Communication présentée par :

J. I. (représentée par le conseil Susan Hindström)

Au nom de :

L’auteure et son fils mineur, E. A.

État partie :

Finlande

Date de la communication :

2 mai 2016 (date de la lettre initiale)

Références :

Transmise à l’État partie le 26 mai 2016 (non publiée sous forme de document)

Date d’adoption des considérations:

5 mars 2018

1.1L’auteure de la communication est J. I., de nationalité finlandaise, née en 1972. Elle présente cette communication en son nom et au nom de son fils, E. A., né en 2011, également de nationalité finlandaise. La Convention et le Protocole facultatif s’y rapportant sont entrés en vigueur en Finlande respectivement en 1986 et en 2000. L’auteure est représentée par un conseil, Susan Hindström.

1.2La communication était accompagnée d’une demande de mesures conservatoires visant à garantir la sécurité du fils de l’auteure qui vit avec son père. Le 26 mai 2016, le Comité a prié l’État partie de prendre des mesures conservatoires afin qu’il soit procédé rapidement à une enquête exhaustive sur les faits de violence à l’encontre de E. A. dénoncés par l’auteure et que soient prises les mesures nécessaires pour éviter qu’un préjudice irréparable ne soit causé à la santé et au bien‑être de l’enfant. La demande de mesures conservatoires a été renouvelée auprès de l’État partie le 17 janvier et le 30 mai 2017, mais aucune mesure conservatoire n’a été prise.

Rappel des faits présentés par l’auteure

2.1L’auteure et J. A. ont entamé une relation à la fin de 2010. Peu après, J. A. a commencé à se montrer violent envers l’auteure. Il l’a notamment fait saigner du nez, a tenté de l’asphyxier, l’a traînée par les cheveux, l’a projetée contre une porte et à travers l’appartement, et l’a humiliée. L’auteure est ensuite tombée enceinte. J. A. a tenté de la contraindre à avorter mais elle a refusé. Durant sa grossesse, en 2011, l’auteure a subi bousculades, gifles, injures, humiliations et menaces. Elle a maintenu la relation durant tout ce temps, car elle voulait que le père soit présent dans la vie de son enfant. Leur fils E. A. est né le 14 août 2011.

2.2Après la naissance, les violences se sont aggravées. L’auteure n’en a pas informé les autorités parce que J. A. l’avait menacée de la tuer si elle en parlait à qui que ce soit. Le 22 décembre 2011, J. A. l’a agressée à leur domicile, lui portant des coups au visage ayant entraîné un hématome autour d’un œil et une plaie à la joue. Le lendemain, elle a consulté un médecin. Elle a eu des douleurs à la joue pendant une à deux semaines et elle a gardé une cicatrice d’un centimètre près de l’œil.

2.3Dans le plan de services élaboré à la suite de cette agression par les autorités de protection de l’enfance, en date du 18 janvier 2012, il est indiqué que les parents en sont venus aux mains à la fin de 2011. J. A. a déclaré qu’il ne supportait pas que l’auteure s’approche trop près de lui en hurlant, mais il a reconnu l’avoir frappée. L’auteure a déclaré aux autorités que J. A. lui avait porté un coup au flanc et, lors d’une autre dispute, au visage. Un tiers avait remarqué que les parents avaient des rapports très conflictuels et était préoccupé par la situation de la mère.

2.4Entre le 15 et le 29 février 2012, J. A. a frappé l’auteure sous la cage thoracique, du côté gauche. Celle-ci a entendu un craquement et ressenti immédiatement une douleur de ce côté. Du fait de la douleur, qui a duré un mois, elle ne pouvait plus soulever son bébé et avait du mal à bouger. J. A. l’a agressée une seconde fois le même mois.

2.5Le 22 février 2012, les autorités de la ville de Turku ont décidé de réserver des crédits pour que J. A. puisse s’inscrire aux réunions d’un groupe destiné aux hommes violents. Il ne s’y est pas rendu. En mars 2012, J. A. a tenté de faire interner l’auteure dans un établissement psychiatrique contre son gré. Selon le dossier médical du 19 mars 2012, le médecin qui l’a examinée a conclu que la patiente n’était pas psychotique, qu’elle n’avait aucuns antécédents psychiatriques, qu’elle n’était susceptible d’être dangereuse ni pour elle-même ni pour son entourage, et que, dès lors, les conditions d’internement n’étaient pas remplies.

2.6Dans la nuit du 15 avril 2012, J. A. a agressé l’auteure en la frappant à l’arrière de la tête avec une mèche à bois de 30 centimètres de long, causant une blessure. Paniquée, l’auteure a pris sa voiture, s’est arrêtée 1,5 kilomètre plus loin et a appelé une ambulance. Cette dernière l’a conduite à l’hôpital, où la plaie a été suturée. Suite à cela, le 16 avril 2012, J. A. a été arrêté par la police et leur enfant âgé de 8 mois confié aux autorités de protection de l’enfance pendant l’hospitalisation de sa mère. Les autorités de protection de l’enfance ont assuré la garde de E. A. jusqu’au 15 mai 2012, alors même que l’auteure avait quitté l’hôpital le 17 avril. Cette décision des services sociaux et familiaux de la ville de Turku était motivée par des doutes sur l’aptitude des parents à assurer la sécurité de l’enfant et les soins appropriés à son âge dans un contexte de disputes incessantes. Selon le rapport du service de la protection de l’enfance établi par l’auxiliaire de santé le 16 avril 2012, « la mère avait été emmenée aux urgences en ambulance après que le père l’avait frappée à la tête avec un tuyau de fer ». Dans les déclarations qu’il a faites le 14 octobre 2013 devant le tribunal de district de Varsinais-Suomi dans le cadre d’une procédure ultérieure relative à la garde de l’enfant, J. A. a reconnu que, le jour en question, il avait bien frappé l’auteure avec une mèche à bois.

2.7Le 16 octobre 2012, sur la recommandation d’un travailleur social et devant la persistance des disputes et violences familiales, l’auteure a quitté le domicile conjugal avec l’enfant et emménagé dans un refuge pour femmes de Turku. Les querelles ont continué et l’enfant a été placé dans un orphelinat le 7 novembre 2012. Cette initiative a bouleversé l’auteure, car elle avait le sentiment que le refuge et les autorités de protection de l’enfance, au lieu de chercher à les aider, elle et l’enfant, les séparaient de nouveau, comme ils l’avaient fait le 16 avril 2012, lorsqu’elle avait été hospitalisée aux urgences à la suite du comportement violent de J. A.

2.8Au début de décembre 2012, l’auteure s’est séparée de J. A. de façon permanente et a déménagé à Mellilä pour se mettre à l’abri, avec l’enfant, de toute violence. Par une décision du 5 décembre 2012, E. A. a été rendu à sa mère et J. A. s’est vu octroyer un droit de visite. Selon cette décision, un travailleur social avait demandé à l’unité de soins psychiatriques intensifs de procéder à un examen de la santé mentale de la mère, mais aucune évaluation de ce genre n’avait été réalisée pour J. A. D’après le certificat médical établi à cette occasion, la mère était disposée à discuter de sa situation. À aucun moment, l’état psychique de la mère ou les effets de cet état sur l’enfant n’ont été évoqués. Il est en outre indiqué dans la décision que les deux parents étaient aptes à prendre soin de l’enfant. Comme c’est la mère qui, pour l’essentiel, prenait soin de l’enfant avant son placement à l’orphelinat et qu’elle se trouvait en congé parental, son fils lui avait été rendu. Dans son évaluation, le travailleur social ne mentionne pas les violences continuelles commises par le père sur la mère en présence de l’enfant et ne soulève aucune interrogation quant à la stabilité du père, alors qu’il y avait de sérieux motifs de considérer que le père était violent et représentait une menace pour l’auteure et leur enfant.

2.9À la fin de 2012, J. A. a engagé une procédure aux fins de se voir attribuer la garde exclusive de son fils. Par une ordonnance provisoire du 28 janvier 2013, le tribunal de district de Varsinais-Suomi a, sur accord des parents, confié le fils à sa mère et attribué un droit de visite à son père à raison de deux week-ends par mois.

