.6En outre, la Commission de recours a souligné le résultat de l’analyse linguistique, selon lequel il était indéniable que la langue dans laquelle s’exprimait la requérante ne correspondait pas à la famille linguistique à laquelle appartenait le village dont elle déclarait être originaire. Sur la base de ce résultat et du manque de crédibilité générale de l’auteure, la Commission a conclu que l’auteure n’avait pas été en mesure d’établir de façon plausible qu’elle était originaire de Jeerow.

4.7La Commission de recours a indiqué dans sa décision que le certificat scolaire produit par l’auteure n’aurait pas conduit à un résultat différent. Elle a également conclu que l’examen de la déclaration du témoin, selon laquelle il connaissait en 1988 une personne portant le même nom que le père de l’auteure (nom très commun en Somalie), n’aurait pas non plus modifié l’évaluation.

4.8L’État partie donne aussi une description complète de l’organisation, de la composition, des fonctions, des prérogatives et de la compétence de la Commission de recours et des garanties en place pour les demandeurs d’asile, notamment la représentation juridique, la présence d’un interprète et la possibilité pour le demandeur de faire une déclaration à l’audience en appel. Il précise aussi que la Commission dispose d’un ensemble complet de documents de référence généraux sur la situation dans les différents pays d’origine des demandeurs d’asile au Danemark, actualisés et complétés en permanence à partir de multiples sources reconnues, et que tous ces éléments sont pris en compte dans l’examen des dossiers.

4.9Quant à la communication de l’auteure, l’État partie fait valoir que celle-ci n’a pas fait observer que l’État partie avait violé des dispositions de la Convention pendant la procédure d’examen de son dossier au Danemark. Sa communication ne concerne que les risques auxquels elle serait exposée en cas de retour en Somalie. Par conséquent, l’État partie est d’avis que l’auteure ne se fonde sur la Convention qu’à titre extraterritorial. Dans l’affaire M. N. N. c. Danemark, le Comité a fait des observations sur l’effet extraterritorial de la Convention. L’État partie cite les propos du Comité, selon lesquels un État partie serait coupable de violation de la Convention s’il renvoyait une personne dans un autre État dans des circonstances où il est prévisible qu’elle serait soumise à des formes graves de violence sexiste. L’État partie fait par conséquent valoir que la Convention n’a de portée extraterritoriale que si l’auteure court personnellement un risque prévisible et réel de subir des formes graves de violence sexiste. Il faut, en outre, que la conséquence nécessaire et prévisible de l’expulsion soit que les droits de la personne au titre de la Convention seront violés dans un autre pays.

4.10En ce qui concerne l’évaluation de la crédibilité, l’État partie renvoie à la déclaration faite par l’auteure à l’audience de la Commission de recours le 23 juin 2014, selon laquelle la famille de son mari l’avait violemment agressée à son domicile en 2010. L’État partie note qu’elle n’a pas mentionné ce fait dans sa demande d’asile du 6 août 2013, ni lors de son entretien de pré-évaluation le 28 août 2013, ni lors de ses entretiens de fond les 16 janvier et 1er avril 2014. Au contraire, à l’occasion de ces entretiens, elle a toujours déclaré qu’elle n’était pas chez elle lorsque la famille de son mari essayait de la trouver à son domicile. Elle n’a pas non plus été en mesure de fournir une explication raisonnable quant au fait qu’elle n’avait révélé ce point que tardivement. Par conséquent, indépendamment de la question de savoir si les cicatrices de l’auteure peuvent avoir été causées par des coups de couteau et des brûlures, elle n’a pas établi de manière plausible qu’elles avaient été causées par une agression commise par la famille de son mari.

4.11L’État partie a réitéré que la Commission de recours avait insisté sur le fait que l’auteure n’avait pas été en mesure d’expliquer de façon convaincante pour quel motif elle s’était mariée en secret, alors qu’elle avait dit qu’elle et son compagnon craignaient de révéler qu’ils s’étaient mariés et avaient déchiré le certificat de mariage.

4.12En outre, l’État partie s’appuie sur les résultats de l’analyse linguistique demandée par le service danois de l’immigration, dont il fait valoir qu’ils ne correspondent aucunement à la famille linguistique à laquelle l’auteure dit appartenir. Il ressort de l’analyse que l’auteure serait originaire du nord de la Somalie. L’État partie note en outre que l’auteure n’a pas relevé d’erreurs ou d’omissions dans les résultats de l’analyse linguistique. La méthodologie employée est clairement établie dans le rapport et il apparaît que le rapport a été élaboré par un linguiste en collaboration avec un analyste. L’analyste est né et a grandi à Mogadiscio, dans le sud de la Somalie. L’État partie affirme que des considérations plus générales sur l’analyse linguistique ne sauraient conduire à une évaluation différente. L’État partie fait également observer que, comme la Commission de recours l’avait expressément déclaré, le rapport n’est qu’un des nombreux éléments pris en considération lors de l’évaluation des éléments du dossier.

