Communication p résentée par :

N.M. (représentée par un conseil, Tag Gottsche)

Au nom de :

L’auteure

État partie :

Danemark

Date de la communication :

28 novembre 2014 (date de la lettre initiale)

Références :

Communiquées à l’État partie le 3 décembre 2014 (non publiées sous forme de document)

Date de l ’ adoption des constatations :

21 juillet 2017

1.1L’auteure de la communication est N.M., de nationalité éthiopienne, née en 1988. Elle fait valoir que son expulsion vers l’Éthiopie constituerait une violation des articles 3, 5 et 7 de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes. La Convention et le Protocole facultatif s’y rapportant sont entrés en vigueur dans l’État partie en 1983 et en 2000, respectivement. L’auteure est représentée par un conseil, Tag Gottsche.

1.2La demande d’asile de l’auteure a été rejetée par le Service danois de l’immigration le 4 août 2014. La Commission de recours pour les réfugiés a rejeté l’appel contre cette décision le 24 novembre 2014. Le 3 décembre, le Comité, agissant par l’intermédiaire du Groupe de travail sur les communications, a demandé à l’État partie de s’abstenir d’expulser l’auteure vers l’Éthiopie en attendant l’examen de son cas par le Comité conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif et à l’article 63 du règlement intérieur du Comité.

Rappel des faits présentés par l’auteure

2.1L’auteure est une femme musulmane originaire de Jijiga, en Éthiopie. Elle est mariée à un homme qui serait membre du Front national de libération de l’Ogaden, un mouvement qui prétend lutter pour l’autodétermination des populations dans la région de l’Ogaden et qui est perçu comme une organisation terroriste par les autorités éthiopiennes. L’auteure n’était pas un membre actif du Front, mais soutenait le mouvement. Les activités de son mari étant tenues secrètes, elle ne savait pas exactement quel était son rôle au sein de l’organisation, mais déclare qu’il appartenait bien à la milice.

2.2En août 2013, la police s’est présentée au domicile de l’auteure et a arrêté son mari. Deux semaines plus tard, elle a également été mise en détention. Elle a été interrogée au sujet des activités de son mari et des endroits qu’il fréquente. L’auteure ignorait où il se trouvait, puisqu’elle ne l’avait pas vu depuis que la police l’avait arrêté à leur domicile et l’avait emmené. Elle a été détenue et torturée tous les jours pendant trois semaines. On lui a bandé les yeux, et elle a été battue et soumise à des simulacres de noyade. On lui a également fait savoir qu’elle serait tuée si elle ne délivrait aucun renseignement sur son mari.

2.3Un jour, en septembre 2013, au coucher du soleil, alors qu’elle était emmenée hors de sa cellule afin d’être torturée, l’auteure a entendu des coups de feu à l’extérieur. La police et les gardes ont pris la fuite. Elle s’est échappée par une porte laissée ouverte. Elle a couru toute la nuit jusqu’au domicile de sa tante. Elle ne s’est pas rendue à son domicile, parce qu’elle craignait que les autorités ne viennent la chercher à cet endroit. Elle est restée une seule nuit chez sa tante. La tante de l’auteure, craignant pour la vie de sa nièce si celle-ci venait à rester dans sa patrie, a organisé et payé son voyage pour le Danemark.

2.4Le 15 mars 2014, l’auteure est arrivée au Danemark sans documents de voyage et a demandé l’asile le lendemain. Le 4 août, le Service de l’immigration a rejeté sa demande d’asile. Le 24 novembre, la Commission de recours pour les réfugiés a confirmé la décision sur la base d’incohérences dans l’exposé des faits fourni par l’auteure. La Commission de recours n’a pas fait allusion à la situation dans le pays. Elle a noté que l’auteure avait déclaré avoir été détenue dans une « cellule », puis dans une « cour » lorsqu’elle s’est échappée, et que son récit de la torture semblait fabriqué de toutes pièces et non personnellement vécu. Selon l’auteure, l’État partie n’a pas enquêté de manière plus approfondie sur ses allégations. La Commission a également noté son explication peu claire concernant son départ (elle ne savait pas combien son voyage avait coûté et n’avait pas vu les documents de voyage).