2.10Le 14 mai 2012, les deux parties, n’ayant pas réussi à mettre en œuvre le droit de visite du père, elles ont demandé aux services sociaux d’établir un rapport. Ce dernier a été remis au tribunal de district de Varsinais-Suomi le 11 septembre 2013 et communiqué aux parties. Par une décision du 14 octobre 2013, le tribunal a accordé au père la garde exclusive de l’enfant. Dans les motifs de sa décision, le tribunal a certes brièvement évoqué les violences entre les parents mais a surtout tenu compte de l’attitude hostile de l’auteure à l’égard de J. A. et des effets que ce comportement pourrait avoir sur E. A. à l’avenir. S’agissant des violences, le tribunal a relevé que les deux parties s’accusaient mutuellement de violences et reconnaissaient en avoir fait usage, que rien n’indiquait que cette violence pouvait être dirigée contre E. A., même si plusieurs faits de violence avaient eu lieu en sa présence, et qu’aucune violence n’était survenue depuis la séparation. Dans sa décision, tout en faisant référence à des pièces attestant que l’auteure ne présentait pas de maladie mentale, le tribunal a indiqué qu’il résultait de plusieurs témoignages que son comportement était révélateur d’instabilité.

2.11Le 16 octobre 2013, le parquet a engagé des poursuites contre J. A. pour trois agressions violentes commises contre l’auteure en 2011 et 2012. Le 30 octobre, deux travailleurs sociaux, deux garants et deux policiers sont venus prendre l’enfant au domicile de sa mère à Mellilä. Cette intervention a profondément choqué la mère et l’enfant.

2.12Le 19 février 2014, le tribunal de district de Varsinais-Suomi a jugé qu’en portant au visage de l’auteure des coups ayant causé un hématome autour de l’œil et une plaie à la joue à Turku le 22 décembre 2011, J. A. s’était rendu coupable d’une agression violente. Il l’a condamné à payer une amende de 240 euros et à verser à l’auteure, à titre de dommages-intérêts, les sommes de 200 euros pour les souffrances infligées et de 800 euros pour le préjudice esthétique subi. À ce jour, J. A. n’a toujours pas payé ces 1 000 euros. Le tribunal a relaxé J. A. des fins de la poursuite dirigée contre lui pour des agressions qu’il aurait commises entre le 15 et le 29 février 2012 et les 15 et 16 avril 2012. Il a déclaré qu’il ne pouvait être tiré aucune conclusion concernant les faits au vu des versions divergentes données par J. A. et l’auteure et du dossier médical de l’auteure présenté par le parquet. Alors qu’il avait admis, lors de l’audience relative à la garde de l’enfant tenue le 14 octobre 2013, avoir frappé l’auteure avec une mèche à bois le 15 avril 2012, J. A. a nié l’avoir fait au cours du procès pénal. Pour ces raisons, l’auteure fait valoir que J. A. aurait dû être également reconnu coupable de ces faits.

2.13Le 11 juin 2014, la cour d’appel de Turku a confirmé le jugement par lequel le tribunal de district de Varsinais-Suomi a confié à J. A. la garde exclusive de E. A. La brutalité de J. A. et son inaptitude générale à prendre soin de E. A. ont été soulevées en appel. La cour a estimé que rien ne justifiait de réformer le jugement rendu en première instance. Le 10 novembre 2014, la cour suprême a décidé, par un arrêt non motivé, de ne pas autoriser l’auteure à se pourvoir contre la décision de la cour d’appel.

2.14Tandis qu’il vivait avec J. A., E. A. a maintes fois confié à l’auteure que son père lui faisait mal et qu’il l’avait secoué. Il lui demandait également sans cesse la permission de revenir vivre avec elle. L’auteure et les autorités de protection de l’enfance ont porté plusieurs fois plainte à la police pour des faits de violence qu’aurait commis J. A. sur E. A. en 2015 et 2016, mais les enquêtes ont été menées avec lenteur et n’ont pas abouti. J. A. ayant été reconnu coupable de l’agression qui lui était reprochée et étant violent, l’auteure fait valoir que la situation est insupportable pour l’enfant et que sa sécurité et son bien-être sont gravement menacés. Elle ajoute que l’enfant ne fréquente pas de crèche où sa situation pourrait être suivie.

2.15En juillet 2015, à l’occasion d’une visite, J. A. a agressé l’auteure, qui a porté plainte à la police. Ayant été informée que son action resterait sans suite, elle a retiré sa plainte. Par conséquent, l’auteure soutient qu’elle n’est pas protégée efficacement par les autorités contre de nouvelles violences.

Teneur de la plainte

3.1L’auteure soutient qu’en violation de l’article premier de la Convention, les femmes souffrent plus que les hommes de l’absence de mesures prises par l’État partie pour prévenir la violence familiale. Elle affirme que l’État partie ne considère pas cette violence comme une menace réelle et sérieuse. Les violences faites aux femmes et leurs conséquences ne sont pas prises en compte par la législation du pays et la pratique de ses institutions publiques, y compris les autorités judiciaires. À titre d’exemple, la loi sur la garde des enfants et le droit de visite (no 361/1983), dont les dispositions ont servi de base à la décision relative à la garde de son enfant, ne prévoit pas de mesure de protection spéciale pour les mères et les enfants victimes de violences familiales, alors même que la grande majorité des victimes de ces violences sont des femmes et leurs enfants et que les auteurs sont généralement des hommes. De plus, dans la pratique, cette loi n’est pas appliquée de manière à protéger efficacement les victimes, comme le montre la présente affaire.

3.2L’auteure fait valoir que l’État partie n’a pas agi avec la diligence requise pour accorder à son enfant et à elle-même une protection effective contre la violence et ses conséquences. L’État partie ne s’est pas doté d’une législation adéquate et n’a pas pris les mesures voulues pour défendre les droits de l’auteure et de son enfant et les protéger contre le risque de nouvelles violences, le père violent ayant obtenu la garde exclusive de l’enfant, qui continue de vivre avec l’auteur des violences. L’auteure soutient en outre que la décision prise par la justice de lui ôter la garde de son enfant viole ses droits fondamentaux et constitue une grave discrimination à son égard en tant que femme et victime de violences familiales, sachant que J. A. avait, à plusieurs reprises et en présence de l’enfant, fait usage de violence à l’encontre de sa mère, et qu’il avait par la suite été déclaré coupable, à l’issue d’une procédure pénale, de l’une des agressions qui lui étaient reprochées. L’auteure affirme que son fils et elle-même sont victimes de discrimination fondée sur le sexe, en ce que l’État partie n’a pas défendu l’égalité de ses droits dans le mariage, lors de sa dissolution et en tant que parent dans l’intérêt supérieur de l’enfant (pour ce qui est de la garde, de la résidence et du droit de visite). Ces actes et omissions de l’État partie enfreignent l’article premier, les alinéas a), c), d) et f) de l’article 2, le paragraphe 1 de l’article 15 et les alinéas d), e) et f) du paragraphe 1 de l’article 16 de la Convention.

3.3L’auteure affirme en outre que de nombreuses formes de violence faites aux femmes ne sont pas reconnues par la loi ni dans la pratique des autorités, ce qui entraîne une inégalité avec les hommes et une absence de protection de la maternité. Elle ajoute que, dans l’État partie, les victimes de violence familiale ne bénéficient pas d’un soutien effectif. Souvent, les femmes victimes ne cherchent pas de protection auprès des autorités, en partie à cause de la stigmatisation qui peut en résulter et de la réaction généralement négative de la société. Et, quand elles le font, les autorités n’offrent généralement pas de protection adéquate. L’auteure, elle aussi, a craint d’être stigmatisée et éprouvé de la honte. Lorsqu’elle a fini par demander de l’aide, elle n’a pas été protégée de ces violences alors même que les autorités en avaient connaissance depuis longtemps, au moins depuis la fin de 2011. Au contraire, les brutalités ont été à maintes reprises réduites à un désaccord entre partenaires (égaux) par les autorités de protection de l’enfance. Aux conséquences que cette violence grave et continuelle a eues sur le bien-être de l’auteure (anxiété et surexcitation) s’ajoute le fait que les autorités ont mis en cause son état de santé mentale. Bien que plusieurs médecins aient déclaré en 2012 et 2013 qu’elle ne présentait pas de maladie mentale et que son état de santé mentale était normal, les autorités et les juges ont donné foi, au moins partiellement, aux allégations d’« instabilité » proférées par J. A. à son encontre.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Le 26 juillet 2016, l’État partie a demandé au Comité d’examiner la question de la recevabilité de la communication séparément du fond. Cette demande n’a pas été acceptée.