4.13L’État partie renvoie à la réponse de l’auteure lorsqu’elle a pris connaissance des résultats de l’analyse linguistique. Elle a déclaré qu’elle n’avait jamais été dans le nord de la Somalie et que, durant ses neuf mois de voyage entre la Somalie et le Danemark, elle avait été en contact avec un certain nombre de Somaliens qui parlaient des dialectes différents et que ceux-ci avaient pu l’influencer. Elle n’a pas fourni d’autre explication et a continué d’affirmer qu’elle était originaire de Jeerow.

4.14Il résulte de ce qui précède que la Commission de recours n’a pas pu considérer comme crédibles les déclarations de l’auteure concernant les motifs de sa demande d’asile ou de sa région d’origine en Somalie. La Commission n’a pas non plus conclu que les nouveaux éléments fournis, à savoir le certificat d’examen scolaire que l’auteure a fourni juste avant son audience devant la Commission le 23 juin 2014 et les propos, entendus à la même audience, du témoin ayant déclaré qu’il avait connu le père de l’auteure dans les années 1980 justifiaient de modifier l’évaluation. L’État partie fait observer qu’aucun de ces éléments de preuve n’a été présenté à l’appui de la demande qu’elle avait soumise au service danois de l’immigration. Au contraire, l’auteure avait affirmé qu’à part une unique conversation avec son époux, le 26 novembre 2012, alors qu’elle se trouvait en Turquie, elle n’avait eu aucun contact avec des personnes de son pays d’origine depuis son arrivée en Europe. Elle a déclaré que son embarcation avait chaviré pendant le trajet vers la Grèce et qu’elle avait perdu tous les numéros de téléphone et coordonnées des membres de sa famille.

4.15S’agissant de l’apparition du certificat d’examen scolaire daté du 28 août 2010, qui a été transmis à la Commission par le conseil de l’auteure avant l’audience du 13 juin 2014, l’auteure a déclaré qu’en Grèce elle avait rencontré une fille originaire de son village en Somalie. La fille avait entendu parler de l’auteure par des connaissances qui avaient appris qu’elles venaient toutes deux de Jeerow. La fille avait aidé l’auteure à entrer en rapport avec son ancien professeur. Le professeur a dit à l’auteure que son père avait été tué par les Chabab. Les coordonnées du professeur et de la fille ont été communiquées à la Commission de recours. À cet égard, l’État partie fait observer que l’information fournie au Comité le 4 juillet 2014 contredit l’information fournie au service danois de l’immigration, selon laquelle l’auteure n’avait eu aucun contact avec des gens de son village. L’État partie fait en outre valoir que ces dernières informations ne semblent pas crédibles.

4.16En ce qui concerne le témoin, l’État partie fait observer qu’il ressort des informations fournies par le conseil que l’auteure a fait connaissance avec le témoin dans un lieu de rencontre des Somaliens à Copenhague, qu’il est originaire de Kismayo, qu’il a quitté dans les années 1990, et qu’il connaissait le père de l’auteure parce que ses véhicules avaient été réparés dans son garage à Jeerow dans les années 1980. Le témoin a déclaré que sa famille avait fait appel à ce garage à de nombreuses reprises, même s’il se trouvait à 300 kilomètres de Kismayo, car il était connu pour l’excellence de ses services. Il a déclaré avoir vu le père de l’auteure pour la dernière fois entre 1987 et 1988. L’État partie a conclu qu’il ne pouvait ajouter que peu de crédit à ces déclarations, qu’il a jugées limitées et incomplètes, car elles ressemblaient à une plaidoirie en faveur du dossier de l’auteure. Quant à la déclaration faite par le conseil de l’auteure, selon laquelle l’État partie aurait mal compris la déposition du témoin concernant l’âge qu’il avait lorsqu’il a quitté la Somalie, l’État partie fait valoir que cette possibilité n’aurait pas eu d’incidence sur l’évaluation du dossier, car la déclaration du témoin avait été prise en compte dans l’appréciation globale de la crédibilité de l’auteure.

4.17L’État partie souscrit à l’appréciation de la Commission de recours et fait observer que le fait que l’auteure ait été en mesure de répondre à des questions sur le village de Jeerow, y compris de préciser où il se trouvait dans la région du Bas-Chébéli (sud de la Somalie), sa taille, ses commerces et les cultures qui y étaient pratiquées, ne prouve pas qu’elle en soit originaire.

4.18Au regard de ce qui précède et sur la base d’une appréciation globale des éléments de preuve fournis par l’auteure et le témoin, comparés aux autres informations figurant dans le dossier, y compris le rapport de l’analyse linguistique et des informations sur le contexte, la Commission de recours a conclu que les détails fournis par l’auteure sur les motifs de sa demande d’asile et sur son lieu d’origine en Somalie ne pouvaient être considérés comme des faits établis. L’État partie souscrit à l’appréciation de la Commission de recours.