2.5S’agissant des circonstances de son évasion, l’auteure soutient qu’elle était retenue dans une cellule la plupart du temps. Lorsqu’elle s’est échappée, elle se trouvait juste à l’extérieur de la cellule et a pu ainsi s’échapper en passant par la cour. Les soldats se sont enfuis par la porte et l’ont laissée ouverte, ce qui lui a permis de s’échapper. L’interprète a peut-être utilisé différentes expressions pour « cellule » ou « cour » lors des réunions avec le Service de l’immigration et la Commission de recours pour les réfugiés, mais l’auteure a toujours voulu dire qu’elle se trouvait dans la cour au moment de son évasion. L’auteure a fourni un schéma montrant son lieu de détention et le trajet emprunté pour s’échapper, conformément à son exposé des faits.

2.6En ce qui concerne la torture, l’auteure explique qu’elle était perpétrée en lui bandant les yeux et en plaçant sa tête dans de l’eau froide, une pratique connue sous le nom de simulacre de noyade. Cet acte lui donnait l’impression de se noyer. Elle a été frappée avec des objets en bois, qui lui ont laissé des contusions. Elle l’a expliqué à sa manière. La torture n’a pas laissé de cicatrices. Elle déclare que dans sa région, les personnes suspectées de soutenir le Front national de libération de l’Ogaden sont torturées et tuées.

2.7Pour ce qui est des documents de voyage, l’auteure explique que sa tante a payé son voyage et qu’un agent conservait les documents pendant le trajet. L’auteure ignore combien son voyage a coûté et comment il a été organisé. Elle n’a jamais vu les documents et ne se souvient pas avoir affirmé le contraire.

2.8L’auteure affirme qu’elle a été soumise à un stress et à une pression considérables lors de son entretien avec le Service danois de l’immigration, et que c’est la raison pour laquelle son explication peut sembler peu convaincante. Compte tenu de la situation qui prévaut dans la région de l’Ogaden, il ne fait aucun doute qu’elle risquerait fort d’être persécutée si elle était renvoyée, car elle était mariée à un membre du Front national de libération de l’Ogaden et serait donc soupçonnée de soutenir l’organisation. Elle risquerait d’être tuée. Il n’a été tenu aucun compte des effets psychologiques et physiques de la torture dont elle a été victime ou de la situation qui prévaut dans la région de l’Ogaden, et aucune tentative n’a été faite pour enquêter sur les allégations de l’auteure. L’auteure ajoute que la Commission de recours pour les réfugiés a cherché à relever l’incohérence la plus minime sur laquelle fonder une constatation de manque de crédibilité qui lui permettra de rejeter l’affaire. Cette procédure ne tient pas compte du stress que vivent les demandeurs d’asile à leur arrivée. L’auteure affirme qu’elle a épuisé toutes les voies de recours interne.

Teneur de la plainte

3.1L’auteure allègue qu’elle risque d’être torturée à nouveau, ou tuée, si elle est renvoyée en Éthiopie parce qu’elle est mariée à un membre du Front national de libération de l’Ogaden et considérée, pour cette raison, comme appartenant et soutenant la milice.

3.2L’auteure affirme donc que le Danemark est en violation des articles 3, 5 et 7 de la Convention.

3.3L’auteure déclare que, conformément à l’article 3, l’État Partie doit assurer le plein développement et le progrès des femmes, en vue de leur garantir l’exercice et la jouissance des droits de l’homme et des libertés fondamentales sur la base de l’égalité avec les hommes.

3.4Elle dénonce, en outre, une violation de ses droits en vertu de l’article 7 de la Convention, aux termes duquel elle a le droit de participer librement aux activités des organisations et des associations non gouvernementales s’occupant de la vie publique et politique de son pays, dans la mesure où elle est incapable de choisir sa propre appartenance politique. Les autorités éthiopiennes la considèrent comme un membre du Front national de libération de l’Ogaden uniquement en raison de son mariage, en violation de l’alinéa c de l’article 7, qui peut également être compris comme le droit de ne pas participer aux activités des organisations non gouvernementales. Elle n’a pas la même possibilité de participer librement à des organisations non gouvernementales et ne peut pas jouir de ses droits fondamentaux sur un pied d’égalité avec les hommes.

