Communication présentée par :

A. M. (représentée par un conseil, Daniel Nørrung)

Au nom de :

L’auteure

État partie :

Danemark

Date de la communication :

21 février 2014 (date de la lettre initiale)

Références :

Communiquée à l’État partie le 7 novembre 2014 (non publiée sous forme de document)

Date de l ’ adoption des constatations :

21 juillet 2017

* Adoptées par le Comité à sa soixante-septième session (3 au 21 juillet 2017).

** Les membres du Comité ci-après ont participé à l’examen de la présente communication : Gladys ‎Acosta Vargas, Nicole Ameline, Magalys Arocha Domínguez, Gunnar Bergby , Marion Bethel, Naéla Gabr, Nahla ‎Haidar, Ruth Halperin-Kaddari, Yoko Hayashi, Lilian Hofmeister, Ismat Jahan, Dalia Leinarte, Rosario Manalo, ‎Lia Nadaraia, Bandana Rana, Patricia Schulz, Wenyan Song et Aicha Vall Verges.‎

1.1L’auteure de la communication est A. M., de nationalité somalienne, née en 1977. Elle affirme que son expulsion vers la Somalie constituerait une violation par l’État partie des articles 1, 2, 3, 5 et 16 de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes. La Convention et le Protocole facultatif s’y rapportant sont entrés en vigueur dans l’État partie en 1983 et en 2000, respectivement. L’auteure est représentée par un conseil, Daniel Nørrung.

1.2La demande d’asile déposée par l’auteure a été rejetée par le Service danois de l’immigration le 29 novembre 2013. La Commission de recours des réfugiés a rejeté l’appel de cette décision le 6 février 2014. L’auteure, qui n’avait pas immédiatement demandé de mesures conservatoires dans sa lettre initiale, l’a fait le 5 novembre 2014. Le 7 novembre 2014, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Groupe de travail sur les communications, a prié l’État partie de ne pas renvoyer l’auteure en Somalie avant qu’il n’ait examiné son cas, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif et à l’article 63 de son règlement intérieur.

Rappel des faits présentés par l’auteure

2.1L’auteure est née à Mogadiscio en 1977. Elle a passé à peu près les trois premières années de sa vie dans le nord et le centre de la Somalie. Sa mère appartient à un clan originaire du nord du pays, mais plus aucun membre de la famille ne se trouve dans cette région et elle-même est née et a grandi dans le sud. Son père a travaillé aux quatre coins de la Somalie, y compris dans le nord, avant que la guerre civile n’éclate en 1991. Il a été tué alors qu’il se rendait à Kismayo pour fuir les combats. À ce moment-là, l’auteure est allée vivre dans cette ville, où elle est restée jusqu’à son départ de Somalie. Elle a été mariée trois fois.

2.2Le premier époux de l’auteure, M. I. A., s’est montré très violent durant les quatre mois de leur vie conjugale passés dans sa famille à Mogadiscio, en 2000, ce qui a conduit l’auteure à s’enfuir à Kismayo pour y rejoindre sa propre famille. L’auteure affirme que durant ce premier mariage, elle a été victime de nombreux mauvais traitements dont elle garde des séquelles telles que 11 points de suture sur le crâne à la suite de coups répétés portés avec des objets en métal et des cicatrices de blessures infligées avec un couteau autour de l’oreille droite; des traces de brûlures provoquées par de la sauce très chaude versée intentionnellement par M. I. A. sur sa main droite; un doigt fracturé sous les coups d’un bâton en bois; des dents manquantes à la suite d’un coup de tête; des cicatrices à l’épaule gauche et à la poitrine résultant respectivement de brûlures de cigarette et de coups de couteau, et sous un sein. M. I. A. s’opposait à leur séparation ou à leur divorce mais son père, qui était l’ami du père de l’auteure, leur a permis de divorcer après un an de mariage. Toutefois, même une fois le divorce officiellement prononcé, M. I. A. a continué de ne pas accepter la situation. Depuis son départ du domicile conjugal, l’auteure n’a pas revu son ex-époux, qui est devenu membre du Mouvement des Chabab et en est à présent l’un des chefs.

2.3Le deuxième homme, F., que l’auteure a épousé à Kismayo en 2001 a été tué en 2010. Des membres du Mouvement des Chabab ont fait irruption dans la maison du couple et ont fait feu sur les deux époux. Par suite de cette attaque dans laquelle sa main gauche a été brisée avec un fusil, l’auteure garde des cicatrices au pied et à la cheville gauches et des douleurs dans le dos qui résultent de sa chute sur des matériaux de construction au moment où elle a été touchée par les tirs. Après être allée vivre chez une amie de sa mère, elle a appris que les Chabab l’avaient cherchée à plusieurs reprises à son domicile, ce qui l’a décidée à fuir en Ouganda via le Kenya. Elle pense que M. I. A. est responsable du meurtre de son deuxième époux.

2.4C’est en Ouganda que l’auteure a rencontré son troisième époux, A., qui était originaire de Kismayo et apparenté à sa mère. À son arrivée au Danemark, le 4 octobre 2012, son époux étant resté en Ouganda, l’auteure a appris que A. et sa mère avaient été tués par son premier époux, M. I. A., lors d’une visite de son époux à sa famille, à Kismayo. C’est en tentant de joindre son mari sur son téléphone portable qu’elle a appris, par l’un des amis du défunt qui a répondu à l’appel, ce qui s’était passé. L’auteure pense que son premier mari, hostile à leur divorce, a voulu la punir de l’avoir quitté et de s’être remariée, deux actes qu’il estime contraires à la charia.

2.5Le 29 novembre 2013, le Service danois de l’immigration a rejeté la demande d’asile déposée par l’auteure. Le 6 février 2014, la Commission danoise des recours des réfugiés a confirmé cette décision principalement au motif qu’elle n’estimait pas crédibles les déclarations et arguments avancés par l’auteure.