4.19Comme il ressort de la décision de la Commission en date du 23 juin 2014, la Commission, qui est un organe quasi-judiciaire, a procédé à un examen approfondi de la demande d’asile, conformément à ses procédures établies. L’auteure a eu la possibilité d’exposer oralement ses observations. La Commission a par conséquent eu l’occasion de voir l’auteure, de l’entendre et d’apprécier son comportement, et a conclu, sur la base des informations dont elle disposait, que l’auteure n’avait pas été en mesure d’étayer sa demande d’asile, ni de prouver qu’elle était bien originaire d’un village du sud de la Somalie.

4.20L’État partie rappelle que, dans la communication qu’elle a adressée le 4 juillet 2014 à la Commission, l’auteure n’a fourni aucune information nouvelle précise au sujet de sa situation. L’État partie est d’avis que l’auteure n’accepte pas les conclusions de l’évaluation de crédibilité et qu’elle n’a pas été en mesure de détecter quelque irrégularité que ce soit dans le processus de prise de décisions ni aucun élément que la Commission aurait omis de prendre en compte. Il estime par conséquent que l’auteure cherche en réalité à obtenir du Comité qu’il agisse comme un organe d’appel, afin qu’il soit procédé à un nouvel examen des éléments de fait invoqués à l’appui de sa demande d’asile. Il fait valoir que le Comité doit accorder un poids considérable aux conclusions de la Commission de recours, qui est la mieux placée pour évaluer les éléments de fait du dossier. Il appelle l’attention du Comité sur une décision de la Cour européenne des droits de l’homme concernant l’affaire R. C. c. Suède dans laquelle la Cour a reconnu que les autorités nationales étaient les mieux placées pour évaluer non seulement les faits mais aussi la crédibilité des témoins qu’elles pouvaient voir et entendre et dont elles pouvaient apprécier le comportement. Ce point a également été réaffirmé dans la décision de la Cour européenne concernant l’affaire M. E.c.Suède.

4.21Par conséquent, l’État partie est d’avis qu’il n’y a aucune raison de remettre en cause, et moins encore de rejeter l’appréciation de la Commission de recours, selon laquelle l’auteure n’a pas prouvé de façon convaincante qu’elle subirait des persécutions ou des atteintes pertinentes au regard du droit d’asile, si elle retournait en Somalie. Il estime donc que le renvoi de l’auteure en Somalie ne constitue pas une violation des articles 1, 2, 3, 5 ou 16 de la Convention, ni de la recommandation générale no 19 du Comité, ni de l’article 7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

4.22En conclusion, l’État partie affirme que l’auteure n’a pas démontré qu’à première vue sa communication était recevable au titre du paragraphe 2 c) de l’article 4 du Protocole facultatif et fait par conséquent valoir que la communication est manifestement infondée et doit être déclarée irrecevable. En outre, les parties de la communication qui renvoient aux dispositions du Pacte devraient être considérées comme irrecevables parce qu’elles sont incompatibles avec les dispositions de la Convention, au sens du paragraphe 2 b) de l’article 4 du Protocole facultatif. L’État partie conclut en outre que, même si le Comité devait déclarer la communication recevable, il n’a pas été établi qu’il existait des motifs sérieux de croire que le renvoi de l’auteure en Somalie constituerait une violation de la Convention.

Commentaires de l’auteure sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond

5.1Le 17 août 2015, l’auteure a présenté ses commentaires sur les observations de l’État partie, notamment les réponses à la demande de précisions du Comité.

5.2L’auteure a réaffirmé sa position selon laquelle la communication devrait être déclarée recevable et que son expulsion vers la Somalie violerait les obligations de l’État partie au titre des articles 1, 2, 3, 5 et 16 de la Convention ainsi que de la recommandation générale no 19 du Comité.

5.3L’auteure renvoie le Comité à l’exposé détaillé de sa situation qui figure dans les documents relatifs à sa procédure d’asile qui ont été traduits par les soins de l’État partie et où il est question de l’endroit où elle vivait en Somalie, du métier de son père, de son mariage et de certains éléments de l’histoire de son clan.

5.4En ce qui concerne son époux, elle affirme qu’elle ne l’a pas revu depuis son départ de Mogadiscio, où elle avait séjourné avec un agent avant son départ. Son époux ne pouvant faire le voyage avec elle car l’agent n’avait qu’un faux passeport établi pour une femme, il a insisté pour qu’elle parte sans lui. Elle lui a parlé de nouveau, au téléphone, depuis la Turquie. C’est alors qu’elle a appris que son père avait été enlevé par les Chabab.