3.5Elle affirme également que les États parties doivent, conformément à l’article 5, prendre toutes les mesures appropriées pour modifier les schémas et modèles de comportement socioculturel de l’homme et de la femme en vue de parvenir à l’élimination des préjugés et des pratiques coutumières, ou de tout autre type, qui sont fondés sur l’idée de l’infériorité ou de la supériorité de l’un ou l’autre sexe ou d’un rôle stéréotypé des hommes et des femmes.

3.6Elle déclare également qu’au vu de la situation qui prévaut en Éthiopie, son renvoi dans son pays serait en violation de l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (Convention européenne des droits de l’homme).

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

4.1Le 3 juin 2015, l’État partie a présenté ses observations sur la recevabilité et le fond de la communication de l’auteure.

4.2L’État partie affirme que la Commission de recours pour les réfugiés n’a pas été en mesure d’approuver les déclarations de la requérante comme étant des faits. Il souligne ses déclarations contradictoires sur les éléments cruciaux de son motif de demande d’asile, notamment l’endroit exact où elle se trouvait au moment de son évasion. Selon son entretien de demande d’asile, elle était dans une cellule quand elle a entendu des tirs et que les gardes se sont enfuis. À ce moment-là, elle est sortie en courant à travers la porte de la cellule restée ouverte. Cependant, d’après ses déclarations lors de l’interrogatoire de fond sur la demande d’asile et à l’audience de la Commission de recours pour les réfugies, elle se trouvait à l’extérieur de la cellule lorsque les soldats se sont enfuis et a pu sortir du bâtiment par une porte ouverte. La Commission a, en outre, fait valoir qu’elle a répondu de manière évasive lorsqu’il lui a été demandé d’expliquer comment la torture était perpétrée et qu’elle n’a pas non plus été en mesure de fournir des renseignements sur les effets qu’a eus la torture sur elle. Dans ce contexte, la Commission a jugé que son exposé des faits relatifs à la torture était fabriqué de toutes pièces et ne reflétait pas son expérience personnelle. Enfin, la requérante a émis des déclarations contradictoires concernant les documents de voyage. Lors de l’entretien de demande d’asile le 26 mars 2014, elle a déclaré que l’agent lui avait montré le passeport et les billets, tandis que, lors de l’entretien de fond de demande d’asile le 12 juin 2014, elle a affirmé qu’elle ignorait quels documents avaient été utilisés parce qu’elle ne les avait pas vus. La Commission a ainsi constaté que la requérante n’avait pas pu fournir des motifs raisonnables pour sa demande d’asile et qu’elle n’avait donc pas pu justifier qu’elle risquerait d’être persécutée en vertu du paragraphe 1 de l’article 7 de la loi danoise sur les étrangers ou aurait besoin de protection en vertu du paragraphe 2 de l’article 7 de cette même loi si elle était renvoyée en Éthiopie.

4.3L’État partie fournit ensuite une description complète de l’organisation, de la composition, des fonctions, des prérogatives et de la compétence de la Commission de recours pour les réfugiés et des garanties pour les demandeurs d’asile, notamment la représentation juridique, la présence d’un interprète et la possibilité pour un demandeur d’asile de faire appel. Il souligne également que la Commission dispose d’un ensemble complet de renseignements sur la situation qui prévaut dans les différents pays d’origine des demandeurs d’asile au Danemark, mis à jour et complété de manière continue à partir des renseignements tirés de diverses sources reconnues, dont elle tient compte lors de l’examen des cas.

4.4Se référant à la décision du Comité à M.N.N. v. Danemark, l’État partie renvoie à la portée extraterritoriale de la Convention uniquement lorsqu’il est prévisible qu’une violence grave fondée sur le sexe se produise lors du retour de l’auteure. Il fait alors valoir que le risque d’une telle violence doit être réel, personnel et prévisible. À cet égard, l’État partie affirme que l’auteure n’a fourni aucun commencement de preuve aux fins de la recevabilité de sa communication au Comité, en vertu du paragraphe 2 c) de l’article 4 du Protocole facultatif en ce sens qu’il n’a pas été a démontré que l’auteure serait exposée à un risque réel, personnel et prévisible de formes graves de violence fondée sur le sexe si elle était renvoyée en Éthiopie. Il affirme par conséquent que la communication est irrecevable parce qu’elle est manifestement infondée.