2.6En dépit d’informations cohérentes faisant état de la gravité et de la violence des mauvais traitements infligés à l’auteure par son premier mari et lors de l’attaque de 2010, et nonobstant la demande de report d’audition clairement formulée par le conseil de l’auteure tendant à faire pratiquer un examen médical afin de pouvoir apprécier la véracité des arguments avancés par celle-ci, ni le Service de l’immigration ni la Commission de recours des réfugiés n’ont pris l’initiative d’une telle procédure avant d’émettre un avis sur la crédibilité du dossier. L’auteure a fourni un rapport établi par le groupe médical de la section danoise d’Amnesty International, dans lequel il est constaté qu’elle a subi de nombreuses violences, et dont les conclusions objectives corroborent ses déclarations. Le rapport fait état de nombreuses cicatrices et d’un diagnostic de syndrome de stress post-traumatique. La Commission a également refusé d’entendre en qualité de témoin l’un des membres de la famille de l’auteure qui aurait pu confirmer ce qu’elle avait vécu. L’auteure affirme avoir épuisé les recours internes.

Teneur de la plainte

3.1L’auteure fait valoir que son renvoi en Somalie constituerait une violation des droits qui lui sont conférés par les articles 1, 2, 3, 5 et 16 de la Convention et par la recommandation générale no 19 (1992) relative à la violence à l’égard des femmes, l’État partie étant soumis à l’obligation de ne pas expulser les personnes qui risquent de subir des violences sexistes. Elle affirme également que son cas devrait être examiné à la lumière des articles 3, 6 et 7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

3.2L’auteure déclare qu’en Somalie, M. I. A. lui a infligé de graves violences, que son deuxième mari a été tué et elle-même blessée en 2010, lors d’une violente attaque menée par les Chabab, dont M. I. A. est membre, et que son troisième mari et sa mère ont été tués par ledit M. I. A. Les autorités de l’État partie n’ont pas essayé d’enquêter sur ces affirmations, alors qu’elles auraient pu, par exemple, demander un examen médical spécialisé, ce qui aurait permis de déterminer la nature et l’origine des blessures qu’elle a subies.

3.3L’auteure dit avoir peur de rentrer en Somalie, où son premier mari, qui aurait commis toutes les violences susmentionnées, continuerait de la rechercher. Elle note par ailleurs que son pays d’origine reste en proie à l’instabilité. Ainsi, en lui signifiant de rentrer en Somalie, l’État partie manquerait aux obligations que lui fait la Convention.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

4.1L’État partie rappelle le déroulement de la procédure engagée comme suite à la demande d’asile déposée par l’auteure et cite un extrait de la décision de la Commission de recours des réfugiés.

4.2L’État partie donne aussi une description complète de l’organisation, de la composition, des fonctions, des prérogatives et de la compétence de la Commission de recours des réfugiés, ainsi que des garanties procédurales dont bénéficient les demandeurs d’asile, notamment le droit d’être représentés par un avocat, les services d’un interprète et la possibilité pour le demandeur de faire une déclaration d’appel. Il précise aussi que la Commission dispose, pour l’examen des cas, d’un ensemble complet de documents de référence généraux sur la situation dans les différents pays d’origine des demandeurs d’asile, actualisés et complétés en permanence à partir de diverses sources reconnues.

4.3En ce qui concerne la recevabilité de la communication, l’État partie note que l’auteure invoque la portée extraterritoriale de la Convention en ne considérant que le risque qu’elle court en rentrant en Somalie. L’État partie renvoie à la jurisprudence du Comité dans l’affaire M. N. N. c. Danemark, selon laquelle un État partie peut agir en violation de la Convention s’il renvoie une personne dans un autre État dans des circonstances qui laissent présager que des violences graves fondées sur le sexe seront commises. Il en conclut donc que la Convention a un effet extraterritorial quand il s’avère que la femme devant être expulsée sera exposée à un risque réel, personnel et prévisible de formes graves de violence sexiste ou, en d’autres termes, quand il s’avère que la conséquence nécessaire et prévisible de cette expulsion sera la violation dans un autre État de ses droits au titre de la Convention.

4.4L’État partie fait observer qu’il n’a pas été démontré preuves à l’appui que l’auteure serait exposée à un risque réel, personnel et prévisible de formes graves de violence sexiste si elle retournait en Somalie. Il affirme par conséquent que la communication devrait être déclarée irrecevable car manifestement mal fondée ou insuffisamment motivée, conformément au paragraphe 2 c) de l’article 4 du Protocole facultatif.

4.5L’auteure arguant de la violation des articles 3, 6 et 7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ce qui sort du cadre de la Convention, l’État partie affirme également que la partie correspondante de la communication devrait être considérée irrecevable, conformément au paragraphe 2 b) de l’article 4 du Protocole facultatif et à l’article 67 du règlement intérieur du Comité.

4.6Dans le cas où la communication serait déclarée recevable et où le Comité déciderait d’en examiner le fond, l’État partie souhaite faire observer que l’auteure n’a pas fourni d’éléments suffisants pour démontrer qu’elle serait exposée à un risque réel, personnel et prévisible de formes graves de violence sexiste en retournant en Somalie. Elle n’a pas expliqué dans le détail en quoi son expulsion vers la Somalie contreviendrait aux articles 1, 2, 3, 5 et 16 de la Convention et à la recommandation générale no 19, et a simplement déclaré qu’elle se trouverait exposée à un risque de violence sexiste une fois rentrée dans son pays. En outre, l’État partie affirme que l’auteure n’a fourni aucune information nouvelle et précise sur sa situation, autre que celles sur lesquelles la Commission de recours des réfugiés a fondé sa décision le 6 février 2014.

4.7 Se référant à la décision rendue par la Commission de recours des réfugiés le 6 février 2014, l’État partie note que cette dernière ne pouvait pas accepter comme un fait établi la déclaration de l’auteure selon laquelle son premier époux avait repris contact avec elle en 2010, soit 10 ans après leur divorce, avait tué son second époux et avait continué, avec l’aide des Chabab, à la rechercher jusqu’à ce jour. La Commission avait déclaré que de tels faits apparaissaient improbables et semblaient avoir été inventés pour les besoins de la cause. L’État partie note que l’auteure n’a pas expliqué de façon acceptable comment elle avait pu rester à Kismayo, sa ville d’origine, durant les 10 années de son second mariage, puis encore deux années après la mort de son second époux, sans être contactée par des membres des Chabab si son premier époux cherchait à se venger.