4.2L’État partie déclare que, le rejet du recours devant la cour suprême ayant mis fin au procès initial, l’auteure a introduit le 13 mai 2015 une nouvelle instance devant le tribunal de district de Varsinais-Suomi pour demander le partage de la garde et de la résidence ou, à défaut, l’extension de ses droits de visite. Le 9 juin 2016, le tribunal de district a ordonné l’extension des droits de visite de l’auteure et rejeté le surplus des chefs de sa demande. Le 8 juillet 2016, l’auteure a fait appel devant la cour d’appel, laquelle n’a pas encore statué. À la date de la communication, la procédure ne durait que depuis un peu plus de deux ans, ce qui ne saurait être considéré comme excédant des délais raisonnables. En outre, les griefs de violence sexiste articulés dans la communication n’ont pas été soulevés devant les juridictions nationales.

4.3L’État partie fait valoir que l’auteure n’a pas qualité pour présenter la communication au nom de son fils, qui est sous la garde de J. A., lequel n’est pas informé de la procédure engagée devant le Comité. Il affirme que l’auteure n’a pas suffisamment motivé son action comme le prévoient l’article 2 du Protocole facultatif et l’article 68 du règlement intérieur du Comité.

4.4 S’agissant des allégations essentielles soulevées par l’auteure, l’État partie déclare que leur caractère infondé a été établi et que, dès lors, la requête devrait être déclarée irrecevable ratione materiae. Il avance que d’après les informations dont il dispose, sur l’ensemble des 51 signalements dont ont été saisis les services de protection de l’enfance au sujet de E. A., 29 émanaient de l’auteure, trois du père et les autres des autorités. Il fait en outre valoir que les autorités ont donné la suite voulue à tous ces signalements, en protégeant la sécurité et le bien‑être de l’enfant de diverses manières. Il insiste sur le fait qu’il ressort du jugement rendu le 9 juin 2016 par le tribunal de district que la teneur et le ton des allégations figurant dans les signalements de l’auteure traduisaient son intention d’obtenir une modification de la précédente décision. Le tribunal a relevé qu’il avait été établi que la majorité des signalements émanant de l’auteure étaient infondés.

4.5L’État partie affirme que la présente plainte n’a d’autre objet que de contester l’appréciation que les tribunaux nationaux ont légitimement faite des éléments concernant la garde de l’enfant de l’auteure, qui cherche donc à utiliser le Comité comme une quatrième instance.

4.6S’agissant de l’ordonnance de protection délivrée en urgence au profit de l’enfant de l’auteure le 16 avril 2014, l’État partie note que l’intéressée ne l’a pas contestée devant les autorités administratives, ce que permettent la loi sur la protection de l’enfance (no 417/2007) et la loi sur la procédure administrative (no 586/1996).

4.7L’État partie affirme qu’il a été tenu compte de l’intérêt supérieur de E. A. à tous les stades de la procédure conformément à la législation nationale. À cet égard, il souligne que l’égalité des sexes est consacrée par la loi sur l’égalité entre les femmes et les hommes (no 609/1986), qui occupe une place centrale dans le dispositif législatif mis en œuvre en application de la Convention et qui a été complétée par la législation européenne applicable et le code pénal. Les décisions rendues par les juridictions nationales en l’espèce indiquent clairement que les divers actes de violence commis par l’auteure et son partenaire ont été dûment pris en considération pour trancher les questions de garde, de résidence et de droit de visite.

4.8L’État partie ajoute que la législation évolue constamment pour assurer la protection effective des enfants, comme il est réaffirmé dans la loi sur l’aide sociale (no 1301/2014) et le nouveau plan d’action national pour l’égalité des sexes 2016‑2019 qui a été adopté en mai 2016 et prévoit une trentaine de mesures, notamment dans le domaine prioritaire des violences faites aux femmes et des violences conjugales. L’État partie rappelle en outre qu’il a ratifié la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, qui est entrée en vigueur le 1er août 2015. L’État partie s’est efforcé, par des mesures législatives et autres, de veiller à ce que l’intérêt supérieur de l’enfant soit assuré de manière concrète. Ce principe demeure primordial.

4.9L’État partie soutient que les allégations de l’auteure selon lesquelles les carences de la législation nationale empêchent d’assurer sa protection et celle de son enfant sont manifestement dénuées de fondement au regard de l’alinéa c) du paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif. Il estime donc, au vu des considérations qui précèdent, qu’il n’y a pas eu violation de l’article premier, des alinéas a), c), d) et f) de l’article 2, du paragraphe 1 de l’article 15 et des alinéas d) et f) du paragraphe 1 de l’article 16 de la Convention.

Observations de l’État partie sur le fond

5.1Le 28 novembre 2016, l’État partie a présenté ses observations sur le fond de la communication.

5.2Rappelant ses observations sur la recevabilité et contestant toutes les allégations formulées par l’auteure, même sur les points n’ayant fait l’objet d’aucune observation précise, l’État partie affirme en particulier que, le 7 septembre 2016, l’autorisation d’interjeter appel devant la cour d’appel avait été accordée et que la procédure d’appel était donc pendante.

5.3L’État partie cite les normes en vigueur en matière d’égalité figurant à l’article 6 du chapitre 2 de la Constitution et aux articles 1 et 4 de la loi sur l’égalité entre les hommes et les femmes, qui prévoient des dispositions précises sur l’élimination des discriminations, la protection des droits fondamentaux et l’obligation positive de promouvoir systématiquement l’égalité des sexes.

5.4S’agissant des griefs de discrimination formulés par l’auteure, notamment le manquement de l’État partie à assurer sa protection et celle de son fils de la violence familiale, l’absence de diligence requise et d’enquêtes rapides, son manquement à adopter des mesures législatives et des procédures policières suffisantes, la non‑reconnaissance en droit des violences faites aux femmes et l’absence de protection juridique contre ces violences, l’absence de formation dispensée aux forces de l’ordre et le refus de faire de la santé des victimes un objectif prioritaire, ce qui, de fait, les pénalise, l’État partie soutient que ces allégations sont vagues, d’ordre général, infondées et sans rapport avec les circonstances de l’espèce. Il avance également que l’auteure n’a pas démontré, comme l’exige l’article 2 du Protocole facultatif, en quoi ses droits avaient été violés.

5.5Selon l’État partie, la plainte de l’auteure découle de son désaccord avec les décisions rendues dans son affaire par les autorités nationales et l’auteure entend simplement utiliser le Comité comme une quatrième instance dans le but de faire rejuger l’affaire au fond.

5.6Quant au grief tiré du manquement de la police à enquêter sur les plaintes de l’auteure, l’État partie fait valoir que l’intéressée a porté plainte à trois reprises contre J. A., les 3 mars, 20 juillet et 18 novembre 2015, et relève que, le 23 août 2016, le mis en cause a été convoqué par la police pour être entendu sur les faits dénoncés.

5.7S’agissant de l’ordonnance de protection délivrée en urgence au profit de l’enfant le 16 avril 2012, l’État partie indique que, ce jour-là, le service des urgences a alerté les autorités de protection de l’enfance de la situation, et que l’enfant a fait l’objet d’un placement d’urgence, sa sécurité ayant été jugée gravement menacée du fait de la relation conflictuelle des parents. Le 16 avril 2012 à 22 h 30, l’auteure a été informée de la décision par les autorités et a menacé, au cours de la conversation, de tuer J. A. Le 2 mai 2012, il a été mis fin au placement, les motifs qui le justifiaient ayant disparu. L’État partie affirme que le placement a été décidé dans l’intérêt supérieur de l’enfant et qu’il a pris fin dès que les circonstances l’ont permis. Il ajoute que l’auteure n’a pas formé de recours contre la décision du 16 avril 2012.

