Présentée par:

Anna Belousova (représentée par des conseils, Evgeny Tsepennikov et Anastasiya Miller)

Au nom de:

L’auteure

État partie:

Kazakhstan

Date de la communication:

12 septembre 2012 (date de la lettre initiale)

Références:

Communiquée à l’État partie le 18 janvier 2013 (non publiée sous forme de document)

Date de l ’ adoption des constatations:

13 juillet 2015

Annexe

Constatations du Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes au titre du paragraphe 3 de l’article 7 du Protocole facultatif à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (soixante et unième session)

concernant la

Communication n° 45/2012 *

Présentée par:

Anna Belousova (représentée par des conseils, Evgeny Tsepennikov et Anastasiya Miller)

Au nom de:

L’auteure

État partie:

Kazakhstan

Date de la communication:

12 septembre 2012 (date de la lettre initiale)

Le Comité pour l ’ élimination de la discrimination à l ’ égard des femmes, institué en vertu de l’article 17 de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes,

Réuni le 13 juillet 2015,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 3 de l’article 7 du Protocole facultatif

1.1L’auteure de la communication est Anna Belousova, de nationalité kazakhe, née en 1981. Elle affirme que le Kazakhstan a enfreint les droits que lui confèrent l’alinéa e de l’article 2, l’alinéa a de l’article 5 et les articles 11 et 14 de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes. Elle est représentée par un conseil. L’État partie est devenu partie à la Convention et à son Protocole facultatif les 26 août 1998 et 24 août 2001, respectivement.

* Les membres du Comité ci-après ont pris part à l ’ examen de la présente communication: Ayse Feride Acar, Gladys Acosta Vargas, Bakhita Al-Dosari, Nicole Ameline, Barbara Bailey, Niklas Bruun, Louiza Chalal, Náela Gabr, Hilary Gbedemah, Nahla Haidar, Ruth Halperin-Kaddari, Yoko Hayashi, Lilian Hofmeister, Ismat Jahan, Dalia Leinarte, Lia Nadaraia, Pramila Patten, Silvia Pimentel, Biancamaria Pomeranzi, Patricia Schulz et Xiaoqiao Zou.

1.2Dans une note verbale datée du 18 janvier 2013, l’État partie a demandé que la recevabilité de la communication soit examinée séparément du fond. Le 3 juillet, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Groupe de travail sur les communications présentées conformément au Protocole facultatif, a décidé de ne pas faire droit à la demande de l’État partie.

Rappel des faits présentés par l’auteure

2.1En 1999, l’auteure, qui vit dans les zones rurales, a commencé à travailler en tant que membre du personnel technique affecté au vestiaire, dans une école primaire de Pertsevka au Kazakhstan. Elle travaillait chaque année scolaire du 15 septembre au 15 mai, son contrat étant reconduit annuellement. En décembre 2010, A. a pris la direction de l’école et c’est peu après qu’il a commencé à demander à l’auteure d’exécuter diverses tâches qui n’étaient pas prévues dans sa définition d’emploi.

2.2Au cours d’une discussion qu’il a eue avec l’auteure en janvier 2011, il lui a fait comprendre qu’elle ne pourrait garder son emploi que si elle consentait à avoir des relations sexuelles avec lui. L’auteure a opposé un refus catégorique. A. lui a alors demandé de lui verser 10 000 tenge si elle voulait continuer à travailler à l’école.

2.3A. a continué de harceler l’auteure en lui demandant de consentir à avoir des relations sexuelles avec lui. Elle a persisté dans son refus. En mai 2011, A. a exigé de l’auteure qu’elle obtempère si elle ne voulait pas se retrouver sans emploi l’année scolaire suivante. Face à son refus, A. a demandé à l’auteure, dont le salaire mensuel était seulement de 15 000 tenge, de lui verser 10 000 tenge. L’auteure ayant refusé d’avoir des relations sexuelles avec A. ou de le payer, son contrat n’a pas été reconduit.

2.4À une date qui n’est pas spécifiée, l’auteure a déposé plainte oralement auprès du Directeur du Département de l’éducation de Roudny au sujet de sa situation et du harcèlement dont elle a été victime de la part de son employeur. À une date qui n’est pas spécifiée, un comité composé de trois membres a mené une enquête à l’école et interrogé A. Il en a conclu que les allégations de l’auteure n’étaient pas fondées. Celle-ci n’a été ni sollicitée ni interrogée.

2.5En juin 2011, l’auteure a déposé plainte auprès du Directeur du Département de l’enseignement primaire et secondaire du Ministère de l’éducation et de la science, du Directeur du Département de l’éducation de la ville de Roudny, du Directeur du Département régional de l’éducation du Kostanaï et du Bureau du Procureur de la ville de Roudny au sujet de sa situation et du harcèlement dont elle a été victime de la part de son employeur et a demandé d’en être protégée.

2.6Le 9 juin 2011, un comité créé par le Département de l’éducation de Roudny a mené une enquête officielle. L’auteure, A. et d’autres employés de l’école ont été interrogés, et A. a nié les accusations de harcèlement et d’extorsion d’argent portées par l’auteure. Celle-ci note à cet égard qu’on ne lui a pas donné la possibilité suffisante d’être entendue. Le comité a conclu qu’au regard de ses conclusions en date du 9 juin, les griefs de l’auteure n’étaient pas fondés. Le Département régional de l’éducation du Kostanaï et le Ministère de l’éducation et de la science ont rejeté la plainte de l’auteure les 15 et 29 juin, respectivement.

2.7Le 13 juin 2011, l’auteure a déposé plainte auprès de la Section des enquêtes du Département des affaires intérieures de Roudny au sujet du harcèlement sexuel dont elle a été victime de la part de son employeur et de ses tentatives d’extorsion d’argent. Elle invoque les articles 120, sur le viol, et 181, sur l’extorsion, du Code pénal. Le 21 juin, un enquêteur du Département des affaires intérieures de Roudny a rendu la décision de ne pas engager de poursuites pénales suite à la plainte de l’auteure, en dépit du fait que les témoins E. et Sh. ont affirmé avoir surpris une conversation entre l’auteure et A., durant laquelle ce dernier avait évoqué les relations sexuelles et demandé à être payé.

2.8Le 5 juillet 2011, l’auteure a saisi le Bureau du Procureur de Roudny, en déclarant que le refus du Bureau d’engager des poursuites pénales se fondait principalement sur les conclusions du comité qui avait mené l’enquête le 9 juin. L’auteure a fait remarquer que dans la mesure où elle avait enregistré sur un téléphone portable une conversation qui témoignait qu’elle avait été victime de harcèlement sexuel et d’extorsion d’argent de la part de A. elle pouvait en fournir un enregistrement au Bureau. Le 18 juillet, le Bureau a annulé la décision négative du 21 juin et a renvoyé l’affaire de l’auteure devant le Département des affaires intérieures de Roudny afin qu’il mène une enquête plus approfondie. Le 16 août, le même enquêteur du Département a une nouvelle fois décidé de ne pas engager les poursuites pénales prévues aux articles 120 et 181, et à l’article 123, du Code pénal, sur « les relations sexuelles imposées », en raison de l’absence d’un corps de délit qui attesterait des agissements de A.. À la même date, l’auteure a saisi le Bureau du Procureur de Roudny, en vain. Elle relève que l’on n’avait pas tenu compte des déclarations des témoins E. et Sh. et du fait qu’elle avait enregistré les demandes pressantes de A.. Elle s’en est plainte les 25 et 30 novembre auprès du Bureau du Procureur du Kostanaï, mais le 8 décembre, celui-ci a confirmé la décision de ne pas engager de procédures pénales.