4.8L’État partie fait encore observer que ce n’est que lors de son audition par la Commission de recours des réfugiés le 6 février 2014, après le rejet de sa demande d’asile par le Service danois de l’immigration, que l’auteure a déclaré qu’il était possible que son premier époux ait commandité l’attaque dans laquelle son deuxième époux avait été tué et elle-même blessée en 2010. Toutefois, au moment de l’engagement de la procédure d’asile, y compris lors de l’enregistrement de sa demande par la police le 10 octobre 2012 et lors de ses entretiens avec le personnel du Service de l’immigration le 19 avril 2013 et le 7 novembre 2013, elle a toujours affirmé qu’elle pensait que l’attaque dans laquelle son époux avait été tué et elle-même blessée en 2010 était le fait des Chabab.

4.9L’État partie fait en outre observer que l’auteure a fait des déclarations contradictoires sur des points fondamentaux qui motivent sa demande d’asile. S’agissant de son premier mariage et du divorce qui a suivi, l’auteure avait déclaré, lors de l’entretien conduit le 10 octobre 2012 aux fins de l’établissement du rapport d’enregistrement de sa demande d’asile, qu’elle avait divorcé de son premier époux un an environ après son mariage. Le 19 avril 2013, elle avait affirmé au Service de l’immigration qu’elle avait trouvé refuge chez sa mère, à Kismayo, après quatre mois de vie commune avec son premier époux et que le divorce avait été officiellement prononcé par un tribunal deux ans après le mariage, avec l’accord du père de son conjoint. Le 7 novembre 2013, lors d’un autre entretien conduit par le même Service, elle avait déclaré que son premier mariage avait été contracté en 2000 mais qu’elle était retournée à Kismayo au bout de quatre mois d’union et avait divorcé la même année à l’initiative du père de son époux. Elle avait encore déclaré lors de cet entretien que son premier époux avait tué son troisième époux et sa mère parce que, selon lui, ils n’étaient toujours pas divorcés.

4.10En ce qui concerne la façon dont elle a appris le meurtre de son troisième époux et de sa mère, l’auteur avait affirmé, devant le Service danois de l’immigration, le 19 avril 2013, qu’elle avait appelé son troisième époux en Ouganda sur son téléphone portable et que c’était l’un des amis du défunt qui avait répondu. Cet ami lui avait dit que son époux, sa mère et un autre membre de sa famille avaient été tués par son premier époux. Interrogée par le Service danois de l’immigration le 7 novembre 2013, l’auteure avait déclaré que l’ami de son troisième époux lui avait dit tenir l’information de ses voisins à Kismayo, ville dont il était originaire. Lors de son audition par la Commission de recours des réfugiés, le 6 février 2014, elle avait affirmé avoir été contactée sur un téléphone portable fourni par le centre d’hébergement danois, par un homme auquel son troisième époux vivant en Ouganda avait donné son numéro et qui l’avait ainsi informée du meurtre de son conjoint et de sa mère. Elle avait également dit que l’un de ses anciens voisins avait donné son numéro de téléphone à une femme qui l’avait contactée pour lui faire savoir qu’elle était recherchée par des personnes qui se rendaient chaque soir à son ancien domicile.

4.11S’agissant de l’affirmation de l’auteure selon laquelle son troisième époux et sa mère ont été tués par son premier époux en 2012 au motif que ce dernier poursuivait l’auteure car il ne considérait pas que le couple était divorcé, l’État partie fait observer que cette version des faits semble improbable. En effet, tout au long de la procédure d’asile, l’auteure a régulièrement affirmé que son premier époux ne l’avait jamais contactée à son domicile de Kismayo après qu’elle avait quitté leur domicile conjugal et qu’elle ne l’avait plus revu depuis leur divorce.

4.12En conclusion, l’État partie approuve la décision rendue par la Commission de recours des réfugiés selon laquelle la version des faits sur laquelle l’auteure fonde sa demande d’asile semble improbable et inventée pour les besoins de la cause. Il déclare en outre qu’il ne peut pas considérer comme un fait établi l’affirmation de l’auteure selon laquelle elle continuerait d’être en conflit avec son premier époux ou les Chabab, et par conséquent, que, pour ces raisons, elle serait exposée, si elle retournait en Somalie, à un risque de violence justifiant sa demande d’asile.

4.13S’agissant des réclamations de l’auteure quant au fait que l’État partie aurait dû enquêter sur les actes de torture qu’elle affirme avoir subi, ce dernier expose ci-après ce sur quoi il se fonde pour juger de la nécessité d’obtenir plus de détails sur les actes de torture considérés, avant d’être en mesure de se prononcer sur le cas. Si la Commission de recours des réfugiés estime qu’il est prouvé ou possible que le demandeur d’asile ait subi dans le passé des actes de torture, mais considère, après une évaluation détaillée de sa situation, qu’en l’état des choses, il n’encourt pas un risque réel de torture à son retour chez lui, elle n’ordonnera pas en général de procéder à un examen médical. Elle ne le fera pas non plus dans le cas où le demandeur d’asile a manqué de crédibilité tout au long de la procédure administrative et où elle est par conséquent tenue de rejeter en totalité la déclaration relative aux faits de torture. À cet égard, elle se réfère à la jurisprudence du Comité contre la torture, qui n’a pas retenu les faits de torture déclarés et les informations médicales fournies à l’appui de ces déclarations en raison du manque de crédibilité des requérants. Le critère qui prime est l’appréciation de la situation dans le pays d’origine du demandeur d’asile au moment de son éventuel retour.

4.14Dans sa décision du 6 février 2014, la Commission de recours des réfugiés a dit que les actes de violence que l’auteure avait subis de son premier époux plus de treize ans auparavant et les violences dont elle avait été victime en 2010 lors de l’attaque dans laquelle son deuxième époux avait été tué, qu’ils soient considérés ou non comme des faits, ne pouvaient pas en eux-mêmes justifier l’octroi du droit de résidence tel que prévu à l’article 7 de la loi relative aux étrangers. La Commission a donc estimé que même si les traitements violents subis dans le passé et l’agression de 2010 étaient retenus en tant que faits, l’auteure, si elle retournait en Somalie, n’en serait pas pour autant exposée à un risque de violence justifiant l’octroi de l’asile et elle n’a donc trouvé aucune raison de demander un examen de la requérante pour signes de torture.