5.8S’agissant du grief tiré du défaut d’accès à un refuge pour femmes, l’État partie indique que, selon les informations dont il dispose, l’auteure et son fils ont bien été pris en charge par une telle structure à la demande de l’intéressée. Il fait observer que les autorités s’efforcent rigoureusement de mettre à l’abri les personnes qui en ont besoin et que cette politique est appliquée et constamment développée depuis les années 70. Il ajoute que des programmes spéciaux visant à réduire les violences faites aux femmes sont mis en œuvre depuis le milieu des années 90, le plus récent étant le plan d’action pour 2010-2015 qui visait à étendre un système pluridisciplinaire d’évaluation des risques à plusieurs municipalités. Il précise par ailleurs que la loi sur l’indemnisation par l’État des prestataires de services d’hébergement d’urgence (no 1354/2014), qui est entrée en vigueur le 1er janvier 2015, a confié le financement des refuges à l’État plutôt qu’aux collectivités locales. La loi prévoit également l’évaluation qualitative du personnel et des services offerts, notamment en matière de soutien psychosocial, de conseils et d’orientation. Tous ces services sont gratuits et accessibles aux hommes, aux femmes et aux enfants, selon leurs besoins, dans toutes les régions.

5.9S’agissant du grief selon lequel son fils ne bénéficierait pas de services de crèche depuis le 30 octobre 2013, l’État partie souligne qu’en vertu de l’article 4 de la loi sur la garde des enfants et le droit de visite, la personne investie de la garde de l’enfant a le droit de décider des soins prodigués à l’enfant, de son éducation, de son lieu de résidence et autres questions d’ordre personnel. L’État partie affirme que, selon les informations dont il dispose, le fils de l’auteure fréquente une garderie depuis le 1er juin 2016.

Commentaires de l’auteure sur les observations de l’État partie quant à la recevabilité et au fond

6.1Le 4 janvier 2017, l’auteure a fait parvenir ses commentaires sur les observations de l’État partie. Elle conteste l’affirmation selon laquelle elle n’aurait pas épuisé les voies de recours internes. L’État partie confirme que la première procédure relative à la garde de l’enfant a pris fin le 10 novembre 2014, lorsque la cour suprême a rejeté sa demande d’interjeter appel et que la décision de la cour d’appel est devenue définitive. Autrement dit, l’auteure a épuisé toutes les voies de recours internes qui lui étaient ouvertes pour obtenir une mesure de protection à son profit et à celui de son enfant dans le cadre de la procédure relative à la garde. La condition de recevabilité d’une communication n’est pas que l’auteure ait cherché à plusieurs reprises à épuiser les recours nationaux, dans la mesure où il est clairement impossible de changer l’attitude stéréotypée et discriminatoire des autorités nationales en portant l’affaire à nouveau devant les mêmes juridictions. En outre, l’auteure a épuisé les voies de recours pénales qui lui étaient offertes, J. A. ayant été reconnu coupable d’agression à son encontre le 19 février 2014. J. A. a été condamné à payer une amende de 240 euros et à verser à l’auteure, à titre de dommages-intérêts, les sommes de 200 euros en réparation des souffrances endurées et de 800 euros en réparation du préjudice esthétique subi. Quoique définitif, ce jugement n’a offert aucune protection à l’auteure ou à son fils. Par ailleurs, J. A. ne lui a pas versé les sommes ordonnées.

6.2L’auteure réaffirme que son fils et elle, en tant que victimes de violence familiale, ont subi une discrimination dans la première procédure relative à la garde. Elle confirme qu’elle a engagé la seconde procédure afin de voir prononcer une mesure de protection en faveur de son fils et que l’instance est pendante devant la cour d’appel. Face à la détresse continuelle de son fils, elle affirme qu’elle est également tenue par la loi, en tant que parent, de tenter de lui assurer une protection en dépit du précédent refus des autorités d’agir et de prendre des mesures en ce sens. Toutefois, la dernière procédure devant les juridictions internes ne fait pas l’objet de la présente communication.

6.3L’auteure conteste l’affirmation selon laquelle elle n’aurait pas évoqué les faits en question devant les juridictions nationales. Elle a informé les autorités que J. A. l’avait plusieurs fois violemment agressée en présence de leur enfant. Le jugement du 19 février 2014, par lequel J. A. a été condamné pour agression à son encontre, a été versé au dossier de la procédure relative à la garde devant la cour d’appel. L’auteure fait valoir que les violences répétées exercées par un parent sur l’autre en présence de l’enfant prouvent que le parent en question n’est pas apte à assumer la garde de l’enfant.

6.4L’auteure affirme qu’elle a également déclaré devant les tribunaux nationaux que les décisions de placement d’urgence de E. A. prises en 2012 en raison des violences infligées par J. A. sur sa personne devaient être prises en compte, aux fins de l’appréciation de l’intérêt supérieur de l’enfant, pour établir que les compétences parentales de J. A. étaient insuffisantes et que son comportement était préjudiciable à l’enfant. Les agressions que J. A. a commises sur l’auteure à l’époque où les parents vivaient ensemble ont déjà gravement affecté E. A. qui, du fait des agissements de son père, a été placé d’urgence en maison d’accueil et séparé de ses parents dès l’âge précoce de 8 mois et de nouveau à 15 mois pendant plusieurs semaines. Ces circonstances prouvent que le comportement de J. A. a été et continue d’être gravement préjudiciable à l’enfant. En outre, l’auteure fait valoir que c’est toujours à elle et non au père que l’enfant a été rendu à l’issue des placements d’urgence en famille d’accueil, ce qui démontre que J. A. n’était pas un père digne de confiance, capable d’assurer un environnement sûr pour le développement stable de l’enfant. Par conséquent, elle devrait donc avoir la garde et le père se voir accorder un droit de visite. En outre, elle affirme qu’elle a toujours dûment pris soin de E. A., ce que J. A. a reconnu devant les juges. Elle soutient que ces faits et éléments de preuve n’ont cependant pas été pris en compte de façon non discriminatoire par la justice.

6.5Notant l’affirmation de l’État partie selon laquelle il ressort du jugement rendu le 9 juin 2016 par le tribunal de district de Varsinais-Suomi que la teneur et les connotations des allégations figurant dans les signalements et les courriels de l’auteure aux services de protection de l’enfance révèlent son intention d’obtenir une modification de la (précédente) décision de justice quant au fond, l’auteure déclare que, dans sa décision antérieure, ce même tribunal avait opéré une grave discrimination à son encontre et à l’égard de son fils en tant que victimes de violence familiale et n’avait absolument pas pris en compte la violence que J. A. lui avait fait subir. Le tribunal a manifesté un parti pris défavorable à l’auteure et il est clair que les tribunaux ont tendance à défendre leurs décisions antérieures. Les énonciations du tribunal relatives aux raisons qui ont motivé l’auteure à engager une seconde procédure de garde d’enfant sont une opinion et non un fait. L’auteure a intenté une action en justice et saisi 29 fois les services de protection de l’enfance aux fins d’obtenir une mesure de protection en faveur de son fils. Sachant que le tribunal a pris précédemment le parti que la mère devait être exclue de la garde de l’enfant et que des violences familiales avérées ne constituaient pas un élément à prendre en considération, il est évident que, pour un tel tribunal, c’est le parent qui invoque des faits de violences familiales sur l’enfant qui est le problème et non les violences elles‑mêmes.

6.6En ce qui concerne l’affirmation attribuée par l’État partie au tribunal de district selon laquelle l’auteure et le père de l’enfant ont reconnu avoir fait usage de la violence l’un envers l’autre, l’auteure soutient qu’elle n’a jamais usé ni admis avoir usé de violences à l’encontre de J. A. En outre, elle n’a jamais été soupçonnée d’avoir commis de tels actes et J. A. n’a présenté aucun élément de preuve en justice à ce sujet. L’auteure rappelle qu’en tant que suspect dans une procédure pénale, J. A. n’était pas obligé de dire la vérité à l’audience ou au cours de l’enquête, et affirme qu’il était clairement dans son intérêt de lui imputer également des violences. Toutefois, J. A. n’a jamais dénoncé de tels faits à la police et n’a produit aucun élément de preuve à cet égard. L’auteure fait valoir que les allégations non prouvées de J. A., reprises par l’État partie, ont un caractère calomnieux et qu’une allégation sans preuve ne suffit pas à démontrer que les deux parents ont eu un comportement violent.