4.5Si le Comité devait juger la communication recevable et procéder à l’examen quant à son fond, l’État partie fait valoir que l’auteure n’a pas suffisamment démontré qu’elle serait exposée à un risque réel, personnel et prévisible de formes graves de violence fondée sur le sexe si elle était renvoyée en Éthiopie.

4.6L’État partie note que dans sa communication au Comité, l’auteure n’a fourni aucun renseignement qui n’avait pas déjà été soumis aux autorités nationales et que toutes les circonstances invoquées devant le Comité ont par conséquent été dûment examinées par les autorités de l’État partie dans la décision du 24 novembre 2014.

4.7L’État partie se réfère à l’article 40 de la loi danoise sur les étrangers qui stipule qu’un étranger doit fournir les renseignements requis pour pouvoir décider si sa demande relève de l’article 7 de la loi. Il incombe donc aux demandeurs d’asile d’étayer leurs motifs de demande d’asile. L’État partie se réfère en outre aux paragraphes 195 et 196 du Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés, qui stipule que « les faits pertinents devront être fournis en premier lieu par le demandeur lui-même » et que « c’est un principe général de droit que la charge de la preuve incombe au demandeur ». À cet égard, l’État partie fait également référence à la jurisprudence du Comité des droits de l’homme, selon laquelle une plainte a été déclarée irrecevable pour absence de preuves suffisantes à l’appui d’une allégation au titre des articles 6 et 7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques en rapport avec une expulsion vers le Pakistan.

4.8L’État partie réitère les motifs justifiant la constatation de manque de crédibilité, notamment les contradictions dans les éléments cruciaux du récit et la superficialité des déclarations relatives à la torture. Sur cette base, la Commission de recours pour les réfugiés n’a pas pu approuver les allégations de l’auteure. Le schéma fourni par l’auteure n’a pas pu modifier l’appréciation de la Commission de recours.

4.9L’État partie ne trouve aucun fondement à l’affirmation de l’auteure selon laquelle elle a été soumise à un stress ou à une pression lors de ses entretiens avec le Service danois de l’immigration.

4.10En ce qui concerne l’affirmation de l’auteure selon laquelle la Commission de recours pour les réfugiés n’a pas enquêté sur les risques que comporte sa situation, l’État partie réaffirme qu’il incombe à l’auteure de justifier ses motifs de demande d’asile. De plus, la Commission de recours a procédé à un examen approfondi de la crédibilité de l’auteure, des renseignements généraux disponibles et des circonstances particulières de l’auteure.

4.11S’agissant de l’affirmation de l’auteure selon laquelle les conséquences physiques et mentales de la torture dont elle a été victime n’ont pas été prises en compte lors de la procédure de demande d’asile, l’État partie affirme que si les déclarations d’un demandeur d’asile sont caractérisées par des contradictions, des expansions ou des omissions, la Commission de recours pour les réfugiés tentera de comprendre pourquoi. Il observe à cet égard que lors de l’évaluation de la crédibilité d’un demandeur d’asile, la Commission de recours tient compte de la situation particulière du demandeur d’asile, y compris les différences culturelles, l’âge et l’état de santé. Cependant, des déclarations contradictoires faites par les demandeurs d’asile en ce qui concerne les éléments cruciaux de leur motif de demande d’asile peuvent miner leur crédibilité. En cas de doute, la Commission évaluera toujours dans quelle mesure le principe du bénéfice du doute devrait être appliqué. En réponse à l’affirmation de l’auteure selon laquelle la Commission juge généralement les demandeurs d’asile non crédibles sur la base de la contradiction la plus minime, l’État partie fait valoir que cela est incorrect ; au contraire, toutes les questions portées devant la Commission font l’objet d’un examen global, y compris les déclarations des demandeurs d’asile et la présentation personnelle devant la Commission, en même temps que d’autres renseignements disponibles. Il insiste à cet égard sur la logique, la probabilité et la cohérence des déclarations. Lorsque des déclarations contradictoires sont émises, la Commission examine également la situation des demandeurs d’asile, y compris leur état de santé.

4.12L’État partie affirme que la Commission de recours pour les réfugiés a rendu sa décision sur la base d’une procédure au cours de laquelle l’auteure a eu l’occasion de lui exposer ses opinions, oralement et par écrit, avec l’aide d’un conseil juridique. Il lui a été permis de faire une déclaration lors de l’audience et de répondre aux questions. Son conseil et le représentant du Service danois de l’immigration ont ensuite pu faire leurs plaidoiries, après quoi l’auteure a pu faire une déclaration finale.