4.15L’État partie fait en outre observer qu’il n’a pas été établi de lien entre les violences subies par l’auteure dans le passé et le fait, comme elle l’affirme, qu’elle risquerait d’être exposée à d’autres violences de la part de son premier époux ou des Chabab si elle retournait en Somalie. Dans ce contexte, un examen médical visant à déceler d’éventuelles traces de torture ne pourrait que confirmer les violences que l’auteure a subies durant son premier mariage au tournant des années 2000 et durant l’attaque de 2010 mais n’apporterait aucune information supplémentaire concernant le conflit qui, selon ses dires, l’oppose à son premier époux ou aux Chabab. L’État partie approuve l’avis de la Commission de recours des réfugiés qui conclut, dans ce cas, qu’un examen médical visant à déceler d’éventuelles traces de torture ne se justifie pas.

4.16En ce qui concerne le rapport établi par le groupe médical danois d’Amnesty International et soumis par l’auteure, l’État partie fait observer que la conclusion figurant dans le rapport confirme celle formulée par la Commission de recours des réfugiés, à savoir qu’un examen pour signes de torture ne conduirait pas à apprécier différemment la question. Il note que la majorité des conclusions objectives sont conformes aux déclarations de l’auteure mais que, comme la Commission de recours des réfugiés l’énonce dans ses propres conclusions, si ces déclarations relatives aux violences subies en 2000 et 2010 par l’auteure devaient être considérées comme des faits, l’avis émis n’en serait pas modifié. L’État partie note également que le rapport ne corrobore pas ce que l’auteure déclare concernant les raisons et les auteurs présumés de la violente attaque perpétrée contre elle et son deuxième époux en 2010. Comme indiqué plus haut, la Commission a rejeté la déclaration de l’auteure sur ce point.

4.17En ce qui concerne le fait que l’auteure a réclamé la convocation d’un témoin, l’État partie relève que la requérante n’a pas expliqué en quoi la décision de ne pas convoquer un membre de sa famille en qualité de témoin lors de son audition devant la Commission de recours des réfugiés, le 6 février 2014, contrevenait aux dispositions de la Convention. Selon ses dires, elle souhaitait la convocation d’un témoin pouvant attester de ses origines et de la ville d’où elle venait. L’État partie rappelle qu’en vertu du paragraphe 1 de l’article 54 de la loi relative aux étrangers, la Commission décide de l’audition des demandeurs d’asile et des témoins et de la production de leurs preuves. Selon la jurisprudence de la Commission, les demandeurs d’asile sont autorisés à faire entendre des témoins si ceux-ci portent témoignage de questions directement liées au motif de la demande d’asile. En général, il ne sera donc pas jugé approprié d’autoriser l’audition de témoins dans les cas où le demandeur d’asile cherche seulement à fournir par ce moyen des preuves de sa crédibilité et si ces témoins ne sont en rien liés au motif de la demande d’asile. À cet égard, l’État partie fait observer que les informations relatives au cercle familial de l’auteure et à son lieu de résidence ne sont pas directement liées au motif de sa demande d’asile. Il s’ensuit que les éléments d’information que le témoin pourrait fournir ne changeraient en rien l’analyse des affirmations de l’auteure à propos du conflit qui l’oppose à son ex-époux.

4.18L’État partie se réfère à la décision de la Commission de recours des réfugiés en date du 6 février 2014, dans laquelle il a été retenu que la situation généralement précaire et peu sûre qui régnait à Kismayo ne permettait pas de conclure qu’elle était en soi telle que l’auteure risquait d’y être persécutée, ce qui aurait justifié qu’elle bénéficie de l’asile. Il mentionne le rapport du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés cité par l’auteure et le fait que celui-ci a aussi été versé au dossier examiné par la Commission et signale d’autres données de base prises en compte en même temps que ledit rapport, qui étayent la conclusion formulée par la Commission.

4.19L’État partie argue également qu’à son retour en Somalie, l’auteure ne sera pas dépourvue d’appui dans le cercle familial composé de ses enfants, de parents de son père et des cousins de sa mère qui vivent dans le sud de la Somalie, sans compter le fait qu’elle appartient au clan des Darod et à la branche Marihan, deux grandes tribus dans son pays d’origine.

4.20L’État partie affirme que la Commission de recours des réfugiés a donc examiné toutes les informations importantes et que l’auteure n’a mis en lumière aucun autre élément corroborant l’allégation selon laquelle elle serait exposée, à son retour en Somalie, à un risque de persécution ou de violence qui justifierait l’octroi de l’asile.

4.21L’État partie se réfère à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, qui a estimé que les autorités nationales étaient les mieux placées pour analyser non seulement les faits mais aussi plus particulièrement la crédibilité des témoins, étant donné qu’elles pouvaient voir et entendre les intéressés et analyser leur comportement. S’agissant des garanties procédurales, la Cour a fait observer, dans l’affaire M. E. c. Danemark, que le requérant avait été représenté par un avocat et avait pu présenter des observations écrites et des documents. Ses arguments avaient été dûment pris en compte et il fallait considérer que l’analyse des autorités à cet égard s’était appuyée de manière appropriée et suffisante sur des documents nationaux et issus d’autres sources fiables et objectives. L’État partie affirme qu’en l’espèce l’auteure a bénéficié des mêmes garanties.

4.22L’État partie déclare en outre que la Commission de recours des réfugiés, organe collégial de nature quasi judiciaire, a estimé, à l’issue d’une analyse approfondie de la crédibilité de l’auteure, de la documentation disponible et de la situation particulière de la requérante, que celle-ci n’était pas parvenue à faire apparaître comme probable le risque de persécution et de violence motivant sa demande d’asile, auquel elle affirmait être exposée en retournant en Somalie. L’État partie approuve cette conclusion.

4.23L’État partie conclut que l’auteure est simplement en désaccord avec l’avis défavorable formulé au sujet de sa crédibilité, mais qu’elle n’a mis en évidence aucune irrégularité dans le processus de décision et aucun facteur de risque dont la Commission de recours des réfugiés n’aurait pas dûment tenu compte. L’auteure tente donc d’utiliser le Comité comme un organe d’appel aux fins d’un réexamen des éléments factuels de son dossier. Dans ces circonstances, l’État partie déclare que le Comité doit accorder un poids considérable à l’avis de la Commission, laquelle est la mieux placée pour évaluer les faits de la cause.