2.9À une date qui n’est pas spécifiée, l’auteure a accordé une entrevue au journal local Khoroshee Delo au sujet de sa situation et du harcèlement sexuel exercé par son employeur. L’entrevue a été publiée les 8 et 15 juin 2011.

2.10Le 7 juillet 2011, A. a introduit une action civile contre l’auteure devant le tribunal de la ville de Roudny, faisant valoir que celle-ci avait diffusé des informations qui avaient porté atteinte à son honneur, à sa dignité et à sa réputation professionnelle. Le 26 juillet, le tribunal de la ville de Roudny a décidé que les griefs de l’auteure concernant le harcèlement sexuel et l’extorsion d’argent n’étaient pas fondés et a accordé à A. une indemnisation pour préjudice non pécuniaire d’un montant de 1 tenge et pour les frais de justice encourus d’un montant de 51 512 tenge. Le tribunal a ordonné à l’auteure de retirer les plaintes qu’elle avait déposées auprès du Département de l’éducation de Roudny et du Département régional de l’éducation du Kostanaï et de faire part de la décision au personnel de l’école durant une réunion générale. Le 4 août, l’auteure a fait appel de cette décision auprès du tribunal régional du Kostanaï, qui a confirmé le 1er septembre la décision du tribunal inférieur. Le pourvoi en cassation formé par l’auteure a été rejeté le 9 novembre par la chambre de cassation du tribunal régional du Kostanaï.

2.11À une date qui n’est pas spécifiée, l’auteure a porté ses griefs devant la présidence de la République du Kazakhstan. La plainte qu’elle a déposée a été transmise pour examen au Bureau du Procureur général qui, à son tour, l’a transmise au Bureau du Procureur du Kostanaï. Le 5 janvier 2012, celui-ci a fait part à l’auteure qu’il n’y avait pas lieu d’engager une procédure pénale.

2.12En mars 2012, l’auteure a dû se conformer à la décision rendue par le tribunal de Roudny, lui enjoignant de verser l’indemnisation accordée à A. et de lui présenter en outre des excuses publiques durant une réunion générale du personnel de l’école. La souffrance psychologique et la dépression qui en ont résulté l’ont amenée par la suite à demander un soutien psychologique auprès du Centre de crise pour la protection des femmes victimes de violence. Le 29 mars, il a été établi que l’auteure souffrait de dépression et de troubles post-traumatiques.

2.13Le 2 juillet 2012, l’auteure a fait appel devant le Bureau du Procureur général de la décision du Bureau du Procureur du Kostanaï en date du 5 janvier, faisant valoir que lorsque les autorités avaient examiné sa plainte, elles avaient violé les droits qui lui sont garantis par l’alinéa e de l’article 2, l’alinéa a de l’article 5 et les articles 11 et 14 de la Convention. Le 24 août, le Bureau du Procureur général a fait savoir à l’auteure que les poursuites pénales à l’encontre de A. au titre des articles 120, 181 et 123 du Code pénal n’ont pas été engagées en raison de l’absence d’un corps de délit qui attesterait des agissements de A.. Il a fait observer que la décision du 19 novembre 2011 du Département des affaires intérieures de Roudny, en partie en ce qui concerne l’article 123 du Code, au titre duquel il a refusé d’engager une procédure au pénal contre A. était illégale en ce que, conformément aux articles 33 et 123, les poursuites pénales prévues à l’article 123 devraient être engagées par une victime devant un tribunal. L’auteure fait valoir à cet égard qu’elle craignait d’engager des poursuites pénales contre A. en déposant une plainte d’ordre privé dans la mesure où, en la déposant, elle aurait été tenue de signer une déclaration stipulant qu’elle était avertie qu’elle pouvait être tenue responsable pénalement d’avoir invoqué des faits erronés ou porté de fausses accusations, et dans la mesure où les tribunaux nationaux, dans le contexte de la procédure civile engagée par A. ont déjà établi que ses griefs portant sur le harcèlement sexuel et l’extorsion d’argent n’étaient pas fondés. Elle estime en outre qu’il serait inutile d’introduire une telle plainte étant donné que les tribunaux renverraient de nouveau aux décisions antérieures selon lesquelles les griefs de l’auteure n’étaient pas fondés.

Teneur de la plainte

3.1L’auteure invoque une violation des droits qui lui sont conférés à l’alinéa e de l’article 2 de la Convention, dans la mesure où les institutions compétentes de l’État partie n’ont pas pris les mesures qui conviennent pour mettre fin au traitement discriminatoire exercé par A..

3.2L’auteure affirme en outre que l’État partie n’a pas réussi à prendre toutes les mesures appropriées prévues à l’alinéa a de l’article 5 de la Convention afin de modifier ou d’abolir les lois, les règlements, les coutumes et les pratiques en vigueur qui constituent une discrimination à l’égard des femmes puisque aucune institution nationale n’a reconnu A. coupable d’avoir violé les droits de l’auteure.

3.3L’auteure fait valoir que selon la Recommandation générale n° 19 du Comité sur la violence à l’égard des femmes, et dans le contexte de l’article 11 de la Convention, l’égalité en matière d’emploi peut être gravement compromise lorsque les femmes sont victimes sur le lieu de travail d’actes de violence sexiste, par exemple sous forme de harcèlement sexuel, qui se manifestent entre autres par des comportements inopportuns déterminés par des motifs sexuels consistant notamment à imposer des contacts physiques, à faire des avances et des remarques à connotation sexuelle, à montrer des ouvrages pornographiques et à demander de satisfaire des exigences sexuelles, que ce soit en paroles ou en actes. Une telle conduite peut être humiliante et peut poser un problème sur le plan de la santé et de la sécurité; elle est discriminatoire lorsque la femme est fondée à croire que son refus la désavantagerait dans son emploi, notamment pour le recrutement ou la promotion ou encore lorsque cette conduite crée un climat de travail hostile.

3.4L’auteure déclare qu’elle vit en milieu rural et qu’elle et les autres femmes de cette région appartiennent à un groupe spécifique qui fait plus particulièrement l’objet de discrimination dans la mesure où, dans les régions rurales, les mentalités sont imprégnées de valeurs patriarcales traditionnelles. La plainte de l’auteure soulève des difficultés au regard de l’article 14 de la Convention.