5.5En ce qui concerne les faits dont elle a été victime à son domicile fin 2010 ou début 2011, elle affirme que la mère, deux sœurs et une cousine de son époux ont fait irruption chez elle et l’ont agressée alors qu’elle préparait du thé. Elle a reçu des coups de bâton et de couteau venus de toutes parts. Sa belle-mère l’a lacérée avec le couteau; elle en porte les cicatrices à la main et au coude droits. Elle a été frappée avec une matraque sur tout le corps et elle conserve de cette agression une cicatrice à l’œil. Au cours des faits, elle a été aspergée d’eau bouillante, ce qui lui a occasionné des brûlures à la main, au bras et à la jambe droits. Elle a également été brûlée à la jambe gauche et sous le sein gauche par des tisons ardents que les femmes lui ont lancés. Elle a été soignée avec des remèdes naturels. L’anarchie régnant dans la région du sud de la Somalie ne lui a pas permis de saisir les autorités policières pour dénoncer les faits. Selon le système d’immigration danois, seules les blessures nécessitant un traitement sur le moment sont prises en compte. Or, les problèmes cutanés occasionnés par les brûlures ont nécessité un traitement, entamé par des kinésithérapeutes. Toutefois, ces cicatrices étant visibles, l’auteure estime que s’il y avait eu un doute quant à leur cause, il aurait fallu la soumettre à une expertise médicale complète pour établir la réalité des tortures.

5.6En ce qui concerne l’attaque du 13 novembre 2012, on ne dispose pas de documents ou de rapport de police. L’auteure, qui n’était pas présente sur les lieux, ne peut donc que transmettre le récit des faits qui lui ont été rapportés. S’agissant de l’attaque du 16 novembre 2012, au cours de laquelle sa belle-mère a été tuée, l’auteure ne se trouvait pas non plus sur les lieux des faits et, à nouveau, aucun rapport de police n’a été établi. L’anarchie qui règne dans le sud de la Somalie explique l’absence de rapports de police et de certificats de décès. L’auteure, qui ne détient aucun des tracts distribués par les Chabab, a simplement été informée de leur existence, mais elle en a déjà vu distribués à propos d’autres filles. Elle explique que dans son village, les anciens sont, en dehors des Chabab, les seules autorités. Le Conseil des anciens était autrefois considéré comme une autorité mais, sous le régime des Chabab, les aînés servent également au maintien de l’ordre au niveau local. C’est ce qui explique pourquoi des voisins ont tenté de négocier lorsqu’ils ont eu connaissance des faits; c’est la raison pour laquelle la situation de l’auteure est bien connue dans son village, et c’est pourquoi elle a exhorté la Commission de recours des réfugiés à mener un complément d’enquête concernant son certificat scolaire et le numéro de téléphone de son professeur; or, les autorités danoises n’y ont pas donné suite.

5.7Expliquant les conditions de son séjour en Grèce et en Turquie, l’auteure dit avoir pris un vol pour ce dernier pays au départ de Mogadiscio, munie d’un faux passeport, en novembre 2012. Depuis la Turquie, elle a rejoint la Grèce par bateau, en décembre 2012. Elle renvoie à des précisions données dans la pièce traduite par l’État partie.

5.8Quant aux observations de l’État partie, le conseil de l’auteure souhaite que le Comité note que la Commission de recours des réfugiés est un organe quasi-judiciaire contre lequel il n’existe aucun droit de recours devant les tribunaux nationaux en vertu de la loi sur les étrangers. Il est allégué que la Commission n’est pas un tribunal et qu’elle n’en a pas les attributions, notamment en ce qu’elle siège à huis clos et compte parmi ses membres une personne nommée et, généralement, employée par le Ministère de la justice. En outre, les interprètes recrutés dans le cadre de la procédure d’asile n’ont pas l’obligation d’être formés et rien n’oblige à employer en priorité, lorsqu’ils sont disponibles, des interprètes formés, et aucun enregistrement des entretiens n’est conservé.

5.9En réponse aux observations de l’État partie, l’auteure affirme que le dossier qu’elle a établi aux fins de saisir le Comité est à première vue recevable. Elle reconnaît que sa requête est de portée extraterritoriale et qu’il doit être prouvé que l’auteure courrait personnellement un risque prévisible et réel de subir des formes graves de violence sexiste si elle devait retourner en Somalie. S’agissant des allégations concernant le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, l’auteure admet qu’elles ne peuvent être examinées par le Comité mais demande qu’elles soient considérées comme des commentaires additionnels permettant de prendre toute la mesure de sa situation.

5.10En ce qui concerne l’observation de l’État partie selon laquelle aucun élément de preuve nouveau n’a été présenté au Comité, l’auteure fait valoir que la Commission de recours des réfugiés a reçu suffisamment d’informations pour pouvoir conclure qu’elle avait droit au statut de réfugiée, si bien qu’il n’y a pas à verser d’autre pièce au dossier. En outre, si l’État partie avait estimé nécessaire d’obtenir un complément d’information, il aurait dû diligenter les enquêtes mentionnées plus haut. L’auteure avait bien demandé à se soumettre à une expertise médicale et à faire examiner son certificat scolaire par un spécialiste pour qu’il en établisse la valeur probante et en confirme l’origine.