4.24Enfin, l’État partie renvoie à l’allégation de l’auteure selon laquelle la Commission de recours des réfugiés n’a pas fait expressément référence aux articles de la Convention dans sa décision du 6 février 2014. Il affirme que cela ne signifie pas qu’elle n’a pas pris en compte les obligations que lui fait la Convention. En effet, les obligations découlant du droit international sont toujours prises en considération lorsqu’une décision de cette nature doit être rendue.

4.25En conséquence, l’État partie affirme qu’il n’y a aucune raison de mettre en doute, a fortiori d’annuler, l’avis rendu par la Commission de recours des réfugiés et que le renvoi de l’auteure en Somalie ne constituerait pas un manquement aux obligations découlant de la Convention ou de la recommandation générale no 19.

Commentaires de l’auteure sur les observations de l’État partie concernantla recevabilité et le fond

5.1Le 4 août 2015, le conseil de l’auteure a présenté les commentaires de cette dernière sur les observations de l’État partie.

5.2L’auteure indique qu’elle a déclaré devant la Commission de recours des réfugiés que son premier mari était très violent pendant les quatre mois durant lesquels ils ont vécu ensemble à Mogadiscio. Elle n’a pas été questionnée davantage au sujet de cette violence et des traces physiques qu’elle en gardait. Un tel interrogatoire aurait révélé la nécessité d’un examen médical, qui aurait fourni une meilleure base pour l’évaluation de la crédibilité par le Service danois de l’immigration et, par la suite, par la Commission de recours des réfugiés. L’auteure souligne que la Commission n’a trouvé aucune raison de reporter l’affaire pour procéder à un examen visant à déceler d’éventuels signes de torture ou d’autres mauvais traitements.

5.3L’auteure précise également avoir déclaré devant la Commission que son deuxième mari avait été tué à Kismayo en 2010 et qu’à l’époque, les assaillants avaient probablement cru qu’elle aussi était morte après avoir été touchée par une balle et être tombée au sol.

5.4En ce qui concerne les informations données par l’État partie sur le droit national et les procédures en vigueur, l’auteure indique que la traduction de « Flygtningenaevnet » en anglais, à savoir « Refugee Appeals Board » (Commission de recours des réfugiés), est imprécise et que ce terme devrait plus précisément être traduit par l’expression « Refugee Board », ou « Commission des réfugiés ». La décision du Service danois de l’immigration est purement administrative. Aucun conseiller juridique ou tierce partie indépendante n’est chargé d’aider les demandeurs d’asile. Si la demande d’asile est rejetée, l’affaire est automatiquement portée devant la Commission de recours des réfugiés, qui est un organe quasi judiciaire auquel manquent de nombreux attributs d’un vrai tribunal, et dont les décisions ne sont pas susceptibles d’appel devant les juridictions danoises ordinaires.

5.5L’auteure fait également remarquer que les interprètes auxquels le Service danois de l’immigration ou la Commission de recours des réfugiés font appel ne sont soumis à aucune exigence minimale de formation. Même lorsqu’il est fait appel à des interprètes, il n’est pas obligatoire de recourir en priorité aux services de ceux qui répondent aux critères de qualification. Les interprètes se voient accorder ce statut auprès de la police nationale à l’issue d’un contrôle, qui consiste notamment en une vérification du casier judiciaire. L’État partie a fait valoir qu’il était difficile de trouver des interprètes qualifiés pour certaines langues. L’auteure fait valoir qu’il faudrait conserver les enregistrements sonores des entretiens afin de garder une trace de ce qui a été dit en cas d’erreurs et de permettre au conseil de reprendre les mots exacts du demandeur d’asile, ce qui n’a pas été fait.

5.6L’État partie fait valoir que la décision de procéder à un examen visant à déceler d’éventuels signes de torture n’est généralement pas prise avant l’audience de la Commission des recours car l’évaluation de la crédibilité par cette dernière dépend de la déclaration du demandeur d’asile. L’auteure affirme que cet examen devrait faire partie des éléments sur lesquels se fonde l’évaluation de la crédibilité.

5.7En ce qui concerne l’importance des informations générales, l’auteure fait valoir qu’elle est une femme vulnérable qui a perdu deux époux du fait d’actes commis par son premier conjoint. De plus, son récit et ses blessures concordent avec les informations générales disponibles sur la Somalie.

5.8En ce qui concerne la déclaration de l’État partie selon laquelle la Convention n’a de portée extraterritoriale que dans les cas où la requérante court un risque réel, personnel et prévisible de formes graves de violence sexiste, l’auteure fait valoir que c’est exactement le risque auquel elle est exposée.

5.9En ce qui concerne le fond de la communication, l’auteure se réfère au compte rendu de l’État partie sur son premier mariage et la période qui a suivi. Elle affirme que son premier époux était très violent et s’absentait pendant de longues périodes sans lui dire ni où il allait ni ce qu’il faisait. À sa connaissance, il ne travaillait pas, mais avait beaucoup d’argent. Elle fait valoir que son union avec lui était un mariage forcé organisé par leurs familles, et pense que ce mariage était envisagé comme un moyen de le calmer. Il sortait chaque fois qu’il avait une conversation téléphonique. L’auteure a déduit de l’ensemble de ces faits qu’il faisait partie des Chabab, ce dont elle a eu confirmation par la suite. Durant les années qu’elle a passées à Kismayo, sa ville d’origine, l’auteure était toujours en état d’alerte. Elle pense qu’elle n’était pas recherchée avant l’attaque de 2010 parce que son premier mari était parti à l’étranger pour suivre un entraînement avec les Chabab. Elle est convaincue que l’attaque de 2010 avait pour but de la tuer et que les agresseurs, qui l’ont vue gisant sur le sol après avoir été touchée, l’ont crue morte. Comme l’auteure l’a déjà expliqué, elle n’a compris que progressivement que son premier mari était derrière l’attaque. On ne saurait reprocher à la victime de ne pas savoir précisément qui étaient ses agresseurs.