4.13L’État partie constate que la Commission de recours pour les réfugiés a inclus tous les renseignements pertinents dans sa décision et que la communication au Comité n’a pas mis en lumière de nouveaux renseignements justifiant que l’auteure risquerait d’être torturée ou tuée si elle retournait en Éthiopie. L’État partie approuve donc les conclusions de l’affaire présentées par la Commission de recours et fait également référence au fait qu’aucune explication satisfaisante n’a été donnée pour les déclarations contradictoires faites par l’auteure sur des éléments cruciaux de son motif d’asile et pour ses réponses vagues à des questions portant sur la torture à laquelle elle aurait été soumise.

4.14S’agissant de l’affirmation de l’auteure selon laquelle son retour dans la région de l’Ogaden constituerait une violation de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme en raison de la situation générale qui prévaut en Éthiopie, l’État partie observe qu’il n’appartient pas au Comité de se prononcer sur l’article 3 de la Convention européenne. Cependant, il trouve des raisons de constater que la situation générale dans la région de l’Ogaden n’est pas de nature à faire courir un danger réel de mauvais traitements à quiconque y retournerait, en violation de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme. Dans son évaluation, la Commission de recours pour les réfugiés a pris en considération les renseignements généraux disponibles sur l’Éthiopie, et l’intégralité de ces données mises à la disposition de la Commission de recours n’a pas permis de réévaluer la question. L’État partie se fonde donc entièrement sur l’évaluation faite par la Commission en ce qui concerne la situation dans le pays.

4.15En résumé, l’État partie constate que la Commission de recours pour les réfugiés a tenu compte de tous les renseignements pertinents lors de la prise de sa décision et que la communication de l’auteure n’a pas mis en lumière des renseignements qui justifieraient l’allégation selon laquelle elle risquerait d’être torturée ou tuée si elle retournait en Éthiopie. Il se réfère, en outre, à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme dans laquelle la Cour européenne admet qu’en principe général, les autorités nationales sont les mieux placées pour évaluer non seulement les faits, mais plus particulièrement la crédibilité des témoins, en ce qu’ils ont l’occasion de voir, d’entendre et d’apprécier le comportement de l’individu concerné. Il cite également la jurisprudence de la Cour européenne concernant les garanties d’une procédure régulière qui caractérisent les examens faits par l’État partie et souligne la nécessité pour les auteur(e)s de détecter les irrégularités dans les processus décisionnels de l’État partie ou tout facteur de risque que les autorités de l’État partie n’ont pas correctement pris en compte, sans quoi il serait constaté qu’il n’y avait pas eu violation. L’État partie réitère les processus nationaux par lesquels une décision a été prise dans le cas de l’auteure et indique que sa communication reflète le fait qu’elle s’oppose simplement à l’évaluation de la crédibilité conduite par la Commission de recours, sans avoir identifié une irrégularité dans le processus décisionnel ou relevé un facteur de risque que la Commission n’a pas correctement pris en compte. Il soutient donc que l’auteure tente en réalité d’obtenir du Comité qu’il agisse comme un organe d’appel et procède à un nouvel examen des éléments de fait invoqués à l’appui de sa demande d’asile. L’État partie soutient que le Comité doit accorder un poids considérable aux constatations faites par la Commission, qui est mieux placée pour évaluer les éléments de fait dans le cas de l’auteure.

4.16L’État partie constate donc qu’il n’y a pas lieu de mettre en doute, et à plus forte raison d’écarter, les conclusions de la Commission de recours pour les réfugiés selon lesquelles l’auteure n’a pas suffisamment démontré qu’il existe des raisons sérieuses de croire qu’elle risquerait d’être torturée ou tuée si elle retournait en Éthiopie. Dans ce contexte, l’État partie déclare que l’auteure n’a pas pu établir un commencement de preuve aux fins de la recevabilité de sa communication en vertu du paragraphe 2 c) de l’article 4 de la Convention et que la communication est par conséquent manifestement infondée et devrait être considérée comme irrecevable.

4.17Même si la communication devait être jugée recevable, l’État partie déclare qu’il n’a pas été établi qu’il existait des motifs sérieux de croire que le renvoi de l’auteure en Éthiopie constituerait une violation des articles 3, 5 et 7 de la Convention.