5.11En ce qui concerne en particulier l’analyse linguistique, le linguiste ayant administré l’examen est un Suédois de naissance qui a une excellente maîtrise de l’anglais, mais qui ne parle pas le somali. Or, l’analyste est de langue maternelle somalienne, né à Mogadiscio et diplômé en économie, mais il n’a aucune formation linguistique. Aucune information n’a été fournie quant à la question de savoir si l’analyste avait déjà visité la région du Bas‑Chébéli, d’où l’auteure est originaire. Le recours à de tels analystes a été décrié dans les médias scandinaves. Le conseil de l’auteure a transmis un lien vers un documentaire montrant comment une jeune fille du sud de la Somalie avait été, à tort, considérée comme provenant du nord du pays à l’issue d’un examen analogue. Le professeur de linguistique que l’on voit dans le film qualifie d’acte d’amateurisme et d’erreur la conclusion de l’analyste. Puisque l’État partie indique que cette analyse n’était qu’un élément de la prise de décisions, il aurait fallu, comme indiqué plus haut, procéder à d’autres examens.

5.12En ce qui concerne l’observation de l’État partie selon laquelle l’auteure n’avait pas mentionné, dans les premiers entretiens, l’agression subie fin 2010 ou début 2011, l’auteure déclare qu’elle s’était d’abord concentrée sur les raisons immédiates qui l’avaient motivée à fuir, c’est-à-dire les attaques de 2012, estimant que les faits parlaient d’eux-mêmes. Qui plus est, elle souffrait encore des conséquences physiques et psychologiques entraînées par le fait d’avoir dû quitter son époux et failli se noyer au large de la Grèce, événement dont elle garde des troubles de l’audition. Selon l’auteure, si son état de santé peut expliquer pourquoi son récit a pu parfois manquer de cohérence, ses déclarations générales, elles, n’en ont jamais manqué. L’auteure rappelle les réponses très détaillées qu’elle a données lors de ses entretiens avec les services d’immigration, et qui figurent dans la traduction fournie par l’État partie. Sur l’ensemble de ses communications, l’État partie ne relève que trois divergences mineures, qui font toutes l’objet d’une explication plausible, donnée par le conseil de l’auteure dans les informations qu’il a fournies à la Commission de recours des réfugiés.

5.13S’agissant de la conclusion de l’État partie qui trouvait étrange que l’auteure n’ait pas produit davantage de preuves avant l’audience de la Commission de recours des réfugiés, l’auteure pensait que les faits parlaient d’eux-mêmes et que la présence de cicatrices sur son corps était une preuve vivante du calvaire qu’elle avait vécu. De surcroît, alors que l’affaire était en cours aux services danois de l’immigration, elle n’a rencontré personne de son village qui aurait pu l’aider à y prendre contact avec quelqu’un. Par conséquent, c’est l’État partie qui a manqué à son obligation d’examen concernant l’auteure et à son devoir d’enquête concernant l’affaire.

5.14L’auteure fait valoir qu’en cas de renvoi en Somalie, elle risquerait fortement de perdre la vie ou de subir des atteintes graves, ce qui constituerait une violation des obligations de l’État partie au titre de la Convention.

Réponse de l’État partie aux commentaires de l’auteure

6.1Au vu des observations et commentaires qui précèdent, l’État partie réaffirme que la communication de l’auteure découle de ce qu’elle n’accepte pas l’évaluation de sa crédibilité telle qu’elle a été faite par la Commission de recours des réfugiés. Il réaffirme que l’auteure cherche à faire réévaluer les éléments de fait invoqués à l’appui de sa demande et qu’elle n’a pas relevé d’irrégularités dans la prise de décisions, ni de facteurs de risque que la Commission n’aurait pas pris en compte.

6.2Quant à l’accusation selon laquelle l’État partie aurait dû soumettre l’auteure à une expertise médicale, l’État partie explique qu’une telle procédure est réalisée au cas par cas. Elle n’a pas lieu d’être lorsqu’il est établi que l’intéressé a subi des actes de torture, mais qu’il n’y a pas de risque que de tels faits viennent à se reproduire. De même, elle est omise lorsqu’il appert que le demandeur d’asile n’est pas crédible et que sa déclaration concernant l’existence de tortures peut donc être invalidée. Dans le cas de l’auteure, selon la décision de la Commission de recours des réfugiés, les circonstances dans lesquelles les cicatrices auraient été produites ne sont pas admises comme un fait établi. C’est pourquoi une expertise médicale tendant à déceler d’éventuels signes de tortures ne saurait dégager des informations sur les circonstances ayant entouré l’apparition desdites cicatrices.