6.7L’auteure soutient que les tribunaux n’ont pas non plus tenu compte du fait que l’affaire comportait une dimension de violence familiale systématique ayant de graves incidences sur les victimes : la mère et le fils. Les faits de violence familiale se sont produits à plusieurs reprises sur une longue période et ont entraîné le placement d’urgence de l’enfant en famille d’accueil deux fois en 2012, l’hospitalisation de l’auteure le 16 avril 2012 après une agression grave, et la condamnation de J. A. pour coups et blessures en 2014. La plupart de ces actes de violence sont néanmoins restés impunis. L’auteure fait référence au coup que J. A. lui a asséné sur la tête avec une mèche à bois, à la suite de quoi leur fils a été placé sous protection.

6.8L’auteure affirme en conséquence qu’il n’a pas été tenu dûment compte du caractère récurrent de la violence familiale lorsque la décision relative à la garde, à la résidence et au droit de visite concernant E. A. a été rendue et que les autorités n’ont pas enquêté sur tous les actes de violence commis ni pris des mesures efficaces pour y remédier. Comme l’a noté l’État partie, l’auteure a fait 29 signalements aux services de protection de l’enfance au sujet de son fils. L’État partie confirme en outre que d’autres parties, particuliers et autorités, ont également procédé à 19 signalements aux services de protection de l’enfance jusqu’en juillet 2016. Le nombre de signalements est très inquiétant et révèle qu’elle n’est pas la seule à s’inquiéter de la sécurité et du bien-être de l’enfant. Ces signalements n’ont pas donné lieu à une enquête approfondie et la police a clos l’enquête sans même entendre des témoins ou l’enfant ni faire procéder à un examen physique ou psychologique de l’enfant. L’État partie a négligé de prendre ces mesures, bien que le Comité lui ait adressé une demande de mesures conservatoires le 26 mai 2016. Cette négligence a eu des conséquences, l’enfant ayant confié avoir été violemment agressé par J. A., entre le 5 et le 15 décembre 2016. Ces faits ont été dénoncés par la mère et un infirmier psychiatrique du centre de soins de Loimaa aux services de protection de l’enfance. Aucune enquête n’a été ouverte. E. A. a dit que de nouvelles violences étaient survenues les 9 et 22 avril 2017 et que son père l’avait empoigné par le cou et lui avait tiré les cheveux. Il n’a été procédé à aucune enquête malgré les inquiétudes exprimées par un médecin et les signalements effectués par les services de protection de l’enfance. E. A. demeure sans protection, et ce, en dépit de la demande de mesures conservatoires présentée par le Comité. Les autorités locales ont déclaré n’avoir pas connaissance de ladite demande.

6.9L’auteure affirme qu’elle a présenté la communication également au nom de son fils pour voir ordonner des mesures de protection en sa faveur. Elle est actuellement en sécurité à son domicile, ayant pu se séparer de J. A. et, par là même, mettre fin à la plupart des brutalités. Il résulte de la jurisprudence des organes de protection des droits de l’homme qu’une mère biologique a qualité pour représenter son enfant dans la mesure où la plainte vise à protéger l’intéressé. Dans une affaire où la personne ayant la garde exclusive de l’enfant a été reconnue coupable par la justice d’une agression sur l’autre parent, à savoir l’auteure en l’espèce, il est clair qu’il est dans l’intérêt supérieur de l’enfant que le parent non violent, qui a été privé de la garde, soit également autorisé à représenter son enfant devant une instance internationale d’enquête. L’attitude de l’État partie en l’espèce, qui s’oppose fermement aux droits d’une mère biologique qui a été victime de violence familiale et qui cherche à protéger son fils, témoigne clairement des attitudes gravement discriminatoires dont sont couramment victimes les femmes en Finlande et du refus de considérer la violence familiale comme un problème et de protéger les droits des victimes.

6.10L’auteure conteste l’affirmation selon laquelle elle chercherait à utiliser la procédure de communication comme une quatrième instance. Elle exerce ce recours parce que son fils et elle, en tant que victimes de violences familiales, ont fait l’objet de discrimination de la part des autorités et des juridictions nationales. Les procès civil et pénal intentés devant les juridictions nationales n’ont pas permis de les protéger efficacement, contrairement à ce qu’imposent la législation nationale et la Convention. L’État partie ayant ratifié la Convention et son Protocole facultatif, leurs dispositions devraient être appliquées dans toutes les affaires de violence familiale jugées au civil comme au pénal dans le pays. Les décisions rendues par la justice étant à l’évidence arbitraires et constitutives d’un déni de justice, il y a lieu pour le Comité d’examiner l’affaire.

6.11L’auteure affirme en outre que, dans sa recommandation générale no 19 (1992) sur la violence à l’égard des femmes, le Comité a affirmé que la violence fondée sur le sexe constituait une forme de discrimination au sens de l’article premier de la Convention. Les États Parties ont une obligation de diligence qui leur impose de prendre toutes les mesures appropriées pour prévenir les actes de violence sexiste commis par des acteurs non étatiques, enquêter sur ces faits, en punir les auteurs et indemniser les victimes. Selon le Comité, les agents publics sont tenus de respecter cette obligation pour que les femmes puissent jouir d’une égalité réelle et être, dans la pratique, protégées contre la violence. Cette obligation comprend celle d’enquêter sur les éventuelles défaillances, négligences ou omissions des autorités publiques qui pourraient avoir privé des victimes de protection contre cette violence.

6.12Dans l’affaire González Carreño c. Espagne, le Comité a affirmé, que dans les affaires concernant la garde des enfants et les droits de visite, les décisions doivent avoir pour fondement l’intérêt supérieur de l’enfant, et non des stéréotypes, l’existence de violences familiales étant un élément à prendre en considération, et a souligné que les stéréotypes portaient atteinte au droit des femmes à un procès équitable et impartial et que l’appareil judiciaire devait se garder d’instaurer des normes rigides, uniquement sur la base d’idées préconçues quant à ce qui constitue la violence intrafamiliale. Dans cette affaire, le Comité a conclu que la décision d’autoriser le père à effectuer des visites non surveillées découlait d’une vision stéréotypée de la violence familiale qui privilégiait ses intérêts (d’homme) et minimisait son comportement violent, par rapport à la sécurité de la mère et de l’enfant, qu’elle ne tenait pas compte du fait que cette violence familiale durait depuis des années, et qu’elle n’était pas accompagnée des mesures de sauvegarde nécessaires. De même, dans la présente affaire, les tribunaux n’ont pas pris en considération le caractère récurrent de ces violences sur une longue période et n’ont pas précisé les mesures de sauvegarde à prendre pour protéger l’enfant après la séparation des parents. La conséquence est que, depuis octobre 2013 (soit trois ans), E. A. déclare que son père lui fait du mal. Les derniers faits de violence graves commis par J. A. sur E. A. et révélés par ce dernier à sa mère ont eu lieu entre le 5 et le 15 décembre 2016. L’État partie a même négligé de prendre les mesures conservatoires que le Comité avait demandées le 26 mai 2016 pour assurer la protection de E. A. Rien n’a été fait pour protéger l’enfant et la police a clos l’enquête sans faire examiner ou entendre l’enfant ni interroger des témoins.

6.13L’auteure souligne que, lorsque des violences faites aux femmes ont un caractère systématique, ou lorsque l’incidence de la violence à l’égard des femmes est extrêmement élevée, comme en témoigne le fort taux de violences conjugales en Finlande, il est évident que l’État sait ou devrait savoir les risques auxquels s’exposent les femmes qui se plaignent de violences de la part de leurs partenaires ou ex-partenaires. En conséquence, il est inacceptable que l’État partie fasse valoir que le risque auquel l’auteure ou son fils seraient exposés est faible ou que l’affaire est manifestement mal fondée, alors que J. A. a été reconnu coupable d’agression sur l’auteure. Cette dernière affirme que, pour que l’obligation de diligence soit remplie, il ne suffit pas que l’État légifère ; il faut encore que la loi soit appliquée. En Finlande, l’État néglige de protéger les femmes et les mineurs des violences familiales, malgré l’adoption de mesures législatives. La loi est également défaillante en ce qui concerne la protection des mineurs qui vivent dans un environnement violent et qui sont donc également victimes de violences.