Commentaires de l’auteure sur les observations de l’État partie relativesà la recevabilité et au fond de la requête

5.1Le 25 août 2015, l’auteure a fait parvenir ses commentaires sur les observations de l’État partie.

5.2Réitérant ses déclarations antérieures et, outre son affirmation selon laquelle elle a été soumise au stress et à la pression lors de son entretien avec le Service danois de l’immigration, l’auteure ajoute que le Service de l’immigration lui a posé des questions insidieuses lors de son entretien, ce qui est strictement interdit, et que la pression y afférente peut avoir conduit à des déclarations contradictoires.

5.3En ce qui a trait à l’évaluation de l’État partie selon laquelle elle n’est pas en mesure de fournir des précisions sur la façon dont la torture l’a affectée, l’auteure soutient que n’ayant que 26 ans, il lui était très difficile d’exprimer la façon dont elle avait été affectée et qu’il était traumatisant pour elle d’en parler encore et encore. Elle réaffirme que l’État partie n’a pas tenu compte de ces effets psychologiques et physiques de la torture.

Observations supplémentaires de l’État partie

6.1Le 27 janvier 2016, l’État partie a fourni des observations supplémentaires.

6.2À la suite de ses observations du 3 juin 2015, l’État partie se réfère aux commentaires de l’auteure sur le stress et la pression subis lors de l’entretien avec le Service danois de l’immigration et sur sa déclaration selon laquelle on lui a posé des questions insidieuses. L’État partie soutient que l’affirmation de l’auteure selon laquelle elle a été soumise au stress et à la pression pendant son entretien est infondée. Il fait valoir que lors des entretiens des demandeurs d’asile, les agents d’immigration examinent toujours la situation personnelle des personnes interrogées, y compris leur âge et leur sexe, afin de créer un cadre d’entretien favorable. Pour ce qui est des questions insidieuses, l’État partie constate que le représentant de l’auteure devant le Comité était également son conseil devant la Commission de recours pour les réfugiés et note qu’aucune réclamation n’a été présentée à la Commission au sujet du stress ou de la pression subis par l’auteure ou des questions insidieuses posées par le Service de l’immigration, et l’État partie juge donc ces réclamations infondées.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1Conformément à l’article 64 de son règlement intérieur, le Comité doit déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif.

7.2Le Comité note que l’auteure affirme avoir épuisé les voies de recours internes et que l’État partie n’a pas contesté la recevabilité de la communication pour ce motif. Le Comité observe, selon les renseignements dont il dispose, que les décisions de la Commission de recours pour les réfugiés ne peuvent pas faire l’objet d’un recours devant les juridictions nationales. En conséquence, le Comité considère que les dispositions au paragraphe 1 de l’article 4 du Protocole facultatif ne l’empêchent pas d’examiner la communication.

7.3Conformément au paragraphe 2 a) de l’article 4 du Protocole facultatif, le Comité est assuré que la même question n’a pas été et n’est pas examinée dans le cadre d’une autre procédure internationale d’enquête ou de règlement.

7.4Le Comité prend note de la réclamation de l’auteure au titre de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme et de l’observation de l’État partie selon laquelle la Convention européenne ne relève pas du ressort du Comité. En conséquence, le Comité estime que l’allégation de violation de la Convention européenne est irrecevable au motif d’être incompatible avec la Convention aux termes du paragraphe 2 b) de l’article 4 du Protocole facultatif.