3.5À la lumière des griefs qu’elle a exposés, l’auteure demande au Comité:

a)De déclarer qu’il y a eu violation des droits qui lui sont garantis à l’alinéa e de l’article 2, à l’alinéa a de l’article 5 et aux articles 11 et 14 de la Convention;

b)De recommander aux institutions de l’État partie de reconsidérer, conformément aux principes de la Convention, la procédure civile engagée contre elle par A.;

c)De recommander aux institutions de l’État partie de reconsidérer les décisions de ne pas engager de poursuites pénales concernant son affaire;

d)D’inviter l’État partie à prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir le libre exercice par les femmes de leurs droits et faire mieux connaître le principe de l’égalité entre les sexes;

e)De recommander que les initiatives visant à faire évoluer les modèles sociaux et culturels des hommes et des femmes se fondent sur l’égalité entre les sexes et qu’elles soient menées dans les villes comme dans les zones rurales.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Dans une note verbale datée du 18 janvier 2013, l’État partie conteste la recevabilité de la communication. Il maintient que les allégations de l’auteure selon lesquelles elle a été victime de harcèlement sexuel, que les autorités nationales n’auraient pas pris les mesures qui conviennent et que les droits de l’auteure consacrés à l’alinéa e de l’article 2, à l’alinéa a de l’article 5 et aux articles 11 et 14 de la Convention ont été violés sont irrecevables. L’État partie fait valoir à cet égard que l’auteure n’a pas épuisé tous les recours internes puisqu’elle n’a pas déposé de plainte privée auprès d’un tribunal, lui demandant de tenir A. pénalement responsable de ses actes de harcèlement sexuel, conformément au paragraphe 2 de l’article 32, au paragraphe 1 de l’article 33 et à l’article 123 du Code pénal.

4.2Par ailleurs, selon l’État partie, les griefs de l’auteure portant sur le harcèlement sexuel, les tentatives d’extorsion d’argent et les demandes qui lui ont été faites d’exécuter des tâches qui n’étaient pas mentionnées dans sa définition d’emploi ont été dûment examinés par les institutions, dont le Département des affaires intérieures et le Bureau du Procureur de Roudny. Les employés de l’école ont été interrogés et il a été établi que les griefs de l’auteure n’étaient pas fondés. Le 22 juin 2011, la Section des enquêtes du Département des affaires intérieures de Roudny a décidé de ne pas engager de poursuites pénales au titre des articles 120, 181 et 123 du Code pénal, en raison de l’absence du corps de délit qui attesterait des agissements de A.. Le Bureau du Procureur de Roudny et le Bureau du Procureur du Kostanaï ont annulé la décision négative, principalement en vue d’examiner l’enregistrement audio de la conversation qui a eu lieu entre l’auteure et A. L’enregistrement a été examiné mais n’a pas permis de corroborer les griefs de harcèlement sexuel formulés par l’auteure. En conséquence, le 19 novembre, le Département des affaires intérieures de Roudny a rendu sa décision finale de ne pas engager de poursuites pénales en raison de l’absence de corps du délit qui attesterait des agissements de A.. L’État partie fait observer à cet égard que cette décision a été confirmée par la suite par le Bureau du Procureur du Kostanaï et le Bureau du Procureur général.

4.3Le Département de l’éducation de Roudny et le Département régional de l’éducation du Kostanaï ont également ouvert une enquête sur les griefs de l’auteure, qu’ils ont jugés comme étant infondés. L’État partie note que le fait que depuis qu’il a pris en charge la direction de l’école, A. n’a jamais sanctionné l’auteure pour motif disciplinaire et que l’auteure n’a cessé d’exécuter les tâches habituelles de son emploi jusqu’à la fermeture de l’école corrobore également le fait qu’elle n’a pas été victime de harcèlement sexuel de sa part. Le Bureau du Procureur de Roudny a en outre expliqué à l’auteure que, conformément au paragraphe 2 de l’article 32, au paragraphe 1 de l’article 33 et à l’article 123 du Code pénal, elle devait déposer une plainte privée auprès d’un tribunal.

4.4En ce qui concerne la procédure civile que A. a engagée contre l’auteure, l’État partie fait observer que le 26 juillet 2011, le tribunal de Roudny a conclu que les allégations de l’auteure figurant dans la plainte qu’elle avait déposée auprès du Département de l’éducation de Roudny et du Département régional de l’éducation du Kostanaï selon lesquelles elle avait été victime de harcèlement sexuel de la part de A. et qu’il lui avait demandé de lui verser de l’argent si elle voulait garder son emploi n’étaient pas fondées. Du fait qu’elle avait diffusé des informations qui ont terni la réputation de A. le tribunal a ordonné à l’auteure de retirer sa plainte et de verser une indemnisation pour préjudice non pécuniaire d’un montant de 1 tenge et pour les frais encourus d’un montant de 51 512 tenge. Le tribunal a en outre établi que l’auteure ne s’était pas plainte d’un prétendu harcèlement sexuel alors qu’elle était employée mais seulement après avoir démissionné.

4.5De plus, selon le droit interne et les pratiques du tribunal, dans les affaires relatives à la protection de l’honneur, de la dignité ou de la réputation professionnelle, c’est à la personne qui déclare que les informations diffusées sont exactes qu’incombe la charge de la preuve, tandis que celle qui déclare que son honneur, sa dignité ou sa réputation professionnelle est atteinte est tenue uniquement de prouver le fait que ces informations ont été diffusées. L’État partie fait valoir que l’auteure n’a pas rempli cette obligation. Il fait observer à cet égard que les témoins mentionnés par l’auteure ont été interrogés mais que leurs déclarations ont été jugées non pertinentes dans la mesure où ils n’avaient pas été témoins des prétendus incidents de harcèlement sexuel et d’extorsion et qu’ils n’ont fait que rapporter des informations que leur avait données l’auteure. L’État partie note à cet égard que le jugement prononcé par le tribunal de Roudny a été ultérieurement confirmé en appel par le tribunal régional du Kostanaï et par la chambre de cassation du tribunal régional du Kostanaï.

4.6En conclusion, l’État partie note que le jugement du tribunal de Roudny avait force exécutoire le 9 novembre 2011. En vertu de l’article 388 du Code de procédure civile, l’auteure aurait pu faire appel en demandant un réexamen par une juridiction supérieure dans l’année suivant la date à laquelle le jugement était exécutoire ou jusqu’au 9 novembre 2012. Il note que la Cour suprême n’a jamais révisé le jugement.