6.14L’auteure note que, dans l’affaire González Carreño c. Espagne, le Comité a rappelé « que, dans les affaires concernant la garde des enfants et les droits de visite, l’intérêt supérieur de l’enfant [devait] être une considération primordiale et que, lorsque les autorités nationales [prenaient] des décisions à ce sujet, elles [devaient] tenir compte de l’existence d’un contexte de violence intrafamiliale ». Il a par ailleurs estimé « qu’au départ, les autorités de l’État partie [avaient] pris des mesures en vue de protéger la mineure dans un contexte de violence intrafamiliale. Néanmoins, la décision d’autoriser les visites non surveillées n’a pas été accompagnée des mesures de sauvegarde nécessaires et n’a pas tenu compte du fait que le schéma de violence familiale qui avait caractérisé les relations intrafamiliales pendant des années, non contesté par l’État partie, n’avait pas disparu ». Dans la présente affaire, les juridictions nationales n’ont même pas examiné s’il y avait lieu d’octroyer à J. A. un droit de visite encadrée. Au contraire, elles lui ont accordé la garde exclusive de l’enfant au détriment de la mère, victime des violences familiales. Les tribunaux devraient apprécier d’office s’il y a lieu d’organiser un droit de visite encadrée dans les affaires de violence intrafamiliale, sachant qu’il peut être dangereux pour la victime d’en faire elle‑même la demande. Une telle requête présentée par la victime au procès pourrait également mettre sa santé et même sa vie en danger en incitant l’auteur à commettre d’autres violences.

6.15Le Comité a rappelé qu’en vertu du paragraphe a) de l’article 2 de la Convention, les États parties avaient l’obligation d’assurer par voie de législation ou par d’autres moyens appropriés, la réalisation effective du principe de l’égalité des hommes et des femmes, et que, conformément aux paragraphes f) de l’article 2 et a) de l’article 5, les États parties avaient le devoir de prendre les mesures appropriées pour modifier ou abroger non seulement toute loi ou disposition réglementaire mais également toute coutume ou pratique qui constitue une discrimination à l’égard des femmes. Le paragraphe 1 de l’article 16 impose également aux États parties de prendre toutes les mesures nécessaires pour éliminer la discrimination à l’égard des femmes dans toutes les questions découlant du mariage et dans les rapports familiaux. Le Comité a souligné à cet égard que les stéréotypes portaient atteinte au droit des femmes à un procès équitable et que l’appareil judiciaire devait se garder d’instaurer des normes rigides, uniquement sur la base d’idées préconçues quant à ce qui constitue la violence intrafamiliale.

6.16L’auteure admet que l’État partie a pris quelques mesures générales pour lutter contre la violence familiale, notamment en matière législative et dans le domaine de la sensibilisation. Toutefois, les agents des services publics sociaux et judiciaires sont insuffisamment formés et manquent de connaissances sur la notion de violence familiale, ses effets sur les structures de pouvoir au sein de la famille et ses conséquences pour les victimes. Ils ne connaissent pas non plus les diverses conventions internationales relatives aux droits de l’homme que l’État partie a ratifiées. Au contraire, ils continuent de perpétuer les attitudes traditionnelles néfastes que sont la domination masculine et l’approbation de fait de la violence familiale exercée par les hommes. Pour qu’une femme victime de violence familiale bénéficie concrètement du principe d’égalité des sexes et jouisse de ses droits et libertés fondamentales, il faut impérativement que la volonté politique exprimée dans la législation soit soutenue par tous les agents publics chargés de mettre en œuvre l’obligation de diligence mise à la charge de l’État partie. Dans sa réponse, l’État partie déclare que J. A. a affirmé que les deux parents avaient fait usage de violence l’un envers l’autre. Les éléments de preuve produits dans le cadre de la procédure relative à la garde de l’enfant et dans celui de la procédure pénale démontrent cependant le contraire. L’auteure n’est même pas soupçonnée d’avoir agressé J. A., tandis que ce dernier a été condamné pour agression sur l’auteure. Ainsi, les éléments de preuve incontestables présentés par l’auteure pour établir la réalité des violences familiales exercées unilatéralement par J. A. à son encontre en présence de E. A. n’ont pas été pris en compte par la justice dans l’affaire relative à la garde, à la résidence et au droit de visite de leur enfant. Il a été accordé moins d’attention et moins de poids aux éléments de preuve décisifs présentés par l’auteure qu’à ceux produits par J. A., ce qui constitue une discrimination à l’égard de l’auteure contraire à l’article 15 de la Convention.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1Conformément à l’article 64 de son règlement intérieur, le Comité doit décider si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif. Aux termes du paragraphe 4 de l’article 72 du règlement, il doit le faire avant de se prononcer sur le fond de la communication.

7.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’alinéa a) du paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif, que la même question n’avait pas déjà été examinée ou n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.3Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel l’auteure n’a pas épuisé les voies de recours internes dans la mesure où l’appel formé contre la décision du 9 juin 2016 est toujours pendant, qu’elle n’a pas soulevé les griefs de violence sexiste devant les autorités nationales, et qu’elle n’a pas contesté l’ordonnance de protection délivrée en urgence au profit de son enfant. Le Comité relève que, le 14 octobre 2013, la garde de l’enfant de l’auteure a été accordée à son père ; que, le 11 juin 2014, l’auteure a formé un recours contre cette décision devant la cour d’appel de Turku, laquelle a confirmé la décision ; que, le 10 novembre 2014, l’autorisation d’interjeter appel devant la cour suprême lui a été refusée. L’auteure a expliqué que, dans le cadre de cette première série de procédures dont elle conteste l’issue devant le Comité, elle a soulevé les questions de fond, y compris les griefs de violence familiale, devant les juridictions nationales, et ce, jusqu’au dernier niveau de juridiction. Elle a également informé le Comité le 23 novembre 2017 que la deuxième série de procédures intentées contre la décision du 9 juin 2016 avait été abandonnée sur les conseils de son avocat selon lequel il était futile de contester les mêmes faits devant les mêmes tribunaux compte tenu des défaillances dont le tribunal avait fait preuve s’agissant des procédures relatives au droit de garde.

7.4Le Comité fait observer que l’auteure n’a cessé depuis plus de quatre ans de contester l’octroi de la garde de son enfant. Compte tenu des préoccupations que la première série de procédures a suscitées, notamment la confirmation de la décision relative à la garde après que J. A. a été condamné pour avoir violemment agressé l’auteure, sans évaluation de sa capacité à assumer la garde exclusive ; du fait que la police n’a pas enquêté ni engagé de poursuites lorsque de nouveaux épisodes de violence ont été signalés après la séparation ; du fait que la deuxième série de procédures a eu lieu après que le Comité a été saisi de la communication et qu’elle porte sur les mêmes points que le premier différend concernant la garde de l’enfant ; et du fait que l’auteure a porté toutes les questions dont le Comité est saisi, y compris celle de la violence familiale, devant la Cour suprême et qu’elle n’a jugé nécessaire d’introduire une deuxième série de procédures, identiques que pour obtenir la protection de son fils étant donné que l’État partie n’avait jamais donné suite aux demandes de mesures conservatoires émanant du Comité, le Comité considère que, pour ce qui est des questions soulevées dans la communication, il y a bien eu épuisement des voies de recours internes, et qu’il n’est donc pas empêché par le paragraphe 1 de l’article 4 du Protocole facultatif d’examiner la communication au fond. Le Comité ne juge pas nécessaire d’examiner si les recours internes ont été épuisés s’agissant de la deuxième série de procédures.