6.3En ce qui concerne l’authenticité des documents, l’État partie fait valoir que, pour déterminer s’il y a lieu d’en demander une vérification, la Commission procède à une évaluation globale, entre autres, de la nature et de la teneur des documents au regard de la question de savoir si une telle vérification pourrait conduire à une nouvelle appréciation des éléments de preuve, de la date et des circonstances de la production des documents, et de la crédibilité de la déclaration du demandeur d’asile, à l’aune des renseignements disponibles. La Commission n’est nullement tenue de demander une telle vérification. Dans le cas de l’auteure, la Commission n’a trouvé aucun motif de demander une vérification. Il appert de la décision de la Commission que le compte rendu d’examen ne pouvait permettre d’aboutir, en toute indépendance, à une évaluation différente de l’affirmation de l’auteure qui déclarait être originaire de Jeerow. L’État partie renvoie à une affaire portée devant la Cour européenne des droits de l’homme, dans laquelle aucune vérification de l’authenticité de tels documents n’avait été demandée par les autorités suédoises. En l’espèce, la Cour avait noté que les requêtes, ainsi que les documents produits à l’appui des allégations, n’avaient pas été jugés crédibles compte tenu du moment où ils avaient été produits et des doutes existant quant à leur authenticité. La Cour n’avait trouvé aucun motif de diverger d’avec la conclusion des autorités de l’État partie, qui avaient jugé infondées les allégations des auteurs.

6.4En ce qui concerne l’affirmation de l’auteure quant aux activités de la Commission de recours des réfugiés, et en particulier le recrutement d’interprètes, l’État partie réaffirme que l’auteure n’a relevé aucune erreur ou omission dans le travail qu’ils ont accompli pendant la procédure, et qu’aucune objection n’a été soulevée contre les interprètes employés. Pour ce qui est des rapports de l’examen préliminaire de sa demande d’asile du 28 août 2013 et des entretiens sur le fond tenus les 16 janvier et 1er avril 2014, l’auteure avait dit avoir compris et accepté le contenu des trois rapports et n’avait pas formulé de commentaire à leur sujet pas plus qu’elle n’y avait apporté de corrections. Se référant aux constatations adoptées par le Comité des droits de l’homme dans l’affaire K. c. Danemark, l’État partie a fait observer qu’au-delà des généralités exprimées par l’auteur concernant l’absence de garanties dans la procédure portée devant la Commission de recours des réfugiés, l’auteur avait bénéficié de l’assistance d’un conseil, et qu’il avait participé à une audience avec l’aide d’un interprète, et n’avait pas démontré en quoi la procédure aurait constitué un déni de justice. L’État partie note qu’en l’espèce, les mêmes garanties de procédure ont été appliquées à l’égard de l’auteure.

6.5En conclusion, l’État partie maintient qu’il n’y a aucune raison de douter, et a fortiori de se départir, de l’évaluation faite par la Commission de recours des réfugiés dans sa décision du 23 juin 2014. Dans ce contexte, l’État partie appelle l’attention du Comité sur les constatations adoptées par le Comité des droits de l’homme dans l’affaire P. T. c.Danemark, dans laquelle celui-ci a rappelé sa jurisprudence selon laquelle il fallait accorder un poids important à l’appréciation faite par l’État partie, sauf s’il pouvait être établi que cette appréciation avait été manifestement arbitraire ou représentait un déni de justice, ou fournissait des motifs sérieux d’étayer l’allégation selon laquelle l’expulsion de l’auteur(e) vers son pays d’origine l’exposerait à un risque réel de préjudice irréparable, et qu’il appartient généralement aux instances des États parties au Pacte international relatif aux droits civils et politiques d’examiner ou d’apprécier les faits de la cause et les éléments de preuve afin de déterminer l’existence ou non d’un tel risque.

6.6L’État partie soutient qu’en l’espèce, l’auteure n’a pas réussi à établir un commencement de preuve aux fins de la recevabilité en vertu du paragraphe 2 c) de l’article 4 du Protocole facultatif et que sa communication est donc manifestement infondée et doit être considérée comme irrecevable. Il conclut en outre que, même si le Comité devait déclarer la communication recevable, il n’a pas été établi qu’il existait des motifs sérieux de croire que le renvoi de l’auteure en Somalie constituerait une violation de la Convention.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1Le Comité doit, conformément à l’article 64 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif. Il peut, conformément à l’article 66, décider d’examiner séparément la question de la recevabilité d’une communication et la communication elle-même quant au fond.

7.2Le Comité note que l’auteure déclare avoir épuisé les recours internes et que l’État partie n’a pas contesté la recevabilité de la communication pour ce motif. Le Comité observe que, selon les informations disponibles, il n’est pas possible de faire appel des décisions de la Commission de recours des réfugiés devant les tribunaux nationaux. En conséquence, rien ne s’oppose, en vertu du paragraphe 1 de l’article 4 du Protocole facultatif, à ce que le Comité examine la présente communication.