7.5En ce qui concerne l’allégation de l’État partie selon laquelle la communication est manifestement infondée et contraire au paragraphe 2 c) de l’article 4 du Protocole facultatif en raison d’un manque de justification, le Comité prend note des déclarations de l’auteure selon lesquelles : elle est mariée à un membre du Front national de libération de l’Ogaden, un mouvement auquel elle a également apporté son soutien ; les autorités éthiopiennes ont qualifié le Front national de libération d’organisation terroriste ; et les membres de l’organisation sont arrêtés et torturés par les autorités. Il relève, en outre, ses affirmations selon lesquelles les autorités sont venues chez elles, ont arrêté et emmené son mari, sont retournées deux semaines plus tard pour l’interroger sur le lieu où se trouvait son époux avant de l’arrêter et de la conduire dans un lieu de détention où elle a été torturée quotidiennement au moyen de coups de bâtons et de simulacres de noyade. Elle déclare qu’elle s’est échappée lors d’un déclenchement de tirs et a couru au domicile de sa tante, qui a organisé son évasion du pays. L’auteure soutient qu’en raison de la situation qui prévaut actuellement dans la région de l’Ogaden et de son mariage avec un membre du Front national de libération, elle est soupçonnée de soutenir l’organisation et risque donc d’être torturée ou tuée. Elle prétend donc que son expulsion constituerait de la part de l’État partie une violation de ses obligations de non-refoulement au motif qu’elle risque de subir des formes graves de violence fondées sur le sexe en raison de son statut conjugal et politique, en vertu des articles 3, 5 et 7 de la Convention. À cet égard, le Comité constate que l’auteure a suffisamment étayé ses allégations aux fins de la recevabilité et ne se considère pas empêché de procéder à l’examen de la communication quant au fond.

Examen au fond

8.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 7 du Protocole facultatif, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de tous les renseignements qui lui ont été communiqués par l’auteure et l’État partie.

8.2Le Comité observe que l’auteure affirme qu’elle est mariée à un membre du Front national de libération de l’Ogaden, une organisation à laquelle elle a apporté son soutien lors des réunions, et que les autorités nationales ont emmené son mari de leur domicile commun et sont revenues deux semaines plus tard pour l’arrêter. Elle soutient qu’après sa mise en détention, elle a été torturée tous les jours pendant trois semaines et interrogée sur le lieu où se trouvait son mari, avant de réussir à s’échapper lorsque des affrontements ont éclaté. Elle prétend qu’elle s’est enfuie et a finalement rejoint le domicile de sa tante, qui a organisé son évasion le lendemain. Elle dit craindre d’être arrêtée une fois de plus et torturée à son retour en raison de l’affiliation de son mari avec le Front national de libération. L’auteure déclare qu’elle a été soumise au stress et à la pression pendant les entretiens et qu’on lui a posé des questions insidieuses, ce qui aurait peut-être conduit aux déclarations contradictoires mentionnées par l’État partie.

8.3Le Comité relève l’argument de l’État partie selon lequel l’auteure n’a pas donné de motifs sérieux de croire qu’elle risque de subir de graves violences fondées sur le sexe si elle était renvoyée en Éthiopie, que ses revendications ont été examinées par les autorités danoises de l’immigration, et que celles-ci ont constaté que l’auteure ne risquerait pas d’être persécutée tel que mentionné au paragraphe 1 de la section 7 de la loi danoise sur les étrangers ou aurait besoin d’un statut de protection tel qu’énoncé au paragraphe 2 de la section 7 de cette même loi si elle retournait en Éthiopie, que l’auteure n’a pas fait un exposé crédible des événements ci-dessus, qu’elle n’a pas expliqué pleinement les divergences entre les récits de son évasion, que son compte-rendu de la torture semblait superficiel et fabriqué de toutes pièces, et qu’elle a émis des déclarations contradictoires à la question de savoir si elle avait vu les documents utilisés pour sa fuite. Le Comité souligne également l’argument de l’État partie selon lequel il ne trouvait aucun élément permettant de croire que des questions insidieuses ont été posées à l’auteure ou que celle-ci a été soumise à une pression excessive pendant ses entretiens, et que les contradictions demeurent par conséquent inexpliquées.

8.4Le Comité relève les allégations de l’auteure selon lesquelles ses droits en vertu des articles 3, 5 et 7 de la Convention ont été violés en raison de son incapacité à choisir sa propre affiliation politique et le fait qu’elle serait persécutée sur la base de l’appartenance de son mari au Front national de libération de l’Ogaden si elle retournait en Éthiopie. Le Comité constate qu’il n’existe aucune réclamation selon laquelle l’État partie a violé directement les dispositions de la Convention invoquée, mais que la violation alléguée en fait par l’auteure à l’égard de l’État partie est qu’elle serait confrontée à des formes graves de violence sexiste aux mains des autorités éthiopiennes en raison de la discrimination fondée sur ces dispositions si elle était renvoyée en Éthiopie.