7.5Le Comité note les autres moyens d’irrecevabilité soulevés par l’État partie, à savoir que l’auteure n’a pas qualité pour présenter une demande au nom de son enfant, qu’elle n’a pas dûment motivé sa communication, qu’elle demande au Comité de s’ériger en quatrième instance et de réexaminer l’affaire au fond, et que ses griefs sont irrecevables ratione materiae, la plupart ayant été réfutés. Il relève également l’argument de l’auteure selon lequel sa qualité de mère lui donne le droit de solliciter une mesure de protection pour son enfant, d’autant plus que cette demande est liée à la brutalité dont J. A. a fait preuve à son encontre et à l’égard de son enfant et que le bien-fondé de ses plaintes a été confirmé par la condamnation de J. A. pour agression, et qu’elle demande au Comité d’examiner l’affaire au motif que les autorités nationales ont fait preuve de discrimination et commis un déni de justice à son égard. Le Comité estime que les griefs de l’auteure sont suffisamment motivés aux fins de la recevabilité et ressortissent à sa compétence, que l’auteure a bien qualité pour agir au nom de son enfant lorsque la sécurité de ce dernier est en jeu, et qu’elle forme un recours contre les décisions des juridictions nationales pour déni de justice et discrimination fondée sur le sexe et ne se borne pas à contester les constatations de fait tirées par les juridictions en question. En conséquence, le Comité considère qu’aucun autre motif d’irrecevabilité ne l’empêche d’examiner la question et passe à l’examen au fond.

Examen au fond

8.1Conformément aux dispositions du paragraphe 1 de l’article 9 du Protocole facultatif, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par l’auteure et l’État partie.

8.2La question dont est saisi le Comité est de savoir si l’État partie s’est acquitté de son devoir de diligence en ce qui concerne la protection de l’auteure contre les actes de violence familiale commis par J. A. et la conduite d’enquêtes sur ces faits. Il appartient au Comité d’examiner, à la lumière de la Convention, les décisions prises par les autorités nationales dans leur domaine de compétence et de déterminer si, pour prendre ces décisions, les autorités ont tenu compte des obligations découlant de la Convention. En l’espèce, l’élément déterminant est donc d’établir si les autorités en question ont appliqué les principes de diligence requise et pris des mesures raisonnables, sans discrimination fondée sur le sexe, pour protéger l’auteure et son fils contre les risques éventuels auxquels les exposait une situation de violence familiale continuelle.

8.3Le Comité note l’argument de l’État partie selon lequel celui-ci dispose d’une législation solide et complète garantissant le principe de l’égalité des hommes et des femmes et celui de l’intérêt supérieur de l’enfant et que ces principes ont occupé en l’espèce une place centrale dans la prise des décisions relatives aux droits de garde et de visite d’E. A. Il relève également l’affirmation de l’État partie selon laquelle les griefs de l’auteure sont d’ordre général. Il note en outre que l’auteure a reconnu l’existence d’une telle législation, mais que, dans les faits, les instances nationales qui prennent les décisions et les agents de la force publique ne l’appliquent pas comme il conviendrait, en ce qu’ils accordent un poids moindre, du fait de stéréotypes sexistes, aux éléments de preuve présentés par des victimes et des personnes vulnérables, souvent des femmes et des enfants, qu’aux éléments produits par l’auteur des faits, et que les autorités de l’État partie n’ont pas protégé l’auteure et son fils en raison de stéréotypes sexistes qui ont minimisé l’importance des violences commises par le père. Le Comité considère que le lien entre les observations de l’auteure sur les lois et la pratique des autorités nationales et l’affaire qui la concerne est établi.

8.4Le Comité note avec préoccupation que la demande de mesures conservatoires qu’il a formée puis réitérée n’a jamais été transmise aux autorités locales et qu’aucune mesure n’a été prise pour protéger E. A. des violences imputées à son père. Il rappelle que les mesures conservatoires prévues à l’article 5 du Protocole facultatif et à l’article 63 de son règlement intérieur sont essentielles aux travaux relatifs aux communications individuelles présentées au titre du Protocole facultatif. Le non‑respect de cette règle, notamment l’adoption de mesures qui, comme en l’espèce, ne garantissent pas la protection de femmes et d’enfants risquant de subir un préjudice grave, compromet la protection, au moyen du Protocole facultatif, des droits garantis par la Convention.

8.5.Le Comité fait observer que le tribunal de district de Varsinais-Suomi a mis en cause la santé mentale d’une victime de violence familiale et son hostilité à l’égard de son agresseur présumé sans s’interroger sur la stabilité mentale de la personne accusée d’agression ni faire procéder à une évaluation avant de lui confier la garde exclusive d’un enfant. Il relève que, presque immédiatement après la décision relative à la garde de l’enfant, le parquet a engagé des poursuites contre J. A. pour agression violente, mais que deux semaines plus tard, E. A. a été rendu à son père sans autres vérifications. Le Comité remarque également que, préalablement à l’octroi de la garde et des droits de visite, la mère a été soumise à un examen psychiatrique qui n’a révélé aucun motif de préoccupation, mais que le père n’a jamais fait l’objet d’une telle évaluation alors même qu’il avait fait l’objet d’une condamnation. Il note aussi que la décision définitive relative à la garde de l’enfant en date du 14 octobre 2013 fournit très peu de motifs, voire aucun, pour justifier le changement d’attribution de la garde de la mère au père, que ni la décision de la cour d’appel ni la décision relative à la demande d’autorisation d’interjeter appel devant la cour suprême n’explique pourquoi les violences n’ont pas été davantage prises en considération même après que J. A. a été condamné pour avoir violemment agressé l’auteure entre-temps, que les plaintes déposées à la police n’ont donné lieu à aucune enquête, et que, malgré les multiples signalements faits par les services de protection de l’enfance et la condamnation du père, il n’a été procédé à aucune évaluation ou enquête sur les aptitudes parentales de ce dernier. Le Comité est également convaincu qu’il y a eu violation de l’obligation de diligence en ce qu’il a fallu attendre plus d’un an pour que J. A. soit convoqué pour être interrogé sur les faits dénoncés dans les plaintes relatives à une conduite délictueuse.

8.6À cet égard, le Comité renvoie aux paragraphes 26 et 27 de sa recommandation générale no 33 (2015) sur l’accès des femmes à la justice, aux termes de laquelle :

Souvent, les juges adoptent des normes rigides sur ce qu’ils considèrent comme étant le comportement approprié des femmes et pénalisent celles qui ne correspondent pas à ces stéréotypes. La représentation stéréotypée influe également sur le crédit accordé aux opinions, arguments et témoignages des femmes lorsqu’elles sont parties ou témoins. Elle peut pousser les juges à mal interpréter les lois ou à les appliquer à mauvais escient. Cela a de profondes conséquences, par exemple, dans le droit pénal, lorsqu’il en résulte que les auteurs de violations des droits des femmes ne sont pas légalement tenus responsables, entretenant ainsi une culture d’impunité. Dans tous les domaines du droit, la représentation stéréotypée porte atteinte à l’impartialité et à l’intégrité du système de justice, ce qui peut par conséquent entraîner des erreurs judiciaires, y compris la revictimisation des plaignantes ;

Les juges, les magistrats et les arbitres ne sont pas les seuls acteurs du système de justice qui appliquent, renforcent et perpétuent les stéréotypes. Les procureurs, les responsables de l’application des lois et les autres acteurs permettent souvent aux stéréotypes d’influencer les enquêtes et les procès, en particulier dans les cas de violence sexiste, les stéréotypes affaiblissant les plaintes de la victime et renforçant dans le même temps la défense de l’auteur présumé. La représentation stéréotypée peut, par conséquent, imprégner aussi bien l’enquête que le procès et influer sur le jugement final.

8.7Le Comité estime que le mot « primordiale » utilisé aux alinéas d) et f) du paragraphe 1 de l’article 16 de la Convention signifie qu’on ne peut considérer que l’intérêt supérieur de l’enfant se situe au même niveau que toutes les autres considérations. Il est également d’avis que, pour démontrer que le droit de l’enfant à ce que l’appréciation et la prise en compte de son intérêt supérieur soient une considération primordiale a été respecté, toute décision concernant l’enfant doit être motivée, justifiée et expliquée. Le Comité note que le non-respect, par l’État partie, de son obligation de diligence dans le traitement des requêtes de l’auteure par la police et les différents tribunaux a nui à l’intérêt supérieur de E. A. et porté atteinte au droit qu’avait sa mère à un traitement égal en matière de garde, en application de l’article 16 de la Convention.