5.10En ce qui concerne la durée du mariage de l’auteure avec son premier conjoint et la date de leur divorce, l’État partie a relevé certaines incohérences et des inventions de la part de l’auteure. On peut estimer, au contraire, que, compte tenu de son analphabétisme et de son état physique, les déclarations de l’auteure ne sont pas foncièrement divergentes. Toutes ses explications concernant son premier mariage concordent quant au fait qu’elle n’a vécu avec son premier époux que durant les quatre mois qui ont suivi leur union. Elle a également déclaré avec constance qu’après ces quatre mois, elle avait fui chez sa mère à Kismayo. Le seul petit doute qui subsiste porte sur la date du divorce, ce qui ne saurait être reproché à l’auteure, le divorce ayant représenté un événement mineur comparé au fait d’avoir fui l’emprise d’un mari violent. Aujourd’hui encore, elle ne se rappelle pas exactement quand le divorce a eu lieu, mais estime toujours qu’il a été prononcé un à deux ans après le mariage. En outre, d’autres précisions, comme le fait que le divorce a eu lieu à l’initiative du père du premier époux, ne figurent pas dans toutes les déclarations de l’auteure, mais on ne saurait lui reprocher de ne pas fournir tous les détails à chacun de ses témoignages.

5.11De même, l’État partie énumère les différentes déclarations de l’auteure concernant la manière dont elle a été informée du meurtre de son troisième époux et de sa mère alors qu’elle était au Danemark. Là encore, elle fait valoir qu’il n’y a pas de véritable contradiction entre ces déclarations, dans lesquelles elle relate en détail le même fait, à savoir qu’un ami de son troisième conjoint en Ouganda a appris la nouvelle de l’assassinat de son mari et de sa mère et en a informé l’auteure par téléphone alors qu’elle était au Danemark.

5.12Enfin, l’auteure estime qu’il n’y a pas lieu de mettre en doute sa déclaration selon laquelle son premier époux considérait que le divorce n’était pas valide, ne voyant pas pourquoi elle l’aurait affirmé si ce n’était pas un fait.

5.13L’auteure affirme que l’État partie s’efforce de trouver des incohérences et des inventions dans ses déclarations, au lieu de prendre en compte sa vulnérabilité en tant qu’analphabète victime de graves sévices physiques et psychologiques, comme indiqué dans le rapport du groupe médical de la section danoise d’Amnesty International.

5.14L’auteure conteste formellement les observations de l’État partie sur le rapport d’Amnesty International. Dans sa décision du 6 février 2014, la Commission de recours des réfugiés s’est efforcée de prendre en compte les actes allégués de torture − qui n’avaient pas encore fait l’objet d’un examen − en ces termes : « que les actes de violence subis par l’auteure soient considérés ou non comme des faits ». Cette formulation imprécise montre que l’État partie n’avait pas décidé, à ce moment-là, s’il considérait comme un fait que l’auteure avait été soumise à la torture, ce que les informations figurant dans le rapport d’Amnesty International ont par la suite permis d’établir. L’État partie aurait dû faire examiner l’auteure pour déterminer si elle avait été torturée et fonder l’évaluation de la crédibilité sur une base plus solide.

5.15L’auteure rejette la conclusion de l’État partie selon laquelle elle ne courrait pas de risque réel de torture si elle devait retourner en Somalie, étant d’avis que son premier mari pourrait réapparaître à tout moment. Violent et imprévisible, il fait très probablement partie des Chabab. Il convient également de noter que l’auteure est facilement reconnaissable à son incisive en or. En outre, comme on le sait, les Chabab ont une forte emprise dans le sud de la Somalie et opèrent aussi dans d’autres parties du pays et dans les pays voisins, ce qui est probablement la raison de l’absence de son premier mari. L’auteure souligne qu’elle a décrit en détail les blessures que celui-ci lui a infligées.

5.16En ce qui concerne le refus de faire comparaître le témoin que l’auteure souhaitait faire entendre, l’État partie a une fois de plus manqué de saisir l’occasion d’évaluer la crédibilité sur une base plus solide en négligeant d’entendre un témoin qui aurait pu donner des renseignements sur la famille et la situation de l’auteure. Alors que le témoin était inscrit dans le dossier préparatoire et présent à l’extérieur de la salle de réunion de la Commission de recours des réfugiés, il n’a pas été autorisé à comparaître. Cela n’est pas mentionné dans la décision de la Commission.

5.17Concernant la situation générale en Somalie sur le plan de la sécurité, l’auteure renvoie au rapport du Secrétaire général de septembre 2014 sur la Somalie (S/2014/699), dans lequel il est indiqué que les Chabab continuent d’exercer des pressions dans le sud et le centre du pays et que le Bas-Chébéli demeure instable.

5.18Par conséquent, l’auteure affirme qu’elle courrait effectivement un risque élevé de souffrir et de subir un préjudice irréparable si elle était renvoyée en Somalie.

Observations complémentaires de l’État partie

6.1Le 4 février 2016, l’État partie a présenté des observations supplémentaires en réponse aux commentaires de l’auteure.

6.2Concernant la référence de l’auteure au rapport du Secrétaire général sur la Somalie, l’État partie fait valoir que les informations qu’il contient ne donnent pas lieu à une révision de sa position. Il renvoie à cet égard aux dernières informations générales sur la Somalie, d’où il appert que Kismayo est contrôlée par les forces de l’administration provisoire de Djouba.

6.3L’État partie renvoie à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme qui, dans l’affaire R. H. c. Suède, a conclu « qu’une femme célibataire retournant à Mogadiscio sans disposer de la protection d’un réseau masculin serait exposée à un risque réel de vivre dans des conditions constitutives d’un traitement inhumain ou dégradant ». Toutefois, l’État partie établit une distinction entre cette affaire et le cas de l’auteure étant donné que plusieurs membres de la famille de celle-ci vivent dans le sud de la Somalie, notamment ses filles adolescentes, la famille de son père et les cousins de sa mère. L’auteure a en outre expliqué qu’elle appartient au clan principal des Darod et à la branche Marihan, deux clans parmi les plus importants dans son pays d’origine. Notant que le clan Darod est l’un des quatre clans « nobles » (majoritaires) en Somalie et qu’il est probablement encore à même de fournir une protection à ses membres ou aux autres personnes avec lesquelles il a des liens, l’État partie affirme qu’on peut supposer que l’auteure, qui avait emménagé à Kismayo quand elle avait 13 ans, a des liens avec des membres de son clan.

6.4L’État partie affirme que, contrairement à ce que soutient l’auteure, la Commission de recours des réfugiés s’appuie toujours sur une évaluation globale de la situation sociale du demandeur d’asile pour décider de la suite à donner à sa demande. La Commission a pris en compte l’analphabétisme de l’auteure et les mauvais traitements qu’elle avait subis.