Commentaires de l’auteure sur les observations de l’État partie

5.1Le 6 mai 2013, l’auteure réaffirme que selon le droit interne le fait de déposer une plainte privée la mettrait dans l’obligation de signer une déclaration attestant qu’elle a connaissance du fait que sa responsabilité pénale est engagée en cas de fausses accusations, conformément à l’article 351 du Code pénal. Étant donné qu’après avoir examiné ses griefs, le Bureau du Procureur de Roudny, le Bureau du Procureur du Kostanaï et le Bureau du Procureur général n’ont pas établi les faits d’extorsion et de harcèlement sexuel de la part de A. et qu’il est fort probable que cette conclusion soit mise en avant par le ministère public dans le contexte d’une plainte privée, elle a craint à juste titre d’engager une telle procédure. En outre, le jugement prononcé dans le cadre de la procédure civile engagée par A. à l’encontre de l’auteure a créé un précédent, dans la mesure où en vertu du paragraphe 2 de l’article 131 du Code pénal, un jugement qui est exécutoire s’impose à tous les autres tribunaux qui examinent des circonstances et des faits analogues. Le dépôt d’une plainte privée au titre de l’article 123 du Code pénal ne constituerait donc pas un recours utile. L’auteure note à cet égard que seuls les recours utiles et disponibles sont amenés à être épuisés. Elle réaffirme que le fait de déposer une plainte privée lui ferait courir le risque d’être tenue responsable pénalement.

5.2En ce qui concerne les enquêtes diligentées par les autorités nationales, l’auteure fait valoir que l’État partie n’explique pas précisément de quelle façon l’enregistrement audio a été examiné et si un examen criminalistique de l’enregistrement a été ordonné. Elle observe en outre que, selon l’État partie, la décision finale de ne pas engager de procédure au pénal a été rendue le 19 novembre 2011. L’auteure affirme à cet égard qu’elle n’a jamais été informée de cette décision et qu’elle en a eu connaissance seulement par hasard lors du pourvoi en cassation dans le contexte de la procédure civile engagée contre elle par A..

5.3L’auteure fait valoir que les enquêtes du Département de l’éducation de Roudny et du Département régional de l’éducation du Kostanaï n’ont pas été menées de manière exhaustive puisqu’on ne lui a pas donné la possibilité d’exposer comme il convient et en détail sa version des faits. Elle réaffirme que le Département régional de l’éducation du Kostanaï et le Ministère de l’éducation et de la science ont rejeté ses griefs sur la base des conclusions présentées par le comité d’enquête le 9 juin 2011, sans que leurs membres se soient rendus à l’école primaire de Pertsevsk.

5.4L’auteure note que son contrat de travail a expiré en mai 2011, date à laquelle A. lui a signifié que son contrat ne serait pas reconduit. L’école a poursuivi ses activités jusqu’en septembre 2012, date à laquelle elle a été fermée en raison de son mauvais état.

5.5.L’auteure note qu’elle n’a jamais reçu une décision du Bureau de Procureur de Roudny l’informant qu’elle pouvait déposer une plainte privée. Le 9 août 2012, le Bureau du Procureur général lui a fait savoir que la décision du 19 novembre 2011 du Département des affaires intérieures de Roudny, en partie en ce qui concerne l’article 123 du Code pénal, était illégale, en ce que, conformément aux articles 33 et 123 du Code, les poursuites pénales prévues à l’article 123 devraient être engagées par une victime devant un tribunal.

5.6S’agissant de l’argument de l’État partie selon lequel elle a formulé des griefs de harcèlement sexuel seulement après que son contrat fut arrivé à expiration, l’auteure fait remarquer qu’elle n’a pas déposé de plainte à ce sujet tant qu’elle travaillait encore à l’école parce qu’elle espérait continuer à y travailler, étant le seul soutien économique de sa famille durant cette période.

5.7En ce qui concerne l’observation de l’État partie selon laquelle l’auteure n’a pas apporté de preuves venant à l’appui de ses allégations durant la procédure civile, elle note que le tribunal n’a pas pris en compte les déclarations de ses témoins au motif qu’ils n’avaient pas constaté de visu les incidents dont elle aurait été victime. Dans le même temps, le tribunal a cependant pris en considération la déclaration du témoin de A. même si ce témoin n’avait pas assisté directement à ces incidents. Durant l’examen de son affaire, elle a en outre demandé au juge à plusieurs reprises que plusieurs témoins soient interrogés et que l’enregistrement audio de la conversation qu’elle a tenue avec A. soit inclus dans la liste des preuves, mais ses demandes ont été rejetées.

Observations de l’État partie sur le fond

6.Le 28 août 2013, sans donner d’autres précisions, l’État partie a déclaré qu’à la lumière des recommandations formulées par le Bureau du Procureur général, l’affaire de l’auteure avait été renvoyée pour réexamen. Le 15 novembre 2013, l’État partie a présenté ses observations sur le fond de l’affaire. Il réaffirme les arguments qu’il a exposés dans les paragraphes 4.1 à 4.6 ci-dessus.

Commentaires de l’auteure sur les observations de l’État partie quant au fond

7.1Le 11 février 2014, l’auteure a présenté ses commentaires sur les observations de l’État partie quant au fond, notant que les observations de l’État partie du 15 novembre 2013 ne contiennent aucune information au sujet du nouvel examen de son affaire. Elle n’en a pas été avertie et personne ne l’a interrogée ou n’a recueilli ses déclarations. Elle ajoute qu’en octobre 2013, elle a reçu un appel téléphonique du même enquêteur du Département des affaires intérieures de Roudny qui avait traité son affaire dans le passé, lui demandant de se présenter au poste de police afin de signer certains documents. L’enquêteur a refusé d’expliquer la nature de ces documents.

7.2Le même jour en octobre 2013, un procureur du Bureau du Procureur de Roudny lui a téléphoné pour lui demander si elle avait reçu de la part de la section des enquêtes la décision se rapportant au refus d’engager une procédure au pénal et pourquoi elle n’avait pas déposé plainte devant le tribunal. L’auteure a expliqué qu’elle n’avait reçu aucun document et qu’elle avait demandé qu’une procédure au pénal donnant lieu à un examen criminalistique de l’enregistrement audio soit engagée, ce qui lui aurait de ce fait permis de déposer une plainte étayée par l’examen de l’enregistrement auprès d’un tribunal, mais que sa demande avait été rejetée.

7.3Le même jour en octobre 2013, l’enquêteur qui avait examiné son affaire s’est rendu à son domicile pour lui amener des documents. Il lui a demandé de les signer, mais l’auteure a refusé du fait qu’elle en ignorait la teneur et qu’elle ne voulait pas signer quoi que ce soit en l’absence de son avocat. L’auteure a déclaré qu’elle se présenterait volontairement le lendemain au poste de police en compagnie de son avocat pour les signer. C’est en se présentant le lendemain comme prévu en compagnie de son avocat qu’ils ont appris que les documents se rapportaient au refus d’engager des poursuites pénales suite aux griefs de l’auteure selon lesquels elle aurait été victime de harcèlement sexuel de la part de A.. Étant donné que ces documents ont été émis en 2012 et qu’ils portaient cette date, son avocat lui a conseillé de ne pas les signer dans la mesure où elle aurait dû en avoir connaissance en 2012 et non pas un an après. L’avocat a noté que les documents auraient dû être transmis à l’auteure par courrier mais qu’elle ne les a jamais reçus.