7.3Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 4 du Protocole facultatif, que la même question n’avait pas déjà été examinée ou n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.4Le Comité note que l’État partie conteste la recevabilité de la communication conformément au paragraphe 2 b) de l’article 4 dans la mesure où l’auteure invoque des articles du Pacte international relatif aux droits civils et politiques parallèlement aux dispositions de la Convention. Le Comité note également que l’auteure a reconnu que les articles du Pacte invoqués étaient incompatibles avec la Convention et prend note de sa demande tendant à ce qu’ils ne soient pas pris en compte aux fins des requêtes portées devant le Comité. En conséquence, le Comité considère que toutes les demandes au titre du Pacte sont irrecevables car incompatibles avec les dispositions de la Convention en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 4 du Protocole facultatif.

7.5Le Comité note en outre que l’État partie conteste la recevabilité de la communication, conformément au paragraphe 2 c) de l’article 4 du Protocole facultatif, au motif que les allégations de l’auteure sont manifestement infondées et insuffisamment étayées. Le Comité prend note des allégations de l’auteure selon lesquelles son expulsion vers la Somalie constituerait une violation des articles 1, 2, 3, 5 et 16 de la Convention, lus conjointement avec la recommandation générale no 19 du Comité, eu égard au risque de violence sexiste auquel elle serait exposée si elle retournait en Somalie, vu : qu’elle avait déjà été victime de violences aux mains des proches de son époux, dont elle conservait les cicatrices; qu’elle risquerait de subir le même traitement en cas de renvoi en Somalie soit par ces mêmes proches, soit par des membres des Chabab qui l’avaient menacée avant son départ pour s’être mariée contre la volonté de son père; que la structure de sécurité somalienne s’est effondrée au point qu’elle est dépourvue d’une force de police efficace ou d’un autre type d’autorité qui serait en mesure d’assurer sa protection. Le Comité conclut par conséquent que l’auteure a suffisamment étayé ses allégations aux fins de la recevabilité et que, les arguments avancés par l’État partie étant intimement liés au fond de l’affaire, il procédera à l’examen quant au fond.

Examen au fond

8.1Conformément aux dispositions du paragraphe 1 de l’article 7 du Protocole facultatif, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par l’auteure et l’État partie.

8.2Le Comité observe que l’auteure affirme avoir été persécutée par les proches de son époux, qui désapprouvaient leur union parce que l’auteure était d’un clan inférieur; elle dit avoir subi chez elle, en 2010, une grave agression physique aux mains de ces proches, qui l’ont poignardée et brûlée, que ces mêmes personnes sont revenues l’attaquer à deux reprises et qu’elles auraient tenté, la dernière fois, de la tuer, tuant à sa place sa belle-mère, par erreur. Le Comité note en outre l’affirmation de l’auteure selon laquelle elle n’avait pas pu dénoncer les faits à la police puisque celle-ci n’a pas d’autorité dans la région du sud de la Somalie, qui est placée sous l’administration informelle des anciens et sous le joug des Chabab. De surcroît, l’auteure affirme que son père avait accepté en son nom une demande en mariage faite par un membre des Chabab, qu’elle a déclinée, épousant, en fait, son fiancé en secret. Lorsque les faits ont été découverts, les membres des Chabab ont distribué des tracts dans son village affirmant qu’elle avait enfreint la charia et qu’elle devait leur être livrée. L’auteure a fui Mogadiscio, avant d’apprendre que son père avait été enlevé et tué par les Chabab en guise de représailles.

8.3Le Comité note l’affirmation de l’État partie selon laquelle l’auteure n’a pas démontré l’existence de motifs sérieux de croire qu’elle risquait d’être victime de graves violences sexistes si elle était renvoyée en Somalie, que ses allégations ont été examinées par les autorités danoises chargées de l’immigration et que celles-ci ont estimé qu’elle ne risquait pas de subir des persécutions telles qu’énoncées au paragraphe 1 de l’article 7 de la loi sur les étrangers et qu’elle n’aurait pas besoin de protection, comme indiqué au paragraphe 2 dudit article, en cas de renvoi en Somalie, que l’auteure n’a pas donné un récit crédible des événements, qu’elle n’a pas entièrement expliqué les raisons pour lesquelles elle s’était mariée en secret, qu’elle n’a produit des éléments de preuve corroborés par un témoin qui connaissait son père et un certificat scolaire qu’à un stade tardif de la procédure d’asile − avant l’audience en appel − et qu’une analyse linguistique a conclu que l’auteure ne venait pas du sud de la Somalie, comme elle l’avait pourtant affirmé.

8.4Le Comité note également que l’auteure a déclaré qu’elle s’était mariée en secret par amour, qu’elle n’avait pris contact avec des personnes pouvant corroborer son récit qu’après que sa demande d’asile avait été engagée, qu’elle avait apporté les preuves dès qu’elle en avait eu la possibilité, et qu’elle avait demandé qu’elles soient vérifiées par l’État partie et avait sollicité une expertise médicale complète pour constater la présence de cicatrices sur son corps et en établir la cause probable, et ainsi étayer ses déclarations. L’auteure se réfère aussi aux indications très détaillées qu’elle a données au sujet de son village et des environs, faisant également remarquer que, selon une démonstration apportée par des experts, des examens linguistiques avaient donné des résultats erronés, et indiquant que l’analyste n’avait pas de formation linguistique.