6.5L’État partie fait en outre observer que des déclarations contradictoires sur des éléments essentiels motivant la demande l’asile peuvent affaiblir la crédibilité du demandeur, mais que les explications fournies par celui-ci à cet égard sont également prises en compte dans l’évaluation.

6.6En ce qui concerne le refus de faire comparaître le témoin, l’État partie réaffirme que l’intéressé était un oncle qui vivait au Danemark depuis 1991 et ne pouvait donc rien ajouter aux faits se rapportant directement à la demande d’asile.

6.7En ce qui concerne les qualifications requises pour les interprètes, l’État partie note qu’aucune erreur ou omission n’a été relevée dans les traductions relatives aux procédures menées devant le Service danois de l’immigration ou la Commission de recours des réfugiés, et que l’auteure n’a émis d’objection contre le travail d’aucun interprète. En fait, l’État partie note que l’auteure a confirmé la traduction que l’interprète a faite du rapport de l’entretien initial avec le Service de l’immigration qui a eu lieu le 19 avril 2013. Il note en outre qu’elle a déclaré avoir tout compris, n’a fait qu’une seule observation en réponse à une question et a finalement accepté le rapport. L’auteure n’a pas fait d’observations sur le rapport de l’entretien mené par le Service de l’immigration le 7 novembre 2013 et en a accepté le contenu, indiquant qu’elle avait tout compris.

6.8L’État partie renvoie à la jurisprudence du Comité des droits de l’homme qui, dans l’affaire K. c. Danemark, a indiqué ce qui suit : « À propos des déclarations générales de l’auteur concernant l’absence de garanties dans la procédure devant la Commission de recours des réfugiés, le Comité note que l’auteur a bénéficié de l’assistance d’un conseil et qu’il a participé à l’audience avec l’aide d’un interprète mis à sa disposition par la Commission. Le Comité estime par conséquent que l’auteur n’a pas démontré en quoi cette procédure aurait constitué un déni de justice dans son cas. ». L’État partie fait valoir que les mêmes garanties de procédure régulière ont été appliquées dans le cas de l’auteure.

6.9L’État partie résume sa position en se référant à la jurisprudence du Comité des droits de l’homme, qui a déclaré qu’il convenait « d’accorder un poids important à l’analyse qu’a[vait] faite l’État partie de l’affaire, sauf s’il [pouvait] être établi que cette appréciation a[vait] été manifestement arbitraire ou a[vait] représenté un déni de justice, et que, d’une manière générale, c’[était] aux organes des États parties au Pacte d’examiner ou d’apprécier les faits et les preuves en vue d’établir l’existence d’un tel risque ».

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1Le Comité doit, conformément à l’article 64 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif.

7.2Le Comité note que l’auteure affirme avoir épuisé les recours internes et que l’État partie n’a pas contesté la recevabilité de la communication pour ce motif. D’après les informations dont il dispose, le Comité constate qu’il ne peut être fait appel des décisions de la Commission de recours des réfugiés devant une juridiction nationale. En conséquence, il considère que rien ne s’oppose, dans les dispositions du paragraphe 1 de l’article 4 du Protocole facultatif, à ce qu’il examine la communication.

7.3Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 4 du Protocole facultatif, que la même question n’avait pas déjà été examinée ou n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.4Le Comité note que l’État partie conteste la recevabilité de la communication, conformément au paragraphe 2 b) de l’article 4 du Protocole facultatif, étant donné que l’auteure invoque des articles du Pacte international relatif aux droits civils et politiques outre ceux de la Convention. Le Comité considère donc que toutes les demandes au titre du Pacte, incompatibles avec les dispositions de la Convention, sont irrecevables en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 4.

7.5Le Comité note également que l’État partie objecte que la communication devrait être déclarée irrecevable, conformément au paragraphe 2 c) de l’article 4 du Protocole facultatif, au motif que les allégations de l’auteure sont manifestement mal fondées et insuffisamment motivées. Le Comité prend note des allégations de l’auteure selon lesquelles son expulsion vers la Somalie constituerait une violation des articles 1, 2, 3, 5 et 16 de la Convention, lus conjointement avec la recommandation générale no 19 du Comité, se fondant sur le risque de violence sexiste auquel elle serait exposée si elle retournait en Somalie, compte tenu des faits suivants : l’auteure a déjà été victime de violences conjugales récurrentes, dont elle porte les cicatrices physiques, corroborées par le rapport d’Amnesty International; elle encourrait le même traitement à l’avenir en cas de renvoi en Somalie, sachant que chaque attaque qu’elle a subie était directement ou indirectement orchestrée par la même personne, son ex-mari, qui est maintenant membre des Chabab; celui-ci a fait appel à d’autres membres des Chabab pour mener des attaques contre elle, car il refuse d’admettre que l’auteure et lui-même sont divorcés et considère le fait qu’elle l’ait quitté comme contraire aux dispositions de la charia. Tout en notant les préoccupations de l’État partie concernant l’absence de fondement des allégations formulées par l’auteure au sujet de la participation de son premier mari aux actes de violence dont elle a été victime après leur divorce, le Comité rappelle que les États parties ne doivent pas considérer qu’une femme qui demande l’asile manque de crédibilité pour la simple raison qu’elle ne peut présenter tous les documents requis à l’appui de sa demande. Ils doivent tenir compte du fait que dans nombre de pays, les femmes n’ont pas de papiers et que leur crédibilité peut être établie par d’autres moyens. Le Comité considère que, même si nombre des allégations de l’auteure étaient contradictoires, le seuil de recevabilité ne doit pas être fixé trop haut au vu de la situation dans le pays de l’intéressée, qui fait qu’il est difficile, sinon impossible, pour une femme d’obtenir de la police, des tribunaux et des services médicaux, des documents attestant qu’elle a fait l’objet de violences sexistes. Le Comité conclut que l’auteure a suffisamment motivé sa demande pour ce qui est de la recevabilité et que rien ne s’oppose donc à examiner celle-ci quant au fond.

Examen au fond

8.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 7 du Protocole facultatif, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par l’auteure et par l’État partie.