7.4En ce qui concerne l’argument de l’État partie selon lequel l’auteure n’a pas épuisé tous les recours internes disponibles du fait qu’elle n’a jamais déposé de plainte privée en vertu de l’article 123 du Code pénal, l’auteure réaffirme qu’elle a de sérieuses raisons de craindre l’ouverture d’une telle procédure. Elle note en outre que l’État partie n’a pas expliqué de quelle façon les autorités nationales ont examiné l’enregistrement audio de sa conversation avec A. sans avoir procédé à un examen criminalistique. Par ailleurs, s’agissant de l’argument de l’État partie selon lequel l’auteure a continué de travailler à l’école jusqu’à sa fermeture, elle réaffirme qu’elle avait été avertie que son contrat de travail ne serait pas reconduit en mai 2011, mais que l’école a poursuivi ses activités jusqu’en septembre 2012, date à laquelle elle a été fermée en raison de son mauvais état.

Autres observations de l’État partie

8.Le 7 novembre 2014, l’État partie réaffirme ses arguments selon lesquels l’auteure n’a pas épuisé tous les recours disponibles et que ses griefs ne sont pas fondés.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

9.1Conformément à l’article 64 de son règlement intérieur, le Comité doit déterminer si la communication est recevable au titre du Protocole facultatif. Conformément au paragraphe 4 de l’article 72 de son règlement intérieur, il est tenu de se prononcer à ce sujet avant d’examiner la communication quant au fond.

9.2Le Comité rappelle que, selon le paragraphe 1 de l’article 4 du Protocole facultatif, il n’examine aucune communication sans avoir vérifié que tous les recours internes ont été épuisés, à moins que la procédure de recours n’excède des délais raisonnables ou qu’il soit improbable que le requérant obtienne réparation par ce moyen. Le Comité note à cet égard l’argument de l’État partie selon lequel la communication devrait être déclarée irrecevable en vertu de cette disposition du fait que l’auteure n’a pas épuisé tous les recours internes disponibles. L’État partie fait valoir en particulier que l’auteure n’a pas déposé de plainte privée devant un tribunal, lui demandant d’engager la responsabilité pénale de A. pour harcèlement sexuel, conformément au paragraphe 2 de l’article 32, au paragraphe 1 de l’article 33 et à l’article 123 du Code pénal. L’État partie fait remarquer en outre que l’auteure n’a jamais saisi la Cour suprême, au titre de la procédure de réexamen par une instance supérieure, pour contester le jugement prononcé par le tribunal de Roudny le 26 juillet 2011, dans le cadre de la procédure civile introduite par A. contre l’auteure. Le Comité note par ailleurs l’observation de l’auteure selon laquelle, conformément au droit interne, le fait de déposer une plainte privée la contraindrait à signer une déclaration stipulant qu’elle a conscience d’engager sa responsabilité pénale en cas de fausses accusations, conformément à l’article 351 du Code pénal. Étant donné qu’après avoir examiné ses griefs, le Bureau du Procureur de Roudny, le Bureau du Procureur du Kostanaï et le Bureau du Procureur général n’ont pas établi les faits d’extorsion et de harcèlement sexuel de la part de A. et qu’il est fort probable que cette conclusion soit mise en avant par le ministère public dans le contexte d’une plainte privée, l’auteure a de sérieuses raisons de craindre l’ouverture d’une telle procédure. En outre, le jugement prononcé dans le cadre de la procédure civile engagée par A. à l’encontre de l’auteure a créé un précédent, dans la mesure où en vertu du paragraphe 2 de l’article 131 du Code pénal, un jugement qui est exécutoire s’impose à tous les autres tribunaux qui examinent des circonstances et des faits analogues. Il est donc peu probable que le dépôt d’une plainte privée au titre de l’article 123 du Code pénal donnerait satisfaction à l’auteure.

9.3Pour ce qui est des griefs de l’auteure tirés de l’alinéa e de l’article 2, de l’alinéa a de l’article 5 et de l’article 11 de la Convention, lus conjointement avec la Recommandation générale n° 19 du Comité, le Comité observe que, le 13 juin 2011, l’auteure a déposé une plainte auprès de la Section des enquêtes du Département des affaires intérieures de Roudny pour harcèlement sexuel de la part de son employeur et tentatives de lui extorquer de l’argent. Toutefois, le 21 juin 2011, un enquêteur du Département des affaires intérieures de Roudny a décidé de ne pas engager de poursuites pénales suite à la plainte de l’auteure, en dépit du fait que deux témoins avaient affirmé avoir surpris une conversation entre l’auteure et A., durant laquelle ce dernier avait évoqué les relations sexuelles et exigé d’être payé. De plus, après examen de l’appel formé par l’auteure contre le refus d’engager des poursuites pénales, le Bureau du Procureur de Roudny a renvoyé l’affaire de l’auteure devant le Département des affaires intérieures de Roudny pour qu’il mène une enquête plus approfondie. Par la suite, le 16 août 2011, le même enquêteur a décidé une nouvelle fois de ne pas engager de poursuites pénales. Le Comité prend note également du fait que l’auteure a par la suite fait appel plusieurs fois de la décision de ne pas engager de poursuites pénales, mais en vain. Qui plus est, à la suite de la procédure civile engagée par A. contre l’auteure, le tribunal de la ville de Roudny a conclu, le 26 juillet 2011, que les griefs de l’auteure concernant le harcèlement sexuel et les tentatives d’extorsion d’argent n’étaient pas fondés et ne correspondaient pas à la réalité. Cette décision a ensuite été confirmée par le tribunal régional du Koustanaï lorsqu’il a statué sur son appel et le pourvoi en cassation formés par l’auteure. À ce sujet, le Comité prend note de l’observation de l’auteure qui affirme que le jugement rendu concernant la procédure civile engagée par A. constituait un précédent et que, conformément au paragraphe 2 de l’article 131 du Code de procédure pénale, un jugement exécutoire s’impose aux autres tribunaux qui examinent les mêmes circonstances et les mêmes faits. Par conséquent, il est peu probable que le dépôt d’une plainte privée au titre du paragraphe 2 de l’article 32 et du paragraphe 1 de l’article 33 du Code de procédure pénale et de l’article 123 du Code pénal donnerait satisfaction à l’auteure. Le Comité a également pris dûment en considération l’argument de l’auteure, qui fait valoir que, les juridictions nationales ayant conclu dans la procédure civile engagée par A. que les griefs de harcèlement sexuel formulés par l’auteure étaient infondés, elle craignait de déposer une plainte d’ordre privé pour harcèlement sexuel car, conformément à l’article 351 du Code pénal, elle serait tenue de signer une déclaration stipulant qu’elle était avertie qu’elle pouvait être tenue responsable pénalement d’avoir porté de fausses accusations.

9.4Par ailleurs, le Comité note que, dans l’État partie, il n’existe pas, dans la législation, de disposition interdisant le harcèlement sexuel sur le lieu de travail. À ce sujet, le Comité rappelle qu’il a déjà fait part de son inquiétude, en 2014, dans ses observations finales concernant les troisième et quatrième rapports périodiques présentés en un seul document de l’État partie face à l’absence, dans la législation interne, de disposition interdisant le harcèlement sexuel sur le lieu de travail et qu’il a recommandé à l’État partie d’adopter d’urgence une législation complète visant à lutter contre le harcèlement sexuel sur le lieu de travail, conformément à la Recommandation générale n° 19 du Comité.