8.8Le Comité rappelle ses recommandations générales no 19 et no 35 (2017) sur la violence sexiste à l’égard des femmes, portant actualisation de la recommandation générale no 19, selon lesquelles la violence fondée sur le sexe, qui compromet ou rend nulle la jouissance des droits individuels et des libertés fondamentales par les femmes en vertu des principes généraux du droit international ou des conventions particulières relatives aux droits de l’homme, constitue une discrimination, au sens de l’article premier de la Convention. Conformément au devoir de diligence, les États parties doivent adopter et mettre en place des mesures pour lutter contre la violence sexiste à l’égard des femmes commise par des acteurs non étatiques. Ils doivent disposer de lois, d’institutions et d’un système pour lutter contre ce type de violence. En outre, les États parties ont obligation de veiller à ce qu’ils soient effectivement mis en pratique et que tous les organes et agents de l’État les respectent et les fassent appliquer avec diligence. Les droits ou prétentions des auteurs ou auteurs présumés, pendant ou après les procédures judiciaires, notamment en ce qui concerne les biens, la protection de la vie privée, la garde des enfants, le droit de visite ou les contacts avec ceux-ci, devraient être déterminés en gardant l’esprit à les droits fondamentaux des femmes et des enfants à la vie et à leur intégrité physique, sexuelle et psychologique et en cherchant à préserver l’intérêt supérieur de l’enfant. Le fait pour un État partie de ne pas prendre des mesures appropriées pour prévenir les actes de violence sexiste à l’égard des femmes quand ses autorités ont connaissance ou devraient avoir connaissance d’un risque de violence, ou de manquer à son obligation de mener des enquêtes, d’engager des poursuites, de prendre des sanctions et d’indemniser les victimes de tels actes, constitue une permission ou un encouragement tacite à agir de la sorte. Pareil manquement constitue une violation des droits de l’homme.

8.9Le Comité rappelle qu’en vertu du paragraphe a) de l’article 2 de la Convention, les États parties ont l’obligation d’assurer par voie de législation ou par d’autres moyens appropriés, la réalisation effective du principe de l’égalité des hommes et des femmes ; qu’en vertu du paragraphe e) de l’article 2, ils peuvent être tenus responsables des agissements de personnes, d’organisations ou d’entreprises, s’ils manquent à leur obligation de diligence ; et que, conformément aux paragraphes f) de l’article 2 et a) de l’article 5, ils ont le devoir de prendre toutes les mesures appropriées pour modifier ou abroger, non seulement toute loi ou disposition réglementaire, mais également toute coutume ou pratique qui constitue une discrimination à l’égard des femmes. Le paragraphe 1 de l’article 16 impose également aux États parties de prendre toutes les mesures nécessaires pour éliminer la discrimination à l’égard des femmes dans toutes les questions découlant du mariage et dans les rapports familiaux. À cet égard, le Comité souligne que les stéréotypes portent atteinte au droit des femmes à un procès impartial et que l’appareil judiciaire doit se garder d’instaurer des normes rigides, uniquement sur la base d’idées préconçues quant à ce qui constitue la violence intrafamiliale. En l’espèce, le Comité estime que, pour statuer sur la garde de E. A., les autorités de l’État partie ont appliqué des notions stéréotypées et donc discriminatoires dans un contexte de violence familiale en réduisant à un simple désaccord entre parents ce qui constituait à l’évidence un usage répétitif et unilatéral de la violence par J. A., en affirmant que les deux parents avaient commis des violences sans autre preuve qu’une déclaration de l’auteure faite au lendemain d’une grave agression, en ne prenant pas en considération l’importance de la condamnation pénale de J. A., et en octroyant la garde de l’enfant à un homme violent. Dès lors, ces autorités n’ont pas exercé la vigilance requise en violation des obligations qui leur incombaient en vertu des alinéas a), c), d), e) et f) de l’article 2, du paragraphe 1 de l’article 15 et des alinéas d) et f) du paragraphe 1 de l’article 16 de la Convention.

8.10Le Comité note avec satisfaction que l’État partie a mis en place, pour lutter contre la violence familiale, un vaste programme qui comprend des mesures législatives et des actions de sensibilisation, d’éducation et de renforcement des capacités. Il rappelle toutefois les préoccupations qu’il a soulevées au sujet de la violence à l’égard des femmes, précisément, dans ses observations finales concernant le rapport périodique de l’État partie en 2014. Il fait observer que pour que la femme victime de violence intrafamiliale bénéficie en pratique du principe de nondiscrimination et d’égalité réelle et jouisse de ses droits et libertés fondamentales, encore faut-il que la volonté politique exprimée dans ce programme soit soutenue par les agents publics chargés de mettre en œuvre l’obligation de diligence de l’État partie. Cette obligation comprend celle d’enquêter sur les défaillances, négligences ou omissions éventuelles des autorités publiques qui pourraient avoir privé des victimes de protection contre cette violence. Le Comité considère qu’en l’espèce, au vu des faits reprochés à J.A. par l’auteure, de l’attitude des tribunaux à l’égard de la plaignante et de la suite donnée à la demande de mesures conservatoires présentée par le Comité, cette obligation n’a pas été respectée.

9.Conformément au paragraphe 3 de l’article 7 du Protocole facultatif à la Convention et au vu des considérations qui précèdent, le Comité constate que l’État partie a porté atteinte aux droits que l’auteure et son fils tenaient des alinéas a), c), d) et f) de l’article 2, du paragraphe 1 de l’article 15 et des alinéas d) et f) du paragraphe 1 de l’article 16 de la Convention, lus conjointement avec l’article premier de la Convention et la recommandation générale no 35 du Comité.

10.Le Comité adresse les recommandations suivantes à l’État partie :

a)En ce qui concerne l’auteure et son fils :

i)Rouvrir rapidement la procédure judiciaire concernant la garde de E. A. et, dans ce cadre, procéder à une évaluation détaillée des violences exercées par J. A. afin d’apprécier l’intérêt supérieur de l’enfant et accorder une assistance juridique à l’auteure ;

ii)Accorder à l’auteure une réparation adéquate, notamment une indemnisation complète proportionnée à la gravité de la violation de ses droits ;

iii)Assurer le versement par J. A. à l’auteure des sommes ordonnées par le jugement pénal du 19 février 2014 ;

b)D’une manière générale :

i)Prendre des mesures pour que les faits de violence familiale soient dûment pris en considération dans les décisions relatives à la garde d’un enfant ;

ii)Mener une enquête exhaustive et impartiale afin de déterminer s’il existe des dysfonctionnements structurels dans le système et les pratiques de l’État partie qui font que les victimes de violence familiale sont privées de protection ;

iii)Renforcer l’application du cadre juridique afin de s’assurer que les autorités compétentes peuvent répondre avec la diligence voulue aux situations de violence intrafamiliale ;

iv)Dispenser aux magistrats et au personnel administratif une formation obligatoire sur l’application du cadre juridique en matière de lutte contre la violence intrafamiliale, notamment sur la définition de cette violence et sur les stéréotypes sexistes, ainsi que la formation nécessaire sur la Convention, le Protocole facultatif s’y rapportant et la jurisprudence et les recommandations générales du Comité, en particulier les recommandations générales nos 19, 28, 33 et 35. S’agissant en particulier des activités de sensibilisation et de renforcement des capacités :

a)Remédier au problème du crédit et du poids accordés aux opinions, arguments et témoignages des femmes lorsqu’elles sont parties ou témoins ;

b)Se pencher sur les critères utilisés par les juges et les procureurs pour déterminer ce qu’ils considèrent comme un comportement approprié pour les femmes ;

v)Créer et mettre en œuvre un mécanisme institutionnel efficace pour coordonner, suivre et évaluer les mesures de prévention et de lutte contre la violence à l’égard des femmes, et mettre en œuvre des mécanismes de suivi destinés à garantir que les règles d’administration de la preuve, les enquêtes et autres procédures judiciaires et quasi judiciaires sont impartiales et ne sont pas influencées par des stéréotypes ou des préjugés sexistes.

11.Conformément au paragraphe 4 de l’article 7 du Protocole facultatif, l’État partie tiendra dûment compte des constatations et des recommandations du Comité et lui soumettra, dans un délai de six mois, une réponse écrite l’informant notamment de toute mesure prise pour donner effet aux présentes constatations et recommandations. L’État partie est également invité à rendre ces constatations et recommandations publiques et à les diffuser largement afin de toucher tous les secteurs concernés de la société.