8.2Le Comité observe que l’auteure affirme qu’elle a été forcée de fuir son premier mari, instable et violent, qu’elle a été victime, dans le foyer qu’elle partageait avec son deuxième mari, d’une attaque au cours de laquelle elle a été blessée et son deuxième mari tué par des membres des Chabab, et que, après avoir fui en Ouganda et s’être remariée, elle a appris à son arrivée au Danemark que son troisième conjoint, alors en visite dans sa ville d’origine, avait également été tué, ainsi que sa mère et un autre membre de sa famille, par les Chabab dont son premier mari serait un membre. Le Comité note que l’auteure pense que son premier mari est derrière toutes ces attaques, car il estime qu’elle a agi en violation de la charia en le quittant et en se remariant. Elle affirme que les attaques étaient espacées car il s’est rendu à l’étranger pour y suivre un entraînement et combattre dans les rangs des Chabab. Elle déclare qu’elle n’a pas compris immédiatement que toutes les attaques étaient menées par son premier époux ou à son instigation, et qu’elle ne s’en est rendue compte qu’après un certain temps. L’auteure fait valoir que sa demande d’asile a été rejetée au motif que le risque auquel son premier mari l’expose, comme elle l’affirme, a été jugé peu probable et inventé pour les besoins de la cause. Elle affirme que toute évaluation de sa crédibilité aurait dû prendre en compte les nombreuses cicatrices qu’elle porte sur le corps, qui vont dans le sens de toutes les allégations de violence et étayent son récit. De plus, le témoin que l’auteure n’a pas été autorisée à appeler aurait pu fournir davantage d’éléments de référence qui auraient permis d’évaluer la crédibilité de sa déclaration.

8.3Le Comité note que l’État partie soutient que l’auteure n’a pas démontré qu’il existait des motifs sérieux de croire qu’elle risquait d’être victime de graves violences sexistes si elle était renvoyée en Somalie; que ses allégations ont été examinées par les autorités danoises chargées de l’immigration, lesquelles ont estimé que l’auteure ne risquait pas de subir de persécutions telles que celles énoncées au paragraphe 1) de l’article 7 de la loi sur les étrangers ou d’avoir besoin de protection comme indiqué au paragraphe 2) du même article de cette loi si elle était renvoyée en Somalie; que l’auteure n’a pas présenté de manière crédible les faits susmentionnés; qu’elle n’a pas démontré, preuves à l’appui, que son premier mari était derrière les meurtres de ses deuxième et troisième époux, comme elle l’a affirmé, en raison du grand laps de temps entre les attaques et du fait qu’elle semble être parvenue à cette conclusion seulement après le rejet de sa demande d’asile. L’État partie ne pense pas qu’un examen médical aurait permis d’aboutir à une autre conclusion, et la décision de ne pas procéder à un tel examen a été prise en tenant compte de l’ensemble des éléments de preuve disponibles, notamment le fait que même si l’on considérait les allégations de violence comme une donnée factuelle, la cause de la violence et le risque d’atteintes futures ne seraient toujours pas confirmés. En outre, il affirme que l’auteure peut compter sur une protection masculine en Somalie et que sa ville d’origine n’est pas contrôlée par les Chabab, mais par les forces de l’administration provisoire de Djouba.

8.4Le Comité note qu’en substance, l’auteure conteste la manière dont les autorités nationales ont apprécié les faits de la cause, appliqué les dispositions du droit national et formulé des conclusions. Il rappelle qu’il appartient généralement aux juridictions des États parties à la Convention d’évaluer les faits et éléments de preuve ou l’application de la législation interne dans un cas particulier, sauf s’il peut être établi que l’évaluation est partiale ou fondée sur des stéréotypes sexistes qui constituent une discrimination à l’égard des femmes, est manifestement arbitraire ou représente un déni de justice. Le Comité note que rien dans le dossier ne prouve que l’examen auquel ont procédé les autorités en ce qui concerne les craintes de l’auteure quant aux risques qu’elle encourrait si elle devait retourner en Somalie ait été entaché de telles irrégularités. Il note qu’en dépit des déclarations généralisées du conseil de l’auteure concernant les lacunes perçues dans les procédures d’asile de l’État partie, on ne peut prétendre que celles-ci ont constitué ou provoqué une discrimination, ni que les décisions prises par les autorités au sujet de l’auteure en sont pour autant arbitraires. En outre, il incombe à chaque État partie souverain de définir et de mettre en place ses propres procédures de détermination du statut de réfugié, dès lors que les garanties de procédure fondamentales énoncées dans le droit international sont respectées.

8.5Bien que l’auteure ait demandé l’autorisation de faire entendre un témoin, ce qui lui a été refusé, les informations que ce parent aurait pu fournir sur ses antécédents familiaux n’auraient pas été pertinentes, car il avait déjà quitté la Somalie lorsque la guerre civile a éclaté et n’aurait donc pu avoir connaissance d’aucun des faits sur lesquels se fonde la demande d’asile. Les autorités ont donc examiné tous les arguments présentés par l’auteure pendant la procédure de demande d’asile et évalué ses allégations concernant les violences qui lui ont été infligées par son premier mari et des membres des Chabab, tous les éléments de preuve qu’elle a présentés au niveau national, y compris l’évaluation médicale d’Amnesty International, et le risque d’être persécutée et tuée qu’elle prétend courir en rentrant en Somalie. En conclusion, et compte tenu des informations fournies par les parties, le Comité estime que l’auteure n’a mis en évidence aucune irrégularité de procédure dans la prise de décision de l’État partie.

8.6Compte tenu de ce qui précède, sans sous-estimer les inquiétudes qui peuvent être légitimement exprimées quant à la situation générale des droits fondamentaux en Somalie, particulièrement en ce qui concerne les droits des femmes, le Comité considère que les autorités de l’État partie ont porté toute l’attention voulue aux demandes d’asile formées par l’auteure. Il estime donc que les autorités de l’État partie ont procédé à l’examen de la demande d’asile de l’auteure dans le respect des obligations qui leur incombaient au titre de la Convention.

9.Le Comité, agissant en vertu du paragraphe 3 de l’article 7 du Protocole facultatif, conclut que la procédure d’examen de la demande d’asile de l’auteure et la décision de la renvoyer en Somalie ne constituent pas une violation des articles 1, 2, 3, 5 ou 16 de la Convention.