8.5Le Comité prend note également de la remarque de l’État partie selon laquelle celui‑ci n’est pas tenu de procéder à des recherches plus approfondies lorsque la crédibilité de l’auteur quant à sa demande en tant que telle est en cause et lorsqu’il est estimé que les éléments qui pourraient être recueillis ne sont pas de nature à modifier l’évaluation. En outre, l’État partie affirme que l’auteure bénéficie en Somalie de la protection masculine de son père et de ses beaux-frères.

8.6Le Comité note qu’en substance, l’auteure conteste la manière dont les juridictions nationales ont apprécié les faits de la cause, appliqué les dispositions du droit national et formulé leurs conclusions. Il rappelle qu’il appartient généralement aux autorités des États parties à la Convention d’évaluer les faits, les éléments de preuve et l’application de la législation interne dans un cas particulier, sauf s’il peut être établi que l’évaluation est partiale ou fondée sur des stéréotypes sexistes qui constituent une discrimination à l’égard des femmes, est manifestement arbitraire ou constitue un déni de justice. Le Comité note que rien dans le dossier ne montre que l’examen fait par les autorités des allégations de l’auteure concernant ses craintes sur les risques qu’elle pourrait courir à son retour en Somalie ait été entaché de telles irrégularités. À cet égard, le Comité prend acte de la critique que l’auteure a formulée à l’encontre des autorités nationales, dont elle affirme qu’elles n’ont pas pris en considération la pertinence de ses déclarations, de certains éléments de preuve et d’un témoignage apporté à l’appui de sa demande.

8.7En outre, compte tenu des informations fournies par les parties, le Comité estime qu’il existe des incohérences dans les déclarations de l’auteure, qui compromettent la crédibilité de ses allégations, notamment : a) sa décision de se marier en secret qui a également été présentée comme une tentative d’éviter de devoir épouser sous la contrainte un membre des Chabab; b) le fait que, selon elle, les informations concernant son professeur n’aient été communiquées qu’au stade de l’appel parce qu’elle n’avait pas eu de contact avec des personnes de son village natal avant l’ouverture de la procédure, ce qui contredit son affirmation selon laquelle elle aurait rencontré la personne qui l’a mise en contact avec son professeur lorsqu’elle se trouvait en Grèce, soit avant son arrivée dans l’État partie. Le Comité prend également note des incohérences dans ses explications concernant la présence de ses cicatrices, notamment lorsqu’elle a dit avoir été agressée à son domicile alors qu’elle a confié au médecin qui lui a prescrit une ordonnance pour une kinésithérapie qu’elle avait été rouée de coups sur la voie publique. En outre, il est à noter que le récit de l’auteure sur la nature de l’agression subie a changé durant la procédure d’asile, notamment lorsqu’elle a dit au médecin avoir reçu des coups sur les deux épaules, alors qu’elle a affirmé, lors de son deuxième entretien, qu’elle avait subi « des coups sur le cœur », dont elle garderait les séquelles. Le Comité note que l’auteure n’a fourni aucune autre information ni précision à ce sujet. L’agression de 2010 n’a été mentionnée qu’à un stade avancé de la procédure, ce dont l’auteure n’a pas dûment expliqué les raisons. Les autorités ont passé en revue tous les arguments qu’elle leur a présentés au cours de la procédure, analysé ses allégations relatives aux menaces proférées par des membres de la famille de son époux et des membres des Chabab, et examiné les preuves qu’elle a produites quant à son lieu d’origine en Somalie, notamment la déclaration de son témoin et son certificat scolaire, ainsi que ses allégations selon lesquelles elle risquait d’être persécutée, voire tuée, à son retour au pays. Après s’être penchées sur tous ces éléments, les autorités de l’État partie ont estimé que la version des faits fournie par l’auteure n’était pas crédible car elle faisait ressortir des incohérences et n’était pas suffisamment étayée par des preuves.

8.8Compte tenu de ce qui précède, le Comité considère, sans sous-estimer les inquiétudes qui peuvent être légitimement exprimées quant à la situation générale des droits fondamentaux en Somalie, en particulier en ce qui concerne les droits des femmes, que les autorités de l’État partie ont, en l’espèce, porté toute l’attention voulue aux demandes d’asile formées par l’auteure. Par conséquent, le Comité ne peut établir que les autorités de l’État partie, qui ont examiné sa demande d’asile, n’aient pas traité cette affaire dans le respect des principes de la Convention.

9.Le Comité, agissant en vertu du paragraphe 3 de l’article 7 du Protocole facultatif, conclut que la procédure d’examen de la demande d’asile de l’auteure et la décision de la renvoyer en Somalie n’ont pas constitué une violation des articles 1, 2, 3, 5 ou 16 de la Convention.