9.5Enfin, le Comité fait observer que l’État partie n’a pas indiqué si le recours disponible en vertu des articles 32 et 33 du Code de procédure pénale et de l’article 123 du Code pénal avait permis à une victime d’actes de harcèlement sexuel commis par un employeur d’obtenir réparation, ni précisé le nombre de ces affaires. De plus, l’État partie n’a pas réussi à démontrer que la procédure de réexamen par une instance supérieure en vertu de l’article 388 du Code de procédure civile, qui vise à permettre aux requérants de demander l’examen des décisions de justice passées en force de chose jugée, aurait constitué un recours utile dans le cas présent.

9.6Dans ces circonstances et compte tenu du fait que l’auteure s’était plainte auprès de plusieurs autorités administratives dans le secteur de l’éducation du harcèlement sexuel subi sur son lieu de travail et des tentatives de lui extorquer de l’argent de la part de A. et qu’elles ont toutes rejeté ses plaintes, en l’absence de toute explication de la part de l’État partie sur la manière dont les recours internes auraient pu garantir efficacement les droits de l’auteure, le Comité conclut qu’en l’espèce il est peu probable que les recours internes auraient apporté satisfaction à l’auteure. En conséquence, rien ne s’oppose, en vertu du paragraphe 1 de l’article 4 du Protocole facultatif, à ce que le Comité examine la présente communication.

9.7En ce qui concerne les griefs que l’auteure tire de l’article 14 de la Convention, le Comité tient compte du fait que l’auteure indique qu’elle vit dans une région rurale, mais il considère, en se fondant sur les éléments dont il est saisi, que l’auteure n’a pas fourni d’autres informations ou d’autres arguments sur la manière dont les droits qu’elle tient de l’article 14 de la Convention ont été violés en l’espèce. Le Comité considère par conséquent que l’auteure n’a pas suffisamment étayé ce grief aux fins de la recevabilité et conclut que celui-ci est irrecevable en vertu du paragraphe 2 c) de l’article 4 du Protocole facultatif.

9.8Le Comité considère que l’auteure a suffisamment étayé ses autres griefs, qui soulèvent des questions au regard de l’alinéa e de l’article 2, de l’alinéa a de l’article 5 et de l’article 11 de la Convention, lus conjointement avec la Recommandation générale n° 19 du Comité, aux fins de la recevabilité et procède donc à leur examen sur le fond.

Examen au fond

10.1Le Comité a examiné la présente communication à la lumière de toute l’information que lui ont communiquée l’auteure et l’État partie, ainsi que le prévoit le paragraphe 1 de l’article 7 du Protocole facultatif.

10.2Le Comité note que l’auteure a été employée en qualité de membre du personnel technique à l’école de Pertsevsk à partir de 1999 et que son contrat a été renouvelé chaque année scolaire sans exception jusqu’en 2011. C’est en janvier 2011 que A., qui avait pris la direction de l’école en décembre 2010, a proposé à l’auteure d’avoir des relations sexuelles avec lui en lui faisant comprendre qu’elle ne pourrait garder son emploi que si elle acceptait. Le Comité prend note de la version de l’auteure qui affirme que le harcèlement sexuel de la part de A. a persisté et qu’en mai 2011, alors qu’elle continuait à refuser catégoriquement d’avoir des relations sexuelles avec A., ce dernier a également essayé de lui extorquer de l’argent en exigeant qu’elle lui verse 10 000 tenge. Lorsque l’auteure a refusé de payer, son contrat n’a pas été renouvelé. Le Comité note en outre qu’aucune explication n’a été fournie par l’État partie ni par aucune des institutions auprès desquelles l’auteure avait déposé des plaintes sur les raisons pour lesquelles son contrat n’a soudain plus été renouvelé. Le Comité a dûment pris en compte l’argument de l’État partie qui fait valoir que le contrat de l’auteure n’a pas été renouvelé en raison de la fermeture de l’école, mais d’après l’auteure, l’école de Pertsevsk a continué à fonctionner encore après mai 2011 au moins jusqu’en septembre 2012, ce que n’a pas contesté l’État partie.

10.3Compte tenu de ce qui précède, le Comité doit déterminer en l’espèce si l’État partie a pris toutes les mesures appropriées pour assurer une protection efficace du droit de l’auteure de ne pas faire l’objet d’une discrimination de la part d’une personne, d’une organisation ou d’une entreprise quelconque et s’il a pris des mesures rapides et appropriées afin de remédier au traitement discriminatoire présumé exercé sous forme de harcèlement sexuel par A., en violation de l’alinéa e de l’article 2, de l’alinéa a de l’article 5 et de l’article 11 de la Convention, lus conjointement avec la Recommandation générale n° 19, et d’y mettre fin.

10.4Le Comité rappelle que, conformément au paragraphe 6 de sa Recommandation générale n° 19, le terme « discrimination », au sens de l’article premier de la Convention, inclut la violence à l’égard des femmes fondée sur le sexe, qui se manifeste entre autres par des actes qui infligent des tourments ou des souffrances d’ordre mental ou sexuel, la menace de tels actes ou la contrainte. En outre, conformément au paragraphe 17 de la Recommandation, l’égalité en matière d’emploi peut être gravement compromise lorsque les femmes sont victimes sur le lieu de travail d’actes de violence sexiste, par exemple sous forme de harcèlement sexuel, et que cette discrimination n’est pas limitée aux actes commis par les gouvernements ou en leur nom. Aux termes de l’alinéa e de l’article 2 de la Convention, les États parties peuvent être également responsables d’actes privés s’ils n’agissent pas avec la diligence voulue pour prévenir la violation de droits ou pour enquêter sur des actes de violence, les punir et les réparer, comme le stipule le paragraphe 9 de la Recommandation.

10.5À cet égard, le Comité reconnaît qu’il incombe aux autorités et aux tribunaux de l’État partie d’évaluer les faits et les preuves dans les affaires dont il est saisi. Dans le cas présent, toutefois, en vue de déterminer si l’auteure a bénéficié, dans les faits, de la réalisation du principe de l’égalité entre les hommes et les femmes et de ses droits et de ses libertés fondamentales, le Comité doit établir d’une part si les autorités de l’État partie ont agi avec une diligence raisonnable lorsqu’elles ont enquêté sur les allégations de l’auteure, et d’autre part si l’État partie a enfreint l’obligation qui lui incombe de protéger efficacement l’auteure contre toute violence sexiste.