8.5Le Comité se réfère au paragraphe 21 de sa recommandation générale no 32 (2014) sur les dimensions sexospécifiques du statut de réfugié, des demandes d’asile, de la nationalité et de l’apatridie des femmes, selon laquelle, en vertu du droit international relatif aux droits de l’homme, le principe de non-refoulement fait obligation aux États de ne pas renvoyer une personne là où elle risque de subir de graves violations des droits de l’homme, notamment la privation arbitraire de la vie ou la torture ou d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. La recommandation générale no 32 indique que les droits et libertés civils et politiques, y compris le droit à la vie et celui de ne pas être soumis à la torture ou à de mauvais traitements sont préservés de manière implicite dans la Convention. Par conséquent, les États parties sont dans l’obligation de ne pas extrader, déplacer, expulser ou transférer quelqu’un par d’autres moyens de leur territoire vers le territoire d’un autre État s’il existe un risque réel et significatif de préjudice irréparable dans cet État. Le principe de non-refoulement constitue également un élément essentiel de l’asile et de la protection internationale des réfugiés. L’essence du principe est qu’un État ne peut pas obliger une personne à revenir sur un territoire dans lequel elle peut être exposée à des motifs de persécution et à la persécution, y compris les formes de persécution fondées sur le sexe. Les formes de persécution fondées sur le sexe sont celles qui sont exercées contre une femme parce qu’elle est une femme ou qui touchent spécialement la femme. Ce devoir positif englobe l’obligation pour les États parties d’éviter que les femmes ne soient exposées à un risque réel, personnel et prévisible de subir des formes graves de violence sexiste, indépendamment du fait que ces conséquences se produisent en dehors des limites territoriales de l’État partie d’envoi. Si un État partie prend une décision concernant une personne relevant de sa juridiction, et que la conséquence nécessaire et prévisible est que les droits de cette personne en vertu de la Convention seront violés dans une autre juridiction, l’État partie lui-même peut être en violation de la Convention.

8.6Le Comité rappelle qu’il incombe généralement aux autorités des États parties à la Convention d’apprécier les faits et les éléments de preuve ou l’application de la législation nationale dans un cas particulier, à moins qu’il puisse être établi que cette appréciation était entachée de partialité ou fondée sur des stéréotypes liés au sexe qui constituent une discrimination à l’égard des femmes, était clairement arbitraire, ou constituait un déni de justice. À cet égard, le Comité note qu’en substance, les allégations de l’auteure visent à contester la manière dont les autorités de l’État partie ont apprécié les éléments de fait de son cas, appliqué les dispositions de la législation, et tiré des conclusions. La question soulevée devant le Comité est donc de savoir s’il y a eu une irrégularité dans le processus décisionnel concernant la demande d’asile de l’auteure dans la mesure où les autorités de l’État partie n’ont pas évalué correctement le risque de violence grave fondée sur le sexe en cas de retour à Éthiopie. À ce propos, le Comité prend note des critiques de l’auteure selon lesquelles les autorités de l’État partie ont négligé la pertinence de ses déclarations, de ses antécédents et de certains éléments de preuve concernant la torture dont elle a été victime. Le Comité considère toutefois qu’après avoir abordé tous les éléments présentés par l’auteure, les autorités de l’État partie ont constaté que le récit de l’auteure manquait de crédibilité en raison de contradictions et du défaut de fondement. Le Comité note qu’aucun élément du dossier ne démontre que l’examen par les autorités des réclamations de l’auteure souffrait d’irrégularités qui conduiraient à la conclusion que l’État partie a manqué d’évaluer les risques courus par l’auteure.

8.7Compte tenu de ce qui précède, sans sous-estimer les préoccupations légitimement exprimées en ce qui concerne la situation générale des droits de l’homme en Éthiopie, notamment pour ce qui est des droits des femmes, le Comité estime qu’aucun élément du dossier ne permet de conclure que les autorités de l’État partie n’ont pas suffisamment pris en compte les demandes d’asile formulées par l’auteure. Le Comité estime à cet effet que les autorités de l’État partie ont procédé à l’examen de la demande d’asile de l’auteure de manière à respecter les obligations qui leur incombent en vertu de la Convention.

9. Au titre du paragraphe 3 de l’article 7 du Protocole facultatif, le Comité conclut que la procédure de demande d’asile de l’auteure et la décision de procéder à son renvoi en Éthiopie ne constituent pas une violation des articles 3, 5 et 7 de la Convention.