10.6Le Comité observe que la première instance à avoir examiné le grief de l’auteure selon lequel elle était victime de harcèlement sexuel de la part de A. était un comité composé de trois membres du Département de l’éducation de Roudny. Durant son enquête, ce comité n’a pas demandé à l’auteure sa version des faits. La deuxième enquête a été menée le 9 juin 2011 par un autre comité créé par le Département de l’éducation de Roudny, qui a conclu que les allégations de l’auteure n’étaient pas fondées. Le Comité note à cet égard l’observation de l’auteure selon laquelle on ne lui a pas donné la possibilité suffisante d’expliciter ses griefs. Par ailleurs, à la suite de la plainte de l’auteure datée du 13 juin 2011, un enquêteur du Département des affaires intérieures de Roudny a décidé, le 21 juin 2011, de ne pas engager de procédure au pénal concernant la plainte de l’auteure, en dépit du fait que deux témoins avaient affirmé avoir surpris une conversation entre l’auteure et A., durant laquelle ce dernier avait mentionné la relation sexuelle et exigé d’être payé.

10.7Le Comité note qu’après avoir examiné l’appel formé par l’auteure contre la décision de ne pas engager de procédure au pénal, le Bureau du Procureur de Roudny a renvoyé l’affaire au Département des affaires intérieures de Roudny aux fins d’une enquête plus approfondie. Par la suite, le 16 août 2011, le même enquêteur a réitéré sa décision de ne pas engager de procédure au pénal. L’auteure a ensuite fait appel de cette décision à plusieurs reprises, en vain. Le Comité note l’observation de l’auteure selon laquelle les autorités nationales n’ont pas tenu compte des déclarations des deux témoins ni de l’enregistrement audio des demandes pressantes de A.. Il note aussi l’argument de l’auteure selon lequel les tribunaux nationaux, dans le contexte de la procédure civile que A. a introduite à son encontre, avaient refusé arbitrairement d’interroger plusieurs personnes susceptibles de témoigner en sa faveur ou de produire comme élément de preuve l’enregistrement audio des demandes pressantes de A.. Le Comité note à cet égard la déclaration de l’État partie selon laquelle l’enregistrement avait été examiné, néanmoins l’État partie n’a fourni aucune information précise sur les modalités de son examen ni si l’authenticité de l’enregistrement a été vérifiée.

10.8Compte tenu de ce qui précède, le Comité est d’avis qu’en l’espèce les autorités et les tribunaux de l’État partie ont échoué à prendre dûment en considération le grief de l’auteure selon lequel elle a été victime de violence sexiste, sous forme de harcèlement sexuel, sur le lieu de travail et les éléments de preuve venant à l’appui dudit grief, et qu’ils n’ont donc pas rempli leur devoir de prendre en compte les disparités entre les sexes. Les autorités nationales et les tribunaux ont aussi échoué à prendre dûment en considération l’indication manifeste, prima facie, d’une violation de l’obligation de garantir un traitement égal en matière d’emploi, compte tenu du contexte de la présente affaire. L’auteure se trouvait dans une position vulnérable en étant subordonnée à A., la reconduction de son contrat de travail dépendant entièrement du bon vouloir de ce dernier. Le Comité rappelle à cet égard que la recommandation générale n° 28 dit, en son paragraphe 36, qu’en vertu de l’alinéa e de l’article 2,

« les États parties devraient prendre aussi des mesures garantissant l’élimination effective de la discrimination à l’égard des femmes et la réalisation concrète de l’égalité entre femmes et hommes, notamment des mesures telles que les femmes puissent porter plainte pour violation des droits énoncés dans la Convention et avoir accès à des recours utiles. L’obligation qu’ont les États parties d’instaurer une protection juridictionnelle des droits des femmes sur un pied d’égalité avec les hommes, de garantir, par le truchement des juridictions nationales compétentes et d’autres institutions publiques, la protection effective des femmes contre tout acte discriminatoire et de prendre toutes mesures appropriées pour éliminer la discrimination pratiquée à l’égard des femmes par une personne ».

10.9Compte tenu de ce qui précède, le Comité considère que dans les circonstances de l’espèce l’État partie a violé ses obligations découlant de l’alinéa e de l’article 2, lu conjointement avec l’article premier, de la Convention.

10.10En ce qui concerne le grief de l’auteure portant sur une violation de l’alinéa a de l’article 5 de la Convention, le Comité souligne que l’application intégrale de la Convention exige des États parties qu’ils prennent des mesures afin non seulement d’éliminer la discrimination directe et indirecte et améliorer ainsi la situation réelle des femmes, mais aussi de modifier et faire évoluer les stéréotypes sexistes et d’éliminer ceux qui sont injustifiés car ils sont une cause profonde et une conséquence de la discrimination à l’égard des femmes. Les stéréotypes sexistes sont perpétués par divers moyens et institutions, notamment les lois et les systèmes juridiques, ainsi que par des acteurs étatiques, dans toutes les branches et à tous les niveaux du gouvernement, et par des acteurs privés. En l’espèce, les autorités n’ont pas cherché à connaître les raisons pour lesquelles le contrat de l’auteure n’a pas été renouvelé alors qu’elle travaillait à l’école depuis plus de dix ans. De plus, le tribunal de la ville de Roudny a mentionné le fait que l’auteure n’avait pas déposé plainte pour harcèlement sexuel présumé tant qu’elle était encore employée, mais seulement après son licenciement, comme une circonstance qui rendait son allégation moins crédible. Dans ces circonstances, qui dénotent toutes une insensibilité à la vulnérabilité de l’auteure, en tant que femme à la fois seul soutien de famille et subordonnée de A., et compte tenu de la conclusion mentionnée plus haut, le Comité réaffirme que l’État partie a violé ses obligations découlant de l’alinéa e de l’article 2, lu conjointement avec l’article premier, de la Convention et que les institutions de l’État partie ont échoué à prendre dûment en considération, en tenant compte des disparités entre les sexes, le grief de l’auteure selon lequel elle a été victime de violence sexiste sur le lieu de travail et les éléments de preuve venant à l’appui dudit grief, et par conséquent l’indication prima facie d’une violation de l’obligation de garantir un traitement égal en matière d’emploi. Le Comité est d’avis qu’en s’abstenant d’examiner de manière rapide, adéquate et efficace la plainte déposée par l’auteure selon laquelle elle a été victime de harcèlement sexuel, alors que la procédure civile engagée par A. contre l’auteure a duré moins de trois semaines, et en omettant de traiter l’affaire de l’auteure d’une manière qui tienne compte des disparités entre les sexes, les institutions nationales ont raisonné sous l’influence de stéréotypes. Le Comité conclut en conséquence que l’État partie a violé l’alinéa a de l’article 5 de la Convention.

10.11En ce qui concerne le grief de l’auteure portant sur une violation par l’État partie des droits qui lui sont reconnus à l’article 11 de la Convention, compte tenu des informations fournies par l’auteure et l’État partie, le Comité considère que ce grief porte sur des questions relevant des alinéas a et f du paragraphe 1 de l’article 11 de la Convention. Le Comité, compte tenu de ses conclusions selon lesquelles il y a eu violation de l’alinéa e de l’article 2, lu conjointement avec l’article premier, de la Convention, note en outre le grief de l’auteure selon lequel, en janvier 2011, A., directeur de l’école, l’a invitée à s’entretenir avec lui et qu’il lui a fait comprendre à cette occasion qu’elle ne continuerait à travailler à l’école qu’à condition de consentir à avoir des relations sexuelles avec lui, un arrangement qu’elle a catégoriquement refusé. A. a continué par la suite à la harceler avec ces exigences d’ordre sexuel et parce qu’elle continuait à opposer un refus, il lui a demandé de lui verser 10 000 tenge si elle voulait continuer à travailler à l’école. L’auteure ayant refusé de satisfaire ces exigences, il lui a été signifié en mai 2011 que son contrat de travail ne serait pas renouvelé pour l’année scolaire suivante, bien que l’école a poursuivi ses activités jusqu’en septembre 2012. Le Comité note l’observation de l’auteure selon laquelle, en raison de l’expiration de son contrat et de l’ouverture d’une procédure civile par A. contre elle au sujet des griefs de harcèlement qu’elle avait formulés, qui a donné lieu à la décision du tribunal de Roudny la condamnant à lui verser une indemnisation et à lui présenter des excuses durant une réunion générale du personnel de l’école, elle a souffert d’une dépression et a dû chercher un soutien psychologique auprès du Centre de crise pour la protection des femmes victimes de violence. Le Comité note à cet égard que le 29 mars 2012, il a été établi que l’auteure souffrait de dépression et de troubles post-traumatiques.

10.12Le Comité rappelle que conformément aux paragraphes 17 et 18 de sa Recommandation générale n° 19, l’égalité en matière d’emploi peut être gravement compromise lorsque les femmes sont victimes sur le lieu de travail d’actes de violence sexiste, par exemple sous forme de harcèlement sexuel, qui se manifestent entre autres par des comportements inopportuns déterminés par des motifs sexuels consistant notamment à imposer des contacts physiques, à faire des avances et des remarques à connotation sexuelle, à montrer des ouvrages pornographiques et à demander de satisfaire des exigences sexuelles, que ce soit en paroles ou en actes. Une telle conduite peut être humiliante et peut poser un problème sur le plan de la santé et de la sécurité; elle est discriminatoire lorsque la femme est fondée à croire que son refus la désavantagerait dans son emploi, notamment pour le recrutement ou la promotion ou encore lorsque cette conduite crée un climat de travail hostile.

10.13Le Comité est d’avis que c’est parce qu’elle était une femme désarmée occupant un poste de subalterne qu’elle a subi cette pression et qu’elle a été victime de menaces et d’actes de harcèlement ainsi que de tentatives d’extorsion d’argent, ce qui constitue une violation du principe de l’égalité de traitement. Le Comité considère que l’obligation qu’a l’employeur de s’abstenir de toute discrimination sexiste, dont le harcèlement, n’a pas pris fin à l’expiration du contrat de travail de l’auteure. Il observe que A. a engagé une procédure civile contre l’auteure pour diffamation, donnant lieu à une décision judiciaire la condamnant à verser une indemnisation pour préjudice non matériel et à présenter des excuses publiques à A., à la suite de quoi elle a souffert de dépression et de troubles post-traumatiques. Dans ces circonstances, le Comité considère que le traitement de l’auteure par A., à savoir exiger qu’elle consente à avoir des relations sexuelles avec lui, son supérieur hiérarchique, si elle voulait continuer à travailler à l’école et refuser de renouveler son contrat de travail pour l’année scolaire suivante, constituait une violation des droits de l’auteure au travail et à un traitement égal et une discrimination fondée sur le sexe en vertu des alinéas a et f du paragraphe 1 de l’article 11 de la Convention. L’auteure a donc été victime d’une violation des droits que lui confèrent ces dispositions, à laquelle les autorités de l’État partie n’ont pas remédié de manière rapide, adéquate et efficace.

11.Agissant en application du paragraphe 3 de l’article 7 du Protocole facultatif, et compte tenu de ce qui précède, le Comité constate que l’État partie ne s’est pas acquitté des obligations qui lui incombent au titre de l’alinéa e de l’article 2, lu conjointement avec l’article premier, l’alinéa a de l’article 5 et les alinéas a et f du paragraphe 1 de l’article 11 de la Convention, et recommande à l’État partie :

a)En ce qui concerne l’auteure de la communication: d’accorder une réparation appropriée, dont une indemnisation financière adéquate pour le préjudice moral et matériel subi par l’auteure du fait de la violation des droits que lui reconnaît la Convention, ainsi qu’une indemnisation :

i)Pour la perte de revenus pendant la période allant de septembre 2011 à septembre 2012, date à laquelle l’école primaire de Pertsevsk a été fermée;

ii)Pour les dépens et frais de justice liés aux nombreuses plaintes déposées par l’auteure contre A., ainsi que pour les frais occasionnés par la procédure civile engagée par A;

iii)Pour les souffrances causées par le harcèlement sexuel et les tentatives d’extorsion, ainsi que par les excuses publiques que l’auteure a dû adresser à A., lesquelles ont provoqué chez elle une dépression et des troubles post-traumatiques;

b)De manière générale :

i)D’adopter rapidement une législation détaillée, en particulier dans le domaine du droit du travail, pour combattre le harcèlement sexuel sur le lieu de travail, conformément à la Recommandation générale n° 19 du Comité, qui comprenne une définition complète du harcèlement sexuel sur le lieu de travail respectant les normes internationales et établisse des procédures de traitement des plaintes, des recours et des sanctions efficaces;

ii)De veiller à ce qu’en application de l’article 351 du Code pénal, les victimes ne soient pas tenues de signer une déclaration qui risquerait de constituer un obstacle concret à leur droit d’accès à la justice;

iii)De prendre les mesures nécessaires pour sensibiliser le grand public, notamment dans les régions rurales, au fait que le harcèlement sexuel sur le lieu de travail est une infraction réprimée par la loi, ainsi que de promouvoir des politiques anti-harcèlement sur le lieu de travail, applicables tant au secteur public qu’au secteur privé;

iv)De dispenser aux juges, aux avocats et au personnel de maintien de l’ordre une formation régulière sur la Convention, le Protocole facultatif et la jurisprudence du Comité ainsi que sur ses recommandations générales, en tenant compte des disparités entre les sexes afin de faire en sorte que les préjugés stéréotypés ne pèsent pas sur la prise de décisions;

v)De prendre des mesures efficaces visant à garantir que la Convention est appliquée dans les faits par tous les tribunaux nationaux et les autres institutions publiques, afin de protéger efficacement les femmes contre la discrimination sexiste dans le monde du travail;

vi)De ratifier la Convention pour l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, en tenant compte de la coopération de l’État partie avec le Conseil de l’Europe.

12.Conformément au paragraphe 4 de l’article 7 du Protocole facultatif, l’État partie examinera dûment les constatations et les recommandations du Comité, auquel il soumettra, dans un délai de six mois, une réponse écrite, l’informant de toute action menée à la lumière de ses constatations et recommandations. L’État partie est également prié de publier les avis et les recommandations du Comité et de les faire traduire en kazakh et en russe, ainsi que de les distribuer largement de façon à ce qu’ils parviennent à tous les secteurs de la société.